Rapport d'information n° 649 (2018-2019) de Mme Valérie LÉTARD , rapporteure, fait au nom de la MI enjeux de la filière sidérurgique, déposé le 9 juillet 2019

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N° 649

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXI e siècle : opportunité de croissance et de développement (1),

Tome II : Comptes rendus des auditions

Par Mme Valérie LÉTARD,

Rapporteure,

Sénatrice

(1) Cette mission d'information est composée de : M. Franck Menonville, président ; Mme Valérie Létard, rapporteure ; MM. Jean-Pierre Vial, François Grosdidier, Mme Sabine Van Heghe, MM. Jean-Marc Todeschini, Bernard Buis, Fabien Gay, Dany Wattebled, vice-présidents ; Mme Martine Berthet, MM. Martial Bourquin, Français Calvet, Jean-Pierre Corbisez, Mme Martine Filleul, MM. Claude Kern, Marc Laménie, Mmes Élisabeth Lamure, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Gérard Longuet, Frédéric Marchand, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, M. Cyril Pellevat, Mmes Angèle Préville, Nadia Sollogoub, M. Jean-Claude Tissot.

I. COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

A. RÉUNION CONSTITUTIVE (6 FÉVRIER 2019)

Réunie le mercredi 6 février 2019, sous la présidence de M. Jean-Pierre Vial, président d'âge, puis de M. Franck Menonville, président, la mission d'information a tenu sa réunion constitutive.

M. Jean-Pierre Vial , président, en remplacement de M. Gérard Longuet, président d'âge . - Cette mission commune d'information a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Le groupe Union centriste en a formulé la demande le 11 juin dernier à la Conférence des présidents, qui en a pris acte et a précisé que les travaux devraient s'achever à la fin du mois de juillet prochain. Les 27 membres de la mission ont été nommés, sur proposition de l'ensemble des groupes politiques, lors de la séance publique du 30 janvier dernier.

Nous devons désigner le président de la mission. J'ai reçu la candidature de M. Franck Menonville. Il n'y a pas d'autre candidature.

La mission d'information procède à la désignation de son président, Franck Menonville.

Présidence de M. Franck Menonville, président

M. Franck Menonville , président . - Merci au président Vial ; et merci à vous tous de la confiance que vous m'accordez pour présider nos travaux.

Notre mission d'information s'inscrit dans la suite des travaux conduits par Alain Chatillon et Martial Bourquin sur Alstom et la stratégie industrielle du pays.

M. Martial Bourquin . - Nous ne nous sommes pas trompés sur le diagnostic...

M. Franck Menonville , président . - L'actualité le confirme.

Dans un second rapport, nous avions pris en considération la situation de l'ensemble de l'industrie française et des entreprises. Ce troisième moment analysera donc les perspectives d'une filière industrielle stratégique, la sidérurgie, en cours de mutation. Nos travaux dureront six mois.

Mais dans l'immédiat il nous faut constituer notre bureau, en commençant par le rapporteur. Le groupe Union centriste, qui est à l'origine de notre mission d'information, propose Mme Valérie Létard.

La mission d'information procède à la désignation de son rapporteur, Mme Valérie Létard.

M. Franck Menonville , président . - Nous allons à présent désigner les vice-présidents. Conformément à l'usage, les deux groupes ayant les effectifs les plus importants auront chacun deux représentants au bureau (président et rapporteur compris), chaque autre groupe aura un représentant (président et rapporteur compris). Je suis saisi des candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, MM. Jean-Pierre Vial et François Grosdidier ; pour le groupe socialiste et républicain, Mme Sabine Van Heghe et M. Jean-Marc Todeschini ; pour le groupe La République En Marche, M. Bernard Buis ; pour le groupe communiste républicain, citoyen et écologiste : M. Fabien Gay ; et pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires : M. Dany Wattebled.

La mission procède à la désignation des autres membres de son bureau : MM. Jean-Pierre Vial, François Grosdidier, Mme Sabine Van Heghe, MM. Jean-Marc Todeschini, Bernard Buis, Fabien Gay et Dany Wattebled.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je suis très heureuse de la responsabilité que vous me confiez. La Conférence des présidents a effectivement précisé que les travaux de la mission d'information devraient s'achever fin juillet. Je vous propose cependant de prévoir une adoption du rapport et une présentation à la presse avant la mi-juillet, pour une meilleure visibilité médiatique.

Notre prochaine réunion sera consacrée au calendrier des auditions. Je souhaite au préalable aborder avec vous le format et le périmètre de ce rapport. La sidérurgie est un secteur essentiel qui fait face à de nombreux défis. Aujourd'hui, le secteur des minerais, minéraux et métaux représente en France environ 350 entreprises employant directement près de 62 500 personnes et dégageant un chiffre d'affaires de l'ordre de 41 milliards d'euros. Certaines entreprises sont des champions nationaux, parmi les leaders mondiaux, positionnés sur des marchés de spécialité, mais le secteur compte également de nombreuses PME et ETI.

Ce secteur est stratégique pour l'indépendance nationale. Les deux défis qu'il doit affronter sont d'une part la sécurisation, dans un environnement de surcapacités mondiales et de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine dont l'Europe pourrait subir les dommages collatéraux, d'autre part la décarbonation, avec un objectif ambitieux de réduction de 80 % de la production de CO2 d'ici 2050.

Voulons-nous concentrer nos travaux sur l'acier ? La définition étymologique de la sidérurgie - les technologies d'obtention de la fonte, du fer et de l'acier à partir de minerai de fer ou de ferrailles mais également l'industrie qui les met en oeuvre - nous y incite. Souhaitons-nous traiter ou non de l'aluminium ou du cuivre - où les enjeux sont beaucoup plus faibles ? L'acier est déjà un sujet considérable. Mieux vaudrait à mon avis éviter de nous disperser.

Je propose de ne pas évoquer non plus la question des terres rares, qui a déjà fait l'objet d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en mai 2016. Elle constitue en effet une problématique à part entière.

Quels grands thèmes aborder dans le rapport ? Le premier serait la recherche-développement. Pas d'avenir pour la filière sans innovation. Or, en 2011, l'Académie des sciences et l'Académie des technologies avaient alerté sur le vieillissement et la diminution du nombre de chercheurs dans un secteur qui n'attire plus. Qu'en est-il aujourd'hui, alors que toute la filière industrielle fait des efforts d'attractivité ? Je pense à l'Usine extraordinaire, exposition itinérante que les Parisiens ont pu découvrir au Grand Palais en novembre dernier.

Le deuxième thème concerne l'articulation des stratégies. Au niveau européen, quelle est la politique suivie par la Commission européenne ? Elle avait imaginé un Plan acier en 2013 et avait présenté une communication en mars 2016. Au niveau national, nous pourrions commencer par examiner la place de la sidérurgie dans le tout récent contrat de filière du 18 janvier 2019. Ce document a été élaboré par le comité stratégique de filière « Mine et métallurgie », constitué en mai 2018 et présidé par Mme Christel Bories, PDG d'Eramet. Nous pourrons également faire le point sur la prise en compte de cette filière dans les contrats territoriaux de transition énergétique et dans les 124 « territoires d'industrie » définis en novembre dernier par le Gouvernement. Il ne faudra pas oublier l'économie circulaire - ferraille, recyclage - car elle est importante à la fois pour la réduction des émissions de CO2 et pour l'emploi.

Au niveau régional, quelle place cette filière occupe-t-elle au sein des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation ? Enfin, au niveau des entreprises, certaines ont des stratégies mondialisées : quel rôle assignent-elles à leurs filiales françaises ? Comment assurer la montée en gamme et la spécialisation ? Comment rester compétitif ? Il ne sera sans doute pas facile d'obtenir ce type d'informations, qui relève parfois du secret des affaires.

Bref, nous nous interrogerons sur la place de cette filière dans l'industrie du futur.

Troisième question, la fiscalité du carbone et son impact sur la modernisation d'une filière forte consommatrice de quotas carbone. Je rappelle que la taxe carbone aurait dû augmenter de 44,60 à 55 euros la tonne en 2019, et jusqu'à 86 euros en 2020... Le défi concerne la réduction massive de ses émissions de CO2, qui était l'ambition du projet Ulcos à Florange. Il y a aussi l'impact du coût de l'électricité, dont la filière est là encore grosse consommatrice.

Quatrième point, l'impact social et territorial de la filière dans le processus de désindustrialisation de la France. Nous pourrons auditer la manière dont l'État et les collectivités territoriales sont intervenus et peuvent intervenir en soutien des entreprises.

Nous pourrons examiner si cette filière peut bénéficier d'un engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC), autrement dit un accord annuel ou pluriannuel conclu entre l'État et une ou plusieurs branches professionnelles pour la mise en oeuvre d'un plan d'action négocié, sur la base d'un diagnostic partagé sur les besoins. Il s'agit d'anticiper les conséquences des mutations économiques, sociales et démographiques sur les emplois et les compétences et de mener des actions concertées dans les territoires.

Nous pourrions entendre dès le jeudi 14 février prochain M. Julien Tognola, chef du service de l'industrie de la direction générale des entreprises au ministère de l'Économie et des finances ; puis, très rapidement, Mme Christel Bories, PDG du groupe Eramet, en sa qualité de président du comité stratégique de filière Mine et Métallurgie, ainsi que Mme Catherine Tissot-Colle et M. Philippe Darmayan, co-présidents de A3M, Alliance des Minerais, Minéraux et Métaux. Celle-ci résulte d'une alliance entre la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (Fedem) et la Fédération française de l'acier (FFA).

M. Martial Bourquin . - Ce plan de travail me semble excellent. Il serait bon de connaître les besoins du marché intérieur en aciers divers, à comparer avec nos capacités de production. Il serait utile également d'appréhender l'ensemble des produits du laminage, les aciers spéciaux, etc. Que produisons-nous ? Qu'avons-nous cessé de produire ? Pourquoi ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Un bilan de l'existant, donc, concernant les produits longs, plats, aciers spéciaux, inoxydables, ...

M. Martial Bourquin . - ...laminage à froid, classique,...

M. Franck Menonville , président . - Nous pourrons voir cela très rapidement.

M. Martial Bourquin . - Nous étions leader européen il y a vingt ou trente ans. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme Martine Filleul . - Concernant le manque d'attrait de la filière, je souhaiterais que nous nous penchions sur l'appareil de formation. Il n'attire ni les étudiants, ni les apprentis. Comment le revivifier, comment le faire connaître ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Effectivement. Nous pourrons aborder ce point lorsque nous traiterons de l'engagement de développement de l'emploi et des compétences.

M. Claude Kern . - Nous excluons l'aluminium alors que nous allons interroger un représentant de la filière des métaux non ferreux. De plus la filière aluminium souffre d'un très faible taux de recyclage des cannettes, gisement pourtant infini ! Les nombreuses usines de transformation sont équipées pour les traiter, mais la matière manque.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous pourrions inclure un développement sur ce point dans la partie consacrée à l'économie circulaire ?

M. Claude Kern . - Excellent.

Mme Anne-Catherine Loisier . - M. Bourquin propose un historique des capacités de production et un point sur le marché intérieur : pourrions-nous réunir également des éléments sur la compétitivité de nos entreprises et les marchés d'exportation ? Les territoires d'industrie qui comprennent des pôles sidérurgiques pourraient constituer de parfaits laboratoires pour nous : s'ils ont été désignés tels, c'est qu'ils ont le potentiel pour s'organiser. Intéressons-nous à ce qu'ils réalisent ! D'autant qu'ils incluent des formations. Il faudrait commencer par répertorier ces territoires.

M. Martial Bourquin , rapporteur général . - Il conviendrait également de s'intéresser aux entreprises électro-intensives, qui sont dans le périmètre de notre mission. Sans politique publique très forte sur l'énergie, ces entreprises auraient disparu du territoire.

M. Jean-Pierre Vial . - J'étais réticent dans un premier temps à vouloir limiter notre travail à l'acier mais je suis rassuré par la liste des champs à explorer que Mme Létard a dressée. En Rhône-Alpes, nous avons travaillé sur le volet énergie-récupération : il n'existe plus que deux sites d'aluminium en France, à Dunkerque et en Savoie. Le site savoyard a été sauvé par les Allemands, parce que ceux-ci ont réintégré le recyclage dans la fabrication et ont ainsi réduit le coût de la matière. Et les électro-intensifs économisent sur le coût de l'énergie grâce à l'effacement.

La mission sur l'avenir de l'industrie se penchait sur ces questions, mais son rapport a été torpillé au plus haut niveau de l'État et des grandes institutions.

M. Martial Bourquin . - C'est vrai. Merci de le signaler...

M. Jean-Pierre Vial . - C'est qu'il s'agit d'un domaine très sensible... La consommation des entreprises industrielles disparues depuis quinze ans équivaut à 6 ou 8 gigawatts. En voulant protéger les grands opérateurs d'énergie, on signe en fait la perte de l'industrie... donc la perte des grands opérateurs.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Oui, nous pourrions aborder cette question dans le troisième grand chapitre, sur la modernisation d'une filière forte consommatrice d'énergie.

M. Marc Laménie . - Il convient de privilégier l'acier, certes, mais sans oublier l'ensemble. La formation, oui, mais aussi le recrutement des jeunes, car les apprentis et les diplômés de l'enseignement supérieur trouveront dans cette filière des débouchés et des emplois.

Mme Angèle Préville . - L'économie circulaire est d'autant plus précieuse que la production d'aluminium entraîne une grave pollution aux boues rouges. Le recyclage est indispensable ! Concernant la recherche-développement, je crois que l'on produit en Suède un acier avec de l'hydrogène, sans carbone : c'est peut-être une piste à explorer dans notre travail ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'adaptation des procédés fait partie des grands défis : usine intégrée proches du minerai, usine de recyclage, on a besoin des deux, mais quelle part doit avoir chacune ? Où en est la France sur les procédés émergents, sur la recherche-développement, dans ce secteur où les innovations sont nombreuses ? Avec la fermeture d'opérateurs, on a perdu des savoir-faire. Le CEA Tech s'est penché sur cette question. Nous avions entendu son directeur, nous pourrions lui demander de nous orienter vers des interlocuteurs intéressants...

M. Franck Menonville , président . - Le CEA Tech dispose même de pilotes expérimentaux.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous pouvons explorer cette voie. D'ici jeudi prochain, nous préciserons tout cela et vous proposerons ainsi un calendrier, des auditions, des déplacements...

M. Jean-Marc Todeschini . - Vous souhaitez peut-être faire une visite à Florange ?

M. Claude Kern . - Du moins ce qu'il en reste...

M. Jean-Marc Todeschini . - Il reste de la sidérurgie avec 3 000 emplois.

M. Franck Menonville , président . - Merci à tous.

B. RÉUNION D'ADOPTION DU RAPPORT (9 JUILLET 2019)

Réunie le mardi 9 juillet 2019, la mission d'information a tenu la réunion d'adoption de son rapport final.

M. Franck Menonville , président . - Nous nous réunissons aujourd'hui pour clôturer nos travaux, débutés en février dernier.

Notre mission s'est attachée non à revenir sur le passé, ses erreurs et ses errements, ce qui nous aurait accaparés trop longtemps, mais à imaginer un futur pour cette filière, bousculée par une crise de surcapacités, par un contexte de forte rivalité commerciale, avec notamment le dumping de nos compétiteurs asiatiques et les mesures unilatérales des États-Unis, et par la pression accrue des enjeux climatiques. Ces évolutions ont marginalisé notre production nationale, mise au défi de sa survie.

Pour que la filière sidérurgique puisse relever ces défis, il lui faudra être accompagnée par les pouvoirs publics.

Nous avons entendu plusieurs dizaines de personnes, au cours de près de 30 auditions au Sénat, dont trois tables rondes, et de cinq déplacements. Nous avons rencontré des acteurs de l'industrie, des représentants des pouvoirs publics et des salariés, en France et à Bruxelles.

Ces travaux que nous avons menés, avec Mme la rapporteure, mais aussi avec plusieurs d'entre vous qui avez été très investis, permettent aujourd'hui de formuler trente propositions qu'elle va vous présenter. Je les partage, et suis d'ailleurs convaincu que ces propositions seront partagées par un grand nombre d'entre vous.

Notre réunion va se dérouler en trois étapes : d'abord, une présentation générale par la rapporteure de ses conclusions et de ses propositions ; ensuite, chaque membre de la mission pourra s'exprimer, s'il le souhaite ; enfin, nous mettrons à l'adoption le titre et le contenu du rapport, qui sera présenté à la presse demain matin.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Mes chers collègues, je vous remercie de votre participation et de vos contributions sur ce sujet qui nous tient à coeur. Dès le début de nos travaux, l'ambition de la mission d'information a été, conformément à la demande du groupe Union centriste qui en avait sollicité la création, de s'inscrire dans la réflexion plus large menée par le Sénat sur la stratégie industrielle de notre pays. Il y a un peu plus d'un an, nos collègues Alain Chatillon et Martial Bourquin avaient publié un rapport sur Alstom et la stratégie industrielle du pays. Nos travaux s'inscrivent dans la pleine continuité de leurs conclusions, mais nous avons souhaité approfondir la situation et les perspectives d'une filière stratégique : la sidérurgie.

Les trente propositions que formule le rapport reposent sur le constat suivant : l'acier est la fondation stratégique de l'économie. Il est au coeur des besoins de très nombreuses industries, parmi lesquelles les plus performantes et les plus prometteuses de notre économie : l'automobile bien sûr, la construction, l'aéronautique, mais aussi des filières d'avenir comme l'éolien ou le recyclage. Pour nombre d'entre elles, la disponibilité d'un acier compétitif et de qualité est un enjeu primordial. La consolidation de notre industrie sidérurgique nationale et la préservation de nos capacités sont donc absolument stratégiques.

Pourtant, notre état des lieux révèle une dynamique inverse.

D'une part, la diminution des volumes produits et de l'emploi se poursuit. En dix ans, la France a perdu 20 % de ses emplois sidérurgiques ; il en reste actuellement 38 000 environ. Nous sommes désormais le quinzième producteur mondial, alors que nous étions encore septième en 1960. Il reste 8 hauts fourneaux actifs en France, contre 152 en 1954.

D'autre part, le secteur sidérurgique français est de plus en plus concentré, et en quasi-totalité détenu par des groupes étrangers. Près de deux tiers de la production française sort des usines d'ArcelorMittal, qui fournit un tiers des emplois sidérurgiques. Cette concentration est le résultat de la pression concurrentielle des nouveaux producteurs chinois et indiens notamment, et des besoins colossaux d'investissement des entreprises sidérurgiques.

Enfin, l'approvisionnement en matières premières est loin d'être sécurisé : la France est structurellement dépendante de ses importations de charbon, de minerai de fer et de minerais rares.

Au-delà de cet état des lieux inquiétant, qui démontre que le caractère stratégique de la sidérurgie n'est pas assez pris en compte par les politiques publiques, nos travaux ont identifié quatre défis majeurs pour le futur de la sidérurgie française.

D'abord, la surcapacité de production d'acier persiste au niveau mondial, ce qui exacerbe la concurrence et les tensions commerciales, au détriment de l'industrie européenne.

La Chine produit désormais à elle seule plus de la moitié de l'acier mondial, contre seulement 15 % en l'an 2000. Sa domination se fonde sur une politique industrielle dirigiste, menée à coups de subventions massives par le biais d'énormes entreprises publiques, et par un recours quasi systématique au dumping des exportations chinoises. De plus, de nouveaux producteurs montent en puissance, comme l'Iran, l'Algérie ou le Vietnam : les surcapacités devraient continuer à augmenter dans les prochaines années. Pourtant, les usines mondiales ne tournent actuellement qu'à 75 % de leur capacité : le marché est inondé.

Dans ce contexte de concurrence exacerbée, de plus en plus de pays ont recours au protectionnisme commercial et à des pratiques déloyales : la Chine, l'Inde ou la Russie « dumpent » massivement leurs exportations, et les États-Unis ont fermé leur marché en instaurant des droits de douane additionnels, qui touchent aussi bien l'Europe que l'Asie. Les surcapacités et les tensions commerciales sont une menace existentielle pour la sidérurgie.

Ensuite, les producteurs français et européens font face à un environnement réglementaire très contraignant et au défi majeur de la transition énergétique.

Les objectifs climatiques et énergétiques sont déjà très ambitieux et se renforcent, avec la hausse du coût du carbone sur le marché européen des quotas et la pression pour trouver de nouveaux procédés moins émetteurs pour la sidérurgie, qui représente 8 % des rejets mondiaux en gaz à effet de serre. Les compétiteurs de pays tiers ne sont, eux, pas tenus aux mêmes exigences. Par ailleurs, les règles en matière d'aides d'État sont très encadrées au niveau européen, tandis que les pays émergents bénéficient de subventions publiques massives. De même, le droit de la concurrence ne permet pas aux groupes européens de jouer sur le même plan que les géants sidérurgiques chinois. Enfin, l'utilisation de mécanismes de défense commerciale est limitée par les règles de l'OMC et de l'Union européenne, alors même que le besoin de protection des producteurs européens est plus fort que jamais.

Troisièmement, les moyens nécessaires à l'adaptation de l'industrie sidérurgique sont difficiles à mobiliser.

Les sommes nécessaires à la modernisation de notre outil productif, vieillissant, sont colossales, alors que le kilo d'acier se vend moins cher que le kilo de pommes de terre ! Nos auditionnés ont indiqué que la Chine avait banni les modèles de hauts fourneaux les plus répandus en Europe, car elle les juge obsolètes. D'autre part, l'investissement dans la recherche et développement (R&D) est très lourd et risqué. Il y a peu de visibilité sur l'évolution des coûts à moyen terme, en raison de la variation des prix des matières premières, de l'électricité et de l'évolution de la demande d'acier.

Alors que les entreprises sidérurgiques ont peu de réserves financières et que l'accès aux financements privés reste contraint, le maintien d'un niveau d'investissement suffisant pour poursuivre la modernisation et soutenir la compétitivité est un véritable défi.

Enfin, le désamour des Français pour les métiers industriels et le déficit d'attractivité de la filière pourrait placer la filière française en pénurie de compétences et de travailleurs.

De nombreux métiers de la filière sont aujourd'hui en tension. La médiatisation des plans sociaux à répétition contribue à façonner une représentation déclinante de la sidérurgie dans l'imaginaire des Français. Pourtant, cette industrie a considérablement évolué, tant s'agissant des conditions de travail, des procédés de production que des niveaux de rémunération.

Mes chers collègues, ces quatre défis sont de taille. Pourtant, je vous propose un constat partagé autour de ces deux éléments.

D'abord, l'industrie sidérurgique n'est pas une filière du passé, elle fait partie de l'avenir de notre pays. La consolidation des implantations en France doit être une priorité, car tout un pan de notre économie dépend de notre capacité à produire de l'acier. Il serait totalement incompréhensible de voir disparaître ces savoir-faire français et de laisser notre sidérurgie « mourir en bonne santé ».

Ensuite, les grands défis que j'ai déjà évoqués offrent à l'industrie sidérurgique de formidables occasions de se réinventer : les ruptures technologiques liées à la décarbonation de l'industrie et à la digitalisation des procédés de production, le développement de la filière éolienne, la prise en compte croissante de l'économie circulaire et du recyclage constituent des opportunités sans précédent pour l'industrie sidérurgique française.

Nos travaux se sont concentrés sur quatre pistes pour accompagner la filière sidérurgique dans sa mutation.

Le premier levier est la stratégie de filière, qui peut améliorer l'articulation entre les besoins des entreprises sidérurgiques et le soutien des pouvoirs publics.

Relancée en 2018 après une première expérience en 2013, la stratégie de filière vise à encourager le travail collectif des entreprises du secteur sur les défis qu'elles partagent. Le comité stratégique de la filière « Mines et métallurgie » a ainsi signé un nouveau contrat de filière en 2018, qui se concentre autour de la mise en oeuvre de projets structurants pour l'industrie de l'acier.

Je vous propose de souscrire pleinement à cette démarche concrète de dialogue entre les industriels et les pouvoirs publics, qui ne peut qu'améliorer la qualité de l'accompagnement des entreprises sidérurgiques selon les priorités stratégiques.

Toutefois, je voudrais relever quelques points.

Une partie des objectifs énoncés se retrouve dans le contrat de filière précédent. Il faut assurer une mise en oeuvre rapide des projets structurants et le plein engagement des acteurs, dans cette période charnière pour l'avenir de la sidérurgie.

Ensuite, les thématiques abordées restent dominées par des enjeux ne relevant pas directement de la sidérurgie, mais plutôt du secteur minier. Les enjeux des producteurs d'acier mériteraient d'être mieux pris en compte.

Le secteur sidérurgique est très horizontal, les différentes entreprises ayant chacune leurs relations avec leurs clients aval. Cela peut expliquer en partie certaines des difficultés rencontrées dans le travail de filière. Les grands groupes sont fortement représentés au sein du comité stratégique et pilotent ses travaux : il serait bon de mieux y associer les entreprises de taille plus réduite. C'est là l'une de nos recommandations.

Nous pouvons tous déplorer l'implication minimale de l'État dans les projets structurants. Presque aucun financement n'est mobilisé : 600 000 euros pour la transition numérique, contre 40 millions pour l'expérimentation de véhicules autonomes par la filière automobile...

Je recommande également de mieux articuler les travaux du comité stratégique de filière avec, d'une part, les industries utilisatrices, afin d'anticiper l'évolution des besoins, et de l'autre, avec les acteurs du recyclage, au rôle crucial pour l'économie circulaire.

Enfin, la stratégie de filière n'ayant pas d'équivalent au niveau européen, je recommande de valoriser l'approche française de filière et de projets structurants auprès de l'Union, pour améliorer leur prise en compte dans les politiques européennes.

L'autre volet de l'action de la filière concerne son attractivité. Celle-ci souffre d'une image abîmée, même si nous avons croisé tout au long de nos déplacements des salariés fiers de leur outil de travail, à juste titre.

Alors que les procédés de production évoluent, il s'agit d'adapter les formations aux besoins en compétences des entreprises. La filière sidérurgique et métallurgie participe en effet pleinement à la révolution technologique de « l'industrie 4.0 ». Elle se numérise. Elle doit innover en permanence : la moitié des aciers fabriqués aujourd'hui n'existaient pas il y a dix ans. Elle a donc besoin de hautes compétences, notamment pour inventer la métallurgie numérique de demain, ainsi que des emplois moins qualifiés mais plus polyvalents demain qu'hier. Je recommande donc de pérenniser le financement des dispositifs de recherche sur la métallurgie numérique.

La filière doit faire des efforts de communication, et participer davantage à la Semaine de l'industrie ou à L'Usine extraordinaire.

Enfin, le rapport recommande de créer un « Campus des métiers et des qualifications » propre à la filière sidérurgique, afin de développer les synergies avec l'Éducation nationale qui permettraient de présenter ces métiers aux élèves et de les attirer vers un emploi qualifié, bien rémunéré et passionnant.

Le second levier est la défense de nos intérêts commerciaux et la protection du marché sidérurgique européen de compétiteurs aux pratiques déloyales et protectionnistes.

L'avenir de la sidérurgie passera nécessairement par l'échelon européen, chargé de la conduite de la politique commerciale.

Si la plupart des échanges d'acier des pays de l'Union sont réalisés avec les autres États membres, les débouchés à l'export sont d'importance cruciale pour les sidérurgistes européens : plus de 31 millions de tonnes sont échangées chaque année avec les pays tiers ; 70 % des entreprises de la filière réalisent plus de la moitié de leur chiffre d'affaires à l'export. Cependant, la part de la consommation européenne d'acier couverte par des importations extérieures est en forte augmentation, ce qui réduit les parts de marché des producteurs européens.

Cela est tout d'abord dû à la surcapacité mondiale, dont le principal moteur est la Chine. Il est impératif de continuer les efforts de réduction concertée des surcapacités mondiales, en particulier les plus polluantes et obsolètes, afin de maintenir un niveau de prix garantissant la rentabilité des producteurs. Je recommande donc de maintenir, au sein de l'OCDE et du G20, le dialogue avec la Chine, qui se montre de plus en plus réticente à endiguer la croissance de ses capacités.

D'autre part, cela tient aussi au dumping agressif et â l'utilisation massive de subventions publiques par l'État chinois et plusieurs autres pays, notamment la Russie, l'Inde et le Vietnam. La Commission européenne a modernisé ses règlements de défense commerciale, et instauré 25 nouvelles mesures antidumping entre 2014 et 2019 sur l'acier, mais elles ne sont pas suffisantes : les taux des droits de douane restent inférieurs à ceux pratiqués par les États-Unis notamment, et tous les produits ne sont pas uniformément protégés- c'est le cas des laminés à chaud et des tubes soudés. Par ailleurs, des stratégies de contournement se mettent en place, via l'ouverture d'usines chinoises en Indonésie ou en Égypte.

À la suite de la mise en place de barrières tarifaires par les États-Unis en 2018, on constate également une redirection des flux d'acier vers l'Union européenne. Si l'Union a mis en place des mesures de sauvegarde, c'est-à-dire des quotas, pour éviter que le marché soit inondé, celles-ci sont poreuses. Par exemple, les exportations de la Turquie vers l'Union ont bondi de 65 % en une seule année.

Je recommande donc de procéder rapidement à un réexamen de l'ensemble de ces mesures de défense commerciale qui apparaissent aujourd'hui insuffisantes, et de modifier leur calibrage et leur ciblage afin de mieux protéger nos producteurs. Je recommande aussi de doter rapidement la Commission européenne de nouveaux moyens pour combattre le contournement des mesures antidumping et antisubventions : il y a urgence. Le temps de la mise en route de la machine administrative ne correspond pas à celui de l'urgence industrielle dans laquelle nous nous trouvons.

Le troisième levier est le soutien de l'adaptation de la sidérurgie française aux exigences de la transition énergétique.

Le secteur sidérurgique représente en effet 4 % des émissions françaises de CO2 et 8 % au niveau mondial. Les secteurs intégrés au système d'échange de quotas d'émissions européen, dont fait partie la sidérurgie, doivent ainsi réduire leurs émissions de 43 % en 2030 par rapport à 2005 : il s'agit d'un objectif ambitieux, mais nécessaire.

Une partie des quotas couvrant les émissions est allouée gratuitement aux principaux émetteurs industriels de CO2, dont les entreprises sidérurgiques, afin d'éviter le phénomène de « fuite de carbone », qui désigne le transfert de production vers des pays ayant des contraintes d'émissions moins strictes. Ce sera toujours le cas pendant la quatrième période du système, entre 2021 et 2030, même si le montant d'allocations gratuites sera légèrement revu à la baisse. Cette allocation à titre gratuit reste indispensable, en particulier dans un contexte d'augmentation du prix de la tonne de carbone. En effet, si leurs émissions sont supérieures aux quotas alloués gratuitement, les entreprises doivent se procurer des quotas sur les marchés.

Le renchérissement du coût des technologies carbonées est bien l'élément incontournable de la transition énergétique du secteur industriel. Mais il ne saurait être la seule voie vers la production industrielle décarbonée : il serait en effet inacceptable que ce renchérissement du coût du carbone renforce la compétitivité des entreprises en dehors de l'Union européenne, qui ne sont pas assujetties à ce coût élevé du carbone ! Nous ferions face à une hausse des importations d'acier en provenance de pays tiers, où les émissions liées à la production sont souvent bien plus importantes qu'en Europe. Je recommande donc la mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne. C'est un sujet incontournable, qui fait de plus en plus consensus, y compris auprès de certains qui y étaient initialement réticents.

Cette taxe permettrait de faire payer aux biens importés le même prix du carbone qu'aux biens produits en Europe. Les industriels appellent d'ailleurs à la mise en oeuvre d'un tel mécanisme d'ajustement aux frontières, afin de concilier la défense de l'ambition des politiques climatiques européennes et la compétitivité de nos entreprises industrielles.

Les entreprises de la filière doivent par ailleurs poursuivre les efforts engagés en matière de R&D vers des technologies bas carbone. En effet, la production d'acier se fait à près de 70 % à partir de minerai de fer à l'aide de procédés de réduction basés sur le carbone. La filière mène des recherches dans plusieurs directions pour réduire significativement ses émissions, qu'il s'agisse de la captation et de la réutilisation ou du stockage du CO2, comme c'est le cas avec le projet 3D sur le site de Dunkerque d'ArcelorMittal, ou encore avec le projet IGAR sur le même site qui vise à substituer le coke par du gaz dans les hauts fourneaux. La recherche s'oriente également vers des technologies de rupture telles l'électrolyse du minerai de fer ou l'hydrogène pour la réduction du minerai de fer.

Il faut maintenir le soutien public apporté à la recherche et développement, qu'il soit national ou européen, car il reste indispensable compte tenu de l'importance des investissements à réaliser dans ce domaine au cours des années à venir et de la faiblesse de la part de chiffre d'affaires consacrée à ce type de dépenses par les grands groupes sidérurgiques : 0,2 % pour Tata Steel, 0,4 % pour Arcelor Mittal, 1,2 % pour Vallourec d'après la direction générale des entreprises.

Un outil fiscal apparaît à ce titre particulièrement efficace et doit être conservé dans sa forme actuelle, tout en faisant l'objet d'un meilleur encadrement : il s'agit du crédit d'impôt recherche (CIR). Je rappelle que 64 millions d'euros de créances ont été générées par les déclarations des entreprises du secteur en 2015, correspondant à 214 millions d'euros de dépenses de R&D. Je recommande ainsi de maintenir ce dispositif dans son périmètre actuel, mais également, comme notre collègue Martial Bourquin le proposait dans son rapport sur la politique industrielle l'année dernière, de conditionner le bénéfice du CIR à un maintien d'activité sur le territoire national pendant au moins cinq ans. Je soumets bien entendu cette proposition à votre approbation.

Les programmes d'investissement d'avenir contribuent également au financement de l'innovation dans le secteur sidérurgique. Néanmoins, alors que le PIA 3, la troisième vague du programme d'investissement d'avenir, n'a pas reconduit les « prêts verts » qui soutenaient le verdissement des procédés industriels, je recommande de mettre en place un prêt « transition énergétique », afin de favoriser l'intégration dans l'entreprise d'équipements ou de technologies permettant de réduire la consommation d'énergie ou de matières premières non renouvelables.

Enfin, l'Union européenne a lancé de nombreux programmes de soutien financier à la mise au point de technologies à faible intensité de carbone, notamment dans le secteur industriel : je pense au programme-cadre pour la recherche et l'innovation, Horizon 2020 ; au fonds de recherche sur le charbon et l'acier qui finance, sur la période 2014-2020, des projets de recherche à hauteur de 280 millions d'euros ; enfin, au programme NER300 auquel succédera le fonds pour l'innovation en 2020, et qui soutiendra des activités de démonstration de technologies bas carbone innovantes dans l'industrie.

Cependant, ces soutiens financiers sont très saupoudrés et leur retour sur investissement trop faible, en raison notamment d'une faible conditionnalité des financements concédés aux industriels : l'Union européenne a finalement « raté le coche ».

L'exploitation des résultats de recherches soutenues financièrement, soit au niveau européen soit au niveau national, doit surtout faire l'objet d'une attention particulière, pour éviter des phénomènes de transfert de technologies.

Je prendrai l'exemple du procédé Hisarna, développé par Tata Steel, et dont le groupe a annoncé récemment le transfert des prochains tests du procédé des Pays-Bas en Inde. Or il a bénéficié de financements européens et rien ne garantit que ce procédé innovant soit à terme exploité d'abord au sein d'aciéries européennes ! Cela n'est pas acceptable. Une innovation technologique rendue possible par un soutien financier européen pourrait devoir être achetée par des groupes européens pour son exploitation industrielle.

Je recommande que les textes européens prévoient explicitement que les résultats de recherches financées en partie par des fonds européens soient bien exploités au sein de l'Union européenne.

J'en viens maintenant à un sujet complexe, ayant bénéficié de l'investissement personnel de notre collègue Jean-Pierre Vial, que je remercie pour son implication. Les investissements consentis par les entreprises sidérurgiques pour décarboner la filière ne porteront leurs fruits qu'à la condition d'être soutenus par un coût de l'énergie compétitif. Il s'agit d'un enjeu crucial pour les entreprises du secteur : il peut représenter jusqu'à 40 % de l'ensemble des coûts d'exploitation de l'industrie de l'acier. Or le prix de marché de gros de l'électricité est structurellement haussier en Europe et en France, reflétant en partie le prix du CO2, qui lui-même augmente. Cette tendance devrait d'ailleurs se poursuivre car, pour les dix prochaines années, les énergies thermiques continueront de déterminer le prix de l'électricité en Europe.

Dans ce contexte, la compétitivité des prix de l'énergie en Europe est un élément déterminant dans les choix d'investissements et d'implantation de sites des groupes sidérurgiques et conditionne l'avenir de la filière.

Notre pays offre cependant plusieurs atouts pour les industriels.

D'abord, un mix électrique faiblement carboné qui se traduit par des prix en moyenne plus bas que dans d'autres États membres.

Ensuite, une protection contre les effets-prix du marché grâce à la régulation nucléaire, permettant de leur faire bénéficier de la compétitivité du parc historique nucléaire d'EDF : il s'agit de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).

Enfin, les entreprises du secteur bénéficiant pour la plupart du statut d'électro-intensif, elles ont accès à plusieurs dispositifs de ce qu'on nomme la « boîte à outils » permettant de réduire la facture énergétique : l'abattement de tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (« Turpe ») réduit les coûts de réseaux de transport d'électricité ; l'interruptibilité permet aux consommateurs capables de moduler leur consommation d'électricité de valoriser leur contribution pour le système électrique ; la mesure de « compensation des coûts indirects » ou « compensation carbone » compense le coût des quotas carbone répercutés sur le prix de l'électricité pour les secteurs exposés à un risque de fuite de carbone ; enfin, il existe des réductions de taxes sur l'électricité et sur le gaz naturel.

Certains de ces dispositifs doivent être améliorés, d'autres pérennisés pour préserver la compétitivité des entreprises du secteur. Par exemple, lorsque l'Arenh se raréfie, comme ce fut le cas en novembre 2018 pour l'année 2019, les industriels voient leur exposition au marché augmenter. Sans aucun doute, la régulation nucléaire fera l'objet d'intenses débats lors de l'examen au Sénat du projet de loi relatif à l'énergie et au climat, et il n'appartient pas à la mission d'information de préempter ce débat.

En ce qui concerne la compensation carbone toutefois, son coût est amené à augmenter ces prochaines années. Or elle offre une économie de l'ordre de 5 à 10 % de la facture d'électricité pour les bénéficiaires industriels, hors taxes d'électricité : 35 millions d'euros ont ainsi été versés aux entreprises du secteur sidérurgique en 2016 et 25 millions d'euros en 2017.

Le triplement du prix de la tonne de carbone entre 2017 et 2019 va renchérir le coût de la « compensation carbone » qui est porté par le budget de l'État. Cette aide, dont le coût s'élève à 140 millions d'euros en 2017, atteindrait un montant de 265 millions d'euros en 2020, voire 390 millions d'euros en 2021, et encourrait des risques d'arbitrage budgétaire défavorable à l'avenir.

Aussi le rapport recommande-t-il de conforter explicitement jusqu'en 2020 le budget alloué à la compensation carbone, afin de garantir un niveau de visibilité suffisant pour les industriels concernés. Les industriels de l'aluminium nous ont rappelé à quel point leur activité pourrait être en grande difficulté dès 2020 si cette question n'était pas prise en considération.

Ensuite, la compatibilité de certains dispositifs avec le droit de l'Union européenne est aujourd'hui questionnée. S'agissant de l'abattement de Turpe et de l'interruptibilité, il semblerait que les discussions avec la Commission portent davantage sur la définition des paramètres pris en compte que sur le principe de ces dispositifs. S'agissant de la « compensation carbone », sa pérennité après 2020 semble acquise jusqu'en 2030, mais les lignes directrices concernant ces aides d'État ne sont valides que jusqu'à la fin de 2020. La Commission européenne a entamé une révision des lignes directrices concernant les aides d'État dans le cadre du système d'échange de quotas d'émissions, qui interviendrait au premier semestre 2020. Les paramètres de définition du niveau de la compensation seraient en cours de discussion avec la Commission européenne.

Une certaine opacité entoure l'avenir de ces dispositifs, alors même que les industriels qui en bénéficient réclament de la visibilité sur le cadre législatif et réglementaire, afin de sécuriser leurs investissements. Le rapport recommande donc de défendre ces dispositifs et de sécuriser leur compatibilité juridique avec le droit de l'Union européenne. En particulier, s'agissant de la « compensation carbone », nous recommandons de défendre le maintien de la méthode de calcul actuelle à partir de 2021.

En dernier lieu, les entreprises de la filière doivent pouvoir disposer d'une visibilité à moyen terme sur l'évolution des coûts d'approvisionnement en électricité. Le déploiement de contrats de long terme se heurte pour le moment à la question du prix proposé, par EDF ou par les fournisseurs alternatifs, et à son adéquation aux besoins de l'industriel.

Si l'on veut que l'industrie soit un levier d'accélération de la transition énergétique, il faut qu'elle dispose d'un approvisionnement énergétique compétitif, de davantage de visibilité sur les coûts d'approvisionnement à moyen terme et qu'elle puisse valoriser davantage sa flexibilité de consommation électrique. À ce titre, nous relevons que les mécanismes d'effacement sont complexes et les incitations insuffisantes en termes de prix.

La dernière dimension de la contribution de la filière à la transition énergétique est le recyclage de l'acier, qui l'est totalement et à l'infini, ce qui contribue à la diminution de son empreinte carbone puisque la filière électrique est moins émettrice : le recyclage d'une tonne de ferrailles permet d'éviter l'équivalent de 57 % des émissions de CO2 et de 40 % de la consommation énergétique nécessaires à la production d'une tonne d'acier primaire.

Pourtant, le recyclage demeure le parent pauvre des politiques publiques. Nous nous sommes rendu compte que, douze ans après le Grenelle de l'environnement de 2009, l'écoconception n'est toujours pas intégrée : je recommande que la France s'y mette, en imposant une vision transversale du recyclage de l'acier dans toutes les filières industrielles et en se dotant d'un outil adapté, un centre d'expertise qui sortirait de la recyclabilité de laboratoire pour se confronter à la réalité pratique.

Enfin, la préservation d'un réseau dense d'aciéries électriques doit permettre d'optimiser le recyclage de la ferraille et participer au développement de l'économie circulaire, riche en emplois non délocalisables. Cela fait l'objet d'une recommandation de notre rapport. L'examen du projet de loi pour l'économie circulaire par le Sénat en septembre prochain permettra sans doute d'évoquer ces sujets.

Pour mobiliser tous ces leviers, il faut un accompagnement stratégique à tous les niveaux des politiques publiques.

Nous l'avons vu, mes chers collègues, les défis de la sidérurgie sont nombreux, et toute la palette des leviers de politique publique doit contribuer à accompagner sa transformation. En conséquence, nos travaux se sont penchés sur l'articulation des différents échelons de politiques publiques.

Au niveau européen, nous faisons le constat que l'Union européenne manque cruellement d'outils pour développer une véritable politique industrielle. Celle-ci reste marginale, et est en partie occultée par les autres compétences européennes. Ainsi, la Commission européenne dispose d'un important pouvoir en matière de contrôle des concentrations et de droit de la concurrence - on l'a vu très récemment avec le rejet de la fusion entre Tata Steel et ThyssenKrupp, qui serait devenu un champion sidérurgique. Nous avons constaté également la réticence de la Commission européenne à se saisir pleinement des instruments de défense commerciale. Les objectifs climatiques sont souvent fixés sans réelle prise en compte des contraintes induites pour l'industrie et sa compétitivité. La dispersion des administrations à Bruxelles, que j'ai rencontrées lors de mon déplacement, témoigne du traitement « en silo » des enjeux sectoriels.

Il y a eu bien assez de « communications » de la Commission sur la politique industrielle : il faut désormais des projets concrets, concertés et spécifiques aux enjeux de la sidérurgie. Comme le recommande le rapport, la France doit s'engager au plus près des autorités européennes, afin d'encourager l'émergence d'une véritable stratégie industrielle partagée. Un document de politique industrielle, déterminant les principales orientations de l'action de l'Union, ses moyens, et déclinant la stratégie globale à l'échelle de chaque filière, doit être produit rapidement par la nouvelle Commission européenne.

Je recommande également de renforcer la prise en compte des enjeux sectoriels, en créant un « Forum de l'acier » de l'Union européenne, piloté par les services de la Commission responsables de la politique industrielle, mais qui associerait toutes les autres administrations européennes, les représentants des États membres, et les industriels - qui incluent tant la direction que les salariés.

Nous avons toutefois relevé que les choses commencent à bouger au niveau européen, sous l'impulsion de certains États membres, dont la France. Le récent « manifeste franco-allemand pour une politique industrielle adaptée au XXI e siècle » fait ainsi état du caractère stratégique de l'industrie sidérurgique et du besoin de politique industrielle. La Commission a commencé à mener une réflexion sur l'évolution de la réglementation en matière d'aides d'État. Je recommande en outre de reconnaître la sidérurgie comme l'une des « chaînes de valeur stratégiques » pouvant bénéficier de subventions publiques accrues dans le cadre des « projets importants d'intérêt européen commun » (Piiec), récemment lancés par la Commission.

Au niveau national, nous faisons le constat d'un État dénué d'outils de pilotage stratégique, à la capacité d'anticipation limitée et qui se contente souvent de jouer le rôle de « pompier » face aux situations difficiles.

D'une part, les moyens humains et les ressources de l'État ne sont pas suffisants. Le millier de personnes qui travaillaient pour la sidérurgie dans les années 1980 s'est réduit à un nombre d'interlocuteurs qui se comptent sur les doigts de la main, dispersés au sein des administrations. Les moyens budgétaires de l'État en matière d'aides aux entreprises se réduisent d'année en année. Afin de faciliter l'identification des leviers de financement pouvant être mobilisés en faveur de l'accompagnement de la sidérurgie, je recommande de réaliser une cartographie des crédits budgétaires, des fonds publics d'investissement et des outils de financement disponibles.

D'autre part, nous avons noté que l'intervention de l'État se réduisait souvent à la seule gestion des restructurations, au lieu d'une posture proactive pour encourager l'adaptation et la compétitivité de l'industrie. Nous avons recueilli les analyses et les doutes des entreprises sur l'action, plutôt reconnue, du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et du Délégué interministériel aux restructurations d'entreprises. Afin de soutenir les projets industriels prometteurs suscités dans le cadre de restructurations d'entreprises en difficulté, je recommande de relever les dotations budgétaires du Fonds de développement économique et social (FDES), dont les moyens ont été rabotés de 300 à 50 millions d'euros entre 2014 et 2019, un budget qui doit servir à toute l'industrie et pas seulement à la sidérurgie. Son utilité a été récemment démontrée avec le prêt de 25 millions d'euros accordé par l'État dans le cadre de la reprise de l'aciérie d'Ascoval. Lors du débat budgétaire, j'avais déposé un amendement pour que le budget du FDES soit de 100 millions d'euros, mais il m'avait été répondu que le besoin ne s'en faisait pas forcément sentir.

D'ailleurs, mes chers collègues, permettez-moi de revenir brièvement sur le cas de cette aciérie, maintenant dénommée British Steel Saint-Saulve. L'actualité de ce dossier a rythmé nos travaux, et l'incertitude persiste toujours sur le futur du site. Ce cas particulier d'Ascoval est révélateur de l'absence criante de stratégie industrielle de l'État. Les erreurs répétées commises dans l'examen des projets des repreneurs, qui se sont soldées par quatre reprises successives, dont l'une avortée, mettent en évidence le manque d'anticipation et la mauvaise connaissance des réalités sidérurgiques de l'administration.

La prise de conscience extrêmement tardive par les services de l'État des conséquences du désengagement de Vallourec, société mère, de l'avenir du site de Saint-Saulve, est regrettable. Il était pourtant prévisible que sa stratégie de production en Allemagne mettait en péril l'aciérie de Saint-Saulve. Un temps précieux a été perdu, qui aurait pu être mis à profit pour diversifier la production du site et retrouver des commandes permettant de tourner à plein régime.

Mais regardons vers le futur, car cette aciérie moderne, disposant d'un personnel de qualité, a un grand potentiel. La priorité sera d'accompagner l'entreprise et son repreneur pour sécuriser ses débouchés et l'intégrer pleinement dans les chaînes de valeur. Nous suivrons avec attention les développements de la procédure judiciaire britannique de reprise de British Steel UK. Un jugement sera rendu le 19 juillet à Strasbourg ; il nous donnera des indications sur les business plan et les repreneurs potentiels de FN Steel et Hayange, qui auront des répercussions sur le projet d'Ascoval.

Revenons-en aux recommandations du rapport pour améliorer l'accompagnement de l'État. Tout d'abord, il faut nommer un ministre de l'industrie, qui disposera de ressources humaines et budgétaires dignes de ce nom. Cette mesure ordonnance toutes les autres propositions. Ensuite, assouplissons la doctrine d'investissement de Bpifrance, investisseur public, pour qu'il puisse jouer son rôle et encourager la mutation du secteur sidérurgique, par le soutien à l'investissement mais aussi par la prise de participations, y compris dans le cadre de restructurations. Je soumets ces recommandations à votre approbation.

Enfin, il faut encourager l'utilisation d'acier français sur le territoire national, pour défendre nos savoir-faire et nos produits de qualité. À ce titre, et comme l'avaient déjà relevé nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon dans leur rapport, je recommande d'utiliser, dans le cadre établi par le droit européen, les leviers de la commande publique et de la normalisation pour encourager la consommation d'acier produit en France. En particulier, le rapport recommande de promouvoir l'utilisation d'acier français dans le cadre de l'accueil par la France des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, au vu des besoins importants de construction attendus.

Le niveau local est l'échelon d'avenir pour l'accompagnement des bassins sidérurgiques. Les élus locaux sont souvent les premiers interlocuteurs des industriels et disposent de la connaissance du terrain. Ils sont les premiers à souffrir des conséquences des restructurations, des destructions d'emplois, des friches industrielles abandonnées et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a renforcé les compétences des régions en matière de développement économique.

Les collectivités locales sont un chaînon à part entière de l'action publique. L'État doit mieux les associer à ses décisions, et prendre en compte leurs politiques locales, sans les réduire au rôle de simple financeur. Notre rapport plaide pour une véritable approche partenariale des enjeux industriels. Dans le cas particulier de la sidérurgie, je recommande de mieux associer les représentants des régions aux travaux de la filière sidérurgique, via le comité stratégique de la filière (CSF) et en lien direct avec les administrations centrales.

