Rapport d'information n° 600 (2019-2020) de M. Jean-Marie VANLERENBERGHE , rapporteur général, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, déposé le 8 juillet 2020

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N° 600

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (1)
de la commission des affaires sociales (2) sur
l'application de la loi
de financement de la sécurité sociale
pour 2019
et sur la situation et les perspectives des comptes sociaux ,

Par M. Jean-Marie VANLERENBERGHE,

Rapporteur général

Sénateur

(1) Cette mission d'évaluation est composée de : M. Jean-Noël Cardoux, président ; Mme Michelle Meunier, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, vice-présidents ; M. Michel Amiel, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Daniel Chasseing, Mme Véronique Guillotin, secrétaires ; MM. Bernard Bonne, Yves Daudigny, Gérard Dériot, Mmes Catherine Deroche, Élisabeth Doineau, Corinne Féret, Pascale Gruny, MM. Alain Milon, René-Paul Savary.

(2) Cette commission est composée de : M. Alain Milon, président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing, vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, M. Bernard Bonne, Mme Muriel Cabaret, M. Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, M. Xavier Iacovelli, Mme Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le désormais traditionnel regard que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat porte en début d'été sur l'exécution de l'exercice écoulé intervient cette année dans un contexte très particulier.

La crise sans précédent provoquée par la pandémie de covid-19 a rendu obsolète le cap fixé auparavant pour les finances sociales, tant au sein de l'actuel périmètre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) que pour les autres administrations de sécurité sociale (ASSO), au premier chef l'assurance chômage.

L'ensemble des hypothèses sur lesquelles reposait la trajectoire des finances sociales pour les années 2020 et au-delà ont été bouleversées par cette crise. Dans l'immédiat, il va de soi que les priorités doivent être de maintenir l'économie à flot, de garder une capacité de rebond en préservant autant que possible l'appareil productif national et, bien sûr, de faire jouer pleinement à notre système de protection sociale son rôle de filet de sécurité vis-à-vis de nos concitoyens.

Le présent rapport présentera donc l'état financier à mi-année de la sécurité sociale en essayant de détailler les conséquences de la crise.

Pour autant, même dans ce contexte, un regard rétrospectif sur l'année 2019 n'est pas dépourvu d'intérêt. D'une part, parce que cet exercice devait, au moment du vote de la LFSS pour 2019, être marqué par le retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, ce qui n'a finalement pas été fait pour des raisons qu'il convient d'analyser. Ensuite, parce qu'à moyen terme, à l'issue de la crise actuelle, il conviendra de tirer des leçons de notre histoire financière récente.

I. LE RETOUR À L'ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE EN 2019 : UN OBJECTIF MANQUÉ DE PEU

A. UN RÉSULTAT EN DEMI-TEINTE APRÈS DES PRÉVISIONS FLUCTUANTES

1. Une rupture dans l'amélioration continue des comptes de la sécurité sociale

La sécurité sociale, sur le périmètre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), a enregistré en 2019 un déficit de 1,9 milliard d'euros .

Le tableau suivant en livre le détail pour chacune des branches de ce régime.

Recettes, dépenses et soldes des branches du régime général en 2019

(en milliards d'euros)

Recettes

Dépenses

Solde

Maladie

215,2

216,7

- 1,5

AT/MP

13,2

12,2

1,0

Vieillesse

135,7

137,1

- 1,4

Famille

51,4

49,9

1,5

Régime général

402,4

402,8

- 0,4

FSV

17,2

18,8

- 1,6

Régime général + FSV

402,6

404,5

- 1,9

Source : commission des comptes de la sécurité sociale

Au niveau de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS), qui intègrent également les régimes spéciaux (en particulier les régimes de retraite), on observe une tendance similaire. Ce constat est logique, au demeurant, car la plupart des régimes bénéficient d'une subvention d'équilibre.

Le léger écart, de 200 millions d'euros, avec le régime général, provient principalement de deux caisses :

- d'une part, un excédent de 0,4 milliard d'euros de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), en raison notamment de charges de compensation démographique moins élevées ;

- d'autre part, à l'inverse, du déficit de la Caisse nationale des agents des collectivités locales (CNRACL), de 0,7 milliard d'euros en 2019. A cet égard, il est à relever que le projet de loi relative à la dette sociale et à l'autonomie, en cours d'examen par le Parlement, prévoit le transfert de 1,1 milliard d'euros de déficits cumulés du régime à la Cades au titre des exercices passés ; aucune disposition similaire n'est prévue, en revanche, au titre des exercices 2020 à 2023 alors même que les projections financières de la CNRACL laissent augurer des déficits préoccupants pour les années futures.

Au bout du compte, si le déficit de la sécurité sociale pour 2019 semble modeste, il marque néanmoins une rupture par rapport au redressement continu des comptes de la sécurité sociale enregistré depuis dix ans , ce qu'ilustre le graphique ci-dessous, réalisé à partir des données du périmètre global des ROBSS et du FSV.

Soldes consolidés des ROBSS et du FSV entre 2010 et 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des affaires sociales, d'après LFSS

Dans une perspective plus longue, cette occasion manquée de retour à l'équilibre illustre une incapacité collective à remettre les comptes de la sécurité sociale dans le vert entre deux crises, déjà constatée avant la crise financière de 2008. Le solde des ROBSS et du FSV s'établissait ainsi à
-8,9 milliards d'euros en 2008, le dernier excédent enregistré datant de 2001.

2. Une dégradation moindre que ce que prévoyait la LFSS 2020

Ces résultats méritent d'être remis en perspective avec les prévisions successives fortement contradictoires des lois de financement de la sécurité sociale pour 2019 puis pour 2020.

En effet, comme indiqué supra , la LFSS pour 2019 prévoyait un retour à un équilibre symbolique pour l'année écoulée, du moins sur le périmètre du régime général et du FSV. Par la suite, la partie rectificative de la LFSS pour 2020 avait anticipé une très forte dégradation des comptes, la prévision de déficit dépassant alors 5 milliards d'euros.

Les résultats constatés apparaissent donc comme une voie médiane entre ces deux prévisions contradictoires.

Prévisions de solde de la sécurité sociale et solde réalisé en 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des affaires sociales, d'après LFSS

Pour rappel, comme cela a été souligné dans le tome I du rapport de la commission sur le PLFSS pour 2020 1 ( * ) , cette dégradation anticipée s'inscrivait dans le cadre plus large d'une très forte révision de la trajectoire financière de la sécurité sociale par les deux dernières lois de financement : alors que la LFSS pour 2018 anticipait de forts excédents à compter de 2020, la LFSS pour 2019 ne prévoyait plus qu'une trajectoire étale, proche de l'équilibre, pour les années 2020 à 2022, et la LFSS pour 2020 retardait un 2023 le retour à un solde très légèrement positif.

Le graphique ci-après montre ces trajectoires successives, en partant des soldes approuvés dans le cadre de l'annexe B des LFSS pour 2018, 2019 et 2020.

Prévisions de soldes pluriannuels du régime général et du FSV
en LFSS 2018, 2019 et 2020

(en milliards d'euros)

Source : commission des affaires sociales, d'après LFSS

Dès lors, comme l'avait souligné le rapporteur général dans le même tome I du rapport sur le PLFSS pour 2020, avant même la crise du covid-19, la perspective d'éteindre la dette sociale en 2024 paraissait hors de portée dès lors qu'à cet horizon, l'Acoss aurait eu à porter des déficits cumulés devant dépasser largement 40 milliards d'euros.

B. L'EFFET TRÈS CLAIR DES NON-COMPENSATIONS DES DEUX DERNIERS EXERCICES

1. Des recettes plus dynamiques que prévu, mais fortement réduites par des mesures de non-compensation

Sur le périmètre du régime général et du FSV, les recettes se sont élevées à 402,6 milliards d'euros en 2019 .

Ce montant correspond à une progression de 2 % par rapport à 2018 . Pour rappel, la hausse des recettes de la sécurité sociale s'était révélée particulièrement dynamique au cours des deniers excercices, atteignant par exemple 3,4 % en 2018.

Il convient néanmoins de distinguer le dynamisme « spontané » des recettes et l'effet de mesures nouvelles, ce que fait le graphique suivant.

Recettes du régime général et du FSV en 2018 et 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des affaires sociales, d'après Cour des comptes

Diverses mesures nouvelles ont donc diminué de 5,6 milliards d'euros les recettes de la sécurité sociale qui auraient, sans cela, atteint le montant de 408 milliards d'euros (+ 3,4 % par rapport à 2018).

Le tableau suivant, extrait du rapport de la Cour des comptes sur les résultats de la sécurité sociale, en 2019, détaille ces mesures.

Effet des mesures nouvelles en recettes
sur les produits du régime général et du FSV en 2019 (en Md€)

Intitulé de la mesure

Prévision LFSS 2020

Réalisé

Schéma de compensation de la LFSS 2019

- 0,5

- 1,2

Basculement CICE/exonérations de cotisations

- 17,6

- 17,9

Compensation à l'Unédic de la suppression des cotisations salariales chômage

- 4,2

- 4,7

Rétrocession de TVA par l'ACOSS (chargée en 2018 de la compensation des pertes de recettes correspondantes à l'Unédic)

10,0

9,9

Transfert de CSG à l'Unédic

- 14,2

- 14,6

Réaffectation à l'État de prélèvements sur le capital

- 7,4

- 7,9

Transfert de prélèvements sur les revenus du capital

- 5,2

- 5,5

Réaffectation de CSG à la CNSA

- 2,2

- 2,4

Autres mesures de transferts de recettes

28,6

29,3

Affectation de TVA

30,1

30,5

Réaffectation de taxe sur les salaires à l'ACOSS (de fait, pour la compensation des allègements généraux de cotisations patronales à l'AGIRC-ARRCO et à l'Unédic)

- 1,4

- 1,4

Compensation à l'Unédic et à l'AGIRC-ARRCO du basculement CICE/exonérations

0,0

0,2

Mesures nouvelles hors schéma de compensation

- 3,9

- 4,3

Pertes de recettes non compensées

- 4,3

- 4,1

Mesures de la LFSS 2019

- 1,6

- 1,5

Lissage des seuils de CSG sur les revenus de remplacement

- 0,2

- 0,2

Abattement de l'assiette du forfait social

- 0,6

- 0,5

Exonération de CSG et CRDS sur les revenus du capital

- 0,2

- 0,2

Exonération au 1er septembre des cotisations salariales sur les heures supplémentaires

- 0,6

- 0,6

Mesures de la loi mesures d'urgence économiques et sociales

- 2,7

- 2,6

Anticipation au 1er janvier de l'exonération de cotisations sur les heures supplémentaires

- 1,2

- 1,1

Restauration du taux de CSG de 6,6 % sur une partie des retraites

- 1,5

- 1,5

Autres mesures

0,4

- 0,1

Compensation par le régime général des baisses de taux de cotisations maladie et famille pour les régimes spéciaux

- 0,4

- 0,6

Effet en 2019 de mesures antérieures relatives aux prélèvements sur les revenus de placement

- 0,3

- 0,3

Suppression du crédit d'impôt de taxe sur les salaires

0,5

0,5

Hausse des droits de consommation sur le tabac (LFSS 2018)

0,4

0,3

Autre

0,1

0,0

Total

- 4,5

- 5,4

Source : Cour des comptes

Toutes choses égales par ailleurs, en cas de respect du principe de compensation des mesures de baisse de recettes décidées dans le cadre de la LFSS pour 2019 et de la loi portant mesures d'urgence économique et sociale (MUES), le régime général et le FSV auraient enregistré un excédent de 2,4 milliards d'euros l'année dernière .

De plus, si la compensation des autres mesures avait été mieux calibrée, cet excédent aurait même atteint 3,6 milliards d'euros.

2. Une progression modérée des dépenses

Les dépenses du régime général ont atteint 404,5 milliards d'euros en 2019 , soit une augmentation de 2,2 % par rapport à 2018. Cette évolution représente une légère modération par rapport aux +2,4 % enregistrés en 2018.

Dans le détail, les prestations maladie et de retraite ont été les principaux déterminants de cette évolution, ce qui est d'ailleurs logique au vu de leur poids dans l'ensemble des dépenses de la sécurité sociale.

S'agissant des dépenses d'assurance maladie, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a de nouveau été respecté en 2019, avec une exécution à 200,3 milliards d'euros , c'est-à-dire exactement le montant voté dans le cadre de la LFSS pour 2019. L'augmentation des dépenses au sein de ce périmètre s'élève à 2,6 % par rapport à l'exécution de l'année 2018 (195,2 milliards d'euros). Il est à souligner que l'ensemble des sous-objectifs fixés en LFSS pour 2019 ont été respectés alors que les années précédentes s'étaient caractérisées par un dépassement des dépenses de « soins de ville » et une sous-exécution du sous-objectif relatif aux établissements de santé.

Par ailleurs, les prestations maladie hors Ondam ont accéléré (+ 2 % après +1,5 % en 2018), portées par les indemnités journalières maternité et paternité. La commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) l'explique principalement par l'effet de deux mesures adoptées en LFSS pour 2019 : l'harmonisation des modalités d'indemnisation du congé maternité pour les travailleuses indépendantes et le prolongement du congé paternité pour les parents d'un enfant prématuré.

S'agissant des pensions de retraite, les prestations servies par les régimes alignés ont augmenté de 2,3% , soit une progression moindre qu'en 2018 (+ 2,9%). Ce ralentissement relatif s'explique :

- d'une part, par la revalorisation des pensions limitée à 0,3% en 2019 2 ( * ) ;

- d'autre part, par le ralentissement de la progression des effectifs de nouveaux pensionnés, elle-même due à la montée en charge du relèvement de l'âge du taux plein automatique (de 65 à 67 ans) et aux mesures du régime complémentaire Agirc-Arrco, qui auraient incité certains assurés ayant atteint l'âge légal de départ à décaler leur liquidation pour ne pas se voir appliquer une décote sur leur retraite complémentaire.

S'agissant des dépenses associées aux prestations familiales , elles ont diminué de 0,7 % en 2019 . Comme les retraites, ces prestations ont également subi l'effet de la limitation à 0,3 % du taux de revalorisation des prestations légales. En outre, la fin des revalorisations exceptionnelles prévues dans le cadre du plan pauvreté de 2013 ont ralenti les prestations d'entretien. Les prestations consacrées à la petite enfance ont continué leur décrue du fait du recul du nombre de naissances, de la diminution du recours au congé parental depuis l'entrée en vigueur de la Prepare et de la baisse de l'allocation de base en raison de l'alignement de son plafond et de son montant sur ceux, plus faibles, du complément familial

Enfin, les prestations servies par la branche AT-MP ont progressé de 3,7 % , portées par les prestations du champ de l'Ondam (+7 %). La CCSS souligne que les indemnités journalières ont accéléré (+ 9,7 % après 7,4 % en 2018) du fait de la montée en charge du dispositif de reconnaissance anticipée des AT-MP instauré par la LFSS pour 2018, qui joue pleinement en 2019.

C. AU NIVEAU DE L'ENSEMBLE DES ADMINISTRATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE, UNE CONTRIBUTION TOUJOURS POSITIVE

1. Un excédent global de 14 milliards d'euros, largement dû à la Cades

Le champ des administrations de sécurité sociale (ASSO) au sens de la comptabilité issue du traité de Maastricht est plus large que celui de la sécurité sociale stricto sensu . Il intègre également la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), le régime d'assurance chômage, les régimes complémentaires obligatoires de retraite et les organisme dépendant des assurances sociales (ODASS, qui regroupent les hôpitaux et oeuvres sociales dotées d'une comptabilité propre).

Sur ce périmètre, les ASSO ont dégagé en 2019 un excédent de 14 milliards d'euros . Le tableau suivant en livre le détail. Il est à préciser que ce tableau s'exprime en comptabilité nationale qui fonctionne selon une logique d'encaissements et de décaissements susceptible de se distinguer du moment de la comptabilisation d'un produit ou d'une charge en comptabilité générale. C'est ce qui explique l'écart 3 ( * ) entre le solde du régime général et du FSV de - 2,7 milliards d'euros qui figure dans ledit tableau au lieu du déficit de « seulement » 1,9 milliard d'euros en comptabilité générale dont il a été fait état précédemment dans le présent rapport.

Détail du solde des ASSO en 2019

(en milliards d'euros)

Régime général et Fonds de solidarité vieillesse (FSV)

- 2,7

Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades)

15,9

Fonds de réserve pour les retraites (FRR)

- 1,9

Unédic

- 2,1

Régimes complémentaires

3,3

ODASS

- 0,2

Solde ASSO

14,0

Source : direction générale du Trésor

2. Retour à un léger excédent pour l'Agirc-Arrco

S'agissant de l'Agirc-Arrco , qui gère le régime complémentaire de retraite des salariés du secteur privé, l'exercice 2019 a marqué une étape importante, à la fois en termes d'organisation et en termes comptable.

En effet, c'est le 1 er janvier 2019 qu'est entré en vigueur l'accord des partenaires sociaux gestionnaires du régime fusionnant l'Agirc et l'Arrco . Cette opération a achevé un mouvement de fusion progressive des entités auparavant fédérées à ces opérateurs et de rapprochement opérationnel des deux entités subsistantes à l'oeuvre depuis plusieurs années.

Pour ce qui concerne les comptes du régime, l'exercice écoulé s'est caractérisé par un retour à un excédent (237 millions d'euros) pour la première fois depuis dix ans et l'éclatement de la crise financière.

L'année 2019 a également vu conclu un nouvel accord de pilotage , le 10 mai, fixant le cadre pour la période 2019-2022 . Cet accord prévoit notamment le retour de l'indexation des pensions sur l'inflation, après une période de modération importante (gel de 2014 à 2017 et 0,6 % en 2018) ; la valeur d'acquisition des points est, elle, fixée sur l'évolution des salaires des assurés. De nouvelles exonérations sont en outre prévues concernant le coefficient de solidarité. La crise sanitaire et la crise économique de l'année 2020, par leur impact financier sur les ressources du régime, conduiront certainement à revoir les modalités de cet accord pour les années à venir.

3. Un déficit réduit mais persistant de l'assurance chômage

Concernant l'Unedic , l'année 2019 a été marquée par une amélioration du résultat, qui demeure cependant déficitaire, à hauteur de -1,970 milliard d'euros contre -2,658 milliards d'euros sur l'exercice 2018.

