B. NOS FORCES FACE AU « NEW SPACE »
La France fait partie des rares pays au monde à maîtrise l'ensemble des compétences et technologies spatiales. C'est à la fois le fruit de notre Histoire et la démonstration d'une excellence scientifique et industrielle qui reste un atout de taille de l'univers du « New Space ».
1. Notre avance historique
La politique spatiale de la France est née avec la Cinquième République et les premiers pas de notre conquête spatiale furent motivés par une forte ambition nationale, impulsée par le général De Gaulle. Conséquence de la course à l'espace lancée par les soviétiques et les américains en pleine guerre froide, De Gaulle décide en effet dès janvier 1959 de créer un Comité de recherches spatiales (CRS) chargé d'étudier le rôle que la France peut et doit jouer dans ce nouveau domaine.
Notre programme spatial, d'abord national avant de devenir également européen, va ainsi bénéficier d'investissements importants à compter des années 1960 dans le but d'atteindre une autonomie nationale.
Afin de fournir une structure chargée de développer et de coordonner les activités spatiales françaises, le Gouvernement de Michel Debré annonce la création, le 19 décembre 1961, du Centre national d'études spatiales (CNES). Suivra le 26 novembre 1965 le lancement d'Astérix, le premier satellite artificiel français, à l'aide de la fusée nationale Diamant-A. Il s'agissait alors pour la France, et au-delà pour les Européens, de ne pas se laisser distancer par les Américains et les Soviétiques.
Cette volonté permettra à notre pays de jouer un rôle moteur au moment de la mise en oeuvre d'une véritable politique spatiale européenne. Celle-ci commence tôt, dès 1964, quand six pays - l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni - fondent la première organisation spatiale chargée de développer des lanceurs : l'ELDO. Puis, avec le Danemark, l'Espagne, la Suède et la Suisse, ces mêmes pays créent une organisation pour assurer le développement de satellites scientifiques : l'ESRO. Ainsi, dès le début, science et lanceurs sont les deux piliers de la stratégie spatiale européenne.
En 1975 sera signée entre onze États européens la convention portant création de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui prendra en charge le développement d'Ariane, le lanceur européen. Le vol inaugural du lanceur Ariane 1, le 24 décembre 1979, a permis à l'Europe d'acquérir son autonomie et d'occuper une place significative sur le marché mondial du spatial, en réalisant plus de la moitié des lancements commerciaux dans le monde. La localisation à Kourou en Guyane, en territoire français, du pas de tir d'Ariane fut décisive pour notre avance dans le domaine des lanceurs.
Cette ambition politique portée depuis l'après-guerre avec constance au plus haut niveau de l'État a permis à la France de devenir et de rester l'une des grandes puissances spatiales mondiales avec les États-Unis et la Russie.
La France est ainsi le seul pays européen à maîtriser l'ensemble des technologies spatiales. Notre pays est en effet un acteur de rang mondial dans des domaines aussi variés que les systèmes de lancement, les satellites d'observation optique, les satellites météorologiques, les satellites scientifiques ou encore les satellites de télécommunication. Ce succès national repose sur un modèle original autour d'une agence spatiale, le CNES, d'un organisme de recherche, l'ONERA et d'un secteur industriel qui peut s'appuyer sur des investissements majeurs consentis par l'État.
2. Notre excellence scientifique
Pour conserver son avance historique, notre pays doit continuer à investir massivement dans la recherche. La filière spatiale française tout entière repose en effet sur cette excellence scientifique qui garantit sur le long terme notre position face aux nouveaux acteurs qui émergent du fait du « New Space » et de la démocratisation de l'accès aux activités spatiales.
Le ministère de la recherche et de l'innovation est coeur de notre dispositif d'une part, à travers la tutelle qu'il exerce en partage avec le ministère des Armées sur le CNES et d'autre part, en négociant les arbitrages budgétaires liés au Programme 193 (recherche spatiale). Pour sa part, le ministère des Armées, via la direction générale de l'armement (DGA) finance et accompagne la recherche spatiale duale (programme 191).
La performance de notre recherche technologique spatiale s'apprécie notamment à travers les succès français enregistrés dans les réponses aux appels d'offre du programme européen « Horizon 2020 ». Pour l'exercice 2016, la France est ainsi arrivée largement en tête en Europe avec un retour de près de 28 % du budget alloué par la commission européenne.
En matière de recherche aéronautique et spatiale, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) occupe une place centrale. Ses activités consistent à :
- développer et d'orienter les recherches dans le domaine aérospatial ;
- concevoir, réaliser et mettre en oeuvre les moyens nécessaires à l'exécution de ces recherches ;
- assurer, en liaison avec les services ou organismes chargés de la recherche scientifique et technique, la diffusion sur le plan national et international des résultats de ces recherches, d'en favoriser la valorisation par l'industrie aérospatiale et de faciliter éventuellement leur application en dehors du domaine aérospatial
Près de 300 doctorants sont rattachés à l'ONERA qui compte environ 2000 agents. En liaison avec le CNES, l'ONERA constitue un véritable pont entre la recherche et l'industrie.