Le programme « Territoires d'industrie » récemment lancé par le Gouvernement se veut le volet territorial de la stratégie de filières, associant industriels et collectivités locales, sous le pilotage des régions et en lien avec l'administration centrale. La démarche est louable. Cependant, l'État ne consent aucun nouveau financement, s'appuyant sur des dispositifs existants et renvoyant la balle aux collectivités pour apporter les ressources nécessaires. Je recommande donc, dans le cadre des premières évaluations du programme « Territoires d'industrie », de s'assurer que les dispositifs existants suffisent aux besoins exprimés, et le cas échéant, de les compléter par des soutiens de l'État. Par ailleurs, l'articulation avec les dispositifs locaux déjà existants en matière de développement économique ou de formation n'a pas été prise en compte. Il faudra laisser ce programme mûrir pour évaluer sa pertinence et son succès auprès des acteurs locaux.

Ces propositions tous azimuts sont le fruit de nos nombreux déplacements et auditions, et reflètent les besoins de cette industrie stratégique qu'est la sidérurgie, pour pouvoir affronter les défis qui se présentent à elle.

La sidérurgie revêt un caractère interministériel, entre les ministères de la transition écologique, de la formation, de l'économie... S'il n'y a pas d'État stratège avec un ministère de l'industrie et des moyens humains et financiers, je ne vois pas comment nous pourrions changer de braquet pour nous mettre à la hauteur des enjeux hautement stratégiques de la filière. Celle-ci a besoin d'une mobilisation de l'État à l'échelle européenne et au niveau territorial avec les collectivités et les industriels. Il faut un pilote dans l'avion, un ensemblier, en lien avec tous ceux qui mettent en oeuvre cette filière. L'industrie, et particulièrement la sidérurgie, est une cause nationale. Ayons conscience que nous ne sommes pas à la bonne échelle. Je ne remets pas en cause le travail de Bruno Le Maire et de sa secrétaire d'État, ils font ce qu'ils peuvent. L'industrie, en profonde mutation, est à la croisée des chemins.

M. Jean-Claude Tissot . - Tout à fait !

M. Franck Menonville , président . - Merci pour cette présentation synthétique et complète du rapport. Un ministère de l'industrie à part entière est nécessaire, nous l'avons vu sur le terrain ; actuellement, les enjeux énergétiques relèvent du ministère de la transition écologique, et Bercy traite les problèmes une fois qu'ils sont déjà bien avancés. Il n'y a pas d'administration du quotidien de l'industrie, de référents politiques et administratifs dédiés, depuis le ministère de Christian Estrosi puis d'Éric Besson sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ils avaient mis en place des comités de filière.

M. Franck Menonville , président . - Je cède la parole à Gérard Longuet, ancien ministre de l'industrie !

M. Gérard Longuet . - Je fais part de toute mon admiration à Valérie Létard, qui a conduit les travaux avec passion, compétence, lucidité et proximité. J'y vois la force des élus enracinés dans les territoires, qui savent de quoi ils parlent. Je souscris à votre analyse et à vos conclusions. Demander la reconstitution d'un ministère de l'industrie est une nécessité absolue pour la balance commerciale, l'emploi et l'aménagement du territoire : l'industrie se répartit sur tout le territoire, alors que les services à haute valeur ajoutée ont une tendance inéluctable à se concentrer dans les métropoles, car ils doivent vivre ensemble.

L'absence de ministère de l'industrie, de manière perverse, transfère la responsabilité à des institutions qui n'ont aucun intérêt pour l'industrie, comme le ministère de l'environnement. Confier l'énergie au ministère de l'environnement, cela revient à confier la garde du bol de lait au chat... La confier au ministère de l'économie serait préférable, mais Bercy est le ministère de l'économie et des finances, et donc le ministère du court terme, devant faire face aux contraintes budgétaires européennes. L'État est également un des plus mauvais actionnaires, incapable d'arbitrer entre ses différentes motivations, ce qui aboutit à des incohérences patentes.

Davantage que d'un ministre, nous avons besoin des services d'un ministère de l'industrie, liés au terrain. De nombreux grands industriels français viennent du corps des mines, ou bien de Polytechnique. Ils sont certes très intelligents et travailleurs - parfois trop ! - mais surtout, ils ont souvent exercé sur le terrain, à la différence des fonctionnaires de Bercy. Lorsqu'ils viennent à Paris après quelques années de terrain, ces ingénieurs ont plus de maturité. Nous avons donc besoin d'un ministère et d'une bonne gestion des carrières. On pouvait avoir un ministère de l'industrie lorsqu'il y avait une économie mixte. Ainsi, les jeunes ingénieurs brillants, devenus expérimentés à l'approche de la quarantaine, revenant à Paris pour les études supérieures coûteuses de leurs enfants, quittaient l'administration pour rejoindre le secteur de l'économie mixte - lequel n'existe plus. Désormais, ils partent en courant dès l'âge de 35 ans pour gagner trois à quatre fois plus dans le secteur privé. Si l'on ne règle pas ce problème, nous n'aurons plus les meilleurs responsables dans nos ministères. Il faut une bonne formation supérieure, une expérience du terrain, une pratique des responsabilités gouvernementales - passage en cabinet ministériel ou exercice de missions...

Je défendrai ce rapport. Nous avons moins besoin d'un ministre formidable, que d'une administration d'État qui travaillera avec les régions et les entreprises pour donner un corps de doctrine sur l'interface entre les entreprises et la société : jusqu'où aller, et à quel rythme, en matière environnementale, sociale, d'investissement scientifique ? Si ce rapport porte ses fruits, j'aurai une vieillesse intellectuelle heureuse !

M. Martial Bourquin . - Merci pour cet excellent travail, qui rentre à la fois dans les détails et pose une vision macroéconomique. Nous ne changerons rien si l'Europe ne sait pas se défendre. Les mesures antidumping ont fonctionné : nous avons perdu des milliers d'emplois ! Voyez la différence entre les droits de douane américains et européens... Nous avons beaucoup à apprendre. L'Europe est trop ouverte par rapport aux marchés américain et chinois, et pas assez réactive. Il y a des géants mondiaux sur le marché européen, nous devons avoir des champions européens.

Une taxe carbone aux frontières européennes est une nécessité. Chaque année qui passe sans elle, nous nous faisons tailler des croupières !

Conditionner le maintien d'une activité pendant cinq ans pour bénéficier du CIR est positif. À Nice, Texas Instruments et plusieurs entreprises sidérurgiques avaient bénéficié des subventions européennes et le CIR pour ensuite s'en aller. Cela ne peut plus durer !

Avoir un prix de gros de l'électricité est nécessaire, sinon nous perdrons les entreprises électro-intensives. À Hambourg, un site d'Arcelor-Mittal vient d'investir 65 millions d'euros pour produire 100 000 tonnes d'acier par an grâce à de l'hydrogène pur à 95 %. Cet hydrogène vert est fabriqué grâce à la séparation des gaz produits par le complexe sidérurgique. Avoir des trains Alstom fonctionnant à l'hydrogène en Allemagne c'est bien, les avoir en France c'est mieux... Tant la consommation d'énergie que les rejets de dioxyde de carbone sont des sujets essentiels. Hambourg a vu ses rejets de dioxyde de carbone baisser très sensiblement...

Avoir un ministre de l'industrie est essentiel. Nous sommes des gamins ; l'Italie se bat beaucoup mieux que nous pour son industrie.

L'État n'est pas toujours un mauvais actionnaire, voyez la réussite d'Airbus... Qui représente l'État dans les conseils d'administration ? Une noblesse d'État qui ne dit mot et qui ne travaille pas à fond sur les dossiers... Mieux vaudrait que l'État se fasse représenter par des élus intéressés par l'industrie.

Ce rapport nous fera avancer ; espérons qu'il ne restera pas lettre morte...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il faudra le faire vivre et le porter...

Mme Christine Lavarde . - Félicitations pour ce rapport riche, parfois trop... Sur trente propositions, ne faudrait-il pas en mettre en exergue quatre ou cinq pour éviter que tout le rapport tombe aux oubliettes ? La direction de la communication pourrait proposer des outils similaires à ceux utilisés pour la présentation du rapport relatif à l'accompagnement de la transition numérique des PME...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - J'attendais de confronter ma réflexion à votre regard. La création d'un ministère de l'industrie, élément central, est la priorité, pour élaborer une vision globale et stratégique, s'il y a des moyens, et assurer une responsabilisation interministérielle pour agir partout où c'est possible. Des contrats de filière sont signés, mais qui les acteurs ont-ils en face d'eux ? Nous pourrions également mettre en avant les difficultés du cadre réglementaire sur l'énergie et des quotas carbone. Il faut une interface qui puisse s'engager dans une direction conforme aux exigences européennes et aux enjeux climatiques. Cette interface, c'est le ministre de l'industrie. C'est d'autant plus important que la sidérurgie se structure plus difficilement que d'autres secteurs. Le ministre portera une voix forte au niveau européen, contre le dumping, et sera un aiguillon quotidien. Voilà donc le coeur du réacteur, qui sera accompagné par une dizaine de propositions marquantes.

Mme Nadia Sollogoub . - Cinq suffiraient !

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il faut d'abord saisir le sujet dans sa globalité, et faire prendre conscience que des mesures fortes doivent être à la hauteur des enjeux, qu'il faut des moyens et une volonté qui vienne du haut. Le reste, c'est de l'ordonnancement.

M. Jean-Pierre Vial . - Merci pour cet investissement considérable, sur la sidérurgie mais aussi plus largement sur l'industrie, qui a les mêmes enjeux.

Le délégué interministériel aux restructurations nous a avoué qu'il ne parlait pas à ses deux collègues de la même administration assis à côté de lui...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le fonctionnement en silo existe en Europe, mais aussi en France !

M. Jean-Pierre Vial . - Il nous a demandé de plaider sa cause auprès de l'administration d'à côté ! Les agents de son service sont si peu nombreux qu'ils n'ont pas la capacité d'intervenir...

Je n'ai pas beaucoup d'illusions sur le secteur de l'énergie, il faut regarder les conséquences pratiques. Je remercie tous les signataires de mon amendement sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, mais lorsqu'on voit le sort des amendements du Sénat à l'Assemblée nationale, la présidente de la commission des affaires économiques m'a fait comprendre que je n'avais pas beaucoup de chances qu'il perdure dans le texte... Malgré tout, essayons de bouger.

L'application de la loi portant nouvelle organisation des marchés de l'électricité (NOME) coûtera 2,5 milliards d'euros, dont 600 millions d'euros seront payés par des industriels électro-intensifs. Nous pourrions demander à l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst), présidé par Gérard Longuet, une évaluation, pour savoir comment deux opérateurs électriques empochent 2,5 milliards d'euros - bientôt 4 milliards d'euros - tandis que les industriels contribuent sans toucher quoi que ce soit...

L'État va restructurer le nucléaire et l'hydraulique, et ce dossier échappe totalement au Parlement. Il y a eu une mission sur le prix de l'énergie et la réforme de l'Arenh. Mais aucune proposition du Gouvernement sur l'hydraulique lors du débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) n'a été suivie d'effet. Essayons de déposer une proposition de loi ! M. Jean-François Carenco s'est dit prêt à échanger avec notre rapporteure sur le sujet. Cela en vaudrait la peine...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous allons prendre attache avec lui.

M. Jean-Pierre Vial . - Essayons de faire avancer les choses concrètement, sinon il se passera la même chose qu'avec la PPE et la loi NOME...

Mme Nadia Sollogoub . - C'est un rapport formidable, avec un important travail de fond. Dans la Nièvre, le site Vallourec de Cosne-sur-Loire, repris par Altifort SMFI depuis un an, est en difficulté. Demain, 115 salariés attendront en préfecture le plan social. Pouvons-nous leur témoigner notre solidarité ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Une partie du rapport évoque la situation de Vallourec, certes surtout dans le Valenciennois où plus de 1 000 emplois sont concernés mais ce point sera précisé et complété.

M. Jean-Pierre Vial . - Évoquons-le dans la présentation lors de la conférence de presse demain...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous rappellerons le contexte sensible de Vallourec, lié aux réalités mondiales, qui inquiète de nombreux territoires français, et les plans sociaux qui leur posent des difficultés. Nous citerons Cosne-sur-Loire. Mme Anne-Catherine Loisier nous a également alertés sur son département.

M. Jean-Claude Tissot . - Lorsque Martial Bourquin m'avait demandé de participer à cette mission d'information, une première pour moi, j'ai hésité. Ce n'est pas dans mon champ de compétences...

M. Martial Bourquin . - M. Tissot est agriculteur...

M. Jean-Claude Tissot . - J'ai participé à cette mission avec beaucoup d'intérêt, et j'ai beaucoup appris. Je félicite la rapporteure pour son travail. Vendredi dernier, j'ai été sollicité par le groupe Eramet pour visiter le site Aubert & Duval dans la Loire. Saint-Étienne est une ville minière, en déclin mais qui essaie de rebondir. Votre rapport est attendu avec impatience, notamment par Mme Marie-Axelle Gautier, qui accompagnait la présidente d'Eramet au Sénat. Votre travail ne sera pas vain.

Oui, il faut travailler sur le long terme, car Bercy est le ministère du court terme, cherchant à boucler le semestre en cours...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'est le principe d'annualité budgétaire.

M. Jean-Claude Tissot . - La sidérurgie est une activité du long terme, comme l'agriculture.

Nous devons aussi nous interroger sur la sécurité des approvisionnements. Comment nous comporter envers les pays du Sud, qui nous ont accueillis ou plutôt subis comme colonisateurs, voire comme envahisseurs ? Nous sommes devenus des consommateurs. Comment accompagner les entreprises et accompagner ces pays dans un réel développement ?

M. Franck Menonville , président . - Il faut un véritable partenariat.

M. Jean-Claude Tissot . - Cette mission est très importante et les retombées potentielles sont énormes sur nos territoires.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Mon département du Nord compte de nombreux habitants avec un faible niveau de qualification. L'industrie a besoin d'emplois très qualifiés, mais sans elle, il n'y a pas d'emplois de services ou d'emplois connexes pour toute la population, y compris la population peu qualifiée. L'industrie génère des richesses pour tout le territoire national, d'où l'importance d'avoir une puissance industrielle forte.

M. Fabien Gay . - Merci pour votre travail...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - ...collectif !

M. Fabien Gay . - Je voterai ce rapport des deux mains, même si je m'interroge encore sur certains points. Je suis favorable à un ministère de l'industrie ; c'est un scandale qu'il n'y en ait pas. Mieux vaut faire le boucher que l'agneau, or nous subissons l'ensemble des situations ! M. Jean-Pierre Floris, délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, ne règle pas les situations : autant aller au cimetière ! Je l'ai rencontré avec deux délégations, cela n'a servi à rien, lorsqu'il avoue d'emblée ne rien pouvoir faire...

Nous avons besoin d'un ministère de l'industrie pour définir et conduire une politique sur tous les sujets d'avenir, comme l'intelligence artificielle, le numérique, l'automobile, etc. Ainsi, c'est maintenant que se joue l'avenir de la voiture autonome. Si nous ratons le virage, nous serons dépendants des Chinois ou des Américains ! Il convient aussi d'anticiper et non d'attendre que les difficultés apparaissent. Chacun savait que l'usine Ford de Blanquefort était en sursis, en dépit des subventions publiques, car l'activité de boîtes de vitesse est menacée.

Il faut aussi poser la question de la concurrence libre et non faussée. Si celle-ci est un dogme intangible, si tout est marché et que rien ne peut se réguler, alors nous devrons nous résoudre à ne plus produire d'acier en Europe. Les éleveurs européens sont préoccupés par la signature du traité de libre-échange avec le Mercosur, mais les Brésiliens sont aussi inquiets à cause de la concurrence de l'acier européen, car leur marché est déjà en surcapacité.

Allons-nous instaurer une taxe carbone aux frontières de l'Europe ? Allons-nous créer des champions européens, non sur le modèle Alstom-Siemens, mais avec des véritables projets soutenus par un État actionnaire ?

M. Longuet a fait l'éloge du libéralisme. Selon lui, l'État serait plus efficace comme régulateur que comme actionnaire majoritaire d'entreprises publiques. Depuis 1986, il y a eu 1 500 privatisations en France. Force est de constater que la réalité est plus complexe. Ainsi, on a démantelé France Telecom et l'État s'est désengagé du secteur : résultat, dans la 5G, on est tributaires de l'américain Qualcomm et du chinois Huawei. L'enjeu est de savoir si nous saurons construire une filière industrielle.

De même, dans l'énergie, comment ferons-nous demain, quand EDF aura été démantelée et que l'on s'en sera totalement remis au marché, alors que nous devons accompagner nos entreprises dans la transition énergétique ? On est en train de nationaliser les pertes de la filière nucléaire et de privatiser les gains liés à la production d'électricité renouvelable. Aujourd'hui, on gère l'approvisionnement en électricité ; demain, nous aurons à gérer la pénurie... Ceux qui auront les moyens auront un accès sécurisé à l'énergie, les autres auront un accès à des conditions réglementées et donc plus limitées.

M. Jean-Claude Tissot . - Fabien Gay parle, à raison, de souveraineté. On a vu que certaines entreprises sidérurgiques fabriquaient à la fois des tubes pour le nucléaire et des fûts de canon. Il est important qu'elles restent françaises.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Un ministère de l'industrie permettrait de faciliter la structuration de filières, d'élaborer des stratégies intégrées, d'anticiper les mutations. La filière sidérurgique n'est pas assez associée aux autres filières, en amont comme en aval. Il convient de réfléchir en amont aux façons de produire un acier plus adapté aux mutations l'industrie automobile. Il faut aussi examiner l'aval, le recyclage. Vous évoquiez l'économie circulaire. Depuis le Grenelle de l'environnement, comme nous l'a expliqué la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage, très peu de progrès ont été faits en matière d'écoconception. Or il serait judicieux d'associer les producteurs d'acier et les entreprises de recyclage pour développer des produits recyclables, réduire les déchets, travailler sur les matériaux, trouver les procédés pour les séparer, les réutiliser, etc. Mais on ne parviendra à faire travailler tout le monde ensemble de manière transversale que lorsque l'on aura identifié des priorités. Pour cela, il faut un pilote dans l'avion. C'est le point sur lequel nous devons insister.

M. Franck Menonville , président . - Je veux à mon tour féliciter notre rapporteure. Comme Jean-Claude Tissot, je suis également agriculteur de profession et je n'étais pas un spécialiste de l'industrie. Mais j'ai découvert des similitudes entre l'industrie, l'agriculture, la sidérurgie. Nous devons faire valoir dans notre rapport la nécessité de définir une stratégie économique, industrielle ou agricole, en France comme en Europe. Il en va de notre souveraineté. On ne peut envisager la construction d'une Europe forte sans économie forte et autonome.

Le débat général étant clos, nous devons désormais nous prononcer sur le titre du rapport. Notre rapporteure propose : « Donner des armes à l'acier : accompagner la mutation d'une filière stratégique ».

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La filière sidérurgique est stratégique. L'enjeu est de la préserver. Elle a besoin d'être accompagnée pour terminer sa mue même si elle a déjà été restructurée. Nous devons donc  « donner des armes à l'acier ». Ensuite, il est essentiel de placer en tête de nos propositions la création d'un ministère de l'industrie. C'est le postulat qui conditionne toutes nos propositions. Seul un ministère de l'industrie peut définir une vision stratégique globale, forte et cohérente, avec les moyens appropriés.

M. Franck Menonville , président . - Il importe en effet de mettre cette proposition en exergue.

Le rapport est adopté.

II. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN RÉUNION PLÉNIÈRE

A. AUDITION DE MM. JULIEN TOGNOLA, CHEF DU SERVICE DE L'INDUSTRIE, ET CLAUDE MARCHAND, CHEF DU BUREAU DES MATÉRIAUX, À LA DIRECTION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES (14 FÉVRIER 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous accueillons, pour notre première audition, MM. Julien Tognola, chef du service de l'industrie, et Claude Marchand, chef du bureau des matériaux, à la direction générale des entreprises (DGE).

Nous envisageons une série de déplacements dans les principaux territoires sidérurgiques français. Le premier aura pour destination Dunkerque et Valenciennes, et sera centré sur la production sidérurgique et la restructuration de la filière. Une délégation s'y rendrait les 14 et 15 mars prochains. Nous pourrions par exemple visiter le site d'Altifort et celui d'ArcelorMittal. Début avril, une délégation pourrait également aller en Moselle, dans le cadre d'un déplacement consacré à la recherche dans le secteur sidérurgique. Nous irions notamment à Uckange et sur le campus d'ArcelorMittal. En mai, une visite en Savoie serait consacrée à l'économie circulaire et à l'écosystème sidérurgique. La délégation pourrait notamment visiter des entreprises de recyclage de ferraille et s'intéresser à la filière aluminium. Enfin, en juin, une journée de visites en Côte d'Or permettra à la délégation d'étudier de plus près les stratégies régionales de développement industriel et la sidérurgie en milieu rural, notamment chez Vallourec à Montbard et à Sainte-Colombe-sur-Seine, où ArcelorMittal a une tréfilerie. Je vous adresserai sous peu un courrier récapitulant ces propositions de déplacements. Bien sûr, nous organiserons aussi des auditions.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Cette audition, la première conduite par notre mission d'information, est consacrée aux politiques publiques en faveur de l'industrie sidérurgique. L'articulation des politiques européenne, nationale et régionales est l'une de nos pistes de travail. La DGE joue un rôle clef dans la mise en oeuvre et la coordination de ces stratégies. Ses directions régionales, les DIRECCTE, représentent près de la moitié de son effectif total. Elle s'intéresse aussi aux enjeux de commerce européen et international, notamment à la surveillance préalable des importations de certains produits sidérurgiques par l'intermédiaire du bureau des matériaux.

Nous essaierons d'abord de dessiner un panorama global du secteur sidérurgique. Quelles sont les capacités de production en France, et où sont-elles implantées ? À quel niveau de la chaîne de valeur l'industrie sidérurgique française se situe-t-elle ? Pour quels types de produits ? Et quels en sont les débouchés dans le pays, en Europe et à l'international ? Nous pourrons aussi faire le point sur la structuration de la filière mines et métallurgie, qui a signé le 18 janvier dernier son premier contrat de filière. En partagez-vous les objectifs, et comment accompagnerez-vous le comité stratégique de filière dans leur mise en oeuvre ? Par ailleurs, notre réflexion sur le futur de la sidérurgie nous porte à nous interroger sur le déploiement de l'« Industrie du futur » dans la filière de l'acier. Quelles pistes de transformation la DGE a-t-elle identifiées ? Comment faut-il anticiper les évolutions des compétences et remédier aux difficultés de recrutement ?

Élus des territoires, nous nous intéressons particulièrement à l'action des collectivités territoriales en faveur du développement économique. L'articulation entre les politiques des régions et celles de l'administration centrale vous paraît-elle aboutie ? Quels en sont les outils ? Comment l'initiative des « Territoires d'industrie », annoncée en novembre dernier, pourra-t-elle contribuer au développement et à la transformation des territoires sidérurgiques français ? Pouvez-vous tirer un bilan de la nomination en 2017 d'un Délégué interministériel aux restructurations d'entreprises ? Des actions ciblées sur la filière de l'acier ont-elles été menées, notamment en lien avec l'actualité récente du secteur ? Je vous avais adressé plusieurs questions par écrit.

M. Julien Tognola, chef du service de l'industrie à la direction générale des entreprises (DGE) . - La DGE veille à la compétitivité de nos entreprises industrielles, et pilote le comité stratégique de filière. Le diaporama que nous allons projeter répond à vos questions.

Le marché de l'acier est mondial. Depuis plusieurs années, la capacité de production, de 2 250 millions de tonnes par an, dépasse la production effective, qui s'établit à 1 700 millions de tonnes. Avec 830 millions de tonnes, la Chine est le poids lourd de ce marché, aussi bien pour la production qu'en termes de surcapacité. Le G20 s'efforce depuis quelque temps de réduire la surcapacité mondiale, car celle-ci fait baisser les prix, ce qui met en difficulté plusieurs acteurs du marché. C'est le bon niveau pour en discuter, puisqu'il faut impliquer la Chine.

La consommation, elle, est en croissance rapide. Entre 1950 et 2018, elle est passée de 200 à 1 700 millions de tonnes, avec une accélération sensible dans les années 2000, due à la croissance chinoise. Sa hausse a été de 7 % en 2017, mais devrait ralentir en 2018 et en 2019, là encore à l'unisson de l'économie chinoise.

Si la Chine produit désormais 50 % de l'acier, la part de l'Europe s'établit à 10 %, et celle du Japon à 6 %. L'Allemagne est le septième producteur mondial, et la France, le quinzième, avec 15,5 millions de tonnes, soit un tiers de la production allemande - et cinquante fois moins que la Chine.

La surcapacité a atteint un pic en 2014 et 2015. Elle est actuellement en cours de résorption, et les prix, qui avaient atteint un point bas en janvier 2016, commencent à remonter, ce qui a un impact favorable sur les entreprises. Cela dit, la réduction des surcapacités chinoises risque d'être compensée par des mises en service dans les pays émergents...

Il y a aussi une surcapacité en Europe (y compris la Turquie), de l'ordre de 70 millions de tonnes pour 170 millions effectivement produites. Et la croissance de la demande y est captée par la hausse des importations en provenance de Chine, de Russie, du Brésil ou d'Inde. On assiste donc à des fermetures de sites de production, qui ont connu un pic entre 2010 et 2015.

Pourtant, l'Europe dispose de plusieurs outils de politique commerciale. Pour lutter contre le dumping, elle applique des droits de douane majorés à certains pays, selon des taux qui varient en fonction du pays et du produit. Plus récemment, elle a pris des mesures de sauvegarde après les restrictions américaines sur l'acier et l'aluminium : le volume des importations en provenance de certains pays est gelé au niveau moyen constaté entre 2015 et 2017. L'Europe protège aussi son industrie sidérurgique des distorsions de concurrence que lui ferait subir l'application d'un prix du carbone. Ainsi, la réforme de l' Emissions Trading System (ETS) a instauré un système de quotas gratuits qui met cette industrie globalement à l'abri. Enfin, elle soutient la recherche et développement et les travaux sur les chaînes de valeur stratégiques : il s'agit de réunir les États-membres autour de projets d'avenir, comme les batteries. La décision a été prise d'inclure parmi ces projets la décarbonation des processus industriels.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Comment fonctionne la mise en place de quotas gratuits ? À quel rythme s'opère-t-elle, et dans quel cadre ?

M. Julien Tognola . - Cela relève surtout du ministère de la transition écologique et solidaire. La sidérurgie est responsable de 7 % des émissions industrielles dans le monde. Le système d'ETS a pour objectif de réduire ces émissions industrielles, par rapport à leur niveau de 2015, de 21 % en 2020 et de 43 % en 2030. Pour cela, un marché a été créé, sur lequel les industriels qui souhaitent émettre doivent acheter des quotas d'émission. Le volume global de quotas sera réduit progressivement, ce qui fera monter leur prix et incitera l'industrie à réduire ses émissions. Mais les secteurs exposés à la concurrence internationale doivent se voir compenser cette charge pour ne pas subir un désavantage concurrentiel. Aussi leur attribue-t-on des quotas gratuits. Le volume de ces quotas est calculé sur la base des émissions des 10 % d'entreprises les plus performantes. De plus, comme les producteurs d'électricité sont de gros émetteurs de gaz à effet de serre, ils doivent aussi acheter des quotas, ce qui se répercute sur le prix de l'électricité. La Commission européenne a donc autorisé les États-membres à compenser cet effet pour les industries qu'il affecte. La France le fait depuis 2016 : c'est un second niveau de protection.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je vous remercie pour ces précisions.

M. Julien Tognola . - Pour une production correspondant à 10 % du total européen, en France, la sidérurgie emploie 38 000 personnes. Ce nombre est en diminution constante depuis dix ans, du fait de la baisse du volume de production et des gains de productivité. L'emploi est fortement concentré dans ce secteur : un tiers des emplois sont chez ArcelorMittal ! Les deux gros sites sidérurgiques sont à Fos-sur-Mer et à Dunkerque. Leurs hauts-fourneaux produisent 11 des quelque 16 millions de tonnes d'acier français. Le reste provient d'une vingtaine d'aciéries électriques, qui procèdent parfois aussi au laminage à chaud. Il y a ensuite une trentaine de sites de transformation, pour le laminage à froid.

Les entreprises françaises sont de plus en plus spécialisées dans les aciers à forte valeur ajoutée, qu'on utilise par exemple pour la production d'automobiles, où il faut de l'acier léger et facile à emboutir, ou pour fabriquer des turbines, ce qui requiert de l'acier résistant à des conditions de température et de pression extrêmes. Elles produisent aussi des aciers longs plus basiques, qui entrent dans la composition du béton armé.

La conjoncture est plutôt favorable, car les deux débouchés principaux que sont l'automobile, pour 20 %, et la construction, pour 35 %, sont des marchés porteurs - même si celui de l'automobile semble avoir atteint le haut du cycle. En revanche, le secteur de l'énergie, et notamment celui de l'extraction et de la production des carburants fossiles, souffre encore de la baisse du prix du pétrole : les activités de forage, si elles reprennent peu à peu dans le monde, sont encore très ralenties en Europe. De plus, la vente des aciers employés dans les turbines des centrales électriques est limitée par la diminution du nombre d'installations en Europe, après un pic dans les années 2000.

Si les acteurs français ont un bon niveau technologique, et sont même souvent aux meilleurs standards internationaux, certains manquent de taille critique à l'échelle mondiale. Et la plupart des sites ont subi un manque d'investissement depuis des années.

M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux à la DGE . - La sidérurgie n'est pas une activité homogène en France. On peut y distinguer trois blocs. D'abord, les produits plats, qui représentent entre 11 et 12 millions de tonnes, et dont la production est plutôt en situation favorable, car elle alimente les marchés de la construction et de l'automobile, qui se portent bien. Viennent ensuite les produits longs de commodité, qui servent notamment au béton armé, dans la construction. Les 3 ou 4 millions de tonnes d'acier concernées s'écoulent sur des marchés de proximité - dans un rayon de 500 kilomètres - et, après un passage à vide il y a deux ou trois ans, leur consommation repart. Enfin, les produits longs de spécialité sont produits par Vallourec, Asco, Eramet ou encore Saint-Gobain, qui possède le dernier haut-fourneau de fonte en France, et fabrique des plaques d'égout ou des canalisations pour l'eau. Ces noms sont souvent cités par la presse : ce sont ceux d'entreprises en difficulté car très spécialisées sur des marchés de niche. Lorsque le marché se retourne, leur portefeuille de clients est souvent insuffisant.

La carte des sites montre que ceux-ci sont concentrés à l'est du pays. Les hauts-fourneaux - trois à Dunkerque, deux à Fos-sur-Mer - servent à fabriquer de la fonte et de l'acier à partir de minerai et de coke. Ils émettent beaucoup de dioxyde de carbone, et impliquent une importante consommation d'électricité pour le laminage, à chaud ou à froid. Les aciéries électriques fondent en fait de l'acier déjà fabriqué : chutes de production, ferrailles... La valeur du produit dépend de la qualité du mélange.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Combien les hauts-fourneaux mobilisent-ils de salariés ?

M. Claude Marchand . - On compte 3 000 emplois directs à ArcelorMittal Dunkerque et 2 500 à ArcelorMittal Fos-sur-Mer.

M. Franck Menonville , président . - Mais ces chiffres ont baissé.

M. Jean-Marc Todeschini . - Ils étaient autrefois de 5 000, et on atteint à peine 3 000...

M. Claude Marchand . - Les trois grands sites sont Dunkerque, Fos-sur-Mer et Florange - où la production se fait à froid.

M. Franck Menonville , président . - Quels sont les principaux sites pour l'inox ?

M. Claude Marchand . - Ce sont ceux d'Aperam et d'Ugitech. Les 3,5 millions de tonnes d'aciers longs de commodité sont fabriquées par 3 000 personnes, dont près de la moitié est employée par Riva. Comme tout est électrique, le prix de l'électricité constitue une part essentielle du prix du produit - celui des ferrailles est moins corrélé au cours du minerai qu'autrefois. British Steel est notre fabricant de rails. Il est alimenté par un haut-fourneau au Royaume-Uni, pour 300 000 tonnes par an. Chaque soir, un train apporte à travers le channel les blooms pour fabriquer à Hayange les rails de 108 mètres.

M. Martial Bourquin . - Les importations chinoises en Europe ont doublé et atteignent 7 millions de tonnes.

M. Claude Marchand . - Elles ont baissé depuis 2016, sous l'effet de mesures fortes contre le dumping.

M. Martial Bourquin . - Pas si fortes, puisqu'elles culminent à 25 %, quand celles des États-Unis atteignent 226 % ! Et la Commission européenne a mis beaucoup de temps à réagir. Voilà qui explique la dévitalisation de notre industrie, si visible dans les Hauts-de-France, où elle supprime sans cesse des emplois. Nos sites industriels ont presque tous plus de 25 ans. Si nous plaisantons sur le prix de l'électricité, nous risquons de perdre nos derniers sites. Il nous faut trouver une solution pérenne.

M. Julien Tognola . - Nous sommes tous logés à la même enseigne en Europe : l'idée de consentir des prix bas aux électro-intensifs est difficile à faire admettre. L'Allemagne a les mêmes difficultés que nous, et cela pose un problème de visibilité.

M. Franck Menonville , président . - Et de stratégie !

M. Julien Tognola . - Nous passons, du coup, par des dispositifs réglementaires, qui sont régulièrement contestés. Les aciéries électriques bénéficient souvent de l'ensemble de la boîte à outils : exonérations de CSPE, tarifs de réseau bonifiés, interruptibilité...

Mme Christine Lavarde . - J'aimerais connaître l'ensemble des dispositifs de soutien à la sidérurgie. Quelle masse financière représentent-ils ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ce sera le travail de notre mission que d'affiner cette description. Comment ces entreprises, disséminées sur le territoire, fonctionnent-elles en filière ? Quels sont les secteurs les plus solides ? Les plus fragiles ? Comment les stratégies européenne et nationale s'organisent-elles ? Quelles politiques publiques pour accompagner la mutation de la filière ? L'exemple d'Altifort montre bien comment l'action d'un repreneur doit se coupler avec des politiques publiques à plusieurs niveaux. Nous devrons affiner le diagnostic et formuler des recommandations.

Mme Angèle Préville . - Les entreprises françaises sont très spécialisées. Exportent-elles ?

M. Claude Marchand . - Celles qui ont pour client l'industrie pétrolière et gazière exportent toute leur production. Pour le gaz de schiste, les matériaux ne sont pas les mêmes que sur les plateformes pétrolières. Le tiers de la production de rails est destiné à la SNCF et à la RATP ; le reste est exporté en Europe, et jusqu'en Australie, car nos rails ont des caractéristiques de charge uniques. Mais les clients, qui, autrefois, achetaient les meilleurs produits, s'efforcent désormais d'optimiser leurs fournitures, et ne gardent du haut de gamme que sur la partie où c'est indispensable. Les Européens sont toujours maîtres du haut de gamme, mais ils se font rattraper même sur la moyenne gamme.

Mme Élisabeth Lamure . - L'éolien est-il un marché de niche ? A-t-il des perspectives à l'export ?

M. Franck Menonville , président . - En raison de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, nous devons nous arrêter là. Nous vous réinviterons.

B. AUDITION DE M. MARCEL GENET, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LAPLACE CONSEIL (19 FÉVRIER 2019)

M. Jean-Pierre Vial , président . - Mes chers collègues, je préside aujourd'hui cette réunion, en l'absence de notre président, M. Franck Menonville.

Nous recevons aujourd'hui M. Marcel Genet, président-directeur général de Laplace Conseil. Cette audition sera l'occasion de recueillir son analyse de la situation actuelle de la filière, ainsi que ses commentaires sur les stratégies des principales entreprises sidérurgiques implantées en France et, surtout, sur l'évolution de l'action des pouvoirs publics.

En effet, M. Genet a suivi de très près l'évolution de la sidérurgie européenne depuis les années quatre-vingt, en acceptant des missions de conseil auprès de la Commission européenne, en examinant la stratégie française de restructuration de la sidérurgie française à la demande du Gouvernement ou encore en s'impliquant, au sein même des entreprises, dans leurs plans d'amélioration de la compétitivité. Plus récemment, il a par exemple travaillé sur la situation des sites de Florange ou d'ArcelorMittal.

M. Marcel Genet, président-directeur général de Laplace Conseil . - La sidérurgie est un sujet important sur lequel je travaille depuis plus de quarante ans. Un peu comme Obélix, je suis tombé dedans lorsque j'étais petit ! Je m'intéresse beaucoup au devenir de cette industrie.

En sidérurgie, il faut regarder loin dans le temps. Les décisions prises il y a longtemps continuent de produire leurs effets. La sidérurgie européenne a été reconstruite après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre du traité CECA, précurseur de tous les traités européens.

On peut distinguer deux périodes. Pendant les Trente Glorieuses, la demande d'acier a augmenté de 6 % par an. Depuis 1974, la consommation d'acier est restée globalement stable et dépend fortement de la conjoncture économique.

L'emploi sidérurgique a drastiquement diminué dans tous les pays d'Europe de l'Ouest : aujourd'hui, l'emploi direct représente 20 % du niveau de 1974, avec de profonds effets induits sur les emplois indirects et de grands bouleversements dans les bassins traditionnels.

Deux causes principales expliquent ce déclin : l'automatisation de presque toutes les tâches manuelles pénibles et l'accroissement de la capacité de production des outils. C'est principalement la modernisation de l'outil qui a entraîné la baisse des emplois et les restructurations. Les importations des pays tiers ont eu des effets limités.

En particulier, depuis cette période, la plupart des usines intégrées traditionnelles produisant des produits longs à partir de minerai de fer et de charbon ont été fermées et remplacées pour partie par des mini-usines plus performantes, qui produisent ces mêmes produits en recyclant les vieilles ferrailles dans des fours électriques, ce qui représente 40 % de la production d'acier en Europe comme en France. Le recyclage est devenu le principal contributeur de la réduction des gaz à effet de serre dans la sidérurgie.

En France, la consommation d'acier est restée assez stable, mais pas la production qui a chuté de 15 % à 11 % entre 1974 aujourd'hui.

Comme les autres pays européens, la France a payé un lourd tribut à la restructuration de son industrie, en particulier dans les bassins des Hauts-de-France et du Grand Est où se concentrait l'essentiel de la production.

Reste que cette restructuration s'est plutôt moins mal passée en France que dans d'autres pays européens. Certes, l'Allemagne a très bien maintenu ses positions, compte tenu de la solidité de son industrie aval, mais la France a mieux résisté à cette crise européenne que l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne et l'ensemble des pays d'Europe centrale. Certains pays s'en sont mieux sortis : l'Autriche, les Pays-Bas et la Finlande ont ainsi gagné des parts de marché significatives. Deux facteurs expliquent ce phénomène : la résilience de leurs clients aval et le consensus social, technologique et financier pour remplacer à temps les outils industriels obsolètes.

Il faut distinguer les aciers plats minces et les aciers longs.

Pour les produits plats minces - par exemple l'automobile -, l'impulsion stratégique de l'État à la fin des années soixante pour construire les deux grands sites intégrés de Dunkerque et de Fos s'est révélée décisive et ces initiatives industrielles majeures permettent aujourd'hui à la France de maintenir son rang. Cela impliquait dès la fin des années soixante la fermeture des usines de l'est de la Lorraine ; on le savait à cette époque. Malheureusement, ces fermetures n'ont pas été bien gérées, ce qui a entraîné confusions et contestations.

En revanche, pour les aciers longs, ce n'est pas la même vision qui a prévalu : de très nombreuses contraintes sociales, des concurrences locales entre les vallées en Lorraine et une préférence technocratique en faveur des hauts-fourneaux des aciers dits haut de gamme - or la majeure partie de l'acier est faite d'acier courant, indispensable à l'économie - n'ont pas permis de bien restructurer les aciers longs courants et de réussir la transition du recyclage.

En résumé, la France a très bien réussi la restructuration de 60 % de son industrie pour les produits plats minces, mais aurait pu mieux faire pour les 40 % restants, les produits longs et les tôles fortes ayant été cédés à des industriels étrangers.

Aujourd'hui, la France ne produit plus d'acier pour ses rails et ses roues de TGV. Seule la production de fer à béton s'est maintenue en Île-de-France, troisième région sidérurgique, grâce à la discrète famille italienne Riva.

Aujourd'hui, la production des rails a été vendue à une société britannique et sont fabriqués dans une usine obsolète. À la veille du Brexit, cela risque de poser des problèmes. Il faut y faire attention.

De même, la fabrication de roues de TGV a été vendue au chinois Ma Steel, qui a du mal à importer les blooms (barres d'acier destinées à être laminées pour obtenir des produits longs) nécessaires. Pour l'instant, la France vit sur ses stocks.

Depuis la fermeture des derniers laminoirs de Valenciennes, Longwy et Gandrange, la totalité des poutrelles et autres est importée des pays voisins. En conséquence, la construction métallique française a beaucoup régressé.

Vallourec a récemment décidé de regrouper sa production de tubes pétrole hors de France, à la suite de décisions et d'investissements disproportionnés.

Le déclin d'Ascométal, autrefois leader des aciers spéciaux en Europe, mais qui ne produit plus aujourd'hui que 25 % de sa production d'il y a vingt ans, résulte de choix malheureux. Les repreneurs se sont succédé, tout comme les faillites. Aucun repreneur à capitaux français ne s'est présenté lors des cinq transactions successives pour reprendre cette entreprise et la faire prospérer.

Enfin, le sauvetage in extremis d'Ascoval illustre la méconnaissance des enjeux industriels et environnementaux de nombreux décideurs. Mis à part les pouvoirs publics, aucune institution française privée n'apportait les financements nécessaires.

On note à la fois une absence de stratégie et une absence d'appétit pour cette industrie de la part de tous les investisseurs privés. L'État est bien souvent intervenu tard et avec des moyens limités.

Quid des défis du XXI e siècle ?

Pour les produits plats, il convient à court terme qu'ArcelorMittal assure l'entretien et la modernisation continue de tous ses outils. Les incidents récents de Fos, source d'une pollution potentiellement dangereuse, vraisemblablement attribuable à des défauts de maintenance, sont un signal à ne pas négliger. Il convient d'être attentif à ce que les outils français de produits plats (Fos et Dunkerque) soient entretenus, modernisés et que l'on réalise les investissements nécessaires pour réduire l'empreinte carbone : 9 % du CO 2 émis en France est produit par les deux usines de Fos et de Dunkerque. Il faut que les investissements soient réalisés à temps.

Les éventuelles taxes européennes sur les émissions de CO 2 émises par l'industrie sidérurgique sont à envisager avec précaution, car elles favoriseraient les importations extracommunautaires, qui n'y seraient pas soumises. En plus, si la France veut investir dans les énergies renouvelables, elle doit disposer des filières industrielles et produire l'acier nécessaire. Il n'y a pas de menace immédiate, mais il faut veiller à ce que la modernisation soit continue.

Pour les produits longs, il faudra remédier à l'incohérence actuelle : nous exportons quatre à cinq millions de tonnes de ferrailles vers nos voisins, ce qui correspond à peu près à la moitié de notre collecte, et nous importons un tonnage équivalent d'acier demi-produit, d'acier laminé et surtout de pièces et d'équipements, le tout fabriqué à partir d'énergies nettement plus carbonées. On pourrait envisager de reconstruire des aciéries électriques pour valoriser davantage notre excédent de ferrailles domestiques. Cela créerait des emplois, renforcerait les filières de transformation en aval et améliorerait fortement le bilan carbone français. La filière dispose de tous les atouts nécessaires : l'électricité décarbonée est compétitive et les ferrailles locales sont moins chères que la concurrence. Mais il faudra envoyer des signaux forts sur la volonté collective d'y parvenir dans le cadre de la transition énergétique, laquelle augmentera la demande d'acier de 20 % et pourrait offrir les débouchés nécessaires.

En définitive, l'acier français a encore un avenir. Cet avenir sera celui du recyclage accru et de l'économie circulaire ainsi que de la participation active à la transformation énergétique. Pour réussir, il faudra une meilleure coordination entre les pouvoirs publics, les entrepreneurs et les investisseurs privés, les fournisseurs de ferrailles, les producteurs d'électricité décarbonée, et les clients de toutes les filières aval de transformation.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Merci pour cet éclairage, très bienvenu en cette phase de démarrage de notre mission. Il est aussi essentiel de recueillir le point de vue des institutions, celui du ministère et celui des acteurs de la filière mines et métallurgie. Vous nous faites bénéficier de votre longue expérience en dressant un panorama global et en formulant des préconisations. L'articulation des stratégies des différents acteurs est-elle satisfaisante ? Pour Ascoval, l'intervention publique a été déterminante. Cela révèle-t-il un défaut de communication et d'articulation ? Si l'État doit être stratège, les régions prennent une part significative dans le développement économique. Quant aux acteurs économiques, l'existence de comités de filières n'empêche pas le cloisonnement et la juxtaposition entre leurs stratégies. Comment relever ces défis et promouvoir une action cohérente de long terme ? Beaucoup d'efforts sont faits, mais ils ne sont pas coordonnés.

M. Jean-Pierre Vial , président . - Certes. Comme vous l'avez fait observer, pour les produits plats, il y a eu une stratégie, et une réussite. Pour les produits longs, nous n'avons eu ni l'une, ni l'autre.

M. Marcel Genet . - Le verre est un peu plus plein que vide - à 60 %, environ.

M. Jean-Pierre Vial , président . - Vous avez ouvert un espoir en insistant sur le recyclage électrique. Nous allons y consacrer un déplacement. Pouvez-vous préciser votre propos ?

M. Marcel Genet . - L'industrie des produits plats est européenne, voire mondiale, et les décisions doivent être prises au moins au niveau national. En France, elles ont été bien prises, dans les années 1960, à l'époque des plans quinquennaux. Cela nous distingue notamment de l'Angleterre, dont l'industrie est dans une situation catastrophique, mais aussi de l'Italie et de l'Espagne - et, pour d'autres raisons, des pays d'Europe centrale.

L'industrie des produits longs, elle, est régionale. C'est l'affaire de grosses PME, fabriquant par exemple 500 000 tonnes par an avec 500 employés. Une grande stratégie nationale n'est pas nécessaire mais il faut des initiatives régionales, impliquant notamment les collecteurs de ferraille. Ceux-ci n'ont d'ailleurs plus rien à voir avec leur image, dégradée, du passé : ils constituent désormais une véritable industrie, compétitive et respectable, à l'image de la société Derichebourg, que je vous encourage à visiter, et qui est l'une des plus performantes en Europe. Il faut aussi impliquer EDF, car une aciérie, qui consomme beaucoup d'électricité, peut absorber utilement la production de basse conjoncture, l'été ou à la sortie de l'hiver, et discuter avec les clients, qui importent actuellement leur acier depuis l'étranger. Ces petites usines disposant de four électrique, fonctionnent dans une relative indifférence, alors qu'elles sont rentables. Qui sait qu'il y en a trois en Ile-de-France, par exemple ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Où sont-elles situées ?

M. Marcel Genet . - À Bonnières-sur-Seine, Montereau-Fault-Yonne et Gargenville. Toutes trois sont profitables, mais les médias n'en parlent jamais, pas même L'Usine nouvelle , qui est pourtant un magazine spécialisé dans l'industrie. Ces trois usines ont maintenu depuis vingt ans leur niveau d'emploi. Ce sont des réussites régionales. Il est vrai qu'on trouve beaucoup de ferrailles en Île-de-France, vu le volume d'activité. Il est vrai aussi qu'on a longtemps considéré leur production comme de l'acier à ferrer les ânes...

Mme Christine Lavarde . - Avec ces trois aciéries en Île-de-France, je me sens plus légitime pour participer à cette mission d'information ! Vous avez évoqué les émissions considérables de CO 2 des hauts-fourneaux de Fos-sur-Mer et de Dunkerque. On dit souvent que c'est une industrie électro-intensive. Les émissions proviennent-elles du processus de transformation lui-même, ou de la fabrication de l'énergie qui lui est nécessaire ? Il semble difficile de transformer en industrie verte une activité aussi émettrice de carbone...

M. Marcel Genet . - Les deux usines que vous évoquez sont très modernes, mais elles utilisent des hauts-fourneaux, où le minerai de fer importé est réduit à partir de charbon. Elles ne sont donc pas, à proprement parler, électro-intensives. C'est le seul procédé existant pour produire de grandes quantités d'acier de haute qualité. Ce sont les fours électriques qui sont électro-intensifs ; on y fabrique les produits longs : poutrelles, rails, aciers spéciaux et inoxydables... Là, l'économie circulaire fonctionne bien. D'ailleurs, on sait peu que le produit le plus recyclé au monde est la ferraille : 400 à 500 millions de tonnes par an, à comparer aux 15 millions de tonnes d'acier que nous produisons en France, où la ferraille constitue 80 % de la valeur des produits recyclés.

M. Martial Bourquin . - Pourquoi l'Autriche et la Finlande ont-elles mieux réussi ?

M. Gérard Longuet . - L'hydroélectricité !

M. Martial Bourquin . - La modernisation de l'outil a dû aussi compter. Les sites français ont plus de vingt-cinq ans. Il y a donc un gros travail de modernisation. Votre plaidoyer m'a impressionné. Existe-t-il des projets de rénovation de nos sites ? La filière hydrogène est-elle une vraie perspective à moyen terme ? Cela fournirait une électricité moins chère. Vous avez peu parlé des importations chinoises, démesurées et incontrôlées même si nous avons, tardivement, imposé des taxes de 25 %, à comparer aux 225 % américains.

M. Gérard Longuet . - Vous avez évoqué les hauts-fourneaux - ceux qui nous restent. Que pensez-vous de la captation du CO 2 ? Le projet Ulcos aurait-il pu aboutir ?

