EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Jacky Deromedi , rapporteur . - Les 3,5 millions de Français vivant à l'étranger ont été particulièrement touchés par la crise sanitaire : certains ont pu rester dans leur pays de résidence, d'autres sont rentrés en France, au prix d'un parcours administratif semé d'embûches. Toutes leurs échéances démocratiques ont été reportées d'une année, à commencer par les élections des conseillers des Français de l'étranger.
Ces élections consulaires sont particulièrement difficiles à organiser : 1,36 million d'électeurs doivent pouvoir s'exprimer dans 130 circonscriptions réparties tout autour du globe, soit à l'urne, soit par Internet.
Les lois d'urgence du printemps dernier ont permis de reporter les élections consulaires en mai 2021. Ce choix était légitime au regard de la dégradation de la situation sanitaire à l'échelle mondiale. Nous sommes toutefois dans l'attente d'un rapport du comité de scientifiques, qui doit préciser les précautions à prendre.
Les Français de l'étranger sont les grands oubliés du rapport remis par le président Jean-Louis Debré, alors que de nombreuses questions sont encore pendantes : comment les candidats pourront-ils faire campagne dans un contexte pandémique ? Comment les électeurs pourront-ils voter en mai 2021, alors qu'ils habitent parfois à plusieurs centaines de kilomètres des bureaux de vote ?
C'est dans cette démarche prospective que nous avons mené une série d'auditions avec Christophe-André Frassa, qui évoquera les modalités de vote, et Jean-Yves Leconte, qui abordera la campagne électorale.
Sur le territoire national, beaucoup ont évoqué le couple formé par le maire et le préfet pour faire face à la crise sanitaire, même si les réalités de terrain ont souvent été plus compliquées.
À l'étranger, la situation est bien différente : les conseils consulaires ont continué de fonctionner, mais le Gouvernement n'a pas cherché à associer les élus à la mise en oeuvre du plan d'urgence destiné à épauler nos compatriotes expatriés. Les retours de terrain des élus auraient pourtant permis de mieux appréhender les besoins et de répondre plus efficacement aux situations d'urgence !
Nous faisons ainsi plusieurs propositions pour que les conseillers des Français de l'étranger soient mieux associés à la gestion de la crise et de ses conséquences économiques et sociales. Certaines propositions pourraient être pérennisées afin d'améliorer la représentation de nos compatriotes expatriés.
S'agissant des élections consulaires, nos auditions ont montré l'existence d'un relatif consensus pour les maintenir en mai 2021, même si la situation sanitaire nous place encore dans l'incertitude.
Comme pour nos concitoyens résidant sur le territoire national, pour les Français de l'étranger, la démocratie ne peut pas rester confinée ! Un nouveau report des élections consulaires soulèverait d'ailleurs des difficultés sur le plan constitutionnel, au regard du principe de périodicité raisonnable de droit au suffrage mais aussi pour l'élection de six sénateurs des Français de l'étranger, qui a déjà été reportée en septembre 2021.
Sur le terrain, les candidats s'interrogent sur les conditions d'organisation de la campagne électorale, qui risque d'être réduite à sa plus simple expression. Nous formulons donc plusieurs propositions pour tirer les conséquences de l'interdiction des réunions « en présentiel ».
Nous préconisons également qu'un plan de communication soit lancé pour mieux faire connaître les élections consulaires : nos compatriotes expatriés ne connaissent pas suffisamment ce scrutin créé en 2013 ni le rôle de leurs élus de proximité, ce qui peut expliquer la forte abstention. D'autres citoyens ne sont même pas inscrits sur la liste électorale consulaire... La crise sanitaire nous oblige à redoubler d'efforts et de pédagogie.
Enfin, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères réfléchit à un dispositif ad hoc , qui permettrait de reporter les élections consulaires dans les seuls pays confrontés à un pic épidémique au printemps 2021. Ce dispositif pourrait s'inspirer du mécanisme mis en oeuvre pour les élections municipales en Guyane, qui ont été reportées après le second tour organisé en métropole et ont finalement eu lieu en octobre 2020. Il soulève toutefois des interrogations, notamment en ce qui concerne les critères sanitaires utilisés pour reporter, ou non, les élections consulaires dans certaines circonscriptions, et nécessiterait, en tout état de cause, le dépôt d'un projet de loi à quelques semaines du scrutin, ce qui n'est jamais facile.
M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - J'en viens à la nécessité d'adapter les modalités du scrutin pour les élections consulaires de 2021.
Nous invitons l'administration - c'est la proposition n° 5 que nous formulons - à ouvrir un maximum de bureaux de vote pour permettre aux Français de l'étranger de participer au scrutin, en tenant compte des contraintes sanitaires propres à chaque pays. Pour le scrutin initialement prévu en mai 2020, nous avions constaté que le nombre de bureaux de vote ouverts était insuffisant.
