C. UNE PLACE DES DÉPARTEMENTS DANS L'OFFRE D'INGÉNIERIE PUBLIQUE À CONFORTER
1. Une offre départementale d'ingénierie territoriale diversifiée et précieuse pour le bloc communal, dont l'encadrement pourrait être assoupli
Les communes et EPCI expriment régulièrement leurs besoins d'accompagnement en matière d'ingénierie administrative, technique ou financière, indispensable à la concrétisation de leurs projets.
Le soutien à l'ingénierie des projets communaux et intercommunaux est au coeur de la mission de solidarité territoriale des départements , qui mettent ainsi leurs services, leurs compétences et leur expertise au service du bloc communal et en particulier des communes rurales. Ce soutien technique repose sur deux fondements légaux.
En premier lieu, l'article L. 3232-1-1 du code général des collectivités territoriales impose aux départements, « pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire », de mettre une assistance technique à disposition des communes et EPCI qui ne bénéficient pas de moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétences dans un certain nombre de domaines touchant à la gestion de l'eau (assainissement, protection de la ressource en eau, restauration et entretien des milieux aquatiques, prévention des inondations), mais aussi en matière de voirie , d' aménagement et d' habitat . Il s'agit donc là d'une compétence obligatoire du département, mais les prestations qu'il délivre à ce titre sont rémunérées dans des conditions prévues par convention. La partie réglementaire du code précise les critères d'éligibilité des communes et EPCI à cette assistance technique ; comme il était attendu depuis la refonte de la carte intercommunale en 2017, un décret du 14 juin 2019 a relevé de 15 000 à 40 000 habitants la population minimale des EPCI éligibles.
Critères d'éligibilité à
l'assistance technique obligatoire des départements
« Peuvent bénéficier de l'assistance technique mise à disposition par le département, instituée par l'article L. 3232-1-1 : « 1° Les communes considérées comme rurales en application du I de l'article D. 3334-8-1, à l'exclusion de celles dont le potentiel financier par habitant, tel qu'il est défini par l'article L. 2334-4, était, pour l'année précédant la demande d'assistance, supérieur à 1,3 fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 5 000 habitants ; « 2° Les établissements publics de coopération intercommunale de moins de 40 000 habitants pour lesquels la population des communes répondant aux conditions fixées par le 1° représente plus de la moitié de la population totale des communes qui en sont membres ; « 3° Les établissements de coopération intercommunale comprenant une moitié au moins de communes membres situées en zone de montagne, au sens des articles 3 et 4 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. « Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent continuer à bénéficier de l'assistance technique durant l'année qui suit celle au cours de laquelle ils ont cessé de remplir les conditions requises. » |
Les missions d'assistance technique peuvent être assumées par les services du département ou d'un ou plusieurs établissements publics départementaux. Elles peuvent aussi être déléguées à un syndicat mixte dont le département est membre, qui peut être, ou non, une agence départementale.
En effet, l'article L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales autorise un département, des communes et des EPCI à créer entre eux un établissement public dénommé « agence départementale » , chargée d'apporter aux collectivités territoriales et EPCI du département qui le demandent « une assistance d'ordre technique, juridique ou financier » . Les missions d'une agence départementale sont donc plus larges que celles dévolues aux services d'assistance technique au sens de l'article L. 3232-1-1. En revanche, la création d'une telle agence est facultative .
La formule de l'agence départementale semble avoir rencontré un certain succès puisque la plupart des départements ayant répondu au questionnaire de la mission déclarent en avoir constitué une. Le paysage de l'offre départementale d'ingénierie varie toutefois d'un département à l'autre, s'adaptant aux besoins propres de chaque territoire et aux volontés des collectivités territoriales :
- certains départements ont mis en place une agence qui couvre l'ensemble des aides au bloc communal (Hérault, Jura, Rhône...) ;
- d'autres ont fait le choix de créer une agence généraliste et une structure distincte pour ce qui concerne l'eau et l'assainissement (deux syndicats mixtes dédiés dans le Haut-Rhin, un bureau de la qualité de l'eau dans l'Allier, une agence technique spécialisée dans les départements de Mayenne et du Calvados...) ;
- d'autres encore ont constitué une multitude d'établissements spécialisés (tourisme, habitat...) en parallèle d'une agence (Dordogne...) ou en l'absence d'agence (Drôme, Somme...), dont l'offre peut être récapitulée dans un guide à l'usage des communes ou être accessible via un site internet dédié.