M. Marcel Genet . - L'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas sont trois petits pays, dans lesquels il est plus facile d'obtenir un consensus social. C'est très vrai en Autriche, qui jouit d'une longue tradition industrielle et se trouve loin de la mer, ce qui complique l'importation du minerai et du charbon. Les Autrichiens ont choisi de ne pas s'allier à d'autres et de rester indépendants. Pour cela, ils ont fait collaborer les pouvoirs publics, les banques, et les organisations syndicales, qui ont compris l'intérêt de sauver leurs usines et accepté les réductions d'effectifs nécessaires. Les outils ont été rendus plus productifs, même si le plus gros de leurs trois hauts-fourneaux est plus petit que le plus petit de Dunkerque... Et les Autrichiens ont mélangé des matières locales pour accroître les rendements. Ils ont même construit une usine au Texas pour fabriquer du minerai de fer pré-réduit, afin d'augmenter la productivité de leurs hauts-fourneaux ! Ils ont aussi beaucoup travaillé avec leurs clients. Ils ne livrent plus des bobines ou des tôles, mais des sous-ensembles et des pièces. Résultat : ils sont considérés comme meilleurs que les Allemands et livrent des aciers à Mercedes ou BMW et fabriquent même la caisse en blanc pour les Ferrari ! Bref, c'est l'intégration qui a bien fonctionné. Il en va de même de la Finlande et des Pays-Bas, qui comptent l'une des meilleures usines d'Europe, malgré leur alliance avec les très mauvaises usines britanniques !

Il faut faire la même chose en France pour les produits longs. Pour les deux usines implantées là où il y a de la ferraille et de l'électricité, il faut trouver des solutions régionales. Comment la France peut-elle ne pas contrôler la fabrication des roues et des rails de ses TGV ? C'est une usine obsolète d'Angleterre qui fabrique les demi-produits. Si le Brexit complique leur circulation, nous n'aurons pas la capacité d'en produire en France...

M. Jean-Pierre Vial , président . - Pouvez-vous nous détailler les volumes ?

M. Marcel Genet . - La France produit 15 millions de tonnes d'acier - un peu plus en 2018, qui fut une très bonne année. Environ 60 %, soit 11 millions de tonnes, sont des produits plats, dont nous sommes exportateurs nets. Les 4 millions de tonnes restantes sont des produits longs, auxquels s'ajoutent 4 millions de tonnes supplémentaires que nous importons.

Les usines ne meurent pas de vieillesse. Elles meurent faute de client, et à condition qu'on les modernise. Il faut y veiller à Dunkerque et à Fos-sur-Mer - où 115 millions d'euros ont été récemment investis, mais où des portes ne sont plus étanches et laissent filtrer du benzène... Il serait indispensable de les remplacer pour régler ce problème.

Cette modernisation est nécessaire surtout pour les deux grandes usines de produits plats, car c'est là où les investissements sont les plus lourds. En Italie, l'usine de Tarente s'est laissé dépasser et cela coûterait une fortune de la remettre à niveau.

L'hydrogène est une excellente solution, mais à moyen terme. Les Suédois ont créé un consortium entre la mine de fer de Kiruna, le sidérurgiste SSAB et l'électricien Vattenfall pour mettre en place des démonstrateurs à hydrogène. Mais produire de l'hydrogène coûte cher, surtout de l'hydrogène vert. Avant de fabriquer de l'acier avec de l'hydrogène, mieux vaut l'utiliser pour les voitures. D'ailleurs, la Suède n'envisage pas l'équilibre carbone de sa sidérurgie avant 2050.

En revanche, ce pays a recours à la technologie hybrit, qui a pour objectif de remplacer le charbon à coke traditionnellement utilisé dans la fabrication de l'acier à partir de minerai de fer par de l'hydrogène. Comme les Suédois, nous devrions faire travailler ensemble les électriciens, les sidérurgistes et les mineurs.

La Chine exporte surtout en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine, c'est-à-dire partout où le besoin d'acier se fait sentir et où les industries ne sont pas protégées. Les produits chinois ne nous ont donc pas envahis mais se sont substitués à une partie des exportations européennes qui a perdu les marchés des pays en voie de développement. Les prix mondiaux - et donc européens - ont en outre baissé. Les exportations chinoises n'ont pas eu un impact significatif sur les volumes mais sur les prix, d'où les difficultés du secteur.

L'Europe a taxé les importations d'acier électrique chinois : la conséquence en a été que les fabricants de transformateurs et de moteurs européens n'ont plus pu vendre en Chine ni ailleurs. Nous avons donc sauvé quelques centaines d'emplois en empêchant la Chine de nous vendre des produits que nous ne fabriquions plus en quantité suffisante et nous avons perdu plus de 10 000 emplois en Hollande et en Allemagne. N'oublions pas que si la sidérurgie n'emploie pas beaucoup de salariés, ses clients en emploient bien davantage.

La séquestration du CO 2 a de l'avenir : divers projets dans la mer du Nord à hauteur de la Hollande permettraient d'en capter une partie importante. Des projets de méthanisation sont également en cours, dont trop peu à Dunkerque. Ce sont des projets réalistes à moyen terme, c'est à dire avant que la solution à l'hydrogène ne s'impose.

M. Gérard Longuet . - Il s'agirait de réinjecter du CO 2 ?

M. Marcel Genet . - Depuis des décennies, tous les pétroliers stimulent la production de leurs puits en injectant du CO 2 au moment du forage. La séquestration en elle-même ne pose pas de problème majeur.

M. Gérard Longuet . - Et la captation ?

M. Marcel Genet . - Il s'agit là de séparer le CO 2 du ballast d'azote, ce qui est très coûteux. Il faudrait que le prix du CO 2 soit nettement plus élevé qu'aujourd'hui pour que le recours à cette méthode soit envisagé.

Ulcos est un projet de long terme. Les Pays-Bas développent une technologie assez semblable. La réduction du CO 2 dans les hauts fourneaux ne se fera qu'à long terme. Les différents sites d'ArcelorMittal sont en concurrence pour développer ces projets, mais la France n'est pas en bonne position.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ces projets sont-ils développés à l'échelle européenne ?

M. Marcel Genet . - Tout à fait. ArcelorMittal choisit les sites européens où il veut implanter ses démonstrateurs.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous avons fixé l'objectif de réduction de 80 % de CO 2 d'ici à 2050. Le prix du carbone va augmenter à partir de 2020 pour ces entreprises fortement émettrices de CO 2 qui doivent donc se moderniser pour se décarboner avant que cette augmentation n'opère. Les hauts-fourneaux européens ne vont-ils pas se trouver en difficulté face à la concurrence chinoise qui, elle, ne connaît pas les quotas carbone ?

M. Marcel Genet . - L'industrie sidérurgique européenne négocie pour éviter d'être pénalisée dans les années à venir. En outre, même si elle émet beaucoup de CO 2 , elle le fait de façon très efficace. De nouvelles réductions d'émissions seraient extrêmement coûteuses. Mieux vaudrait demander au BTP et à l'industrie automobile de réduire leurs émissions de CO 2 , car cela coûterait bien moins cher. Le coût de l'hydrogène pourrait se rapprocher de celui du pétrole, mais pas du charbon.

Mme Nadia Sollogoub . - Vous souhaitez ramener le traitement des métaux de récupération en France pour créer des emplois. Élue de la Nièvre, j'ai visité hier l'usine Apéram. Ses dirigeants m'ont fait part de leur difficulté de recrutement. Cette problématique est-elle nationale ? Faudrait-il définir une stratégie de formation dans notre pays ? En outre, alors que sur le même site se trouvent les usines Apéram, Aubert & Duval et Ugitech, aucune stratégie concertée de formation qualifiée n'est envisagée.

M. Marcel Genet . - L'image de marque de la sidérurgie est assez dégradée : du marketing serait indispensable. Pour l'heure, les jeunes ne souhaitent pas se lancer dans cette filière. Des formations spécifiques sont nécessaires ainsi que le développement de l'apprentissage.

Nombre d'entreprises ont disparu parce qu'elles refusaient de collaborer, même au sein d'un même groupe ! Souvenez-vous des rivalités en Lorraine entre la vallée de la Fensch et la vallée de l'Orne. Mais face à la Lorraine, il y a la Sarre. Les derniers hauts-fourneaux dans la région de la Wallonie, du Luxembourg, de la Lorraine et de la Sarre se trouvent en Sarre, alors que cette région était gouvernée par la France et tous les patrons des usines sarroises étaient français. Mais les Sarrois ont su travailler ensemble, ils ont regroupé leurs hauts-fourneaux sur leur meilleur site alors que la France n'a jamais réussi à y parvenir.

M. Gérard Longuet . - C'est un peu plus compliqué. Le Grand-Duché a mené une politique de reconversion très active. En outre, ArcelorMittal a fermé Florange car il était plus facile de fermer en France qu'en Allemagne pour des raisons sociales, ce que les patrons français qui se plaignent du droit social dans notre pays oublient trop souvent.

M. Marcel Genet . - C'est effectivement le cas. Pendant quelque temps, Florange a produit les blooms pour les rails destinés à l'usine de Hayange. Rapidement, Florange a refusé de poursuivre cette production et ce sont les Anglais qui ont récupéré ce marché. Avec plus de coopération, les choses auraient sans doute été différentes.

Mme Élisabeth Lamure . - La France exporte des produits bruts et importe des produits finis : il y a donc un manque de valorisation, comme dans la filière bois, d'ailleurs. Vous nous avez également dit que par le passé, il y a avait eu une tentative de montée en gamme de la qualité des aciers qui n'avait pas abouti. Notre industrie doit-elle améliorer la qualité de ses aciers ou diversifier ses productions ?

M. Marcel Genet . - L'acier entre dans la composition de produits extrêmement diversifiés : cela va des vis de lunettes aux grosses poutrelles. La majeure partie de l'acier produit est de l'acier courant. Les aciers à haute valeur ajoutée coûtent cher à produire et ils ne sont pas nécessairement rentables. Très peu d'aciéries électriques produisant de l'acier courant se sont retrouvées en faillite alors que toutes les aciéries intégrées ont connu au moins une fois des déboires financiers.

Le nord de l'Italie s'est spécialisé à partir des années 1970 dans les aciers bas de gamme et cela lui a réussi.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Quelle est la situation de notre tissu industriel français ? Des entreprises sont-elles en difficulté ? Faudrait-il accompagner différemment ces entreprises ?

M. Marcel Genet . - Aujourd'hui, toutes les entreprises appartiennent à des industriels étrangers. Nous ne disposons pas de réels moyens pour les accompagner. Si une entreprise décide de rapatrier sa production dans son pays d'origine, la France dispose de peu de moyens pour l'en dissuader. Il convient donc que le marché soit porteur pour qu'elle n'ait pas envie de rapatrier sa production. On note une forte corrélation entre la santé industrielle d'un pays et la santé de sa sidérurgie. L'Allemagne a les meilleurs clients au monde...

M. Gérard Longuet . - Et la meilleure mécanique !

M. Marcel Genet . - La moitié des grues qui fonctionnent en Chine sont allemandes. La France fabrique, quant à elle, une bonne partie des contrepoids.

De bons clients valent toutes les stratégies ! C'est pourquoi il faut se préoccuper des entreprises, souvent moyennes, qui assurent les débouchés. Il faut le faire notamment au niveau régional et local.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'action au niveau régional est-elle suffisamment bien organisée ?

M. Marcel Genet . - Ascoval prouve que les choses ne sont pas simples...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ce n'est d'ailleurs pas terminé !

M. Marcel Genet . - Pourquoi a-t-il été si difficile de relancer une des meilleures aciéries électriques d'Europe ? Parce que beaucoup pensaient que l'idée était mauvaise, parfois pour de bonnes raisons, mais surtout par méconnaissance de la situation. Quand les journalistes parlent de menace sur un « fleuron », c'est mauvais signe... Les mieux informés sont encore les syndicats, qui savent ce qui se passe réellement dans les usines, même s'il faut parfois décoder leur discours. Même avec les plus politisés, on apprend beaucoup.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'est très juste !

M. Marcel Genet . - Dans le cas d'Ascométal à Hagondange, le principal client n'avait pas les moyens de déposer une offre de reprise crédible. S'il avait été aidé, par exemple via un fonds régional d'investissement, le tribunal aurait peut-être pris une décision différente. Nous avons un problème d'information sur des industries qui ont une image obsolète.

Mme Valérie Létard , rapporteure. - L'État a-t-il aujourd'hui des leviers financiers pour accompagner de tels projets de reprise ?

M. Marcel Genet. - Dans le cas d'une entreprise moyenne, le problème n'est pas national ; il faut agir à plus petite échelle. Il y a de l'argent, mais il faudrait pouvoir le mobiliser.

Un point encore : alors que la transition énergétique va accroître de 20 % au moins la demande d'acier en Europe, la France n'en profitera pas, parce qu'elle n'a aucune entreprise capable de fabriquer des éoliennes ou des panneaux solaires !

Mme Anne-Catherine Loisier . - Je suis d'accord avec vous, mais nous avons des acteurs dans les domaines de l'hydroélectricité et des chaufferies bois.

M. Marcel Genet . - Il faut investir dans l'industrie de la pompe à chaleur, car c'est le meilleur moyen de chauffage dans les zones non denses.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quel est l'état de notre balance commerciale dans le domaine de la sidérurgie, pour les produits plats et pour les longs ? Par ailleurs, nous avons une solide culture du recyclage des ferrailles : connaissez-vous les volumes concernés, et pourrions-nous recycler encore plus ?

M. Marcel Genet. - Nous collectons en effet beaucoup de ferraille : entre 8 et 9 millions de tonnes. La moitié seulement est consommée en France : l'autre est exportée pour transformation, souvent dans des pays très proches, parce que nous manquons de fours électriques. Résultat : nous importons du carbone et nous exportons des crédits CO 2 ...

En ce qui concerne notre balance commerciale, pour les produits plats, elle présente un déficit de 4 millions de tonnes, surtout sous forme de pièces et d'objets semi-finis et finis. Sur les 50 milliards d'euros du déficit commercial français, 30 milliards environ viennent de l'industrie, notamment des biens de consommation durable et des biens d'équipement, qui comportent de l'acier que nous importons ainsi indirectement.

M. Jean-Pierre Vial , président . - Monsieur Genet, nous vous remercions pour ces informations précises et riches.

C. AUDITION DE M. SÉBASTIEN GUÉRÉMY, CONSEILLER INDUSTRIE ET INNOVATION AU CABINET DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES (12 MARS 2019)

M. Franck Menonville , président . - Cette troisième audition précède un déplacement de notre mission d'information, qui aura lieu en fin de semaine, à Dunkerque puis Valenciennes. Nous entendons M. Sébastien Guérémy, le conseiller industriel du ministre de l'économie. Il est accompagné de M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux à la direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'audition de la Direction générale des entreprises (DGE), le mois dernier, nous avait permis de disposer d'un panorama du secteur sidérurgique français, dans le contexte européen et mondial. Après ce premier diagnostic, l'objectif de cette audition est de faire le point sur la politique industrielle du Gouvernement, ses ambitions et ses moyens.

Notre première interrogation porte sur la vision de l'État de la sidérurgie au sein de l'industrie française. Nous avons vu lors de nos auditions précédentes que la ressource en acier est stratégique pour toute une filière aval, dans l'automobile, la construction ou encore l'aéronautique. Elle est aussi au centre des enjeux de la transition écologique. Comment traitez-vous ces objectifs, et quelle place la filière sidérurgique occupe-t-elle dans la vision du Gouvernement pour l'industrie du futur ?

En 2018, le Gouvernement a souhaité donner une nouvelle impulsion aux filières industrielles. Quel est votre bilan de la structuration de la filière Mines et métallurgies ? Le soutien des politiques publiques, notamment en matière de financement, est-il vraiment suffisant ? Quelles actions concrètes et spécifiques menez-vous afin de soutenir l'innovation, l'internationalisation et l'emploi dans ce secteur ?

Pouvez-vous déjà tirer un bilan de la création en 2017 d'un délégué interministériel aux restructurations d'entreprises ? Des actions ciblées sur la filière de l'acier ont-elles été menées, notamment en lien avec l'actualité récente du secteur ?

Enfin, nous avons pu constater à quel point les industriels de la sidérurgie sont touchés par les évolutions du contexte international, qu'il s'agisse de la surcapacité globale de l'acier, mais aussi des tensions commerciales qui ont marqué l'année 2018. L'instauration de droits de douane américains sur l'acier européen, et l'afflux d'acier chinois, compétitif car il bénéficie d'importantes aides d'État, représentent des difficultés supplémentaires pour un secteur français déjà fragilisé. Quelle est la position défendue par le Gouvernement au niveau européen, pour que l'Europe se donne les moyens d'une véritable défense commerciale ? Quelles initiatives propres au secteur sidérurgique avez-vous soutenues ?

La question des quotas carbone pour les hauts fourneaux est un autre sujet sur lequel nous souhaiterions vous entendre. La taxe carbone coûte 75 millions d'euros à Arcelor. Le Gouvernement pourrait aussi agir sur le coût de l'énergie produite dans les usines électro-intensives, qui sont faiblement productrices de CO 2 et qui recyclent le coût de l'énergie.

M. Sébastien Guérémy, conseiller Industrie et Innovation au ministère de l'économie et des finances . - La DGE vous a exposé la vision du ministère sur la filière. Vous n'avez sans doute pas eu le temps de détailler ce qui s'est fait au niveau des comités de filière.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le rapport sur le contrat de filière a été distribué aux membres de la commission, qui en ont pris connaissance.

M. Sébastien Guérémy . - La sidérurgie est un maillon essentiel des chaînes de valeur internationalisées, qu'il s'agisse de l'automobile ou de la construction. Son importance est stratégique en matière de souveraineté et nous avons tout à gagner à développer une filière nationale forte, car les fondements de l'économie mondialisée reposent sur les avantages comparatifs que les pays offrent à la compétitivité de chaque secteur.

Même si la filière sidérurgique française a beaucoup souffert ces dernières années, elle représente beaucoup de produits et de marchés. Dans le secteur automobile, la conjoncture a été favorable ces dernières années, de sorte que la sous-filière tôle s'est plutôt bien portée. La situation dans l'aéronautique et la construction est également assez favorable. D'autres sous-filières sont en situation plus délicate, notamment celles qui sont en lien avec le marché du pétrole, où la variation des cours empêche toute visibilité et réduit les capacités d'investissement. La situation est donc contrastée et nous devons agir sur la compétitivité globale de la filière.

La sidérurgie française représente 1 % de la production mondiale. Au quinzième rang, la France est un petit acteur, relégué derrière l'Allemagne et l'Italie. La sidérurgie n'en constitue pas moins un maillon essentiel, avec 40 000 salariés dans notre pays. Elle est particulièrement concernée par les enjeux de transition écologique et énergétique. Il s'agit d'une part d'améliorer les processus pour réduire l'empreinte environnementale de l'industrie en France ; d'autre part, de prendre en compte l'empreinte environnementale des produits d'importation issus d'une industrie très carbonée. Enfin, les technologies liées à la transition écologique, comme les batteries et les éoliennes, font appel à des formes diverses de synergies. Comment répondre à leurs besoins croissants en développant les compétences de la filière ?

M. Franck Menonville , président . - Pouvez-vous préciser les atouts spécifiques des pays européens et de la France ?

M. Sébastien Guérémy . - La neutralité carbone de notre électricité est un atout que nous n'exploitons sans doute pas assez. L'argumentaire en faveur d'une électricité propre et fiable doit sans doute être renforcé au niveau européen. Le chantier est en cours.

Depuis que le Conseil national de l'industrie a été relancé en novembre 2017, 18 filières ont été labellisées, qui couvrent tous les pans de l'activité industrielle en France. Le contrat du comité stratégique de la filière Mines et métallurgie a été élaboré au cours de l'année 2018, sous la présidence de Christel Bories, et il a été signé le 18 janvier à Bercy. Tout en étant spécifique à la filière, ce contrat porte aussi un caractère transversal.

Un rapport que nous avions commandée dans le cadre du comité, sur l'approvisionnement en matériaux stratégiques, doit être rendu la semaine prochaine. Le sujet est crucial et insuffisamment exploré par les filières applicatrices. Les entreprises des différentes filières connaissent mal leur dépendance à certains fournisseurs de matières premières. Le constat est alarmant si l'on prend en compte les besoins croissants en métaux rares. Une étude récente du CESE décrit l'évolution exponentielle de ces besoins et l'importance de développer une vision stratégique. Le ministre l'a mentionné le 5 mars, à Lyon, lors de la réunion du Conseil national de l'industrie. Il a souhaité que le sujet figure à nouveau à l'ordre du jour de la prochaine réunion, le 23 mai, afin d'identifier la nature de notre dépendance, filière par filière, et de déterminer les actions à conduire pour anticiper les besoins croissants.

Quant au délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, mis en place il y a un peu plus d'un an, le bilan de son action est très satisfaisant. Bien sûr, tous les dossiers ne sont pas publics, et certains doivent rester confidentiels. Quoi qu'il en soit, après un an, plus de trois emplois sur quatre suivis dans le cadre de ce dispositif ont été sauvés. Jean-Pierre Floris bénéficie d'un positionnement interministériel particulièrement opportun pour mettre en oeuvre les priorités du Gouvernement relatives aux entreprises en difficulté, à savoir trouver une solution pérenne pour le site et pour les salariés, et mobiliser tous les outils du ministère du travail en cas de non-reprise.

Les tensions commerciales internationales ont été nourries par les États-Unis qui ont inondé l'Europe de leurs produits semi-finis de sidérurgie. D'où les quotas établis par l'Union européenne en direction de certains pays. La France a soutenu cette mesure, car perturber les règles du jeu dans une chaîne mondialisée peut facilement conduire à remettre en cause notre souveraineté sur la filière. Par conséquent, nous devons nous défendre. En outre, les produits américains arrivaient dans de telles proportions qu'ils déstabilisaient non seulement la filière sidérurgique, mais aussi les filières aval. Leur prix cassé menaçait de déséquilibrer la chaîne de valeur, ce qui justifie amplement les mesures proposées au niveau européen.

Enfin, le chiffre que vous avez mentionné sur la taxe carbone est éloquent.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il m'a pour le moins interpellée.

M. Sébastien Guérémy . - Le soutien aux industries électro-intensives et hyper-électro-intensives est un enjeu de compétitivité de notre industrie, et pas seulement au niveau européen. Nous sommes tous logés à la même enseigne en Europe, et nous tentons tous de favoriser nos industries par les dispositifs les plus ingénieux possible. Cependant, la part de l'Europe reste faible en matière de sidérurgie. L'enjeu est aussi de rendre nos politiques européennes efficaces en la matière.

Nous travaillons à optimiser les dispositifs en faveur de l'électro-intensif et de l'hyper-électro-intensif. C'est un chantier au long cours. Le ministre s'est exprimé sur la politique antitrust. Le sujet des aides d'État est un autre pan du problème. Notre politique de restriction de ces aides pour éviter les distorsions de concurrence entre les États membres est-elle adaptée dans un cadre qui dépasse l'intra-européen ? C'est un sujet que nous souhaitons voir évoqué à l'échelon européen.

M. Franck Menonville , président . - Pouvez-vous définir plus précisément la stratégie de filière et les moyens mis en place, notamment dans des domaines innovants tels que l'éolien et le solaire ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je souhaite revenir sur les logiques de stratégie de développement de la filière aval. La France produit de l'acier, mais ne compte pas une seule usine d'éoliennes. Comment l'État stratège et les acteurs industriels comptent-ils y remédier ? Cela relève-t-il seulement des entreprises ? Nous avons des opportunités dans des marchés à conquérir. Quels sont les obstacles éventuels ?

M. Sébastien Guérémy . - La France a développé l'éolien en retard par rapport à d'autres pays ; en conséquence, à la parution des premiers appels d'offres, il était moins cher de se fournir à l'étranger. Nous avons souhaité inverser cette situation avec l'éolien offshore . Nous avons obtenu des engagements forts des industriels, à Cherbourg et Saint-Nazaire notamment. Le problème est que le temps de réalisation des projets est tel qu'il met à mal la filière industrielle. Nous avons essayé de concilier une politique énergétique et une politique industrielle pour développer cette filière, mais les retards sont si importants que celle-ci connaît des difficultés. Ces retards posent un sérieux problème aux acteurs économiques qui ont réalisé des investissements importants de très long terme, d'autant plus qu'au fur et à mesure, les technologies deviennent obsolètes. La situation est due à la difficulté de faire accepter nos ambitions. J'entends tous les sons de cloche à propos de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) : certains estiment qu'elle n'est pas assez ambitieuse ; d'autres émettent des doutes quant à la possibilité de parvenir aux objectifs annoncés. Les injonctions sont parfois contradictoires.

M. Jean-Pierre Vial . - J'ai écouté avec attention et intérêt vos propos sur les électro-intensifs. Je buvais du petit lait, mais froid. Je ne suis pas surpris par votre discours. Les quelques industries savoyardes que nous avons préservées - preuve que l'industrie est capable de résister, malgré un handicap de situation géographique - ont fait un travail considérable de prise en considération des impératifs écologiques.

En décembre 2016, le ministre de l'industrie est venu féliciter l'entreprise Ferropem, grâce à laquelle un black out électrique avait été évité en plein hiver. Il y a quelque temps, nous avons reçu Mme Poirson. La veille, la rupture avait été évitée par deux entreprises industrielles électro-intensives, mais par manque de chance, ce jour-là, bien que disponibles, elles n'avaient pas été sollicitées car on turbinait du charbon.

Nous accompagnons ces industriels depuis des années, notamment auprès de l'Union européenne. Certains demandent parfois de quoi les électro-intensifs se plaignent lorsqu'ils immobilisent leur outil, puisqu'ils sont rémunérés en contrepartie. Mais l'outil d'un industriel qui fabrique de l'aluminium, du silicium ou du sodium est fait pour être utilisé au maximum. Le faire fluctuer demande des investissements. Nous avons de la chance d'avoir des industries lourdes capables d'être flexibles.

Nous avons de l'aluminium en France, et en Savoie à Saint-Jean-de-Maurienne, parce que les Allemands sont venus avec leur modèle de recyclage et de fluctuation des ressources électriques - des Allemands ont sauvé Pechiney, des Espagnols, Ferropem, des Japonais, MSSA.

Nous travaillons avec l'Union européenne car les industriels ont besoin de contrats longs - il faut que la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne nous y aide.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La France envoie quatre millions de tonnes de ferraille à l'étranger et reçoit autant de produits semi-finis : cela montre les progrès à accomplir en matière d'économie circulaire. Prenons l'exemple d'Ascoval qui transforme de la ferraille, de façon électro-intensive et moderne. Aujourd'hui, il y a à la fois un besoin de recyclage et des problèmes pour faire converger capacité à produire et clientèle.

Comment organiser effectivement cette filière ? Quelle est la part de l'action publique et celle des acteurs privés ? Comment y connecter la vision de l'État ? Quels sont les moyens financiers de l'État pour accompagner l'évolution de la stratégie et le maintien, voire l'optimisation, de la production en France ? Quels sont les outils d'accompagnement des restructurations ? Quelle est la projection en matière d'aides ? Le Fonds de développement économique et social (FDES) est passé de 100 millions d'euros en 2018 à 50 millions d'euros en 2019. Quelle est la vision stratégique de l'État ? Quelles priorités se fixe-t-il ?

M. Sébastien Guérémy . - Le traitement des ferrailles constitue un vrai enjeu pour développer une filière d'aciérie électrique en France. Il est identifié dans le contrat de filière ; un groupe de travail spécifique s'y consacrera.

L'objectif est de réserver le FDES aux restructurations créatrices d'emploi. L'enveloppe pour 2019 est effectivement réduite : nous souhaitons qu'il y ait le moins de dossiers possible. Ce vers quoi nous poussons collectivement, c'est l'accompagnement des projets d'avenir. Le ministre est très clair : on ne construira pas l'industrie du futur sur les ruines de l'industrie du passé. Il ne partage pas la vision schumpetérienne de destruction créatrice. Il se bat pour chaque emploi, ce qui change tout pour les territoires. L'accompagnement des restructurations peut sembler laborieux mais il a beaucoup de valeur en ce qu'il évite une rupture.

Il faut aussi développer les industries du futur et l'innovation dans les filières. Chaque contrat de filière compte un axe d'innovation. Nous souhaitons qu'il y ait un projet d'innovation structurant par filière. Pour la sidérurgie, c'est la réduction de l'empreinte carbone. Nous sommes aidés par les outils du Programme d'investissements d'avenir (PIA) et surtout du Fonds pour l'innovation et l'industrie, doté de 250 millions d'euros dont 150 millions pour l'action « grands défis ». Nous en avons sélectionné trois : l'intelligence artificielle dans le diagnostic de santé pour une médecine plus personnalisée ; la traçabilité de l'intelligence artificielle puisque les algorithmes qui vont régir nos choix doivent être le plus transparent possible ; le stockage de l'énergie à haute densité, pour l'aéronautique et le naval notamment, qui a été validé par le Conseil de l'innovation de décembre.

Nous nous battons pour les batteries électriques des véhicules, enjeu économique pour l'industrie de demain. Actuellement, la consommation moyenne du parc français est de 115 grammes de CO 2 par kilomètre. En 2021, elle devra être de 95 grammes par kilomètre et en 2030, de 59 grammes par kilomètre. C'est une baisse de moitié en dix ans, ce qui représente un défi énorme. On amorce une transition très forte de l'industrie automobile vers l'électrique. Une partie des emplois sera reconvertie. Il faut réfléchir à la façon dont on installe en France des emplois complémentaires au thermique. Ne nous leurrons pas : un moteur électrique fait travailler sept fois moins de personnes qu'un moteur thermique. Les impacts industriels seront très élevés. C'est pourquoi nous devons répondre à la question : comment créer des formations pour développer les nouveaux métiers de l'électrique et accompagner des projets industriels ambitieux pour développer la filière ? La batterie électrique représente 35 à 40 % du coût du véhicule. Un constructeur national serait à la merci de son fournisseur s'il n'en avait qu'un. Ce n'est pas possible.

Mme Angèle Préville . - Monsieur Guérémy, vous avez évoqué la concurrence au sein de l'Union européenne et au-delà. Pouvez-vous préciser ? Quelles sont les pistes d'aides d'État ? Quelle est l'évolution récente des effectifs des équipes d'ingénieurs à la DGE qui travaillent sur la filière sidérurgique ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Comment les moyens humains de la DGE évoluent-ils pour accompagner les filières ? L'État stratège a besoin d'équipes de haut niveau.

M. Sébastien Guérémy . - Nous vous communiquerons les chiffres. Qualitativement, tant les effectifs que les missions de la DGE ont profondément évolué ces dernières années. Les tâches administratives tendent à disparaître au profit de missions plus stratégiques, comme celles des comités de filières. Le type d'emplois évolue avec une proportion accrue de cadres A.

Les règles de concurrence sont définies à l'échelon européen. Nous souhaitons une réflexion sur la question : y a-t-il besoin d'une évolution des lignes directrices européennes en matière de concurrence et en particulier d'aides d'État ? Nos marchés sont mondialisés, or les pays hors Union européenne ne s'imposent pas les mêmes règles.

J'évoquais tout à l'heure une tentative de faire venir un industriel en France. Le soutien maximal à l'investissement est inférieur à 4 %. Pour la construction d'une usine équivalente quelques années auparavant aux États-Unis, le niveau de subventions s'élevait à 80 % grâce à l' Obama Deal . Cela pose question, même s'il y a probablement un juste milieu à trouver.

M. Jean-Claude Tissot . - Je souhaite évoquer la transition écologique des constructeurs automobiles. Il est de bon ton aujourd'hui de soutenir la production de batteries électriques. J'appelle votre attention : c'est sept fois moins d'emplois. Mesurons bien les impacts. L'approvisionnement en terres rares risque par ailleurs de poser problème. Avant de démanteler les chaînes de fabrication de moteurs thermiques, assurons-nous de la réussite de l'électrique, qui ne saurait les remplacer.

M. Sébastien Guérémy . - L'essentiel de la valeur ajoutée des véhicules électriques est constitué par les matériaux, qui représentent 75 à 80 % du coût de la batterie. On se bat pour une filière européenne de batteries, mais il ne faut pas transférer le problème en dépendant de quelques acteurs fournissant les matériaux. C'est pourquoi nous travaillons, notamment avec Eramet, à développer des ressources telles que le lithium.

M. Jean-Claude Tissot . - Et le recyclage ?

M. Sébastien Guérémy . - La France dispose de bonnes technologies de récupération des matériaux. Il y a en outre le projet du comité stratégique de filière de recyclage des batteries.

M. Jean-Pierre Vial . - Selon vous, on ne peut pas bâtir du neuf sur du vieux. Mais comment définissez-vous les vieilles filières ? Bien des entreprises n'auraient pas été retenues selon vos critères. Je songe à Carbone Savoie, entreprise qui a failli mourir il y a quelques mois, mais a connu un renversement spectaculaire de conjoncture, jusqu'à recevoir le prix Ulysse pour son travail sur les batteries. Comment distingue-t-on une filière ancienne et vouée à disparaître d'une filière qui peut se transformer ?

M. Sébastien Guérémy . - Il n'y a pas d'industries du passé ; ce sont les marchés qui évoluent. On ne peut pas dire qu'une industrie n'a pas d'avenir ; nous voulons accompagner toutes les filières dans leurs transitions. Celles-ci sont parfois nécessaires, mais chaque filière industrielle garde une pertinence.

M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux à la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances . - Carbone Savoie est un bel exemple de la manière dont on peut faire évoluer ces entreprises. Il y a quelques années, on n'aurait pas imaginé que cette usine puisse avoir un avenir dans les hautes technologies. Les compétences et les technologies existent, même s'il faut les faire évoluer, les adapter aux nouvelles demandes. C'est ainsi qu'on se positionne sur les futurs marchés, dans l'énergie, l'automobile, ou encore la construction : les propriétés thermiques des matériaux sont toujours plus déterminantes dans ce domaine. On ne peut pas compter seulement sur les start-up, d'autant qu'il s'agit de secteurs gourmands en capital et que les marchés sont mondiaux. La sidérurgie ne peut pas être seulement française, elle doit être au minimum européenne. C'est en mélangeant les compétences venues de différents pays que nous parviendrons à survivre, collectivement.

M. Fabien Gay . - Quelque chose m'a fait bondir dans vos propos, monsieur Guérémy : vous avez affirmé que le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises produisait de bons résultats. Des salariés de Solocal , éditeur des Pages jaunes, victimes d'un plan social ont été reçus par M. Floris ; je les accompagnais. L'expérience a été mauvaise : il nous a expliqué qu'il ne pouvait rien faire.

Nous sommes globalement en difficulté, depuis trente ans, par rapport à la question industrielle. Je connais bien le cas de l'usine Ford de Blanquefort ; la situation y est problématique depuis quinze ans. Depuis dix ans, l'État et les collectivités territoriales subissent le chantage à l'emploi et mettent au pot. Comment récupérer ces aides publiques ? Il faudra légiférer. Je suis intéressé par le fonds d'innovation que veut créer M. Le Maire, car je pense comme lui qu'il existe des enjeux d'avenir - le véhicule autonome ou électrique, la 5G, l'intelligence artificielle -, même si nous sommes en désaccord quant aux moyens de l'abonder. Pour répondre à ces défis, il faudra beaucoup investir.

Depuis trente ans, nous subissons sans nous projeter dans l'avenir. Non loin de l'usine Ford, on trouve celle de Saft, leader mondial des batteries. Mes deux parents y ont été ouvriers. Si l'on avait prévu les difficultés de l'usine Ford, ce qui était possible, les pouvoirs publics auraient dû demander à cette entreprise de se rapprocher afin d'y construire le véhicule de demain. Si nous n'adoptons pas une telle approche, nous ferons toujours face aux mêmes problèmes. Au-delà de la question de l'existence d'une volonté politique, nous n'avons pas, aujourd'hui, les moyens matériels d'agir. Or si nous continuons à subir ces difficultés, cela affectera divers secteurs et laissera bien des gens sur le carreau.

La question de la formation est elle aussi cruciale. En Île-de-France, de grands travaux sont en cours, pour le Grand Paris Express ou les Jeux Olympiques. La Société du Grand Paris regrette de ne pas disposer des tunneliers nécessaires : elle doit aller les chercher en Chine. Or le seul centre de l'AFPA, l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, qui procure des formations en travaux publics non loin de l'Île-de-France, à Romilly-sur-Seine, va être fermé ! Nous nous amputons nous-mêmes ! Nous devrions au moins nous mettre d'accord sur ces questions de fond.

M. Sébastien Guérémy . - Il est en effet important de préparer l'avenir ; tel est notre objectif partagé, par le biais du fonds d'innovation. La formation est aussi un sujet prioritaire pour le Gouvernement, comme en témoignent la réforme portée par Mme Pénicaud et celle du lycée professionnel, même si de telles entreprises mettent du temps à porter leurs fruits. L'enjeu, considérable, est d'attirer des talents vers l'industrie. Il y a 50 000 postes à pourvoir dans ce secteur. Si l'on y parvenait, il en faudrait alors encore 200 000 autres. Malheureusement, l'image de l'industrie auprès des jeunes n'est pas aussi valorisante que celle que nous en avons. Voilà pourquoi nous organisons la Semaine de l'industrie, du 18 au 24 mars prochains.

Mme Martine Berthet . - Je veux évoquer les entreprises qui ont développé de nouvelles technologies pour des productions moins carbonées. Comment comptez-vous les accompagner pour qu'elles passent à l'échelle supérieure ?

M. Sébastien Guérémy. - Cela dépend de la filière, même si nous soutenons partout la transition écologique et énergétique des entreprises. Dans le secteur automobile, nous avons mis en place un système de bonus-malus. Dans la filière plastique, nous mettons en place des réglementations pour améliorer la recyclabilité de nos plastiques tout en la rendant économiquement rentable, puisque nous ne pouvons pas soutenir cette démarche de manière pérenne par de l'argent public. Nous voulons qu'il soit plus avantageux de recycler les plastiques que de les mettre à la décharge. Il faut, pour ce faire, augmenter le taux de recyclage effectif, créer un marché pour les plastiques recyclés et faire prendre des engagements d'incorporation de matériaux recyclés.

Lors de la dernière réunion du Conseil national de l'industrie, nous avons mis en place deux groupes de travail : l'un cherchera à déterminer comment s'engager dans une trajectoire de baisse de la consommation de carbone ; l'autre, comment développer l'économie circulaire dans chacune de ces filières. Nous planifions de prendre, avec les industriels, d'ici à la fin du premier semestre, un engagement pour la croissance verte relatif à l'incorporation de matières recyclées dans les différentes filières.

M. Franck Menonville , président . - Pouvez-vous revenir sur les territoires d'industrie ? Où en est leur déploiement ? Quel est leur lien avec la stratégie que vous venez d'évoquer ? Comment financer leur accompagnement ?

M. Sébastien Guérémy . - Nous avons beaucoup parlé de la politique de filières, premier axe de notre politique industrielle, mais le Premier ministre, en annonçant les territoires d'industrie, a bien évoqué la dimension territoriale de nos efforts : cette approche transversale procède bien de la même logique.

Les contrats de filière incarnent, par définition, une contractualisation entre les acteurs économiques, l'État et les partenaires sociaux sur plusieurs projets ambitieux ; ils requièrent des engagements forts de la part de tous. Notre démarche est de limiter le nombre de projets, mais de nous y engager pleinement.

Telle est également notre approche quant aux territoires d'industrie, mais à une autre échelle. Ce n'est pas l'État qui, cette fois, va définir tous les projets compris dans les 136 territoires en question : nous serons simplement un facilitateur. Nous avons identifié une vingtaine de dispositifs pilotés par l'État qui pourraient être mis à disposition des territoires d'industrie. Dans chacun d'entre eux, un binôme se constitue, entre élus et industriels. C'est lui qui dresse le contrat de territoire et qui identifie les projets à porter collectivement. Cette démarche n'avance pas au même rythme dans chaque territoire, mais elle est généralement accueillie très favorablement. Une vingtaine de contrats pourraient être signés d'ici à la fin du mois, dans les territoires pilotes ; nous passerons dans la foulée à la phase de déploiement.

M. Franck Menonville , président . - Je vous remercie pour vos propos et des informations que vous nous avez données.

D. AUDITION DE M. FRANÇOIS MARZORATI, ANCIEN SOUS-PRÉFET DE THIONVILLE, ANCIEN CHARGÉ DE MISSION AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE DE 2012 À 2019, RESPONSABLE DU SUIVI DES ENGAGEMENTS PRIS PAR ARCELORMITTAL (27 MARS 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous entendons aujourd'hui M. François Marzorati, ancien sous-préfet de Thionville, qui a été chargé de mission auprès des Premiers ministres qui se sont succédé de 2012 à 2019. À ce titre, il a été responsable du suivi des engagements pris par ArcelorMittal à Florange. Cette audition nous permet de revenir sur son rapport, qui vient d'être rendu, de préparer notre déplacement en Lorraine prévu le 5 avril prochain, et d'évoquer l'abandon du projet Ulcos, Ultra Low Carbon Dioxyde Steelmaking ), qui visait à la captation souterraine de CO 2 .

Il y a 15 jours, nous nous sommes rendus dans les Hauts-de-France. Je remercie Valérie Létard pour l'organisation de cette journée, qui a permis des rencontres de qualité et des échanges d'une grande richesse, tant à Dunkerque qu'à Valenciennes. Ce déplacement a également été l'occasion d'une visite sur le site d'Ascoval ; le tribunal s'est prononcé très récemment sur le désengagement d'un premier repreneur.

M. François Marzorati, ancien chargé de mission auprès du Premier ministre de 2012 à 2019, responsable du suivi des engagements pris par ArcelorMittal . - Il est rarissime, lors d'une carrière dans la fonction préfectorale, d'être convié à s'exprimer devant une commission sénatoriale : je vous remercie vivement de cette invitation.

Lors d'une nomination dans le corps préfectoral en Lorraine, on ne peut que penser à la lignée des préfets dans laquelle on s'inscrit, et qui, depuis 1960, ont tous eu comme préoccupation essentielle l'identité minière et sidérurgique de la région.

J'ai été nommé en 2005 et j'ai alors repris trois dossiers principaux portés pendant de très nombreuses années par mes prédécesseurs : la fin de l'ennoyage des mines, le projet de reconversion du site de Belval, et la fin de la filière chaude liquide.

Quelques années après la fin de l'exploitation de la minette lorraine, il avait été décidé l'ennoyage des mines, par récupération des eaux dans le sous-sol. Or, cela a posé des problèmes d'effondrement de cités entières, qui ont entraîné l'expulsion d'une population très sensible au passé minier du territoire. Le représentant de l'État était chargé de l'accompagnement de ce processus, socialement très délicat.

Le projet de la friche industrielle de Belval est moins connu. Située en Pays Haut, territoire à cheval entre la Meurthe-et-Moselle et les Portes du Luxembourg, la friche devait faire l'objet d'un réaménagement rendu compliqué par l'absence d'intercommunalité interdépartementale. À l'occasion du conflit de Gandrange, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait annoncé la création d'une opération d'intérêt national sur ce site, visant à assurer le développement sur la partie française et à créer un établissement public. Malheureusement, peu de choses se sont passées depuis, notamment pour des raisons de fiscalité d'entreprise ; seuls les Luxembourgeois, avec les moyens qui sont les leurs, ont tiré parti de ce territoire, créant une université, et restaurant un haut-fourneau à Esch.

Troisième grand dossier : la fin de la filière chaude liquide, décidée en 2004 avec le plan Apollo, qui fixait l'objectif de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange pour 2010.

Trois dossiers, donc, qui permettaient d'entrer pleinement au coeur des préoccupations sidérurgiques de la région.

Peu de temps après, Mittal a fait une offre publique d'achat hostile sur le groupe Arcelor. Rapidement, a émergé le premier conflit, celui de Gandrange. Le contexte économique difficile de l'époque avait conduit Nicolas Sarkozy à fermer l'aciérie de Gandrange. Des engagements avaient été pris, notamment en termes de formation professionnelle, mais leur réalisation était conditionnée à l'évolution de la situation économique. S'en est suivi un conflit social, sur fond de chute du marché mondial de l'acier dans un contexte extrêmement tendu, avec des occupations de site parfois violentes. En tant que sous-préfet, j'ai géré ce dossier complexe, mobilisant le monde politique et les médias.

En 2012, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, demande la nationalisation des hauts-fourneaux, dont la fermeture provisoire avait eu lieu courant 2011. Le 30 novembre 2012, ArcelorMittal prend alors un engagement solennel vis-à-vis de l'État, dans des accords signés par les dirigeants européens de Mittal et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Il se trouve que ces accords sont intervenus le jour de ma retraite du corps préfectoral et que, en raison de mon ancienneté, de ma connaissance du terrain, et de mes rapports avec l'ensemble des élus syndicaux, l'administration et le groupe ArcelorMittal, le Premier ministre m'a confié une mission de suivi de ces accords. Ce type de mission dure généralement 6 mois, rarement plus d'un an ; celle-ci aura duré 6 ans, pour se terminer en décembre 2018. J'ai ainsi pu rencontrer plus de 2000 personnes et réaliser 150 déplacements en Lorraine, à Dunkerque et à Fos-sur-Mer, mais également sur d'autres petits sites qui comptent beaucoup pour le groupe ArcelorMittal et la sidérurgie française - Saint-Chély-d'Apcher en Lozère, Basse-Indre en Loire-Atlantique, Montoire dans l'Oise, Mouzon dans les Ardennes.

Aujourd'hui, ArcelorMittal a plus de 10 000 salariés en France, dont la moitié dans le Grand-Est. C'est d'ailleurs le deuxième plus gros employeur privé de la région. L'approche du dossier ArcelorMittal ne se fait jamais sans une petite appréhension : on a tant entendu parler de la dureté du conflit social qui a touché Florange qu'on a l'impression qu'il n'y a plus aucune activité. Or, plus de 2 200 employés y travaillent encore, et le plus grand centre mondial de recherche et développement d'ArcelorMittal, qui accueille près de 800 personnes, se trouve à Maizières-lès-Metz.

M. Franck Menonville , président . - Nous irons le visiter.

M. François Marzorati . - On peut également citer l'usine Tailored Blanks d'Uckange.

Cinq engagements ont été pris par ArcelorMittal. Le premier concerne les investissements. Un élément de l'accord signé à Gandrange m'a beaucoup aidé pour faire pression sur ArcelorMittal : l'adjectif « inconditionnnel ». Le groupe s'était engagé à investir 180 millions d'euros en cinq ans sur le site de manière inconditionnelle. Malgré un contexte économique difficile pour le marché de l'acier en 2013, le groupe a dû commencer ses investissements. Six ans plus tard, ce sont finalement près de 330 millions d'euros qui ont été ou seront investis à Florange - une partie de la somme a été budgétisée, mais n'a pas encore donné lieu à des réalisations concrètes -, auxquels il faut ajouter les investissements réalisés à Dunkerque, à Fos-sur-Mer, à Saint-Chély-d'Apcher... Je pense que, au total, ArcelorMittal a déboursé pas moins d'un milliard d'euros en France. Cette somme souligne bien l'importance de l'ancrage territorial du groupe, dont l'image avait été malmenée par les conflits sociaux et l'OPA hostile.

Les investissements ont permis la consolidation, la mise aux normes, la création de nouveaux trains à chaux.

Le deuxième engagement était la transformation de l'activité « emballage », importante à Florange, mais également dans des usines plus petites comme celle de Basse-Indre, spécialisée dans les boîtes de conserve alimentaire. Cette filière packaging , qui nécessite un acier de qualité, a dû être réorganisée suite à la fermeture des hauts-fourneaux. Les brames de Dunkerque sont transportés vers Florange, où ils sont transformés en coils , ces bobines qui sont ensuite dirigées vers Basse-Indre. Malgré les difficultés, l'activité packaging a donc pu être stabilisée.

Troisième engagement : le développement de la recherche sur le site de Maizières-lès-Metz, en partenariat avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui finance les recherches sur de nouveaux aciers plus solides. En effet, si la Lorraine continue d'être un centre majeur d'aciérie, c'est parce que la qualité de l'acier qui y est produit le rend très attractif pour les constructeurs automobiles, notamment allemands. Cette clientèle est essentielle pour maintenir l'activité en Lorraine. L'usine Tailored Blanks d'Uckange, que j'ai déjà évoquée, réalise en particulier les soudures de châssis.

Le projet Ulcos, qui consistait à capter du CO 2 puis à l'enfouir dans le sous-sol de la Meuse, n'a pas vu le jour. En effet, il n'avait fait l'objet d'aucune enquête et d'aucune autorisation. De plus, même si l'enfouissement de CO 2 n'aurait pas eu les mêmes impacts que celui des déchets nucléaires, l'acceptabilité sociale du projet aurait été difficile à atteindre. Cet engagement sur Ulcos était toutefois porteur d'enjeux importants, c'est pourquoi ArcelorMittal a lancé en remplacement le projet de recherche fondamentale LIS, le « Low Impact Steelmaking », qui s'intéresse à la captation du CO 2 et aux possibilités de le réinjecter dans les processus de combustion. Un préfigurateur de ce projet a été construit au pied des hauts-fourneaux de Dunkerque, et différents travaux ont d'ores et déjà été menés, en lien avec l'université de Lorraine et des partenaires privés, grâce au financement de l'Ademe.

L'aspect social des engagements d'ArcelorMittal n'est pas à négliger. J'ai pu lire parfois dans la presse que la fermeture de Florange avait entraîné 2 000 licenciements : c'est faux. Sur les 629 emplois supprimés lors de l'arrêt des hauts-fourneaux, 256 ont fait l'objet de départs à la retraite avec des aménagements, 40 ont fait l'objet d'un départ volontaire, et 333 nouvelles affectations sur le site ont été décidées : aucun salarié n'a donc fait l'objet d'une mesure de licenciement. Ces reclassements et mesures sociales d'accompagnement sont une sorte de constante dans le milieu sidérurgique. La fermeture du site de Florange a également eu des impacts sur les sous-traitants : la DIRECCTE, la chambre de commerce et d'industrie et le conseil régional de Lorraine avaient mis en place des dispositifs d'aide à ces entreprises. Sur les 200 entreprises sous-traitantes recensées, certaines, spécialisées dans le maintien des hauts-fourneaux, ont déposé le bilan ; d'autres se sont redéployées sur de nouveaux marchés. La fermeture des hauts-fourneaux a donc eu un impact social certain, mais on ne déplore aucun licenciement. La filiale qui, au sein de la filière logistique, acheminait le charbon aux hauts-fourneaux, transportait les déchets et assurait la distribution des produits finis, a connu une baisse d'activité difficile à pallier. Une partie des employés a pu être reclassée, les autres continuent de travailler dans un contexte social tendu.