Ce résultat financier s'explique notamment par des facteurs conjoncturels avec un dynamisme important du produit des contributions patronales, à hauteur de 4,1 % - porté par l'augmentation de la masse salariale et la CSG sur les revenus d'activité, quand les dépenses ont, elles, crû de 2,6 % - les allocations de retour à l'emploi connaissant une évolution de 2,0 %. Le régime met également en avant dans son rapport sur l'exercice 2019 les effets de la convention de 2017.

L'année 2020 avec le recours massif à l'activité partielle d'une part et les perspectives d'activité économique et d'évolution du chômage d'autre part, font attendre une nette dégradation de la situation financière ( cf. ci-après).

II. RETOUR SUR QUELQUES MESURES DE LA LFSS 2019

Au-delà de la stricte analyse des comptes de la sécurité sociale, le rapport de la Mecss est devenu l'occasion de revenir sur l'application et les conséquences de certaines des principales mesures adoptées dans le cadre de la LFSS.

A cet égard, l'année 2019 est celle au cours de laquelle se sont matérialisés les effets du « basculement » du CICE et du CITS en diminutions de diverses cotisations et contributions sociales. Il est donc nécessaire d'en mesurer les conséquences.

Par ailleurs, alors qu'il est envisagé, dans le cadre du plan de soutien à l'économie française, d'annuler les cotisations et contributions d'une partie des entreprises, il a semblé intéressant de faire le point sur l'application d'un dispositif d'esprit voisin à Saint-Martin et Saint-Barthélemy à la suite de l'ouragan Irma.

A. LA TRANSFORMATION DU CICE EN ALLÈGEMENTS DE COTISATIONS ET CONTRIBUTIONS SOCIALES

L'année 2019 aura été celle de l'application de la « bascule » du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) en allègements de cotisations et contributions sociales. Ces allègements se décomposent de la façon suivante :

- un allègement permanent de cotisations d'assurance maladie de 6 points pour les rémunérations n'excédant pas 2,5 Smic 4 ( * ) ,

- et un renforcement des allègements généraux dégressifs s'appliquant aux rémunérations comprises entre 1 et 1,6 Smic.

Cette dernière opération s'est réalisée en deux temps.

Le 1 er janvier 2019, l'assiette a été étendue aux seules cotisations aux régimes de retraites complémentaires (soit 6,01 %). Il s'agissait de compenser immédiatement aux entreprises l'effet retour de 5,1 milliards d'euros qu'elles enregistreraient sur les allègements généraux du fait de la baisse de 6 points des cotisations patronales maladie jusqu'à 2,5 Smic. En effet, les allègements généraux s'appliquant sur une masse de cotisations de laquelle la réduction de 6 points a déjà été déduite, l'impact propre desdits allègements aurait été diminué d'autant si une masse de contributions de niveau équivalent n'avait pas été incluse dans leur périmètre.

Puis, depuis le 1 er octobre 2019, elle a été étendue pour inclure cette fois les contributions aux assurances chômage (soit 4,05 %), ce qui correspond à un véritable renforcement « net » des allègements généraux.

Évolution des taux et des montants des allègements généraux
au cours des années 2018 et 2019

Rémunération brute en Smic

Situation 2018

Situation entre le 1/1/2019 et le 1/10/2019

Situation depuis le 1/10/2019

Allègement général
(en points)

Montant allègement en euros (sur une année pleine)

Allègement général
(en points)*

Montant allègement en euros (sur une année pleine)

Allègement général
(en points)**

Montant allègement en euros (sur une année pleine)

1

28,54%

5 220

28,55%

5 222

32,60%

5 963

1,1

21,62%

4 350

21,63%

4 352

24,70%

4 969

1,2

15,86%

3 480

15,86%

3 481

18,11%

3 975

1,3

10,98%

2 610

10,98%

2 611

12,54%

2 981

1,4

6,80%

1 740

6,80%

1 741

7,76%

1 988

1,5

3,17%

870

3,17%

870

3,62%

994

1,59

0,30%

87

0,30%

87

0,34%

99

* La différence du taux d'allègement entre le droit actuel et le 1er janvier 2019 est liée à la baisse de 6 points du taux de cotisation maladie et au renforcement de 6,01 points des AG correspondant au taux de cotisation AGIRC-ARRCO

** Renforcement de 4,05 points des AG correspondant à l'assurance chômage

Source : Direction de la sécurité sociale

La crise actuelle va, hélas, complètement polluer l'analyse des effets économiques de ces changements, d'autant que ces effets étaient censés se manifester essentiellement à partir de 2020.

En revanche, la mesure a eu un effet massif sur les comptes publics en 2019 (mesurés en comptabilité nationale) puisque le versement du CICE et du CITS au titre de 2018 a pesé sur les comptes de l'Etat en même temps que le non-encaissement des cotisations et contributions sociales était déjà une réalité à partir du mois de février. Cet effet global a aggravé le déficit des administrations publiques de 0,9 point de PIB .

En outre, cette opération a accentué la modification progressive de la composition du panier de recettes de la sécurité sociale , amorcée depuis la création de la CSG puis la création et le renforcement des allègements généraux applicables aux rémunérations comprises entre 1 et 1,6 SMIC.

Nature des recettes du régime général de la sécurité sociale et du FSV

Source : commission des affaires sociales, d'après CCSS

Cette nouvelle diminution de cotisations et contributions, d'une ampleur massive et compensée par l'attribution d'une ressource fiscale (en l'occurrence la TVA) s'est logiquement traduite par une diminution de la part des cotisations dans les recettes de la sécurité sociale, qui ne représentent plus « que » 51,9 % desdites recettes en 2019 contre près de 59 % deux années auparavant.

A l'inverse, la part des ressources fiscales est passée de 39,7 % à 45,8 % sur la même période, l'essentiel de la hausse provenant des ressources autres que la CSG, en particulier la TVA.

La même tendance s'observe d'ailleurs au sein d'autres ASSO, en particulier les régimes complémentaires de retraite et l'assurance chômage, qui étaient presque intégralement financés au moyens de contributions salariales et patronales en 2017.

B. UN RETOUR SUR LES MESURES DE SOUTIEN CONSÉCUTIVES À L'OURAGAN IRMA

À la suite de l'ouragan Irma qui a frappé les îles de SaintBarthélemy et Saint-Martin en septembre 2017, la LFSS pour 2018 avait prévu, à son article 16, un dispositif exceptionnel de soutien aux entreprises de ces deux territoires. Aux termes de cet article, étaient possibles un moratoire sur les cotisations et contributions sociales et, le cas échéant, un abandon partiel de dettes .

Ce dispositif a été étendu par la LFSS pour 2019, dont l'article 9 a notamment inscrit dans la loi la nécessité pour les employeurs de « [justifier] d'une baisse de leur chiffre d'affaires majeure et durable directement imputable aux évènements climatiques exceptionnels survenus entre le 5 septembre et le 7 septembre 2017 » pour accéder à un abandon partiel ou total des cotisations et contributions sociales .

Un arrêté du 26 avril 2019 a fixé un modèle de demande de remise de dettes, la date du 31 juillet 2019 ayant été retenue comme limite pour adresser cette demande. Des instructions ministérielles transmises aux caisses au mois d'août 2019 sont venues préciser les critères nécessaires à l'appréciation du caractère « majeur et durable ».

Ont ainsi été exclus du dispositif d'abandon de remise de dettes les cotisants dont le chiffre d'affaires « aurait progressé entre 2016 et 2017 , en dépit de la tempête survenue » ou « dont le chiffre d'affaires au titre de l'année 2018 est supérieur à celui au titre de l'année 2016 ». Un plan d'apurement, sans majoration ni pénalité, demeure possible dans ces cas.

Le dispositif d'abandon total a été expressément ouvert aux cotisants « dont le chiffre d'affaires de l'année 2017 a diminué d'au moins 20 % par rapport à l'année 2016 et dont le chiffre d'affaires de l'année 2018 s'est à nouveau réduit d'au moins 10 % par rapport à l'année 2017 », ces conditions nécessaires étant cumulatives.

L'abandon partiel est ouvert, jusqu'à 50 %, pour les cotisants non exclus du dispositif d'abandon mais ne remplissant pas les critères d'éligibilité à l'abandon total. Un plan d'apurement sans majoration ni pénalité a alors prévu pour une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans.

Une souplesse a en outre été accordée, une demande de dérogation pouvant être adressée si un « risque manifeste de ne pas permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise du demandeur » est identifié par la caisse « alors que celle-ci pourrait perdurer au-delà de son activité économique actuelle ». Concernant les entreprises qui n'existaient pas ou qui n'ont pas réalisé de chiffre d'affaires en 2016, des règles de proratisation ou de comparaison des chiffres d'affaires avant et après événement climatique ont été prévues.

Malgré ses demandes, le rapporteur général n'a pas pu obtenir à ce jour les chiffres consolidés du nombre d'entreprises concernées et des montants de dettes abandonnées. Les services en charge du traitement des dossiers dans les territoires ont souligné le caractère fastidieux de ces opérations compte tenu des niveaux hétérogènes des versements réalisés ou non par les entreprises.

Le rapporteur général en prend acte, tout en soulignant la nécessité d'un suivi attentif de telles données et de leurs effets concrets sur les entreprises ainsi soutenues.

III. POUR 2020 ET AU-DELÀ, UNE PLONGÉE DANS L'INCONNU

A. UNE TRAJECTOIRE BOULEVERSÉE PAR LA CRISE DU COVID-19

1. Un déficit de la sécurité sociale d'un niveau encore jamais atteint

La pandémie de covid-19 a bouleversé l'ensemble des hypothèses sur lesquels reposaient l'ensemble des prévisions de recettes, de dépenses et de solde de la LFSS pour 2020.

La dernière prévision du Gouvernement relative au solde consolidé du régime général et du FSV pour 2020 suffit à le résumer : le déficit de la sécurité sociale pourrait atteindre 52 milliards d'euros , très au-delà du précédent « record » en date de 2010 (28 milliards d'euros).

Le graphique ci-après résume les facteurs d'explication du creusement de ce trou

Ecart entre le solde du régime général + FSV de la LFSS 2020
et la prévision actualisée

(en milliards d'euros)

Source : CCSS

2. Des recettes en nette diminution du fait d'une conjonction de facteurs

Comme l'illustre le graphique précédent, la dégradation de la prévision s'explique avant tout par l'effet de la crise sur les recettes de la sécurité sociale .

La totalité des recettes est concernée par cette évolution.

En masse, comme le montre le graphique suivant, les recettes (cotisations et contributions) issues du secteur privé sont les plus concernées, une diminution de plus de 25 milliards d'euros étant anticipée.

Parmi les autres postes, le panier de recettes fiscales attribuées à la sécurité sociale pourrait diminuer de près de 9 milliards d'euros (dont 4,7 milliards d'euros pour la seule TVA). Et l'Acoss anticipe une dégradation du recouvrement, correspondant aux provisions passées sur les restes à recouvrer, de l'ordre de 5,7 milliards d'euros.

Ecart entre le solde du régime général + FSV de la LFSS 2020
et la prévision actualisée

(en milliards d'euros)

Source : CCSS

Pour ce qui concerne les cotisations et contributions sociales, il convient de distinguer :

- d'une part, l'effet de la diminution de l'assiette de ces ressources , c'est-à-dire de la masse salariale soumises aux cotisations et contributions, notamment du fait du recours massif au dispositif exceptionnel d'activité partielle. La perte correspondante ne pourra évidemment être récupérée ;

- d'autre part, l'effet du décalage de trésorerie dû à la possibilité pour les employeurs de reporter leurs échéances de cotisations et contributions sociales pour une durée pouvant aller jusqu'à trois ans. Une partie ne sera toutefois jamais encaissée, soit en raison de cessations d'activité à venir, soit du fait de l'annulation sectorielle de certaines de ces cotisations.

Le graphique suivant permet de visualiser le premier de ces deux effets au travers de la comparaison des montants de cotisations et contributions liquidées pour chacun des cinq premiers mois des années 2019 et 2020. Dès le mois d'avril (traduisant les rémunérations du mois de mars), on relève un infléchissement qui s'accentue nettement en mai.

Evolution mensuelle des liquidations de cotisations et contributions sociales
de janvier à mai en 2019 et 2020

(en milliards d'euros)

(**) Les baisses de cotisations du mois de janvier 2020 traduisent l'effet de la mise en place des allègements de cotisation patronale maladie en compensation de la fin du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE)

Source : ACOSS

Le graphique suivant permet de distinguer les deux effets en comparant les montants liquidés (masse en clair) et encaissés (masse en foncé) avec, pour rappel en pointillé, les montants encaissés sur les mêmes mois de l'année 2019.

L'écart entre les pointillés et la masse en foncé représente un déficit « tout compris » en comptabilité nationale tandis que l'écart entre les pointillés et la masse en clair représente la perte définitive (et en comptabilité générale). Néanmoins, la masse en clair pourrait être rognée à l'avenir en raison de possibles faillites d'entreprises et de l'annulation des cotisations et contributions de certaines entreprises prévue dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020.

Liquidation et encaissement des cotisations et contributions sociales
de janvier à mai 2020

(en milliards d'euros)

Source : ACOSS

3. Une augmentation de dépenses concentrée sur l'Ondam

Dans le périmètre de la sécurité sociale, l'évolution des dépenses du fait de la crise sanitaire se concentre évidemment sur l'assurance maladie, et plus particulièrement au sein des dépenses relevant de l'Ondam.

Ainsi, selon les données fournies par la CCSS, l'Ondam pour l'année en cours voté en LFSS pour 2020 devrait être dépassé de 8 milliards d'euros, répartis selon le tableau suivant.

Synthèse de l'impact estimé de la crise sanitaire sur l'Ondam 2020

(en milliards d'euros)

Surcoûts bruts liés à la crise

12

Dotation Santé publique France

4,5

Primes et heures supplémentaires

2,1

Autres dépenses établissements sanitaires et médico-sociaux

1,7

Indemnités journalières

2,0

Autres dépenses

1,7

Aide aux professionnels de santé de ville

1,4

Impact de la crise sur l'activité de ville

- 5,4

Total du dépassement de l'Ondam

8

Sources : DSS-CCSS

Si ces hypothèses se vérifiaient, l'Ondam 2020 devrait atteindre en exécution 213,6 milliards d'euros, en augmentation de 6,6 % par rapport au montant exécuté en 2019 .

Il est à souligner que la très grande majorité de ces dépenses supplémentaires ne présentent pas de caractère assurantiel mais correspondent à des dépenses de caractère « budgétaire » , exécutées à l'initiative de la puissance publique.

Dès lors, la question de la légitimité de leur prise en charge par l'assurance maladie se pose , en particulier :

- pour la dotation à Santé publique France dont la commission a déjà souligné qu'elle devrait relever de l'État, a fortiori pour la reconstitution de ses stocks stratégiques ;

- mais aussi pour les diverses primes accordées aux personnels soignants, qui relèvent de la gestion du personnel des établissements de santé et qui ne sauraient être considérées comme des dépenses d'assurance maladie.

A minima , un tel surplus de dépenses non assurantielles aurait manifestement dû recevoir l'approbation préalable du Parlement avec le dépôt d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, auquel le Gouvernement n'a pas jugé utile de procéder.

4. Hors sécurité sociale, un impact particulièrement fort sur les comptes de l'Unédic

L'ensemble des ASSO est concerné par les baisses de recettes, pérennes ou provisoires, liées à la crise.

La situation de l'Unédic mérite un éclairage particulier, en raison du traditionnel « effet de ciseaux » des périodes de crise agissant simultanément sur les recettes et les dépenses de l'assurance chômage, encore accentué en 2020 par la mise en place d'un dispositif d'activité partielle pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise du covid-19.

La dégradation de la prévision de résultat pour l'année 2020 est donc très forte : 24,8 milliards d'euros à ce stade, ce qui ferait passer le déficit de cet exercice à 25,7 milliards d'euros au lieu de 0,9 milliard d'euros comme initialement prévu.

Le graphique suivant montre la répartition de ces pertes provisionnelles, notamment l'effet prépondérant de l'activité partielle, tant en termes de dépenses qu'en termes de recettes (les allocations correspondantes n'étant pas soumises à contributions).

Répartition de l'accroissement du déficit prévisionnel de l'Unédic en 2020
en raison de la crise du covid-19

Source : Unédic

Les pertes liées à la mise en place d'un dispositif spécifique d'activité partielle pour faire face à la crise, financé aux deux tiers par l'Etat et à un tiers par l'Unédic représente un peu plus de la moitié de ce déficit (52 %), en cumulant les effets des dépenses du régime (10,1 milliards d'euros) et les pertes de recettes engendrées par ce système (2,8 milliards d'euros).

En tout cas, un déficit du régime d'assurance de l'ordre de 25 milliards d'euros est absolument inédit, celui-ci n'ayant jamais dépassé la barre des 5 milliards d'euros jusqu'alors.

B. DE NOUVEAUX TRANSFERTS MASSIFS À LA CADES

Ces événements ont entraîné une très forte tension sur la trésorerie de l'Acoss .

Dans un premier temps, la situation a été gérée par une augmentation très sensible et en deux temps du plafond de découvert de l'agence 5 ( * ) , qui avait été initialement établi à 39 milliards d'euros dans le cadre de la LFSS pour 2020. Ce plafond est ainsi passé successivement :

- à 70 milliards d'euros par le décret n° 2020-327 du 25 mars 2020 portant relèvement du plafond des avances de trésorerie au régime général de sécurité sociale ;

- et finalement à 95 milliards d'euros par le décret n° 2020-603 du 20 mai 2020 portant relèvement du plafond du recours aux ressources non permanentes des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Néanmoins, malgré cette autorisation réglementaire, un tel besoin de financement à court terme pouvait rendre très délicate la gestion de l'agence. En outre, la perspective d'accumuler de nouveaux déficits confiés de fait à l'Acoss ne permettaient plus d'ignorer la nécessité de les transférer à la Cades afin qu'elle les amortisse.

