II. LA SÉCURITÉ ET LA SÛRETÉ DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

L'IGI 1300 traite également de la protection physique et informatique du secret de la défense nationale :

- le titre IV concerne la protection des lieux (zones protégées et réservées, salles de travail et de conférence, accès des personnes non qualifiées et des magistrats aux lieux abritant des secrets de la défense nationale) ;

- le titre V concerne les mesures de sécurité relatives aux systèmes d'information (organisation des responsabilités et protection des systèmes d'information). Ses dispositions sont complétées par des instructions spécifiques d'application émises par l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) qui relève du SGDSN.

A. LA DÉTECTION DES SIGNAUX FAIBLES, UN ENJEU ESSENTIEL

La prévention de la radicalisation est consubstantielle des services de renseignement dans la mesure où elle constitue l'une de leurs missions à l'échelle nationale, et que ce risque doit également être détecté en leur sein. L'enjeu réside dans leur capacité à anticiper les risques : la détection constitue la première étape d'un processus destiné à écarter les agents présentant un comportement à risque ; viennent ensuite le signalement puis l'action d'entrave.

La procédure d'habilitation et l'évaluation de la manière de servir des agents doivent constituer des premiers moyens de contrôle robustes. Toutefois, ils ne sont pas suffisants et doivent être complétés par une procédure de détection des signes de radicalisation. L'efficacité de ce dispositif repose sur plusieurs socles :

- la qualité de la formation des agents qui doivent être en mesure de déceler les bons signaux chez les personnes radicalisées ou en voie de l'être. Leur parole doit en outre être facilitée, voire décomplexée, même si elle peut porter préjudice aux collègues visés par les signalements ;

- la qualité de la remontée d'informations grâce à une approche ascendante, qui part des agents vers leur encadrement de proximité. La forme écrite peut générer une autocensure chez celui qui détecte les premiers signes ; en revanche, elle doit être privilégiée par sa hiérarchie de proximité afin de nourrir le dossier des individus visés par les signalements. La chaîne hiérarchique doit contrôler ce dispositif d'informations et mettre en oeuvre les investigations nécessaires, en toute impartialité, pour confirmer ou infirmer les informations recueillies, sans éveiller de soupçon ;

- la qualité du contrôle externe. Afin de mettre à jour d'éventuels dysfonctionnements et les corriger, un audit de certains services peut s'avérer utile.

Dans l'affaire Harpon, certaines informations n'ont pas été remontées à la hiérarchie, peut-être en raison du handicap de l'intéressé qui suscitait une certaine mansuétude de la part de ses collègues. En outre, la plainte déposée par son épouse pour violences conjugales n'a pas été considérée comme un motif de nature à remettre en question son habilitation ( cf. I. B. 3.).

1. La formation en ce domaine doit être continue

Tous les services indiquent que leurs agents sont formés ou sensibilisés aux enjeux liés à la radicalisation dans le cadre de leur formation initiale ou de leur stage d'accueil. En revanche, ces formations ne font pas toujours l'objet d'un module complémentaire au cours de leur carrière administrative.

Il est essentiel que les agents soient régulièrement sensibilisés pour actualiser leurs connaissances et garder à l'esprit les consignes et les procédures en vigueur dans leur service. Ces modules doivent revêtir un caractère obligatoire et être conçus à partir des mêmes grilles d'analyse afin qu'une culture commune puisse se diffuser, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

L'académie du renseignement a notamment pour missions de concevoir et de mettre en oeuvre des activités de formation initiale et continue au profit du personnel des services de renseignement, et de favoriser la coopération entre ces services en matière de formation. À ce titre, elle pourrait être chargée de concevoir, avec l'appui des services compétents, des outils de formation à la détection des signes de radicalisation sur la base de référentiels communs. Ces outils seront harmonisés, et adaptés à la connaissance des agents sur le sujet (formation initiale, ou modules complémentaires) ainsi qu'à leur positionnement hiérarchique (afin d'adapter leurs réflexes), pour que chaque niveau de responsabilités connaisse son rôle, ses droits et ses devoirs en la matière.

Recommandation n° 36 : Confier à l'académie du renseignement la conception d'outils de formation et de sensibilisation aux enjeux de lutte contre la radicalisation, en lien avec les services compétents.

2. Les dispositifs de remontée d'informations doivent permettre un signalement rapide et étayé

Chaque service a mis en place un système de remontée d'informations propre à son organisation et aux risques qu'il a pu identifier, mais peu d'entre eux ont été éprouvés.

Les dispositifs sont disparates suivant le ministère de tutelle ou la taille du service. Dès lors, un audit serait utile pour vérifier la mise en oeuvre effective de ces dispositifs et les tester afin d'en repérer les éventuels dysfonctionnements.