Certains élus interrogés ont regretté que les départements ne puissent pas également s'appuyer, dans leur politique de soutien technique au bloc communal, sur les articles L. 5111-1 et L. 5111-1-1 du code général des collectivités territoriales , qui définissent plusieurs modalités de coopération entre collectivités territoriales, à savoir :
- les conventions de prestation de services ;
- les conventions « ayant pour objet d'assurer l'exercice en commun d'une compétence » et prévoyant, soit la mise à disposition de services ou d'équipements, soit le regroupement de services et d'équipements au sein d'un service unifié ;
- la constitution, « notamment par la création d'un syndicat mixte », de services fonctionnels unifiés , les services fonctionnels étant définis comme « des services administratifs ou sociaux territoriaux concourant à l'exercice des compétences des collectivités intéressées sans être directement rattachés à ces compétences ».
Ces dispositions - dont la rédaction est issue, en grande partie, d'un amendement gouvernemental lors de l'examen de la loi « RCT » - établissent en effet une cloison étanche entre, d'un côté, les départements et les régions (ainsi que leurs groupements), de l'autre, les communes et leurs EPCI , la coopération devant s'organiser soit parmi les premiers, soit parmi les seconds. Elles semblent inutilement rigides, la jurisprudence européenne la plus récente se montrant très libérale sur la compatibilité des différentes formes de coopération entre personnes publiques (institutionnelles ou simplement conventionnelles) avec le droit européen de la concurrence 89 ( * ) .
Antérieurement à la loi « NOTRe », les départements pouvaient se fonder sur la disposition très générale de l' ancien article L. 3233-1 du code général des collectivités territoriales, qui disposait que « le département apporte aux communes qui le demandent son soutien à l'exercice de leurs compétences » . Cette disposition était interprétée de manière assez souple par le juge administratif, le Conseil d'État ayant jugé qu'elle autorisait « la mise à disposition de moyens techniques ou en personnel », sans pour autant permettre à un département d'accorder une subvention de fonctionnement non affectée à une commune en difficulté financière 90 ( * ) . Elle a malencontreusement été supprimée par la loi « NOTRe » , de sorte que les départements n'ont théoriquement pas d'autre choix, pour apporter leur soutien technique aux communes et à leurs groupements en dehors des domaines limitativement assignés à l'assistance technique obligatoire, que de créer une agence départementale, sans pouvoir mettre directement à disposition leurs propres services.
Recommandation n° 8 : Afin d'assouplir les modalités du soutien technique des départements au bloc communal : a) rétablir l'habilitation générale du département à « apporter aux communes qui le demandent son soutien à l'exercice de leurs compétences » ; b) revoir la rédaction des articles L. 5111-1 et L. 5111-1-1 du code général des collectivités territoriales afin de libéraliser les conventions de coopération et d'autoriser la constitution de services unifiés. |
2. Une volonté persistante de l'État de concourir à l'offre d'ingénierie publique au bloc communal, appelant à un renforcement du rôle de coordination du département
L'ingénierie territoriale constitue un exemple des nombreux domaines dans lesquels l'État renonce à abandonner les compétences qu'il a pourtant décentralisées .
Dans son rapport précité sur les services déconcentrés de l'État, la Cour des comptes 91 ( * ) avait pourtant clairement mis en garde l'État, dans ce domaine contre une action « aux contours imprécis et potentiellement générateurs de doublons » , au demeurant mal articulée avec les missions régaliennes de contrôle sur lesquelles les services de l'État auraient plutôt vocation à se recentrer.