Tel était l'objet des projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie. Ces textes, en cours d'examen par le Parlement, permettront, après leur promulgation :

- de transférer à la Cades un total de 123 milliards d'euros de déficits cumulés de la sécurité sociale au titre des déficits passés (31 milliards d'euros) et à venir entre 2020 et 2023 (dans la limite d'un plafond de 92 milliards d'euros) 6 ( * ) ;

- de prolonger en conséquence jusqu'au 31 décembre 2033 la date limite afin d'éteindre complètement la dette sociale .

S'agissant des autres ASSO, les régimes complémentaires de retraite se trouvent généralement dans une situation différente du fait de l'existence de réserves. Cependant, comme cela a été souligné précédemment pour ce qui concerne l'Agirc-Arrco, les suites de la crise financière de 2008 ont déjà conduit ces régimes à puiser dans leurs réserves. L'Agirc-Arrco venait ainsi de renouer avec les excédents en 2019. Il s'agira donc de surveiller la possible dégradation de la situation financière de ces régimes et du niveau de leurs réserves dans les mois et années à venir.

S'agissant enfin de l' Unédic , dont la situation à fin 2019 paraissait déjà tendue, l'apurement de sa dette semble particulièrement problématique . Selon les données transmises à la commission par l'Unédic, cette dette devrait être comprise, à fin 2020, entre 63 et 66 milliards d'euros et augmenter encore en 2021 (voire les années suivantes). Un tel montant représente plus d'un an et demi de ressources totales de cet opérateur.

Il apparaît donc indispensable d'envisager, dès la sortie de crise, un plan pour l'apurement de cette dette qui risque, à défaut, de « plomber » les comptes de l'Unédic de manière durable.

C. FAIRE FACE EN GARDANT DES PRINCIPES À L'ESPRIT

En conclusion, la période de crise actuelle implique des actions fortes des pouvoirs publics afin de répondre à la crise sanitaire et de faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise.

Dans un tel contexte, les différents régimes de protection sociale doivent jouer pleinement leur rôle d'amortisseur . Il est donc normal que leurs dépenses restent stables voire augmentent en fonction des besoins (assurance chômage et, dans une moindre mesure, assurance maladie) au moment même où les recettes affichent une forte diminution sous l'effet de la baisse d'activité et des reports de cotisations.

De ce fait, il n'est pas illogique que les différents régimes prévoient des déficits d'une ampleur historique pour l'année 2020 , correspondant à l'ampleur de la crise actuelle.

L'ampleur et le moment du redressement à venir restent, pour l'heure, impossibles à déterminer, en raison, notamment, des lourdes incertitudes qui demeurent quant à l'avenir de la crise sanitaire en France, en Europe et dans le monde.

Néanmoins, lorsque l'heure sera venu, les pouvoirs publics devront tirer les leçons de la période qui a précédé la crise , notamment en constatant que les pays avec des comptes équilibrés sont ceux qui sont les mieux armés pour répondre aux crises. Ainsi, les comptes publics, en particulier ceux de la sécurité sociale et des autres régimes de protection sociale, auraient dû être bien davantage redressés en 2019.

C'est donc en dégageant des excédents lors des « bonnes » années que la sécurité sociale peut faire face par elle-même aux mauvaises années sans s'endetter trop lourdement. Nous devrons donc prévoir des financements pour les dépenses supplémentaires à venir. Et la politique de non-compensation de ses baisses de recettes, trop souvent appliquée ces dernières années, devra être remise en cause, même par temps calme.

AUDITION DE M. GÉRALD DARMANIN,
MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS

Mardi 22 avril 2020

M. Alain Milon , président . - J'ai le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, pour une audition sur la situation et les perspectives des comptes sociaux. Cette audition se tient en visioconférence et est ouverte à la presse.

Ce rendez-vous est habituel à pareille époque : sur l'initiative de son rapporteur général, notre commission fait chaque année avant l'été un point sur les comptes sociaux entendus au sens large, c'est-à-dire non seulement la sécurité sociale, mais aussi l'assurance chômage, les hôpitaux et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Ce qui est plus inhabituel, ce sont les conditions d'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, puisque l'on assiste actuellement à une contraction historique des recettes et une forte augmentation des dépenses. Monsieur le ministre, je vous cède la parole.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - Monsieur le président, c'est avec plaisir et gravité que je réponds à votre invitation.

En préambule, je voudrais souligner le caractère tout à fait exceptionnel et fluctuant des chiffres que je vais présenter. Si le Gouvernement ne propose pas de projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), c'est parce qu'il n'en a pas l'obligation puisque, comme vous le savez, les crédits de la sécurité sociale sont indicatifs, mais c'est surtout en raison de la très grande variabilité de ses estimations : les chiffres actuels ne sont sûrement pas les mêmes que ceux que je vous aurais communiqués si vous m'aviez auditionné dans deux semaines.

Avant de répondre à vos nombreuses questions, j'aimerais évoquer trois points.

Tout d'abord, je veux parler du déficit et du montant des dépenses sociales. En 2019, nous avons eu de bonnes nouvelles, si j'ose dire, puisque le déficit de la sécurité sociale, qui devait atteindre 5,4 milliards d'euros, s'est élevé à un peu moins de 2 milliards d'euros. Ce bon résultat s'explique par une plus forte augmentation de la masse salariale que prévu, elle-même due à une baisse plus marquée du chômage et une hausse plus importante des salaires qu'attendu, et par des recettes plus dynamiques que ce que nous avions envisagé.

En avril 2020, les chiffres n'ont plus rien à voir : le déficit de la sécurité sociale s'établit aujourd'hui à 41 milliards d'euros. C'est du jamais vu, puisque le précédent record datait de 2010 lorsque le déficit social était de 28 milliards d'euros. Ce décrochage procède en partie de la décision du Gouvernement d'engager 8 milliards d'euros de dépenses nouvelles, mais il résulte surtout de l'effondrement des recettes de la sécurité sociale.

À titre d'exemple, le dispositif de report des charges sociales représente un manque à gagner de l'ordre de 14,2 milliards d'euros sur les 38 milliards d'euros de cotisations qui devaient être versés pour les mois de mars et d'avril.

La dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) s'élève désormais à 45 milliards d'euros. Par un décret en date du 25 mars dernier, nous avions opportunément décidé de relever le plafond d'endettement de l'Agence de 39 milliards à 70 milliards d'euros. Compte tenu du contexte actuel, je le redis, il est très difficile de chiffrer avec exactitude les effets de la crise sur les comptes sociaux. Les pertes de recettes sont essentiellement dues à la hausse du recours au chômage partiel, à l'état de l'économie et à l'ampleur du report de charges.

Je souhaite également évoquer les dépenses d'assurance maladie et la situation de l'hôpital public.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2020 aurait dû s'établir à 2,45 %. Une double incertitude pèse aujourd'hui sur l'évolution de cet objectif : la baisse très importante de l'activité de la médecine de ville en raison du confinement, d'une part, et la très forte augmentation des dépenses hospitalières, d'autre part. Il faut y ajouter 8 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, dont une dotation exceptionnelle de 4 milliards d'euros pour Santé publique France, l'opérateur public qui gère la crise sanitaire, dont le budget n'était - je le rappelle - que de 150 millions d'euros, 3 milliards d'euros versés aux hôpitaux et établissements de santé pour couvrir les dépenses engagées durant la crise et, enfin, un peu plus de 1 milliard d'euros affectés à la prise en charge des indemnités journalières pour les arrêts de travail dérogatoires. Je ne sais pas encore s'il sera nécessaire d'amplifier cet effort financier, mais j'insiste sur les aléas extrêmement importants pesant aujourd'hui sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie.

Je n'ai pas de crainte particulière au sujet de la situation financière des hôpitaux. Premièrement, nous leur accordons beaucoup d'aides de trésorerie. Deuxièmement, les établissements publics de santé bénéficient du mécanisme de reprise de dette décidé avant la crise du coronavirus. Troisièmement, Santé publique France prend à sa charge une part des dépenses qui relèvent des hôpitaux en temps normal, comme l'achat de masques ou de respirateurs.

Enfin, j'en viens au dernier point de mon propos : la dette de l'Unedic, qui s'élevait à 37 milliards d'euros à la fin de l'année 2019, devrait atteindre 47 milliards d'euros fin 2020, soit 10 milliards d'euros supplémentaires.

D'un côté, les dépenses de l'Unedic devraient fortement s'accroître. En effet, elle assume un tiers des dépenses liées au chômage partiel, dans un contexte où - la ministre du travail l'a annoncé ce matin - plus de 10 millions de salariés sont en activité partielle. Le chômage partiel s'accroît fortement en France, ce qui s'apparente à une forme de « nationalisation » - si vous me permettez l'expression - d'une partie des salaires. De l'autre, les recettes de l'Unedic baissent de manière sensible, parce que l'indemnisation du chômage partiel ne donne pas lieu au versement de cotisations sociales.

Cela étant, les prévisions pourraient fluctuer : l'évaluation du recours au chômage partiel est parfois complexe, notamment parce qu'il peut faire l'objet de déclarations rétroactives de la part des entreprises.

De manière générale, les chiffres concernant la sécurité sociale sont impressionnants et peuvent donner le tournis. Ils sont pourtant fondés sur des hypothèses que je qualifierai de « favorables ». En premier lieu, nous partons du principe que la croissance économique ne se dégradera pas davantage que ce que nous prévoyons aujourd'hui, c'est-à-dire une récession de 8 %. En second lieu, nous considérons que l'ensemble des cotisations reportées, soit environ 14 milliards d'euros, sera versé d'ici à décembre 2020, ce qui paraît pourtant peu probable, ne serait-ce que parce que le Gouvernement pourrait envisager un report des charges au-delà de cette date et qu'il étudie l'éventualité d'annulations de charges pour certains secteurs.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général. - Merci d'avoir accepté cette invitation, Monsieur le ministre. Votre audition se déroule dans des conditions très exceptionnelles, mais elle n'en est pas moins indispensable : le Parlement doit en effet être pleinement informé de la situation des comptes sociaux. Malgré vos réserves, je pense que mes questions démontreront que le Gouvernement serait bien avisé de présenter un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale cet été.

Vous venez de détailler les 8 milliards d'euros de dépenses nouvelles qui affecteront directement le budget de la sécurité sociale. Pourriez-vous préciser ce qui, selon vous, aura le plus d'impact sur les comptes sociaux ? Quelles sont vos prévisions concernant le solde de la sécurité sociale pour 2020 ?

Cela fait plus d'une semaine que l'on entend dire qu'une partie des cotisations reportées pourrait être annulée. De fait, l'annulation des charges pourrait se révéler indispensable dans certains secteurs ou pour certains professionnels, dont l'activité a été durablement impactée et qui pourraient encore souffrir dans l'avenir - je pense à l'hôtellerie, à la restauration et au tourisme. La réflexion du Gouvernement a-t-elle évolué sur ce point ? À combien pourraient s'élever les annulations de charges ?

La crise remet-elle en cause le principe de non-compensation ou du « chacun chez soi », initialement motivé par des supposés excédents de la sécurité sociale ?

Enfin, pourriez-vous nous donner les raisons pour lesquelles la situation des comptes sociaux est meilleure que prévu en 2019 ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Les bons chiffres de 2019, même s'ils ne sont déjà plus qu'un lointain souvenir, semblent prouver que la stratégie du Gouvernement, qui consiste à encourager la croissance en baissant les impôts, est sans doute la bonne. Ces résultats s'expliquent par une augmentation de la masse salariale de 3 % et par le dynamisme des recettes, liés à une baisse du chômage plus importante que prévu.

Vous avez mentionné le principe de non-compensation entre le budget de l'État et celui de la sécurité sociale. Distinguer ce qui relève du champ social de ce qui dépend du champ de l'État n'est pas notre priorité aujourd'hui. Actuellement, le Gouvernement cherche avant tout à répondre à l'urgence. Ce que je peux vous dire, c'est que l'État joue son rôle de soutien du secteur social. Confrontée à une forte hausse de sa dette, l'Acoss bénéficie ainsi de l'aide de l'Agence France Trésor, autrement dit de l'État, qui lui garantit les taux d'intérêt les plus bas possible et lui prodigue un certain nombre de conseils pour bien emprunter.

La décision d'annuler les charges de certaines entreprises est primordiale pour l'économie française, mais complexe à mettre en oeuvre juridiquement. Jamais, depuis que la protection sociale existe, un gouvernement n'a annulé des charges par secteur d'activité.

Afin qu'une telle mesure voie le jour, il faut justifier le choix des secteurs d'activité retenus. Pour les secteurs pour lesquels le Gouvernement a déjà pris des mesures réglementaires portant fermeture les commerces - je pense aux restaurateurs -, il sera facile et peu contestable sur le plan juridique de proposer l'annulation des cotisations patronales. Pour d'autres secteurs, bien qu'indispensable, cette mesure sera plus difficile à motiver : c'est le cas de l'hôtellerie, du tourisme, de l'événementiel, des arts et spectacles, qui n'ont pas fait l'objet de mesures réglementaires de ce type.

Au-delà de ces considérations juridiques, trois questions se posent.

La première concerne le nécessaire maintien d'une égalité de traitement entre les entreprises. Ainsi, certains professionnels qui pourraient bénéficier d'une annulation de leurs charges dans un avenir proche en ont déjà réglé une partie. Il serait discriminant d'annuler le paiement des cotisations de ceux qui en ont demandé le report, alors que d'autres les ont payées. La deuxième question a trait à la nature des cotisations annulées : il s'agit des cotisations patronales et non des cotisations salariales qui sont, je le rappelle, créatrices de droits pour les salariés. La troisième interrogation porte sur les « secteurs de conséquence », directement liés aux secteurs cités par le Président de la République dans son discours lundi dernier. Je pense aux blanchisseries, qui travaillent presque exclusivement avec les hôtels, ou aux vignerons, qui travaillent énormément avec la restauration. Nous devons décider si ces secteurs doivent aussi bénéficier des annulations de charges. Pour ce faire, nous effectuons un travail d'analyse très minutieux, avec l'aide du ministère de l'agriculture pour ce qui concerne l'agroalimentaire, et avec l'aide du ministère de l'économie, du ministère de la culture et du ministère du tourisme pour leurs secteurs de compétence respectifs.

Bien entendu, le Parlement sera pleinement associé à la réflexion, ne serait-ce que parce qu'une disposition législative devra être votée. Bien que difficile à évaluer aujourd'hui, nous pensons que le montant global de ces annulations de charges devrait atteindre près de 1 milliard d'euros. J'insiste devant la représentation nationale sur le sérieux juridique avec lequel nous sommes en train d'élaborer ce dispositif. Nous redoutons plus que tout une possible censure du juge constitutionnel, qui aurait des effets désastreux pour les professionnels que je viens d'évoquer.

Enfin, s'agissant des perspectives pour l'année 2020, nous prévoyons un recul de la masse salariale de 7,5 %, une baisse de 20 milliards d'euros des recettes liées à l'arrêt de l'activité et une réduction de 11 milliards d'euros des recettes affectées au budget de la sécurité sociale.

M. Jean-Noël Cardoux , président de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss). - À l'automne dernier, nous estimions que les déficits cumulés de l'Acoss atteindraient 40 milliards d'euros en 2023, année d'expiration de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Auditionné par notre commission à l'époque, vous aviez affirmé que ce déficit serait beaucoup moins élevé grâce à la croissance, qui ne manquerait pas de créer des richesses supplémentaires. Aujourd'hui, en raison de la crise, vous citez le chiffre abyssal de 45 milliards d'euros pour la seule année 2020. En raisonnant simplement, le déficit de l'Acoss devrait donc atteindre entre 80 et 85 milliards d'euros à l'horizon de 2023. Je précise que l'Acoss est déjà confrontée à de graves problèmes de trésorerie, que ses besoins de financement à court terme dépendent en grande partie du niveau des taux d'intérêt et que, sans l'appui de la Banque centrale européenne (BCE), sa situation pourrait rapidement devenir intenable.

Dans ces conditions, envisagez-vous de reporter la pérennité de la Cades au-delà de 2023 ? De quels financements la Cades pourrait-elle bénéficier pour absorber les nouveaux déficits de l'Acoss ? Je conclurai en indiquant qu'une loi organique est nécessaire pour mettre en oeuvre une telle décision.

Mme Catherine Deroche , rapporteure pour l'assurance maladie. - Je souhaite vous interroger sur la situation financière des hôpitaux.

Disposez-vous de prévisions actualisées sur le déficit des établissements hospitaliers pour 2020, qui tiendraient compte des futures hausses de rémunérations des personnels ? Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l'endettement des hôpitaux, prévu pour le mois de mars, vous a-t-il été remis ? Si tel est le cas, modifie-t-il vos prévisions initiales ?

Vous avez parlé de la situation de la médecine de ville. Que prévoyez-vous pour les établissements privés, qui souffrent beaucoup de la crise ?

Dernier point, vous estimez qu'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale n'est pas indispensable. Il serait pourtant utile de fixer un nouvel Ondam avant l'été. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), estimait la semaine dernière que l'examen d'un PLFRSS en juillet était possible.

M. Yves Daudigny . - Monsieur le ministre, personne ne conteste votre plan d'urgence, même si certains le jugent insuffisant. Les interrogations portent davantage sur son financement, car il semblerait que vous ayez l'intention de recourir à l'endettement, ce qui montre que les dogmes sur lesquels reposait notre économie ces dernières années sont en train de chanceler. Cette dette sera-t-elle un jour remboursable ? Devra-t-elle être monétisée ?

Pour prolonger la réflexion du rapporteur général sur les relations entre l'État et la sécurité sociale, j'ajoute que cette dernière assure avant tout les solidarités du quotidien. Lui faire porter la charge des mesures exceptionnelles prises pour lutter contre la crise actuelle reviendrait à la tuer.

Pourriez-vous détailler les demandes de report de cotisations et de contributions effectuées par les entreprises ? Constate-t-on une évolution entre les mois de mars et d'avril ?

Selon vous, le plafond d'endettement de l'Acoss, porté à 70 milliards d'euros par décret, sera-t-il suffisant ?

Les professionnels libéraux, comme les orthophonistes ou les kinésithérapeutes, demandent souvent aux collectivités locales une remise ou l'annulation des loyers des locaux qu'ils occupent. Quelles aides envisagez-vous pour ces professionnels ?