Recommandation n° 37 : Mettre en place un audit externe des dispositifs de détection et de lutte contre la radicalisation mis en place dans les services de renseignement.

a) À la DGSE

En 2018, le service a créé un bureau en charge de l'anticipation qui agit sur la base des signaux faibles qui lui sont remontés soit par le service de sécurité, soit par d'autres canaux (officiers de sécurité, etc. ). Ces signaux faibles peuvent notamment porter sur des risques de radicalisation.

La radicalisation d'un agent fait l'objet d'un signalement à la DGSI et à la DRSD. Le service peut en outre prendre différentes mesures pour se séparer d'un élément radicalisé : retrait d'habilitation, mutation, non renouvellement de contrat de travail ou engagement d'une procédure de licenciement.

Les suspicions de radicalisation demeurent toutefois très rares à la DGSE ; à ce jour, aucun retrait n'a été prononcé pour ce motif dans ce service.

b) À la DRSD

Si le comportement d'un agent du service éveillait des soupçons, un compte rendu devrait alors être adressé à l'officier de sécurité. Celui-ci informerait l'adjoint du directeur des éléments constatés qui pourrait décider, à la lumière de ces éléments, de diligenter une enquête interne, pilotée par l'officier de sécurité avec l'aide du chef du BEPS.

Le cas échéant, la DRSD enquêterait elle-même sur les faits portés à sa connaissance, et assurerait le suivi des agents radicalisés dans sa sphère de compétence. Ces agents seraient signalés aux services partenaires lors des groupes d'évaluation départementaux (GED) et éventuellement inscrits, après évaluation, au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). La cellule Allat et l'EMaP (état-major permanent) seraient également alertés, notamment pour assurer la continuité du suivi de l'agent qui quitterait la DRSD.

La DRSD n'a jamais été confrontée à un cas de radicalisation en son sein. Le service n'a d'ailleurs pas sollicité la réunion d'une commission de radiation 115 ( * ) . Néanmoins, des mesures sont prévues pour écarter un agent radicalisé ; elles sont identiques à celles mises en place au ministère des armées, à savoir :

- entraves « administratives » comme la mobilité interne vers un poste non sensible, la mutation, la contribution à une sanction, la révision ou la perte d'habilitation, le non-renouvellement du contrat de travail, ou encore le déclenchement d'un conseil d'enquête en vue de rompre le contrat de travail ;

- entraves policières et judiciaires en lien avec les services partenaires (visite domiciliaire, mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance - MICAS, etc. ).

La radicalisation islamiste au sein des armées est en effet marginale comme le souligne un rapport du centre d'analyse du terrorisme (CAT) de décembre 2019. Néanmoins, selon ce même rapport, une vingtaine de militaires français ont rejoint des organisations terroristes depuis 2012, ou sont eux-mêmes impliqués dans des projets d'attentats. Ces statistiques doivent appellent une vigilance continue de l'encadrement militaire.

c) À la DRM

Les procédures de détection des signes de radicalisation sont identiques à celles des armées : le commandement de proximité est chargé de faire remonter les signaux faibles à l'officier de sécurité de son entité, et les éléments d'alerte sont rapportés à la DRSD afin qu'elle puisse engager les investigations qu'elle estime nécessaires.

Depuis 2010, trois agents ont fait l'objet d'une attention particulière motivée par une aggravation de leur vulnérabilité à l'Islam radical 116 ( * ) , et d'un retrait d'habilitation ayant entraîné leur départ du service.

Afin de ne pas éveiller l'attention des personnels à risque, la DRSD peut solliciter leur maintien en fonctions le temps de l'enquête. Une fois les agents mutés, la DRSD continue d'assurer leur suivi s'ils restent employés au sein de la « sphère défense », ou transmet leur dossier aux services de renseignement relevant du ministère de l'intérieur.

d) À la DGSI

La remontée d'informations s'opère oralement, en dehors de toute chaîne hiérarchique afin d'éviter toute forme de censure. Pour ce faire, le service central chargé des enquêtes de contrôle s'appuie sur les chefs de services, ses correspondants locaux implantés sur tout le territoire français (y compris dans les collectivités ultramarines), les psychologues et tout agent sensibilisé au risque de radicalisation. Des enquêtes de sécurité peuvent être diligentées ; menées à charge et à décharge, elles visent à déterminer si l'agent concerné par le signalement présente des vulnérabilités susceptibles de conduire au retrait de son habilitation, ou si son comportement peut mettre en péril sa sécurité ou celle de ses collègues.

La DGSI rapporte que 12 enquêtes de ce type ont été conduites depuis 2014 et ont conduit à 3 retraits d'habilitation 117 ( * ) . En outre, une douzaine d'enquêtes sont en cours pour réaliser une « levée de doute ».

e) À la DRPP

L'encadrement est chargé de sensibiliser les effectifs placés sous leur autorité à ces enjeux et de faire remonter tout signalement au directeur. Le psychologue du service peut également porter l'alerte.

