II. COMMENT, QUAND ET COMBIEN ? UNE ÉQUATION COMPLEXE QUI NE DOIT PAS ÉCARTER L'HYPOTHÈSE DE DEUX PORTE-AVIONS
La détermination des caractéristiques du porte-avions de nouvelle génération est une équation complexe, dont les principaux termes ont été présentés à la commission par l'amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine, le 23 octobre 2019 :
« Sur ce futur porte-avions, il y a aura toujours des Rafale - on sait qu'un Rafale pèse 25 tonnes quand il est chargé d'armes. Concernant le SCAF, les études menées actuellement évoquent une trentaine de tonnes. Comment faire pour catapulter un tel avion ? Il existe aujourd'hui des catapultes électromagnétiques, d'ores et déjà utilisées par les porte-avions américains et en passe de l'être par les porte-avions chinois. Ces catapultes, qui mesurent 90 mètres de long, permettent de catapulter des avions très lourds, d'une trentaine de tonnes, en n'éprouvant pas trop leur structure, mais aussi des objets beaucoup plus petits, comme des drones.
De combien d'avions avons-nous besoin et pour quelles situations ? Actuellement, il y a jusqu'à 30 Rafale sur le Charles de Gaulle. On estime que c'est cohérent aujourd'hui dans tous les scénarios, qu'il s'agisse de mener des frappes massives ou d'exercer le contrôle sur un espace maritime. Le nombre d'avions et leur taille permettent de connaître la taille du pont et le tonnage du bateau. Les avions étant plus gros, on comprend aisément que le tonnage du futur porte-avions devra être supérieur aux 42 000 tonnes du Charles de Gaulle.
Avec quelle source d'énergie faire avancer un tel bateau ? Des études très poussées sont conduites sur le choix du type de propulsion, nucléaire ou classique. On sait que l'énergie classique permet de faire naviguer très rapidement les grands paquebots d'aujourd'hui, ceux qui transportent 4 000 passagers, alors qu'ils pèsent 100 000 tonnes. Une propulsion nucléaire présente par ailleurs des avantages indéniables en termes d'emploi et d'autonomie.
Enfin, il nous faut prendre en compte l'enjeu de la pérennisation de notre savoir-faire en matière de propulsion navale nucléaire, de manière à pouvoir concevoir une nouvelle chaufferie et la réaliser. » 16 ( * )
A. DES CONTRAINTES QUI IMPOSENT UN PORTE-AVIONS MASSIF
De nombreuses contraintes jouent dans le sens d'un porte-avions plus massif que l'actuel, à commencer par la perspective de devoir mettre en oeuvre des avions de combat beaucoup plus lourds.
1. Un porte-avions dédié à la mise en oeuvre du Système de combat aérien futur (SCAF)
De même que le porte-avions Charles de Gaulle est aujourd'hui dédié à la mise en oeuvre du Rafale Marine, le futur porte-avions aura pour vocation de mettre en oeuvre la prochaine génération d'avion de combat embarqué.
Cette prochaine génération est l'objet d'une coopération entre la France et l'Allemagne, rejointes par l'Espagne. Après plusieurs mois de tensions entre industriels, un contrat pour la réalisation d'un démonstrateur a été récemment lancé. Le système de combat aérien futur (SCAF) devrait être opérationnel à l'horizon 2040, en même temps que le PANG. Toutes les difficultés sont cependant loin d'être résolues.
Le SCAF est composé d'un avion principal, le NGF ( new generation fighter ) et d'effecteurs déportés (drones). Le NGF aura une masse plus importante que celle du Rafale pour combiner allonge, furtivité et augmenter la capacité d'emport. Cette évolution est cohérente avec celle observée aux États-Unis avec le F35. La masse du NGF est évaluée à 30 tonnes, contre un peu plus de 20 tonnes pour les actuels Rafale Marine.
Le gabarit du futur porte-avions dépendra évidemment aussi du nombre de NGF, de Hawkeye de nouvelle génération et d'hélicoptères que l'on souhaite pouvoir embarquer , ce qui dépend de la définition du besoin opérationnel, donc de l'étude des scénarios auxquels nous devons nous préparer.
2. Un porte-avions de nouvelle génération pour de nouvelles générations de marins
Le savoir-faire des femmes et des hommes qui composent l'équipage est la principale richesse et le principal facteur de fiabilité du Charles de Gaulle . Le PANG devra être fondé sur le même modèle, celui d'une fiabilité reposant d'abord sur l'organisation humaine , plutôt que sur des systèmes automatisés (informatiques).
a) Une amélioration nécessaire des conditions de vie
La contamination du porte-avions par l'épidémie de coronavirus a mis en évidence l'inadéquation des conditions de vie des marins à bord du Charles de Gaulle .
« Environ 1 800 marins évoluent à bord de ce bâtiment qui mesure 261 mètres de long ; plus de 1 000 d'entre eux vivent à dix ou plus par chambre, parfois jusqu'à quarante en dortoir. Ces marins travaillent dans des espaces contraints, où des équipes différentes se relaient afin d'assurer une permanence vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les voies de circulation, les escaliers et les couloirs sont étroits - l'espace est un luxe » 17 ( * ) .
