VII. POUR UNE LUTTE EFFICACE CONTRE LES POLLUTIONS PLASTIQUES
La lutte contre les pollutions plastiques implique un bouleversement de nos modes de production et de consommation. Elle exige de se questionner en profondeur sur un modèle de société de surconsommation fondée sur le jetable et sur la surexploitation des ressources naturelles.
Dès lors, elle remet potentiellement en cause de nombreux intérêts :
- ceux des industriels qui doivent revoir leur modèle économique ;
- ceux des consommateurs qui doivent modifier leurs habitudes de consommation et renoncer à la facilité apportée par la société du jetable ;
- ceux des dirigeants politiques qui doivent assumer des choix réalistes en veillant à assurer une justice sociale.
Il pourrait alors être tentant de privilégier des solutions qui, tout en apportant des réponses à la pollution plastique, éviteraient la remise en cause de nos intérêts, pratiques et comportements. De telles mesures sont malheureusement inefficaces.
A. LES IDÉES REÇUES À ÉCARTER
1. La technologie permettrait de régler le problème de la pollution plastique
Si la technologie apporte des solutions pour prévenir et lutter contre la pollution plastique, elle constitue une condition nécessaire mais non suffisante pour résoudre cette pollution. En outre, elle peut parfois s'avérer contreproductive lorsqu'elle retarde ou empêche la prise de solutions simples et beaucoup moins onéreuses. Enfin, elle est parfois récupérée par des lobbies qui revendiquent la technologie pour défendre leur modèle économique.
Parfois les développements technologiques ouvrent autant de questions qu'ils apportent de solutions. En voici quelques exemples :
• L'installation de filtres sur les machines à laver
Afin de lutter contre le relargage de fibres textiles lors du lavage des vêtements, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a introduit l'obligation d'équiper les lave-linges neufs d'un filtre à microfibres plastiques à compter du 1 er janvier 2025. Outre que ces filtres ne sont pas encore au point et qu'on peut légitimement s'interroger sur leur efficacité, d'autres problèmes se posent : comment nettoyer ces filtres ? Les consommateurs respecteront-ils les consignes ? Ces filtres se satureront-ils de fibres et faudra-t-il les changer ? Que deviendront les filtres usagers ? Ces questions ne sont aujourd'hui pas résolues. L'effet attendu d'une technologie nécessite donc une adaptation de ses utilisateurs et devient sa condition de réussite.
• Le nettoyage des océans
Le projet « Ocean Cleanup » (déjà évoqué plus haut dans le rapport), visant à nettoyer la pollution plastique présente dans le gyre du Pacifique Nord est louable mais nécessite d'importants moyens pour concevoir les structures flottantes capables de capter les macrodéchets ensuite récupérés par bateau. Si ce projet a l'intérêt de sensibiliser l'opinion publique sur une des formes de la pollution plastique, l'image qu'il en donne peut donner l'impression que nous aurions la capacité de nettoyer les océans. Même une mobilisation mondiale ne permettrait d'éliminer qu'un infime pourcentage de la pollution marine sans en tarir la source (laquelle est essentiellement liée aux activités terrestres).
• Le recyclage chimique
Le recyclage chimique pourrait donner l'impression d'une circularité parfaite des flux de matière. Les limites de cette technologie ont été mises en avant. Outre son coût et le nombre limité de résines potentiellement concernées, son impact environnemental est non négligeable. De surcroît le recyclage chimique ne règle pas le problème des fuites des plastiques dans l'environnement.
• Les plastiques biosourcés compostables
Afin d'anticiper l'interdiction de nombreux plastiques à usage unique, une multitude de produits de substitution, en plastique biosourcé compostable, a été mise sur le marché. Dans de nombreux cas, le polymère utilisé est l'acide polylactique, qui n'est biodégradable qu'en conditions industrielles. Les chercheurs et les industriels spécialisés dans les bioplastiques ne manquent pas d'imagination pour développer des produits. Ils poussent en particulier au développement de leur utilisation comme emballage alimentaire (films, barquettes, bouteilles, etc.) en arguant du fait qu'ils pourraient ensuite rejoindre le flux de biodéchets.