La poursuite des investissements dans les deux sites côtiers de Dunkerque, qui compte trois hauts-fourneaux, et Fos-sur-Mer, qui en compte deux, vise à renforcer l'ancrage territorial du groupe.

L'an dernier, après 5 ans d'investissements, le groupe devait décider, en fonction du marché et des nouvelles technologies, si les hauts-fourneaux de Florange seraient rallumés. Des études détaillées ont montré qu'une telle solution n'était pas opportune. En effet, il faudrait réobtenir les autorisations administratives liées aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - cela implique notamment une enquête publique, et donc 18 à 24 mois de procédure, dans un contexte environnemental compliqué - et réaliser des investissements considérables. Même si, dans la situation actuelle, la France est obligée d'importer de l'acier, le rallumage des hauts-fourneaux serait trop onéreux - les chiffres fournis par ArcelorMittal ont été vérifiés par le ministère de l'Industrie. D'ailleurs, une reprise de la production à Florange impliquerait une réorganisation complète du circuit logistique et une baisse de production qui fragiliserait le site de Dunkerque, mais également la nécessité de retrouver du personnel qualifié. Or, nous savons tous que les métiers sidérurgiques, physiquement difficiles, ne suscitent pas énormément de vocations... Sur les 330 reclassés de Florange, environ 150 sont encore en activité, mais pourraient prendre leur retraite au cours des 5 prochaines années ; la capacité de transmission des savoirs est donc faible.

J'ai parfois entendu que j'étais devenu le porte-parole d'ArcelorMittal ! Le constat que je fais est simplement pragmatique : sur certains points, il a fallu exercer des pressions pour qu'ArcelorMittal respecte ses engagements ; aujourd'hui, force est de constater que le bilan est positif.

J'ai réuni à une trentaine de reprises un comité de suivi, dans lequel siégeaient les parlementaires locaux, les élus des intercommunalités concernées, l'État et les organisations syndicales qui l'ont souhaité. Il a permis, tout au long des conflits, de mener un réel dialogue social dans la plus grande transparence. Pour moi, il était en effet très important d'obtenir l'appui des organisations syndicales dans le suivi des engagements, tout autant que d'écouter leurs besoins. Lors des discussions, la CGT a d'ailleurs demandé l'ouverture d'une aciérie électrique, afin d'obtenir rapidement la réduction des nuisances des hauts-fourneaux tout en assurant la production d'un acier de qualité. À Gandrange, elle n'avait pas fonctionné longtemps. Je me suis déplacé au Creusot, où j'ai pu constater qu'elle créait certaines nuisances. De plus, pour fonctionner, ces aciéries nécessitent de grandes quantités de ferraille, qu'il faut acheminer et qui proviennent pour une large part de marchés privés. À ce titre, le « parc aux ferrailles » du Creusot est très impressionnant - il en existe un également à Woippy - : la ferraille y est choisie en fonction du produit fini attendu. ArcelorMittal a réalisé des études et conclu que l'aciérie électrique n'était pas une solution adaptée au site de Florange.

M. Franck Menonville , président . - Lors de notre déplacement à Dunkerque, nous avons pu apprécier la complémentarité des deux sites : la montée en performance de Florange dépend largement de la fourniture en acier par Dunkerque. L'arrivée de combustibles et minerais par la mer et leur acheminement sont à intégrer dans le modèle sidérurgique français.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Dans une logique de filière, la proximité d'un port pour acheminer le minerai et la production d'acier vers les sites de transformation semble une bonne stratégie. Peut-être, monsieur Marzorati, pourrez-vous développer la complémentarité entre les hauts-fourneaux et les aciéries électro-intensives, comme il en existe dans certaines régions ?

Au niveau européen, on est encouragé à s'engager dans la production électro-intensive pour s'éloigner des hauts-fourneaux - même si à l'heure actuelle nous en avons toujours besoin - et aller vers plus de recyclage. On nous a dit qu'environ 4 millions de tonnes de ferraille française étaient aujourd'hui recyclés à l'étranger ! Pour vous, certains sites sont trop importants pour fonctionner sur ce modèle : doit-on distinguer les sites par leur nature ? Pouvez-vous approfondir cette question ?

M. François Marzorati . - Aujourd'hui, on fait de l'acier avec du fer et du charbon. Une cockerie est toujours en activité à Florange, ce qui n'était pas si évident dès lors que les hauts-fourneaux étaient arrêtés. Mais son site est admirablement placé, puisqu'il est desservi par une voie fluviale, une voie ferroviaire, et une voie autoroutière. Cela en fait une véritable plateforme multimodale, très utile à l'acheminement des matériaux et des produits commercialisables. C'est donc un équipement maintenu pour des raisons logistiques, conforté par l'analyse d'ArcelorMittal, mais qui pose beaucoup de difficultés sur le plan environnemental - pollution de la Fensch ou affectant le personnel, notamment.

À Florange, certaines organisations syndicales avaient évoqué une reconversion en aciérie électrique, alors même qu'à Gondrange, cette reconversion avait échoué. Je me suis donc rendu au Creusot, où sont créées de grosses pièces pour le nucléaire. J'ai constaté que ce mode de production créait aussi des nuisances sonores pour le voisinage et nécessitait un tri sélectif de ferrailles, lesquelles sont sélectionnées en fonction de la qualité de l'acier que l'on veut produire. Pour écarter ce projet pour Florange, la direction d'ArcelorMittal a mis en avant le manque de ferraille de qualité au vu des produits qui doivent être réalisés. En outre, le site ne s'y prête pas et nécessiterait de démonter les hauts-fourneaux actuels.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je vous remercie, monsieur Marzorati, pour l'action qui a été la vôtre durant toutes ces années.

Selon vous, quelles leçons l'État a-t-il tiré de la crise de Florange ? Est-il suffisamment armé et équipé pour traiter de lourds dossiers industriels ? Votre cas, votre désignation pour suivre l'accord entre l'État et un groupe industriel semble singulière : existe-t-il actuellement d'autres cas semblables ? Vous semblerait-il opportun que des personnels soient dédiés à de telles situations ? Pensez-vous que les directions générales des ministères sont suffisamment dotées pour anticiper ce type de risques, appréhender les mutations du secteur et accompagner les projets de restructuration dans l'industrie ? La question environnementale, avec les quotas carbone, et la nécessité de produire un acier propre sont aujourd'hui au coeur des préoccupations ; elles doivent accompagner l'évolution de notre filière sidérurgique.

En Lorraine, à Maizières-Lès-Metz, nous visiterons dans ce but le premier centre mondial de recherche du groupe ArcelorMittal, qui compte 800 des 1300 personnes chargées de la recherche de ce groupe dans le monde. Cette entreprise croit donc à l'avenir de la filière. Savez-vous combien de crédit d'impôt recherche (CIR) ce groupe reçoit chaque année ? Loin de moi l'idée de supprimer les financements, mais c'est au final une recherche privée financée par des fonds publics, nationaux comme européens... Cela pose la question de la sécurisation du retour sur investissement : où les découvertes seront-elles appliquées ? Comment s'assurer que la France et l'Union européenne en bénéficieront ?

Enfin, que représente concrètement l'abandon d'Ulcos au profit du projet LIS ? À quel terme voyez-vous les choses s'améliorer ? Comment aider notre sidérurgie à se décarboner, dans un contexte mondial de surproduction ?

M. Jean-Pierre Vial . - Je tiens tout d'abord à vous féliciter, monsieur le Préfet, pour votre longévité administrative ! Il y a tout juste une semaine, deux fonctionnaires d'un ministère ont présenté un rapport qui, de toute évidence, devrait faire l'objet d'une mission de suivi ; les deux ont décliné la proposition du ministre de mener cette mission, en raison d'un proche départ à la retraite !

M. François Marzorati . - Je suis certes à la retraite, mais toujours partant lorsqu'il s'agit d'être au service de la République ! Cela fait, à mon sens, partie de l'engagement civique des fonctionnaires.

M. Jean-Pierre Vial . - Dans le domaine sidérurgique, les groupes ne sont ni nationaux, ni européens : ils sont mondiaux. Dans l'écosystème économique, il y a à la fois l'industrie et la recherche. Un groupe bien connu qui a quitté depuis longtemps la France et l'Europe, y arrêtant tous ses sites de production, a maintenu son centre de recherche à Grenoble, tirant avantage d'un CIR extrêmement profitable, sans pour autant que les applications de ces recherches profitent à la France. Il n'y a plus d'équilibre.

M. François Marzorati . - Si j'avais pu être accompagné d'experts, cela aurait été utile. La mission était ainsi construite : le Premier ministre m'apportait les éléments dont j'avais besoin, mais je n'avais pas beaucoup d'autres moyens. Les différents rapports d'experts et le rapport de l'Assemblée nationale avaient exploré plusieurs pistes, ils n'avaient d'ailleurs par fermé la porte à la possibilité d'une nationalisation. Dans la lutte contre le dumping chinois, qui était une véritable menace, le député européen Édouard Martin a mené une campagne d'information essentielle sur la filière sidérurgique.

Dans le cadre des réflexions sur l'organisation globale, des questions devront être posées sur l'avenir de certains sites, comme celui de Saint-Chély-d'Apcher, qui connaît des difficultés de desserte ferroviaire. ArcelorMittal est la plus importante entreprise sidérurgique au niveau mondial ; en tant qu'entreprise, elle cherche la rentabilité de la production, elle ne peut se permettre d'être philanthrope. Jusqu'ici, en respectant ses engagements, elle a montré sa volonté d'ancrage dans notre pays. Mais anticiper les choix futurs est compliqué.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Avez-vous senti une volonté d'inscrire cet ancrage dans la durée ?

M. François Marzorati . - Ils ont beaucoup investi en France. S'agissant de l'économie circulaire, c'est, aux termes d'un récent communiqué de presse, déjà « une réalité dans [leurs] usines ». Un sous-produit d'ArcelorMittal - le laitier- devient du ciment vert, les déchets de bois chauffent les bureaux, le CO 2 est traité par microalgues pour produire du biocarburant... Cela est vrai pour les différents sites, et ce sont d'ailleurs les syndicats qui, lors de mes déplacements, m'ont sensibilisé à ces démarches. Il y a donc des avancées considérables en termes d'économie circulaire.

Par ailleurs, le « retour sur investissement » en matière de recherche n'est pas garanti...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Mes interlocuteurs à Bruxelles étaient frileux sur le sujet. Ils s'interrogeaient à la fois sur la nécessité et le risque de financer ces recherches : l'envie de les accompagner est bien présente, mais l'enjeu financier est considérable.

M. François Marzorati . - Il faut absolument qu'ils investissent.

Par exemple, l'usine de Basse-Indre, dans la Loire, fait face à des problèmes de rejet de chrome. Or aujourd'hui, dès qu'un site crée une pollution au niveau local, c'est toute la France qui est informée. Les directions régionales de l'eau, de l'aménagement et du logement, les DREAL, sont très performantes, et sensibilisent les préfets aux procédures à suivre dans de tels cas. Ceux-ci peuvent alors négocier des délais, des investissements, pour résoudre les problèmes. Souvent, les directeurs des sites concernés sont de bonne volonté ; on pourrait souhaiter qu'ils aient davantage de moyens.

La recherche fondamentale est essentielle. Peut-être verra-t-on un jour des hauts-fourneaux fonctionner sans charbon ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous avons entendu l'association World Steel, ils nous ont dit qu'on s'orientait vers une spécialisation géographique des sites à l'échelle mondiale : des hauts-fourneaux dans certaines parties du monde - les pays en développement, comme l'Inde -, plutôt du recyclage dans d'autres. La Chine, elle, continuera à construire des hauts-fourneaux émettant moins de CO 2 et, parallèlement, à transformer ses centrales électriques fonctionnant au charbon pour aller vers beaucoup plus d'électro-intensif. Un élément du discours de World Steel ne m'a pas du tout rassurée : en Chine, les hauts-fourneaux européens sont montrés en exemple... de la taille qu'il ne faut plus construire ! Nos vieux hauts-fourneaux, avec de petites cuves, ne seraient plus adaptés. En revanche, le recyclage de l'acier se ferait plutôt en Europe et aux États-Unis.

M. François Marzorati . - Ce sont des sujets que je n'ai malheureusement pas pu aborder. Grâce à ma mission, j'ai eu la chance de pouvoir me rendre sur l'ensemble des sites français d'ArcelorMittal, sans rester cantonné en Lorraine. Ce n'était pas forcément évident, et ma grande expérience préfectorale m'a permis de ne pas heurter les représentants de l'État au niveau local, qui disposent d'une compétence juridique pleine et entière sur les sites de leur territoire. Tous ont parfaitement joué le jeu de la transparence et respecté ma mission, et je les en remercie.

M. Franck Menonville , président . - Je vous remercie, monsieur Marzorati.

E. AUDITION DE M. LAURENT MICHEL, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉNERGIE ET DU CLIMAT (4 AVRIL 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous accueillons M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire. Son audition, dans le cadre de notre mission d'information sur l'avenir de la sidérurgie, fait suite à celle de M. Sébastien Guérémy, conseiller industrie et innovation au cabinet du ministre Bruno Le Maire. Nous évoquerons aujourd'hui la sidérurgie sous l'angle énergétique, notamment la décarbonisation de la filière. Lors de nos déplacements à Valenciennes et à Dunkerque, nous avons beaucoup abordé les enjeux des quotas de CO 2 et de la compétitivité à l'échelon national comme européen et international, tant de la filière traditionnelle - minerai, charbon - que de la filière électro-intensive.

Nous nous rendrons demain en Lorraine sur le site d'ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz pour évoquer la recherche et l'innovation et les projets de stockage de CO 2 . L'entreprise mène aussi des recherches sur son site de Dunkerque.

M. Laurent Michel, ingénieur général des mines, est passé par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) de Lorraine.

M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat . - Et du Nord-Pas-de-Calais !

M. Franck Menonville , président . - Vous avez pu appréhender les enjeux environnementaux et économiques sur le terrain.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Merci d'avoir répondu à notre invitation pour nous éclairer de votre connaissance fine de ce sujet. Je voudrais resituer la liste de nos questions. Nous vous demanderons tout d'abord de nous présenter le bilan carbone de la filière sidérurgique en France, ou ce que vous en connaissez, les niveaux de CO 2 émis, leur tendance depuis quelques années et les résultats atteints par la filière par rapport aux objectifs fixés aux niveaux national et européen. En clair, comment l'industrie sidérurgique est-elle intégrée dans la stratégie climatique française ?

Votre audition sera aussi l'occasion de faire le point sur la place du secteur sidérurgique dans le principal outil de la politique énergétique et climatique européenne, le système d'échange de quotas d'émission (SEQE). Pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement ? On déduit, dans nos différents échanges, qu'il s'agit d'un point central de l'organisation de cette filière. Comment est-ce utilisé par les industriels ? Nous avons compris que ce système induisait des choix de comportements. Pouvez-vous nous présenter ce marché et les évolutions prévues pour la filière sidérurgique de la quatrième phase, qui s'ouvre en 2020 ? Le traitement réservé à cette filière est-il préférentiel par rapport à d'autres secteurs industriels ? En quoi consiste le mécanisme de compensation carbone mis en place en France ?

Nous nous interrogeons également sur la conciliation de l'augmentation à venir du prix de la tonne de carbone européen et de la compétitivité des entreprises sidérurgiques françaises et européennes. Comment accompagnez-vous la décarbonation du secteur ? Quelles sont les grandes opportunités d'innovation pour la filière sidérurgique et quels types de financements le ministère ou ses opérateurs, voire le programme d'investissement d'avenir (PIA), apportent-ils au soutien à la recherche et au développement dans cette filière ? L'enjeu de l'efficacité énergétique de la filière nécessite de s'interroger sur la place du recyclage.

Ensuite, le coût de l'énergie et le traitement fiscal des industries électro-intensives pourraient être abordés. Comment le prix de l'énergie, en particulier de l'électricité, a-t-il évolué ces cinq dernières années en France et quelles sont les perspectives ? La visibilité dont disposent les entreprises du secteur en matière d'évolution des coûts de l'approvisionnement en électricité vous paraît-elle suffisante ? Cette question est revenue systématiquement lors de nos visites. Plusieurs réductions ou exemptions fiscales existent pour les industries électro-intensives, comme l'exonération partielle de contribution au service public de l'électricité (CSPE). Quel est le coût pour l'État de ces différents mécanismes de soutien ?

Enfin, nous pourrons nous projeter vers l'avenir. Compte tenu des mutations en cours de la transition écologique - nous pensons au déploiement des énergies renouvelables, de la voiture électrique -, les besoins en termes d'acier vous paraissent-ils amenés à évoluer ?

Ces divers points nous sont apparus lors de notre première série de visites et d'auditions.

M. Laurent Michel . - Ces sujets sont importants en général et pour l'industrie sidérurgique en particulier. Je tenterai de répondre à l'ensemble de vos questions mais vous enverrai une contribution écrite complémentaire.

Je précise d'emblée que les émissions de CO 2 des grosses industries s'inscrivent dans un cadre très européen.

Les processus sidérurgiques sont par nature consommateurs d'énergie, dans certains cas carbonée, fossile. Les émissions sont soit dues à des process , tels que les réductions de minerai en raison de l'usage de charbon ou de coke de pétrole, soit dues à la production de chaleur à partir de chaudières à gaz ou au charbon.

La sidérurgie française a émis environ 19 millions de tonnes de CO 2 en 2017, soit 4 % des émissions françaises totales tous secteurs confondus. Ce chiffre est stable depuis 2011. Il avait connu une forte décroissance avant, en raison, en particulier, de la fermeture des hauts fourneaux de Florange. Cette stabilité traduit une légère amélioration des procédés car la production est plutôt en hausse.

L'industrie sidérurgique française est assujettie au SEQE, qui existe depuis le début des années 2000 et consiste à considérer qu'au-dessus d'un certain volume de production, il faut compenser les émissions de CO 2 engendrées. Il y a toujours eu une allocation gratuite de quotas. Au tout début, on calculait les quotas en fonction de la production historique. Le système s'est affiné pour mieux refléter la production. Au fil des périodes successives, qui durent entre cinq et dix ans, un objectif de diminution a été inscrit, pour chaque nouveau cycle. Le système a été bâti sur l'idée qu'il fallait encourager la baisse des émissions en récompensant ceux qui émettaient moins de CO 2 que leur allocation. Ainsi, ils ont été autorisés à revendre leurs quotas non utilisés à ceux qui ne parvenaient pas à réduire leurs émissions. Le but était de valoriser les efforts.

Les allocations de quotas gratuits ont été supprimées pour certains secteurs dont celui de la production d'électricité. Les industriels ont alors dû acheter des quotas aux enchères. Il existe en effet deux gros paquets de quotas : ceux qui sont gratuits et ceux qui sont vendus aux enchères. L'industriel qui n'a pas assez de quotas gratuits peut en acheter sur le marché des enchères ou de gré à gré.

Cette architecture a évolué dans le temps - une quatrième période débutera en 2021 - afin de répondre à la faiblesse du système précédent qui avait généré des quotas excédentaires, notamment en raison du manque de rapidité du calage sur l'évolution de la production. Lors de la troisième période, c'est-à-dire actuellement, l'allocation de quotas gratuits à des entreprises qui ne produisent plus a été corrigée.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ces quotas gratuits sont-ils pluriannuels ?

M. Laurent Michel . - En effet, mais chaque année les industriels doivent rendre des quotas. Ils sont calculés année par année, dans un système pluriannuel.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Donc chaque année, on peut changer le nombre de quotas gratuits. Des interlocuteurs nous ont dit que certains groupes conservaient, dans leurs quotas globaux, les quotas d'entreprises fermées ou vendues entretemps.

M. Laurent Michel . - Au cours de la deuxième période, on a constaté certains dysfonctionnements. On a conservait un mécanisme d'ajustement ex post qui pâtissait d'un décalage d'environ deux ans. La réduction de production, voire la fermeture de certains sites aux alentours de la grande crise de la sidérurgie de 2008, n'a pas entraîné d'adaptation immédiate de la délivrance de quotas gratuits. La stabilité offre de la lisibilité, mais elle ne colle pas à la réalité. Dans certains sous-secteurs, la production a beaucoup diminué et l'allocation de quotas n'a pas suivi. Au cours de la période actuelle, ce cas de figure n'existe pratiquement plus.

Il est prévu qu'au cours de la quatrième période - c'est déjà en partie le cas au cours de la troisième -, que la référence de calcul des émissions, secteur par secteur, baisse chaque année en fonction d'une analyse scientifique et technique des progrès. Si l'on estime que tel secteur progressera de 1,5 point, les entreprises qui recevaient 100 ne recevront plus que 98,5.

L'évolution du système des quotas gratuits a conduit à favoriser les entreprises soumises à la concurrence extra-européenne. Ainsi, le secteur de l'électricité, qui ne peut pas se délocaliser, n'en reçoit pas.

Dans le système actuel, la période est pluriannuelle. Celui qui détient 120 de quotas en 2019 mais n'utilise que 100 peut garder 20 pour 2020. À la fin de la première période, les quotas d'avance ont été annulés car il y en avait trop, mais entre la troisième période et la quatrième, le report sera possible afin de ne pas pénaliser ceux qui ont pris de l'avance.

En résumé, les quotas gratuits sont distribués en fonction de l'exposition à la concurrence extra-européenne et du benchmark , ou référentiel, du secteur.

Pour mieux coller aux évolutions de l'activité, une réserve de stabilité sera créée pour la prochaine période. Si l'activité augmente beaucoup, des quotas pourront être sortis de la réserve afin de stabiliser les prix.

L'industrie européenne devant émettre moins, le volume de quotas, tant gratuits que mis aux enchères, diminuera petit à petit.

M. Dany Wattebled . - Les autres pays, par exemple la Chine, sont-ils soumis à un système de quotas ?

M. Laurent Michel . - Les quotas existent en Amérique du Nord, avec des marchés entre États américains et provinces canadiennes. La Chine a créé sept marchés régionaux expérimentaux. Le but est d'amener tout le monde jusqu'aux objectifs de l'accord de Paris, en construisant non un système mondial unique, ce qui prendrait 150 ans, mais des marchés régionaux.

Au-delà de l'allocation de quotas gratuits aux entreprises qui subissent la concurrence extra-européenne, la France défend soit une taxe carbone aux frontières, soit des mécanismes de quotas. Selon le principe d'inclusion carbone, celui qui importe du ciment ou de l'acier d'une zone géographique où un système de quotas équivalent au nôtre s'applique, n'aura pas à se soumettre à de nouveaux quotas ; il sera en revanche contraint si ce n'est pas le cas. Cette position ne fait pas encore consensus. Le système ne pourrait s'appliquer que pour des productions comparables. Pour le ciment ou l'acier, c'est possible puisque le référentiel est commun. L'inclusion carbone pourrait remplacer les quotas gratuits.

M. Franck Menonville , président . - On nous a rapporté des différences d'appréciation de la mise en place des quotas selon les pays européens.

M. Laurent Michel . - La première vertu du système est d'être européen. Au tout début, il était basé sur les émissions historiques. Maintenant, le référentiel est européen, sans interprétation possible. Il n'empêche que, comme pour toute réglementation, il existe des cas particuliers et des divergences d'interprétation. Nous remontons les déclarations à la Commission européenne, qui assure un rôle de supervision et d'animation des échanges. Nous veillons également à être vigilants. Un industriel m'a dit qu'il était mieux traité outre-Rhin. La situation est provisoire car l'année prochaine, l'Allemagne s'alignera sur notre interprétation.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La compensation est sans doute différente entre les pays.

M. Laurent Michel . - La sidérurgie a obtenu une réduction bien plus faible que d'autres secteurs de son niveau de référence, de l'ordre de - 0,2 % par an, alors qu'elle peut atteindre - 2,1 % ailleurs. C'est un traitement plutôt favorable. En revanche, les quotas gratuits pour les émissions de torchage du gaz, qui n'ont pas de justification technique, disparaîtront à partir de 2026.

La compensation des coûts indirects du CO 2 se répercute de façon croissante dans le prix de l'électricité. Les textes européens autorisent les États à apporter une compensation aux grandes industries qui achètent de l'électricité. Dans un térawattheure d'électricité, le coût du CO 2 est d'environ 4 millions d'euros, que l'État peut décider de compenser à une certaine hauteur, à sa discrétion. En France, cela a été mis en oeuvre au cours du mandat présidentiel précédent, dans la loi de finances pour 2016. En 2017, 140 millions d'euros de compensation ont été versés aux industriels français concernés. Le taux de compensation peut varier, mais au sein d'un cadre déterminé. En France, nous essayons de refléter le prix ouest-européen du CO 2 dans l'électricité.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le montant de la compensation est-il propre à chaque entreprise ?

M. Laurent Michel . - Oui en effet, sur la base d'une méthode commune.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Est-il possible de nous fournir ce montant pour chaque entreprise, dans le secteur de la sidérurgie ?

M. Laurent Michel . - Je pourrai vous donner ce prix pour le secteur mais je ne suis pas sûr de pouvoir vous le donner pour chaque entreprise. Ce montant a été de 140 millions d'euros pour l'ensemble de l'industrie française en 2017. La compensation est indépendante des quotas de CO 2 . Elle est basée sur la consommation d'électricité, qui est par exemple très forte chez les producteurs d'aluminium.

M. Franck Menonville , président . - Cette compensation est-elle calée jusqu'en 2021 ?

M. Laurent Michel . - Cette disposition est inscrite chaque année en loi de finances. Le prix du CO 2 dans l'électricité est géré par le ministère de l'économie et des finances, mais de mémoire, la même méthode est utilisée depuis le début de cette mesure.

M. Franck Menonville , président . - Ce mode de calcul est dissocié des périodes de quotas d'émission, dont la prochaine commence en 2021.

M. Laurent Michel . - En effet. Toutefois, si le gouvernement français reste attaché à ce principe, à partir de 2021, le cadre européen changera un peu.

Mme Angèle Préville . - Sous quelle forme cette compensation est-elle versée aux entreprises ?

M. Laurent Michel . - C'est une subvention de l'État versée simplement - ce n'est pas un crédit d'impôt - ordonnancée par la direction générale des entreprises.

La rapporteure m'a interrogé sur l'innovation et le financement de la recherche et du développement : le volume de quotas décroîtra en fonction des évolutions incrémentales qui amèneront des progrès technologiques. L'enjeu de la sidérurgie est d'innover drastiquement dans ses procédés, y compris non énergétiques. Certains projets portent sur le recyclage des gaz de haut fourneau, l'électrification du procédé d'agglomération ou l'utilisation d'hydrogène dans les hauts fourneaux. Ce sont des innovations de rupture. Des programmes de soutien à l'innovation existent en France et en Europe. Le PIA, en particulier dans son action « Démonstrateurs » opérée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), finance notamment le projet Ulcos ( Ultra Low Carbon Dioxyde Steelmaking ) en Lorraine ainsi que des projets sur le recyclage de gaz de haut fourneau et les procédés de recirculation des fumées en agglomération de minerai de fer à Fos-sur-Mer. Le programme équivalent à l'échelon européen est le programme H2020, jusqu'en 2020, qui sera ensuite remplacé par le programme Horizon Europe. Il existe également un fonds pour l'innovation alimenté par une partie des recettes de la vente de quotas de CO 2 . Les entreprises de la sidérurgie ont présenté beaucoup de projets - c'est le cas d'ArcelorMittal. Il s'agit non seulement de compenser un coût à l'instant T mais également d'inventer des procédés moins polluants.

J'en viens au coût de l'énergie. Le prix de l'électricité est la somme du prix de production de l'électron, des coûts globaux de gestion des réseaux et des taxes. Il est globalement européen, ou correspond au moins à la zone ouest-européenne, et a tendance à s'équilibrer, même s'il connaît des variations selon les pays. L'élément le plus volatil est le prix de production, qui a connu une forte baisse jusqu'en 2016 puis une hausse. En tarif de base, on est passé de 43 euros le mégawattheure en 2013 à 36 euros en 2016 et à environ 50 euros aujourd'hui.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - On en constate l'impact sur une économie extrêmement consommatrice d'électricité. La visibilité de l'approvisionnement revêt une importance majeure. Or, la filière sidérurgique fonctionne avec des contrats d'approvisionnement d'une durée très limitée. Qu'en pensez-vous et quelles sont les perspectives ?

M. Laurent Michel . - Il existe une particularité française : l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). EDF est obligée de vendre à 42 euros du mégawattheure une partie de sa production à des fournisseurs alternatifs. C'est un amortisseur. Dans d'autres pays, les tarifs baissent et augmentent davantage qu'en France. Il existe aussi le contrat Exeltium, selon lequel les clients bénéficient d'un prix garanti sur plusieurs années en échange d'un important règlement financier ex ante . Évidemment, un prix garanti pendant cinquante ans sera plus élevé qu'un prix spot, qu'il s'agisse de haricots ou de pétrole. L'Arenh dure jusqu'en 2025. Le Président de la République a demandé une réflexion sur l'après, afin que le consommateur français, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un particulier, bénéficie d'une certaine visibilité et stabilité.

Nous avons toujours plaidé pour que les gros consommateurs industriels puissent signer des contrats de long terme avec des fournisseurs. La Commission européenne n'y est pas très favorable, craignant que le France n'avantage son plus producteur historique. Le nouveau cadre européen des marchés de l'électricité, en cours de finalisation, a inclus des phrases importantes, dans ses considérants, sur l'intérêt des contrats de long terme pour l'industrie. Le regard politique symbolique a un peu changé. Néanmoins, tous ces contrats devront être soumis à l'appréciation des autorités chargées de la concurrence.

Dans des pays plus en avance que nous, tels que les États-Unis, ce système existe pour le renouvelable via les power purchase agreements (PPA) selon lesquels un industriel achète moins cher de l'énergie, et à l'avance, à un fournisseur qui a un projet de production. On verra des contrats de ce type se nouer sur l'éolien en mer, qui a de gros besoins d'investissement. Les prix bas intéressent les investisseurs. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la difficulté : rien ne garantit, à la signature, que les entreprises soient encore là dans quinze ans.

Mme Angèle Préville . - Pouvez-vous en dire davantage sur le financement partiel par les quotas du fonds d'innovation ?

M. Laurent Michel . - Le revenu des enchères est réparti entre chaque État, l'Union européenne et les pays d'Europe de l'Est afin qu'ils modernisent leur système énergétique. Je vous donnerai les ratios.

L'exonération de CSPE représente 1,4 milliard d'euros, pour l'ensemble des gros consommateurs. Je vous donnerai par écrit le montant pour la sidérurgie.

Les grosses entreprises jouissent d'une réduction du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) en échange de plans d'efficacité énergétique. Ce mécanisme est vertueux puisque conditionné à des économies d'énergie.

Il existe aussi les mécanismes d'interruptibilité et d'effacement, qui donnent aux gros industriels une ressource garantie en échange d'un service lors de pics de demande.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pourrez-vous répondre ultérieurement aux questions complémentaires que nous pourrions vous envoyer ?

M. Laurent Michel . - Bien entendu et je vous enverrai une contribution écrite.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Merci beaucoup. C'est un sujet complexe sur lequel nous avons besoin d'être éclairés avec précision.

M. Franck Menonville , président . - Merci. Nous devons arrêter cette audition pour permettre aux membres de la mission d'assister à la séance de questions d'actualité au Gouvernement.

F. AUDITION DE M. PIERRE CHABROL, CHEF DU BUREAU MULTICOM 1 (POLITIQUE COMMERCIALE, STRATÉGIE ET COORDINATION) DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DU TRÉSOR, DE MME VIRGINIE REISS ET DE MM. ALEXIS SAHAGUIAN ET FRANÇOIS BAZANTAY, ADJOINTS AU CHEF DU BUREAU (11 AVRIL 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous avons le plaisir d'accueillir les membres du bureau Multicom 1 de la Direction générale du Trésor : M. Pierre Chabrol, chef du bureau, M. François Bazantay et Mme Virginie Reiss, ses adjoints. Ce bureau est chargé, au sein du ministère de l'Économie et des finances, de la coordination de la position française en matière commerciale, auprès de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, du G7 et, avant tout, de l'Union européenne.

Pour nos producteurs d'acier, les enjeux internationaux sont cruciaux, dans un contexte très concurrentiel et déstabilisé par les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. Comment l'Union européenne traite-t-elle ce dossier pour garantir la compétitivité de nos entreprises, notamment via des mesures anti- dumping ? À la suite de la fermeture du marché américain, ce secteur doit faire face au risque d'afflux d'aciers chinois sur le marché européen.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Madame, messieurs, à mon tour, je vous remercie de venir nous apporter votre expertise.

Lors de nos précédentes auditions, on nous a alertés sur la vulnérabilité de la filière française dans le contexte international actuel.

Premièrement, cette vulnérabilité est liée aux surcapacités de l'acier, en particulier chinoises, et à l'émergence de nouveaux producteurs très compétitifs. Deuxièmement, elle est due aux subventions accordées par certains pays à leur industrie sidérurgique, alors que les règles européennes de la concurrence ne le permettent pas dans nos pays. Troisièmement, en instaurant des droits de douane sur les importations d'acier européen en juin 2018, les États-Unis ont accru la vulnérabilité de nos producteurs : en effet, cette décision pourrait réduire les débouchés de notre industrie. Quatrièmement et enfin, il faut tenir compte d'une vulnérabilité particulière : celle qui découle des exigences très différentes en matière de réglementation environnementale et énergétique. La production européenne fait l'objet d'un coût carbone élevé auquel les importations échappent à ce jour.

La réaction de l'Union européenne à l'instauration de droits de douane américains sur l'acier européen a-t-elle été suffisante pour protéger nos entreprises ? Où en sont les négociations pour lever ces barrières et ne pas pénaliser notre industrie ? Observe-t-on, selon vous, des mécanismes de contournement des mesures anti- dumping et anti-subventions, notamment par la Chine ? Comment s'assurer que ces protections sont pleinement efficaces ? Comment les filières européenne et française peuvent-elles rester compétitives dans les échanges mondiaux, et quelle politique commerciale défendez-vous pour les soutenir ? Cela doit-il nécessairement passer par une concentration du secteur ? Enfin, quel regard portez-vous sur l'instauration, aux frontières de l'Union européenne, d'une taxe carbone visant à compenser le différentiel de coût à l'importation résultant des réglementations environnementales et du coût carbone ?

M. Pierre Chabrol, chef du bureau Multicom 1 de la Direction générale du Trésor . - Le bureau de la politique commerciale a pour mission de représenter la France dans les instances communautaires, notamment au comité de politique commerciale, qui assure le suivi hebdomadaire des négociations menées par la Commission au nom de l'Union européenne, que ce soit avec l'OMC ou à titre bilatéral. En outre, il prépare les positions françaises quant aux instruments de défense commerciale européenne : instruments anti- dumping , anti-subventions, etc. En revanche, sa compétence est moindre pour ce qui concerne la taxe carbone : je me concentrerai donc sur les deux premières missions.

Avant tout, les mesures prises par les États-Unis au sujet de l'acier et de l'aluminium ont créé la surprise : l'année dernière, l'acier chinois ne pénétrait déjà plus sur le marché américain du fait de diverses mesures anti- dumping . En conséquence, ces dispositions ont affecté en premier lieu les partenaires des États-Unis, dont le Mexique, le Canada, les pays de l'Union européenne, le Japon et la Corée du Sud. Les autorités américaines nous ont expliqué que, face aux surcapacités chinoises, ces mesures avaient pour but de conduire l'Union européenne à réagir. Entre alliés, une telle attitude est un peu étrange ; mais, en un sens, cette politique a fonctionné. Les Européens ont réagi de plusieurs manières.

Tout d'abord, ils ont pris des mesures d'ordre juridique. Les Américains ont agi sur la base de la section 232 du Trade Expansion Act de 1962. Ce texte autorise le Président des États-Unis à prendre des mesures tarifaires d'envergure face à des importations menaçant la sécurité nationale. Or, l'Union européenne a estimé que cette réponse n'était pas adaptée. Certes, l'OMC prévoit une exception de ce type, mais la notion de sécurité nationale n'était pas définie à l'époque où les États-Unis ont pris ces mesures. L'Union européenne en a conclu qu'elles étaient illégales du point de vue de l'OMC.

Ensuite, de manière concrète, la Commission européenne a requalifié les mesures prises par les États-Unis en mesures de sauvegarde : dès lors qu'un pays de l'OMC prend une mesure de sauvegarde, un autre membre de l'OMC, s'il estime que ces dispositions ne sont pas justifiées, est habilité à prendre des mesures de rétorsions. Sur cette base, la Commission a pris une série de contre-mesures, ou mesures de rééquilibrage, qui se sont traduites par l'établissement d'une liste de produits américains assez symboliques : cette liste, dite « liste moto-bourbon », a été dressée pour cibler, aux États-Unis, une série de circonscriptions de sénateurs républicains influents. C'était là le seul moyen d'avoir une emprise sur Donald Trump. Cette action semble avoir été assez efficace.

L'Union européenne a pris une autre mesure de sauvegarde, liée au fait que la décision américaine devait conduire à un afflux de produits asiatiques vers le marché européen de l'acier. Cette crainte s'est vite révélée fondée.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pouvez-vous évaluer l'impact de ces mesures anti- dumping sur les entrées d'acier et d'aluminium aux États-Unis, et sur les redirections consécutives ? Avez-vous des chiffres ? J'ai cru comprendre que le marché américain continuait à recevoir de l'acier étranger à un coût surenchéri et que le prix de l'acier américain avait subi, en conséquence, une inflation, aux dépens du consommateur. Pouvez-vous le confirmer ?

M. François Bazantay, adjoint au chef de bureau Multicom 1 de la Direction générale du Trésor . - En volume, les importations d'acier ont baissé aux États-Unis ; mais, effectivement, du fait de l'augmentation des prix, elles ont augmenté de 5 % en valeur entre 2017 et 2018. Quant au marché européen, il était déjà très protégé face au marché chinois, à l'instar du marché américain. En revanche, les aciers turcs et coréens ont afflué.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'acier indonésien également ?

M. Pierre Chabrol . - Tout à fait.

M. Franck Menonville , président . - Et depuis le Canada ?

M. François Bazantay . - Non, pas de manière significative.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - À quelle hauteur sont les barrières douanières américaines appliquées à l'acier ?

M. François Bazantay . - En vertu de la mesure de sauvegarde prise sur le fondement de la section 232, tout produit importé aux États-Unis est taxé à 25 %.

M. Pierre Chabrol . - Les produits faisant l'objet de mesures anti- dumping se voient appliquer des droits supplémentaires ; mais ces dispositions préexistantes sont d'une autre nature.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pourriez-vous nous préparer une note de synthèse pour clarifier ces questions ?

M. Pierre Chabrol . - Tout à fait. Je précise que les mesures anti- dumping sont prises à l'encontre d'une entreprise en particulier, tandis que les mesures fondées sur la section 232 portent sur un produit en général. À ce stade, la réponse européenne est en train d'être déployée ; mais on peut d'ores et déjà tirer un bilan positif de cette réforme des instruments de défense commerciale. Jusqu'à présent, la règle du droit moindre limitait le montant des droits imposés à tel État ou à telle entreprise. Il est désormais possible de revenir sur cette règle et ainsi d'imposer des droits beaucoup plus élevés qu'auparavant. Quelques conditions sont imposées pour ce qui concerne les droits anti- dumping . À cet égard, la négociation a été très délicate ; une partie de nos partenaires européens estiment toujours que de telles mesures sont essentiellement protectionnistes. En France, certaines entreprises importatrices plaident également pour que ces instruments de défense commerciale soient utilisés le moins possible, par exemple les acteurs de la filière automobile. Chaque État membre de l'Union européenne arbitre selon ces différents intérêts. Traditionnellement, la France défend ses intérêts producteurs, tandis que l'Allemagne et l'Europe du Nord défendent les industries utilisatrices, lesquelles veulent de l'acier à prix compétitif.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La France cherche-t-elle à protéger la production à l'échelle de l'Union européenne ?

M. Pierre Chabrol . - Avant tout, la France cherche à défendre les intérêts producteurs de l'Europe : c'est un choix politique constant, très net et très bien identifié à Bruxelles. À l'échelle de l'Union, cette vision française, fondamentalement activiste, doit se conjuguer avec les priorités des autres pays. La position française n'est pas majoritaire à Bruxelles : notre travail est donc de construire des coalitions, au cas par cas, pour lutter énergiquement contre les pratiques de dumping ou de subventions.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Qu'en est-il des stratégies de contournement ? Comment y faire face ?

M. Pierre Chabrol . - Le projet de nouvelles routes de la soie est sans ambiguïté : les entreprises chinoises sont invitées à reconstituer hors de Chine leurs capacités de production, surtout lorsqu'elles sont polluantes. Elles s'installent donc au Vietnam, en l'Indonésie, en l'Égypte. Ces routes de la soie vont même en Europe et au-delà du Pacifique : le concept est très plastique. Les pays d'accueil semblent plutôt satisfaits de recevoir cette activité. De son côté, grâce à cette stratégie, la Chine contourne les mesures anti- dumping prises par les États-Unis et par l'Union européenne.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Comment l'Union européenne réagit-elle ?

M. Pierre Chabrol . - Le phénomène est parfaitement identifié, et il est étudié de très près par l'Union européenne. Les flux allant de ces pays vers l'Union européenne sont suivis avec une attention particulière. Ils augmentent assez vite. Il faut inciter la Commission européenne à utiliser les instruments anti- dumping qui sont à sa disposition. Vers la Chine directement, cette action est difficile, car les dispositifs de subventionnement chinois peuvent être très sophistiqués.

M. François Bazantay . - Un véritable contournement au sens douanier du terme, fondé sur de fausses origines, c'est le système dit « de l'usine tournevis ». La Chine l'emploie notamment à Singapour. L'Union européenne a déployé des mesures efficaces à cet égard. Désormais, la Chine cherche donc à produire à l'extérieur. Le dumping est parfois difficile à mettre au jour ; il faut donc aller sur le terrain des mesures anti-subventions. À ce titre, l'Europe s'efforce de caractériser le fait qu'un État subventionne une industrie dans un autre État : c'est le cas quand de l'argent public chinois vient aider une entreprise à l'étranger, avec des conditions d'établissement très privilégiées. Ainsi, en plein coeur de l'Égypte, un territoire chinois a pour ainsi dire vu le jour. Les entreprises chinoises y fabriquent selon les normes et le droit du travail applicables en Chine. Puis, la marchandise est exportée en Europe. Actuellement, nos instruments de défense commerciale ne sont pas assez robustes pour détecter parfaitement ces pratiques. Nous essayons donc de les adapter.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - En définitive, la Chine a toujours un temps d'avance. Or, dans le champ de la concurrence, la taxe carbone est un outil comme un autre. En outre, il récompense les efforts de nos industries européennes et françaises, qu'il s'agisse de la contribution carbone, avec les quotas carbone, des efforts en matière de recherche et d'innovation, ou des investissements divers. On pourrait très bien prévoir, aux frontières de l'Union européenne, une fiscalité adaptée en vue du respect des accords de Paris. Dans les dix années qui viennent, les sidérurgies française et européenne peuvent-elles tenir le choc de la mondialisation et passer le cap du verdissement sans ce filtre, rééquilibrant les règles commerciales sans dénaturer les principes fixés par l'OMC ? La France entend-elle défendre cette solution auprès des autres États membres ?

M. Pierre Chabrol . - À notre niveau, nous constatons une évolution positive. Il y a encore quelques années, Bruxelles exprimait presque du dégoût pour les instruments de défense commerciale. Mais, depuis trois ans, le changement de mentalité est très net au sein de la Commission européenne, vis-à-vis de la Chine.

M. Franck Menonville , président . - Une prise de conscience !

M. Pierre Chabrol . - Depuis 2016, la Commission lance régulièrement l'alerte : la Chine est également un compétiteur stratégique. Le service européen pour l'action extérieure tire lui aussi les conséquences de cette rivalité économique. L'enjeu, à présent, c'est le choix des instruments à mettre en oeuvre, qu'il s'agisse de la défense commerciale, de l'attribution des marchés publics, ou encore du mécanisme d'inclusion carbone, le MIC. Depuis quelques années, l'utilisation des instruments de défense commerciale a beaucoup crû, surtout dans le domaine de l'acier. Au total, 90 000 emplois du secteur de l'acier sont protégés par ces instruments de défense commerciale de l'Union européenne.

M. François Bazantay . - Ces mesures de sauvegarde permettent également de se prémunir face à l'Indonésie ou à la Turquie. Le secteur européen de l'acier est protégé, mais pas au même niveau que les États-Unis, et pour cause : dans l'Union européenne, un quota de marchandises importées est libre de droits. Depuis le choc de 2015, le but des aciéristes, c'est de créer des marchés régionaux ; ArcelorMittal, premier groupe sidérurgique au monde, est derrière la demande de mise en oeuvre de la section 232 aux États-Unis. Mais, au nom de la défense de ses intérêts américains, cette entreprise a compromis ses intérêts en Europe.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La politique de défense commerciale implique-t-elle nécessairement la concentration du secteur ?

M. François Bazantay . - La concentration semble effectivement la règle à l'heure actuelle. En Méditerranée, ArcelorMittal s'est rapproché d'Ilva ; en Europe du Nord, Thyssen entreprend de fusionner avec Tata Steel. Mais cette évolution entraîne une hausse des prix, qui n'est pas sans soulever des critiques.

M. Pierre Chabrol . - Pour nous, l'enjeu est également de renforcer les obligations de transparence auxquelles les membres de l'OMC sont soumis. Ils doivent notamment notifier l'ensemble des subventions versées aux entreprises. Or, à ce titre, la Chine cherche à maintenir une grande opacité. Afin d'accroître la transparence, un groupe spécial - le forum global sur l'acier - a été formé au sein du G20, alors même que ce dernier était présidé par la Chine.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Combien d'usines la Chine rachète-t-elle en Europe ? Dans quelle mesure les subventions massives sont-elles incluses dans les conditions de rachat ?

M. Pierre Chabrol . -Nous en sommes persuadés, il faut prendre en compte les mécanismes de subventions, non seulement pour les investissements étrangers, mais aussi pour l'accès aux marchés publics européens. Dès lors, certains candidats pourraient être exclus d'emblée. Mais, pour l'heure, la France est extrêmement minoritaire sur ce sujet. Ainsi par exemple, pour le Premier ministre portugais, il n'est pas question que le Portugal renonce à recourir aux entreprises chinoises.

M. Franck Menonville , président . - Il en allait de même pour les filtrages ; puis, des évolutions sont intervenues.

M. Pierre Chabrol . - Certes, monsieur le président. Mais l'Allemagne est, elle aussi, extrêmement réservée.

M. Franck Menonville , président . - Jusqu'au jour où elle sera confrontée au même problème...

M. Jean-Pierre Vial . - Beaucoup de grands groupes ont quitté la France après y avoir développé une activité pendant quelques années, mais en conservant l'unité de recherche grâce à laquelle ils obtiennent un avantage fiscal, via le crédit d'impôt recherche, le CIR. Que comptez-vous faire à ce titre ? Nous pouvons vous donner des cibles très précises à expertiser.

M. Pierre Chabrol . - Il faut que je consulte mes collègues responsables du dossier : nous vous adresserons une réponse écrite.

M. Gérard Longuet . - On annonce la prise de contrôle des fonderies de Pont-à-Mousson par le groupe chinois Xinxing. Sur le marché des tuyaux de fonte, cette opération risque d'entraîner un abus de position dominante : en effet, elle revient à fusionner les deux premiers acteurs mondiaux en la matière.

M. François Bazantay . - Le décret relatif aux investissements étrangers en France vient d'être révisé. La Direction générale du Trésor est consciente du problème, mais ce dernier n'est pas du ressort de notre bureau. Quant au volet concurrentiel, il relève, non du bureau Intercom à proprement parler, mais de l'Autorité de la concurrence.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Disposez-vous d'informations au sujet de la ferraille ? On nous fait part de volumes estimés en millions de tonnes. Où va-t-elle ? Comment chemine-t-elle ?

M. Franck Menonville , président . - Comment est-elle valorisée ?

M. Jean-Pierre Vial . - Et comment pourrait-on mieux la conserver ?

M. Pierre Chabrol . - Il est difficile d'évaluer finement ces flux au titre de l'import-export. Tout dépend des lignes tarifaires examinées : les chiffres dont je dispose sont beaucoup plus modestes que les vôtres, mais ils ne sont pas agrégés. Nous pourrons vous adresser ces éléments par écrit.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Volontiers. Nous souhaitons également obtenir des précisions sur les logiques d'exportation des entreprises du secteur.

M. Pierre Chabrol . - Nous vous les ferons parvenir.

M. Franck Menonville , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.

G. AUDITION DE MM. JEAN-FRANÇOIS CARENCO, PRÉSIDENT, ET CHRISTOPHE LEININGER, DIRECTEUR DES MARCHÉS ET DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, ET DE MME OLIVIA FRITZINGER, CHARGÉE DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE LA COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE (CRE) (22 MAI 2019)

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je remercie Jean-François Carenco de participer à cette audition et vous propose pour commencer quelques éléments de contexte. La mission d'information, dont je suis la rapporteure, porte un intérêt tout particulier au défi de la transition énergétique auquel fait face la filière sidérurgique.

D'abord, la question du coût de l'énergie revêt une importance stratégique pour la compétitivité de nombreux secteurs, notamment la sidérurgie. Le directeur général de l'énergie et du climat, que nous avons auditionné, nous a rappelé que le coût complet de l'électricité pour les industriels intègre non seulement le prix de marché, mais aussi les coûts d'acheminement via le réseau de transport et les taxes appliquées aux prix de l'électricité.

Comment a évolué le prix de l'électricité ces dernières années et quelles sont les perspectives pour l'avenir ?

Le secteur de la sidérurgie constitue l'un des secteurs industriels bénéficiant du statut d'électro-intensif, qui ouvre l'accès à plusieurs dispositifs intégrés dans une « boîte à outils » - réduction de tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE), dispositif d'interruptibilité, « compensation carbone ». Certains de ces dispositifs pourraient être remis en cause par la Commission européenne au titre des règles sur les aides d'État. Qu'en est-il ?

