B. ASSOCIER PLEINEMENT LES ÉLUS À LA DÉFINITION DES POLITIQUES ÉDUCATIVES LOCALES

1. Entrer dans une logique de conception partagée et de codécision

La mission d'information est convaincue que l'association des collectivités territoriales est une condition sine qua non de la réussite des politiques éducatives. L'éducation nationale, ne peut se construire contre les collectivités territoriales, ni même sans elles. En effet, ces dernières exercent des compétences en lien avec le périscolaire - la restauration, la culture, le sport - ou l'extrascolaire - formation professionnelle, infrastructures. Selon M. Vincent Léna, coordonnateur du programme national du programme interministériel des « cités éducatives » 77 ( * ) , les dépenses éducatives représentent d'ailleurs le premier poste de dépenses des villes disposant de quartiers relevant de la politique de la ville - près de 33 à 40 % de leurs budgets. Tant les collectivités locales, que les établissements scolaires mènent au niveau local de nombreuses expérimentations. Mais celles-ci butent sur plusieurs obstacles : absence de synergie avec l'éducation nationale, une multiplicité d'acteurs ne partageant pas le même langage ou la même conception du projet éducatif, ou encore le départ de la personne ressource entraînant une stagnation, voire un recul des projets menés.

À cet égard, la mission d'information juge intéressant le projet des cités éducatives, car il met en résonnance l'ensemble des acteurs des quartiers prioritaires de la ville qui interviennent dans le quotidien des enfants et des jeunes. Porté par les collectivités locales, il associe tous les acteurs locaux - le maire, le préfet, le recteur d'académie, mais aussi les associations locales.

Les cités éducatives

Lancées le 5 novembre 2018 par le ministre chargé de la Ville et du Logement et le ministre de l'éducation nationale, les citées éducatives nécessitent « une collaboration étroite entre le maire, le préfet et le directeur académique départemental des services de l'éducation nationale pour créer un écosystème favorable autour du collège afin d'offrir aux élèves une éducation de qualité pendant le temps scolaire et périscolaire ».

Plus de 160 candidatures spontanées ont été déposées. Au final en mai 2019, 80 territoires éligibles ont été sélectionnées. Il s'agit de grands quartiers d'habitat social de plus de 5 000 habitants, présentant des dysfonctionnements urbains importants et avec des enjeux de mixité scolaire Ont également été pris en compte les enjeux d'aménagement du territoire et le volontarisme des élus locaux. 34 millions d'euros par an entre 2020 et 2022 - soit plus de 100 millions d'euros - des crédits du ministère chargé de la Ville sont réservés à cette politique.

À Grigny, projet pilote depuis deux ans, ce projet a permis la mise en réseau d'acteurs qui ne se parlaient pas. La cité éducative repose sur la coopération locale et l'hyperproximité. Des formations croisées entre les personnels ATSEM et les enseignants sont proposées, ainsi qu'avec les personnels communaux. Des professeurs du lycée Carnot de Savigny-sur-Orge dont la moitié des élèves viennent de Grigny se rendent désormais dans les classes de 4 ème de Grigny, permettant une continuité éducative entre le collège et le lycée. Cette mesure a permis de diminuer le taux d'échec en seconde générale. L'État, l'éducation nationale et la ville de Grigny ont créé conjointement le médiapôle centre de formation aux médias pour les professeurs, autres professionnels et les élèves. Pour les personnes rencontrées lors du déplacement de la mission à Grigny la concrétisation de ce projet témoigne de la confiance mutuelle que se font désormais ces trois acteurs.

Or, les témoignages recueillis lors de la consultation lancée par la mission d'information montrent bien souvent une absence de codécision, voire même d'écoute des élus par les services déconcentrés de l'éducation nationale. Votre mission relève ainsi le souhait que « les élus même des petites communes soient pris en compte », et de manière plus générale « de davantage prendre en compte les élus de terrain dans les décisions ». Elle note avec intérêt la volonté d'un élu « d'éviter les négociations bilatérales, mais de favoriser la concertation collective par secteur ».

La mission d'information juge nécessaire le renforcement du dialogue entre l'ensemble des acteurs territoriaux de la politique éducative au sens large et son inscription dans un partenariat durable. Elle juge en effet indispensable de sortir d'une logique annuelle et court-termiste, source de défiance et rendant difficile la construction de projets pédagogiques.