M. Dominique Théophile . - Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la situation actuelle des employés à domicile. Face à la crise, les particuliers employeurs sont invités à verser l'intégralité de la rémunération de leurs salariés, même si toutes les heures n'ont pas été réalisées. Ce sont près de 3 millions de particuliers qui emploient 600 000 personnes à leur domicile, ainsi que 450 000 assistantes maternelles.

L'ordonnance du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle a permis de mettre en place cette mesure d'indemnisation exceptionnelle pour que les salaires des employés à domicile soient maintenus. Cependant, les particuliers employeurs ne sont pas toujours en mesure de payer les heures non effectuées. Pourriez-vous imaginer un dispositif permettant de payer 80 % du montant net des heures non réalisées par le salarié, tout en dispensant le particulier employeur d'avance de frais ?

M. Daniel Chasseing . - Le Gouvernement fait le maximum pour aider les entreprises à survivre et soutenir les salariés. Comment entend-il répartir l'effort de redressement des finances publiques, sachant qu'une hausse de la fiscalité sur les sociétés est difficilement envisageable si l'on souhaite préserver la compétitivité et l'emploi ?

Le Gouvernement envisage d'annuler les charges patronales des restaurateurs et des hôteliers. Qu'envisagez-vous pour les grossistes en boissons, brasseurs et limonadiers, qui ne semblent pas concernés par cette mesure, alors que l'intégralité de leur chiffre d'affaires dépend des cafés, restaurants et hôtels ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je veux rassurer M. Chasseing : ce n'est pas en augmentant la fiscalité sur les ménages, le capital ou les entreprises que nous comptons rembourser la dette. Je le répète, nous préférons la dette à la faillite et au licenciement massif des salariés. Si, comme je l'ai dit, les chiffres du déficit et de la dette sont très impressionnants, ce n'est pas à cause de dépenses structurelles. Même si la crise laissera des traces, le jour où les recettes augmenteront de nouveau, les chiffres reviendront à la normale.

Pour ce qui concerne les grossistes, les producteurs de vin ou de bière, ils seront naturellement concernés par les annulations de charges.

Pour répondre à M. Théophile, je tiens avant toute chose à souligner la grande réactivité dont a fait preuve le Gouvernement en étendant le chômage partiel aux employés à domicile, car ils n'y avaient pas droit jusqu'alors. Ils peuvent toucher 80 % de leur salaire net antérieur pour les heures prévues et non travaillées. Près de 72 millions d'euros ont été versés au titre du mois de mars, ce qui a permis d'indemniser 350 000 employés à domicile, et 750 000 particuliers employeurs ont déposé une demande d'indemnité d'activité partielle pour leurs salariés, que ces derniers aient ou non réalisé les heures de travail prévues. Cela signifie que beaucoup d'entre eux ont conservé le lien contractuel qui les unit à leurs employés.

Monsieur Daudigny, votre réflexion sur l'avenir de la dette est tout à fait passionnante. Les banques centrales doivent-elles et peuvent-elles racheter cette dette ? Doivent-elles accorder des prêts à des taux très faibles, voire négatifs ? Hélas, je n'ai ni le pouvoir ni l'envie de vous faire part de mes réflexions, d'abord parce que le Président de la République s'exprimera sur le sujet et, ensuite, parce qu'il est très compliqué d'anticiper toutes les conséquences de la crise. Cette question sera à coup sûr posée au moment d'examiner les budgets de relance. Aujourd'hui, nous nous contentons de gérer l'urgence.

Pour répondre à votre deuxième question, au mois d'avril, il y a davantage d'entreprises qui ont bénéficié d'un report de charges que le mois précédent. Le 15 mars dernier, le montant des cotisations versées à l'Acoss par les entreprises de moins de 50 salariés s'est élevé à 9,4 milliards d'euros. À la même date, on comptabilisait 3,8 milliards d'euros de cotisations reportées, soit 40 % du total. Un mois plus tard, le 15 avril, cette proportion est restée stable à 41 %. Le 5 avril, le montant des cotisations versées par les entreprises de plus de 50 salariés a représenté environ 12 milliards d'euros, contre 4 milliards d'euros de cotisations reportées, soit un tiers de l'ensemble.

Nous avons demandé aux Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de contacter les grandes entreprises pour leur expliquer que le report de charges n'était pas une mesure de trésorerie, mais une disposition destinée aux entreprises en difficulté, menacées de faillite. Je peux vous assurer que toutes les grandes entreprises qui devaient payer leurs charges l'ont fait. La représentation nationale pourra le vérifier le moment venu.

Vous m'interrogez sur le plafond d'endettement de l'Acoss, désormais fixé à 70 milliards d'euros. Il ne me semble pas nécessaire de le revoir aujourd'hui, car les capacités d'endettement de l'Agence sont encore d'environ 25 milliards d'euros. Contrairement à ce que j'ai entendu, l'Acoss n'a aucun problème de trésorerie : par exemple, c'est sans aucune difficulté qu'elle a pu verser les aides sociales avec trois jours d'avance au mois d'avril.

Vous m'interrogez sur le soutien aux professionnels libéraux. C'est davantage au ministre de la santé qu'il appartient de vous répondre. Celui-ci a déjà annoncé plusieurs mesures à destination des professions libérales, pour un montant encore inconnu.

Madame Deroche, vous m'avez questionné sur le rapport commun de l'IGAS et de l'Inspection générale des finances (IGF) relatif à l'endettement des hôpitaux. Une version provisoire du rapport m'a été remise la semaine dernière. La mission doit poursuivre son travail et tenir compte de l'évolution de la situation des hôpitaux publics liée à la crise sanitaire. Aujourd'hui, le soutien aux hôpitaux publics prend trois formes : des aides de trésorerie, qui sont d'ores et déjà disponibles ; un mécanisme de garantie de financement dont les hôpitaux pourront bénéficier durant toute la durée de la crise pour un montant de recettes au moins égal à celui de l'année dernière ; enfin, au titre de la prise en charge de leurs dépenses exceptionnelles pour lutter contre le Covid-19, 376 millions d'euros leur ont déjà été versés.

Si les établissements de santé ont très peu de problèmes de trésorerie, le débat sur l'hôpital public n'est pas pour autant clos. S'agissant des établissements privés de santé, nous leur avons accordé des avances de trésorerie dès le mois de mars pour tenir compte de leurs difficultés particulières face à la crise.

Monsieur Cardoux, vous avez raison, il faut en effet une loi organique pour reporter la date d'extinction de la Cades. Toutefois, il est encore trop tôt pour répondre à votre question, d'autant que nous ne connaissons pas le montant exact de la dette à laquelle nous devrons faire face. S'agissant de l'Acoss, je tiens à vous rassurer. Il faut se réjouir que notre système puisse garantir un filet social efficace sans retarder le versement des pensions et des prestations sociales. C'est évidemment parce que l'État est là pour soutenir cette agence.

Pour répondre aux remarques faites par certains d'entre vous, je précise que le Gouvernement n'a pas rendu d'avis définitif sur l'éventualité d'un PLFRSS cet été. La question du calendrier parlementaire se posera, tout comme celle de l'élaboration, probablement très difficile, du PLFSS pour 2021. Faut-il vraiment examiner deux textes sociaux à trois mois d'intervalle ? Je n'en suis pas certain, d'autant qu'il y aura probablement d'autres urgences à traiter.

Mme Brigitte Micouleau . - Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur l'utilisation des 2,5 milliards d'euros de crédits non répartis de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles ? Cette procédure budgétaire inhabituelle vous donne davantage de flexibilité, mais pour soutenir quelles actions ? Les 800 millions d'euros correspondant à la prime versée à 4 millions de personnes précaires seront-ils prélevés sur ces crédits ? Quelle somme sera consacrée à l'acquisition de matériel médical ? Que ferez-vous du solde de cette dotation ?

Ma deuxième question porte sur les conjoints collaborateurs. Dans les mesures de soutien annoncées par le Gouvernement, deux catégories de personnes ont été oubliées : il s'agit des coassociés dirigeant des entreprises et des conjoints collaborateurs d'artisans et de commerçants, car les aides sont versées par entreprise et non par chef d'entreprise. De quelles mesures de soutien pourront-ils bénéficier ?

Ma troisième question concerne le chômage partiel : pouvez-vous nous dire où en est la concertation entamée avec les organisations représentatives des dentistes, alors que 24 milliards d'euros seront débloqués dans le cadre du dispositif d'activité partielle mis en oeuvre ? Sous quelle forme ce chômage partiel pourra-t-il s'appliquer aux dentistes ? Comment le chiffre d'affaires individuel, nécessaire à la mise en place d'un dispositif d'indemnisation, sera-t-il calculé ?

M. Michel Amiel . - Vous avez déjà répondu à l'une de mes questions sur le devenir de la Cades et sa probable non-extinction. Selon vous, ce n'est pas le moment d'y réfléchir - et je peux le comprendre.

Une question de philosophie générale de la dette : Esther Duflo, prix Nobel d'économie, estime que, avec une dette de cette importance, c'est le moment d'engager une relance de type keynésien. Qu'en pensez-vous ?

Lorsque la crise a éclaté, les personnels des hôpitaux, quasi à l'os, étaient en colère. Le Covid-19 peut-il être l'occasion de réfléchir de nouveau à un plan de fonctionnement des hôpitaux et d'abandonner certains dogmes comme la tarification à l'activité (T2A) ? Les hôpitaux sortiront totalement épuisés de cette crise et devront reprendre un fonctionnement normal, alors que toutes les opérations ont été reportées. Sera-ce un électrochoc pour passer à autre chose ?

Pouvez-vous apporter des précisions sur la prime des agents de la fonction publique territoriale ?

M. Michel Forissier . - Je connais votre attachement au réseau des artisans, et j'ai lu le message chaleureux et émouvant que vous leur avez adressé lors du décès de Bernard Stalter, notre regretté ami. Les artisans, déjà fortement fragilisés par la crise des « gilets jaunes » et les grèves contre la réforme des retraites, subissent de plein fouet cette crise sanitaire et ses conséquences économiques sans précédent. Beaucoup d'entre eux craignent de ne pas s'en relever, et s'inquiètent des incertitudes qui demeurent sur les conditions et le calendrier de reprise de leur activité.

J'ai travaillé avec le réseau des chambres de métiers et de l'artisanat, interlocuteur privilégié des artisans, qui souhaite voir les critères d'éligibilité au Fonds de solidarité assouplis pour que celui-ci bénéficie au plus grand nombre. Sur le premier volet, le critère de baisse du chiffre d'affaires de 50 % semble trop excluant, et ne tient pas compte des variations d'activité tout au long de l'année ni des entreprises nouvellement créées. Un critère de 20 % de baisse serait préférable. Le deuxième volet exige au minimum un salarié et l'impossibilité de régler ses dettes dans les trente jours. Ces conditions rédhibitoires excluent beaucoup de gens. La pérennité du dispositif, utile pour la survie de l'entreprise, mériterait d'être considérée avec attention en raison d'une évolution éventuelle de la crise.

Depuis six ans, je présente un rapport pour avis sur la mission « Travail et emploi » lors de l'examen du projet de loi de finances. Il y a quatre ans, j'avais avancé un chiffre potentiel de 39 milliards d'euros de déficit ; il m'avait été répondu qu'on n'atteindrait jamais ce chiffre... Avec la crise sanitaire, ce déficit atteindra 47 milliards d'euros, dont les deux tiers impactent directement la garantie de l'État.

Le politique ne doit pas oublier les fondamentaux de ce système, et notamment sa gestion paritaire. Le Gouvernement serait bien avisé de réunir les partenaires sociaux et de poser des questions d'avenir ; la période, au coeur de l'action, se prête à la négociation d'un accord. Certains affirment que nous sommes en guerre. Je dirais plutôt que nous subissons une catastrophe, imprévisible. Prenons exemple sur ce qui se fait en cas de catastrophe naturelle, ou sur ce qui est en train d'être fait pour ceux qui perdent des ressources sans être assurés pour cela : le secteur des assurances travaille actuellement avec le ministre de l'économie sur ce sujet. La dette de l'Unedic ne peut pas continuer à s'accroître pendant un ou deux mois sans qu'on bouge ; les partenaires sociaux devraient être réunis.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Vous n'avez pas évoqué la possibilité de mettre à contribution les revenus les plus élevés. N'est-il pas plus urgent de taxer les plus hauts revenus pour donner un signal fort de solidarité à nos concitoyens et aider les petites entreprises ?

Les fonctionnaires ayant eu un surcroît d'activité pourront toucher une prime allant jusqu'à 1 000 euros, mais les collectivités territoriales devront prendre leurs dispositions pour payer ces primes aux fonctionnaires territoriaux. Or plusieurs maires estiment que ce sera impossible pour eux, car ils ont déjà pris d'importantes mesures d'annulation de loyers pour des professions libérales, des petits commerces. Cet été, ils abandonneront leurs droits de terrasse, et les budgets des centres communaux d'action sociale (CCAS) vont exploser. Je suis favorable à une hausse des salaires par le biais d'une augmentation du point d'indice, et non au recours systématique à une prime. Le Gouvernement s'engage-t-il à exonérer de charges sociales les primes versées aux fonctionnaires ?

M. Alain Milon , président. - Nous avons déjà entendu ces propos lors de la séance publique hier soir...

Mme Corinne Imbert . - Je reviens sur les financements accordés à Santé publique France et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). On a accusé le changement de doctrine de l'État entre 2011 et 2013 d'avoir provoqué la réduction du stock d'État de masques chirurgicaux et la disparition du stock d'État de masques FFP2. Cette doctrine sera probablement de nouveau révisée. Une partie de la dotation exceptionnelle de l'assurance maladie à Santé publique France sera-t-elle pérennisée, afin de renouveler le stock d'État de masques en vue d'éventuelles crises sanitaires à venir ?

Quels moyens seront consentis aux hôpitaux qui, en raison du changement de doctrine, s'étaient vu transférer la responsabilité d'acquérir des masques FFP2, qu'ils ont dû financer sur leurs crédits issus des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) ? Ces stocks sont désormais épuisés. Quels financements leur permettront de reconstituer leurs stocks de masques ?

L'ANSM est sur tous les fronts - autorisation des essais cliniques, fiabilité des tests, tensions en termes d'approvisionnement en médicaments... -, alors que la mission d'information présidée par notre collègue Yves Daudigny déplorait déjà l'insuffisance de ses moyens en 2018 face aux pénuries de médicaments. La crise du Covid-19 met en lumière la limite de ses moyens. Comme pour Santé publique France, une dotation exceptionnelle sera-t-elle versée par l'assurance maladie à l'ANSM ?

La crise actuelle nous rappelle le caractère régalien de la police de sécurité sanitaire, mission fondamentale de l'ANSM. Il serait bon de réinscrire la dotation de l'ANSM au budget de l'État, comme celle de Santé publique France.

M. Gérald Darmanin, ministre . - Les 2,5 milliards d'euros prévus dans le deuxième projet de loi de finances rectificative relèvent du budget de l'État. Nous allons recourir, pour la première fois, à l'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui prévoit des dépenses accidentelles et imprévisibles - une disposition qui existe déjà pour les communes. Mais sur les 2,5 milliards d'euros prévus, 880 millions d'euros sont déjà amputés par un amendement du rapporteur général de l'Assemblée nationale, confirmé par le Sénat, qui prévoit que la prime de précarité pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) soit budgétisée - et elle sera versée mi-mai. Parmi le 1,7 milliard d'euros restant, il faut comptabiliser les achats des ministères pour équiper les fonctionnaires de masques ou de protections.

Cela étant, il y a aura d'autres dépenses accidentelles et imprévisibles. Ainsi, nous avions budgétisé pour le Fonds de solidarité pour les indépendants 750 millions d'euros de l'État, 250 millions d'euros des régions, et 200 millions d'euros des assurances. Plus de 1,1 million d'indépendants a déjà demandé à accéder au fonds, et presque 1 milliard d'euros a déjà été versé. Nous sommes à quelques millions près au bout des crédits disponibles ; dès que la loi sera votée et publiée, nous pourrons de nouveau verser des crédits. De nombreuses régions n'ont pas encore versé les fonds ; en réalité, seules quatre d'entre elles les ont déjà mis en mandatement, notamment les Hauts-de-France, la Normandie et l'Occitanie. Les assureurs ont, quant à eux, versé une tranche de 90 millions d'euros. Ces dépenses accidentelles et imprévisibles sont là pour pallier les crédits limitatifs de l'État. Nous ne nous attendions pas à un tel « succès », et nous ne pouvons pas faire des projets de loi de finances rectificative chaque semaine ni dire que nous n'avons pas assez d'argent. L'utilisation des crédits pourra être contrôlée par les commissions des finances des assemblées - j'en rends compte chaque semaine, comme je m'y suis engagé auprès du président et du rapporteur général de la commission des finances du Sénat.

Le Fonds de solidarité pour les indépendants relève des crédits de l'État et a déjà connu beaucoup de modifications. Au départ, nous prenions comme critère le chiffre de 70 % de perte de chiffre d'affaires, puis celui de 50 %. Nous comparions les mois de mars 2019 et celui de mars 2020, puis nous nous sommes concentrés sur une comparaison sur l'année entière en raison de la crise des « gilets jaunes ». À la demande des parlementaires notamment, Bercy a beaucoup amélioré son dispositif.

Prévoir comme critère l'existence d'au moins un salarié est normal : ce fonds vise surtout à sauver l'emploi - sinon, il existe d'autres fonds.

En réalité, trois fonds se cumulent : l'un permet d'obtenir jusqu'à 1 500 euros par mois, versés directement sur le compte de l'entreprise, en suivant une démarche très simple sur le site des impôts : il suffit d'un numéro Siret (système d'identification du répertoire des établissements), d'un numéro Siren (système d'identification du répertoire des entreprises), d'une déclaration de chiffre d'affaires et d'un relevé d'identité bancaire. Ce premier étage est cumulable avec un deuxième étage financé par le conseil régional de 2 000 à 5 000 euros selon les charges fixes de l'indépendant, notamment lorsqu'il ne peut pas bénéficier d'un report de loyer. Enfin, une troisième aide, allant jusqu'à 1 500 euros, est versée par le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) au profit des indépendants, en tant qu'individus. Au total, les indépendants peuvent donc recevoir jusqu'à 8 000 euros totalement défiscalisés. Certes, cela ne remplacera pas leur activité, mais c'est extrêmement important, car les indépendants ont ainsi accès aux reports de charges - voire aux annulations, aux prêts garantis par l'État, aux aides de trésorerie, au chômage partiel...