Il nous semble que les entreprises doivent pouvoir disposer d'une visibilité à moyen terme sur l'évolution des coûts d'approvisionnement en électricité. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pouvez-vous nous présenter le consortium d'achat à long terme d'électricité « Exeltium » mis en place en 2008 ?

Nous avons également appris que le groupe ArcelorMittal disposait d'un agrément de fournisseur afin de gérer l'approvisionnement de ses sites. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Enfin, les efforts des entreprises de la filière pour réduire leur consommation d'énergie vous semblent-ils à la hauteur ? Quelles pistes devraient être poursuivies en matière d'efficacité énergétique ?

M. Jean-François Carenco , président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je vous remercie de nous recevoir. Je suis accompagné d'Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles de la CRE et de Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique. Nous sommes une commission indépendante, à la disposition du Gouvernement et du Parlement. En introduction, il est important de rappeler à quel point le monde de l'énergie évolue à une vitesse importante. Le nombre de lieux de production augmente, nous allons vers plusieurs millions de lieux de production d'énergie en France. Ensuite, le système énergétique lui-même évolue : auparavant, l'énergie était fossile, nucléaire, hydraulique ; nous allons désormais vers un système qui inclura l'hydrogène, même s'il n'est pas encore rentable économiquement aujourd'hui, le photovoltaïque, l'hydrolien, l'éolien terrestre, flottant, posé, le gaz, le biogaz et la méthanisation.

Je rappelle également que ceux qui prétendent qu'il faut déployer les énergies renouvelables en France pour limiter les émissions de CO 2 se trompent. Nous n'avons pas besoin de lutter contre les émissions de CO 2 de notre production d'électricité. Si l'on développe les énergies renouvelables, c'est pour d'autres raisons.

Notre mission est de protéger les consommateurs. Il y a trois niveaux d'analyse : qui sont les consommateurs ? Il y a les consommateurs domestiques et les consommateurs industriels. Parmi les industriels, il y a notamment les électro-intensifs et les hyper électro- intensif (HEI). Lorsque l'on veut protéger les consommateurs, c'est à court, moyen et long termes. Enfin, la protection du consommateur passe par le prix, la sécurité et la qualité des approvisionnements. Le consommateur que nous protégeons s'inscrit dans cette matrice à trois entrées.

Ensuite, nous sommes dans un système énergétique européen. La CRE est nécessairement pro-européenne : nous exportons 15 % de notre énergie. Je rappelle également que la France contribue largement à la baisse des émissions de CO 2 dans le secteur énergétique. La réponse à cette mutation du monde énergétique considérable que j'ai évoquée sera l'investissement massif et la flexibilité (interruptibilité, effacement, interconnexion, stockage, réserve de capacité). Si nous n'avions pas l'Europe de l'énergie, nous devrions investir encore plus. Or, nous ne savons plus ni localiser ni financer aujourd'hui ces investissements en raison de leurs coûts. La CRE est extrêmement présente dans les discussions européennes : elle consacre environ 20 ETP à ces sujets.

J'en viens à l'industrie, élément essentiel : il n'y a pas de pays tenu sans création de valeur, et pas de création de valeur sans un système énergétique permettant à ses industries électro- intensives de ne pas être pénalisées par des décisions de prix qui nuiraient à leur compétitivité. La CRE accompagne les industriels, voici un exemple récent : nous avons été aux côtés de l'APE, de la Société Le Nickel, du gouvernement calédonien central, du gouvernement de la province nord pour refaire le système électrique en Nouvelle-Calédonie et faire en sorte que les usines de nickel - celle d'Eramet, qui est partiellement propriété de l'État- puissent exister. Nous avons d'ailleurs envoyé une mission sur place. Notre souci industriel est fort car c'est la source de la prospérité.

J'en arrive à vos questions. Vous nous avez interrogés sur la place qu'occupe le secteur sidérurgique dans la phase III du système d'échange de quotas d'émissions (SEQE) et sur les faiblesses de ce marché.

Nous n'avons pas d'éléments sur la participation directe de la sidérurgie au SEQE. Néanmoins, ce système a un impact indirect sur le prix de l'électricité. Compte tenu de la structure du parc de production européen d'électricité, le prix du CO 2 a évidemment un impact important sur le prix de marché de gros de l'électricité européen. Le prix de ce dernier reflète le coût marginal de production des moyens de production thermiques fossiles. Ces moyens sont soumis au SEQE, ainsi leur coût marginal inclut le coût du CO 2 .

À titre d'illustration, la Commission européenne estime à 0,76 tonne par mégawattheure les émissions de CO 2 de l'électricité produite dans la zone de marché comprenant la France (Centre-Ouest européen).

Ainsi, une hausse de 10 euros par tonne de CO 2 a un impact de 7,6 euros par mégawattheure sur le prix du marché de gros de l'électricité.

M. Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique . - Ce qui est important dans la compréhension des prix pour les consommateurs en France, c'est que, certes, nous avons un mix électrique français structuré autour d'une part de nucléaire et d'hydraulique très importante - et de moyens renouvelables et thermiques. Le prix du marché, celui auquel s'approvisionnent les électro-intensifs et les aciéries en particulier est le prix européen. Ce prix européen repose sur un mix électrique européen essentiellement dominé par les moyens thermiques : ce que paie aujourd'hui le consommateur industriel est le reflet des prix européens orientés vers le thermique et pas le prix du nucléaire ni le prix de l'hydraulique, ou seulement en partie.

J'ajouterais deux précisions : d'abord, un mécanisme a été mis en place en France, l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH), qui permet de préserver le consommateur industriel d'une augmentation des prix pour une partie de sa consommation. Il paie 42 euros le mégawattheure pour une partie de sa consommation, le reste étant acheté sur le marché. Ensuite, malgré des politiques énergétiques ambitieuses en France mais aussi dans les pays voisins pour développer les énergies renouvelables, pour les 10 prochaines années, le thermique continuera à déterminer le prix de l'électricité en Europe. Même si la France a peu d'énergies thermiques dans sa production, ce sont elles qui déterminent les prix, car ses moyens sont appelés pour répondre à la demande ultime.

Ainsi, l'approvisionnement des consommateurs industriels est directement lié au prix des combustibles, et donc aux tensions internationales et aux problématiques de fluctuations de marché. L'État français a décidé de protéger les consommateurs résidentiels mais aussi les consommateurs industriels de ces effets-prix en introduisant une régulation nucléaire pour faire bénéficier à ces industriels de la compétitivité du parc historique nucléaire d'EDF.

M. Jean-François Carenco . - Vous nous interrogez sur la consommation moyenne d'électricité des entreprises sidérurgiques en kilowattheure par euro de valeur ajoutée. Nous ne disposons pas de ces éléments.

S'agissant des critères de définition de l'électro-intensivité, le caractère d'électro-intensivité d'une entreprise, ou d'un site, dépend du poids de la facture d'électricité dans la valeur ajoutée de l'entreprise, de son degré d'exposition à la concurrence internationale et de son profil de consommation. Dans le cadre des réductions de taxes ou de tarif de transport mises en place en France, un site est dit électro-intensif si sa consommation d'électricité est supérieure à 2,5 kilowattheure par euro de valeur ajoutée. Au-delà de 6 kilowattheure par euro de valeur ajoutée, ce site est dit hyper électro-intensif. Il est considéré que les entreprises hyper électro-intensives sont plutôt soumises à la concurrence mondiale alors que les électro-intensives sont plutôt soumises à une concurrence intra-européenne. Les entreprises sidérurgiques entrent dans la catégorie des électro-intensifs.

Une autre question que vous m'avez adressée est la suivante : les électro-intensifs bénéficient-ils d'offres particulières ou se fournissent-ils aux offres du marché ? Avant l'ouverture du marché de l'électricité, beaucoup d'industriels bénéficiaient de contrats historiques avec EDF à prix bas. Depuis l'ouverture du marché, ils ont la possibilité de s'approvisionner auprès des fournisseurs en offres de marché. La majorité des électro-intensifs ont aujourd'hui des offres de marché.

Néanmoins leurs caractéristiques de consommation leur permettent parfois de négocier des conditions particulières d'approvisionnement. Le consortium d'industriels électro-intensifs « Exeltium » a signé un contrat de long terme avec EDF assurant une stabilité des prix d'une partie de leur approvisionnement en électricité sur 25 ans. Les industriels sont en effet en attente de visibilité quant à la durée des contrats. Dans un autre cadre, l'hyper électro-intensif Trimet, à Saint-Jean-de-Maurienne, a pu négocier avec EDF un contrat d'approvisionnement sur 10 ans.

M. Jean-Pierre Vial . - Nous nous souvenons de la venue d'Emmanuel Macron à Saint-Jean-de-Maurienne, lorsqu'il était ministre de l'Économie.

M. Jean-François Carenco . - Tout ceci a fait l'objet d'une approbation par la Commission européenne, avec laquelle nous travaillons souvent.

M. Christophe Leininger . - « Exelitum » a vu le jour avant l'ARENH. Plus que de prix bas, les industriels sont en demande de visibilité. « Exeltium » visait précisément à mettre en place un prix bas d'approvisionnement sur la durée. Ce contrat s'est trouvé relativement cher - avant d'être renégocié récemment - car la Commission européenne a demandé à ce que les industriels puissent sortir du contrat pendant la durée de celui-ci, pour des raisons concurrentielles et pour ramener le prix du contrat à un prix de marché.

Concrètement, cela signifie qu'avec un contrat de 25 ans, les parties prenantes peuvent sortir du contrat tous les 5 ans. Il s'agit de ne pas enfermer le consommateur dans un contrat de 25 ans et de lui permettre de pouvoir en sortir. Mais les banques ont exigé des taux de remboursement calés non pas sur la durée du contrat mais sur les durées anniversaires de sortie, avec pour conséquence de renchérir ce contrat et donc son prix de vente.

La mise en place de contrats à long terme en France et en Europe est aujourd'hui cruciale pour les électro-intensifs. Nous n'avons pas encore parlé de la « boîte à outils » et de ses effets importants à court et moyen termes, mais leur existence n'est pas forcément pérenne dans la durée. En revanche, les contrats de long terme sont pérennes : nous travaillons donc pour essayer de les mettre en oeuvre. Comme l'a expliqué le Président, un contrat de long terme de 10 ou 15 ans est proposé en Nouvelle-Calédonie, avec un partage des risques entre le producteur d'électricité locale et le consommateur acheteur. Le prix de l'électricité est indexé sur le cours du nickel : quand le cours du nickel est élevé, le profit peut être rendu en partie aux producteurs et quand le cours du nickel est bas, c'est le producteur d'électricité qui fait un effort financier. De tels contrats « gagnant-gagnant » existaient en métropole, mais nettement moins aujourd'hui. Ces sujets peuvent être défendus vis-à-vis de la Commission européenne : l'absence de contrats de long terme n'est pas une fatalité ! Il faut les défendre car ils sont appréciés par les consommateurs.

M. Jean-François Carenco . - J'en viens aux dispositifs de la « boîte à outils », qui démontrent que les électro-intensifs et les hyper-électro-intensifs sont bien traités en France. Pourvu que cela dure ! Le premier dispositif est l'abattement du tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE). La loi pour la transition énergétique et la croissance verte du 18 août 2015 prévoit que les entreprises électro-intensives puissent bénéficier d'une réduction sur le tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE) à compter du 1er janvier 2016. En contrepartie, ces entreprises doivent mettre en oeuvre une politique de performance énergétique. En fonction de la quantité annuelle d'électricité consommée rapportée à la valeur ajoutée, les entreprises concernées peuvent bénéficier d'un abattement pouvant aller jusqu'à 60 % du tarif pour les électro-intensifs et jusqu'à 90 % pour les hyper électro-intensifs. L'abattement concerne les entreprises qui remplissent une des trois conditions suivantes : (i) une durée d'utilisation supérieure ou égale à 7 000 heures et une énergie soutirée sur le réseau excédant 10 gigawattheure ; (ii) un taux d'utilisation en heures creuses supérieur à 44 % et une énergie soutirée sur le réseau excédant 20 gigawattheure ; (iii) un taux d'utilisation en heures creuses supérieur à 40 % et une énergie consommée excédant 500 gigawattheure. Donc, suivant ce que consomme l'entreprise et suivant le réseau sur lequel elle se situe, elle bénéficie d'un abattement plus ou moins important. Il s'agit d'un élément fondamental du soutien aux industries. Il nous faut absolument défendre cette aide à Bruxelles.

M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne fait mieux que nous !

M. Jean-François Carenco . - Ils sont meilleurs que nous à Bruxelles !

M. Christophe Leininger . - L'Allemagne a été contestée dans son approche de l'exonération des tarifs de réseaux par la Commission européenne, qui est venue enquêter sur ces pratiques. Elle a dû revenir sur le dimensionnement de son soutien.

M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne était allée jusqu'à 100 % d'abattement ! La Commission a validé leur souhait de descendre l'abattement à 90 % ; la France, vexée, a donc remonté son niveau d'abattement.

M. Christophe Leininger . - En France, jusqu'à une certaine période, aucun dispositif d'abattement n'était prévu s'agissant du TURPE pour diverses raisons - notamment parce que l'on n'appliquait pas les mêmes règles de tarification que pouvait appliquer l'Allemagne. La CRE a décidé d'appliquer un abattement avant même la validation de la Commission, abattement qui a ensuite été confirmé par des textes réglementaires.

C'est pour ces raisons qu'existent des critères qui déterminent l'éligibilité des consommateurs au dispositif. Il faut être vigilant lorsque l'on négocie sur ces sujets : la tentation a pu exister d'opposer les consommateurs allemands et les consommateurs français, mais la vision de la Commission européenne consiste à tenir compte des consommateurs européens. Désormais, la France et l'Allemagne parviennent à mettre en place des dispositifs similaires : c'est le cas de l'abattement de TURPE, de l'interruptibilité et de la « compensation carbone ».

M. Jean-François Carenco . - L'interruptibilité est un dispositif qui permet à RTE d'interrompre instantanément, en moins de 5 ou 30 secondes, la consommation de sites engagés lorsque le fonctionnement normal du réseau public de transport est menacé de manière grave et immédiate.

On pourrait analyser ce dispositif comme étant une contrainte pour les industriels : il n'en est rien, dès lors qu'ils sont volontaires. Les industriels éligibles s'engagent en participant à un appel d'offres annuel. De plus, ils sont rémunérés pour ce faire. Ce dispositif a été activé en vraie grandeur pour la première fois en janvier 2019 et a bien fonctionné. Cela coûte à RTE 90 millions d'euros par an, versés aux entreprises.

M. Jean-Pierre Vial . - C'est une subvention !

M. Jean-François Carenco . - Les subventions sont interdites. Je dirais plutôt que c'est une participation au service de l'intérêt général.

M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne est allée jusqu'à 100 % d'abattement de TURPE, puis est descendue à 90 % ; la rémunération de l'interruptibilité pour l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne coûte entre 200 millions et 400 millions d'euros, concédés aux entreprises.

M. Jean-François Carenco . - Peut-on monter à 200 millions d'euros ? En tant que responsable de l'équilibre financier de RTE, je me dois de rappeler que cela aurait des répercussions sur les prix, que personne ne veut voir augmenter. Il faut trouver donc trouver le bon équilibre. Félicitons-nous que ce système fonctionne.

M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne dit clairement qu'elle mène une politique qui ne doit pas être contraire aux enjeux de son industrie, qu'elle entend soutenir.

M. Jean-François Carenco . - La « compensation carbone » constitue la troisième modalité d'aide à l'industrie, La mesure dite de « compensation des coûts indirects » a été introduite par la directive 2009/29/CE. Cette mesure est destinée aux secteurs ou sous-secteurs considérés comme exposés à un risque significatif de fuite de carbone en raison des coûts des quotas liés aux émissions de gaz à effet de serre imputables au SEQE répercutés sur les prix de l'électricité. Mis en place en France pour les années 2015 à 2020, ce dispositif permet de compenser en partie aux industriels éligibles le coût du SEQE incorporé dans le prix de l'électricité. Ce dispositif a été validé par la Commission européenne. Sa pérennité après 2020 nous semble aujourd'hui acquise jusqu'en 2030. Néanmoins les paramètres de définition de son niveau sont actuellement en cours de discussion au niveau de la Commission.

Enfin, le dernier outil est la réduction de « Contribution au service public de l'énergie » (CSPE). Depuis 2016, la TICFE, renommée « Contribution au Service Public de l'Énergie » ou CSPE, a été étendue à l'ensemble des consommations d'électricité, les électro-intensifs bénéficiant toutefois de taux réduits, voire d'exemption. Elle est fixée à 22,5 euros le mégawattheure. C'est désormais un impôt qui constitue une recette du budget général de l'État. Mais sont notamment exonérés : (i) les usages de l'électricité relatifs à des procédés métallurgiques, de réduction chimique, d'électrolyse ; (ii) les entreprises pour lesquelles l'électricité représente plus de la moitié du coût d'un produit ; (iii) la fabrication de produits minéraux non métalliques.

L'ensemble des entreprises électro-intensives bénéficient, par ailleurs, de réductions pouvant ramener le montant de la TICFE/CSPE à 1 euro le mégawattheure voire moins en fonction de l'exposition au risque de fuite de carbone et de montant de la facture d'électricité par rapport à la valeur ajoutée.

Cette quasi-exonération de CSPE est un élément fixe du paysage : il faut veiller à le conserver.

M. Christophe Leininger . - Un jugement récent a constaté que l'ancienne TICFE n'était pas compatible avec les textes européens sur les accises. Cela a conduit à condamner l'État français à rembourser un certain nombre de consommateurs dans le contentieux CSPE. Cette taxe, incompatible avec le droit européen, y compris dans ses modalités d'exonérations, a été révisée et les exonérations prévues par la réforme de 2015 ont été négociées en amont avec la Commission : ce qui a été obtenu est certain et pérenne.

M. Jean-François Carenco . - Nous ne disposons pas des coûts associés à chacun de ces dispositifs. Vous nous demandez si certains de ces dispositifs sont remis en cause par les autorités européennes. L'important reste de discuter avec l'Europe avant, car l'Europe, c'est nous !

M. Christophe Leininger . - Un certain nombre de contrats historiques avec EDF existaient auparavant avec des électro-intensifs au moment de l'ouverture du marché en 2000, voire même un peu avant. Ces contrats à prix compétitifs ont fait l'objet d'enquêtes par la Commission européenne, qui a validé ces contrats. Il n'y a pas de raison que la Commission s'oppose à ce type de contrat de nouveau aujourd'hui.

Les contrats long terme proposés par EDF sur le marché ont été revus non pas parce que la Commission n'aime pas les contrats long terme, mais parce qu'elle considérait qu'ils étaient tous proposés par un seul opérateur, EDF, ce qui fermait le marché. Aujourd'hui, EDF a rempli les objectifs de remise en concurrence. Ce sujet est donc derrière nous, et nous pouvons reprendre nos discussions avec la Commission pour justifier un certain nombre de contrats, dès lors que le consommateur concerné est bien soumis à la concurrence internationale.

M. Jean-Pierre Vial . - Sur le sujet des contrats à long terme, c'était en fait EDF qui était dans le viseur de la Commission ! Aujourd'hui, elle n'a donc plus de suspicions à l'égard d'EDF ?

M. Jean-François Carenco . - C'est EDF qui a des suspicions à l'égard des contrats à long terme !

M. Christophe Leininger . - La Commission n'a jamais eu d'objections sur les contrats de long terme, elle souhaitait qu'EDF rende un certain nombre de clients au marché. Ce type de contrat recouvre deux enjeux : il faut qu'il soit long et qu'il propose un prix intéressant aux consommateurs.

Un contrat de long terme peut voir le jour, mais la question est de savoir si le prix proposé par EDF ou par les fournisseurs alternatifs correspond aux besoins de l'industriel. Tel est l'enjeu.

M. Jean-François Carenco . - Le dispositif de compensation des coûts indirects du carbone est encadré au niveau européen et donc validé par définition.

Les dispositifs français d'interruptibilité et d'abattement du TURPE sont actuellement en cours de discussion avec la Commission. Nous n'avons pas de crainte sur leur remise en question, leur existence et leur principe.

Vous souhaitez savoir si d'autres pays dans l'Union européenne ont des aménagements tarifaires plus conséquents qu'en France en matière de prix de l'électricité, de tarifs d'accès au réseau et de taxes sur l'électricité pour les industries sidérurgiques. Jean-Pierre Vial a susurré la réponse. Des dispositifs similaires existent dans plusieurs pays européens. Les Pays-Bas ou l'Allemagne ont, par exemple, mis en place des abattements du tarif de transport et des dispositifs d'interruptibilité existent en Allemagne, en Espagne ou encore en Italie.

Des contrats de long terme à des horizons très lointains ont été conclus au Canada à des prix avoisinant les 20 euros le mégawattheure.

Il convient de rappeler qu'en France, les industriels en offres de marché bénéficient, pour une part de leur consommation, de l'ARENH comme protection lorsque les prix de marché sont élevés. À ce titre, j'estime que tout éventuel dispositif de régulation de la production nucléaire devra tenir compte de la problématique industrielle. Il appartient aux parlementaires de pousser cette idée-là !

M. Christophe Leininger . - S'agissant de l'ARENH, il y a une combinaison prix-volume.

M. Jean-François Carenco . - Le volume étant fixé par la voie législative et le prix par la voie réglementaire.

M. Christophe Leininger . - Le prix n'a pas évolué : il a été proposé dans un décret par le Gouvernement qui a été retiré puisque la Commission européenne a estimé que la méthodologie proposée pour le calcul du prix ne convenait pas. Le prix est donc resté à 42 euros du mégawattheure. EDF a mis à la disposition de ses concurrents un quart de sa production. Les volumes ont été souscrits et le plafond a été atteint : certains fournisseurs ayant fait une demande d'ARENH n'ont pas obtenu les volumes dont ils avaient besoin et ont, pour l'énergie manquante nécessaire à l'alimentation de leurs clients, acheté l'électricité sur les marchés. Or, ce prix s'élevait à presque 60 euros du mégawattheure.

S'agissant du tarif réglementé, il a été sauvé « in-extremis » par le Conseil d'État.

M. Jean-François Carenco . - Certains d'entre nous se sont battus pour le défendre.

M. Christophe Leininger . - Il doit respecter deux principes : le tarif réglementé doit être stable et il y a un certain nombre de dispositions que nous utilisons dans notre mode de construction qui garantissent cette stabilité ; il doit être contestable : il faut qu'il puisse être concurrencé par des fournisseurs alternatifs.

M. Jean-François Carenco . - Cette jurisprudence du Conseil d'État est constante. Si le tarif ne respecte pas ces deux principes, il sera annulé. La négociation a été compliquée sur le paquet « énergie-climat », laquelle aurait pu aboutir sur une interdiction des tarifs réglementés de vente (TRV). La France a résisté, moyennant quelques concessions, et a obtenu leur maintien. Cela a été un combat gagnant.

M. Martial Bourquin . - Cela a un prix !

M. Jean-François Carenco . - Ce n'est pas le TRV qui a un prix, c'est la manière dont on l'applique !

M. Martial Bourquin . - Les coûts de production seraient responsables d'une hausse de 2,9 % et le reste de l'augmentation serait dû aux marges. La concurrence que nous impose la Commission aurait dû faire baisser les prix, or on s'aperçoit qu'ils augmentent sensiblement. La volonté de libéraliser le secteur de l'énergie a amené un renchérissement des coûts de l'énergie ! Vous comprendrez bien qu'avec la situation actuelle, cela exaspère nos concitoyens : pour un ménage se chauffant à l'électricité, l'augmentation peut aller jusqu'à 150 euros par an !

M. Jean-François Carenco . - C'est l'équivalent d'un paquet de cigarettes par mois !

M. Jean-Claude Tissot . - Certains ne fument pas.

M. Martial Bourquin . - Le niveau de taxation est aussi très important...

M. Jean-François Carenco . - Toute l'Europe est contre nos TRV, mais je l'ai dit, nous avons obtenu leur maintien. Ma mission est d'assurer, par les décisions du collège de la CRE, la durabilité de notre système. J'applique les lois et les jurisprudences du Conseil d'État. Lorsqu'on ne le fait pas, nos décisions sont annulées.

La concurrence fait-elle baisser les prix ? De quelle concurrence parle-t-on ? Du marché de production, du marché de distribution ? Il n'y a presque aucune concurrence sur le marché de production, la concurrence se situe sur le marché de distribution.

Les 2/3 du prix ne sont pas ouverts à la concurrence : 2/3 sont fixés par la CRE sur le TURPE pour le transport et la distribution, le 1/3 restant relève de taxes, fixées par les parlementaires.

La concurrence joue donc sur le tiers restant du prix. Le fournisseur proposant une ristourne de 10 % sur la facture soit vend à perte soit ne vendra pas longtemps, car celle-ci se fera sur les coûts de production, qu'il achète à son concurrent EDF ! Cette idée de faire de la concurrence pour faire baisser les prix est la volonté de Bruxelles. Cela les fait un peu baisser, ne les fait pas monter, mais donne plus d'agilité.

Sans fournisseurs alternatifs, EDF ne se serait pas engagé dans la production massive d'énergies renouvelables. EDF a pris une décision fondamentale en matière de production énergétique : un engagement massif pour produire de l'énergie renouvelable en France. Il faut l'applaudir !

Une révolution se prépare - les compteurs intelligents, en gaz et en électricité, la domotique, les données, etc. Je reste persuadé que ce sont les alternatifs qui font bouger le système. La construction ne se fait pas avec un seul acteur.

M. Fabien Gay . - Et sur le gaz ?

M. Jean-François Carenco . - Vous allez être surpris par la baisse du prix du gaz. Revenons sur la décision de la CRE s'agissant des TRV. Les prix de gros sur le marché ont augmenté. Les alternatifs se sont fournis au prix de l'ARENH - 42 euros le mégawattheure. Le Parlement a limité le volume ARENH à 100 térawattheure. Au-delà, les industriels se fournissent au prix du marché. C'est ce qui est arrivé cette année pour la première fois depuis que l'ARENH existe.

Nous avions donc deux solutions pour les fournitures hors ARENH : soit ces entreprises achetaient ce qui leur manquait sur le marché spot , soit l'on prenait la moyenne des prix du marché des deux dernières années. Or, il y avait un besoin immédiat de couverture de l'ensemble des fournisseurs, nous avons donc opté pour le prix du marché spot .

Qui est gagnant ? EDF, mais pas les fournisseurs alternatifs. EDF vend dans ce cas au prix du marché ce qu'il produit au prix de l'ARENH. On aurait pu m'accuser de faire un cadeau à EDF, mais pas aux fournisseurs alternatifs.

Est-ce juste l'effet de la concurrence ? Je pense que c'est une analyse erronée, mais je peux me tromper. Nous attendrons la décision du Conseil d'État si cette décision devait être contestée devant lui.

Est-ce que le système de l'ARENH est pertinent pour l'avenir ? Compte tenu d'un certain nombre d'éléments - de la crise en Iran, de la crise dans le Golfe -, le prix du marché devrait monter. La réponse est donc non. Le Ministre de la transition écologique et solidaire a indiqué qu'il fallait refonder le système de l'ARENH, et que la CRE travaillait pour l'y aider.

La moyenne des prix en Europe est de 200 euros le mégawattheure ce jour, en France elle est de 70 et en Allemagne de 300.

M. Fabien Gay . - M. le président, je suis en désaccord avec vous. Vous défendez une vision politique, qui est contestable. Je ne souscris pas à des mots que vous avez employés, notamment quand vous comparez l'augmentation du prix de l'électricité au coût d'un paquet de cigarettes. Pour beaucoup de nos concitoyens, dix euros par mois sont considérables. Vous le savez, 12 millions de Français sont en précarité énergétique. Un certain nombre de nos concitoyens arrête le chauffage car ils n'ont plus les moyens de payer leur facture.

Depuis vingt ans, nous entendons que l'ouverture à la concurrence, la libéralisation, puis les privatisations d'entreprises publiques feront baisser les prix du marché. En réalité, dans le secteur de l'énergie comme dans d'autres, la facture augmente. Le prix du gaz a augmenté de 70 % ces dix dernières années ! Dans le même temps, Engie, une ex-entreprise publique, verse 27 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires.

Nous avions une entreprise publique, aux missions de service public, dont les profits bénéficiaient à la société. Ces bénéfices servent désormais des intérêts privés. Or, l'énergie est un bien commun de l'humanité, tout le monde devrait y avoir accès.

M. Jean-François Carenco . - Certains de nos concitoyens sont en précarité énergétique, et il existe une question de pouvoir d'achat. Je souhaite faire trois remarques : une grande part de vos inquiétudes relève du pouvoir politique, pas de la CRE. Mon analyse est que cela ne profite pas aux entreprises privées. Sur le secteur énergétique, ces entreprises ne gagnent pas d'argent. Ce sont plutôt l'État et les entreprises publiques qui sont gagnants. Enfin, lorsqu'une problématique se pose, la réponse est toujours de proposer une baisse des taxes. Je n'y souscris pas, mais cela ne relève pas de la CRE.

M. Martial Bourquin . - Plus le prix augmente, plus les taxes augmentent !

M. Jean-François Carenco . - Sur le même principe que la TVA !

Mme Angèle Préville . - J'ai travaillé sur le stockage électricité dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : vous avez dit que la concurrence nous permet d'être plus agiles. Je comprends que faire entrer la production d'énergies renouvelables dans notre mix énergétique est en réalité facilité par l'interconnexion que nous avons au sein du système européen. C `est donc l'ouverture au marché qui a permis cette flexibilité ?

M. Christophe Leininger . - Vous avez fait un bon diagnostic de la situation. Ce sont les opérateurs plus récents sur le marché - ils sont 70 aujourd'hui - qui apportent de nouveaux moyens de flexibilité. Dans un contexte concurrentiel, dès lors qu'ils ne peuvent pas se démarquer sur le prix, ils tentent de se démarquer sur le service.

M. Jean-Pierre Vial . - Nous allons visiter Trimet avec Mme la rapporteure la semaine prochaine, au cours d'un déplacement qui sera consacré aux questions d'efficacité et de flexibilité.

Vous avez pris vos fonctions à la CRE quand celle-ci allait commencer à déterminer les règles des appels d'offres. La définition de ces règles a ensuite été transférée au niveau du ministère.

La redevance capacitaire rapporte plus d'un milliard d'euros : les industriels électro-intensifs payent la redevance capacitaire !

M. Christophe Leininger . - Mais ils ont l'interruptibilité.

M. Jean-Pierre Vial . - L'interruptibilité ne concerne qu'une petite dizaine d'entre eux ! Les électro-intensifs dont je parle ne bénéficient pas de l'interruptibilité, alors qu'ils souhaitent participer à la flexibilité.

À la sortie de l'hiver 2016-2017, le ministre de l'Industrie est venu remercier les industriels qui se sont effacés durant l'hiver. Mme Brune Poirson était en Savoie au début de l'année 2017 : elle se trouve devant les industriels qui ont « effacé » leur consommation la veille. Ce même jour, la France active les centrales au charbon et les industriels qui ne demanderaient qu'à pouvoir effacer leur consommation n'y sont pas autorisés !

Nous n'avons cessé de régresser depuis 5 ans sur ce sujet, nous réduisons les volumes d'effacement alors que les industriels ne demandent qu'à pouvoir faire de l'effacement.

M. Jean-François Carenco . - Je crois beaucoup à l'effacement. RTE vient de relancer l'appel d'offres, il faut que les industriels s'en servent davantage car cela fait partie globalement des moyens d'équilibre du système et des flexibilités.

M. Jean-Pierre Vial . - Mais il faut rémunérer les industriels !

M. Christophe Leininger . - Le Gouvernement a aussi à l'esprit qu'une partie de ces effacements n'en sont pas vraiment : les diésel démarrent à l'automne ...

M. Jean-Pierre Vial . - C'est un discours pour tuer l'effacement des industriels !

M. Christophe Leininger . - Ce n'est pas un discours, c'est un fait. Mais pourquoi pas ... Auparavant, les entreprises n'arrêtaient pas leur process, mais démarraient un groupe électrogène. C'était une autre source d'alimentation qu'ils avaient payée eux-mêmes.

La puissance publique considère qu'aujourd'hui, le développement des effacements ne saurait consister à remplacer un effacement par l'énergie d'un moteur diésel. C'est la raison pour laquelle l'effacement ne prospère pas.

M. Franck Menonville , président. - Nous devons conclure.

Mme Valérie Létard . - Nous vous remercions pour la qualité de vos explications. Quelles préconisations feriez-vous pour accompagner et consolider l'avenir des acteurs sidérurgiques et les inciter à rester en France et en Europe ?

M. Jean-François Carenco . - Il est « minuit moins le quart » pour sauver notre industrie. D'abord un pays qui ne crée pas de valeur est un pays mort. Je pense qu'il pourrait être utile d'avoir une TVA spécifique sur les électro- intensifs : cela relève d'une décision européenne, mais peut partir d'une initiative parlementaire.

Deuxièmement, je pense qu'il faut engager une discussion avec EDF sur les contrats à long terme. EDF doit être un acteur majeur du contrat à long terme pour un certain nombre d'industriels qui créent de la valeur.

H. AUDITION COMMUNE SUR LA FILIÈRE AVAL AUTOUR DE M. MARC MORTUREUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA PLATEFORME AUTOMOBILE (PFA), D'UN REPRÉSENTANT DE LA FÉDÉRATION DES INDUSTRIES FERROVIAIRES (FIF) ET DE MM. FRANCK PERRAUD, PRÉSIDENT DE L'UNION DES MÉTALLIERS DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DU BÂTIMENT (FFB), ET FRÉDÉRIC PETIT, DIRECTEUR BUSINESS DEVELOPMENT WIND POWER DE SIEMENS GAMESA RENEWABLE ENERGY SAS (22 MAI 2019)

M. Franck Menonville , président . - Mes chers collègues, cet après-midi se tient la première table ronde de notre mission d'information, dédiée aux filières situées en aval de la sidérurgie. À cette occasion, nous accueillons M. Franck Perraud, président de l'Union des métalliers de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), accompagné de M. Benoît Vanstavel, Directeur des relations institutionnelles ; M. Frédéric Petit, Directeur Business Development Wind Power de Siemens Gamesa Renewable Energy SAS ; M. Jérôme Duchange, Conseiller Industriel de la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF).

L'objectif de cette table ronde est de donner la parole aux principaux consommateurs d'acier. En effet, la sidérurgie se trouve à la base de toute une industrie aval, qui rassemble aussi bien la construction, les transports, les machines, l'automobile, que de nouveaux usages particulièrement utiles à la transition écologique comme l'éolien.

Je laisse maintenant la parole à la Rapporteure de la mission, Mme Valérie Létard, qui va vous poser quelques questions.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Se pencher sur l'avenir de la sidérurgie, c'est aussi se pencher sur l'évolution des usages de l'acier. En France, l'acier est au fondement de nombreuses chaînes de valeur, de nombreuses industries de poids dans notre économie.

Selon les chiffres de Worldsteel, ce sont près de 25 millions de tonnes d'acier qui seraient consommées chaque année en France. Toutefois, sur ces 25 millions de tonnes consommées, plus de 15 millions de tonnes d'acier ont été importées depuis l'étranger en 2017 : la France importe donc presque autant d'acier qu'elle en produit sur son territoire.

Ma première question vise donc à faire le point sur les besoins en acier de l'industrie française : vos secteurs respectifs réussissent-ils à trouver en France l'approvisionnement en acier dont ils ont besoin ? Sinon, comment les sidérurgistes français pourraient-ils selon vous mieux y répondre ?

Ensuite, nous avons entendu lors de nos nombreuses auditions que les besoins et les usages de l'acier évoluent très rapidement. 40 % des nuances d'acier produites aujourd'hui n'existaient pas il y a 40 ans. Comment anticipez-vous l'évolution de vos besoins en acier dans les prochaines décennies ? Quelles innovations seront nécessaires et comment adapter les produits sidérurgiques en conséquence ?

Nous souhaitions également vous interroger sur l'impact des tensions commerciales actuelles sur votre approvisionnement. Les mesures de sauvegarde provisoires instaurées par l'Union européenne en réponse aux droits de douanes américains ont-elles rendu plus difficile votre accès à l'acier ? Quelle est votre position vis-à-vis de la politique de défense commerciale européenne ?

Enfin, existe-t-il des instances de dialogue entre vos secteurs respectifs et la filière sidérurgique, afin d'échanger autour de ces questions d'approvisionnement en acier ? Travaillez-vous ensemble sur ces perspectives d'avenir ?

Messieurs, je vous cède sans plus tarder la parole pour un propos liminaire d'une dizaine à une quinzaine de minutes chacun, puis mes collègues vous poseront une série de questions.

M. Jérôme Duchange, Conseiller Industriel de la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF) . - Actuellement conseiller industriel à la Fédération des industries ferroviaires, j'ai pendant 7 ans dirigé la société Valdunes, qui fabrique des roues et essieux ferroviaires. Elle est donc un consommateur d'acier important. Elle faisait partie du groupe Ascométal, il y a de nombreuses années.

Permettez-moi de vous présenter la Fédération des industries ferroviaires. Elle est présidée par M. Louis Nègre, l'un de vos anciens collègues. Le délégué général est M. Jean-Pierre Audoux qui n'a pas pu être présent aujourd'hui. La Fédération des industries ferroviaires regroupe environ 300 entreprises en France. Le ferroviaire représente 4 milliards d'euros de chiffres d'affaires en France. C'est un secteur qui est à la fois important et stratégique, mais en même temps qui n'est pas un poids lourd économique par rapport à d'autres secteurs comme l'aéronautique, l'automobile. Il faut en être conscient. Le nombre d'emplois est cependant conséquent.

Les opérateurs - SNCF, RATP... - ne font pas partie de la Fédération, qui a un caractère industriel. Les membres sont les constructeurs - Alstom, Bombardier, Siemens - les équipementiers, tous les fournisseurs et sous-traitants de la filière. Il y a également des clusters régionaux qui regroupent un certain nombre d'adhérents - environ le même nombre - dans les Hauts-de-France l'AIF, Mécateam, Neopolia et autres. Le ferroviaire est très largement concentré dans les Hauts-de-France. Les chiffres varient, mais on estime entre 40 % et 50 % la part de l'activité ferroviaire réalisée dans cette région. Ce n'est pas un hasard. Le ferroviaire s'est installé dans les zones sidérurgiques.

Beaucoup d'entreprises dans le domaine ferroviaire sont de très petites entreprises et plutôt des TPE et des PME. Nous manquons d'ETI. C'est un constat général en France, par rapport à l'Allemagne notamment. Au final, il y a quelques grands groupes et un faisceau de très petites entreprises.

L'acier joue un rôle assez crucial dans le ferroviaire. Les principales applications sont les suivantes : le rail est probablement le premier consommateur d'acier. La roue et les essieux sont d'autres consommateurs importants pour les aciers spéciaux, et les aciers dits « longs ». Enfin, les caisses des voitures et des wagons utilisent l'acier, tout comme un nombre important de composants : moteurs, roulement à billes, boîte de roulement... De très nombreuses pièces en acier sont présentes dans le ferroviaire.

Notre particularité est le haut degré de besoins techniques de qualité et de sécurité. Cela amène à dire qu'aujourd'hui en France, nous avons un vrai problème de source pour les aciers spéciaux. L'actualité fait que l'on parle de British Steel et d'Ascoval : pour le rail, British Steel coule son acier en Angleterre, puis l'envoie à Hayange où il est laminé pour produire les rails. British Steel vient se déclarer en cessation de paiements en Angleterre. Ascoval était l'une des parties d'Ascométal capable de fabriquer ces aciers spéciaux. Au-delà de l'aspect médiatique et de ressources humaines pour les 280 personnes qui y travaillent, il y a une dimension stratégique : être capable de produire ces aciers spéciaux. Aujourd'hui, environ 350 000 tonnes de rails sont fabriqués en Angleterre, soit 1 400 tonnes par jour, qui transitent par le tunnel sous la Manche pour être laminées à Hayange. British Steel essaye de maintenir ses engagements et de reprendre la partie française en dépit de ses difficultés anglaises. C'est un sujet complexe, qui illustre les difficultés de la filière en France.

Mon deuxième focus concerne Valdunes. Pour les roues et les essieux, Valdunes fournissait Ascométal. Valdunes était à l'origine Creusot Loire puis Usinor, à l'époque où la sidérurgie allait jusqu'à la partie aval et produisait les produits finaux : roues, essieux, rails. Valdunes a été séparée de l'entité-mère, mais est restée très proche d'Ascométal : l'un de ses deux sites industriels est à Dunkerque dans l'usine des Dunes d'Ascométal, l'autre à Valenciennes - Trith-Saint-Léger. La déconfiture d'Ascométal a été un choc important pour la société. Il y a une dépendance réelle. Le repreneur d'Ascométal - le groupe Schmolz + Bickenbach - qui a repris les autres sites d'Ascométal hors Ascoval, ne souhaite pas continuer à produire de l'acier pour le ferroviaire, sauf pour une partie essieux. Aujourd'hui, une société comme Valdunes consomme 50 000 tonnes par an d'aciers très spéciaux et est obligée de s'approvisionner dans d'autres pays européens et en Chine. C'est dommageable économiquement pour la vision européenne. D'autre part, nous avons perdu l'avantage concurrentiel d'une sidérurgie française autrefois puissante avec un très haut niveau de qualité et un retour d'expérience.

Il n'y a pas aujourd'hui de problème de source, même pour les aciers spéciaux. En revanche, il n'existe que seulement une dizaine ou quinzaine d'aciéristes au monde capables de produire les aciers ayant les qualités nécessaires. Certains sont localisés dans des pays asiatiques ou en Russie : ce ne sont pas forcément des marchés ouverts et qui échangent régulièrement avec nos industries. Ce sont également des pays qui ont tendance à ne pas exporter lorsque leur marché intérieur se porte bien, et au contraire exportent à n'importe quel prix lorsque leur marché intérieur ralentit. C'est une difficulté de sourcing . Enfin, dans le secteur ferroviaire, peut-être plus que dans d'autres, on rencontre des qualifications et des normes très rigoureuses. Pour qualifier une nouvelle source d'acier, pour vendre des roues ou des rails, il faut un délai entre un et deux ans. Cela n'est pas neutre sur un certain nombre de produits stratégiques, lorsqu'il faut changer de source.

M. Franck Perraud, président de l'Union des métalliers de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) . - Je représente la Fédération française du bâtiment, soit 50 000 entreprises, dont 35 000 de taille artisanale, totalisant environ les deux tiers des 126 milliards d'euros de chiffres d'affaires du bâtiment et les deux tiers de l'effectif - celui-ci est en baisse et atteint désormais 1,1 million de personnes.

Les besoins des entreprises sont liés de très près au nombre de logements et de bâtiments en construction. Dans notre dernière étude de prospective, nous constatons une amorce de baisse du nombre de logements commencée en 2019 et qui va se poursuivre. Pour le « hors logement », c'est-à-dire les bâtiments industriels, nous sommes encore sur une bonne tendance, notamment grâce aux entrepôts. Toutefois, on anticipe une baisse en 2020. Enfin, il y a une partie dédiée à la rénovation et entretien, qui pèse très lourd dans notre secteur avec 55 % de celui-ci. Compte-tenu des allers-retours en matière d'incitations fiscales pour le développement durable, il y a beaucoup d'hésitations aujourd'hui. Ce relais traditionnel de croissance de 1,2 % environ est limité aujourd'hui à 0,3 ou 0,4 %. La consommation d'acier est en grande partie facteur du volume de bâtiments que l'on peut réaliser.

Selon A3M (l'Alliance des minerais, minéraux et métaux), la construction représente 43 % de la consommation des métaux en France, contre 51 % dans le monde. Je reviendrai sur cet écart. Sur ces 43 %, le plus fort contingent, et de loin, est constitué de 2 millions de tonnes de produits à béton - les fers à béton notamment. 600 000 tonnes d'acier sont consommées pour les poutrelles et par la filière charpente métallique et acier, 400 000 tonnes par les produis laminés et les profilés à froid, 600 000 tonnes par l'enveloppe métallique - couverture, bardage - 400 000 tonnes par les produits plats, et 300 000 tonnes par les tubes. Ainsi, la vision habituelle de l'acier dans le bâtiment ne correspond pas à la réalité : 60 % de la consommation de l'acier est liée au béton.

L'écart de consommation de l'acier en France par rapport au reste du monde s'explique par le fait que la construction métallique, en tant que telle, n'est pas intégrée à la culture française qui demeure très liée au béton et au bois. Énormément d'ouvrages pour lequel l'acier serait le matériau le plus approprié par ses vertus de portée, de légèreté sont construits avec d'autres matériaux, comme les gares et aéroports où le béton est encore utilisé. Cela contraste avec ce qui peut se faire dans le monde. Cela peut aussi être dû à une image, à une filière, que nous n'avons pas su défendre, notamment en lien avec le développement durable, la mixité d'usage. On parle beaucoup de l'évolution des bâtiments comme les immeubles de bureaux qui deviennent des logements par exemple. Souvent, nos politiques, nos maires, ou présidents de communautés de communes ne connaissent pas toutes les qualités de l'acier. Des actions sont actuellement menées pour faire connaître toutes les possibilités offertes par l'acier. Le marché est ainsi très lié au nombre de logements. On pourrait gagner quelques parts de marché en mettant mieux en avant la filière.

Nous ne travaillons pas directement avec les aciéristes, mais avec des distributeurs lesquels sont désormais des filiales de sidérurgistes : ArcelorMittal Distribution, Duferco pour les Italiens. Ce sont souvent de petites PME locales qui distribuent l'acier.

Nous ne rencontrons pas de problèmes majeurs d'approvisionnement et même s'il arrive que certaines années, l'on puisse manquer de certains produits, ce n'est pas un sujet majeur.

En revanche, la volatilité des prix nous pose des problèmes importants. Nous en souffrons énormément à tous les niveaux. Dans le bâtiment, nous nous engageons sur des appels d'offres publics ou privés sur une durée de dix-huit mois. Or, contrairement à l'industrie, nous n'avons que très rarement la possibilité de révision des prix des contrats. C'est un frein que nous pouvons avoir sur certains projets notamment ceux envisagés trois ans auparavant. Nous assistons à des aberrations, lorsque l'acier représente une part importante dans le prix de vente.

La presse d'hier faisait référence à des pénuries au Brésil et en Australie. Le prix de la ferraille est actuellement très élevé. Personne n'est capable de nous dire combien nous allons payer l'acier dans un mois ou un mois et demi. Nous sommes très liés à un marché mondial. C'est un vrai problème de rentabilité pour nos entreprises. Nous sommes incapables de savoir combien nous allons acheter notre acier sept ou huit mois plus tard. Or, nous n'avons pas la possibilité de le stocker. Il faut avoir fait l'étude de construction, avant de commander tel ou tel type de poutrelle ou d'acier.

Pour le moment, l'acier consommé dans la construction utilise des nuances de très bas de gamme. Les aciéristes essayent de nous pousser vers des aciers aux performances plus élevées, ce qui est une bonne chose. Mais, le marché n'est pas mûr. Il faut revoir toute la filière, afin qu'elle travaille et se forme pour l'utilisation d'acier à plus haute performance et moins consommateur. On sait que l'on va y arriver, mais pour le moment, ce n'est pas un sujet à court terme, mais à cinq ou dix ans, et, d'ici là, la filière continue à acheter des produits courants.

Une deuxième évolution est le renforcement du besoin de traçabilité exacte de notre acier. Si sur les poutrelles, il existe des marquages CE et des obligations de traçabilité de l'acier, qui permettent d'identifier la provenance - d'ailleurs, les sidérurgistes facturent cette information -, sur les produits courants - des plats, des tôles -, en revanche, nous avons encore du mal à identifier la provenance du bain dans lequel l'acier a été fabriqué. Il y a encore un effort à faire.

Nous n'avons pas beaucoup de relations avec les fournisseurs. Nous avons mis en place l'association « ConstruirAcier », avec les sidérurgistes, les producteurs, les distributeurs, afin de faire la promotion de l'acier. Toutefois, les moyens ne sont pas conséquents. Enfin, la FFB a mis en place une cellule de veille avec la Fédération Française de l'Acier, les distributeurs de matériaux, où l'on essaye de prévoir une tendance à un, deux, trois et six mois des évolutions du marché. Cela fonctionne bien à l'horizon de un mois, mais au-delà, c'est beaucoup plus difficile.

M. Frédéric Petit, Directeur Business Development Wind Power de Siemens Gamesa Renewable Energy SAS . - J'interviens aujourd'hui au nom de la société Siemens Gamesa. Toutefois, dans mon propos, j'essayerai de vous apporter des éclairages sur l'ensemble de la filière éolienne. Siemens Gamesa résulte de la fusion en avril 2017 de la division Wind Power de Siemens avec Gamesa, afin de créer le leader de la conception, de la fabrication et de la maintenance d'éoliennes terrestres et maritimes. Le groupe emploie 23 000 personnes dans le monde, dans 43 pays. Le siège est en Espagne. Le chiffre d'affaires est de 9 milliards d'euros. La base installée d'éoliennes est supérieure à 90 000 mégawatts.

Pour la France, nous avons installé 1 600 mégawatts sur tout le territoire où le vent peut être utilisé comme source d'énergie, avec une vingtaine de bases de maintenance. Pour l'éolien maritime, nous sommes sélectionnés sur cinq projets : Saint-Brieuc avec la société Ailes marines, les projets de Dieppe, le Tréport et de Noirmoutier dont l'un des actionnaires est ENGIE. Depuis peu, nous sommes retenus pour deux projets par Éolien maritime France et WPD.

Par ailleurs, pour l'éolien maritime flottant, nous avons un projet innovant avec EDF Renouvelables, au large de Fos-sur-mer, dans le cadre des démonstrateurs flottants mis en place par l'ADEME. Nous sommes en train de développer un projet industriel ambitieux au Havre, pour améliorer les cinq projets maritimes que nous avons dans notre portefeuille, qui va générer 750 emplois.

Nous sommes membres de deux associations en France : France Énergie Éolienne, et le Syndicat des énergies renouvelables.

Le marché de l'éolien est plus récent que le ferroviaire, mais il est dynamique avec une croissance annuelle de 5 % dans le monde, tandis que celle de l'éolien maritime est supérieure à 10 %, même si ce marché est plus petit. Le marché mondial de l'énergie éolienne  représente environ 50 gigawatts dont 4 gigawatts proviennent de l'éolien maritime.