Proposition : Renforcer les partenariats entre les collectivités locales et les services déconcentrés de l'éducation nationale

2. Utiliser pleinement les possibilités offertes par les conventions ruralité

En 2011, le rapport sur l'organisation du système scolaire de notre ancien collègue Jean-Claude Carle soulignait que « le noeud du problème est de parvenir à établir un lien de confiance durable et solide entre des acteurs ne parlant pas toujours le même langage. Ensemble, élus, parents et administration disposent de toutes les ressources d'inventivité nécessaires pour trouver des solutions structurelles et pérennes adaptées aux caractéristiques particulières des milieux ruraux, conjuguant l'efficacité pédagogique, l'efficience financière et le développement des territoires » 78 ( * ) .

Ce lien de confiance et une vision de long-terme pour l'école ; tel est l'objet initial des conventions ruralité, un dispositif initié à partir de 2014 sur l'impulsion de notre collègue Alain Duran 79 ( * ) . L'instruction ministérielle du 11 octobre 2016 définit la convention ruralité comme « un contrat d'engagements réciproques conclu, dans les territoires ruraux ou de montagne, caractérisés par un maillage des écoles ne correspondant plus aux réalités de la démographie scolaire locale, et permettant de favoriser les apprentissages et l'épanouissement des enfants et de garantir l'avenir scolaire des élèves dans ces territoires » 80 ( * ) .

Conclues en principe pour une durée de trois ans, ces conventions sont généralement établies au niveau du département et signées le plus souvent par le recteur d'académie, le préfet, l'association des maires du département et le conseil départemental 81 ( * ) . Au mois de mai 2019, des conventions avaient été conclues dans 52 départements, 66 étant identifiés par le ministère comme susceptibles de s'engager dans cette démarche.

Établies sur la base d'un diagnostic partagé sur les problématiques du territoire et les prévisions d'effectifs, ces conventions actent des engagements réciproques de l'État, par le maintien de postes d'enseignants et l'attribution de décharges ou de postes spécifiques, et des élus locaux, qui s'engagent à la réorganisation du réseau d'écoles.

L'État peut participer au financement des projets inscrits dans les conventions ruralité par le biais de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Le ministère indique que depuis 2015, 300 emplois ont été créés dans le cadre de ces conventions ; 100 ETP étaient inscrits à cet effet pour la rentrée 2018.

Les conventions ruralité dans l'académie de Reims

Les conventions ruralités signées dans les 4 départements et les avenants incluant les collèges dans la réflexion globale de territoire, constituent la base du partenariat entre les élus, les partenaires et les équipes éducatives. Elles sont de véritables outils pour la mise en oeuvre d'une stratégie territoriale avec pour vocation de porter des projets locaux d'avenir attractifs et innovants (sciences, arts, numérique, école du socle...).

Quatre comités de pilotage départementaux « ruralité » réunissent les signataires de la convention. Ils sont réunis par les DASEN deux à trois fois par an pour un accompagnement et un suivi des projets élaborés dans le cadre des conventions (3 à 5 projets par département). Actuellement, les réflexions se sont engagées autour de la réalisation d'un diagnostic spécifique à chaque territoire mettant en avant les forces et les faiblesses et, la définition partagée d'un idéal éducatif de territoire est recherchée. Dans ce cadre, l'entrée par les communautés de communes est privilégiée, qu'elles aient ou non la compétence scolaire et ce, dans la mesure ou la dimension éducative leur revient très souvent au niveau du développement culturel, sportif, périscolaire et péri-éducatif. La mise en réseau de tous les acteurs s'organise dans l'intérêt de la réussite des jeunes et de l'attractivité du territoire.

Source : rectorat de Reims

Les éléments d'appréciation portés à la connaissance de la mission font état d'un premier bilan nuancé .

Le rapport de la mission ruralité de l'IGEN et de l'IGAENR constate sobrement que « le dispositif contractuel ne produit pas en soi des transformations décisives à ce stade (...) de façon plus significative, la plupart des conventions demeurent centrées sur les seuls enjeux d'organisation et de moyens à court terme, sans toujours faire émerger une stratégie territoriale et pédagogique d'ensemble permettant d'aller au-delà des mesures de carte scolaire » 82 ( * ) .

D'autres rapports des inspections générales sont plus critiques ; dans une académie, « les protocoles ruralité sur la restructuration des réseaux d'écoles ne sont pas respectés. Les IA-DASEN mènent un travail très difficile auprès des élus, et des communautés de communes, lorsqu'elles ont la compétence scolaire, pour les persuader de la nécessité de réorganiser le réseau des écoles pour déployer une offre pédagogique de qualité et pour lutter contre l'immobilisme des maires, éviter des logiques annuelles de carte scolaire, qui consistent à débaucher quelques familles pour maintenir ici ou là une classe dans une école, sans réflexion partagée de moyen et long termes » 83 ( * ) .