La mise au point de « GRAVES », le système de détection de satellites évoluant en orbite terrestre basse, développé par l'ONERA et en service depuis 2005, est une illustration emblématique de l'intérêt stratégique à investir dans la recherche, avec à la clé, un intérêt évident pour la communauté du renseignement.
Bien que peu onéreux - il n'a coûté « que » 30 millions d'euros -, ce système qui a représenté 15 ans d'investissements et d'études a montré son efficacité, en détectant une trentaine de satellites espions principalement américains et chinois jusqu'alors non répertoriés Il s'agissait au départ d'un simple démonstrateur technologique, commandé par la DGA et développé par l'ONERA, qui s'est mué en dispositif opérationnel, le tout utilisant des technologies disponibles dans le commerce, comme des émetteurs de télévision.
Il est plus que jamais essentiel de maintenir cette capacité à innover et à développer des démonstrateurs, en lien avec les industriels, pour conserver ce temps d'avance face à un nombre croissant de pays qui ont désormais des ambitions aéronautiques et spatiales, en particulier à visée de défense.
Recommandation n° 45 : Soutenir les modes collaboratifs entre la recherche publique et le secteur privé afin de développer les démonstrateurs nécessaires pour conserver notre avance technologique et stratégique.
Aussi, et pour faire face à ces nouveaux défis, l'État cherche à initier de nouveaux modes collaboratifs entre la recherche publique et les entreprises, à l'instar de la technopole spatiale de Toulouse qui est une référence mondiale avec l'implantation, à côté de deux grands sites industriels (Airbus et Thales), d'un tissu d'ETI et de PME et de plusieurs centres de recherches et de laboratoires qui peuvent s'appuyer sur un creuset de 16 500 étudiants formés au spatial à l'université et dans des écoles qui proposent jusqu'à une centaine de formations différentes.
3. Notre excellence industrielle
La filière industrielle spatiale est un fleuron national et européen qui contribue à l'exercice de notre souveraineté. La France compte en effet parmi les rares pays au monde à maîtriser l'ensemble des compétences, de la conception des satellites à leur réalisation, leur lancement et leur exploitation. Cela confère à notre pays une posture politique d'interlocuteur face aux grandes puissances spatiales.
Notre industrie spatiale se caractérise par un écosystème dual qui représente un atout majeur pour la France. L'espace a en effet d'abord été exploité à des fins militaires avant que ne s'ouvrent des perspectives commerciales, en particulier avec le marché des télécommunications. C'est vrai autant pour la fabrication des satellites pour que les activités de lancement.
Les investissements et la commande publique dans les domaines de la défense et de la sécurité ont rendu possibles les succès commerciaux qui font d'Airbus Space & Defense, de Thales Alenia Space et d'Ariane Group des leaders sur un marché mondial de plus en plus concurrentiel, grâce à l'écosystème de chercheurs et de fournisseurs qui s'est construit autour d'eux.
Le secteur spatial représente aujourd'hui en France près de 16 000 emplois directs et y a réalisé en 2017 un chiffre d'affaires consolidé de 4,6 milliards d'euros. Ce modèle très performant permet à l'industrie spatiale française de présenter cette particularité unique au monde qui est de réaliser près de 60 % de son chiffre d'affaires sur le seul secteur commercial, alors que ses concurrents sont partout ailleurs majoritairement financés par les États pour répondre à leurs besoins institutionnels, en particulier dans les domaines de la défense et de la sécurité.
La composante « renseignement » est un moteur du développement de notre industrie spatiale dont la vitalité est elle-même essentielle à notre souveraineté. Airbus et Thales ont sans aucun doute permis à la France de se donner les moyens de son autonomie dans l'optique et dans l'écoute.
L'industrie spatiale doit être protégée car elle n'est pas tout à fait une industrie comme les autres. Les conséquences économiques de la crise sanitaire liée au Coronavirus vont fragiliser toute une filière qui doit absolument être accompagnée par les pouvoirs publics. L'effectivité de notre souveraineté dépend en effet de la capacité de nos industriels à développer les outils et les technologies indispensables à notre protection. Nos satellites d'observation sont vulnérables, qu'il s'agisse de la structure même du satellite ou des stations au sol pouvant être la cible de virus et logiciels malveillants. On peut également citer le brouillage électronique des satellites, leur aveuglement au laser, voire leur désorbitation par un satellite tiers, ou leur prise de contrôle à distance par des forces ennemies. Pour identifier et cartographier ces menaces dans l'espace, Airbus a par exemple conduit un groupe de travail spécifique sur ces sujets et mené, en partenariat avec la FRS, un exercice sous la forme d'un « jeu de guerre de l'espace » pour simuler un certain nombre de situations ; convaincue qu'un jour se produira un « Pearl Harbour » numérique, et qu'il s'agira d'être en capacité d'y faire face.