Vous m'interrogez sur la pérennité du fonds ; l'État n'a pas fait tout ce travail pour couper le robinet juste après la crise s'il n'y a pas de reprise normale de l'activité ! Le 11 mai ne sonnera pas la fermeture des aides aux indépendants : cela dépendra beaucoup de la stratégie de déconfinement du pays.

Les dentistes ont accès au chômage partiel : près de 75 % des cabinets ont demandé à y recourir, alors que le secteur compte 40 000 salariés. Ils bénéficient aussi de fonds spécifiques du ministère de la santé, cumulables avec des aides de la CNAM. Les dentistes sont donc accompagnés.

M. Amiel évoquait Esther Duflo. Il y aura une relance, mais de quel type : une relance keynésienne par la demande avec des subventions, un soutien économique aux collectivités locales, ou bien une relance par l'offre, c'est-à-dire par les entreprises et la croissance économique ? Le Gouvernement croit que les baisses d'impôt augmentent les recettes, car elles augmentent l'activité. Nous pourrons peut-être continuer comme cela pour les impôts de production, mais le sujet est complexe et concerne aussi la sécurité sociale, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et les collectivités locales... Je ne sais pas ce que voudront faire le Président de la République et le Premier ministre, peut-être un peu des deux. En tout cas, la question de la relance se posera très vite et des projets de loi seront déposés.

Les déclarations de Mme Buzyn et de M. Véran devraient vous rassurer sur la T2A, mais je ne suis pas ministre de la santé. Ce dernier est à votre disposition pour vous répondre sur la stratégie des hôpitaux, les masques, les médicaments... Ce n'est pas de mon ressort.

Trois primes sont prévues pour les fonctionnaires : une prime de 1,2 milliard d'euros pour la fonction publique hospitalière, prise sur l'Ondam, qui a été évoquée par le ministre de la santé ; une prime pour les agents de l'État, versée par ministère, celui-ci décidant quels agents en bénéficieront ; une prime pour la fonction publique territoriale, calquée sur le dispositif de l'État, avec une prime allant jusqu'à 1 000 euros, sans fiscalité ni cotisations sociales. Elle ne coûtera rien aux collectivités locales, car il n'y aura pas de cotisation employeur.

Madame Apourceau-Poly, je ne comprends pas bien votre démonstration sur les maires. Dans la ville dont j'ai été le maire et dont je reste conseiller municipal, ville qui a un budget difficile, une population nombreuse et socialement touchée, il y a une hausse des dépenses imprévues, des recettes qui ne rentrent pas, mais nous observons aussi des économies de constatation, comme, par exemple, les cantines municipales : la commune paie toujours plus que le prix facturé aux familles.

Les difficultés des petites communes sont très diverses : celles qui paient le versement transport aux intercommunalités ne sont pas dans la même situation que celles qui ont des régies ; d'autres perdent des droits de terrasse... Mais 80 % des recettes des collectivités ne dépendent pas de la conjoncture économique. Certes, d'autres recettes en dépendent comme les taxes de séjour, les taxes sur les casinos, les droits de mutation, mais la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la TVA ne seront dues que l'année prochaine. Oui, il y aura peut-être de moindres recettes, mais la plupart des collectivités locales pourront verser cette prime. Nous parlerons des futures difficultés des collectivités. L'article 72 de la Constitution, que l'on nous oppose régulièrement, dispose que l'État n'a pas à intervenir dans la gestion des collectivités locales. C'est donc l'employeur, sans obligation, qui fixe le montant de la prime, je le répète, totalement exonérée de charges fiscales et sociales.

Dans notre système d'assurance chômage, nous discutons avec les partenaires sociaux, monsieur Forissier. Le dialogue social reste important et la ministre du travail y est très sensible. La ministre du travail prépare activement le jour d'après.

L'État prend le plus gros risque financier, celui de l'endettement, et c'est normal, car il bénéficie de taux plus faibles et de stocks d'emprunts que ne pourrait pas faire l'Unedic. Ce ne sont plus les cotisations salariales qui sont versées à l'Unedic. Nous avons réalisé un changement de fiscalité, comme vous le savez et c'est désormais un impôt, la contribution sociale généralisée (CSG), qui est versé à l'Unedic pour la part salariale. Il demeure en revanche une part de cotisations patronales.

Hier soir, nous avons eu une longue discussion dans l'hémicycle sur le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Créer une nouvelle taxe n'est pas à l'ordre de jour. Ce n'est pas en « surfiscalisant » que l'on relancera la croissance. « Il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes... » Avant la crise, nous avions le taux de chômage le plus bas depuis vingt ans, une augmentation du pouvoir d'achat et la croissance la plus forte de l'Union européenne, dans des conditions pourtant difficiles. La prime pour la fonction publique sera exonérée de charges fiscales et sociales.

Pour Santé publique France, sans être spécialiste du sujet ni prendre de gros risque, je vous dirai que nous devrions renouveler le stock de masques. Le risque pandémique est aujourd'hui bien compris par la plupart des dirigeants politiques. Mais je ne connais pas le montant ni le nombre de masques concernés. Le ministre de la santé pourrait utilement vous répondre.

Actuellement, l'assurance maladie paie 116 millions d'euros de dotation à l'ANSM, agence qui emploie plus de 900 équivalents temps plein (ETP). Nous avons choisi de la rattacher à la sécurité sociale et non à l'État, ce qui n'empêche pas de donner des moyens suffisants. Santé publique France  avait 150 millions d'euros il y a trois mois, elle en a 4 milliards aujourd'hui...

Mme Victoire Jasmin . - Le tourisme est durement touché, en particulier outre-mer : des réservations sont annulées en grand nombre et beaucoup de touristes ne viendront pas cet été. Au-delà de ce que vous avez répondu à notre rapporteur général, quelles mesures comptez-vous prendre pour aider les professionnels pour qui la crise durera bien au-delà du mois de mai ? Quelles mesures spécifiques comptez-vous également prendre pour les agriculteurs ? Certains ont adapté leurs pratiques, en évoluant vers de la vente directe par exemple, mais beaucoup n'ont pas pu le faire, parce que leurs produits étaient habituellement achetés par la restauration ou par des magasins qui se trouvent fermés aujourd'hui, ou parce que les circuits d'approvisionnement sont perturbés : comment les aider ?

Mme Monique Lubin . - Les départements, par leurs compétences en matière de solidarité, sont en première ligne dans cette crise, alors même que leurs finances sont mises à mal, du fait de moindres rentrées des droits de mutation. Le Gouvernement avait desserré les taux du « pacte de Cahors » sur l'encadrement des dépenses locales : êtes-vous maintenant disposé à y renoncer complètement ? Quand bien même le Gouvernement mise sur un rebond, il y aura des faillites, du chômage, donc des dépenses nouvelles pour les départements dans les mois à venir : il faut les aider à remplir leurs missions, que comptez-vous faire ?

Mme Laurence Cohen . - Vous annoncez débloquer des milliards d'euros pour acquérir des matériels de protection. C'est nécessaire, mais la situation de l'hôpital avant l'épidémie de Covid-19 était déjà très tendue après des années de gestion principalement comptable, liée à la T2A. Les professionnels hospitaliers n'ont cessé de le dire haut et fort tout au long d'un mouvement social qui a duré depuis plus d'un an, sans être entendus. L'argent public, débloqué aujourd'hui dans l'urgence, ne va pas redresser l'hôpital, et la question reste donc entière. J'aurais souhaité un PLFRSS plus tôt, car il faut prendre en compte l'état de l'hôpital tel qu'il sera au lendemain de la crise sanitaire.

Ensuite, face à cette crise inédite qui est sanitaire, économique et sociale, et qui nous invite à ne pas persévérer dans de mauvaises politiques publiques, vous ne proposez que des primes, là où les salariés demandent des augmentations de salaire. Qui plus est, vous incluez ces primes dans l'Ondam, alors qu'il était déjà insuffisant, calculé au plus juste - je rappelle que le Gouvernement l'avait limité à 2,5 %, alors que nous avions demandé une progression de 4,5 %, seuil minimal pour tenir compte des besoins. Aujourd'hui, le Gouvernement autorise une progression d'au moins 7 % de cet objectif, ce qui démontre bien que « quand on veut, on peut! », contrairement à ce qu'on nous disait au moment de l'examen du PLFSS...

Les collectivités territoriales font un effort très important dans cette crise, avec des dépenses nouvelles de solidarité, des distributions alimentaires, des aides. Elles nous alertent sur le fait que leurs finances ne sont pas extensibles. Comment en tiendrez-vous compte ? Les associations sont, elles aussi, très mobilisées, aussi bien le secteur caritatif que les associations familiales, ou encore celles qui luttent contre les violences faites aux femmes. Elles ont, par exemple, engagé des dépenses pour se mettre au télétravail, et celles-ci n'ont évidemment pas été budgétisées : allez-vous les aider ?

Enfin, vous reprochez à nos propositions de « surfiscaliser » notre économie, mais nous proposons seulement de taxer davantage ceux qui en ont les moyens, par solidarité avec ceux qui sont les plus touchés par la crise : c'est, effectivement, une différence d'analyse.

Mme Martine Berthet . - Les domaines skiables n'entrent pas dans le champ du décret obligeant à la fermeture, au 17 mars, des établissements recevant du public (ERP), mais ils ont été mis de fait à l'arrêt, l'État ayant organisé dès le 15 mars le retour des vacanciers dans leurs foyers, laissant les professionnels sans activité. Au-delà des salariés des stations de ski, c'est la vie économique de territoires entiers qui se trouve mise à l'arrêt, sans compensation, puisque la fermeture n'a pas été contrainte par l'administration : comment allez-vous tenir compte de cette situation spécifique ?

M. Olivier Henno . - Si nous examinions un PLFRSS aujourd'hui, quelle progression de l'Ondam proposeriez-vous ?

Le Gouvernement présente des chiffres vertigineux pour la dette, mais le coût de l'endettement n'augmente pas grâce à la solidité de l'euro et au maintien de taux bas? Si ce n'était pas le cas, comme cela s'est produit à d'autres périodes, nos réserves de change auraient fondu. Ce facteur est décisif, ce qui fait nous interroger : avez-vous toute confiance dans la solidité de l'euro et le maintien de taux bas ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Le tourisme est effectivement un secteur très touché, et pas seulement dans l'immédiat, vous avez raison. On doit également tenir compte de la diversité des situations que connaissent les agriculteurs : certains peuvent s'adapter, d'autres pas du tout, selon les productions, les circuits de distribution, la consommation... Au-delà des allégements de charges et des mesures de chômage partiel que nous prenons aujourd'hui pour parer au plus urgent, la réponse que nous apporterons relève du plan de relance. Nous travaillons sur de nombreuses pistes, avec des mesures sectorielles précises. Il ne m'appartient pas de les présenter ici. Du reste, le Président de la République réunira les acteurs du tourisme vendredi prochain.

Ce que l'on a qualifié de « Pacte de Cahors », qui encadrait contractuellement les objectifs de dépenses des collectivités locales, est révolu : la contrainte est levée. Le département est effectivement la collectivité la plus directement touchée par les conséquences sociales de la crise, qui vont se développer dans les mois à venir d'autant que, vous l'avez dit, les recettes des départements vont diminuer, parce qu'elles sont directement liées aux impôts de production et aux droits de mutation. L'État s'est déjà fortement engagé sur le terrain social, sans le clamer haut et fort, par exemple en prolongeant tous les dispositifs dont bénéficiaient des personnes arrivées en fin de droits, et ce pour ne pas pénaliser ces personnes en temps de crise. Les départements auront des solutions à trouver, nous devrons y travailler. J'aurai prochainement un échange sur le sujet avec Dominique Bussereau.

Les collectivités territoriales sont loin d'être toutes dans la même situation, et si certaines sont affectées très directement par la crise, d'autres ne le sont guère. Elles disposent, globalement, de 40 milliards d'euros de trésorerie. Nous avons maintenu les dotations et une partie de la fiscalité locale est dynamique - nous y avons travaillé ces dernières années. On ne saurait donc parler des collectivités comme d'un ensemble homogène pour lequel tout irait mal : certaines se portent bien, et il existe des différences très importantes entre les types de collectivités et entre les territoires, selon leurs caractéristiques, les entreprises qui s'y trouvent, leurs équipements. Un indicateur de la situation actuelle : au total, à peine 40 communes sur plus de 35 000 ont demandé des avances de trésorerie à l'État, ce qui est très peu et même moins qu'à l'ordinaire. Les collectivités territoriales jouent le jeu, les communes en particulier. C'est tout à fait leur rôle et, je le rappelle, les maires sont aussi des agents de l'État, dotés de responsabilités publiques, fonctions auxquelles s'ajoutent celles qu'ils tirent de leur légitimité d'élus et de leurs organes délibératifs, ce qui leur permet d'aller plus loin.

Nous prévoyons des primes pour les professionnels hospitaliers. Vous me dites, madame Cohen, qu'il vaudrait mieux augmenter les salaires, mais le Président de la République envisage aussi cette piste, comme il l'a explicitement indiqué. Je crois que nous avons effectivement une différence d'analyse : vous appelez à taxer davantage, je dis que cela revient à surfiscaliser.

Les stations de sports d'hiver ont été arrêtées, avec toutes les difficultés que cela pose, mais cela s'est produit plutôt à la fin de la saison. Je n'établis pas de hiérarchie dans les difficultés, mais la comparaison est possible avec les secteurs qui sont touchés de plein fouet en pleine saison, voire sur toute leur saison. La fermeture n'a pas été administrative ? Certes, mais les stations de ski ne sont pas seules dans ce cas : voyez les hôtels que personne n'a obligé à fermer, mais qui ont dû le faire, faute de clients. Le critère de l'aide, me semble-t-il, est moins administratif qu'économique et social. L'aide sera versée à ceux qui ont le plus de difficultés.

Monsieur Henno, si nous devions fixer une progression de l'Ondam aujourd'hui, nous anticiperions une hausse de 6,5 %, soit bien au-delà de ce que nous proposait le groupe communiste lors de l'examen du dernier PLFSS. Cependant, ce chiffre ne signifierait pas grand-chose, puisqu'il y a beaucoup de mouvements contraires dont on ne connaît pas encore l'ampleur. C'est pourquoi une loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait prématurée aujourd'hui.

Enfin, vous avez parfaitement raison de souligner que la stabilité de l'euro est décisive ; il faut le dire au moment où le sentiment antieuropéen est si fort. Il y a un débat de fond, stratégique, sur les conséquences de la dette : faudra-t-il, comme va le faire la Grande-Bretagne, rétablir la situation par de l'inflation au risque de ruiner une partie de son économie ou bien, comme l'ont déjà fait les États membres de l'Union européenne, stocker de la dette, bénéficier d'une inflation basse, mais au prix de certaines difficultés à lancer des politiques volontaristes et dispendieuses ? À l'intérieur même de la zone euro, il existe des différences : voyez les écarts de taux d'intérêt entre l'Allemagne et l'Italie ! Nous notons aussi que les traités européens sont assez souples et qu'ils nous permettent d'agir de manière souple. L'euro nous aide, il continuera de nous aider dans la gestion du stock de dettes. Et si le remboursement d'une dette ne peut constituer un projet de société, il ne faut pas perdre de vue que ne pas rembourser sa dette décrédibilise pour longtemps l'emprunteur... Il nous faudra collectivement y réfléchir, notre avenir commun en dépend.

M. Alain Milon , président. - Merci pour vos réponses. Je ne suis pas sûr que la T2A soit la seule cause des difficultés de l'hôpital. J'en veux pour preuve que les établissements psychiatriques ont aussi des problèmes, alors qu'ils ne sont pas à la T2A. Les difficultés actuelles relèvent d'un ensemble de facteurs, organisationnels, administratifs, venus de l'intérieur et de l'extérieur de l'hôpital, parmi lesquels on trouve, par exemple, la mauvaise application des 35 heures dans les établissements.

AUDITION DE M. YANN-GAËL AMGHAR,
DIRECTEUR DE L'AGENCE CENTRALE DES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE (ACOSS)

Mercredi 29 avril 2020

M. Alain Milon , président . - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), pour une audition consacrée au suivi des mesures d'urgence prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19.

Cette audition se tient en visioconférence et a été ouverte à la presse.

Notre commission entend chaque année, à cette période, l'Acoss, le plus souvent dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), pour faire un point de situation sur les comptes de la sécurité sociale de l'année écoulée. Aujourd'hui, cette audition se déroule évidemment dans le cadre particulier de cette crise, juste après les annonces du Premier ministre, hier, à l'Assemblée nationale.

Cette audition a pour objectif de compléter l'information de la commission sur trois points principaux.

Le premier, c'est la façon dont l'Acoss s'est adaptée au cours de cette période pour faire face à ses missions de recouvrement et de trésorerie des branches de la sécurité sociale et d'autres assurances sociales.

Le deuxième, c'est le détail des mesures prises en faveur des cotisants, dans une période où des pans entiers de l'économie sont quasiment à l'arrêt.

Enfin, nous souhaiterions connaître l'impact de cette crise sur les comptes sociaux pour les différentes branches. Au cours de son audition devant notre commission la semaine dernière, le ministre de l'action et des comptes publics, M. Darmanin, nous a annoncé un déficit prévisionnel vertigineux de 41 milliards d'euros. Vous nous direz ce que recouvre exactement ce montant.

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale . - Pour ce qui concerne l'adaptation des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) au contexte de pandémie, nous étions préparés à deux titres.

D'une part, nous avions élaboré, en anticipation de la pandémie H1N1, un plan de continuité de l'activité, régulièrement mis à jour depuis lors ; cela nous avait permis d'identifier les activités à maintenir en toute hypothèse, celles qu'il fallait maintenir dans un mode dégradé et celles qui pouvaient être purement et simplement arrêtées.

D'autre part, nous avions largement promu le télétravail dans le réseau. Ainsi, 45 % des agents de l'Acoss étaient déjà en télétravail et nous étions même allés au-delà pendant les grèves de l'automne dernier.