Les signalements peuvent être opérés par tout moyen ; la voie hiérarchique et l'écrit sont toutefois encouragés afin de formaliser les signalements et d'en conserver la trace. Les agents peuvent également contacter le centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation 118 ( * ) (CNAPR), en prenant le soin de préciser qu'ils sont soumis au respect du secret de la défense nationale.

Les agents relevant du préfet de police soupçonnés de radicalisation sont suivis par un comité placé sous l'autorité de son directeur de cabinet. Les signalements sont donc centralisés auprès de l'IGPN qui se réunit tous les mois en format « groupe d'étude central » pour décider des suites à donner.

Le directeur du service ou son adjoint peuvent diligenter une enquête administrative interne en cas de doute sur le comportement d'un agent. La section en charge des habilitations peut également s'autosaisir. À ce titre, elle peut solliciter le concours de services partenaires.

Le directeur du service peut également saisir, sous couvert du préfet de police, l'inspection générale de la police nationale (IGPN), soit à la lumière des résultats de l'enquête, soit dès la prise de connaissance des faits reprochés à l'agent suivant leur caractérisation et leur gravité. Une saisine des autorités judiciaires en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale est également possible. Les agents appelés à témoigner dans le cadre d'une procédure judiciaire sont protégés par l'article L. 656-1 du code de procédure pénale (anonymat).

En 2019, un retrait d'habilitation pour cause de radicalisation présumée a été prononcé et l'IGPN a été alertée de ce cas. Compte tenu des impératifs de sécurité et de confidentialité, le service s'est séparé de l'agent radicalisé en lui retirant son habilitation 119 ( * ) et en le remettant à la disposition de la direction des ressources humaines de la préfecture de police qui détermine alors les suites administratives à donner (réaffectation, sanctions disciplinaires, etc. ).

f) Au SCRT

Un seul signalement a été rapporté par l'encadrement de proximité. Une évaluation a été effectuée par la hiérarchie, avec le soutien du SCRT, et s'est avérée négative ; le signalement était vraisemblablement mu par des difficultés relationnelles.

Une procédure spécifique a été mise en place pour la gestion des signalements portés à la connaissance du SCRT. À cet égard, une circulaire de la direction générale de la police nationale de 2015 a confié à l'IGPN la centralisation des signalements. De nouvelles instructions sont en cours de rédaction.

g) À la SDAO

*****

h) À la DNRED

*****

i) À Tracfin

Les doutes qui entourent le comportement d'un agent sont remontés auprès d'une entité hiérarchique qui en informe l'officier de sécurité, par ailleurs référent « lutte contre la radicalisation ». La taille du service, qui compte quelque 170 agents au total, permet une remontée d'informations rapide. *****. Un comportement anormal, ou l'impossibilité d'effectuer une levée de doute, conduirait à saisir le directeur du service qui saisirait à son tour le HFDS.

Si nécessaire, l'agent peut être suspendu (accès informatiques, carte d'accès aux locaux) dans l'attente des consignes du HFDS sur la conduite à tenir et de sa décision quant à l'habilitation de l'intéressé.

j) Au SNRP

Les critères de détection des signes de radicalisation sont basés sur ceux employés par les agents de la direction de l'administration pénitentiaire à l'endroit des personnes détenues. Le service s'appuie également sur son expérience pour identifier des critères additionnels.

Si un agent de l'administration pénitentiaire détecte des signes de radicalisation chez l'un de ses collègues, il est tenu de remplir une fiche de signalement type, sous couvert, le cas échéant, de son chef d'établissement (ou de service) et de son directeur interrégional qui l'envoie à une adresse électronique dédiée. *****.

*****

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice octroie au renseignement pénitentiaire de nouvelles possibilités d'emploi de techniques de recueil de renseignement, dont la mise en oeuvre n'est plus limitée aux seules personnes détenues mais concerne également les intervenants en détention, pour la finalité de sécurité pénitentiaire.

Le décret n° 2019-1503 du 30 décembre 2019 modifiant diverses dispositions relatives au renseignement pénitentiaire a parachevé l'arsenal juridique dont dispose le SNRP en matière de techniques de renseignement. Il étend notamment ces techniques à l'encontre des intervenants en détention, dans l'enceinte des établissements pénitentiaires, pour les finalités de prévention du terrorisme et de lutte contre la criminalité organisée.


* 115 Dispositions prévues au IV de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure et à l'article L. 4139-15-1 du code de la défense, portant sur l'incompatibilité du comportement des agents publics avec leurs fonctions lorsqu'ils occupent un emploi participant à l'exercice de missions de souveraineté de l'État ou relevant du domaine de la sécurité et de la défense.

* 116 Évolution de leur sensibilité religieuse ou de celle de leur entourage.

* 117 Toutefois, aucun de ces retraits d'habilitation n'a été décidé pour le seul motif de radicalisation.

* 118 Plateforme téléphonique nationale.

* 119 Il n'existe pas de procédure de retrait temporaire d'habilitation.

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