Ce qui nous intéresse en tant que turbinier, c'est l'acier plat. Le groupe achète 800 000 tonnes d'acier plat au niveau mondial, dont un quart pour les parcs européens. Nous avons conclu un accord-cadre avec ArcelorMittal qui nous fournit 60 % des aciers dont nous avons besoin en Europe, depuis son usine espagnole à Gijón. Pour les 40 % restants, l'acier peut provenir de Russie ou d'autres pays. Globalement, nous ne nous fournissons pas ou très peu en France.

L'acier, et principalement l'acier plat, représente entre 50 et 90 % de la matière d'une éolienne. On retrouve de l'acier sous des formes diverses dans la génératrice, le transformateur, le roulement comme pour le ferroviaire. Le gros du volume reste de l'acier plat pour les tours, que l'on appelle aussi les mâts.

Une tour d'une éolienne terrestre typique en France, produisant de l'ordre de 2,5 mégawatts, pèse 180 tonnes pour une hauteur de 90 mètres. Pour une éolienne off-shore, dont la production électrique est de l'ordre de 8 mégawatts, le poids avoisine 800 tonnes. Sur l'éolien terrestre, les besoins complémentaires sont surtout du béton pour les fondations, tandis que pour l'éolien maritime, ils concernent l'acier. Il existe deux types de fondation pour les éoliennes maritimes : le monopieu ou la « jacket ». Cette dernière ressemble à un treillis, un peu comme la Tour Eiffel. Un monopieu pèse environ 900 tonnes et utilise principalement de l'acier plat, roulé et soudé. Au niveau européen, 400 éoliennes maritimes sont installées, pour une production de 3 000 mégawatts. 66% des éoliennes en mer ont été installées sur base de monopieu, et 33% avec de la « jacket ». Les pieds sont en acier plat et le treillis est un tube en acier sans soudure. Une jacket pèse environ 1 200 tonnes. Sur ces fondations, on trouve des acteurs comme Naventia, Dillinger, Smeulders, EEW. Vous trouverez tous ces noms dans le rapport de WindEurope.

Il faut ajouter, dans l'éolien maritime, une petite pièce jaune, appelée pièce de transition, entre la fondation et l'éolienne, qui pèse environ une centaine de tonnes. Pour finir, nous avons une plateforme de raccordement en mer. Les chantiers de l'Atlantique ont fourni au moins trois parcs. L'acier plat de type quarto est utilisé pour le raidissement de la structure. Des tubes sont présents pour la reprise des charges et des épaisseurs fines pour les cloisons. De manière générale, les turbiniers font appel à de grands groupes pour nous fournir de l'acier. La transformation de celui-ci est réalisée par des ETI pour finir de le rouler, le souder, installer les monte-charges dans les éoliennes...

En termes de qualité d'acier, l'évolution est faible. Elle est liée à une croissance des besoins en termes de volume et de tonnage. L'éolien en exige des épaisseurs toujours plus grandes, de l'acier toujours plus résistant.

Enfin, en tant que turbinier, il est important de proposer une énergie éolienne toujours plus compétitive, en termes de prix de l'énergie. L'éolien terrestre a démontré sa compétitivité. Le dernier appel d'offres pour l'éolien terrestre a été attribué à un niveau de prix avoisinant les 65 euros du mégawattheure. L'éolien maritime est une source d'énergie qui a démontré sa compétitivité partout en Europe. J'en veux pour preuve le dernier appel d'offres attribué au Pays-Bas sans aucun soutien public, pour un parc de 700 mégawatts. Nous sommes convaincus que l'appel d'offres de Dunkerque, en cours d'instruction par la Commission de régulation de l'électricité (CRE), et qui devrait être attribué par le ministre, démontrera la compétitivité de cette énergie.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le calendrier est-il connu ?

M. Frédéric Petit . - Nous espérons qu'en juin le ministre sera en mesure d'attribuer le parc. Nous sommes convaincus que cet appel d'offres va démontrer la compétitivité de l'éolien en mer. Nous allons pouvoir allier compétitivité et création d'un nouvel outil industriel en France. Pour nous, la France métropolitaine, qui bénéficie du deuxième gisement européen, dispose de tous les atours pour bénéficier d'une énergie compétitive, créatrice d'emploi en France avec des coûts de démantèlements maîtrisés et maîtrisables. Enfin, la compétitivité bénéficie également au consommateur. L'éolien permet un mix énergétique dans lequel l'électricité est peu onéreux pour le consommateur.

M. Marc Laménie . - Nous sommes au coeur de l'activité économique, de l'emploi et des entreprises. M. Duchange a rappelé que les 50 000 entreprises de la filière dont une majorité des petites entreprises. Nous sommes tous concernés dans nos départements.

Je m'intéresse beaucoup au ferroviaire. Lorsque l'on construit une ligne TGV, ou que l'on refait des rails sur une ligne de moindre importance, l'interlocuteur est SNCF Réseau. Cela demande une grande organisation. Vous avez cité la présence de 300 entreprises dans le secteur ferroviaire.

M. Jérôme Duchange . - Je me suis mal exprimé : nous avons 300 adhérents à la fédération. Il y a 1300 entreprises qui travaillent dans le ferroviaire. Certaines entreprises sont multi-activités.

M. Marc Laménie . - Ma question concerne le nombre d'emplois que cela représente et la pérennité de ceux-ci. Je me doute que la concurrence hors France est importante. Les constructeurs de voitures et locomotives ont des partenariats avec les régions, l'État et les collectivités de manière générale. Quel devenir pour ces emplois ? La sous-traitance, importante dans ce secteur, ne doit pas être oubliée. Ainsi, dans les Ardennes, certaines petites entreprises font de la sous-traitance pour de grands groupes ferroviaires. Enfin, nous sommes tributaires des financements et des donneurs d'ordre que sont SNCF Réseau, le groupe SNCF et d'autres futurs acteurs, avec l'ouverture de la concurrence.

Mme Angèle Préville . - Vous nous savez signalé qu'il n'y avait pas ou très peu d'acier acheté en France. Je sais que la production d'énergie est dédiée au privé. N'y a-t-il pas quelque chose de paradoxal d'installer des éoliennes en France pour la fabrication desquelles pas ou très peu d'acier est acheté dans notre pays ?

M. Jean-Claude Tissot . - En matière de traçabilité des aciers, vous avez indiqué, avoir de la peine à trouver un acier « tracé » dans le secteur du bâtiment. Est-ce dû à l'absence d'offre, ou parce que ce marché ne garantit pas la traçabilité dans sa fourniture de matériau ?

Je me pose la même question pour l'éolien. Lorsque l'on voit ces grands mâts, on n'imagine pas la partie enfouie qui est nécessaire. Le tonnage des fers à béton enfoui doit représenter un poids considérable. Disposez-vous d'une traçabilité vous permettant d'être sûr que l'acier est solide et que l'éolienne ne risque pas de tomber ?

Par ailleurs, êtes-vous capable de nous dire que l'acier acheté est français, que l'éolienne est fabriquée en circuit court ? Nous essayons, en tant que parlementaires français, d'imaginer la sidérurgie pour les années à venir. Nous nous bagarrons pour vous permettre d'installer des éoliennes. Mais si vous faites venir l'acier du bout du monde, cela va être moins intéressant pour l'économie française.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - M. Petit, vous avez expliqué qu'Arcelor fournit 60 % de l'acier dont vous avez besoin depuis son usine espagnole pour des marchés qui sont réalisés en France. Pourquoi ne pas choisir des aciers français ? Est-ce par ce que l'on ne trouve pas sur les marchés français des aciers d'une qualité équivalente ? Qu'est-ce qui motive ce choix ? Cela nous intéresse de comprendre la logique.

Vous avez évoqué la question des assemblages réalisées par des ETI. Quelles sont ces ETI ? Où sont-elles situées ? Ce point est important en matière d'impact sur l'emploi que peut avoir le lancement de marchés publics visant l'installation de parcs éoliens.

Vous avez indiqué qu'il y a un manque de visibilité des prix de l'acier. En revanche, vous n'avez pas évoqué la question des tensions commerciales et leur éventuel impact sur les prix de vente. Ces tensions vous impactent-elles ?

On pourrait imaginer que l'ensemble des secteurs ayant recours à l'acier réunis et organisés au sein d'une même association ou groupe pèse d'un poids particulier, et dispose du poids nécessaire pour négocier, d'où ma question sur l'une organisation particulière de la filière.

Enfin, vous avez évoqué l'augmentation du prix de la ferraille et le fait que les aciéristes produisaient vers des aciers plus performants. Cette montée en gamme n'induit-elle pas de réorganiser la filière ? Des certifications pourraient-elles être un rempart à ce manque de visibilité sur la traçabilité d'un certain nombre d'aciers ? Ce rempart pourrait être vertueux, car il permet de renforcer la qualité et prend en compte les enjeux environnementaux.

M. Frédéric Petit . - L'association France Énergie Éolienne compte plus de 300 adhérents. L'éolien représente plus de 17 000 emplois. Le nombre augmente année après année. Ce marché est créateur d'emplois en France depuis plusieurs années et va le rester.

Pourquoi n'achetons-nous pas nos aciers en France ? Le marché français éolien français est de 1 700 mégawatts sur un marché mondial de 50 gigawatts. Il représente donc un peu plus de 3 %. Nous sommes sur un marché mondial. Nous cherchons à avoir l'acier avec le niveau de qualité requis, compétitif auprès d'un fournisseur qui dispose des capacités industrielles pour continuer à accompagner la croissance de ce marché. Nous serions tout à fait d'accord pour nous fournir en France, si l'on y trouvait un aciériste répondant à ces trois critères. ArcelorMittal s'est posé la même question. Aujourd'hui, force est de constater que nous achetons peu sur le marché français. Nous négocions au niveau européen pour les 200 000 tonnes dont nous avons besoin sur le continent mais non marché par marché.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les qualités d'acier ? Nous avons en France des unités de production qui pourrait s'adapter utilement.

M. Frédéric Petit . - Les appels d'offres en France sont attribués sur le critère du prix de l'énergie. Aujourd'hui, les turbiniers, dont 5 des 10 turbiniers mondiaux sont européens, sont en concurrence. Nous veillons toujours à proposer à nos clients un coût de l'énergie qui représente l'investissement et le coût de fonctionnement de l'éolien. Si le prix de l'acier augmente, cela va automatiquement provoquer une hausse du prix de l'éolien terrestre, car l'acier représente entre 50 et 90 % du coût d'une éolienne. Or l'éolien terrestre - et maritime - a besoin d'être compétitif. Nous sommes tous convaincus autour de la table de la nécessité d'aller vers des ressources renouvelables et décarbonées pour la production de l'énergie.

Je vous transmettrai le rapport de l'ADEME qui évoque notamment le sujet des fondations des éoliennes. Si ma mémoire est bonne, il n'y a pas de loi physique corrélant la taille de l'éolienne, les mégawatts produits et les fondations. Ce rapport aborde également la question du recyclage.

Nous achetons sur le marché français pour un peu plus de 70 millions d'euros d'acier provenant majoritairement d'ETI ou de petites sociétés, compétitives et innovantes. Par exemple, en matière d'éolien en mer, nous avions il y a quelques années référencé la société EMYN en Vendée pour nos nouvelles éoliennes de 6 mégawatts. Nous n'avons pas un seul fournisseur, mais toujours plusieurs, pour assurer un approvisionnement diversifié de nos usines.

Mme Valérie Létard . - Vous avez évoqué 70 millions d'euros d'achats d'acier. Qu'est-ce que cela représente comme pourcentage ? Avez-vous recours à d'autres ETI hors de France lorsque vous ne trouvez pas d'opérateurs en France ? La filière éolienne en France a-t-elle encore besoin de se renforcer ?

M. Frédéric Petit . - Je n'ai pas le chiffre en tête concernant ce pourcentage, mais on vous transmettra la décomposition. Nous sommes toujours à l'écoute des entreprises et nous organisons plusieurs fois par an des rencontres d'affaires. Nous allons dans les territoires pour rencontrer les sociétés, afin de leur faire part de nos besoins, avec la même démarche de référencement. Nous ne pouvons pas faire de compromis sur la qualité. Nous avons besoin de trouver des sociétés compétitives, et avec une capacité industrielle capable d'accompagner la croissance du secteur. Avec notre site industriel au Havre, nous sommes encore plus impliqués dans cette démarche. En matière d'éolien flottant, nous avons participé à une rencontre à Montpellier. Nous prospectons pour identifier les entreprises les plus performantes.

M. Jérôme Duchange . - Nous n'avons pas de statistiques exactes sur la consommation d'acier pour le ferroviaire. Une estimation rapide serait de 400 000 tonnes, ce qui fait à peu près 2 % du marché sidérurgique en France. Cela reste marginal par rapport aux grands volumes nécessaires pour d'autres secteurs d'activité.

En revanche, nous avons besoin d'aciers très spéciaux. Si une roue d'un train produite il y a vingt ans casse aujourd'hui, on doit pouvoir indiquer la manière dont elle a été produite, sur quelle machine, avec quelle température, de quelle coulée vient l'acier ou avec quelle ferraille elle a été faite. Il y a un besoin de traçabilité complète et totale dans tous les produits pour des motifs liés à la sécurité.

Le ferroviaire en France représente environ 30 000 emplois. C'est un secteur de taille intermédiaire. Au fur et à mesure des années, les emplois ont tendance à s'éroder et leur pérennité va dépendre de plusieurs facteurs. Une menace évidente est liée à la concurrence des entreprises chinoises dont la taille n'est pas comparable avec celle des entreprises européennes. La plus grande entreprise - CRRC ( China Railway Rolling Stock Corporation ) - représente la taille combinée de la SNCF, de Siemens, la RATP et la Deutsche Bahn et emploie 6 millions de personnes en Chine.

Le France reste la troisième puissance mondiale du secteur avec des champions français : Alstom, Bombardier, même Siemens peut être considérée comme partiellement français. Mais notre avancée technologique a tendance à se réduire compte-tenu des transferts de technologie vers la Chine, et des coûts de production très nettement inférieurs aux nôtres. Nous avons encore des cartes à jouer, grâce à l'avance technique et technologique, mais il faut continuer à se battre. La tendance est à développer l'ingénierie en France et à produire de plus en plus localement. La plupart des acteurs publics réclament des parts de production locale de plus en plus importantes. Aux États-Unis, le mégacontrat entre Alstom et Amtrack pour des trains à grande vitesse dont les roues seront produites avec de l'acier américain, impose que 40 % de l'acier soit américain. Les roues et les essieux vont être forgés en France avant d'être renvoyés aux Etats-Unis. Pour le contrat d'Alstom en Inde, une vingtaine de rames pilotes va être produite en France puis les 800 autres seront fabriquées en Inde.

Les modèles économiques sont en train de changer. Certaines actions de l'Europe commencent à prendre forme, mais elles sont assez timides par rapport à ce que l'on voit dans d'autres pays. Les appels d'offres ne sont pas harmonisées entre les différents pays européens.

Enfin, je pense que les industriels français sont très respectueux des normes et réglementations sociales, environnementales, de qualité. Pour avoir vu des industries équivalentes dans d'autres pays européens, la France est plus exigeante, y compris par rapport à l'Allemagne, qui a une réputation de rigueur absolue. De manière imagée, lorsque l'inspection du travail vous impose un chariot élévateur au-delà de deux marches d'échelle et que vous voyiez un salarié italien en train de repeindre la façade de son usine à 10 mètres de haut sur une simple échelle, vous vous dites que la concurrence ne peut être équitable.

Afin d'être pérenne, ce secteur, resté très traditionnel, doit se réinventer. La concurrence de la SNCF va remettre les cartes sur la table. Le marché fondamental du ferroviaire doit rester porteur, à cause de l'environnement, de l'augmentation de la population, avec une prévision de croissance mondiale de l'ordre de 2,7 % et de 2 % en Europe. En France, nous avons un relais de croissance important avec le Grand Paris et la rénovation du réseau ferroviaire. Le rail représente 50 % de la consommation d'acier du ferroviaire. Ces besoins devraient profiter à la sidérurgie française, ce qui n'est pas assuré.

Aujourd'hui, dans le monde, lorsque quelqu'un achète un train, il demande à ce qu'on lui prouve que la part de production locale atteint bien un certain pourcentage. Quand des trains sont livrés en France, on suppose qu'un train Alstom a été produit en France. Or, si on le démonte, on se rend compte que la réalité est différente. Il ne s'agit pas de critiquer Alstom mais de prendre en compte les faits tels qu'ils sont.

Il y a de vrais défis. L'échec de la fusion entre Siemens et Alstom a conduit à un affaiblissement de notre industrie. Il y a de vrais besoins de consolidation en Europe. Être capable de créer un vrai réseau d'ETI en France renforcerait le secteur. Les aciers spéciaux français constituent un atout et un avantage concurrentiel. Aujourd'hui, il y a moins de sources et moins de ressources pour investir.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Si le dossier Ascoval trouve une issue positive, aurez-vous besoin des produits de cette entreprise ?

M. Jérôme Duchange . - Tout à fait. Ce sont des aciers qui rentrent dans nos besoins, avec un bémol toutefois : le diamètre produit limite la taille et la forme des produits finis. En France, nous ne sommes pas capables de produire des produits de plus de 325 mm de diamètre. Pour le rail, ce n'est pas un problème. En revanche, c'en est un pour les roues et les essieux, à l'exception de la filière « lingots » de Fos-sur-mer, mais qui est d'une qualité moindre. Il existe en revanche des groupes comme BU, Moravia Steel, ou des groupes chinois capables de réaliser des ronds de diamètre 500 mm. Ascoval ne dépasse pas les 325 mm. Le problème est que pour chaque type de produit, chaque forme, des investissements de dizaines de millions d'euros seraient nécessaires.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pour conforter ce que vous dites, le projet d'Ascoval prévoit une diversification des débouchés, des formes et des diamètres. L'étude de marché a souligné que l'investissement serait faible car les travaux se situeraient directement à la sortie de la coulée, afin d'obtenir une offre beaucoup plus diversifiée. On espère que les derniers rebondissements concernant l'avenir de cette entreprise connaîtront une issue positive.

M. Jérôme Duchange . - Si Ascoval disparaît, il n'y aura virtuellement plus de fabricants d'aciers spéciaux en France.

M. Franck Perraud . - Je souhaite vous rassurer sur la traçabilité, que les sidérurgistes ont la capacité d'assurer. Cette préoccupation est nouvelle dans la filière du bâtiment. La traçabilité était exigée pour des grandes poutrelles, mais non pour des éléments plus petits. Les réseaux de distributeurs devront s'organiser pour la garantir. Ils reçoivent actuellement des wagons en provenance de différentes aciéries, stockent les produits chez eux, sans vraiment faire de colisage.

Pour tout ce qui est l'acier structurel, la traçabilité est possible. Son extension sur l'ensemble de la filière est une bonne chose mais nous conduit à nous transformer en utilisant, par exemple, des imprimantes permettant d'apposer des codes-barres à l'entrée. Il faut laisser le temps à la filière de s'organiser.

Cette traçabilité découle d'une réglementation européenne. En revanche, la France l'a surtransposée, sans même regarder si la filière était apte ou pas à le faire. Les ministres ne sont pas forcément au courant. Ces surtranspositions émanent parfois des Directions de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages.

À notre niveau, nous n'avons pas besoin d'acier de haute qualité ni de nombreux fournisseurs. Nos aciers viennent d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre. Il y a eu une répartition des produits de l'acier, à l'échelle européenne. Beaucoup de bardages viennent de France. Les poutrelles viennent de l'Europe de l'Est. Le fait d'avoir peu d'aciéries a conduit la filière à s'organiser. S'agissant de la production d'acier pour le bâtiment, la France n'est pas perdante, car elle a été choisie pour fabriquer des aciers à haute qualité. En termes d'emplois, la filière de la construction représente 75 000 emplois. Le poids de la filière est davantage dans la partie amont liée à la transformation que dans la consommation brute. On sait combien de personnes il faut pour produire une tonne d'acier. Le coefficient multiplicateur est de 10 ou 15 dans la transformation, pour fabriquer un escalier, un garde-corps.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Vous évoquiez la transition vers des aciers plus performants. L'idée d'une certification sur des aciers de haute qualité peut-elle aider ?

M. Franck Perraud . - Ces aciers sont déjà certifiés et il n'est pas nécessaire d'imposer des aciers surqualifiés. En revanche, on peut jouer sur le développement durable et le carbone. L'acier est l'un des seuls produits qui peut être recyclé à l'infini. Aujourd'hui, si disposait de suffisamment de ferraille, on n'aurait presque plus besoin de minerai. Si l'on veut mettre en avant l'aciérie française, il faut développer l'économie circulaire, qui a un bilan carbone satisfaisant.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ascoval recycle de la ferraille, contrairement aux hauts-fourneaux. Toutefois, une énorme partie de la ferraille produite en France n'est pas transformée dans notre pays. La filière acier française n'est-elle pas capable de recycler davantage les déchets d'acier et de la ferraille ? Le prix de la ferraille évolue fortement. Comment travailler avec les filières qui recyclent ?

M. Franck Perraud . - La filière du bâtiment est prête à récolter localement la ferraille pour produire l'acier, de manière à baisser l'empreinte carbone. Nous avons déjà des matériaux avec des bilans carbones très faibles. Il faut le mettre en avant dans les clauses de choix, plutôt que le prix. L'incertitude des variations de prix est grande. Nous saluons les mesures antidumping mises en place par l'Union européenne face à la Chine. Aujourd'hui, des quotas sont également en place. Pour le moment, ces mesures n'ont pas changé notre approvisionnement ni créé de pénurie. Le système de quotas permet d'avoir une certaine stabilité des prix, mais de court terme. Les mesures européennes prises en février et mars 2018 ont permis de freiner le déversement des stocks chinois en Europe. Elles ont commencé à produire leurs effets à partir d'octobre 2018.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Avez-vous en conclusion une préconisation à faire par rapport aux objectifs d'accompagnement de la filière en France et en Europe ?

M. Jérôme Duchange . - Pour le ferroviaire, il faut partir de la spécificité de la sidérurgie. C'est un domaine avec des investissements majeurs qui en France n'ont pas été toujours suffisants. Certains groupes ont acquis des entreprises par l'endettement. Or, la filière exige de très gros investissements et est très cyclique. Si vous achetez en bas de cycle et que vous empruntez en haut de cycle pour rembourser la dette ou faire une opération financière, cela porte préjudice à la viabilité de l'aciérie. C'est ce qui s'est passé pour Ascoval. La présence de l'État, à travers notamment Bpifrance, pour avoir une garantie sur les montages financiers, est importante.

Des gains compétitifs pour la filière sont possibles sur l'aspect réglementaire et normatif. En ce qui concerne les appels d'offres, la préférence locale, voire européenne est très faible, en comparaison avec la pratique dans d'autres pays. On est très loin du principe de réciprocité.

Enfin, en ce qui concerne les taxes appliquées aux aciers européens, seuls certains types d'acier sont concernés et les aciers spéciaux sont exemptés, y compris ceux provenant de Chine.

M. Frédéric Petit . - Je souhaite réaffirmer la compétitivité de la filière éolienne, non seulement française mais européenne. Il y a cinq constructeurs européens. Le sens de l'histoire au niveau mondial est la baisse du coût de l'énergie terrestre et maritime. Si on veut conserver des acteurs européens forts, il faut tout faire pour accompagner ce mouvement. En conséquence, il faut être très vigilant sur tout mécanisme qui pourrait faire augmenter le prix de l'énergie. Une augmentation du prix de l'acier se fera au détriment de l'ensemble de l'industrie européenne. Ériger des barrières à l'entrée peut fonctionner à court terme, mais avoir des conséquences négatives sur la durée. Aujourd'hui, des exigences environnementales fortes s'imposent à la sidérurgie européenne. Une piste pourrait être de mettre en place des exceptions pour ne pas pénaliser les technologies décarbonées de production d'énergie comme le solaire et l'éolien.

M. Franck Perraud . - La stabilité des prix est primordiale pour gagner des parts de marché. Je pense que les aciéristes peuvent le faire pour des marchés cadres dans d'autres secteurs d'activités. Nous devons également travailler ensemble pour donner une meilleure image à l'acier. Souvent, on ne se rend pas compte à quel point l'acier fait marcher l'économie circulaire, peut être vertueux. Les architectes sont favorables à l'utilisation de l'acier, mais doivent incorporer du bois dans leurs projets pour gagner les concours.

M. Jean-Claude Tissot . - L'acier recyclé suffirait-il à la construction ?

M. Franck Perraud . - Aujourd'hui, si on avait assez d'acier à recycler, on n'aurait pas besoin de produire de l'acier primaire.

Mme Valérie Létard , rapporteur . - Lors d'une audition précédente, on nous a expliqué que la moitié de la ferraille est recyclée en France. L'autre moitié part à l'étranger pour être recyclée, transformée, puis revient sur le marché intérieur. Il existe donc un double valoriser la ferraille en France. Même si son volume est suffisant pour alimenter les besoins nationaux et européens, il y a cependant besoin de garder un minimum de production d'acier nouveau : à force de recyclage, l'acier n'est pas de même qualité. Pour certains types de produits, il faut un acier pur ou avec des propriétés qui ne peuvent être obtenues que par les hauts fourneaux. Il est donc indispensable de garder une production d'acier direct.

M. Jérôme Duchange . - Sur la volatilité des prix, certains clients acceptent des clauses de variation du prix de l'acier. Mais les instruments de couverture ne fonctionnent pas. Cette volatilité a un impact sur l'ensemble de la filière. La situation est pire pour les sidérurgistes. Cet aspect cyclique fait que si la demande est faible, les usines sont sous-utilisées et les prix baissent. Quand il y a davantage d'activité, il y a un double effet positif. Il n'y a pas d'amortisseur.

M. Franck Perraud . - Pour l'aluminium, les progressions sont lissées. Avec l`acier, les variations atteignent plus ou moins 20 %.

M. Frédéric Petit . - L'éolien est une industrie plus jeune. Il y a donc moins de démantèlement pour l'instant, mais plus de 90 % de l'acier sera recyclable.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je vous remercie pour vos réponses. Il manquait pour cette table-ronde des grands utilisateurs de l'acier les représentants de la filière automobile, qui n'ont pas pu venir aujourd'hui mais auxquels nous ne manquerons pas de demander une contribution écrite.

I. AUDITION DE MME MARIE-PIERRE MESCAM, PRÉSIDENTE DE LA FILIÈRE MÉTAL DE LA FÉDÉRATION PROFESSIONNELLE DES ENTREPRISES DU RECYCLAGE (FEDEREC) (29 MAI 2019)

M. Franck Menonville , président . - Mme Marie-Pierre Mescam, que nous accueillons, préside la filière métal de la Federec, fédération professionnelle créée en 1945, qui regroupe l 100 entreprises, des multinationales aux PME, dont l'activité consiste principalement en la collecte, le tri et la valorisation matière de la ferraille.

Nous souhaitons connaître cette filière, ses potentialités, ses marges de développement et de valorisation, qui sont intimement liées à la filière métallurgique électro-intensive. De ce point de vue, les enjeux climatiques sont majeurs. Nous souhaitons également connaître la structuration de cette organisation professionnelle.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pouvez-vous nous présenter brièvement la Federec et ses relations avec les entreprises sidérurgiques et ses homologues des pays membres de l'Union européenne, afin de savoir si le recyclage de l'acier est pensé à l'échelle européenne ? Quel est le poids du recyclage dans la filière sidérurgique ?

Que pensez-vous du contrat stratégique de filière (CSF) « Mines et métallurgie », pour son volet relatif à l'approvisionnement responsable, la transition écologique et l'économie circulaire ? Quelles sont vos propositions, notamment financières, pour développer le recyclage au sein de la filière sidérurgique ? À cet égard, quel regard portez-vous sur les marchés du carbone, en particulier sur le marché du carbone européen ? Que pensez-vous de l'idée d'une taxe carbone aux frontières ?

Je terminerai par une dernière question plus technique : que pensez-vous du procédé développé notamment en Australie, qui consiste à ajouter des pneus au coke métallurgique afin d'obtenir un meilleur rendement des fours à arc électrique ? Cette méthode est-elle utilisée en France ?

Mme Marie-Pierre Mescam, présidente de la filière métal de la Federec . -Sur ce dernier point, je ne pourrai pas vous répondre, car cela concerne nos consommateurs. La Federec est la fédération des entreprises du recyclage.

Mme Marie-Ange Badin, responsable des relations institutionnelles de la Federec . - Elle regroupe douze filières.

Mme Marie-Pierre Mescam . - Environ 800 établissements travaillent sur les métaux ferreux et non ferreux : 40 % sont des grands groupes, 60 %, des PME. En effet, ce qui compte, c'est la proximité, notamment pour les approvisionnements.

En 2017, 12,8 millions de tonnes ont été collectées, soit une augmentation de 5,7 % par rapport à 2016, et 12,3 millions de tonnes de métaux ferreux ont été vendues. L'Union européenne a importé 1,14 million de tonnes d'acier et en a exporté 12,9 millions.

Federec entretient des liens très étroits avec les consommateurs, par le biais d'A3M, notamment pour ce qui concerne le projet du recyclage de demain et le contrat spécifique de filière « Mines et métallurgie ». Elle s'intéresse aussi aux véhicules hors d'usage (VHU). Nous cherchons à quantifier les futurs flux d'acier, d'aluminium et de cuivre issus des VHU, la nature et la qualité des futurs alliages à l'avenir, pour savoir ce qu'il faudra récupérer dans dix ans. On cherche à développer des actions visant à rendre le recyclage plus efficient, avec des possibilités de tri avant déconstruction ou broyage : il s'agit d'améliorer la qualité, notamment pour revenir à la première fusion.

M. Franck Menonville , président . - N'est-ce pas envisagé dès la construction ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Ce le sera dans les années à venir, mais ce n'est pas encore le cas. Un véhicule hors d'usage a été construit 10 à 15 ans plus tôt.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - En d'autres termes, le recyclage est encore balbutiant avec les consommateurs. La filière automobile travaille-t-elle avec vous sur de tels procédés afin d'élaborer un process de fabrication permettant un démontage plus facile, lorsque le véhicule arrive en fin de vie ? Est-ce encore marginal ou une pratique régulière et intégrée ?

Mme Marie-Ange Badin . - Nous touchons là au sujet de l'écoconception et en sommes encore au démarrage. Pour notre part, nous nous trouvons en bout de chaîne. Les acteurs travaillent encore en silos : certes, l'écoconception se fait en laboratoire, mais cela ne correspond pas à la recyclabilité réelle, technique et économique, dans nos sites.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il n'y a donc pas de coopération entre les consommateurs et ceux qui sont amenés à recycler les produits sur la façon de concevoir ses produits.

Mme Marie-Ange Badin . - Sans dire qu'il n'y a pas du tout de corrélation avec les techniques de recyclage, on pourrait largement faire mieux ! La coopération entre les filières est malheureusement insuffisante. Le développer fait partie de l'une des réflexions que nous menons. Il faut en effet une concertation dès la mise en marché. Ce message est tout sauf un frein à l'innovation : il peut y avoir des innovations, mais il faut que les recycleurs puissent les anticiper et les intégrer pour mieux prévoir la fin de vie de certains produits.

Mme Marie-Pierre Mescam . - Pour notre part, nous parlons d'« éco-recyclabilité ». Ce n'est pas parce qu'un produit est éco-conçu qu'il est facilement recyclable.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Oui, il faut bien distinguer les deux.

Mme Marie-Ange Badin . -La difficulté, c'est que cette définition est évolutive : elle dépend des conditions économiques et techniques du moment. Le recyclage ne se réduit pas à la collecte et au traitement : il faut que la matière puisse être réutilisée et revendue. Sans cet équilibre économique, le recyclage est impossible.

Mme Marie-Pierre Mescam . - Dans la filière des ferreux, le modèle existe depuis longtemps. Notre inquiétude porte sur la disparition de consommateurs. Ainsi, Ascoval fonctionne à 100 % à partir de ferraille recyclée, ce qui n'est pas le cas d'autres usines du groupe ArcelorMittal par exemple. Lorsque le prix du produit recyclé est supérieur au prix du minerai, le pourcentage de ferraille utilisée baisse. Le débouché n'est alors pas du tout le même.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le marché de la ferraille est-il en évolution ? Quel est le coût de la ferraille ? Quelle est la tendance en matière d'évolution des prix ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Une usine qui consomme de la ferraille peut avoir un coût de matières premières et un coût de produits finis supérieurs à celui des usines qui fabriquent de l'acier à partir de minerai de fer. Ces dernières années, le prix de l'acier est plutôt à la hausse, car sa production devient de plus en plus technique. Les procédés de récupération et de tri sont plus capitalistiques et plus coûteuses. Par ailleurs, c'est un produit qui a tendance à se raréfier. L'industrie du recyclage des métaux ferreux forme une boucle. Si les ménages ne consomment pas et changent leurs machines à laver ou leur portail moins fréquemment, la quantité de ferraille diminuera ; si l'industrie automobile ou les entreprises du bâtiment ne produisent pas, la récupération de l'acier usagé est moindre. Il faut que le coût de démolition d'un bâtiment soit compensé par l'achat de la ferraille. Quand les prix baissent et que la main-d'oeuvre augmente, cela devient compliqué.

La tendance sur les cinq dernières années est plutôt à la hausse. Dans les hauts fourneaux, une variation de 3 % ou 4 % du prix de coke de charbon ou de minerai de fer peut avoir des incidences fortes.

M. Jean-Pierre Vial . - Je Pouvez-vous préciser les volumes et les prix. Ce qui est intéressant, c'est de connaître le différentiel entre le prix de la matière primaire et le prix de la même matière recyclée. La question est de savoir si le delta est insurmontable ou si, grâce à quelques mesures incitatives, il serait possible de favoriser le recyclage.

M. Franck Menonville , président . - La compétitivité de la valorisation de la ferraille dans la filière classique est-elle différente de la filière 100  % électrique ? Cela compense-t-il l'augmentation du coût ? L'incorporation de la ferraille dans les hauts fourneaux pourrait-elle être moins compétitive que l'utilisation de la ferraille dans des filières intégrées électro-intensives ?

Mme Marie-Pierre Mescam . -Ce ne sont pas du tout les mêmes marchés. Les aciéries 100 % électriques ne fabriquent pas le même type de produits. Pour les petites fonderies, qui ont une forte valeur ajoutée, ou les petites aciéries, les autres entrants sont tellement nombreux que le prix de la ferraille n'a pas le même impact. En revanche, d'autres usines, comme Celsa France, sont en concurrence directe avec les usines d'autres pays, comme la Turquie ou la Chine : leur valeur ajoutée est moindre et elles n'ont d'autre choix que de consommer de la ferraille 100 % recyclée. À partir du moment où il y a une trop forte corrélation entre le prix de la ferraille et celui du minerai, elles deviennent difficilement compétitives sur leurs marchés et ont du mal à remplir leurs carnets de commandes.

Mme Valérie Létard , rapporteuree . - Une partie significative de la ferraille est vendue à l'étranger. Pourquoi ? Est-ce parce qu'elle ne trouve pas preneur sur le territoire national ? Est-ce une question de qualité de la ferraille ? Qu'est-ce qui motive cette exportation ?

Mme Marie-Pierre Mescam . -Aujourd'hui, le coût du transport est déterminant. Si le consommateur français se trouve trop loin, ce n'est pas rentable. Si les chutes d'acier produites dans l'industrie sont consommées sur le territoire français, la ferraille de démolition est beaucoup plus compliquée à travailler, tout simplement parce qu'aujourd'hui on ne construit plus les mêmes bâtiments qu'il y a 50 ans et que les produits issus de ces démolitions ne conviennent pas nécessairement. Certes, on peut transformer la ferraille, mais cela suppose que le consommateur soit en mesure de payer le surcoût de préparation.

M. Jean-Pierre Vial . - Pourtant, il y a bien un marché à l'export ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Certaines ferrailles ne peuvent pas être consommées en France. Les usines utilisent des produits à haute valeur ajoutée pour lesquels la ferraille n'est pas adaptée en termes de densité, de pureté, de propriétés. Certaines d'entre elles ne veulent pas utiliser de la ferraille peinte. Or le décapage de la peinture coûte cinq fois le prix de la ferraille.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Si j'ai bien compris, le volume de ferraille produit est globalement identique au volume de produits semi-finis qui entrent. C'est étonnant. À terme, cette ferraille exportée a-t-elle vocation, dans une logique d'économie circulaire, à trouver son marché en France ou en Europe ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Oui, pour des raisons de coût de production. Aujourd'hui, 40 % des métaux ferreux partent à l'export ; au moins 20 % pourraient être conservés en France, mais, pour des raisons de coût de production, une usine française ne pourra pas les acheter au même prix qu'une usine en Turquie.

M. Jean-Pierre Vial . - Quel est le taux de besoin d'énergie primaire pour le recyclage des matières ferreuses ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Je l'estime à environ 50 %.

Mme Angèle Préville . - L'acier fabriqué à partir de minerai de fer est parfois plus compétitif que l'acier fabriqué à partir de recyclages. Est-ce une question de qualité ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Ce ne sont pas toujours les mêmes produits et ce ne sont pas les mêmes propriétés. En fonction du cours du minerai, une usine en France peut faire évoluer le taux d'incorporation de matières premières recyclées secondaires. Une usine qui produit uniquement à partir de ferraille n'a pas le choix. En revanche, elle pourra être concurrencée par des usines espagnoles.

Mme Angèle Préville . - Y a-t-il des marges d'évolution sur la façon dont on recycle ? Peut-on envisager une limitation du coût du recyclage ?

Mme Marie-Pierre Mescam . -C'est le contraire ! Plus on recyclera, plus le coût du recyclage augmentera. Certes, on peut vouloir séparer aujourd'hui pièce par pièce une voiture, mais il faut démonter chaque pare-chocs à la main, sauf à inventer une machine : il faut alors que tous les constructeurs se regroupent pour définir des standards communs, car aucun constructeur automobile n'attache son pare-chocs de la même façon.

Mme Marie-Ange Badin. -Vous touchez là un problème fondamental de notre industrie, à savoir la concurrence avec l'acier comme matière vierge, dont le cours varie. Cette situation a une incidence sur la demande en produits recyclés. Les deux sont extrêmement liés. Dans une logique d'économie circulaire et de pérennité de la demande en ferraille recyclée, c'est un sujet important. Il faut tenter de décorréler cette dépendance.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La variation avec le prix de la matière brute peut-elle être très importante ?

Mme Marie-Pierre Mescam . -Quand le prix de la ferraille est de plus de trois fois supérieur au prix du produit brut, il existe une incidence sur la rentabilité. Cela arrive régulièrement. Qui plus est, cela peut durer plusieurs mois. Nous venons de traverser une période difficile. Certes, la rupture du barrage minier au Brésil a récemment fait s'envoler le cours du minerai de fer.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Un travail partenarial renforcé entre le mode de fabrication des grands consommateurs - filière automobile -et la filière de recyclage en amont, c'est-à-dire une écoconception partagée, permettrait-il des gains de production suffisants ?

Mme Marie-Pierre Mescam . -Non, mais cela permettrait d'avoir moins de mélanges dans les matières et des matières plus nobles. Ainsi, les constructeurs automobiles voudraient ne plus acheter de l'aluminium de première fusion, mais de l'aluminium recyclé, à condition qu'il soit plus pur. Cela représente une faible part des volumes du recyclage.

Mme Marie-Ange Badin . - Sur ce sujet, nous travaillons avec la région Hauts-de-France sur un mécanisme de marché inspiré des mécanismes certificats d'économie d'énergie ou les produits phytosanitaires. Dans le cadre de Rev3, des programmes tels que NER300 ( New Entrant Reserve 300) permettraient de mettre en place des mécanismes de marché. Ainsi, pour une industrie consommatrice, acheter telle quantité de produits recyclés lui fait bénéficier de certificats qu'elle peut ensuite revendre sur un marché. C'est une incitation économique, qui ne crée pas de fiscalité supplémentaire et pas de dépenses pour l'État. C'est un système vertueux.

M. Jean-Pierre Vial . - Vous voulez dire un système identique à celui des certificats carbone ?

Mme Marie-Ange Badin . - On donnerait à une industrie donnée le droit à un certain nombre de certificats par an. Dans le cas où elle en aurait trop, elle pourrait en revendre à une autre industrie.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'expérimentation concerne combien d'entreprises ?

Mme Marie-Ange Badin . - Elle en est à son tout début. Nous travaillons avec Philippe Vasseur sur la manière de la faire démarrer à l'été 2019 dans le programme Rev3.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pourriez-vous nous transmettre plus d'informations sur l'appel à projet européen NER300 ?

Mme Marie-Ange Badin . - Je vous enverrai ces éléments.

Mme Angèle Préville . - Quel est le différentiel de consommation d'énergie entre une tonne d'acier issue du recyclage et une tonne d'acier issue de minerai ?

Mme Marie-Ange Badin . - Le recyclage économise 40 % de la consommation d'énergie et 57 % des émissions de CO 2 . Nous menons aussi des discussions à Bruxelles pour intégrer les économies de CO 2 du recyclage du métal dans le système ETS ( Emission Trading Scheme ) de l'Union européenne. Ce n'est pas le cas aujourd'hui

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'est dommage !

Mme Marie-Ange Badin . - La Commission est à l'écoute, mais c'est un gros paquebot qui manoeuvre difficilement... Il faut respecter le cycle triennal du système ETS. La Commission nous a donc dit de revenir quand le nouveau cycle serait en préparation.

Mme Marie-Pierre Mescam . - L'EuRIC, équivalent de la Federec au niveau européen, a parfois des difficultés à se faire entrendre.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pour vous, quels sont les points les plus bloquants pour le recyclage de la ferraille ? Quelles seraient vos préconisations ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Le premier besoin est d'avoir des consommateurs.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Qui sont-ils ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Arcelor, le groupe Riva en région parisienne, de petites fonderies qui travaillent pour l'automobile, mais aussi l'aéronautique et les produits du bâtiment.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le BTP fait partie de votre clientèle ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - En effet. Il faut gérer le post-recyclage : plus on fait de la qualité, plus le déchet final est un déchet ultime. Plus les méthodes de tri, comme le post-broyage pour les voitures, sont avancées, plus le déchet ultime est difficilement ré-employable. Avec la saturation des installations de stockage des déchets dans certains départements, nous avons pu être amenés à fermer provisoirement pendant un mois ou deux nos capacités de recyclage.

Mme Marie-Ange Badin . - Nous connaissons en effet une crise majeure depuis fin 2018. Nous produisons un déchet ultime que nous ne pouvons qu'enfouir. Mais la loi fixe l'objectif de diviser par deux le volume des quantités enfouies d'ici à 2025. En tant qu'entreprises du recyclage, nous ne pouvons que saluer un tel objectif, mais il ne dit rien de ce que nous devons faire des 8 millions de tonnes qui ne devraient pas être enfouies. Nous sommes à la croisée des chemins sur ce point.

M. Franck Menonville , président . - Que pourrait-on en faire ?

Mme Marie-Ange Badin . - Nous pourrions développer l'incorporation des déchets et l'utilisation du combustible solide de récupération (CSR). Ce dernier est composé de plusieurs déchets ultimes : plastique, textile, résidu de broyage. Son pouvoir calorifique est très important. En France, il n'y a que les cimenteries qui l'utilisent.

Mme Marie-Pierre Mescam . - À l'étranger, c'est différent.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Mais cette combustion produit du CO 2 et des particules ?

Mme Marie-Ange Badin . - Certes, mais elle est réalisée dans des installations classées.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Existerait-il des procédés pour faire cela sans émission excessive de CO 2 et sans risque sanitaire ?

Mme Marie-Ange Badin . - Il y a toujours un risque. Mais le CSR est conforme à la règlementation européenne.

Mme Angèle Préville . - L'émission de CO 2 due à la combustion est-elle comptabilisée dans l'empreinte carbone de l'acier recyclé ?

Mme Marie-Ange Badin . - Non, mais l'utilisation de ce produit fait baisser la consommation d'hydrocarbures.

Mme Angèle Préville . - Mais l'émission de CO 2 est identique.

Mme Marie-Pierre Mescam . - De toutes manières, nous avons besoin d'énergie...

Mme Valérie Létard , rapporteure . -Le recyclage de la ferraille produit une part de déchets ultimes et deux solutions s'offrent à nous pour le traiter : soit on l'enfouit, soit on le brûle. Chacune des solutions a des inconvénients, mais la question est : quelle solution faut-il préconiser pour traiter une matière qui existe de toute façon ? Le sujet est devant nous.

Mme Marie-Pierre Mescam . - Il y a des appels à projet pour créer des usines de CSR.

M. Jean-Pierre Vial . - Vous nous dites que ce sont les cimentiers qui brûlent ce combustible - et en effet, ils savent tout bruler. Ils produisent une tonne de CO 2 pour une tonne de ciment pur. Il pourrait être intéressant de rencontrer des cimentiers pour connaître les ratios carbone des différentes sources d'énergie.

Mme Marie-Pierre Mescam . - S'ils utilisent ce combustible, c'est qu'ils y trouvent un intérêt.

Mme Marie-Ange Badin . - Aujourd'hui, 300 000 tonnes de CSR sont consommées, mais nous sommes capables d'en produire 900 000 tonnes. Il y a donc un réel besoin de consommation pour réduire l'enfouissement.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - ...qui est un sérieux problème.

Mme Marie-Ange Badin . - Les sites sont fermés.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Vos consommateurs, donc vos clients, nous disent qu'ils ont besoin de plus en plus de pureté de l'acier. Cette évolution vous amènera à vouloir vendre de plus en plus de ferraille à l'extérieur. Plus on recycle la ferraille et plus elle change de propriétés. Peut-on craindre une séparation entre votre production et les besoins des clients ? Mesurez-vous ce décalage ? Serez-vous contraints à vendre à l'extérieur ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - C'est une très bonne question. La tendance pourrait en effet nous conduire à nous tourner vers l'extérieur. Mais pourquoi nos consommateurs veulent-ils des aciers de plus en plus purs ? Parce qu'on y ajoute de plus en plus de choses. La fabrication de l'acier devient de plus en plus compliquée. C'est pour cela qu'il faut garder chez nous des entreprises capables de faire de l'acier selon des procédés spécifiques et pas seulement des sidérurgistes qui produisent de l'acier affecté au nucléaire, par exemple. Nous avons besoin de conserver des usines produisant de l'acier à moindre valeur ajoutée. Mais il leur faudra des incitations pour qu'elles puissent concurrencer les aciers turcs ou chinois.

M. Franck Menonville , président . - Y a-t-il des recherches sur les conséquences du recyclage multiple ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Il faudrait travailler sur le déconstruction avec la filière automobile. Selon l'un de mes interlocuteurs chez Renault toutefois, le producteur d'automobile ne sera pas mobilisé sur cet aspect avant vingt ans. Non ! La rupture d'innovation ne se fait pas en claquant des doigts.

M. Franck Menonville , président . - Ce n'est donc pas suffisamment anticipé.

Mme Marie-Pierre Mescam . - Exactement. Nous voulons des voitures qui ne rouillent plus, qui durent cent cinquante ans... Tout cela est moins facile à recycler. Plus vous rajouter du manganèse, ou de la fibre carbone pour alléger votre voiture, plus le recyclage est difficile. Nos process de tri sont de plus en plus fins. Mais le petit bout d'aluminium de moins d'un millimètre, personne ne sait le récupérer. Plus on avance, et plus c'est compliqué.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ce qui est choquant, c'est qu'on ne soit pas plus avancé dans un mode de fabrication qui prenne cela en compte. Lors du Grenelle de l'environnement de 2007, nous avions mis ces sujets sur la table. J'aurais cru que nous aurions avancé depuis. On pourrait imaginer davantage de partenariat...

M. Jean-Pierre Vial . - La ferraille recyclée est un produit à très faible valeur ajoutée. Mais le secteur automobile demande de plus en plus d'aluminium recyclé. Est-ce pour une question de coût ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Oui. Un autre problème est que, même si nous sommes la fédération du recyclage, nous sommes souvent oubliés. Les grands groupes comme Peugeot ou Arcelor sont consultés, mais ce n'est pas eux qui vont chercher la ferraille à recycler et la travailler. Nous, nous prenons tout ce qu'il y a, nous ne choisissons pas !

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Arcelor a-t-il besoin de la ferraille dans son process de fabrication, ou ne l'utilise-t-il que pour réduire ses coûts ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Il en a besoin pour protéger certaines parties de ses produits. Certaines de ses usines, comme Industeel par exemple, consomment 100 % de ferraille recyclée.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Y compris les hauts-fourneaux ? Est-ce pour des raisons techniques ou financières ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - Pour des raisons essentiellement techniques. Il leur faut entre 8 et 15 % de ferraille recyclée.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Auriez-vous un autre message prioritaire ?

Mme Marie-Ange Badin . - Nos priorités sont l'écoconception et les débouchés. Un projet de loi sur l'économie circulaire est annoncé. La version à laquelle nous avons eu accès ne fait pas preuve d'une très grande ambition sur ces deux sujets...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Sur les débouchés, que faudrait-il proposer ?

Mme Marie-Ange Badin . - Il pourrait y avoir un taux minimum de recyclé. Mais cela pourrait constituer un frein à la compétitivité ; pour l'éviter, le mieux serait une incitation économique à incorporer de l'acier recyclé.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le recyclage ne doit pas devenir une punition.

M. Franck Menonville , président . - Et en termes de réglementation ou de législation, quelles sont vos préconisations ?

Mme Marie-Pierre Mescam . - La limitation des capacités de stockage nous inquiète beaucoup, sachant qu'une grande partie de ces capacités ne sont pas utilisées pour des déchets issus du recyclage. Nous travaillons sur un projet de labellisation des centres de tris performants pour que de tels centres qui apportent des déchets ultimes puissent avoir un droit prioritaire au stockage sur les autres déchets.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous avons vu dans une aciérie des déchets accumulés alors qu'ils pourraient être utilisés comme sous couche dans les routes. On extrait du matériau dans les carrières, alors que ce matériau est disponible ; c'est dommage !

Mme Marie-Ange Badin . - Les régions les plus touchées sont Provence-Alpes Côte d'Azur (Paca) et le Grand Est. À moyen terme, nous plaidons pour l'incorporation et le CSR. Mais dans l'urgence, il faudrait que les capacités de stockage soient...

Mme Marie-Pierre Mescam . - ...bien pensées.