À partir de la semaine du 24 février, constatant que la situation évoluait rapidement en Italie, nous nous sommes préparés au scénario du pire : le passage de tous les agents en télétravail. Nous avons donc équipé tous les collaborateurs en matériel permettant le télétravail et nous avons mis en place un dispositif permettant à ceux n'ayant pas d'ordinateur portable au bureau de se connecter à distance avec leur ordinateur personnel.

Nous avons donc pu passer très rapidement au télétravail quasi généralisé, avec trois jours de rodage en début du confinement. Ainsi, sur les 16 000 collaborateurs du réseau, il y a chaque jour entre 13 000 et 14 000 collaborateurs connectés pour travailler à distance. L'écart entre ce nombre et le total des 16 000 salariés correspond aux agents qui ne peuvent pas travailler à distance - ils vivent dans une zone blanche ou n'ont pas le matériel, mais cela ne concerne que quelques centaines de personnes - et aux salariés en congé ou en arrêt maladie.

L'essentiel du travail se fait donc à distance, y compris l'accueil téléphonique. C'est important, car nous avons, dans le cadre de cette crise, un grand nombre d'appels de nos différents publics : entreprises, travailleurs indépendants, particuliers indépendants ou salariés à domicile. Nous avons immédiatement identifié que l'accueil téléphonique était une activité centrale.

Les contrôles s'étant interrompus, nous avons réorienté le personnel concerné vers d'autres activités. Les inspecteurs traitent donc des appels téléphoniques des clients ; cela n'allait pas de soi, mais les collaborateurs ont fait preuve d'un grand sens de la solidarité. La présence sur site est uniquement maintenue pour les activités qui ne peuvent se faire à distance : l'édition des courriers que nous envoyons à nos publics - nous en avons réduit les volumes - et le traitement des courriers que nous recevons, sachant que les volumes se sont également réduits, car nos interlocuteurs ont réalisé que ce n'était pas le canal de communication le plus efficace. Ainsi, notre présence sur site est très réduite ; l'activité assurée en télétravail est quasi généralisée.

Nous préparons maintenant l'après-11 mai, en tenant compte du plan annoncé par le Premier ministre hier. La continuité de service est donc assurée.

J'en viens aux mesures d'accompagnement de l'économie. Ces mesures sont inédites par leur ampleur et les possibilités offertes. Ce qui a été mis en place est singulier : il s'agit d'un report de cotisations sans majoration de retard et sans demande classique de délai de la part des cotisants ; en outre, les reports portent aussi sur les cotisations salariales, ce qui n'est pas habituel.

Le fonctionnement de ce report est différent pour les employeurs et pour les indépendants.

Pour les employeurs, en temps normal, le paiement se fait sur l'initiative des cotisants, par virement ou par ordre de prélèvement lors de la déclaration sociale nominative, (DSN). Il faut donc que l'employeur accomplisse une action pour payer, pour payer moins ou pour ne pas payer les cotisations. Les reports de paiement proposés par le Gouvernement se traduisent par une démarche simple pour l'employeur : celui-ci ajuste le montant des déclarations qu'il peut payer, sans passer par la demande de report.

Cela a exigé de nous une certaine agilité, car l'échéance des employeurs est fixée au 5 ou au 15 de chaque mois ; or l'intervention du Président de la République a eu lieu le 12 mars au soir, peu de temps avant le 15, qui était, en outre, un dimanche. Il a donc fallu fournir l'information aux employeurs qui avaient, pour 85 % d'entre eux, déjà donné leurs ordres de paiement, sans compter que la situation économique a pu se dégrader rapidement. Nous avons donc accordé un délai d'une semaine pour modifier ou pour annuler l'ordre de paiement du 15 mars. Nous avons eu, pour les échéances des 5 et 15 avril, plus de temps de pour agir.

Le montant des cotisations reportées représente, pour le 15 mars, entre 3,7 et 3,9 milliards d'euros et, pour les trois dernières échéances, 11,5 milliards d'euros.

Pour les indépendants, le dispositif est différent. Les seules personnes concernées sont celles qui paient par prélèvement mensuel automatique. Nous avons reporté automatiquement les échéances pour tout le monde, en invitant ceux qui ne voulaient pas se créer de dette vis-à-vis de l'Urssaf à payer spontanément par virement. Les mesures de report représentent, pour les trois échéances, 1,6 milliard d'euros.

Voilà pour le volet le plus massif, les reports de cotisations. C'est un canal de soutien à l'économie, qui présente l'avantage de la réactivité, de la rapidité de mise en oeuvre. En effet, au total, depuis le 13 mars, 13 milliards d'euros de trésorerie ont été injectés dans l'économie.

Nous avons reçu des travailleurs indépendants - public touché le plus rapidement par la crise, car ses rentrées financières sont passées à zéro du jour au lendemain tout en devant continuer d'assumer ses charges d'exploitation - des sollicitations très inquiètes ; nous avons donc mis en place trois autres types de mesures.

Il y a tout d'abord le Fonds de solidarité, administré par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), dont la vocation est de compenser les pertes de chiffre d'affaires, ainsi que, au sein de l'Urssaf, l'action sociale pour les travailleurs indépendants actifs, héritée de l'ancien régime social des indépendants (RSI). Cette action a été orientée vers des aides directes pour les travailleurs indépendants non éligibles au Fonds de solidarité, leur baisse de chiffre d'affaires étant inférieure à 50 %. Ce dispositif complémentaire du Fonds est activé, mais nous disposons d'une enveloppe financière limitée - 40 millions d'euros sur
l'année -, donc nous ciblons les publics les plus en difficulté.

Nous assurons ensuite, comme opérateur, la mise en oeuvre d'un autre dispositif : l'aide décidée par le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSI), regroupant les organisations professionnelles des travailleurs indépendants, qui gère le régime de retraite complémentaire des artisans et commerçants. Cet organisme a décidé, avec l'accord du Gouvernement, d'instaurer une aide équivalente au montant des cotisations retraite complémentaire payées en 2018, dans la limite de 1 250 euros. Cela représente une aide de 1 milliard d'euros, qui bénéficie à 1,3 million de travailleurs indépendants pour un montant moyen de 750 euros. Cette aide a déjà été versée aux artisans et commerçants dont nous avons les coordonnées bancaires ; cela représente les deux tiers, soit 900 000 personnes. Nous sommes en train de recueillir les coordonnées bancaires de ceux dont nous n'en disposions pas.

Enfin, dernier volet d'accompagnement de l'économie, celui qui est destiné aux salariés à domicile, puisque nous intervenons auprès de ce secteur au travers du chèque emploi service universel (CESU) et du service d'aide pour la prestation d'accueil du jeune enfant (Pajemploi). Le Gouvernement a élargi l'aide aux salariés à domicile. Nous avons mis en place un dispositif permettant aux particuliers employeurs de bénéficier du remboursement des heures rémunérées mais non travaillées par leur salarié. Nous avons reçu, pour mars, 485 000 demandes pour le CESU et 262 000 pour Pajemploi. Nous avons d'ores et déjà remboursé à des particuliers employeurs des sommes correspondant au chômage partiel de 360 000 salariés, pour un montant de 76 millions d'euros.

J'en viens aux chiffres annoncés par le ministre de l'action et des comptes publics. Comme nous calons nos estimations avec la Direction de la sécurité sociale, nos données sont cohérentes avec les prévisions du ministre. Néanmoins, sur ces 41 milliards d'euros, il y a des éléments de dépenses, que nous intégrons régulièrement dans notre profil de trésorerie -financement de Santé publique France ou avances aux établissements de santé - et des éléments de recettes.

Pour ce qui concerne les recettes, l'évolution de la masse salariale est passée d'une hausse de 2,4 % à une baisse de 7,5 %, soit une révision de 10 points ; c'est inédit. L'effet sur les cotisations dépasse 20 milliards d'euros. En outre, il faut tenir compte de l'impact sur l'affectation à l'Acoss de certaines recettes fiscales, comme la portion de la TVA qui souffre de la baisse de la consommation.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Pourriez-vous préciser l'ampleur de la baisse attendue de la masse salariale pour 2020 ? Cela permettrait de comprendre les différents facteurs de baisse de recettes prévues.

Vous commencez à avoir de la visibilité sur le comportement des entreprises de moins de 50 salariés concernées par le report de paiement des cotisations sociales depuis un mois et demi. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les employeurs ayant trop payé le 5 avril peuvent modifier leur déclaration. Quel sera le montant des régularisations, donc de moindres recettes, le 5 ou le 15 mai ?

Le plafond de découvert de l'Acoss, passé de 39 à 70 milliards d'euros, vous permettra-t-il de faire face aux prochaines échéances ?

Enfin, une question plus politique : quelles seraient vos suggestions par rapport à la transformation d'une partie des reports en annulations de cotisations ?

M. Jean-Noël Cardoux , président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale . - Tout d'abord, l'autorisation de découvert de l'Acoss a été portée à 70 milliards d'euros. M. Darmanin nous a indiqué que vous aviez atteint 45 milliards d'euros, mais le directeur de la Caisse nationale des allocations familiales nous a indiqué, la semaine dernière, que le fait d'avancer d'une journée le paiement des allocations familiales le samedi 4 avril, au lieu du lundi 6 avril, vous avait posé des difficultés de trésorerie. Quelle est donc la réalité de l'affirmation du ministre ? Si l'on transforme les reports en exonérations de charges, je doute que ce plafond soit suffisant ; il faudra probablement le réévaluer.

Ensuite, vous financez ce découvert par des emprunts à court terme. Quelle pourrait être la conséquence d'une remontée, même légère, des taux d'intérêt ? La reprise économique sera très lente. La productivité des entreprises sera considérablement réduite, ce qui entraînera une augmentation des prix, d'où des tensions sur les taux d'intérêt. Pourriez-vous simuler l'effet, sur vos prévisions, d'un dérapage d'un demi-point ou d'un point des taux d'intérêt ?

Enfin, le ministre a déclaré que, face à cette situation difficile, il ferait appel à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). En principe, la Cades doit expirer en 2023. Quelles solutions envisagez-vous pour financer votre dette à ce moment-là ? La prorogation de la Cades est-elle inévitable ?

M. Yann-Gaël Amghar, directeur . - Monsieur le rapporteur général, vous me demandez de distinguer l'impact « report » de l'impact « masse salariale ».

Il y a d'abord l'aspect comptable : que va-t-on retrouver in fine dans les résultats du régime général en 2020 ? En théorie, les reports n'ont pas d'impact, puisque les cotisations, même non encaissées, sont bien des produits, que l'on comptabilise comme tels, à charge pour nous de mettre en face des provisions pour créances douteuses. C'est vrai, la situation est exceptionnelle, vu l'ampleur et l'origine de ces créances, mais, en théorie, l'impact sur les comptes est limité. Il s'agit essentiellement d'un impact en trésorerie.

S'agissant de l'impact « masse salariale », il se voit à la fois dans les comptes - ce sont les 41 milliards d'euros évoqués par le ministre des comptes publics - et dans la trésorerie.

Côté comptes, on a surtout un impact « masse salariale » ; en trésorerie, on a un impact « report » et « masse salariale ».

Si sur un mois de mai classique, 10 % des salariés passent en activité partielle, cela ampute la masse salariale d'une année de 0,8 point, soit 1,7 milliard d'euros. Pour arriver aux 7,5 points de diminution de la masse salariale, cela signifie qu'environ 40 % des salariés du secteur privé sont en activité partielle pendant environ deux mois, en espérant revenir à un niveau d'emploi normal une fois ces deux mois passés. Au total, par rapport aux prévisions initiales, nous envisageons une baisse de 10 points, soit 22 milliards d'euros de réduction des recettes du régime général en 2020.

La comparaison entre le 15 mars et le 15 avril est intéressante dans ce qu'elle dit de l'évolution des comportements de paiement. En pourcentage, les reports sont passés de 40,2 % sur l'échéance du 15 mars à 43,6 % sur l'échéance du 15 avril. Il y a donc eu une légère dégradation du recouvrement. De manière générale, les reports sont très inégaux selon les secteurs, l'aggravation du taux de recouvrement étant plus marquée dans les secteurs qui sont plus touchés par cette crise. Ainsi, dans le secteur des transports, les reports se montaient à 47,2 % en mars, soit 7 points au-dessus de la moyenne, et ils ont progressé de plus de 9 points en avril, pour passer à 56,6 %. Côté hébergement-restauration, nous avions 64,5 % de reports sur le mois de mars, et nous sommes passés à 76,4 % en avril.

Il y a donc bien une tendance à l'aggravation, logiquement encore plus marquée dans les secteurs les plus touchés par la crise.

Monsieur le rapporteur général, vous m'interrogez également sur l'ampleur des corrections pouvant intervenir sur l'activité partielle. Cela représente évidemment un aléa négatif pour nos recettes et notre trésorerie. Du fait de la soudaineté de la crise, un certain nombre d'entreprises n'ont pas été en mesure de déclarer correctement leur niveau d'activité partielle. Nous savons que certaines grandes entreprises ayant eu recours de manière importante au travail partiel en ont déclaré très peu en avril, puisqu'elles pouvaient régulariser par la suite. Ce sont des phénomènes que nous avons anticipés, car nous avons eu très tôt de remontées nous faisant part de difficultés à régulariser la paie. L'activité partielle réelle a été, nous le savons, plus importante, ce qui se traduira par des corrections dans les déclarations de mai. Aujourd'hui, nous avons constaté une baisse de 10 % de l'assiette de mars, déclarée en avril, alors que nous attendions plutôt à 18 % ou 19 %. Il est difficile d'être plus précis à ce jour.

Concernant le besoin de financement de l'Acoss, il n'y a pas de risque de dépassement du plafond en mai. Nous sommes aujourd'hui sur un besoin de financement de 45 milliards d'euros, qui va se creuser après le paiement des pensions en mai à hauteur de 52 ou 53 milliards d'euros. Nous ne sommes donc pas encore au plafond de 70 milliards d'euros.

Il y a deux choses à distinguer : le plafond et la manière dont nous nous finançons. Il faut d'abord que nous ayons l'autorisation de nous endetter à la hauteur nécessaire, puis que nous trouvions les financements requis.

La situation à laquelle M. Mazauric a fait allusion début avril a trait non pas au plafond, qui venait d'être revu à la hausse, mais au financement des besoins. Début avril, les besoins de financement ont augmenté très rapidement et de manière imprévue, tandis que les marchés financiers étaient extrêmement perturbés, dans l'attente des mesures de la BCE, ce qui a occasionné des difficultés pour mobiliser les 4 à 5 milliards d'euros que supposait l'anticipation du paiement des prestations CAF trois jours plus tôt qu'habituellement. Vous l'avez compris, le sujet n'était donc pas le plafond.

Si l'on se projette au-delà de mai, on ne peut nier qu'il y a des aléas, que M. Darmanin n'a pas cachés. Il y a l'aléa sur la masse salariale, qui dépend du niveau de l'activité partielle et de la reprise de l'emploi. L'assiette des cotisations est liée à ces deux paramètres. Il y a également un aléa sur le rythme de récupération des cotisations reportées, qui dépend lui-même de l'évolution de la situation économique. Nous ne souhaitons évidemment pas contribuer à fragiliser l'économie en phase de redémarrage. Les incertitudes sont très fortes. Quoi qu'il en soit, nous resterons sous le plafond dans les prochaines semaines.

S'agissant des annulations, il s'agit de décisions politiques. En tant qu'opérateur chargé de la mise en oeuvre, et avec mon expérience du recouvrement, je peux rappeler deux principes. Le premier, c'est qu'il est capital qu'il n'y ait pas de différence de traitement entre les entreprises selon qu'elles ont, ou non, payé. Dans un secteur comme la restauration, si 65 % des entreprises n'ont pas payé en mars, cela veut dire aussi que 35 % ont payé. Il serait moralement terrible de traiter différemment ces deux catégories d'entreprises, ce qui créerait une incitation à ne pas payer. C'est ce principe d'équité, d'égalité en matière de concurrence, salvateur également pour le recouvrement, qui a été énoncé très clairement par le ministre des comptes publics. Le second principe, c'est qu'il faut que les critères du dispositif soient simples et facilement compréhensibles pour l'ensemble des entreprises. C'est essentiel pour les sécuriser.

Enfin, M. le président de la Mecss m'interroge sur les risques de taux. Aujourd'hui, l'Acoss se finance au taux dit Eonia, c'est-à-dire le taux de référence pour les emprunts à court terme, les taux variant selon les maturités, avec une marge qui dépend des véhicules de prêt. Le taux de base ne devrait pas beaucoup évoluer grâce à la politique très accommodante de la BCE. Le seul aléa porte sur la marge, mais le risque est faible aujourd'hui. Nous pouvons donc nous endetter à des taux négatifs dans la plupart des cas. Sur l'année, nos charges de produits financiers devraient être proches de zéro. L'an passé, la situation était assez atypique, et notre dette nous rapportait environ 120 millions d'euros par an. Le coût n'est donc pas un problème à ce jour. Il est toujours possible de se livrer à des exercices théoriques : si on applique un renchérissement d'un point sur 70 milliards de dette, cela représente 700 millions d'euros de plus sur une année. Aujourd'hui, on n'est pas du tout sur ce type d'évolution des taux d'intérêt.

En revanche, nous devons être vigilants sur l'accès aux liquidités. Vous l'avez rappelé, notre dette est essentiellement financée sur des instruments de court terme, ce qui peut nous exposer à des risques si nous nous trouvions dans l'impossibilité, à un moment donné, pendant 15 jours ou trois semaines, de trouver des liquidités sur le marché. Le problème n'est pas tant dans le coût, la dette Acoss coûtant moins cher que la dette Cades, que dans la sécurisation.

La reprise de dette de la Cades est un sujet plus politique. Je ne me sens pas autorisé à me prononcer sur des arbitrages qui relèvent du Gouvernement et de la représentation nationale. Ce qui est très probable, vu les niveaux, c'est que la dette que connaîtra l'Acoss en 2020, devra être reprise par la Cades, et ce avant 2023. Le Gouvernement l'a évoqué au moment du relèvement du plafond. La manière dont cette reprise devra être gagée dans le cadre d'un contrat organique, soit par un allongement de la durée, soit par une augmentation des prélèvements, relève d'un arbitrage purement politique. En tout cas, une décision s'imposera compte tenu des montants en jeu.