La réalité n'est pas si parfaite : en raison des volumes qu'ils pourraient représenter, leur mélange avec les biodéchets risquerait de perturber une filière en quête de légitimité auprès des agriculteurs (utilisateurs finaux des biodéchets compostés). De nombreux objets en plastique, affichés comme biodégradables en compost domestique, n'apportent aucune garantie de l'être également dans les sols, dans les eaux douces ou dans les océans. Dès lors, le risque n'est pas à négliger de mauvais comportements chez les consommateurs vis-à-vis de ces « bioplastiques » qui, en raison de leur qualification de plastiques compostables, les considèreraient comme inoffensifs pour l'environnement.
2. La bonne gestion des déchets mettrait fin à la pollution plastique
L'argument de la fin de la pollution plastique grâce à une bonne gestion des déchets est souvent avancé par les fabricants de plastiques. Selon cette vision, la pollution plastique serait uniquement due à une gestion non optimale des déchets et à un comportement inadapté des consommateurs. C'est la raison pour laquelle les metteurs en marché de plastiques insistent sur :
- la sensibilisation des citoyens aux gestes de tri ;
- l'interdiction de mises en décharge des plastiques ;
- l'amélioration des performances des centres de tri.
Si ces trois pistes d'amélioration sont pertinentes, elles ne permettront pas de résoudre le problème si, dans le même temps, la croissance de la consommation de plastiques n'est pas réduite.
En dépit des mesures récentes prises par les pouvoirs publics, aussi bien au niveau européen que national, pour augmenter la valorisation matière des déchets, les objectifs annoncés dans ce domaine apparaissent difficilement réalisables (100 % de plastiques recyclés d'ici à 2025 pour le Gouvernement français et 100 % d'emballages plastiques recyclables d'ici à 2030 pour la Commission européenne).
Par ailleurs, l'amélioration de la gestion des déchets n'a pas d'influence sur l'une des sources de la pollution plastique : la fuite des microplastiques dans l'environnement au cours de leur production ou de leur utilisation (granulés industriels, microparticules de pneus, fibres synthétiques, etc.).
Quant à la gestion des déchets dans les pays en voie de développement, elle constitue une tâche titanesque à mener alors que la consommation de plastiques devrait doubler à tripler dans ces zones géographiques d'ici à 2050 (cf. supra ).
3. La croissance économique permettrait d'endiguer la pollution plastique
Les pays développés éprouvent des difficultés à gérer leurs déchets qui augmentent par ailleurs. Ainsi les fuites dans l'environnement sont loin d'être jugulées.
Compte tenu des prévisions alarmistes des organisations environnementales sur la croissance de la consommation de plastiques dans des pays équipés de systèmes de gestion des déchets défaillants, il pourrait être tentant de se réfugier derrière l'argument de la croissance économique : considérant l'augmentation du revenu par habitant et donc leur croissance économique, ces pays pourront investir dans des infrastructures performantes de gestion des déchets.
Cette théorie s'appuie sur la courbe environnementale de Kuznets en U-inversé (équation basée sur le PIB par habitant comme facteur explicatif). Selon cette théorie, la croissance d'un pays, à mesure que le revenu par habitant augmente, s'accompagne d'un accroissement de la quantité de déchets plastiques mal gérés. Toutefois, passé un certain niveau de revenu par habitant, la quantité de déchets plastiques mal gérés diminuerait en raison d'une augmentation de la capacité à investir pour protéger l'environnement. La population ayant accès à un meilleur confort de vie, elle se préoccuperait davantage de la qualité de ses conditions d'existence et exigerait des améliorations environnementales.
Une économie en croissance possède plus de moyens pour investir dans les innovations technologiques vertes (gestion des déchets, nettoyage des océans, etc.).
Le rôle de la croissance dans la capacité des pays à mieux gérer leurs déchets doit cependant être relativisé . D'autres critères interviennent en plus du seul PIB : l'éducation, la lutte contre la corruption et l'influence des lobbies, etc. Selon les modèles mathématiques développés par Mateo Cordier 264 ( * ) , la variation du PIB par habitant n'explique que 11 % de la production de déchets plastiques par habitant. En se focalisant sur les 43 pays les plus polluants 265 ( * ) (91 % de la pollution plastique), augmenter le nombre d'années d'éducation et mieux contrôler la corruption et l'influence des lobbies réduiraient respectivement de 44 % et de 28 % la quantité de déchets mal gérés en 2050 par rapport à 1990.
4. La croissance verte serait la solution miracle
L'économie circulaire repose sur le principe de la maximisation de l'efficience des ressources naturelles (maximisation du service rendu par unité de ressource prélevée). Elle s'obtient par la réduction de la production des biens et des services, la mise en place de la réutilisation de la matière. Les principes de l'économie circulaire sont incompatibles avec l'idée d'une augmentation de la consommation de matières premières.