Mme Marie-Ange Badin . - ... oui, et dans l'urgence, augmentées pour les déchets ultimes. Ceux issus du refus de tri des déchets ménagers font l'objet de marchés publics à qui les centres d'enfouissement donnent la priorité. Les plans régionaux uniques de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) engendrent un cloisonnement régional. On n'envoie pas son déchet n'importe où mais il peut être très compliqué, dans les zones tendues, de en pas aller dans la région limitrophe. Ces règles manquent de pragmatisme.

Mme Marie-Ange Badin . - Un dernier exemple sur les emballages : Citeo vous dira que les fabricants se sont dotés d'une structure qui valide les processus d'écoconception, le Cotrep, centre de ressources et d'expertise sur la recyclabilité des emballages ménagers en plastiques. Mais les recycleurs n'y sont pas représentés ! Or ce Cotrep a confirmé que les bouteilles en PET opaque étaient éco-conçues, alors qu'elles ne le sont pas. Elles perturbent le recyclage des autres, et ne sont donc pas recyclables.

Mme Marie-Pierre Mescam . - Elles sont peut-être conçues avec des produits peut-être plus écologiques que d'autres, mais il faut prendre en compte toute la vie de l'objet.

M. Jean-Pierre Vial . - Vous pouvez recycler le bouchon, mais pas la bouteille !

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'est incroyable. Nous voyons bien là la nécessité que les différentes filières doivent se parler !

Mme Marie-Ange Badin . - À côté du CSF « Mines et métallurgie », existe un autre CSF « Transformation et valorisation des déchets », ayant six projets structurants, dont l'écoconception : un Centre d'expertise du recyclage devrait être créé pour rassembler toutes les parties prenantes sur ce thème.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Merci de cette rencontre très intéressante.

M. Franck Menonville , président . - Très riche, très complète.

Mme Marie-Ange Badin . - Si vous souhaitez visiter des sites, sachez que Mme Mescam est à la direction de Derichebourg, qui possède un site à Gennevilliers.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous retenons votre invitation.

J. AUDITION DE M. LUDOVIC WEBER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE SAINT-GOBAIN PONT-À-MOUSSON (29 MAI 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous recevons maintenant M. Ludovic Weber, directeur général de Saint-Gobain Pont-à-Mousson, fleuron de la métallurgie lorraine.

Votre entreprise compte en effet sept sites sidérurgiques lorrains, dont des hauts fourneaux employant plus de 300 personnes. Elle dispose également de nombreuses implantations en Europe et dans le monde. Cette audition sera l'occasion de se pencher sur le positionnement de votre groupe et de connaître votre analyse de l'environnement économique et concurrentiel de la sidérurgie. Vous pourrez aussi évoquer l'actualité, à savoir un éventuel partenariat avec un groupe chinois, qui inquiète de nombreux élus nationaux, en particulier en Lorraine, tant votre entreprise fait partir de son patrimoine collectif.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Monsieur directeur général, nous vous remercions de nous apporter votre éclairage.

Quel regard portez-vous sur la stratégie de filière mise en oeuvre par le Conseil national de l'industrie et le Comité stratégique de filière mines et métallurgie ? Participez-vous à ses travaux, et les « projets structurants » vous concernent-ils ? Comment jugez-vous le dialogue entre l'État et les industriels, et comment l'améliorer, le cas échéant, pour mieux définir une politique industrielle française et européenne ?

La filière sidérurgique nous apparaît comme étant au coeur de la transition énergétique. Cette transition peut être vécue comme une contrainte : dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission européen, des quotas gratuits sont alloués aux entreprises de la filière afin d'éviter le phénomène de « fuite de carbone » et le seront encore jusqu'en 2030, mais leur volume diminuera. Sans diminution des émissions, les entreprises du secteur devront donc acheter des quotas supplémentaires sur le marché. L'industrie sidérurgique pourrait, dans les années à venir, subir un surcoût non négligeable pour ses émissions de gaz à effet de serre, et affronter un effet de ciseau : la diminution des quotas gratuits, d'une part, et l'augmentation du prix de la tonne de carbone européen, d'autre part. Quelle proportion de vos émissions de gaz à effet de serre est actuellement couverte par des quotas gratuits ? Le rythme d'évolution des quotas est-il calé sur l'évolution de votre production ? La taxe carbone aux frontières vous semble-t-elle être l'outil qui permettrait de protéger la compétitivité de l'industrie européenne tout en augmentant le prix du carbone en Europe ?

Le coût de l'énergie revêt une importance centrale pour les entreprises du secteur, qui sont très souvent des électro-intensives. Est-ce votre cas ? Si oui, quelle appréciation portez-vous sur les dispositifs de soutien aux électro-intensifs, comme l'abattement de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), l'interruptibilité ou encore la « compensation carbone », qui compense les coûts des quotas de CO 2 répercutés sur le prix de l'électricité ? Estimez-vous disposer d'une visibilité suffisante sur vos coûts d'approvisionnement en électricité ?

M. Ludovic Weber, directeur général de Saint-Gobain Pont-à-Mousson. - Je suis très honoré d'être auditionné par votre mission d'information. Étant messin, je suis attaché au développement de l'industrie lorraine. Pont-à-Mousson, entreprise créée en 1856, a fait le choix stratégique de se concentrer sur un produit, le tuyau en fonte, et un marché, l'eau potable. Les besoins étaient immenses à l'époque, et ils le sont toujours. Ce choix dicte encore la stratégie de l'entreprise aujourd'hui. Nous nous sommes développés à l'international, avons fait de nombreuses acquisitions et ouvert le marché de la fonte pour l'eau potable partout dans le monde dès le début du XXe siècle. Nous avons beaucoup innové : poids des tuyaux, revêtements intérieurs et extérieurs, joints, questions sanitaires et environnementales. En 1970, Pont-à-Mousson fusionne avec Saint-Gobain. Les deux entreprises étaient alors de même taille ; à ce jour toutefois, Pont-à-Mousson ne représente qu'une faible part de l'ensemble, mais Saint-Gobain y reste néanmoins très attachée. À ce sujet, elle veut demeurer un actionnaire important, ce qu'il faut souligner au regard du projet que vous avez évoqué de recherche d'un nouveau partenaire.

Pont-à-Mousson est donc un acteur de référence qui emploie 5 500 personnes dans le monde, dont 2 000 en France, essentiellement en Lorraine, avec une présence en Europe, au Brésil et en Chine et des ventes partout dans le monde, sauf aux États-Unis - en raison du Buy american act -, au Japon, pour des raisons de normes, et en Inde, pour des raisons de coût. Pont-à-Mousson compte aussi un centre de recherche et développement qui emploie 150 personnes. Dernièrement, les marchés européens se sont contractés de moitié à la suite de la crise de 2008 et de celle des dettes souveraines de 2012-2013. Pourtant, les besoins de construction de nouveaux réseaux et de renouvellement existent, mais les moyens publics se sont raréfiés.

Deuxième fait majeur : l'explosion des marchés asiatiques. À ce jour, près d'un tuyau sur deux vendu dans le monde l'est en Chine et un sur quatre l'est en Inde. L'Europe représente quant à elle 5 % du marché mondial. Nos concurrents chinois et indiens ont d'immenses capacités financières et d'innovation, ce qui change la donne pour nous, à l'export et sur le marché européen, sur lequel les Indiens sont très présents. Ces évolutions sont telles que nous sommes dans une situation financière assez difficile. Nous connaissons des pertes depuis trois ans : un haut fourneau représente un coût fixe qui demeure quel que soit le volume de vente. Malgré tout, nous pensons revenir à l'équilibre rapidement grâce à des plans d'investissement pour moderniser nos usines notamment à Pont-à-Mousson, à la fermeture d'une usine en Allemagne, avec, en contrepartie, le recrutement de 80 personnes à Pont-à-Mousson. Le but est d'être, en Europe, compétitif par rapport aux Chinois et aux Indiens.

M. Franck Menonville , président. - Quels sont les leviers de cette compétitivité ?

M. Ludovic Weber. - Nos principaux postes de dépense sont le minerai de fer, le coke, la main-d'oeuvre, et, en ce qui concerne l'énergie, le gaz naturel puis l'électricité - nous sommes une industrie électro-intensive, même si nos installations consomment moins qu'un four à induction utilisée pour fondre de la ferraille ; un haut fourneau ne consomme pas d'électricité, il consomme du coke. Nous percevons entre 200 000 et 300 000 euros chaque année au titre de la compensation carbone et bénéficions d'une exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). En revanche, nous ne bénéficions pas d'abattement de TURPE, car l'on considère que nous ne sommes pas suffisamment soumis à la concurrence internationale, ce qui peut surprendre. Un changement sur ce point pourrait intervenir en 2021.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Votre facture carbone est-elle importante une fois vos quotas gratuits déduits ?

M. Ludovic Weber. - Actuellement, nous sommes intégralement couverts par les quotas.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Êtes-vous inquiets pour la suite ?

M. Ludovic Weber. - Nous espérons trouver une solution raisonnable. Nous sommes favorables à la mise en place d'un dispositif de taxation du carbone, lequel nous serait intrinsèquement favorable face à nos concurrents, face au plastique, la fonte étant de ce point de vue très intéressante. Le haut fourneau est la « pire » technologie en termes d'émissions carbone ; la solution serait un cubilot ou un four électrique, mais l'un et l'autre ne sont pour le moment pas compétitifs : le haut fourneau consomme du minerai de fer, le cubilot consomme du coke et de la ferraille et le four électrique ne consomme que des ferrailles. Si l'on taxait le carbone, ces technologies deviendraient rentables. Si rien n'est fait dans dix ou quinze ans, il n'y aura plus de haut fourneau à Pont-à-Mousson. Ou alors il faudrait une innovation majeure.

M. Franck Menonville , président . - Avec de la ferraille, pouvez-vous produire de la fonte pour construire les tuyaux ?

M. Ludovic Weber. - Oui, des tuyaux de même qualité.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Vous pourriez donc passer à une production plus électro-intensive sous réserve qu'il y ait des compensations à la frontière. Que représente votre facture carbone en dehors des quotas gratuits ?

M. Ludovic Weber. - Puisque nous ne payons pas le carbone, il m'est difficile de vous répondre. J'ai en tête un montant de l'ordre de 500 000 tonnes de CO 2 par an. Nous sommes donc favorables à une taxation du carbone aux frontières pour rééquilibrer les importations de Chine et d'Inde. Sans cela, nous arrêterons le dernier haut fourneau de Lorraine pour le remplacer par une technologie plus vertueuse, mais nous conserverions le site. De même, si l'on veut continuer à exporter hors d'Europe depuis Pont-à-Mousson, il faudra un mécanisme de rééquilibrage par rapport à cette concurrence indienne et chinoise. Si nous exportons vers le Moyen-Orient en payant pour notre carbone, au contraire des Indiens et des Chinois, la création d'un mécanisme aux frontières européennes ne résoudrait rien. Au contraire, notre compétitivité en serait pénalisée.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La taxe carbone aux frontières et son rééquilibrage pour la partie des exportations est-elle plus importante pour vous que des mesures antidumping ?

M. Ludovic Weber. - L'antidumping, c'est du court terme ; le carbone, c'est du long terme.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Comment articuler les temporalités ?

M. Ludovic Weber. - Une autre solution existe, développée par ArcelorMittal à Florange : l'enfouissement du carbone émis par le haut fourneau. Cette technologie est encore très chère et je doute que nous y soyons prêts avant dix ans. La solution la plus probable pour nous, c'est de remplacer le haut fourneau par un cubilot ou un four électrique.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Que coûterait la réalisation d'un four électrique ?

M. Ludovic Weber. - Au moins 30 à 40 millions d'euros. Un haut fourneau doit être remplacé tous les dix à quinze ans. Sur les trois que nous possédons, un ne fonctionne plus et les deux autres fonctionnent alternativement. Parmi ces deux derniers, l'un devra être refait dans environ deux ans et l'autre dans environ sept ans. Cela représente un investissement de 10 millions d'euros pour une période de quinze ans. Il faut donc que nous soyons convaincus que cet investissement est rentable.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La question se pose donc de son remplacement par un four électrique ?

M. Ludovic Weber. - À l'horizon de deux ans, c'est peu probable. En revanche la question se pose pour le fourneau qui doit être remplacé dans sept ans.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le coût de l'électricité aura-t-il un impact sur votre décision ?

M. Ludovic Weber. - Le coût de l'électricité est un élément essentiel pour un four électrique. Le principe d'un cubilot consiste à fondre de la ferraille avec du coke pour produire de la fonte ; avec un four électrique, ce processus s'obtient par des moyens électriques, ce qui en fait un équipement bien plus vertueux en termes de carbone. Nous ne maîtrisons pas tous les paramètres économiques, ce qui en fait un sujet de long terme. Je doute que nous soyons prêts dans deux ans pour décider de remplacer notre deuxième four par un four électrique.

S'agissant des mesures antidumping, il s'agit d'un sujet très important, et de très court terme. Sur le marché européen, aucun groupe chinois ne nous concurrence ; en revanche, de grands groupes indiens sont présents, Electrosteel et Jindal en particulier. Ils pratiquent le dumping ; nous les avons attaqués, et nous avons gagné : ils ont dû s'acquitter de droits antidumping. Nous les avons aussi attaqués pour des aides d'État car le gouvernement indien taxe les exportations de minerai de fer, ce qui revient à décorréler le prix du minerai indien des cours mondiaux. Cela ne nous dérange pas tant que les entreprises indiennes vendent en Inde ; mais, dès lors qu'elles viennent en Europe, cette pratique du gouvernement indien s'apparente à une subvention d'État. Sur ce sujet également, nous avons eu gain de cause devant la Commission européenne, malgré le caractère dérisoire des droits institués. Malheureusement, les Indiens étant très procéduriers, ils viennent d'obtenir gain de cause en appel. La Cour de justice de l'Union européenne, sans remettre en cause l'existence du dumping et de la subvention, a cassé la décision d'instituer des droits antidumping visant l'un de ces acteurs, Jindal, pour des motifs de détails très techniques concernant les modalités de calcul. Nous voudrions faire appel. Celui-ci étant suspensif, les droits seraient maintenus jusqu'à réinstruction du dossier ; a contrario , la suspension des droits crée un appel d'air. Nous ne parvenons pas, hélas, à convaincre la Commission. Elle indique qu'elle va réinstruire le dossier, mais, à court terme, l'absence de droits constitue, pour nous, un préjudice, sachant, évidemment, que le dumping est illégal, et que, si la Commission ne fait pas appel avant la fin du mois de juin, le dossier sera clos.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je voudrais évoquer les inquiétudes relatives à l'acquisition éventuelle par un groupe chinois d'une partie de l'activité de Pont-à-Mousson. Trois questions : à quelle logique cette volonté de partenariat répond-elle, sachant que des investissements ont été réalisés à hauteur de près de 300 millions d'euros sur quatre ans dans les sites lorrains ? Par ailleurs, quelles seraient les modalités et les conditions d'une telle cession, en particulier en termes de maintien de l'emploi et des technologies sur le territoire français ? Y aurait-il prise de contrôle de l'entreprise ? Enfin, sur ce dossier, comment dialoguez-vous avec les différentes autorités publiques, à savoir l'État et la région ?

M. Ludovic Weber. - Cette prise de participation du groupe chinois XinXing dans Pont-à-Mousson est une rumeur qui n'est pas fondée. La seule information exacte est que Saint-Gobain a commencé, mi-février, à discuter avec une dizaine d'acteurs, dont XinXing, pour réfléchir à un partenariat. Cette piste chinoise est donc l'une parmi d'autres ; les discussions sont très lentes et très loin d'être parvenues à leur terme. Nous comprenons que ces bruits inquiètent, mais, malheureusement, nous ne pouvons rien y faire. C'est au nom de la pérennité de l'entreprise, de l'emploi et des sites que nous menons ces discussions. Tout partenariat, quel qu'il soit, devra respecter ces conditions, ce qui est cohérent avec les investissements que nous avons réalisés. Nous n'investissons pas 130 millions d'euros pour que le site ferme dans deux ans !

Mme Valérie Létard , rapporteure . - En termes de nombre d'emplois et de nature de l'activité maintenue sur le site, que pouvez-vous nous dire pour nous rassurer ?

M. Ludovic Weber. - Le maintien de l'activité actuelle et du nombre d'emplois fait partie des objectifs prioritaires de cette recherche de partenariat. En l'occurrence, Pont-à-Mousson recrute ; nous ne modifierons pas cette tendance. Pourquoi ce partenariat ? Actuellement, l'Europe représente 5 % du marché - c'est là que nous sommes forts -, la Chine 50 %, l'Inde 25 %. Nous avons une usine en Chine, mais elle est toute petite. Autrement dit, nous nous privons d'un énorme marché alors que notre marque est connue et reconnue partout dans le monde.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - N'avez-vous pas vendu votre usine en Chine ? Ou est-ce encore une rumeur ?

M. Ludovic Weber. - Nous avons dû la fermer pour des raisons environnementales, avant de vendre le terrain. Nous avons subi de plein fouet la nouvelle politique environnementale chinoise à Xuzhou, petite ville sidérurgique méconnue : 12 millions d'habitants, trente hauts fourneaux, dont le nôtre. Un jour de pic de pollution aux particules fines, la ville a pris, sans consultation et sans préavis, une réglementation avec application immédiate. Les standards édictés étaient tellement exigeants- il s'agissait, en gros, de ne plus produire de poussière du tout - qu'ils étaient impossibles à respecter d'un point de vue technologique. Le lendemain de la publication de la nouvelle réglementation, les vingt-neuf autres hauts fourneaux de la ville ont été arrêtés. Quant à nous, nous avons reçu pénalité sur pénalité, jusqu'à l'arrivée des médias, sur le thème : « Saint-Gobain se croit au-dessus des lois ». Nous avons fini par cesser toute activité sur le site. Je précise que cette réglementation n'était pas dirigée contre Saint-Gobain. Dans cette ville chinoise, 200 000 emplois ont été d'un coup supprimés au nom des intérêts supérieurs de l'environnement. Actuellement, sur les trente hauts fourneaux, cinq seulement ont rouvert. Voilà pour les avanies auxquelles a été confrontée l'une de nos deux usines chinoises - il nous en reste une.

Nous sommes donc affaiblis du côté de notre base compétitive à bas coût, qui nous permettait, en combinaison avec notre base française, d'être efficaces à l'export sur les marchés moyen-orientaux ou africains. Privés de cette base, nous voulons désormais agir en partenariat avec un autre acteur, en Chine, en Inde ou ailleurs.

Mme Valérie Létard , rapporteure. - Devons-nous comprendre que vous fondez vos ambitions de développement à l'export sur la recherche de partenariats de ce type ?

M. Ludovic Weber. - Tout à fait. Mais nous ne savons pas, à ce stade, si nous allons trouver un partenaire.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Si je comprends bien, il s'agirait d'investissements partagés avec un groupe, chinois ou un autre, afin d'installer des unités de production sur d'autres continents et de conquérir des marchés sur place ?

M. Ludovic Weber. - Sur place, et à l'export. Il s'agit de retrouver un outil compétitif.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La législation chinoise autorise-t-elle ce genre de partenariats croisés ? Permet-elle à un groupe chinois et à un acteur européen, par exemple, de se partager des unités de production ?

M. Ludovic Weber. - Notre marché, celui de la canalisation en fonte, est en Chine totalement ouvert, contrairement à ceux de l'automobile ou de l'aéronautique.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La loi permet à un groupe chinois d'investir en France ; la réciproque est-elle vraie ?

M. Ludovic Weber. - Oui. Nous possédons d'ailleurs, en Chine, une usine appartenant à 100 % au groupe Saint-Gobain. La Chine se protège sur les secteurs qu'elle juge stratégiques ; notre secteur n'en fait pas partie. On peut donc acheter à 100 % une usine chinoise. Nous pourrions même, si nous étions compétitifs, exporter depuis Pont-à-Mousson vers la Chine. Il n'existe pas, en Chine, de mécanisme analogue au Buy American Act . Sur nos marchés, la Chine est plus ouverte que les États-Unis.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pouvez-vous nous parler des comités stratégiques de filière ? Que pensez-vous de la qualité du dialogue entre l'État et les industriels ?

M. Ludovic Weber. - Nous participons au comité stratégique de filière Eau, nouvellement créé, et pas au comité Mines et métallurgie car nous ne nous considérons pas comme vendant de l'acier ou de la fonte : nous vendons une solution de canalisation pour les réseaux d'eau. Autrement dit, nous sommes un acteur de l'eau plus qu'un acteur sidérurgique, et nous parlons davantage avec Suez ou Veolia qu'avec ArcelorMittal, bien que nous puissions avoir, avec ce dernier, des synergies sur les achats de minerais. Pour revenir au comité stratégique Eau, nous le voyons d'un oeil positif, dans la perspective de travailler à l'export avec les autres acteurs de l'eau.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Quelles sont vos relations avec les acteurs publics, l'État, la région ?

M. Ludovic Weber. - Nous sommes très proches des pouvoirs publics, nos clients principaux étant les collectivités locales, les communes, les syndicats des eaux. Nous nous entendons très bien avec eux.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Et en termes de stratégie industrielle, de développement de sites, de reconversion professionnelle lorsque l'activité fluctue ? Comment anticipez-vous, de ce point de vue, les évolutions ou les difficultés ?

M. Ludovic Weber. - Lorsque nous avons mis en oeuvre un plan de redressement, qui passait par une réduction d'effectifs, suite à la chute de nos résultats, nous l'avons présenté à tous les élus avant de l'annoncer ; tous l'ont compris et l'ont soutenu. Les choses, actuellement, se compliquent un peu, autour de la question du partenariat - c'est normal : les élus expriment les inquiétudes de leurs mandants.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'État vous accompagne-t-il dans les périodes sensibles, ou les discussions n'ont-elles lieu qu'à l'échelle régionale ?

M. Ludovic Weber. - Nous échangeons beaucoup avec le préfet - nous nous entendons très bien avec lui -, très peu avec le ministère.

Vous mentionnez par ailleurs les sujets de formation et d'attractivité. Nos métiers font partie des métiers en tension. Actuellement, Pont-à-Mousson recrute 80 personnes pour la reprise de l'activité de l'usine de Sarrebruck. Nous avons énormément de mal à recruter, et notamment à attirer des jeunes. L'environnement poussiéreux de nos sites ne correspond pas forcément à leurs aspirations. Il faut donc que nous travaillions visuellement, en termes d'image et d'attractivité de la filière sidérurgique.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Y a-t-il, dans les bassins d'emploi, des problèmes de vivier et de formation ? Ou n'est-ce qu'un simple problème d'image ?

M. Ludovic Weber. - Le sujet de la formation professionnelle doit et va être revu. Sur certaines compétences spécifiques, il existe un manque important et nous avons du mal à recruter : automaticien, ingénieur de maintenance, ingénieur digital. Nous sommes ravis d'être installés à proximité du Luxembourg, mais, s'agissant du recrutement de jeunes diplômés, la concurrence des salaires avec le Grand-Duché est difficile à affronter.

Mme Angèle Préville . - Vous avez évoqué une forte baisse des marchés européens ; a contrario , vous partez avec de bons arguments dans la concurrence avec le plastique, en termes de durabilité et de limitation des fuites. Dans le domaine des rénovations de réseaux, quelles parts de marché perdez-vous ? Quelles sont celles que vous pouvez espérer regagner ? Comment ?

M. Ludovic Weber. - Notre premier concurrent est le plastique. L'avantage du plastique est qu'il est moins cher à l'achat ; le gros avantage de la fonte est qu'elle est durable et résistante. Elle permet de supprimer le risque de fuites, sachant que, en France, plus d'un litre d'eau sur cinq en circulation dans les tuyaux est perdu. La fonte a des vertus écologiques Les bilans carbone faits sur la durée de vie du réseau la donnent largement gagnante par rapport au plastique, peu recyclable et qui contient du pétrole et du carbone. La fonte, elle, est recyclable à l'infini, sans perte de propriétés mécaniques. Mais ces avantages sont difficilement valorisables dans le cadre des appels d'offres publics. Nous plaidons donc pour l'intégration dans les appels d'offres publics de critères sociétaux ; une telle évolution serait favorable à la fonte, mais surtout à l'environnement. Je précise que nous ne perdons plus de parts de marché au profit du plastique. Toutefois, ce dernier a beaucoup progressé dans les cinquante dernières années. Nous pensons pouvoir en reconquérir des parts de marché !

Mme Angèle Préville . - Si les élus prennent conscience des vertus de la fonte pour renouveler les réseaux, l'avenir peut être intéressant.

M. Ludovic Weber. - Exactement. Malheureusement, à cause de la baisse des financements publics, nos réseaux collectifs ne sont pas assez renouvelés. Le taux de renouvellement est de 0,6 % ; cela signifie qu'il faudrait 160 ans pour renouveler le réseau, ce qui n'est pas économiquement tenable.

K. TABLE RONDE SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES EN PRÉSENCE DU DÉLÉGUÉ INTERMINISTÉRIEL AUX RESTRUCTURATIONS D'ENTREPRISES, DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE RESTRUCTURATION INDUSTRIELLE ET DU DÉLÉGUÉ AUX TERRITOIRES D'INDUSTRIE (4 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Mes chers collègues, nous avons souhaité organiser cet après-midi une table-ronde avec les principaux représentants des politiques publiques dédiées à l'industrie, afin d'évoquer l'impact territorial des difficultés de la filière sidérurgique. Nous sommes nombreux à connaître de tels dossiers sur nos territoires respectifs.

Tout d'abord, je souhaite présenter M. Jean-Pierre Floris, délégué interministériel aux restructurations d'entreprises (DIRE). M. Floris, vous étiez à la tête de Verallia, l'ancienne filiale emballage de Saint-Gobain. Ingénieur des mines de formation, vous êtes entré dans ce groupe en 1982. Votre mission en tant que DIRE est de prévenir les risques de fermetures de sites, d'accompagner les industries et de préparer l'avenir industriel de la France : des objectifs au coeur des travaux de notre mission d'information.

Nous accueillons également M. Olivier Lluansi, délégué aux Territoires d'industrie. Vous avez été désigné par le comité de pilotage ministériel du 8 janvier dernier pour coordonner le déploiement des Territoires d'industrie qui bénéficieront d'un accompagnement spécifique et renforcé, piloté par les Régions en lien avec les intercommunalités. Ce programme réunira plus de 1,3 milliard d'euros de crédits pour « attirer, recruter, innover et simplifier ». Vous avez un double parcours, à la fois dans le domaine public, à la Commission européenne, au Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais ainsi qu'au Cabinet de la présidence de la République en tant que Conseiller industrie et énergie ; et dans l'industrie, ayant passé dix ans chez Saint-Gobain.

Enfin, nous recevons M. Louis Margueritte, secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Depuis 1982, le CIRI a pour mission d'aider les entreprises en difficultés de plus de 400 salariés à élaborer et mettre en oeuvre des solutions permettant d'assurer leur pérennité et leur développement. Vous avez été nommé à ce poste en janvier 2018, après avoir exercé plusieurs années à la Direction Générale du Trésor, ainsi qu'à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nos auditions précédentes avaient donné la parole aux entreprises de la filière acier, afin d'en apprendre davantage sur les principaux défis qui se posent à elle. L'audition de ce jour est consacrée à la réponse des pouvoirs publics lorsque, justement, des entreprises ou des territoires sidérurgiques se trouvent en difficulté. Nos trois invités représentent deux approches distinctes : d'une part, M. Jean-Pierre Floris traite, au niveau national et interministériel, les dossiers les plus conséquents d'entreprises en restructuration, et M. Louis Margueritte s'occupe des entreprises en difficulté de plus de 400 employés afin d'accompagner leur restructuration ; de l'autre, M. Olivier Lluansi pilote les Territoires d'Industrie, une initiative lancée par le Gouvernement en novembre dernier, afin de mettre en oeuvre une politique concertée de développement des bassins industriels locaux. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Pourriez-vous tout d'abord nous présenter votre action auprès des entreprises et des territoires, la façon dont elle s'organise, et le rythme dans lequel elle s'inscrit ? Dans un second temps, nous pourrons traiter en détail plusieurs questions.

La multiplication des interlocuteurs et des intervenants n'est-elle pas source de complexité additionnelle pour les entreprises suivies, ou de doublons dans l'action de l'État ? Comment les dossiers sont-ils répartis ? Quel appui trouvez-vous auprès de l'administration centrale, la Direction Générale des Entreprises (DGE), la Direction Générale du Trésor (DG Trésor), la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle notamment ? Estimez-vous que les moyens humains et financiers dédiés à la réindustrialisation et aux restructurations sont suffisants pour développer l'accompagnement stratégique de la filière ? Selon vous, quel pourrait ou devrait-être le rôle des régions dans l'accompagnement de la mutation industrielle ? Comment les outils actuels pourraient-ils être améliorés, articulés ou mieux mobilisés ?

À destination plus particulièrement de MM. Floris et Magueritte : Comment détectez-vous le plus en amont possible les difficultés des entreprises ? Estimez-vous que la capacité d'anticipation soit suffisante, pour que l'État n'agisse pas uniquement dans un rôle de « pompier » ? Pouvez-vous nous donner des exemples d'interventions réalisées dans le secteur sidérurgique et nous expliquer les critères d'intervention ? Quels sont les résultats ? Quelles sont vos relations avec les filières industrielles ?

Enfin, comment vous assurez-vous du sérieux et de la solidité des plans de reprise ou de restructuration ? Comment expliquez-vous l'issue du dossier Ascoval, avec de nombreuses reprises successives du désistement d'Altifort à la faillite de British Steel ? Même si Ascoval est détenue par la maison mère Olympus Steel, son aval sera impacté par l'avenir de British Steel. Pourquoi ces difficultés n'ont-elles pas été anticipées ? Ne manque-t-il pas une vision globale pour pouvoir agir de façon plus pertinente ?

M. Jean-Pierre Floris, Délégué interministériel aux restructurations d'entreprises . - Ayant passé toute ma carrière dans l'industrie, en France comme à l'étranger, ma mission est de coordonner la réponse de l'État en matière de restructuration - hors secteur bancaire - de suivre les engagements des entreprises vis-à-vis de l'État et d'anticiper les mutations technologiques. Je suis rattaché au ministère de l'Économie et des Finances et au ministère du Travail. Je dispose d'une équipe réduite, comportant deux personnes, ainsi qu'un adjoint dépendant du ministère du Travail et chargé des restructurations, ce qui démontre que les deux ministères travaillent bien ensemble. Je considère mon rôle comme celui d'un coordinateur ou d'un facilitateur dans un travail en réseau. De manière générale, la collaboration avec tous les services de l'État me paraît bonne, nous sommes entourés de gens engagés et coopératifs. En ce qui concerne les restructurations, nous travaillons avec la DGE, le CIRI, le cabinet des ministères du Travail et de l'Agriculture, le Médiateur des entreprises. Nous tenons des réunions régulières, nous échangeons des informations et nos rendez-vous sont ouverts à tous.

Les anciens commissaires au redressement productif, désormais commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), sont rattachés au Bureau des restructurations d'entreprises de la DGE, qui travaille avec nous en réseau. Il n'y a pas de problème de rattachement hiérarchique. Nous ne sommes pas une grosse structure encombrante, nous sommes là pour aider.

Les CRP sur le terrain doivent être au courant de toutes les restructurations. Les entreprises en difficulté sont traitées par les CRP lorsqu'elles comptent moins de 400 emplois, par le CIRI au-delà. J'interviens moi-même sur les dossiers particulièrement sensibles.

En ce qui concerne les engagements des entreprises vis-à-vis de l'État, le travail est fait par la DGE, qui a les moyens de les suivre. Mon rôle est de proposer des réponses politiques aux analyses techniques, et d'écouter toutes les parties prenantes. Sur un certain nombre de dossiers, comme Technip ou Lafarge, les syndicats ont demandé à nous rencontrer et nous ont fourni des informations. Ces démarches fonctionnent comme un signal d'alerte, qui nous a permis de rebondir en recevant les directions générales et en partageant ces informations avec la DGE.

L'anticipation des mutations technologiques est pour moi la clef de la politique industrielle. Sur le papier, cela se télescope quelque peu avec la politique de filière. En tant que facilitateur, je ne veux pas créer de complexité. Nous avons des relations anciennes avec France Industrie : nous nous sommes penchés sur les filières rencontrant des problèmes particulièrement lourds. En accord avec les cabinets ministériels, nous avons convenu de nous concentrer sur l'automobile et la distribution, car nous disposons de peu de moyens, et car ce sont des secteurs qui nécessiteront des ajustements rapides, très importants et que l'on y voit beaucoup d'entreprises en difficulté.

Concernant la multiplicité des intervenants, ce qui me frappe est que beaucoup de fonctionnaires se mêlent un peu de tout, ce qui est source de complexité. Notre mission est d'éviter que les entreprises ne ressentent cette complexité, et identifient des interlocuteurs uniques : lorsque le CIRI prend un dossier par exemple, c'est lui qui le pilote. Il y a unicité de commandement, et je crois que cela fonctionne bien.

Je pense que le double rattachement est une chance. Notre objectif est de mettre les salariés au travail, de leur donner l'emploi le plus qualifié et le plus rémunérateur possible. Cela nécessite de fournir une bonne formation et de proposer un projet industriel sérieux. Il est donc très important de disposer de cette double vision. Même si mon parcours me rapproche davantage du ministère des Finances, je n'ai jamais eu la moindre difficulté ou différence d'opinion avec le ministère du Travail. C'est là une garantie d'efficacité, et cela se ressent sur la manière dont nous permettons aux entreprises de s'adapter pour rester compétitives.

Pourquoi le Ministre s'implique-t-il sur certains dossiers, plutôt que sur d'autres ? Je n'ai pas de réponse, ce sont des raisons essentiellement politiques. Je ne suis que facilitateur de ces dossiers, et ai été nommé pour alléger la tâche du ministre sur ces dossiers assez ingrats : lorsque l'entreprise dont vous êtes chargée est en difficulté, vous n'êtes pas épargné. Il est préférable que les personnes en charge politiquement ne soient pas trop exposées sur des dossiers de court-terme et que les choses puissent être dites franchement. La décision ultime est à la main du ministre.

Je ne rencontre aucune difficulté pour obtenir les rapports nécessaires de l'administration. Je regrette d'être parfois trop sollicité sur certains sujets, mais il n'y a pas de mauvaise volonté, même si il y a peut-être un peu trop de monde en charge de ces dossiers et que l'on perd parfois du temps.

Les relations avec les élus locaux et les territoires sont extrêmement importantes. La coordination avec les préfets et avec les services de l'État se passe bien. Le préfet est notre interlocuteur naturel, car il supervise les CRP et les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), et il nous met en contact avec certains élus. Parfois, ce sont les élus eux-mêmes qui nous appellent : nous avons comme politique de recevoir tous les élus ou représentants syndicaux qui nous le demandent. Il est utile d'avoir une autre vision que celle des patrons, parfois en obtenant davantage de détails - et c'est un ancien patron qui vous le dit. Je pense que le sens des responsabilités des organisations syndicales a considérablement évolué. En ce qui concerne les élus, ils peuvent nous indiquer quelles sont les sensibilités autour des projets en région : on sait que l'on ne pourra pas tout résoudre, il faut savoir trouver des compromis. Il est donc important de travailler avec les élus, également car cela améliore le climat dans les entreprises.

Concernant le rôle des régions, tout le monde est de bonne volonté et veut faire le maximum pour sauver les emplois. Dans un but de simplification, on pourrait davantage je coordonner l'action. Les analyses techniques devraient être partagées, pour savoir quels projets sont viables. Ensuite, les élus ont la responsabilité de l'arbitrage politique. Comme je l'ai écrit à mon ministre : au niveau national, nous devrions suivre les restructurations des entreprises à implantation multiple sur plusieurs régions, ou celles appartenant à des filières particulières, en dialogue avec les Présidents de régions. Selon moi, tout le reste peut être traité au niveau régional. Nous arrivons à travailler ensemble aujourd'hui, mais il subsiste une certaine déperdition d'énergie.

Un autre point important que j'ai signalé au ministre de l'Économie - avec qui j'ai davantage d'interfaces qu'avec la ministre du Travail - concerne les aides apportées, qui devraient être transparentes. Les montants sur lesquels nous intervenons sont assez faibles, puisque l'essentiel de notre mission se réalise avec peu d'argent public : nous essayons de trouver des repreneurs, de conseiller les entreprises, de faciliter l'obtention de crédits... Seuls quelques gros projets consomment beaucoup d'argent public. Cette décision appartient au ministre. Je préférerais que l'on nous dise clairement quel est notre budget - cela vaut également pour le travail en région. Nous pourrions être ainsi entendus par le Parlement sur ces dépenses et sur ces choix. Selon moi, cela simplifierait les choses, car aujourd'hui on ne sait pas dire non : lorsqu'un élu ou un dirigeant vient nous voir, nous pourrions donner et expliquer nos priorités en matière de territoires et de filières.

Vous mentionnez que j'ai défendu la « modernisation à marche forcée de l'outil industriel ». Je pense que l'industrie est essentielle : tout grand pays doit avoir une base industrielle, qui tracte tout un secteur de services. D'expérience, l'industrie est un fantastique ascenseur social. Des personnes avec un niveau de qualification moyen, mais formés aux méthodes de production, voient leur vision et celle de leurs enfants changer. Pour que l'industrie soit efficace en France - un pays ou les salaires sont élevés et doivent le rester - il faut que les usines soient ultramodernes. On m'avait interrogé il y a quelques années au sujet de la taxe sur les robots : j'avais répondu que c'est la pire bêtise que l'on pouvait proposer. Je suis contre les aides aux entreprises - hormis le crédit impôt recherche (CIR) que je défends depuis toujours - mais il faut aider les entreprises à se robotiser pour être plus performantes, et encourager la production en France de ces robots plutôt que de les importer d'Allemagne ou de Suisse.

Cet objectif d'innovation s'applique à la sidérurgie. Dès les années 1980, on expliquait qu'il fallait appliquer les méthodes les plus sophistiquées à la sidérurgie. Plus un métier est ancien, plus il faut fiabiliser les rendements et la qualité. Ce qui distingue la marge des entreprises en France et en Allemagne, c'est l'image de qualité des produits, car les gens sont mieux formés et les entreprises de plus grande taille. Il faut des moyens industriels performants. Bien sûr, il faut également que la conjoncture économique soit bonne et que le secteur soit rentable. À ce titre, la sidérurgie fait face à certains problèmes particuliers tels que les droits de douane et la taxe carbone.

Un point qui me tient particulièrement à coeur est le sujet Ascoval...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous y reviendrons dans un second temps. Vous pourrez également nous exposer votre point de vue sur les droits de douanes et les émissions de CO 2 .

M. Jean-Pierre Floris - J'aimerais aussi aborder la différence de charges salariales entre la France et l'Allemagne, qui représente plus de 6 points de produit intérieur brut (PIB). Cela est dû au fait qu'en France, pas assez de personnes travaillent. La population marchande représente 28 % en France, 40 % en Allemagne et 50 % en Chine. Évidemment, l'Allemagne peut donc avoir un plus haut niveau de protection sociale avec un coût moins élevé puisque davantage de personnes travaillent. Je suis favorable à la baisse des charges des entreprises, à condition qu'elles soient compétitives et « citoyennes », en échange peut-être d'une hausse temporaire de la TVA sur certains produits, le temps que davantage de personnes se mettent au travail. On pénalise l'économie avec des charges sociales trop élevées.

D'autre part, le différentiel d'aide à l'investissement me rend furieux. Je le vois dans les métiers industriels : 30 % en Pologne ou au Portugal, 0 % en France. Les aides à l'énergie également sont un sujet politique, qui doit se traiter à Bruxelles.

Il y a ensuite des difficultés sectorielles. Dans le cas de la sidérurgie, les patrons m'expliquent que l'évolution des droits de douane a pour effet de détourner les exportations vers l'Europe car le marché américain se ferme. Je ne suis pas tout à fait convaincu, mais en revanche, les entreprises européennes sont incontestablement pénalisées par les taxes sur le C0 2 , alors qu'elles n'existent pas dans tous les pays. Je me suis battu à ce sujet lorsque je travaillais à Saint-Gobain. Vous savez que 2017 et 2018 ont été de bonnes années, mais l'on assiste aujourd'hui à un ralentissement, notamment dans l'automobile qui est l'un des principaux débouchés.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Quelle est la stratégie du Gouvernement auprès de l'Union européenne pour avancer sur la question de la taxe carbone ? Qu'en est-il des droits de douane et de la politique commerciale, et comment déterminer la réponse à adresser aux États-Unis ? Les industriels sur le terrain nous ont indiqué qu'en raison de la réévaluation du coût carbone et de l'évolution du coût de l'énergie, un impact important sur la filière est attendu dès 2020, s'ajoutant à la guerre commerciale. Ces trois dynamiques vont frapper la filière sidérurgique de front. Comment intégrez-vous ces perspectives dans votre accompagnement des restructurations ?

M. Jean-Pierre Floris. - J'aimerais pouvoir vous répondre, mais cela dépasse le champ de mes responsabilités.

M. Louis Margueritte, Secrétaire Général du Comité interministériel à la restructuration industrielle. - J'adhère aux propos de M. Floris, c'est un plaisir de travailler avec lui et avec nos équipes. Le CIRI a été créé en 1982. Il a pour mission d'aider les entreprises de plus de 400 employés qui en font la demande - je reviendrai sur ce point, car nous n'avons pas la capacité de nous autosaisir. Nous sommes un service d'aide aux entreprises, ce qui suppose un engagement de la part des entreprises et de leurs dirigeants. Notre objectif est d'assurer la pérennité des entreprises qui nous saisissent, de leur emploi, et de leur activité économique.

Nous intervenons en procédure amiable, tout d'abord car la saisine du CIRI est confidentielle. Cette confidentialité est précieuse, puisqu'une fuite dans la presse n'est jamais une bonne chose et pose de vraies difficultés. Aucune entreprise ne veut être étiquetée comme étant suivie par le CIRI et allant mal. Nous agissons sur mandat ad hoc ou en procédure de conciliation, en association à ces procédures les acteurs de notre choix - en pratique souvent des acteurs du secteur bancaire ou assurantiel, ou tout acteur témoignant d'un lien avec l'entreprise accompagnée.

Le CIRI a deux rôles principaux. Tout d'abord, il s'agit d'accompagner le dirigeant dans la préparation et la négociation d'un plan de transformation, qui passe souvent par une restructuration de la dette et des finances, et plus largement par une restructuration industrielle. En tant que partie la plus neutre, aux côtés d'un administrateur judiciaire, nous jouons un rôle d'accélérateur des négociations. C'est là le coeur de notre activité et ce en quoi nous sommes les plus efficaces.

La deuxième mission, qui ne converge pas toujours avec la première, est de représenter le créancier public dans les négociations. Conjuguer ces deux missions n'est pas simple, car nous prendrions probablement des positions plus dures en tant que créancier public uniquement. Ce rôle est important car un certain nombre d'entreprises auprès desquelles nous agissons ont déjà un passif public ou vont devoir en constituer.

Le CIRI représente l'ensemble des administrations compétentes et le point d'entrée unique de l'entreprise vers l'administration : cela concerne essentiellement l'administration fiscale et sociale, mais cela peut aussi inclure la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), les douanes dans le cas des entreprises exportatrices... Cet interlocuteur unique limite le risque de contre-arbitrages lors de la procédure.

Le Secrétariat général que j'anime est composé de cinq rapporteurs et est rattaché à la Direction Générale du Trésor - et donc au Ministre de l'Économie et des Finances - depuis 1982. Ce rattachement est précieux car la DG Trésor assure la tutelle du secteur bancaire et assurantiel : c'est souvent à ces acteurs que nous demandons des efforts et assurons en quelque sorte une « police du bon comportement » des banques et assureurs-crédits dans ces procédures amiables. Puisque ces procédures sont amiables, nous n'avons pas force de loi : les parties sont autour de la table car ils n'ont que peu d'intérêt dans une procédure collective, mais nous sommes le garant du comportement des acteurs. À la demande du Gouvernement, nous pouvons intervenir sur certains dossiers d'importance particulière, y compris en procédure collective, mais ce n'est pas le rôle dans lequel nous sommes le plus à l'aise, car un redressement judiciaire n'est jamais une bonne nouvelle et que le mal est déjà fait...

Nous suivons quatre principes directeurs. D'abord, la neutralité : nous intervenons dans des situations où les relations humaines se sont extrêmement dégradées dans l'entreprise. La direction générale ne parle plus à la direction des affaires financières, qui parle encore moins au banquier... Il faut recréer le lien du dialogue, et établir une relation de confiance réciproque avec le dirigeant. Il ne faut pas être naïf, tous les dirigeants ne sont pas vertueux : il faut démêler le faux du vrai, et repérer ceux qui viennent chercher l'appui de l'État pour camoufler leurs mauvais choix. Le second principe est la réactivité : il faut être capable de mettre très vite tous les acteurs autour de la table, ne serait-ce que pour stabiliser la situation, payer les salaires et stopper l'hémorragie de trésorerie. À partir de ce premier éclairage, nous établissons des arbres de décisions. Ensuite, nous répondons à un principe de confidentialité, dont j'ai déjà parlé. Enfin, le dernier principe est le traitement équitable des entreprises. Dans le petit milieu des restructurations, le CIRI joue un rôle de force centralisatrice des bonnes pratiques. Par exemple, une banque faiblement exposée va chercher à partir, alors qu'une banque plus exposée va chercher à négocier plutôt que de mettre l'entreprise en procédure collective.

Notre activité est distincte et complémentaire de celle du délégué interministériel aux restructurations d'entreprises. Nous nous parlons tous les jours, avons des réunions très régulières et nous partageons toutes les informations. Pour les dossiers dépassant 400 emplois et entrant en procédure préventive, nous sommes le point d'entrée unique, puis l'on se coordonne avec tous les acteurs, notamment les CRP, pour obtenir les remontées de terrain. Les dossiers viennent au CIRI, nous menons très peu d'actions sur le terrain. D'une part, cela concourt à la confidentialité, de l'autre, il peut être utile de dépayser le dossier. Nous sommes par ailleurs l'interlocuteur privilégié des commissions des chefs de services financiers (CCSF), qui traitent de dette fiscale et sociale, et émettons des recommandations. Dès la saisine sur un dossier, en pratique, les poursuites sont suspendues le temps de la discussion à l'amiable. Le CIRI participe également à la formation des CRP, en lien avec la DGE et le DIRE. Je ne peux pas juger de la lisibilité du système, il faudrait interroger les entreprises avec qui nous traitons... Mais notre action est complémentaire : nous gérons la négociation, le reste est du ressort du délégué interministériel. Cela fonctionne bien ainsi.

Au sujet de nos outils, je voudrais revenir particulièrement sur le Fonds de développement économique et social (FDES). Il est octroyé dans des conditions strictes, et est réservé aux entreprises dont la disparition aurait des conséquences majeures sur l'ensemble de la filière ou de la région. Il ne dispose que de peu de crédits, ce qui nous incite à l'utiliser avec parcimonie.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pourquoi alors diminuer ses ressources de moitié, alors que nous sommes dans une phase de mutation où les restructurations sont nombreuses ? Sera-t-il remplacé par d'autres outils plus adaptés ?

M. Louis Margueritte. - Jusqu'à 2010 ou 2011 environ, le FDES était doté de crédits limités, représentant entre 10 et 20 millions d'euros. C'était un outil ponctuel, utilisé une fois dans l'année. Les crédits ont fortement augmenté en 2011 ou 2012, sous l'impulsion du ministre du Redressement productif de l'époque, à hauteur d'environ 300 millions d'euros. Ils ont depuis subi une décroissance, à compter de 2014. En 2018, le projet de loi de finances dotait le FDES de 100 millions d'euros - dont 90 millions ont été prêtés à Presstalis - contre 50 millions en 2019. Les prêts sont octroyés par arrêté ministériel, et deviennent dès lors publics.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Lors du débat budgétaire, le Gouvernement a indiqué qu'il n'y aurait pas de recours important au FDES dans les années à venir, que l'outil était sous-utilisé et les crédits non consommés. À mi-parcours de l'exercice budgétaire 2019, à quelle hauteur les crédits du FDES ont-ils été mobilisés ?

M. Louis Margueritte . - Ils sont effectivement largement mobilisés. Sur les 50 millions d'euros, auxquels s'ajoutent un petit report de l'année précédente de l'ordre de 10 millions, 25 millions d'euros ont été engagés sur le dossier Ascoval, 16 millions d'euros sur Arc Holdings et 2 millions d'euros sur TIM SAS. Il reste donc une marge de manoeuvre, mais elle est faible. Les arbitrages ne sont pas encore rendus pour l'année à venir.

Le FDES est utile, c'est à mon sens le bon outil. Dans le cas de l'entreprise d'Arc par exemple - et cela répond à votre question sur l'articulation avec les régions - nous avons mobilisé le fonds aux côtés de la région Hauts-de-France et de la communauté d'agglomération, afin de proposer un « financement global » de 30 millions d'euros. Il est important que le FDES soit utilisé aux côtés des financeurs privés, et de manière minoritaire. Il doit initier ou finaliser l'action des outils d'aides de la région. En ce qui concerne Arc, nous avons levé, avec l'accord des financeurs privés, environ 120 millions d'euros, dont 30 millions d'euros d'argent public, ce qui représente donc 25% et nous semble plutôt équilibré. La part communément admise par les services de la Commission européenne semble s'élever autour de 20% de ce « tour de table ».

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Estimez-vous que le FDES, de la même façon que l'intervention des régions, ait un effet de levier par rapport à la mobilisation d'autres financements, notamment privés ? N'est-il pas nécessaire de garder cet outil spécifique, qui a rôle de déclencheur ? Comment encourager l'articulation des intervenants ?

M. Louis Margueritte . - L'articulation est bonne. C'est un outil qui me paraît plus pertinent que le passif public, devenu par la force des choses une autre modalité de financement, bien qu'il ne devrait pas l'être... L'État est le seul banquier à qui vous pouvez emprunter sans lui demander son avis, et à 0 %. Nous expliquons souvent aux entreprises qui nous sollicitent que s'il s'agit seulement de traiter du passif fiscal et social, nous ne sommes pas le bon guichet. Il suffit de faire une demande au CCSF, qui offrira les conditions normales d'apurement du passif. Des mesures ad hoc ont par exemple été prises en lien avec l'impact du mouvement des « gilets jaunes ». Les enjeux de nos dossiers sont importants en termes de montants, nous sommes donc parfois obligés de recourir au passif public, qui offre une respiration de trésorerie le temps de la négociation. Toutefois, traiter un passif public comme un prêt privé, ce n'est pas de bonne politique.