Le vote à l'urne doit être maintenu dans l'ensemble des 130 circonscriptions consulaires. Je signale que 14,5 % des électeurs n'ont pas transmis leur adresse électronique à l'administration et ne peuvent donc pas voter par Internet ; ce taux atteint par exemple 61,7 % des électeurs à Sanaa, 48,1 % à Pondichéry et 49,5 % à Moroni. Un protocole sanitaire très strict devra être mis en place dans ces bureaux de vote et, surtout, les horaires d'ouverture devront être adaptés aux circonstances locales.
Notre proposition n° 6 tend à faciliter le vote par procuration en améliorant l'organisation des tournées consulaires et en sollicitant davantage les consuls honoraires de nationalité française, compétents pour établir les procurations.
Le recours aux procurations est déjà facilité pour les Français de l'étranger. La dématérialisation de la procédure n'est toutefois pas complète puisque l'électeur doit comparaître personnellement devant le chef de poste consulaire, ce qui oblige certains Français à effectuer un déplacement de plusieurs centaines de kilomètres. Un tel déplacement est non seulement onéreux mais il arrive, vu les circonstances actuelles, qu'il soit tout simplement impossible.
Des tournées consulaires sont mises en place par l'administration ; elles sont parfois annoncées tardivement. Les élus nous ont fait part de leur insatisfaction et nous souhaitons que l'organisation de ces tournées soit revue. Il faut utiliser les adresses électroniques de nos compatriotes, qui figurent sur les listes électorales consulaires, pour communiquer plus efficacement avec eux.
Notre proposition n° 7 vise à poursuivre les procédures de vérification du vote par Internet en organisant, en cas de difficulté majeure, un nouveau test grandeur nature (TGN).
Au regard de nos auditions, les conditions semblent cette fois réunies pour recourir au vote par Internet en mai 2021. Cette modalité de vote est d'ailleurs plus que nécessaire en raison de l'épidémie.
Nous avions toutefois deux points de vigilance. D'une part, le prestataire, la société espagnole SCYTL, a été placé en redressement judiciaire en mai 2020 ; d'autre part, les risques de piratage ont conduit le ministère des affaires étrangères à annuler le recours au vote par Internet pour les élections législatives de 2017.
Sur le premier point, le rachat de SCYTL par le groupe international Paragon, en octobre 2020, a redonné un peu de souffle à la société. Un avenant a été signé avec le Gouvernement français, qui permet au prestataire de poursuivre sa mission jusqu'aux prochaines élections de mai 2021.
Sur le second point, la plateforme de vote a été homologuée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères en janvier 2020, avec l'accord de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Au cours de son audition, le directeur général de l'ANSSI nous a confirmé que le projet est aujourd'hui bien mieux maîtrisé qu'en 2017. La cryptographie a été revue et les procédures sont beaucoup plus robustes pour lutter contre les tentatives d'intrusion.
Le président du bureau de vote électronique (BVE), quant à lui, nous a confirmé que les tests grandeur nature s'étaient déroulés de manière convenable, même si des difficultés subsistent pour la réception des codes d'identification. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères procèdera à de nouveaux tests dits fonctionnels pour s'assurer du bon fonctionnement de la plateforme de vote. En cas de difficulté majeure, un nouveau test grandeur nature devra être envisagé, comme l'a souligné le directeur général de l'ANSSI.
Notre proposition n° 8 consiste à organiser un vote par correspondance « papier » pour les prochaines élections consulaires, en s'inspirant du dispositif prévu pour les élections législatives des Français établis hors de France.
Lors de nos auditions, les représentants de nos compatriotes expatriés ont tous défendu le retour du vote par correspondance « papier » pour les élections consulaires. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'y oppose, arguant de la défaillance de certains systèmes postaux, des coûts financiers et des risques de nullité des bulletins de vote.
Le vote postal peut néanmoins représenter une véritable solution pour les électeurs qui vivent à plusieurs centaines de kilomètres des bureaux de vote et qui ne peuvent pas voter par Internet. Contrairement à l'adresse électronique, tous ont dû communiquer leur adresse postale à l'administration.
Le vote par correspondance « papier » est, en outre, bien connu de tous les Français de l'étranger. Je rappelle enfin qu'un seul scrutin a été annulé du fait de cette modalité de vote. Il s'agit de l'élection législative de 2017 dans la circonscription couvrant l'Espagne, le Portugal, Monaco et Andorre. Le juge électoral avait toutefois motivé cette annulation par une série de dysfonctionnements administratifs, et non par des fraudes électorales.
M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Compte tenu des reports qui ont déjà eu lieu concernant les élections des Français de l'étranger et de l'impact des élections consulaires sur les élections sénatoriales, les pouvoirs publics ont une obligation de résultat.
Le vote par Internet semble plus sécurisé qu'en 2017 mais il reste accessoire par rapport au vote à l'urne. La question se pose donc de savoir si les conditions seront réunies pour pouvoir organiser les élections consulaires de 2021 dans de bonnes conditions. Il existe, en tout état de cause, une tension inhérente au vote par Internet entre la traçabilité du vote, qui permet de s'assurer de sa fiabilité, d'une part, et le secret du scrutin, d'autre part. Cette fragilité oblige à faire confiance aux concepteurs de la plateforme de vote et à son algorithme... Le vote par Internet est toutefois incontournable pour les Français de l'étranger, en raison de leur éloignement des bureaux de vote.