Lors de son audition, Pierre Desvaux 266 ( * ) a insisté sur le dévoiement de la définition initiale de l'économie circulaire au profit d'un discours en faveur de la croissance verte, laissant croire à une possible déconnection entre l'augmentation de la richesse et les conséquences environnementales de nos modes de production. L'application de ce principe au cas des plastiques conduit à faire croire que l'utilisation efficace des ressources et la prolongation de leur durée de vie (grâce au recyclage et au réemploi) neutraliseraient les effets négatifs de leur consommation excessive.
En réalité, l'accent mis sur la croissance verte évite de remettre en cause nos modèles de production et de consommation. « Dans une économie de croissance, les bénéfices à long terme du recyclage et de l'allongement des durées de vie (par substitution des fonctionnalités aux biens) sont en partie, voire totalement contrecarrés par l'accroissement des volumes totaux extraits et consommés 267 ( * ) ».
5. La responsabilisation des citoyens permettrait de contenir la pollution plastique
Au cours de leurs entretiens, plusieurs interlocuteurs, en particulier des industriels, ont insisté sur la nécessaire responsabilisation du citoyen pour adopter de nouvelles pratiques. Un constat pessimiste est construit autour de la déconnexion entre les convictions du citoyen et son comportement de consommateur. En conséquence, les entreprises sont obligées d'intégrer ces résistances dans leur stratégie marketing.
En réalité, un certain nombre de travaux de recherche en sciences humaines et sociales prouve la relative inefficacité des politiques construites sur la sensibilisation et la responsabilisation les citoyens, notamment en raison de la forte inertie des modes de consommation.
Au cours de son audition, Sophie Dubuisson-Quellier 268 ( * ) a souligné le rôle des industriels dans la construction des comportements de consommation. Les innovations de produits répondent d'abord aux objectifs des entreprises 269 ( * ) , qu'il s'agisse de faire venir des consommateurs sur de nouveaux marchés, de capter de nouveaux consommateurs dans des contextes de marchés saturés, de faciliter des opérations logistiques dans des chaînes de valeur de plus en plus longues et complexes ou encore de réduire les coûts de production.
Ainsi, la dépendance très forte aux plastiques à usage unique a été façonnée par les industriels qui ont profité du faible prix du plastique pour élargir considérablement leur marché. Progressivement, nos habitudes de consommation ont été profondément et durablement modifiées : elles sont désormais régies par des normes sociales très ancrées dans la société et qui reposent sur l'abondance des produits, la surconsommation et l'absence de valeur de l'emballage en raison de l'externalisation de ses coûts environnementaux 270 ( * ) .
Les plastiques à usage unique ont verrouillé de nouveaux comportements routiniers qui se justifient par la suppression de tâches dont les consommateurs avaient la charge (préparation, nettoyage, conservation, etc.). La sortie de ces modes de consommation est complexe : il faut se rééquiper, réassigner des tâches, accepter une augmentation des coûts (car le durable est parfois plus cher). Selon la scientifique, un tel bouleversement peut difficilement résulter d'une décision individuelle et repose sur des changements plus systémiques qui concernent l'ensemble de la société. Elle insiste ainsi sur le rôle de l'action collective et des mesures portant sur l'offre.
* 264 Maître de conférences à l'Université de Versailles-Saint-Quentin.
* 265 Générant le plus de déchets plastiques mal gérés.
* 266 Chercheur associé au laboratoire PACTE.
* 267 Christian Arnsperger et Dominique Bourg : Écologie intégrale pour une économie permacirculaire, 2017.
* 268 Directrice-adjointe du centre de sociologie des organisations.
* 269 Si cette logique d'innovation reste pertinente lorsqu'elle apporte un indéniable progrès social ou sociétal, elle suscite des interrogations lorsqu'il s'agit de produits ou de services, susceptibles d'être substituables, dont l'utilité est relative et a un impact négatif sur les ressources ou sur l'environnement.
* 270 L'éco-contribution dans le cadre de la responsabilité élargie aux producteurs est un début d'internalisation du coût environnemental des plastiques, mais son montant relativement modeste et surtout son absence de visibilité pour les consommateurs limite son efficacité et ne permet pas à ces derniers de prendre conscience du coût environnemental des plastiques.