II. LE SCAF : DU SYSTÈME AU « SYSTÈME DE SYSTÈMES »
L'ensemble des interlocuteurs de la mission ont insisté sur un aspect essentiel du programme SCAF : il s'agit d'un projet qui se veut totalement novateur par rapport aux projets antérieurs d'aéronefs de combat. Cette nouveauté s'incarne dans l'expression « système de systèmes ». Ainsi, le SCAF ne sera pas simplement un autre Rafale ou un autre Eurofighter, mais bien un tel « système de systèmes » aérien.
Ce « système de systèmes » comportera trois cercles concentriques. Au centre, l'avion de combat nommé NGF (next generation fighter). Puis, englobant celui-ci et comprenant, outre le NGF, les remote carriers et le cloud de combat, le NGWS (new generation weapon system). Puis le SCAF proprement dit englobant les précédents et y ajoutant les autres capacités nationales déjà existantes (Rafale et Eurofighter) ainsi que les ravitailleurs, les avions de reconnaissance et les systèmes de commandement, jusqu'aux satellites.
Ainsi, il faut parler « des » SCAF dont chacun sera propre à un pays mais qui seront tous interopérables. Les trois pays du programme coopéreront pour construire le coeur de chacun des SCAF nationaux : le NGWS (NGF + Remote Carriers, au sein d'un cloud de combat). Ce NGWS sera apte à agir soit en autonomie, soit en réseau avec des systèmes de combat ou de commandement aériens, navals, terrestres ou spatiaux (on parle de « NGWS au sein d'un SCAF » ou «NGWS within a FCAS »), puis, au-delà, en interopérabilité avec des moyens OTAN et UE. Ainsi, les autres moyens de combat aérien nationaux qui travailleront en réseau avec les composants du système NGWS (plateformes aéroportées actuelles, en particulier le Rafale et ses évolutions futures, futurs missiles de croisières développés avec le Royaume-Uni, armements et drones actuels) sont pris en compte dans l'équation dès le début du programme.
A. UN BESOIN DÉFINI EN COMMUN
Un projet en coopération internationale doit se fonder, pour avoir quelque chance d'aboutir, sur une analyse commune du besoin . Il était donc impératif que les deux, puis trois pays membres du programme parviennent à traduire leurs besoins opérationnels sous la forme d'une enveloppe commune et non d'une liste juxtaposant des besoins nationaux, sous peine de retomber dans les difficultés du programme A400M.
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport de 2010 précité consacré à la conduite programmes d'armement, une caractéristique habituelle des programmes réalisés en coopération est en effet l'inflation des spécifications techniques , qui conduit à des conditions de production très onéreuses. Pour l'A400M, l'Allemagne a ainsi exigé des performances particulièrement contraignantes pour le système de navigation. De même, les hélicoptères NH90 sont dotés de motorisations différentes pour les versions française et italienne et sont produits en 27 versions distinctes pour l'ensemble des pays participants. Autre exemple, trois lignes de production et d'assemblage existent pour le Tigre (France, Allemagne, Espagne).
La France et l'Allemagne se sont ainsi livrées à une analyse du besoin commun en matière d'aviation de combat du futur . L'ensemble des spécifications souhaitées ont fait l'objet d'un document cosigné le 26 avril 2018 par le général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'Air et le général Bühler, Director General for Planning : le HLCORD (High Level Common Requirement), approuvé l'année suivante par l'Espagne. Le HLCORD décrit ainsi de matière relativement précise les exigences auxquelles devra répondre le NGWS, coeur du SCAF national de chacun des pays participant au programme.
Afin de parvenir à ces spécifications communes du besoin militaire, les deux pays ont du s'entendre sur les missions réalisables. Il devra ainsi s'agir d'un système polyvalent , qui comprendra à la demande de la France la possibilité d'appontage (alors que l'Allemagne ne dispose pas de porte-avions), ainsi que la capacité à accomplir les missions OTAN remplies par l'aviation allemande. Il s'agit donc de construire avec les Allemands et les Espagnols un système qui réponde à l'enveloppe de besoins la plus large (ce qui, de facto , correspond essentiellement aux besoins de l'armée française puisque c'est celle-ci qui accomplit les missions les plus larges). La « survivabilité » de ce futur avion est soulignée, de même que sa capacité à être interopérable avec les moyens de l'Otan et de l'UE. Il devra pouvoir agir en environnement aérien contesté et engager tous les types de défense aérienne. Surtout, le HLCORD prévoit que la performance du SCAF sera collective et viendra de la capacité de chacun de ses composants à interagir avec les autres .