Un outil peu connu des élus, un regard plutôt positif

La consultation réalisée par la mission auprès des élus locaux révèle que les conventions ruralité sont des instruments méconnus : alors que plus de 50 départements sont couverts par les conventions ruralité, plus de la moitié des répondants ignore si leur département est concerné, seuls 12,1% affirment qu'une telle convention a été conclue dans leur département.

Les élus locaux portent également des jugements mitigés sur ces instruments : certains en contestent le principe, refusant d'acter la logique d'une évolution de la carte scolaire susceptible de mener à des fermetures de classe ou d'école. D'autres estiment que derrière un habillage contractuel, les possibilités réelles de négociation des élus locaux sont faibles.

Le second rapport de notre collègue Alain Duran, consacré à l'accompagnement de la mise en oeuvre des conventions, fait état de dynamiques diverses selon les départements, des contingences locales faisant parfois obstacle à la conclusion ou à la mise en oeuvre des conventions, et constate « une appropriation encore incertaine des enjeux de long-terme », appelant de ses voeux un travail transversal impliquant tous les acteurs, notamment le conseil départemental et le conseil régional, et englobant la question des collèges 84 ( * ) .

Toutefois, comme le relève notre collègue, « la satisfaction exprimée par les bénéficiaires des conventions ruralité et les réalisations concrètes, si minimes soient-elles, valent toujours mieux que la prescription ex nihilo de recommandations verticales, souvent très éloignées des préoccupations véritables des familles quant à l'organisation de la scolarité de leurs enfants » 85 ( * ) .

Ce constat semble par les élus locaux connaissant l'existence de ces conventions et les utilisant. Ainsi, lorsqu'elle est connue, la convention ruralité est jugée utile par près de ¾ des répondants à la consultation lancée par la mission d'information.

La mission d'information considère que ces conventions ruralité vont dans le bon sens, en objectivant le débat et en instaurant un dialogue de moyen-terme sur l'avenir de l'école dans les territoires ruraux. Ainsi, si fermeture de classe ou d'école il doit y avoir à moyen terme, celle-ci est préparée, annoncée suffisamment à l'avance pour permettre l'élaboration d'une solution concertée entre le rectorat, les élus locaux et les parents d'élèves.

La mission estime toutefois que leur portée pourrait être renforcée en les inscrivant dans une perspective allant au-delà du maintien ou non d'une école ou d'une classe : il semble opportun, notamment dans la perspective d'inscrire les écoles rurales dans une logique d'animation des territoires, d'intégrer à ces conventions une réflexion portant sur le périscolaire et l'extrascolaire, et plus généralement sur l'aménagement du territoire rural.

Proposition : Inscrire les conventions ruralité dans une perspective plus large intégrant aménagement du territoire, périscolaire et extrascolaire


* 77 Audition du 23 mai 2019.

* 78 De la pyramide aux réseaux : une nouvelle architecture pour l'école , rapport d'information n° 649 (2010-2011) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la mission commune d'information du Sénat sur le système scolaire, juin 2011.

* 79 Alain Duran, Rapport au Premier ministre sur la mise en oeuvre des conventions ruralité , mai 2016.

* 80 Instruction n° 2016-155 du 11 octobre 2016 relative aux écoles situées en zones rurale et de montagne, NOR : MENE1629443J.

* 81 Selon le recensement de l'IGAENR cité dans le rapport n° 2018-080, « outre le recteur et (presque toujours) le préfet, les signataires sont le conseil départemental (60 % des conventions), l'association des maires de France (95 % des conventions), l'association des maires ruraux de France (34 % des conventions). Parfois sont également signataires : le conseil régional (2 conventions), des parlementaires (6 conventions), des maires (2 conventions infradépartementales), des présidents d'intercommunalités (6 conventions), la caisse d'allocations familiales (Doubs). Sans être nécessairement signataires, sont généralement présents dans les comités de pilotage départementaux des conventions : le conseil régional, le conseil départemental, l'association des maires ruraux, l'association des communautés de France, les fédérations de parents d'élèves (FCPE et PEEP), le collectif des associations partenaires de l'école publique (CAPE). »

* 82 IGEN et IGAENR, Mission ruralité. Adapter l'organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux . Rapport d'étape n° 2, rapport n° 2018-080, juillet 2018

* 83 IGAENR, Synthèse des notes des correspondants académiques de l'IGAENR. Préparation de la rentrée 2018, rapport n° 2018-061, juin 2018.

* 84 Alain Duran, Rapport au Premier ministre sur la mission d'accompagnement de la mise en oeuvre des conventions ruralité 2018 , avril 2019.

* 85 Idem.

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