85 % des métiers de la marine sont représentés à bord. Constitué d'environ 1800 marins, l'équipage est féminisé à 15 % et la moyenne d'âge est de 31 ans.
La fidélisation des marins et donc l'attractivité de la Marine sont des problématiques essentielles, si l'on veut maintenir ce haut niveau de compétence. Or tant les rythmes de travail que les conditions de vie sur le Charles de Gaulle sont d'une exigence extrême . Certains métiers sont soumis à la concurrence du civil, avec des différences importantes en termes de rythme de travail et de rémunération.
Les conditions de vie sur le porte-avions contrastent avec le haut degré de technologie mise en oeuvre. La comparaison avec les nouveaux navires (PHA, FREMM) n'est pas à la faveur du PA. Certains postes souffrent du bruit ou d'une mauvaise isolation thermique. L'effectif est couramment de 10 à 12 marins par poste, avec un maximum à 42. Conçu dans les années 1980, à l'époque de la conscription, le Charles de Gaulle est devenu, en 2020, inadapté à son époque.
Il ne s'agit pas que d'une question de confort : les conditions de vie ont en effet un impact sur la résistance, l'endurance et l'engagement des marins même s'il est nécessaire de trouver un juste dosage entre confort et rusticité.
La conception du PANG nécessitera donc une réflexion en profondeur sur les conditions de vie à bord. Cet aspect ne devra en aucun cas être considéré comme une variable d'ajustement susceptible de venir compenser les facteurs d'augmentation de la masse du porte-avions, précédemment évoqués.
Des postes de six à huit sont envisagés pour le PANG. Ce doit en effet être un maximum.
b) Un équipage plus réduit
À ce stade, une réduction de 10 % de l'effectif de l'équipage est envisagée pour une capacité de logement totale d'environ 2000, à peu près équivalente à celle du Charles de Gaulle . Il serait probablement imprudent de diminuer davantage les effectifs.
L'expérience de réduction des équipages sur les frégates multi-missions (FREMM) doit inciter à ne pas aller trop loin puisqu'il a finalement fallu rehausser l'effectif par rapport aux prévisions. L'expérience britannique est également très instructive : les Britanniques sont en effet amenés à augmenter les effectifs de leurs deux porte-avions. Or il est très difficile d'augmenter le nombre de marins à bord lorsque cela n'a pas été prévu dès le départ .
c) Un double équipage ?
Au-delà de la question des conditions de vie à bord se pose celle de la mise en place d'un double équipage (comme c'est le cas progressivement pour les FREMM). Sur le Charles de Gaulle , 30 % des hommes sont pères de famille mais seulement 6 % des femmes sont mères de famille.
Le doublement de l'équipage apporte davantage de souplesse de fonctionnement et permet une meilleure organisation des temps d'embarquement et une plus grande compatibilité avec la vie de famille.
Ce doublement de l'équipage prendrait évidemment tout son sens si une configuration en « permanence d'alerte », à deux porte-avions, était choisie.
3. Un impératif de souplesse et d'adaptabilité aux évolutions géostratégiques et technologiques
Le PANG devra pouvoir répondre aux défis stratégiques de l'après 2040 ... que nous ne pouvons qu'entrapercevoir. Ces défis restent largement inconnus.
Sur le plan technologique aussi, les évolutions sont rapides. Le PANG devra être capable de s'adapter et, pour ce faire, disposer de réserves d'espace, pour accueillir éventuellement de nouveaux armements, notamment des armes à énergie dirigée (nécessitant d'avoir des marges d'énergie pour les alimenter), des drones, voire des drones de combat aérien.
Le succès du Charles de Gaulle , qui donne encore pleinement satisfaction quarante ans après sa conception, vient de son évolutivité. Il a pu être adapté à l'augmentation de la masse des avions embarqués. Le nouveau porte-avions devra être capable de mettre en oeuvre des moyens très divers (avions lourds, drones) et de s'adapter à l'évolution de ces moyens .
Pour répondre à une menace qui évolue, un autre enjeu sera d'être capable de fusionner et d'analyser l'information (« big data »), grâce à des capacités d'analyse plus puissantes, en utilisant l'intelligence artificielle .
Le PANG devra pouvoir intégrer de nouveaux outils, notamment cyber, et une montée en puissance du commandement dans sa capacité à coordonner des outils de renseignement de plus en plus divers et complexes.
Il s'inscrira dans une logique de combat « collaboratif » , au sein du groupe aéronaval. La réflexion sur les systèmes de combat futurs est mutualisée avec la réflexion sur les nouvelles frégates de défense aérienne (FDA) prévues au même horizon que le porte-avions de nouvelle génération (à l'horizon 2040).
* 16 Amiral Christophe Prazuck, Chef d'état-major de la marine, audition de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (23 octobre 2019).
* 17 Mme Florence Parly, Ministre des armées, audition de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 12 mai 2020.