Mme Catherine Deroche . - Concernant la branche maladie, nous avons reçu l'avis du comité d'alerte le 15 avril, qui dressait le bilan pour 2019, mais il est bien évident que le PLFSS pour 2020 est remis en question eu égard à la situation. Il y a eu une importante baisse d'activité des cabinets libéraux et des établissements hospitaliers privés. En parallèle, nous avons assisté à une activité exceptionnelle dans d'autres secteurs, à l'achat de matériels, à des indemnités journalières, à la revalorisation salariale des personnels, etc. Le Gouvernement ne nous a pas annoncé de PLFSS rectificatif, M. Darmanin préférant s'en tenir au calendrier prévu pour l'automne. Pour ma part, je le regrette, car le projet de loi de financement pour 2021 traitera exclusivement de la crise sanitaire et nous allons encore botter en touche sur un certain nombre de problématiques, notamment l'innovation. J'aimerais avoir votre avis sur ce point.

Quid de la compensation pour les cabinets libéraux, que ce soient les médecins, les orthophonistes, les dentistes, les kinés, ou même les pharmaciens ? Ils ne relèvent pas du fonds de solidarité, mais d'autres dispositifs, qui ne correspondent pas toujours à leur situation. Ainsi en est-il de ceux qui font de la rééducation, et qui facturent des actes antérieurs au confinement. De ce fait, la comparaison mois à mois entre 2019 et 2020 ne leur permettra pas d'être éligibles. Avez-vous des pistes sur ces modalités de compensation des pertes d'exploitation dans le secteur de la maladie ?

Mme Laurence Cohen . - Le report de cotisations sociales se fait indifféremment dans les grandes ou les petites entreprises. Certes, il va y avoir une déflagration économique pour tous, mais il y a une différence entre les TPE/PME et les grands groupes, qui ne vont pas subir la crise de la même façon. Or, les règles de report sont les mêmes puisqu'il suffit d'une demande de l'entreprise pour en obtenir un. On le sait, certains grands groupes profitent de la situation. En tout cas, c'est un véritable choc pour notre système de sécurité sociale. Comment l'Acoss va-t-elle gérer cette perte de cotisations d'environ 36 % ? Allez-vous devoir emprunter sur les marchés financiers, à quels taux et auprès de quels organismes ? Le groupe du CRCE a fait des propositions, qui ont toutes, hélas, été rejetées. On voit que les solutions retenues conduisent à de fortes injustices.

Enfin, nous souhaitons un PLFSS rectificatif. Cette proposition fait consensus à la commission des affaires sociales, mais pas au-delà.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Le Gouvernement a demandé aux particuliers employeurs de maintenir les salaires des aides à domicile à 80 % pendant la crise. L'Acoss a mis en place un dispositif afin de tenir compte des effets de l'épidémie sur l'activité de ces personnes. Le Gouvernement vient d'annoncer qu'à partir du 25 avril, les particuliers employeurs vont pouvoir entamer les démarches pour se faire rembourser. Monsieur le directeur, vous avez déjà remboursé les paiements effectués au profit de 360 000 salariés à domicile, pour un montant de 76 millions d'euros. Comment vont-être rémunérés les salariés de l'aide à domicile à partir de ce jour ? Seront-ils toujours pris en charge par les employeurs ou vont-ils basculer en chômage partiel ? Ce dernier sera-t-il pris en charge par l'État ? Comment vont faire les salariés de l'aide à domicile dont le salaire n'a pas été maintenu ? Vers qui peuvent-ils se retourner ? Nous estimons qu'il faut rémunérer à 100 % en chômage partiel tous les salariés à domicile.

Enfin, je suis favorable à une interdiction de versement de tous dividendes dans les grandes entreprises.

Mme Michelle Gréaume . - « Protéger, tester, isoler » : c'est sur ce triptyque que le Premier ministre a basé son plan de déconfinement, dévoilé hier. Un dépistage massif sera mis en place, avec la création de brigades chargées de tester, tracer, contacter tous ceux qui auront eu un contact avec la personne testée positive. Monsieur le directeur, vous avez déclaré être dépositaire d'un patrimoine de données qui s'est fortement enrichi avec le déploiement de la déclaration sociale nominative (DSN), ce qui vous permet de récupérer des informations sur chaque salarié. Pour rappel, la DSN est issue de la dématérialisation entamée par l'État afin d'alléger les procédures administratives. Ce sous-produit de la fiche de paie donne des indices sur la vie en entreprise d'un salarié, tels que la maladie, la maternité, le changement d'un élément du contrat de travail, etc. Elle est devenue obligatoire le 1 er janvier 2017. Bien entendu, ce n'est pas votre seule source de connaissances. Les données produites par l'Acoss proviennent également des informations collectées par les Urssaf auprès des entreprises et de l'analyse économique du territoire français. Ces données sont mises à disposition des chercheurs et universitaires. Sachant que de nombreuses personnes cumulent plusieurs emplois salariés chez différents employeurs, et que certaines exercent une activité en tant qu'indépendant, en plus d'un poste salarié, les données collectées par l'Acoss peuvent-elles permettre à des entreprises de l'Open Data de mettre en place un traçage des personnes malades ? Est-il prévu une organisation spécifique de collaboration avec les futures brigades mises en place, ne serait-ce que pour vérifier si la personne testée positivement n'avait pas un autre emploi ?

Mme Frédérique Puissat . - Ma première question a déjà été posée par Jean-Noël Cardoux mais j'ai le sentiment que vous n'y avez pas totalement répondu : le versement des prestations sociales avancé de quelques jours, début avril, vous a-t-il posé des difficultés ? Serait-il envisageable de renouveler l'opération en mai, étant donné que La Poste, qui a certes rouvert un certain nombre de ses bureaux, devra gérer les ponts du 1 er et du 8 mai ?

Ma deuxième question porte sur les indépendants. Vous avez évoqué deux dispositifs. Le premier a été mis en place par le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), les sommes étant versées par l'Acoss. Le deuxième, le fonds de solidarité, dépend de l'État ; c'est la DGFiP qui est chargée des versements.

Concernant le premier fonds, le CPSTI, qui en demandait la création, a eu du mal à obtenir satisfaction. Pouvez-vous nous donner une évaluation des sommes versées jusqu'à présent au titre de ce fonds ? Et celui-ci est-il renouvelable pour mai ?

Quant au fonds de solidarité, je crains que, dans la panique, beaucoup d'indépendants y aient fait appel sans y avoir toujours droit. Des sommes, qui devront être rappelées, ont donc été versées à tort à un certain nombre d'indépendants qui seraient en revanche éligibles au fonds du CPSTI. Existe-t-il des passerelles entre les deux fonds permettant, le cas échéant, de rectifier le tir de façon rétroactive ?

M. Yves Daudigny . - Dans vos propos, monsieur le directeur, la technique se mélange très souvent à la politique.

Le cataclysme économique a donné lieu au relèvement à 70 milliards d'euros du plafond de l'Acoss. Vous avez indiqué que, du fait des taux très bas sur les emprunts à court terme, l'Agence remplissait facilement son rôle en matière de trésorerie. Mais cette facilité de financement n'est-elle pas illusoire ? Au bout du compte, il faudra bien transférer la dette de l'Acoss à la Cades. Ne faisons-nous pas que masquer et reporter la difficulté ?

Enfin, quand vous parlez d'emprunts à court terme, à quelle durée faites-vous référence ?

M. Yann-Gaël Amghar, directeur . - Madame Deroche, c'est la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) qui réalise les prévisions de dépenses que nous intégrons dans notre profil de financement de trésorerie. Selon les données dont je dispose, certaines dépenses ont diminué, comme les dépenses de ville, tandis que d'autres ont très fortement augmenté, comme les versements d'indemnités journalières, le financement de Santé publique France au titre des commandes de masques et l'accompagnement des établissements de santé dans la mise en oeuvre des mesures salariales exceptionnelles. Tout cela se traduit par une révision des dépenses de l'assurance maladie.

Concernant la compensation des pertes pour les professionnels de santé libéraux, le dispositif est en cours d'élaboration et de négociation par l'assurance maladie. Il s'agit de compenser une perte d'activité ; or nous savons tenir compte du décalage entre le moment où un acte est effectué et le moment où les recettes afférentes sont encaissées. Nous demandons aux professionnels de déclarer leurs pertes d'activité, et non leurs pertes d'encaissement, afin de prendre en compte le fait qu'un acte de soins réalisé en février peut donner lieu à une facture encaissée en mars.

Le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est un débat de nature en partie juridique, la question étant de savoir si les dispositions qui pourraient être adoptées relèvent d'un monopole de la loi de financement, sachant en outre qu'il n'y a eu que deux collectifs depuis la création des LFSS. La décision sera donc avant tout de nature politique.

Madame Cohen, il est vrai que, tant juridiquement qu'opérationnellement, le dispositif d'accès au report des cotisations sociales ne diffère pas vraiment selon la taille de l'entreprise. Mais, dans certains secteurs, même les grandes entreprises peuvent être confrontées à de grandes difficultés. Par ailleurs, des dispositions ont été prises pour garantir que ces reports bénéficient aux entreprises qui en ont besoin. Avant chaque échéance, les Urssaf démarchent les « grands comptes » pour connaître leurs intentions de paiement et leur rappeler que les reports sont destinés aux entreprises en difficulté.

Le Gouvernement a également décidé que les grandes entreprises demandant un report devaient s'engager à ne pas verser de dividendes et à ne pas procéder à des rachats d'actions en 2020. Nous vérifierons que cet engagement a été respecté et tirerons de ce suivi les conséquences qui s'imposent. S'il y a report et versement de dividendes, la règle est l'application des majorations et des pénalités de retard et la mise en recouvrement des sommes reportées. Quant au cadre général, il consiste à reporter automatiquement de trois mois l'échéance non payée, ce qui ne veut évidemment pas dire que nous exigerons des entreprises qu'elles soldent l'intégralité du report une fois ce délai écoulé - nous sommes plutôt en train de transformer ces reports en échéanciers.

De fait, nous constatons que les comportements de report ne sont pas les mêmes selon la taille des entreprises. Sur l'échéance du 15 avril, qui concerne essentiellement des entreprises de moins de 50 salariés, plus de 43 % des cotisations ont été reportées ; sur l'échéance du 5 avril qui concerne de plus grandes entreprises, ce chiffre tombe à 32 %, et à 21 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés.

Comment finançons-nous tout cela ? Notre plafond d'emprunt a été relevé, et nous finançons l'augmentation de notre dette sur les marchés en émettant des titres de trésorerie qui sont achetés par différents investisseurs. Nous recourons par ailleurs à des prêts bancaires auprès de nos partenaires historiques, et trouvons des solutions de financement avec divers établissements bancaires français.

Concernant l'aide à domicile, madame Apourceau-Poly, le Gouvernement a annoncé ce matin la reconduction pour avril du dispositif mis en place pour mars - les chiffres que j'ai donnés portaient sur cette dernière période d'emploi. Les déclarations ont d'ores et déjà commencé et se poursuivront jusqu'au 15 mai.

Comme c'est la règle pour les salariés « classiques », l'indemnité de chômage partiel est versée au salarié à domicile par l'employeur, auquel nous remboursons les sommes correspondantes. Quant aux règles de prise en charge, là aussi, comme pour les employeurs classiques, le remboursement correspond à 80 % du salaire net du salarié, l'employeur ayant la possibilité de maintenir 100 % du salaire en complétant les sommes remboursées.

Que se passe-t-il si l'employeur décide de ne pas maintenir le salaire ? On entre dans le domaine du droit du travail : pour l'emploi à domicile comme pour tout emploi, à partir de 8 heures de travail par mois, le CDI est la règle, même en l'absence de rédaction d'un contrat de travail explicite. Il y a donc obligation pour l'employeur de continuer à assurer la rémunération, soit en maintenant le salaire soit en recourant à l'activité partielle - je répète que l'Acoss n'est pas chargée du versement du salaire. Si un employeur cesse de rémunérer son employé à domicile, cette situation relève de la rupture du contrat de travail, donc, éventuellement, du contentieux prud'homal.

Madame Gréaume, pour ce qui est de l'utilisation de nos données, elles portent sur les salaires et sur l'emploi. Elles ne sont pas vraiment mobilisables pour assurer le traçage des personnes malades ; nous n'avons d'ailleurs pas été sollicités en ce sens. Si l'on veut savoir avec qui une personne malade a été en contact, il est probablement plus facile de lui demander directement quels sont ses collègues de travail que d'utiliser nos données pour connaître l'intégralité des personnes travaillant dans le même établissement.

J'en viens, madame Puissat, à la décision d'avancer de trois jours, début avril, le versement des 4 à 5 milliards d'euros de prestations sociales à payer. Notre financement a été difficile juste après le 16 mars, les besoins augmentant fortement et les marchés étant très perturbés. Cela a supposé de mettre en place des solutions dans un délai extrêmement court. Nous avons réussi à mobiliser rapidement nos partenaires, à commencer par la Caisse des dépôts.

Une telle formule a-t-elle vocation à se renouveler ? Il faudrait pour cela de bonnes raisons. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ou la Banque postale en parleraient mieux que nous, mais le contexte prévalant début avril était assez spécifique : le 5 tombant un dimanche, la date de versement était déjà différée d'un jour pour les allocataires, et le nombre de guichets ouverts réduit. En mai, l'échéance du 5 tombera un mardi, et je ne suis pas certain qu'il y ait un intérêt à avancer le paiement des prestations du mardi au lundi, d'autant que le nombre de guichets ouverts par le réseau de La Poste a augmenté depuis la dernière échéance.

Concernant les travailleurs indépendants, l'aide CPSTI représente 1 milliard d'euros au total, dont 700 millions ont déjà été alloués, le reste étant versé à mesure que les personnes dont nous n'avons pas les coordonnées bancaires nous les communiquent.

Il n'y a pas d'interaction entre cette aide et le fonds de solidarité de la DGFiP, les conditions d'ouverture des droits étant, de part et d'autre, très différentes. L'aide CPSTI est égale aux cotisations de retraite complémentaire payées par les artisans-commerçants en 2018 ; le fonds de solidarité, lui, couvre une perte de chiffre d'affaires. L'aide CPSTI est par ailleurs défiscalisée et désocialisée ; elle est sans conséquence sur l'éligibilité au fonds de solidarité. S'agissant des modalités de régularisation, la DGFiP vous répondra mieux que moi ; il est possible qu'il y ait des contrôles a posteriori.

L'aide CPSTI est financée par un prélèvement sur les réserves du régime de retraite des artisans-commerçants. Le Gouvernement a accepté cette opération du fait de la crise. Mais, en la matière, tout est question d'arbitrage entre la préservation des ressources futures des retraités et le versement aux actifs. Par ailleurs, ces réserves sont actuellement investies dans des placements plus ou moins liquides, dans l'immobilier ou en actions par exemple ; or ce n'est sans doute pas le moment de vendre... Une aide de ce type suppose de choisir, parmi les réserves, celles qu'il est possible de vendre sans pertes importantes pour le régime. Ce dispositif, abondé à hauteur d'un milliard d'euros, n'est donc pas renouvelable à l'infini.

Monsieur Daudigny, mon propos n'est certainement pas de dire que la dette qui se constitue actuellement pourra être logée indéfiniment dans les comptes de l'Acoss. En revanche, il me semble que nous devons être plus attentifs aux liquidités qu'aux taux. Notre dette est de court terme, qu'il faut renouveler régulièrement : nous devons chaque jour réémettre des titres sur les marchés financiers, ce qui nous expose davantage en cas de problème de liquidité sur lesdits marchés. Autre limite : le marché du financement à court terme n'est précisément pas sans limite. Notre signature est bonne, notre notation excellente ; mais la demande de titres de dette à court terme n'est pas extensible à l'infini. Vu le caractère exceptionnel des montants en jeu, il sera donc nécessaire - le Gouvernement l'a annoncé - de recourir à la Cades pour transformer cette dette de court terme en dette de plus long terme.

Juridiquement, nous n'avons pas le droit d'émettre des titres d'une maturité supérieure à 364 jours. Depuis début avril, 70 % de nos émissions de marché quotidiennes concernent des titres dont la maturité est supérieure à 30 jours ; corrélativement, cette maturité est inférieure à 30 jours pour 30 % de nos émissions. Le renouvellement est donc très important, ce qui peut poser un problème de liquidité et supposera, le moment venu, de passer sur du plus long terme.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 8 juillet 2020, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la situation et la perspective des comptes sociaux.

M. Alain Milon , président . - Notre réunion se tient, pour la dernière fois, en visioconférence. Je salue nos collègues connectés pour l'examen du rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la situation et la perspective des comptes sociaux.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Comme chaque année, la Mecss m'a confié la charge de commettre un rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de l'exercice écoulé. Cette année, le contexte apparaît, bien entendu, particulier et les chiffres de 2019 ne présentent déjà plus qu'un intérêt historique, tant la crise sanitaire a bouleversé notre pays, notamment son système de santé et de protection sociale. Néanmoins, ce coup d'oeil dans le rétroviseur nous permettra d'apporter des éclairages qui pourraient s'avérer utiles pour l'avenir, notamment s'agissant de la politique de compensation des diminutions de recettes de la sécurité sociale. Ensuite, je vous exposerai la situation des comptes sociaux à la moitié de l'année 2020.

En 2019, le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) affichent un déficit consolidé de 1,9 milliard d'euros, proche du résultat de 2018, mais qui mérite analyse.

Tout d'abord, il s'agit d'un déficit, alors que la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2019 prévoyait, au moins sur ce périmètre, un retour à l'équilibre des comptes avec un excédent de 0,1 milliard d'euros.

Ensuite, l'exercice 2019 s'est caractérisé par la rupture d'une trajectoire continue d'amélioration des comptes sociaux depuis dix ans. Depuis le déficit record de l'année 2010, qui s'établissait à 28 milliards d'euros, il n'avait cessé de se résorber jusqu'à atteindre 1,2 milliard d'euros en 2018. Le résultat de 2019 apparaît donc comme une dégradation.

