B. LE SUIVI DES ANCIENS AGENTS DE RENSEIGNEMENT
Comme indiqué précédemment, les anciens agents sont tenus au secret concernant les informations qu'ils ont eu à connaître au cours de leur carrière et les méthodes opérationnelles qu'ils ont employées. En outre, leur identité ainsi que leur appartenance actuelle ou passée à un service de renseignement restent protégées par les dispositions de l'article 413-13 du code pénal.
Les anciens agents restent donc soumis, après leur départ du service, à un devoir de discrétion. Toutefois, le comportement de plusieurs de ces agents a retenu l'attention de la délégation parlementaire au renseignement. Les dérives constatées, et relayées par la presse, plaident en faveur d'un contrôle accru de leurs agissements, même après la fin de leurs fonctions :
- le 21 mars 2019, un ancien militaire du service action de la DGSE a été tué par balles. Cet ancien agent aurait projeté d'assassiner un opposant politique congolais. Il était auparavant auteur de livres d'espionnage, dans lesquels il narrait ses missions en France et à l'étranger ;
- en décembre 2017, deux anciens agents de la DGSE ont été déférés devant le juge d'instruction pour des faits susceptibles de constituer les crimes et délits de trahison par livraison d'informations à une puissance étrangère, provocation au crime de trahison et atteinte au secret de la défense nationale. D'après les informations parues dans la presse, les intéressés auraient été recrutés par les autorités chinoises qui s'intéressaient aux méthodes opérationnelles du renseignement extérieur français. Ces faits ont été détectés et dénoncés au procureur de la République par la DGSE elle-même ;
- le 18 juin 2016, l'ancien directeur technique de la DGSE donnait une conférence publique dans une grande école d'ingénieurs, au cours de laquelle il a révélé l'implication de la France dans une campagne de cyberespionnage, et confirmé l'existence d'une campagne similaire menée par les États-Unis et visant l'Élysée pendant l'élection présidentielle.
Aucun de ces manquements graves aux obligations déontologiques, par ailleurs constitutives d'infractions pénales, n'a été remonté à la DPR, ni au moment où les faits ont été rendus publics, ni à travers les réponses au questionnaire adressé aux services. En tant que contrôleurs de l'activité des services de renseignement, les membres de la délégation devraient être tenus informés des manquements déontologiques graves et des procédures judiciaires engagées par les services à l'encontre de leurs agents ou de leurs anciens agents. La bonne information de la DPR lui permettra de mieux appréhender les risques auxquels les services sont confrontés et les accompagner dans leur maîtrise.
Recommandation n° 42 : Informer la délégation parlementaire au renseignement des manquements déontologiques graves commis par leurs agents ou leurs anciens agents, et des procédures juridiques initiées à leur encontre.
1. Le contrôle de leur expression publique : un exercice délicat
Arnaud Danjean, député européen et ancien agent de la DGSE « regrette que [...] d'anciens agents de la DGSE se considèrent omniscients sur toutes les questions de sécurité » 134 ( * ) . Pour sa part, il « décline énormément de sollicitations, d'abord parce que cela fait longtemps [qu'il n'est] plus à la DGSE [...], deuxièmement, lorsqu'[il était] à la DGSE, [il n'était] pas spécialiste du contre-espionnage ou du contre-terrorisme » . Ainsi, malgré une douzaine d'années passées dans ce service, Arnaud Danjean « ne se sent pas autorisé à donner son avis sur tout » , et appelle à un renforcement du contrôle des anciens agents des services de renseignement qui, pour certains d'entre eux, auraient révélé des sources dans des ouvrages qu'ils ont écrits.
Le contrôle de l'expression publique des agents est un exercice délicat dès lors qu'aucune information classifiée n'est délivrée. Seules leur rigueur et leur déontologie personnelles, et celles des médias qui les invitent, permettront de mesurer leurs prises de parole et d'éviter de livrer des analyses - voire des informations - erronées à un public peu sensibilisé aux questions de renseignement.
En revanche, si des informations classifiées sont livrées publiquement, les services doivent être en mesure d'entamer des poursuites judiciaires, notamment à des fins dissuasives, tant les peines encourues sont lourdes.
2. Les jeunes retraités constituent une cible de choix pour les services étrangers
Les cadres des services de renseignement ne sont pas les seuls à faire l'objet de tentative de « retournement » par un service étranger. La DRSD relève que les cadres de l'industrie de défense font eux aussi l'objet de tentatives de recrutement par des puissances étrangères à des fins de transferts de technologies. Ces puissances agissent par des ciblages réfléchis de cadres à haute valeur ajoutée, qu'ils soient actifs ou jeunes retraités, en raison de leur positionnement ou de leur accès à des données classifiées.
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3. Les moyens d'action
Le premier moyen d'action, déjà utilisé par la DRSD et la DGSI, consiste à rendre publiques les méthodes employées par des services étrangers pour recruter des sources ou s'accaparer de secrets industriels. Ce procédé, en plus de sensibiliser les cibles potentielles aux tentatives d'approche et d'appeler à leur vigilance, adresse un message aux acteurs malveillants qui se savent alors surveillés.
Le second moyen d'action est de consacrer une partie des ressources des services au suivi des anciens agents de renseignement et cadres des entreprises stratégiques (industrie de défense, opérateur d'intérêt vital, etc. ). Une approche par les risques permettra de cibler les profils devant faire l'objet d'un suivi régulier. Ces ressources existent déjà au sein de nos services de renseignement puisqu'elles ont permis de détecter des cas de compromission ; mais combien échappent à leur surveillance et jusqu'à quand cette surveillance doit-elle s'opérer ?
Là aussi, Tracfin pourrait être un partenaire très utile. Le service de renseignement financier pourrait détecter des comportements financiers anormaux chez d'anciens agents ou cadres, et pousser ses investigations le cas échéant.
* 134 Source : émission « Conversations secrètes, le monde des espions » , France Culture.