Les élections consulaires seront aussi une gageure pour une administration consulaire déjà confrontée, dans le contexte pandémique que nous connaissons, à d'importantes difficultés.
Comment faire campagne à l'étranger en période de pandémie ?
En règle générale, des réunions physiques sont organisées. Toutefois, il est probable que la prochaine campagne soit beaucoup plus « virtuelle » même si, compte tenu des distances géographiques, les Français de l'étranger en ont l'habitude. Sur les listes électorales consulaires, les adresses électroniques sont renseignées pour 85 % des électeurs inscrits ; autrement dit, 15 % d'entre eux ne peuvent pas voter par Internet et ne seront pas destinataires des éléments de propagande envoyés par les candidats.
Certaines listes électorales consulaires sont totalement disponibles et ouvertes ; d'autres ne le sont pas, pour des raisons de sécurité - je pense au Mali ou au Burkina Faso. Dans ces pays, il n'est donc pas possible de mener une campagne virtuelle : les candidats n'ont pas connaissance des adresses électroniques des électeurs.
Nous proposons donc la création de panneaux électoraux virtuels tenus par les consulats, qui permettraient à l'administration et aux candidats d'informer l'ensemble des électeurs, à raison d'une actualisation bihebdomadaire par exemple. C'est indispensable si nous voulons que tous les électeurs participent à cette campagne et à ce scrutin.
Il faudra aussi communiquer sur le répertoire électoral unique (REU), qui permet de lutter contre le phénomène des « mal-inscrits », et souligner les enjeux de cette campagne consulaire en matière d'orientation des politiques publiques.
Les listes électorales consulaires seront disponibles, nous a-t-on dit, dès lors qu'un citoyen en fera la demande en personne auprès de son poste consulaire, sous format Excel sécurisé. Nous devons toutefois constater un développement croissant et inquiétant de l'usage commercial de ces listes électorales. Il convient donc de rappeler que les personnes qui les utilisent à des fins commerciales ou publicitaires sont passibles d'une amende de 15 000 euros. Nous suggérons également la mise en place d'une procédure de signalement au Quai d'Orsay, de manière à ce que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et le procureur de la République soient informés de ce type d'infractions.
J'ajoute que, par différence avec les règles applicables sur le territoire national, le financement de la campagne électorale pour les élections consulaires est encadré par l'article 24 de la loi du 22 juillet 2013, qui interdit aux personnes morales, à l'exception des partis politiques français, de financer les campagnes, mais ne prévoit pas d'obligation de tenir des comptes de campagne, considérant qu'il est difficile de le faire à l'étranger. C'est le juge de l'élection qui pourrait, le cas échéant, examiner les infractions commises.
Si nos préconisations sont retenues par le Gouvernement et appliquées, les campagnes pourront se tenir, y compris dans les régions du monde où la pandémie impose des contraintes sanitaires draconiennes.
M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Nous avons, enfin, trois propositions techniques pour améliorer le régime électoral des Français de l'étranger.
La première est la faculté d'organiser, dans un délai de trois ans, une élection partielle lorsqu'aucun candidat ne s'est présenté aux élections consulaires. Actuellement, le droit prévoit qu'un poste de conseiller des Français de l'étranger peut rester vacant durant près de six ans, ce qui est beaucoup trop long. En Ukraine, il n'y a pas eu de candidat en 2014 et il n'y a jamais eu d'élection partielle jusqu'à aujourd'hui. Les Français d'Ukraine n'ont donc pas été représentés durant ce temps.
Ensuite, il faut revoir les conditions de remplacement des délégués consulaires, en limitant les élections consulaires aux sièges vacants dans les mois qui précèdent les élections sénatoriales. Au même moment où nous élisons les conseillers de Français de l'étranger, sont élus 68 délégués consulaires, qui complètent le collège des grands électeurs pour les élections sénatoriales et permettent de rééquilibrer la représentation des circonscriptions les plus peuplées. En l'état du droit, une élection partielle est organisée dès lors que la liste des délégués consulaires est épuisée. Mais cela soulève des difficultés pratiques, au regard du coût d'une élection partielle. Pourquoi élire des délégués consulaires alors que les élections sénatoriales sont déjà passées ?
Enfin, il faudrait prévoir un délai de mise en conformité de trois mois pour les élus des Français de l'étranger qui souhaitent s'inscrire sur la liste électorale d'une commune française afin de voter à des élections locales. Actuellement, les conseillers des Français de l'étranger doivent impérativement figurer sur les listes électorales consulaires durant toute la durée de leur mandat, sous peine d'être déclarés démissionnaires d'office par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et radiés des listes de leur pays de résidence. Prévoyons un délai de mise en conformité pour leur permettre de participer aux élections locales ; c'est une des facilités qui leur est autorisée avec le registre électoral unique (REU).
La commission autorise la publication du rapport d'information.