La création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) , dotée d'une mission claire de soutien en ingénierie de projets, en particulier lorsqu'ils s'inscrivent dans des programmes gouvernementaux ( « Action coeur de ville » , « Territoires d'industrie » , « Plan France Très haut débit » ...) en est une illustration. L'action de cette nouvelle agence pourra être complémentaire de celle des départements, si elle se concentre sur des projets exigeant une expertise de haute technicité, comme celle dont dispose le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) 92 ( * ) . Ce ne sera pas le cas si elle se disperse dans des opérations de moindre portée, au motif que certains départements n'ont plus les moyens d'assumer pleinement leurs missions d'assistance technique, comme certaines déclarations le laissent présager. Il est à cet égard frappant que le communiqué de presse publié par le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales à l'occasion de l'installation du conseil d'administration de l'ANCT, le 13 décembre 2019, ne fasse pas même mention de la mission d'assistance technique des départements et du besoin de coordination avec la nouvelle agence.
Les missions de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (art. L. 1231-2 du code général des collectivités territoriales) « I. - Sans préjudice des compétences dévolues aux collectivités territoriales et à leurs groupements et en articulation avec ces collectivités et groupements, l'Agence nationale de la cohésion des territoires a pour mission, en tenant compte des particularités, des atouts et des besoins de chaque territoire, de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements mentionnés à l'article L. 5111-1 du présent code dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets, notamment en faveur de l'accès aux services publics, de l'accès aux soins dans le respect des articles L. 1431-1 et L. 1431-2 du code de la santé publique, du logement, des mobilités, de la mobilisation pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les quartiers urbains en difficulté, de la revitalisation, notamment commerciale et artisanale, des centres-villes et centres-bourgs, de la transition écologique, du développement économique ou du développement des usages numériques. À ce titre, elle facilite l'accès des porteurs de projets aux différentes formes, publiques ou privées, d'ingénierie juridique, financière et technique, qu'elle recense. Elle apporte un concours humain et financier aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Elle favorise la coopération entre les territoires et la mise à disposition de compétences de collectivités territoriales et de leurs groupements au bénéfice d'autres collectivités territoriales et groupements. Elle centralise, met à disposition et partage les informations relatives aux projets en matière d'aménagement et de cohésion des territoires dont elle a connaissance. Elle soutient les réseaux associatifs dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées. (...) » |
Par ailleurs, les intercommunalités mais aussi les régions peuvent également développer leurs propres services d'ingénierie, au risque de complexifier encore le paysage de l'offre d'assistance technique aux communes.
En matière de solidarité territoriale comme de solidarité sociale, l'exercice pratique du « chef-de-filat » départemental nécessite la mise en place d'outils adéquats . C'est la raison pour laquelle la mission reprend à son compte la proposition de l'ADF consistant à mettre en place une agence départementale d'ingénierie et d'infrastructure , chargée de coordonner l'offre d'ingénierie publique et, en particulier, d'animer l'action de l'ANCT sur le territoire du département.
Recommandation n° 9 : Créer dans chaque département une agence départementale d'ingénierie et d'infrastructures chargée de coordonner l'offre d'ingénierie publique. |
En outre, cette agence pourrait veiller à l'articulation de l'offre d'ingénierie territoriale avec les dispositifs d'aide financière . L'une des critiques exprimées par les représentants du bloc communal entendus par la mission concernant l'offre d'ingénierie territoriale de l'État est, en effet, l'absence de visibilité quant à l'accès, en parallèle, à un accompagnement financier, assuré « séparément » et selon leurs modalités propres via la DSIL et la DETR. Le département semble le mieux placé pour veiller à la cohérence et à la complémentarité de ces différentes formes de soutien.
* 89 CJUE, 19 décembre 2012, C-159/11, Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce .
* 90 Conseil d'État, 27 octobre 2008, n° 292396, Département de la Haute-Corse .
* 91 Cour des comptes, Les services déconcentrés de l'État. Clarifier leurs missions, adapter leur organisation, leur faire confiance, décembre 2017 - consultable ici : www.ccomptes.fr .
* 92 Le CEREMA est un partenaire de l'ANCT et siège à son conseil d'administration.