Enfin, il est intéressant de se pencher sur les causes de ce résultat. Contrairement aux anticipations de l'automne dernier, l'évolution spontanée des recettes a été très favorable. Elle s'est établie à 3,4 %, ce qui aurait pu porter le niveau des recettes du régime général et du FSV à 408 milliards d'euros, contre 394,6 milliards d'euros en 2018. Mais, comme le résume la Cour des comptes, les mesures nouvelles ont entraîné une diminution de 5,4 milliards d'euros de cette prévision, en raison, essentiellement, des mesures de non-compensation de la LFSS de 2019 et de la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales, pour un montant de 4,3 milliards d'euros, mais aussi d'un déficit d'environ 1,2 milliard d'euros sur les mesures compensées. De ce fait, les recettes n'ont finalement progressé que de 2 % entre 2018 et 2019.

Si les principes de la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite loi Veil, avaient été respectés, le régime général et le FSV auraient enregistré un excédent de 2,4 milliards d'euros l'année dernière, voire de 3,6 milliards d'euros avec un meilleur calibrage des mesures compensées.

Pour ce qui concerne les dépenses, on relèvera que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), fixé à 200,3 milliards d'euros en LFSS de 2019, a été exactement respecté en exécution. Ce montant représente une hausse de 2,6 % par rapport à l'Ondam exécuté en 2018. Les dépenses de la branche vieillesse, à 137,1 milliards d'euros sur le périmètre du régime général, ont également affiché un certain dynamisme avec une croissance de 2,6 %, malgré le fort effet modérateur de la limitation à 0,3 % de l'indexation des pensions. Le flux de nouveaux retraités s'est réduit, en passant de 648 000 nouveaux pensionnés en 2018 à 618 000 en 2019, en raison d'une légère augmentation de l'âge moyen de départ à la retraite et d'une progression de la pension moyenne sous l'effet des flux de nouveaux pensionnés.

Sur l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss), périmètre qui inclut les régimes autres que le régime général, la tendance est identique, d'autant que la plupart des régimes spéciaux bénéficie d'une subvention d'équilibre. Le déficit s'établit ainsi à 1,7 milliard d'euros. L'écart de 200 millions d'euros avec le régime général provient principalement d'un excédent de 0,4 milliard d'euros de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), grâce à des charges de compensation démographiques moins élevées, et du déficit de 0,7 milliard d'euros de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

Enfin, les administrations de sécurité sociale (ASSO) ont enregistré, en comptabilité nationale, un excédent de 14 milliards d'euros. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) en constitue le principal moteur, son excédent correspondant au capital qu'elle amortit chaque année, soit 15,9 milliards d'euros en 2019.

Les régimes complémentaires de retraite ont, pour leur part, enregistré un excédent de 3,3 milliards d'euros, tandis que l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic), avec un déficit de 2,1 milliards d'euros, n'est toujours pas parvenue à l'équilibre. Compte tenu de la conjoncture, la situation devrait encore s'aggraver.

Vous trouverez dans le rapport écrit une analyse de certaines mesures des LFSS de 2018 et 2019. Je citerai, en particulier, la recomposition des recettes de la sécurité sociale et de certaines autres ASSO, à la suite de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du crédit d'impôt de taxe sur les salaires (CITS) en diminutions de cotisations et de contributions sociales, de la suppression des cotisations salariales chômage et du transfert à l'État de trois prélèvements sur le capital. Ce mécanisme a conduit à augmenter d'environ 36 milliards d'euros la fraction de TVA perçue par la sécurité sociale. Désormais, elle représente quelque 26 % du produit de la TVA. En somme, même sans instauration d'une TVA sociale, on observe une socialisation croissante de cet impôt.

Je me suis également intéressé au soutien exceptionnel aux entreprises mis en place dans les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après l'ouragan Irma, du fait des similitudes qu'il présente avec le dispositif envisagé sur tout le territoire en réponse à la crise actuelle. Étaient notamment prévus un moratoire sur les cotisations et les contributions sociales et, le cas échéant, un abandon partiel de dettes. À partir des dispositions assez souples des LFSS de 2018 et 2019, les textes d'application ont réservé l'abandon total des créances aux cotisants dont le chiffre d'affaires de l'année 2017 a diminué d'au moins 20 % par rapport à l'année 2016 et dont celui de l'année 2018 s'est à nouveau réduit d'au moins 10 % par rapport à l'année 2017, ces conditions étant cumulatives. Les critères ainsi fixés semblaient adaptés à la situation. L'approche du Gouvernement semble différente s'agissant du dispositif inscrit au troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR), fondé sur des critères de secteur d'activité et de taille d'entreprise. Il conviendra d'être plus rigoureux dans le suivi de la mise en oeuvre de cet outil. Pour ce qui concerne Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les chiffres consolidés du nombre d'entreprises concernées et des montants de dettes abandonnées n'ont pu m'être transmis à ce jour.

Lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, le Gouvernement a dévoilé une prévision révisée pour 2020 selon laquelle le déficit consolidé du régime général et du FSV pourrait atteindre 52 milliards d'euros, très au-delà du record établi en 2010.

Ce résultat s'explique, en partie, par une forte croissance des dépenses, tout particulièrement de celles qui relèvent de l'Ondam, qui progresseraient de 8 milliards d'euros par rapport à la LFSS. Cette évolution, due à la crise sanitaire, pourrait porter l'Ondam 2020 à 213,6 milliards d'euros, en augmentation de plus de 6,6 % par rapport à 2019.

Le premier facteur de dégradation des comptes est cependant lié aux recettes, en raison de la contraction de l'activité et de la masse salariale et des dispositifs de report pour le recouvrement des cotisations et des contributions sociales mis en place pour aider les entreprises à surmonter les conséquences de la crise. Les données relatives aux encaissements mensuels des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) transmises par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) permettent de distinguer ces deux effets. Pour ce qui concerne l'évolution des cotisations liquidées, c'est-à-dire l'effet structurel de la crise sur l'assiette des cotisations et des contributions, on relève une diminution de 6,9 % en avril par rapport à avril 2019 et de 20,7 % en mai - les cotisations liquidées en mars affichaient pour leur part une hausse de 2,4 %. Par ailleurs, en prenant en compte les encaissements, qui intègrent aussi l'effet des reports, le recul s'est établi à 37,5 % en avril et à 40,2 % en mai par rapport à 2019. Dès le mois de mars, une baisse de 14,7 % avait été constatée.

Sur ces trois mois, les restes à recouvrer, qui devraient être perçus par la sécurité sociale d'ici à 2023, se sont élevés à 15,5 milliards d'euros. Cependant, environ 3 milliards d'euros devraient être annulés par le troisième PLFR et certaines entreprises devraient, hélas, faire faillite sans pouvoir régler l'intégralité des sommes dues. La perte de recettes pour le régime général et le FSV est estimée à près de 43 milliards d'euros pour l'année 2020.

Je ne reviendrai pas sur les conséquences de la crise sur la dette sociale - la commission mixte paritaire (CMP) sur les deux projets de loi ad hoc se réunit cet après-midi.

Au-delà du champ de la sécurité sociale, il convient de souligner la situation particulière de l'assurance chômage qui subit de plein fouet l'effet de ciseaux de la crise économique qui a suivi la crise sanitaire sur ses recettes et ses dépenses. Je vous rappelle les chiffres édifiants livrés par les responsables de l'Unedic lors de leur audition du 25 juin : un déficit prévisionnel de plus de 25 milliards d'euros, correspondant au financement de l'activité partielle pour 13 milliards d'euros, à 7 milliards d'euros d'augmentation des allocations chômage et à 5 milliards d'euros de baisse de recettes, et une dette du régime de l'ordre de 63 milliards d'euros à la fin de l'année 2020. Alors qu'elle devait enfin retrouver des comptes à l'équilibre, l'Unedic voit ses résultats se dégrader à nouveau. Dans ces conditions, la question du traitement de sa dette finira sans doute par se poser.

Face à ces enjeux particulièrement lourds, il faut répondre à l'urgence et établir les bases d'une reprise. Il paraît souhaitable d'apporter un soutien massif à l'économie et aux ménages, afin de leur permettre de surmonter au mieux cette période critique. Ensuite, nous pourrons et devrons tirer les leçons financières adéquates, en constatant que les pays disposant de comptes équilibrés sont mieux armés pour répondre aux crises et en considérant que c'est en dégageant des excédents lorsque cela est possible que la sécurité sociale pourra faire face aux crises sans s'endetter trop lourdement. Nous devrons donc prévoir des financements pour les dépenses supplémentaires à venir. Enfin, la politique de non-compensation des baisses de recettes devra être remise en cause, même par temps calme.

Mme Nassimah Dindar . - Je remercie le rapporteur général pour son rapport hautement technique.

M. Yves Daudigny . - Je m'associe aux remerciements adressés au rapporteur général, dont je salue la précision du travail et l'équilibre des arguments. Pourquoi ne parvenons-nous pas à équilibrer les comptes sociaux ? Comme un mirage, chaque fois que nous croyons y parvenir, l'échéance s'éloigne... Depuis 2010, quel que soit le gouvernement, la réduction des déficits a été réalisée au détriment de l'Ondam avec, pour conséquence, la crise de l'hôpital.

Il convient de distinguer les déficits réels et les déficits affichés, lesquels, à l'instar de la non-compensation des pertes de recettes, résultent de choix politiques et du non-respect de la « loi Veil ». Il n'existe pas de solution miracle, mais il me semble nécessaire de responsabiliser davantage les patients et les professionnels de santé. En Allemagne, les médecins sont contraints par une enveloppe de prescriptions, tandis que les patients paient, l'année suivante, les déficits éventuels. Bien entendu, le système allemand présente des insuffisances, mais il constitue un exemple intéressant.

Je regrette que nous ne profitions pas des circonstances exceptionnelles créées par la crise pour équilibrer les comptes sociaux en libérant les recettes de l'obligation de rembourser la dette.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie à mon tour le rapporteur général pour la clarté de son exposé. J'avoue être quelque peu choquée que le Gouvernement nous demande de voter un troisième PLFR, et probablement un quatrième en septembre, alors qu'il oppose un refus systématique à nos demandes d'examen d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS). Nous avançons à l'aveugle... J'aimerais connaître les raisons d'une telle opposition.

D'aucuns ont, sur les comptes sociaux, des réflexions à géométrie variable. Le Gouvernement, la Cour des comptes et la majorité sénatoriale applaudissent lorsque les déficits servent à l'amortissement de la crise ou à la relance - j'ai également soutenu la prise en charge de 80 % des salaires dans le cadre de l'activité partielle - mais, dès qu'il s'agit de dépenses sociales, ils déplorent des charges trop lourdes. Nous continuons à utiliser les solutions qui ont failli depuis trente ans, notamment les exonérations de charges à tout-va qui assèchent les recettes de la sécurité sociale. Nous tournons en rond...

M. Daudigny prône la responsabilisation : je ne m'y oppose pas, mais cela ne comblera nullement les déficits. Il faut surtout cesser d'user des exonérations ! Nous ne pouvons pleurer sur l'état des hôpitaux et de notre système de santé sans agir. Après la crise, faudra-t-il resserrer à nouveau la vis sur l'Ondam ? Nous ne pouvons plus poursuivre une politique qui nous a menés dans le mur. Augmentons les recettes et réfléchissons à des solutions alternatives sinon, une fois encore, les plus fragiles paieront pour nos erreurs.

M. René-Paul Savary . - Le sujet des comptes sociaux est éminemment complexe. Il convient de réformer le financement de la sécurité sociale et de renoncer à toute exonération de cotisations sociales qui ne serait pas compensée. Le refus opposé à l'examen d'un PLFRSS illustre le mépris porté au Parlement. L'aspect financier balaie les autres enjeux de la sécurité sociale. Plaçons l'homme au coeur du débat !

Le déficit de la sécurité sociale ne cesse d'évoluer. Ainsi, dans le cadre du Ségur de la santé, 7,5 milliards d'euros ont été annoncés pour la revalorisation des rémunérations. Cette somme ne s'imputera normalement pas sur l'Ondam. Dès lors, sera-t-elle considérée comme une dépense de l'assurance maladie ?

Mme Élisabeth Doineau . - Je salue à mon tour la clarté de l'exposé de notre rapporteur général. Les chiffres de 2019 n'ont plus d'intérêt qu'historique : la crise a tout bouleversé. Comme les Shadoks pompent, nous nous sommes habitués à creuser les déficits et à mettre la poussière sous le tapis de la Cades. Nous avons collectivement accepté la situation. Quelles sont les alternatives ? Que pourrait proposer le Sénat ? Faire de la politique, c'est choisir et renoncer. À quoi, dès lors, renoncer pour consacrer davantage de moyens aux politiques sociales ? Je suis effrayée par la dette irresponsable que nous allons laisser à nos enfants et à nos petits-enfants.

Mme Catherine Deroche . - Avec René-Paul Savary, j'ai commis pour la Mecss un rapport sur l'Ondam : nous manquons de transparence et de vision sur la réalité des chiffres. L'annualisation s'est avérée compliquée à gérer pour le système de santé, à l'hôpital comme à la ville, et il est difficile de comprendre comment sont distribuées les sommes allouées. Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie travaille à une clarification.

M. Gérard Dériot . - La précision du rapport donne, s'agissant des chiffres, le vertige. Ils reflètent le comportement de l'État envers la sécurité sociale depuis des années. Comme avec les collectivités territoriales, les gouvernements prennent des décisions sans en assumer le coût. Ainsi en est-il, pour la sécurité sociale, des exonérations de charges et de cotisations. De même, lorsque les pompiers ont obtenu de l'État une augmentation de la prime de feu, les communes et les départements ont dû payer. La situation est identique pour la sécurité sociale, à l'endroit de laquelle les mêmes méthodes sont appliquées depuis vingt ans. Le report du coût des exonérations sur les comptes sociaux évite aux gouvernements successifs d'augmenter les impôts. Il apparaît urgent de respecter enfin la « loi Veil » pour résorber le déficit de la sécurité sociale.

Le fait de faire payer les bâtiments des hôpitaux par la sécurité sociale ou, depuis la décentralisation, ceux des établissements scolaires par les collectivités territoriales relève de la même philosophie. Il faut soit sortir le foncier des hôpitaux des charges de la sécurité sociale, soit lui donner les moyens correspondants à cette mission.

M. Alain Milon , président . - J'estime également inadmissible le refus du Gouvernement de présenter un PLFRSS. Le 16 juillet, nous examinerons en séance, après le débat d'orientation budgétaire, le troisième PLFR. À cette occasion, je disposerai de cinq minutes pour intervenir à la tribune. Sachez que je consacrerai la totalité de mon temps de parole à ce sujet.

La sécurité sociale a besoin de nouvelles recettes, au-delà de celles qui sont issues de la croissance de l'activité économique. Nous devons rechercher l'argent où il se trouve, lorsqu'il bénéficie de la sécurité sociale : dans l'industrie pharmaceutique, les dividendes et les mutuelles.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Les chiffres sont effectivement foisonnants lorsque l'on se penche sur les comptes sociaux, mais j'ai essayé d'être précis.

Nombre d'entre vous m'ont interrogé sur les solutions envisageables pour réduire le déficit, tout en déplorant que le constat soit identique depuis vingt ans. Madame Deroche, j'entends vos propositions, mais je crains que la régulation médicalisée des dépenses ne conduise à leur augmentation. La régulation comptable portée par l'Ondam possède des vertus et des défauts, ainsi que Mme Cohen l'a rappelé à propos des hôpitaux. Je crois, comme M. Daudigny, que la première solution relève de la responsabilisation des acteurs, mais aussi d'une régionalisation du système, comme en Allemagne. L'équilibre des comptes sociaux devrait être érigé comme une règle d'or obligatoire. Nous devons réussir à nous discipliner, qu'il s'agisse des recettes ou des dépenses, sinon toute solution sera vouée à l'échec. Je souhaite le lancement d'une expérimentation sur la régionalisation du système de santé et la prise en charge du foncier des hôpitaux par l'assurance maladie dotée alors des moyens nécessaires. Je crois que la commission d'enquête en cours sur la gestion de la crise sanitaire fera des propositions sur le rôle des agences régionales de santé (ARS) dans la gouvernance de l'assurance maladie.

Madame Cohen, les exonérations non compensées se sont effectivement élevées à 4,3 milliards d'euros. Il faut appliquer la « loi Veil » avant d'envisager de doter la sécurité sociale de nouvelles recettes. Le Sénat avait proposé de ponctionner les mutuelles à hauteur de 1 milliard d'euros, mais l'Assemblée nationale ne nous a pas suivis. Le Parlement doit se montrer responsable. La CMP sur les projets de loi relatifs à la dette sociale pourrait être conclusive, si seulement les parlementaires faisaient preuve de responsabilité même si le Gouvernement est opposé à la règle d'or.

Monsieur Savary, le constat dressé dans mon rapport est effectivement daté et ne cesse d'évoluer. Hier, je lisais dans un journal économique que le recul de l'activité économique pourrait s'établir, selon l'Insee, à 9 %, contre 11 % dans l'estimation précédente. Les recettes, très liées à la situation économique, diminueront alors peut-être moins que prévu.

Enfin, madame Doineau, je partage votre constat. Nous travaillons à des propositions pour résorber la dette sociale.

La commission autorise la publication du rapport d'information.


* 1 Rapport Sénat n° 104 (2019-2020), Tome I.

* 2 Cette revalorisation aurait atteint 1,6%si les modalités habituelles de revalorisation basées sur l'inflation avaient été appliquées.

* 3 Cet écart de 0,8 milliard d'euros provient, d'une part, de la comptabilisation en comptabilité nationale du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) pour 0,6 milliard d'euros et ; d'autre part, d'écritures tardives (0,2 milliard d'euros).

* 4 Ces dispositions ont été codifiées à l'article L. 241-2-1 du code de la sécurité sociale.

* 5 Une telle opération est rendue possible par l'article L.O. 111-9-2 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel « En cas d'urgence, [le plafond de découvert de l'Acoss peut être relevé] par décret pris en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat et information des commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale. La ratification de ces décrets est demandée au Parlement dans le plus prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ».

* 6 L'article 1 er du projet de loi « ordinaire » prévoit en outre la prise en charge par la Cades d'un tiers de la dette hospitalière, pour un montant de 13 milliards d'euros.

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