PREMIÈRE PARTIE : LA DIFFICILE GESTATION
D'UNE NOUVELLE LOI DE DÉCENTRALISATION

I. UN DÉBUT DE MANDAT MARQUÉ PAR DES RELATIONS ÉTAT-COLLECTIVITÉS CONFLICTUELLES

Dès avant son élection, le futur chef de l'État avait, en mars 2017, devant l'Assemblée des Départements de France (ADF), proposé aux collectivités territoriales un « pacte de solidarité girondin » reposant sur « l'intelligence des territoires [...] Les cinq années à venir doivent être structurées par un pacte qui se négocie au début du quinquennat et dans lequel on définit à la fois les objectifs, les modalités et les équilibres. ». Toutefois, une inquiétude existait déjà parmi les élus face à la promesse de campagne tendant à exonérer de la taxe d'habitation tous les Français des classes moyennes et populaires (soit 80% des ménages) 2 ( * ) . Le risque était grand, en effet, que cette mesure ne vienne bouleverser l'ensemble du fragile édifice de la fiscalité locale et se traduise par une moindre autonomie fiscale des collectivités, en particulier celles du bloc communal.

Une fois élu, le chef de l'État s'était très tôt engagé à retisser les liens de la confiance avec les territoires. Dans son discours au Congrès du 3 juillet 2017, il esquissait deux volets de cette action : déconcentrer et décentraliser.

Déconcentrer : « Je veux [...] une administration plus déconcentrée, qui conseille plus qu'elle ne sanctionne, qui innove et expérimente plus qu'elle ne contraigne. Tel est le cercle vertueux de l'efficacité. C'est cette administration qui doit redonner à tous les territoires les moyens d'agir et de réussir. »

Décentraliser : « Ne redoutons pas de nouer avec les territoires des accords de confiance. Nous savons tous combien notre France est diverse, combien est importante l'intimité des décideurs publics avec le terrain de leur action. La centralisation jacobine traduit trop souvent la peur élémentaire de perdre une part de son pouvoir. Conjurons-là. Osons expérimenter, déconcentrer, c'est indispensable pour les territoires ruraux comme pour les quartiers difficiles ; osons conclure avec nos territoires et nos élus de vrais pactes girondins fondés sur la confiance et sur la responsabilité. »

Dans le même discours, Emmanuel Macron annonçait également la création d'une « Conférence des territoires », conduite par le Premier ministre, avec pour objet « de trouver ensemble les moyens d'adapter nos politiques aux réalités locales [...] ».

Au cours de la première édition de cette Conférence nationale des territoires, qui se déroula au Sénat, le 17 juillet 2017, le président de la République réaffirma sa volonté de déconcentrer et de rénover les relations État-Collectivités pour aboutir à un « pacte de confiance », « un pacte girondin [...] , qui, sans briser l'unité nationale, redonnera aux territoires les moyens d'agir dans une responsabilité partagée . ». Mais, dès lors, l'ambition transformatrice avait paru menaçante pour les collectivités. Car le pacte annoncé semblait surtout receler des contraintes financières nouvelles, illustrées par les fameux « contrats de Cahors ». Symboliquement, la mécanique de la confiance avait été altérée, les élus locaux étant confrontés d'une part, à une vision implicitement dépréciative de leur action et, d'autre part, à une contractualisation asymétrique et imposée.

Par ailleurs, une série de mesures avait rapidement provoqué le mécontentement des élus locaux : l'effort financier demandé aux collectivités territoriales, annoncé à l'ouverture de la conférence des territoires, passant de 10 à 13 milliards d'euros, un surgel des dotations de 300 millions d'euros, la suppression de la réserve parlementaire - importante source de financement pour les projets locaux et le tissu associatif -, la brusque diminution des emplois aidés des collectivités...

La suite sera une longue série d'attentes déçues, les élus, leurs associations, le Sénat ne cessant de plaider pour davantage de confiance, de souplesse et de dialogue, mais le Gouvernement ne parvenant pas à tracer une voie nouvelle pour l'action publique locale.


* 2 « Nous exonérerons de la taxe d'habitation tous les Français des classes moyennes et populaires (soit 80% des ménages). C'est un impôt injuste : on paye souvent beaucoup plus quand on vit dans une commune populaire que dans une commune riche. Dès 2020, 4 Français sur 5 ne paieront plus la taxe d'habitation, et l'État remboursera entièrement auprès des communes leur manque à gagner, à l'euro près, en préservant leur autonomie fiscale. » (Programme de campagne).

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