Dans le cas d'Arc, il fallait laisser le temps à l'entreprise de remonter son EBITDA et d'améliorer sa trésorerie : le FDES est alors un outil pertinent. Les acteurs de la restructuration connaissent son existence et, même s'il faut l'utiliser avec parcimonie, il a effectivement une influence en tant que déclencheur et permet de montrer que la puissance publique est aux côtés de l'entreprise. Il me paraît très sain que les outils régionaux viennent en complément de ce tour de table.

M. Jean-Pierre Floris . - Je suis favorable à l'utilisation du FDES, avec l'effet de levier mentionné. Cependant, il ne m'appartient pas de commenter les arbitrages entre dépenses publiques, il s'agit d'un choix du législateur. Avec les moyens dont nous disposons, et a fortiori s'ils venaient à augmenter, il faudrait une discipline plus grande dans l'utilisation du FDES. On ne doit donner de l'argent public que s'il y un bon dirigeant, un bon business plan , une cohésion avec les employés. Lorsque l'on redresse, il faut aller vite, avec un projet clair, et une vraie adhésion. On doit être capable d'analyser les difficultés passées et les changements à réaliser. On peut alors leur consentir du passif fiscal et social ou des prêts du FDES, mais à condition de réaliser une analyse technique apolitique. Mon rôle est de procéder à des analyses techniques apolitiques, mais c'est le rôle du politique de choisir de faire plus ou moins. Je suis favorable à davantage de moyens, mais avec plus de rigueur et de transparence dans leur allocation, ainsi avec des commissions d'évaluation.

M. Louis Margueritte . - J'insiste sur le fait que les prêts du FDES sont strictement encadrés par la Commission européenne : même informellement, la Direction générale de la concurrence nous questionne invariablement lorsque l'on annonce un prêt. Il ne faut pas s'abriter derrière les règles du marché unique, et c'est une autre raison d'être rigoureux : c'est un engagement international de la France qui doit respecter la règlementation en matière d'aides d'État. Il faut agir dans les mêmes conditions qu'un partenaire privé, c'est-à-dire avec le même taux, la même maturité, le même package de sûretés... On nous accuse en général d'avoir pratiqué des taux élevés.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ces taux interrogent souvent en effet. N'y a-t-il pas une surinterprétation des textes européens ? On arrive parfois à des taux similaires aux taux les plus élevés des prêts à la consommation, ce qui est alors inutile... Sur quelle analyse se base-t-on pour appliquer des taux aussi importants ?

M. Louis Margueritte . - L'objectif du FDES n'est pas de récolter des recettes fiscales supplémentaires. Si les créanciers privés prêtent, nous nous calons alors sur les conditions qu'ils pratiquent après avoir évalué le risque - c'est ce qu'il s'est passé dans le cas d'Arc par exemple.

M. Jean-Pierre Floris . - Si ce risque existe, c'est que les investisseurs n'apportent pas assez de capital . Pour les activités à forte intensité de capital, comme Arc, il convient d'investir les fonds propres pour réduire l'exposition. Sinon, il est normal que les taux soient élevés.

M. Louis Margueritte . - Lorsqu'il n'y a pas de taux comparable immédiat sur lequel se fonder, par exemple en l'absence de prêteur privé, on applique à la lettre la règlementation de la Commission européenne, sans chercher à surinterpréter, au contraire. Nous regardons alors le business plan , les intérêts capitalisés (c'est-à-dire des intérêts qui ne doivent pas être immédiatement décaissés), ce qui peut avoir pour effet d'alourdir la dette mais permet un remboursement décalé. Notre objectif est de s'aligner avec le meilleur dispositif pour éviter d'être dans les radars de la Commission et ne pas faire l'objet d'une requalification, qui poserait des problèmes encore plus importants.

M. Jean-Pierre Floris . - Je suis d'accord pour aider les entreprises, mais lorsque personne ne met d'argent... Un repreneur ne peut pas proposer un million d'euros attendant que l'État abonde 130 millions, en pensant que si cela marche, tout le profit bénéficie à l'investisseur, mais que si cela échoue, l'État paye. Il faut que les repreneurs d'entreprises en difficulté s'impliquent et mobilisent des fonds à la hauteur. Les taux d'intérêt sont liés à la structure du capital et à la solidité du business plan .

M. Louis Margueritte . - Les dossiers du moment, dans le secteur automobile notamment, concernent des entreprises à fort besoin de capital, dans lequel on n'a pas investi depuis dix, vingt ou trente ans. Les repreneurs savent qu'il faudra mobiliser des dizaines de millions d'euros, et pâtissent du manque d'investissement. C'est le serpent qui se mord la queue.

M. Jean-Pierre Floris . - Lorsque les usines ne sont pas les plus performantes, un jour ou l'autre, il faut payer l'addition.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Nous allons désormais donner la parole au délégué aux Territoires d'Industries afin de comprendre comment cette politique publique peut accompagner une stratégie globale.

M. Olivier Lluansi . - Nous allons prendre un peu de champ. Lorsqu'on parle d'industrie il faut savoir si l'on évoque les années 1975-2010 lorsque le poids de l'industrie française dans la population active a été divisé par trois, ou si l'on met un voile pudique sur cette période pour se concentrer sur un avenir radieux. Nous avons eu, dans notre histoire, l'exemple de la décroissance de l'agriculture dans les années 1950 et de son impact sur les territoires ruraux. La décroissance de l'industrie est de la même ampleur en termes d'impacts sur les villes de taille moyenne. Certains expliquent que les transferts sociaux ont compensé ce phénomène, mais le contexte de crise des finances publiques depuis 2011 les a modérés. Certains territoires ont connu une décrue violente, passant de la moitié de la population active employée dans l'industrie à 10 ou 15 % en moins d'une génération. C'est une réalité vécue dans les territoires, mais insuffisamment intégrée dans la réflexion collective et nationale. Je vous transmettrai la cartographie de ces évolutions territoriales.

Ce sujet n'a pas été traité globalement entre 1975 et 2010, il y a eu quelques petits points de politique industrielle. À partir du mandat de M. Nicolas Sarkozy et des États généraux de l'Industrie organisés en 2009, une réflexion sur l'impact territorial de cette évolution a repris. Cela fait dix ans que l'on réarme une politique industrielle. C'est lent mais nous sommes au milieu du gué compte-tenu de la multiplicité des paramètres à prendre en considération : fiscalité de la production, charges sociales...

Territoires d'Industrie arrive dans cette histoire en apportant une nouvelle brique de politique industrielle. En 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, reprend le même modèle que celui développé sous la présidence Pompidou c'est-à-dire par grand programme et par filière. Or, entretemps, l'industrie a profondément changé et les chaînes de valeur également. Ce modèle n'est plus aussi opérant. Il faut inventer d'autres moyens d'action publique pour l'industrie, des outils locaux.

Territoires d'Industrie identifie d'abord des bassins industriels regroupant plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, comptant entre 50 000 et 150 000 habitants et comprenant une ou deux villes de taille moyenne. Il labellise des projets sur des critères fondés sur l'implication des acteurs locaux pour redynamiser un territoire par l'industrie. Nous avons voulu élaborer une grille de lecture de cette labellisation avec des statistiques objectives mais la primauté va à la dynamique humaine locale lorsque des responsables publics et privés s'emparent de dossiers pour dynamiser leur territoire. Les Territoires d'Industrie labellisent cette envie, ce qui créée une dynamique économique. C'est une démarche ascendante, très décentralisée. Il a fallu formaliser ce dialogue entre l'élu représentant l'intérêt général et l'industriel. Les 140 Territoires d'Industrie associent désormais un élu et un industriel qui doivent porter ensemble les projets de territoire. Nous ne leur avons donné aucun cadre, c'est spontané, il leur appartient de déterminer les projets devant redynamiser l'industrie. Les 30 territoires les plus avancés portent de 15 à 20 projets, avec une extrême hétérogénéité. Cette démarche constitue un objet difficile à appréhender par une administration qui aime bien les catégories claires et carrées. Nous avons commencé à signer un certain nombre de protocoles, qui sont des programmes de travail élaboré : parties prenantes, diagnostic du territoire, enjeu et ambition ; puis une série de fiches projets, qui, à ce stade du protocole, ne sont pas financés.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - À quelle échelle territoriale sont-ils signés ?

M. Olivier Lluansi . - Ils regroupent plusieurs intercommunalités, en général 4 ou 5 mais leur nombre varie de 1 à 12. Les territoires choisissent leurs représentants et la décision des projets se fait à leur échelle. C'est le premier stade. Je m'interdis de porter un regard d'opportunité sur ces projets.

Le second stade de réalisation des projets est leur financement. Nous serons saisis des premières délibérations des collectivités territoriales et les premières actions de l'État pour financer les actions conçues pendant le premier semestre 2019. Nous sommes au début de la courbe avec 25 engagements pour environ 1 million d'euros. Nous devrions arriver à 50 millions d'engagements de l'État et de ses opérateurs d'ici à juillet 2019. Ce sont des financements modestes qui, à ce stade, ne permettront pas de réindustrialiser les territoires, j'en suis conscient.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Sur quels types d'engagement ces accompagnements financiers de l'État sont-ils fléchés?

M. Olivier Lluansi . - La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, au niveau territorial, par filière et par entreprise d'abord, des prêts d'opérateurs nationaux, de la Banque des territoires, pour le portage immobilier d'entreprise ensuite. C'est un dispositif qui se veut décentralisé, qui n'apporte pas en principe de financement nouveau, qui fait remonter des besoins spécifiques des territoires et qui finance des projets ciblés. Nous devons parfois faire rentrer des ronds dans des carrés. Les difficultés anticipées pour les six mois à venir concernent cette imbrication avec les dispositifs existants. Il faudra trouver la souplesse pour financer ce type de projets. Nous avons déjà résolu quelques problèmes.

Quels sont les besoins qui remontent des territoires ? Le premier est général reflète un échec collectif : les chefs d'entreprise ont des liquidités, des usines, de la technologie, mais refusent des commandes car ils ne disposent pas des hommes et des emplois correspondant à cette demande. Le nombre d'emplois non pourvus est trop élevé, c'est incroyable. Je vois émerger beaucoup d'offres de formation, les entrepreneurs s'approprient les dispositifs. Cependant, il existe un véritable décalage et un manque d'adéquation entre offre et demande.

Le deuxième point est l'attractivité des métiers. Pour l'industrie, il s'agit réellement d'un enjeu culturel, lié aux drames familiaux résultant des licenciements dus aux restructurations d'entreprises ou aux fermetures d'usine. Ces traumatismes devront être surmontés pour amener à nouveau les jeunes vers l'industrie. Pour les territoires, la filière n'est pas toujours très attractive. S'y ajoute des questions liées à l'aménagement du territoire et notamment la couverture numérique. On ne peut pas proposer à de jeunes couples avec des enfants de s'installer dans des zones blanches dans lesquels il n'y aurait pas de 5G même si la couverture numérique de l'entreprise est assurée... On peut d'ailleurs s'interroger sur la réalité des cartes des opérateurs montrant leur taux de couverture du territoire national, mais c'est une autre problématique.

Un troisième sujet est la demande de simplification de la part des porteurs de projets ou d'élus pour la création de zones d'activité à vocation industrielle. En vingt ans, on a multiplié par quatre le temps nécessaire à l'obtention d'une autorisation administrative de construction, alors même que le temps économique a été divisé par quatre. La simplification est une politique publique peu coûteuse pour l'État et est demandée de façon pressante.

Enfin, un tiers des projets concerne la mutation de l'Industrie du futur.

Ayant fait des allers et retours entre le public et le privé, je témoigne de la complexité et de la multiplicité des acteurs de la sphère publique. Nous avons besoin d'une organisation plus claire à lire par les acteurs privés. Par ailleurs, l'État lui-même n'a presque plus de moyens de financer le développement économique. Il les a délégués aux régions ou à ses opérateurs. Or, en période de mutation, lorsque l'on veut réussir la transformation d'un territoire, il faut que l'acteur public ait tous les moyens, à la fois la carotte - les aides et les subventions publiques - et le bâton - l'application du droit. Aujourd'hui, ces deux leviers sont dissociés. Le droit du travail est géré par l'État, tandis que le développement économique l'est par les régions. Cela suscite une interrogation pour notre futur collectif. Les régions doivent-elles récupérer un rôle d'application du droit, y compris le droit du travail, puisqu'elles ont déjà la responsabilité du développement économique ? On essaie de compenser par une comitologie administrative le fait que l'action économique soit détenue entre plusieurs responsabilités publiques différentes sur le même territoire.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il est vrai que la répartition des rôles entre l'État et les régions n'est pas claire. Que préconisez-vous ?

M. Olivier Lluansi . - Nous assistons à une évolution des écosystèmes économiques qui découle d'une évolution sociétale et technologique. On ne se préoccupait pas des territoires il y a vingt ans comme on le fait aujourd'hui. Les régions ont grandi. Ce serait logique qu'elles aient un rôle accru.

M. Jean-Pierre Floris . - Certains sujets de la responsabilité l'État comme les restructurations d'entreprises sont multirégionales, les autres sont du ressort des régions.

M. Olivier Lluansi . - Je ne vois pas d'opposition de principe au fait de confier également aux collectivités territoriales la responsabilité de la fermeture de sites industriels en complément de leurs compétences économiques.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'État essaye tant bien que mal de piloter la restructuration des territoires industriels, y compris en sollicitant des concours financiers auprès des collectivités locales. Mais lorsque la reconversion ne fonctionne pas, les collectivités territoriales se retrouvent bien seules pour accompagner les restructurations, dépolluer et requalifier les sites... Il faut un pilote national qui définit des stratégies mais comment les articuler entre les territoires et conserver le lien entre les différents niveaux d'action ?

M. Jean-Pierre Floris . - Je me méfie des stratégies nationales, car il y en a de moins en moins. L'État est responsable du bien être des Français, peu importe la région où il réside...

M. Louis Margueritte . - S'agissant des restructurations, l'État fait ce qu'il peut. On peut apporter un dépaysement des dossiers, notre connaissance des réseaux centralisés à l'échelon territorial qui en est demandeur. Il n'y a pas forcément de stratégie, même si je le déplore... Sur nos dossiers, nous travaillons beaucoup avec les régions, car à plusieurs, nous sommes plus forts.

M. Olivier Lluansi . - Nous avons multiplié depuis dix ans les politiques d'accompagnement ; mais il manque le « pourquoi » d'une politique industrielle, contrairement à l'Allemagne ou à la France de la période pompidolienne. Nous n'avons pas de réponse collective au rôle de l'industrie dans notre nation et donc nous n'avons pas de stratégie industrielle. Des aides et des accompagnements ad hoc ont été développés, mais il n'existe pas de réponse au rôle de notre outil productif national intégré en Europe. Nous avons les éléments de réponse et le jour où nous y répondrons, nous aurons une politique industrielle et nous pourrons faire renaître notre outil productif et compétitif. Depuis dix ans des politiques de compétitivité, d'innovation, de filières, territoriales, ont été conduites mais il manque une clef de voûte...

Mme Elisabeth Lamure . - Je partage votre constat eu égard aux retours du terrain que permettent les déplacements des sénateurs membres de la Délégation aux entreprises dans les départements. Il en ressort effectivement des problèmes de simplification qui ne sont pas nouveaux. Malgré tous les moyens mis à simplifier, la complexité persiste. L'administration française devrait faire des efforts et lever ces barrages.

L'autre point est le recrutement du personnel. Nous entendons depuis plus d'un an dans tous les métiers et de façon récurrente que les entreprises ont du mal à trouver des salariés y compris dans les territoires très attractifs. La parole des chefs d'entreprises s'est durcie récemment car ils sont contraints à refuser des commandes et leur développement est freiné. Nous sommes impuissants face à phénomène qui doit être traité.

J'ai aussi été intéressée par les propos de M. Floris sur les restructurations. Vous avez évoqué une plus grande exigence, qu'il fallait que toute l'entreprise, y compris le personnel et les dirigeants, s'engagent collectivement. Avez-vous des exemples de mobilisation de tous les acteurs d'une entreprise pour la réussite de son sauvetage ?

M. Jean-Pierre Floris . - J'ai eu affaire récemment à Carbone Savoie. Il n'y a pas assez d'entreprises que l'on arrive à redresser rapidement avec le dirigeant qui à une vision, un personnel en cohésion, une vraie analyse critique de la situation. Le CRP, le CIRI et nous traitons plus de 1200 entreprises, de nombreuses PME sont sauvées, mais nous devrions faire davantage de publicité sur ces sauvetages.

Sur la question de la formation, il faut limiter celles qui ne servent à rien et faire payer ceux qui veulent étudier dans ces filières sans débouché. En même temps, il faut que les entreprises qui le souhaitent puissent former les gens et dépenser davantage pour la formation.

M. Louis Margueritte . - Oui, il y a de belles histoires de sauvetage d'entreprises, et il faudrait effectivement que nous en parlions davantage comme Carbone Savoie. Plus de 40 millions d'euros ont été investis par le repreneur dans cette entreprise. C'est un pari risqué ne nécessitant pas des fonds importants. Ce n'est pas uniquement une question financière. Il faut avoir les reins solides pour créer un fonds de retournement, et surtout avoir de bons dirigeants en qui l'on a confiance. Il existe d'autres exemples de belles histoires comme le groupe Doux ou William Saurin, avec un volet pénal pour des fraudes comptables massives, avec 3 000 emplois en cause et un engagement de 70 millions d'euros de l'État décidé en 48 heures. On parle souvent des dossiers spectaculaires car ils ont un impact territorial très concentré. Les acteurs ne sont pas prêts à accepter une mutation massive d'un seul coup, au vu des implications sociales. Je suis un peu revenu de l'idée que tout doit se régler en une fois : parfois, il faut revenir à plusieurs reprises et suivre les dossiers, cela demande du temps. Cela a été le cas pour Doux avec 900 emplois sauvés et d'autres reclassés.

M. Jean-Claude Tissot . - Je trouve dommage que le CIRI n'intervienne qu'à partir du seuil de 400 salariés par entreprise. Or, dans des villes moyennes et les territoires ruraux, ce seuil est inaccessible. Je pense à une entreprise de Saint-Etienne avec 100 emplois. Il existe des patrons voyous qui s'organisent pour piller des entreprises. Il faut vraiment être très rigoureux et éviter les reprises malhonnêtes.

M. Jean-Pierre Floris . - Je suis favorable à la taxe carbone et pour que l'on taxe les tiers extérieurs à l'Union européenne non soumis à la taxe carbone. Je suis également hostiles aux voyous. Il existe aussi des fonds qui disposent de capitaux énormes mais demandent une aide de l'État. J'ai beau être un libéral, il faut parfois que la justice intervienne lorsque des entreprises sont pillées. Il faut être plus exigeant sur les apports de fonds. Pour l'intervention dans les entreprises des moins de 400 salariés, je rappelle l'existence des commissaires au Restructurations et à la Prévention des difficultés des entreprises auprès desquels je vous invite à vous rapprocher. Je souligne enfin que nous sauvons 80 % des entreprises.

M. Louis Margueritte . - Nous avons un sujet d'effectifs. Ce qui fait notre efficacité, c'est l'acceptation de notre aide par le dirigeant et qu'il comprenne bien que nous sommes là pour l'aider. Nous ne fonctionnons pas en autosaisine. Lorsque nous avons un peu forcé, cela s'est mal passé. Je vais toujours voir le dirigeant pour lui demander ce qu'il attend de nous et lui expliquer ce que nous attendons de lui.

M. Jean-Pierre Floris . - Le CIRI travaille également beaucoup sur la restructuration financière.

M. Frédéric Marchand . - Je voudrais revenir sur ce chiffre que M. Lluansi a cité sur un délai administratif multiplié par quatre. Comment gérer le tropisme environnemental qui peut nuire à l'image de l'industrie et ralentir les procédures ? Comment concilier ces deux objectifs ?

M. Olivier Lluansi . - Il y a plusieurs éléments de réponse. Ainsi, il y a à la fois une conscience collective de l'écologie en Allemagne et une forte industrie qui a le double du poids de la nôtre dans le produit intérieur brut. Donc, il n'y a pas d'incompatibilité structurelle fondamentale entre les attentes écologiques et industrielles. Dans cet objectif, nous sommes convaincus et essayons avec les ministres concernés de compléter des contrats de transition écologique de manière simultanée aux Territoires d'Industrie. Ces deux approches se complètent. Les élus et chef d'entreprise ne demandent pas moins de protection. Il veut une temporalité plus compatible avec leur temporalité économique. Il faut au moins quatre à cinq ans pour reconstituer des réserves foncières afin de développer des zones industrielles. Comment faire si un projet arrive avant cette échéance ? Il faut faire en sorte que nos exigences collectives soient appliquées dans un temps administratif compatible avec le temps économique. Je n'ai pas encore résolu cette interrogation.

Par ailleurs, lorsque les chefs d'entreprise et les fonctionnaires du ministère de la Transition écologique se rencontrent à mon initiative à Bercy, ils considèrent que des solutions existent à droit constant dans 80 % des cas. Mais sur le terrain, les solutions tardent. Les chefs d'entreprise sont en colère car ces sujets ne se résolvent pas. Certaines directions régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement seraient militantes. Nous allons essayer de prendre des cas concrets pour les résoudre localement, quitte à faire descendre des fonctionnaires de l'administration centrale sur le terrain.

M. Jean-Pierre Floris . - Les industriels ont aussi leur responsabilité en matière d'attractivité. Il faut que les salariés soient fiers de leur usine, de leur travail et le montrent à leur famille à l'occasion des journées portes ouvertes. Si les usines ne sont pas performantes, elles ne seront pas compétitives et attractives. Or, il faut attirer des salariés vers l'industrie.

M. Jean-Pierre Vial . - Je voudrais préciser un point particulier, le contact entre le chef d'entreprise et l'administration. Nous nous sommes étonnés du faible nombre de fonctionnaires travaillant en administration centrale sur les sujets industriels. Vous avez évoqué le fait qu'il y ait trop de monde à Paris dans certains services.

Le CIRI a plutôt bonne réputation. Quel est le lien avec les commissaires au Restructurations et à la Prévention des difficultés des entreprises en région ? Sont-ils vos représentants régionaux ? Lorsque l'on vous saisit, l'entreprise est déjà malade. Mais il faudrait déjà l'empêcher de tomber malade. Dans le cas de Carbone Savoie, que je connais bien, après un premier retournement réussi, l'entreprise fait face à un second retournement, technologique cette fois, lié à l'utilisation de leurs matériaux dans les batteries. Ils ont été suivis dans ce projet par de nombreuses expertises. On m'a averti que Carbone Savoie ne serait pas retenue dans le cadre de ce projet de batterie lithium-ion pour véhicules électriques. Il ne faudrait pas qu'une entreprise qui a réussi son retournement manque un saut technologique faute de pouvoir saisir une opportunité.

Les entreprises électro-intensives que nous avons rencontrées en Savoie, comme Trimet et Ferropem, ont évoqué naturellement le coût de l'énergie. Elles sont en contact quotidien avec l'administration. Elles seront en alerte rouge en 2020 si les problèmes liés aux prix de l'énergie ne sont pas réglés d'ici cette échéance. Attendez-vous que les entreprises soient dans le rouge pour intervenir et comment pourrait-on mieux anticiper et faciliter le travail avec l'administration ?

M. Jean-Pierre Floris . - Les CRP travaillent avec le CIRI et sont donc au courant de tous les programmes de restructuration. Si le dossier est évoqué au CIRI, ils sont leurs ambassadeurs sur place. Nous avons par ailleurs mis en place un système de détection des signaux faibles par des modèles mathématiques, car, vous l'avez dit, il ne faut pas attendre le dernier moment. Il est basé sur les données de la DGE et de la DG Trésor, et pose encore quelques petits problèmes techniques. Cette anticipation est une priorité absolue.

Sur le projet Carbone Savoie, j'ai récemment parlé avec ses dirigeants après avoir été alerté il y a quelques jours. S'agissant des industries électro-intensives, j'ai mentionné que je n'étais pas satisfait des disparités en matière d'aides et de politique énergétique en Europe. J'ai pris connaissance des difficultés des entreprises électro-intensives qui ne sont actuellement pas en difficulté mais qui pourraient le devenir car ils n'ont pas de visibilité à long terme de leurs contrats de fourniture d'électricité avec EDF. Dans ces cas-là, il est vrai, l'État est un peu impuissant. Nous pourrions mettre en oeuvre des politiques d'aides : c'est un choix du législateur. Où faudrait-il mettre en place ces aides ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Effectivement, j'ai été marquée lors du déplacement avec Jean-Pierre Vial par l'urgence de l'appel au secours des industriels électriques, qui reflète la problématique carbone s'appliquant à la filière dans son ensemble : on utilise soit les hauts fourneaux forts émetteurs de carbone et bénéficiaires de quotas carbone lesquels vont baisser, soit les aciéries électriques, propres en émission carbone, forts consommateurs d'électricité. Comment négocier le virage de 2020 de l'augmentation du coût de l'énergie, que les entreprises électro-intensives voient comme un couperet susceptible de les placer dans une situation d'extrême difficulté ? Comment ces deux pans complémentaires de la filière sidérurgique vont-ils gérer leurs problématiques respectives ? À cela s'ajoute la question des ressources humaines et de la formation. Quelle est la stratégie industrielle globale de la filière sidérurgique ?

M. Franck Menonville, président . - Venons-en à Ascoval.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ascoval se trouve une nouvelle fois à un tournant. Comment voyez-vous les choses ?

M. Jean-Pierre Floris. - Je suis heureux de pouvoir m'exprimer à ce sujet, et vous remercie de m'adresser cette question, vous qui connaissez bien cette région.

Je m'étais mobilisé sur le dossier Ascoval lorsque, à l'impulsion du ministre de l'Économie et du président du conseil régional des Hauts-de-France, il avait été décidé de mettre en place une fiducie au début de l'année 2018. Nous n'avons pas ménagé notre peine et je suis monté au front pour obtenir de Schmolz + Bickenbach et de Vallourec une contribution à la fiducie. J'estimais qu'il fallait donner une chance à cette entreprise et de se donner le temps de trouver un repreneur.

Nous n'avons trouvé qu'Altifort, et avons analysé son plan. J'ai écrit au ministre de l'Économie que je n'avais pas confiance en ce plan, le programme d'investissement étant trop important par rapport aux capacités financières d'Altifort qui apportait très peu de capital d'une origine incertaine : 100 millions d'investissement provenaient de dépenses d'investissement, ainsi que 80 millions en fonds de roulement. Cela m'avait semblé très fragile et risquait de mettre en péril le reste du groupe Altifort, qui avait par ailleurs racheté de nombreuses petites entreprises avec des situations locales compliquées. À la fin, et je respecte tout à fait cette décision, le ministre a choisi de soutenir le plan d'Altifort, faute d'autres repreneurs, et car il tenait beaucoup à ce qu'Altifort soit repris. J'ai respecté cette décision.

Par la suite, M. Bart Gruyaert, président directeur général d'Altifort, a affirmé que j'avais demandé à Altifort de se retirer. Ces propos ont été repris par le président du conseil régional des Hauts-de-France, en parlant d'un scandale d'État. Je peux vous certifier que je n'ai pas déclenché de contrôle fiscal sur Altifort. En revanche, lorsque M. Bart Gruyaert m'a appelé pour m'annoncer son désengagement du dossier faute de financements, je lui ai annoncé que je le regrettais pour Ascoval, car il n'y avait pas d'autre repreneur, et j'étais plus tranquille pour la survie de son groupe, qui me paraissait fragile. Ce n'est pas moi mais un service de Bercy qui, selon M. Bart Gruyaert, ont tenu les propos qui me sont prêtés. Il s'agit d'un malentendu. Je suis très ennuyé de cette situation, car en sus du problème d'Ascoval, nous avons également des difficultés sur une dizaine d'autres sites d'Altifort. Je rencontre demain des élus des Pyrénées, puis de la Nièvre, à ce sujet.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le ministère n'avait-il pas fait appel à un cabinet externe, afin d'étudier la faisabilité de l'opération ?

M. Jean-Pierre Floris . - Je me permets de critiquer le travail fait en trois jours par le cabinet Roland Berger, qui m'a consulté en tout et pour tout vingt minutes, et n'a pas procédé aux entretiens que j'avais recommandé. Ce travail bâclé n'a certes pas coûté cher, mais l'on en a pour son argent ; même M. Gruyaert l'a reconnu. J'avais estimé qu'il fallait au moins 80 millions d'euros de fonds propres pour se protéger des cycles dans une industrie lourde telle que la sidérurgie . Sans capital, les taux sont absurdes, a fortiori lorsque les marges sont fragiles. La DGE m'avait fourni des données sur les marges et l'EBITDA dans la sidérurgie, qui ne sont pas suffisantes en Europe. Sans fonds propres, cela ne tient pas.

Dans le cas de British Steel, la situation est différente car il leur faut un volume moins important d'investissements, autour de 20 millions d'euros, car ils disposent des débouchés aval, à Hayange pour les rails, et avec FN Steel pour le train à fil, ce qui était le plan d'investissement d'Altifort. Son projet était stratégiquement intéressant, je l'ai dit. Mais il n'était pas financièrement valable. Les seuls éléments financiers dont j'ai eu connaissance concernant British Steel étaient les résultats à fin mars 2018. J'ai fait remarquer que nous faisons habituellement davantage de due diligence. Je n'ai toutefois pas obtenu les résultats ou tendances de mars 2019, ni ceux des entreprises aval utilisatrices d'acier et les prix d'achats, que j'avais pourtant demandés. Mais on voulait faire le deal à tout prix... J'avais fait remarquer dans une note au ministre que la rentabilité de British Steel était faible, 25 millions de livres sur 1,6 milliards de chiffre d'affaires. Je n'avais pas anticipé la faillite, n'ayant pas eu les éléments les plus récents que nous aurions obtenus si nous avions été plus exigeants sur la due diligence . Toutefois, cela n'aurait pas nécessairement changé la décision finale.

Comme vous l'avez souligné, malgré la défaillance de British Steel, cela ne veut pas dire qu'Ascoval ne marche pas. Ce qui importe, ce sont les débouchés. J'étais hier en réunion téléphonique avec les investisseurs anglais, afin de s'assurer de ce qui va se passer au niveau aval. Nous avons des contacts avec tous les repreneurs possibles, notamment d'Hayange, pour trouver des débouchés pour l'aval. Si ces débouchés existent, tels qu'ils étaient envisagés par British Steel, il n'y a pas de conséquence opérationnelle pour Ascoval. En étant optimiste, on peut même se dire que sans l'acier anglais, les débouchés pourraient même augmenter.

Nous sommes néanmoins dans une période d'incertitude. C'est un marché compliqué, il faut qu'Ascoval passe une période difficile à court-terme, et transforme son outil pour la fourniture de rails et pour le train à fil. L'aciérie serait en mesure d'effectuer des livraisons d'ici à septembre. Dans l'intervalle, ce seront des « prix de bananes » qui sacrifieront en partie les marges, car les commandes sont déjà passées pour 2019 et le marché n'en a pas besoin. Nous ferons tout pour que cela réussisse.

L'argent public n'avait pas encore été versé lors de l'annonce de la faillite, à l'exception des 3 millions d'euros de Vallourec, sur qui j'avais fait pression. Le gouvernement était en phase avec la région pour dire : « On y va », ce que je respecte. Je n'aurais peut-être pas pris cette décision si j'avais été un comité d'investissement - c'est d'ailleurs la raison pour lesquelles les banques ne se sont pas engagées. J'admets une décision politique : on a estimé qu'il y avait une chance que cela marche et qu'il fallait négocier. Il faudra maintenant s'assurer qu'il y a des débouchés aval.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Depuis que Vallourec s'est retiré, l'entreprise, aussi bien les salariés que la direction, a fait tous les efforts nécessaires. Les salariés ont vu leurs conditions de travail affectées, ont renoncé à leurs congés, pour accepter de se mettre dans une logique beaucoup plus compétitive. Le directeur a entrepris de nombreuses démarches pour trouver des débouchés et générer des commandes. Ils ont intelligemment réfléchi avec les acteurs en aval, pour élargir la clientèle et diversifier les produits via un investissement modeste. Toutes les conditions sont réunies pour produire un acier propre, électro-intensif, spécial, d'une offre que l'on ne va plus trouver en Europe, à destination des industries ferroviaires et qui peut s'ouvrir bien plus largement à d'autres secteurs d'activité... C'est réellement une usine stratégique au niveau français et européen. C'est un outil moderne qui a su mettre en oeuvre la transformation nécessaire pour se rendre compétitif dans un marché compliqué . L'interrogation qui subsiste concerne l'aval. Le ministère est le seul à avoir en main tous les outils pour pouvoir identifier les repreneurs, cette fois solidement, car le personnel et les acteurs territoriaux ont été échaudés de nombreuses fois. L'attente est forte. Aujourd'hui même se tient un échange avec les salariés d'Ascoval et la nouvelle direction: j'en ignore les conclusions. On a besoin de toute la compétence technique et de tout l'accompagnement fournis par les ministères. On ne peut pas non plus y arriver sans les salariés, qui constituent la ressource la plus précieuse. Avec l'intervention du ministère, peut-on préserver un pan compétitif d'une filière sidérurgique stratégique, si l'on a les moyens de la faire subsister.

M. Jean-Pierre Floris . - J'ignore quelle sera la position définitive du fonds d'investissement : il peut très bien se porter acquéreur des débouchés aval, qui sont des usines rentables, aussi bien Hayange que FN Steel.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Raison de plus !

M. Jean-Pierre Floris . - D'autres peuvent également se porter acquéreurs. Ce que nous avons demandé est d'être tenus informé, afin de pouvoir rentrer en contact avec les candidats. Nous ne pourrons rien faire de plus sur Ascoval : leur plan d'investissement est bon, il va falloir le mettre en oeuvre très rapidement. Ils se sont engagés à réaliser les transformations permettant de fournir de l'acier pour fil d'ici septembre prochain, même si cela n'est pas optimal en termes de prix. Cela permettra de vendre des produits à plus forte valeur ajoutée que les produits standards. Ensuite, le repreneur devra faire des propositions sur l'aval. L'aide que nous pouvons apporter est d'être en contact avec tous les candidats possibles, à la fois pour protéger le site d'Hayange avec plus de 400 emplois ...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Et garantir la solidité des repreneurs !

M. Jean-Pierre Floris . - ... et vérifier qu'il subsiste des débouchés pour Ascoval, c'est là le fond du sujet. L'État et la Région auraient pu se « débrancher » le processus de redressement à l'annonce de la faillite de British Steel. Mais nous avons pris la décision commune de poursuivre, car il nous semble que ce dossier peut réussir malgré l'incertitude dont nous sommes tous conscients. Je comprends l'inquiétude des salariés, mais il n'y avait personne d'autre. Nous avons cherché partout. Les repreneurs intéressés sont venus car il y avait une aide publique massive en jeu. Tous ne sont pas des enfants de choeur.

Toutefois, je répète qu'il y a eu un mensonge, que je ne qualifierai peut-être pas de « mensonge d'État », mais pour le moins le mensonge d'un investisseur acculé. Je vous certifie n'avoir jamais déclenché un contrôle fiscal, d'ailleurs je n'en n'ai pas les moyens les moyens.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pour terminer, ce qui nous a marqué est qu'il semble difficile de savoir comment avancer sur les questions énergétiques, en partie parce que chaque administration possède une partie de la réponse. Comment élaborer une stratégie globale, faire en sorte que tous les acteurs, y compris la filière, puissent se parler ?

M. Jean-Pierre Floris . - Je suis entièrement d'accord avec vous, il y a beaucoup d'interlocuteurs.

M. Louis Margueritte. - Il faut que les entreprises nous saisissent plus tôt. Il ne faudra pas attendre 2021 pour intervenir. Les dossiers qui nous arrivent sont souvent dans un état très dégradé : les entreprises n'ont plus d'actifs à monétiser, plus d'actif au bilan, tout a été donné aux banques. Les entrepreneurs sont allés devant les tribunaux de commerce, ont vu un procureur, viennent me voir à Bercy, sont déjà tombés de haut. Nous sommes un service d'aide à l'industrie, qui plus est gratuit. Notre message est : venez nous voir, le plus tôt possible et ne serait-ce que pour un entretien informel.

M. Franck Menonville , président . - Merci pour votre clarté et la richesse de ces échanges.

M. Jean-Pierre Floris. - Je tiens à dire que j'apprécie beaucoup le travail de fond qui est fait par le Sénat.

L. AUDITION DE M. XAVIER BERTRAND, PRÉSIDENT DE LA RÉGION HAUTS-DE-FRANCE (5 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Mes chers collègues, nous recevons le président de la Région des Hauts-de-France. Vous le connaissez et je ne vous le présente pas.

Vos mandats et fonctions successifs, parlementaire de 2002 à 2016, maire de 2010 à 2016, ministre de 2005 à 2012, président de la communauté d'agglomération du Saint-Quentinois depuis 2014 et du conseil régional des Hauts-de-France depuis 2016, vous ont apporté une expérience du fonctionnement des acteurs publics locaux et nationaux confrontés à un enjeu politique majeur.

C'est le coeur de notre mission d'information : l'avenir de la sidérurgie comme filière stratégique, la conduite d'une politique industrielle qui lui est dédiée, les défis auxquels les entreprises sidérurgiques sont confrontées.

Je pense bien entendu à Ascoval ; dossier dans lequel vous êtes très fortement impliqué. À partir de ce cas particulier, et singulier, nous nous intéressons à l'ensemble de la sidérurgie qui est pour nous une filière stratégique et porteuse d'avenir y compris dans le cadre de la transition énergétique que ce soit pour la construction d'éoliennes, de véhicules électriques ou pour son apport à l'économie circulaire avec le recyclage de la ferraille.

La mission d'information s'est déplacée dans votre belle région les 14 et 15 mars derniers sur les sites de Dunkerque et Valencienne. Nous y avons appréhendé le poids de cette filière en matière d'emplois directs et indirects, ainsi que du point de vue de la modernité de ses outils. Filière située en haut de la chaine de valeur et qui alimente un écosystème industriel particulièrement dynamique, que ce soit dans le secteur automobile, la construction, le ferroviaire ou encore l'éolien.

Nous sommes heureux et honorés que vous ayez accepté cette invitation. Vous êtes à la tête d'une des régions industrielles les plus importantes de France : première région pour la construction ferroviaire, seconde pour la construction automobile, et troisième pour les investissements internationaux. Territoire en pleine mutation que vous accompagnez avec beaucoup d'implication, de volontarisme et de détermination. Une filière métallurgique au coeur des enjeux climatiques, européens, énergétiques et des enjeux de recherche et d'innovation. Votre vision de la stratégie industrielle de la France et les ambitions de votre région nous intéresse. Ces présentations étant faites, je passe la parole à Mme la rapporteure.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je suis heureuse en tant que rapporteure de partager l'expertise, la connaissance et la pratique du président de région qu'est Xavier Bertrand. Une telle expérience nous permet de comprendre le rôle des régions dans l'accompagnement des entreprises durant cette mutation industrielle impliquant des restructurations. Xavier Bertrand a toujours fait des sujets industriels et économiques sa priorité. À ce titre, nous sommes très heureux de pouvoir l'entendre nous exprimer son sentiment.

Mes chers collègues, comme le président Menonville l'a indiqué, la Région Hauts-de-France est au départ de cette mission d'information avec le cas emblématique d'Ascoval, dont la situation n'est toujours pas stabilisée après deux déboires successifs.

En tant que président de Région, vous vous êtes particulièrement impliqué dans ce dossier auprès des salariés et de la direction, qui font corps, pour sauver ce site. Il s'agit d'une belle aventure industrielle et vous ne ménagez pas vos efforts pour trouver un repreneur. Je peux en témoigner.

Les sénateurs de la mission d'information, que nous sommes, se sont rendus sur le terrain ; nous avons rencontré ses dirigeants et ses salariés, procédé depuis quatre mois à de nombreuses auditions.

Nous avons entendu hier le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, M. Jean-Pierre Floris, qui a tenu à démentir vigoureusement les propos qu'il aurait tenu. Celui-ci n'aurait jamais demandé à Altifort de retirer son offre en octobre 2018 mais nous a indiqué qu'il aurait dit au ministre ne pas avoir eu confiance dans ce potentiel repreneur. Il a également démenti toute menace de contrôle fiscal, procédure qu'il ne pouvait au demeurant - et en aucun cas - mettre en action.

En revanche, il semble bien qu'il y ait eu au Gouvernement sur ce dossier de fortes divergences d'appréciation. Et, après le renoncement d'Altifort, l'administration aurait eu comme consigne de « faire le deal à tout prix » avec British Steel, propriété du fonds Greybull Capital. Le groupe vient d'être déclaré en faillite en Angleterre, quelques jours après avoir été choisi par le tribunal de Strasbourg pour la reprise de l'aciérie de Saint-Saulve. Les entreprises françaises de ce groupe ne seraient pas touchées, mais la pérennité de l'approvisionnement de la France en acier pour le rail est, pour sa part, interrogée.

Outre ses dimensions économique et politique, ce dossier industriel pourrait acquérir une dimension judiciaire, avec les procédures que la CGT souhaite engager à l'encontre de Vallourec, qui a vendu 60 % de ses parts à Ascométal en 2014. Il pourrait être intéressant que vous nous donniez votre sentiment sur l'attitude de Vallourec dans ce dossier.

Mais ce dossier local pose aussi la question plus globale de l'articulation entre les rôles respectifs et les politiques publiques des régions et de l'État, dont nous avons entendu hier les principaux acteurs des opérations de restructuration, d'une part, et de préparation des territoires d'avenir, d'autre part.

Sur toutes ces questions, nous vous avons adressé un questionnaire, de même qu'à votre homologue de la Région Grand Est, que nous entendons demain. Vous avez la parole.

M. Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France . - Votre mission est passionnante, tant par son thème que ses enjeux. Puissent le Législatif ensuite s'emparer de son sujet et l'Exécutif en tenir compte !

Au-delà de cette mission, je m'interroge sur la nécessité d'avoir, à l'avenir, de l'acier. La réponse est évidemment positive. Où le produira-t-on ? On pourrait rétorquer qu'il n'y a plus de marché européen et que la production d'acier mondial est vouée, à terme, à n'être localisée qu'en Asie. Sauf qu'on produit de l'acier pour moins cher en Asie depuis un certain temps déjà, sans avoir arrêté d'en produire en France et en Europe ! On ne saurait bien évidemment concurrencer toutes les formes d'acier, mais certains d'entre eux requièrent des savoir-faire spécifiques. Pourquoi continuerait-on à produire de l'acier en Allemagne et non plus en France ? C'est une question de volonté politique qui concerne l'industrie dans son ensemble. Il faut arrêter les beaux discours et prendre les mesures qui s'imposent pour non seulement sauvegarder, mais aussi renforcer notre tissu industriel. C'est possible grâce à un certain nombre d'actions claires qui bénéficieront, en retour, à l'ensemble de notre industrie nationale.

Une véritable stratégie industrielle existe-t-elle en France ? Encore faut-il clarifier au préalable les rôles de l'État, de l'Europe et des régions, que la Loi NOTRe a investies d'une fonction économique. J'ai d'ailleurs demandé au Ministre de l'Économie si le rôle de l'État était celui de stratège ou de pompier. Qui, au quotidien, règle les problèmes ? Les régions doivent aujourd'hui être investies de davantage de pouvoirs, de compétences et de moyens pour intervenir efficacement. La définition des filières stratégiques en lien avec l'Europe doit relever des États, à l'instar de ce qui est actuellement en cours avec le projet de batterie de futur. Si demain, la Région Hauts-de-France a des collaborations avec la Région Grand Est, rien ne remplacera la création d'un écosystème favorable à l'échelle gouvernementale et propice à la décision de créer une filière stratégique. Aujourd'hui, je souhaite que cette clarification se produise, dans le cadre de la prochaine étape de la décentralisation, à travers la différenciation et la définition incontournable d'une nouvelle stratégie économique impliquant de doter les régions de nouvelles compétences.

Il faudra aller très vite sur d'autres sujets. Si l'on baisse singulièrement les impôts de production, il faudra également que les collectivités territoriales fassent des efforts. Je suis prêt à renoncer, dans des implantations dans de nouveaux secteurs géographiques, à une part des recettes fiscales liées aux impôts de production, si tant est que je conforte ou maintienne l'emploi. Je reprendrai à cet égard un exemple concret que j'ai évoqué devant le Président de la République : je souhaite pouvoir bénéficier d'une fraction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aujourd'hui dévolue à l'État, en contrepartie de compétences que j'assumerai, et passerai un contrat avec l'État par lequel je m'engage à ne pas accroître la fraction qui me sera transférée. En revanche, si je décide, avec l'aval des conseillers régionaux, de développer l'industrie localement, je veux avoir la possibilité d'exonérer fiscalement sur cette CVAE sur cinq ou sept ans ; seule m'intéresse ici la création de valeur ou d'emplois. Dès lors, si les recettes fiscales seront obtenues à l'issue de la septième ou huitième année, les emplois seront, quant à eux, créés immédiatement ! Une telle démarche permet, en retour, de conduire une politique d'aménagement du territoire. Installer une industrie de services au coeur de Lille permet de bénéficier des avantages de cette métropole, à l'inverse d'un projet d'installation dans le Thiérache qui ne bénéficie d'aucun avantage ! Dans de nombreux dossiers, nous avons pu constater que la fiscalité de production pesait beaucoup trop lourd. Il ne s'agit pas de dumping fiscal, loin s'en faut, mais il est nécessaire d'orienter des investissements productifs.

En outre, une grande région et un grand pays ne peuvent réussir que si les services et la technologie fonctionnent conjointement avec l'industrie. La Bavière ne serait pas restée une grande région si elle avait fait une croix sur son industrie ; elle a certes développé l'économie numérique de manière importante tout en renforçant ses cols bleus. En ce sens, la fiscalité de production est essentielle.

Ne nous tirons pas une balle dans le pied en raison du coût de l'énergie ! L'énergie décarbonée permet aux particuliers et aux usines, qui en sont de grandes consommatrices, d'obtenir l'énergie pour un coût moindre et il importe de bien prendre en considération les industries qualifiées d'électro-intensives, parmi lesquelles se trouve l'industrie sidérurgique ! C'est là un sujet à la fois franco-français et européen : d'une part, le groupe EDF ne doit plus considérer les industriels de cette branche comme des clients captifs et, d'autre part, la politique européenne, pas si contraignante que cela, peut néanmoins induire des coûts de production trop disparates selon les zones géographiques d'implantation. L'industrie du futur ne peut avoir de sens qu'en conciliant le numérique et l'industrie ! Il serait temps de réfléchir à l'installation d'une filière de production de robotique numérisé, qui manque actuellement à notre pays. Nous obtiendrions alors des gains de productivité et de compétitivité qui généreraient des emplois à terme ! Un nouvel écosystème national est tout à fait possible. Je n'oublierai pas le nouveau système de formation partagé entre l'État, les régions et les milieux professionnels. Au-delà de la seule question de l'apprentissage, il est important d'orienter davantage les jeunes vers l'industrie où les conditions de rémunération y sont supérieures à la moyenne des autres secteurs.

Les régions, notamment dans les schémas régionaux de développement économique, disposent d'outils de différente nature, selon qu'on se place dans une perspective de financement ou d'accompagnement. Elles sont ainsi prêtes à accompagner les entreprises dans leur projet. Pour la deuxième année consécutive, la Région Hauts-de-France est classée par le cabinet Ernst &Young comme la première région de France pour l'accueil des investissements étrangers. Qu'il s'agisse d'avances remboursables ou de subventions, voire de financements avec l'Europe sur la recherche et l'innovation, nous n'hésitons pas à intervenir. Dès lors, nous sommes devenus attractifs. Ce sont les industriels qui créent de l'emploi. Néanmoins, l'accompagnement de la Région permet de contrebalancer un cadre peu attractif. Il n'y a strictement aucune fatalité, comme en témoigne le rang de la France en matière d'attractivité, par rapport à l'Allemagne. Nous accompagnons les chefs d'entreprises dans leur réflexion stratégique de filière et soutenons les entreprises industrielles avec un régime d'aides directes et d'outils financiers avec les fonds régionaux, comme Hauts-de-France-Financement. La Région soutient également les plans de formation mis en oeuvre dans l'industrie automobile, pour adapter les compétences des salariés aux mutations technologiques et aux évolutions du marché. Enfin, nous accompagnons les entreprises pour bénéficier des fonds européens FEDER.

Nous avons repris de nos prédécesseurs Daniel Percheron, ancien sénateur, et de Philippe Vasseur, qui en avait été l'instigateur, l'idée de cette Troisième révolution industrielle. Nous pensons en effet qu'il faut aller très clairement vers le bas-carbone, la numérisation et la robotisation. Il s'agit de projeter la Région vers l'avenir, afin de conforter son leadership dans des secteurs comme l'industrie automobile où un besoin de main d'oeuvre sera toujours présent. Très clairement, il y a là un enjeu.

Depuis ces trois dernières années, 220 entreprises industrielles ont été aidées par la seule Région ; 25 000 emplois ont été renforcés et 2 300 créés, pour un investissement de 74 millions d'euros. Il s'agit là d'un bon investissement. Telle est ma conception de l'articulation du rôle de l'État, qui doit être davantage stratège, et de celui des régions.

Enfin, au niveau européen, les règles du jeu doivent être claires et harmonisées. En France, le montant des aides industrielles aux implantations est plafonnée à 10 % tandis qu'il l'est de 25 % en Pologne. Il faut harmoniser un tel taux afin de permettre le développement de projets industriels de grande envergure sur le territoire national. Il faut que la France fasse entendre sa voix au moment de la renégociation de ces plafonds qui vont prévaloir pour les sept prochaines années. La Pologne d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier et la même règle doit prévaloir dans toute l'Europe. Il me paraît nécessaire, pour l'Européen convaincu que je suis, de plaider cela !

Le dossier Ascoval représente un formidable gâchis et c'est toute la stratégie industrielle de Vallourec doit être questionnée. Ce dossier a connu plusieurs rebondissements : la reprise d'Ascometal, annoncée comme la solution idoine, puis celle d'Altiflor qui n'a duré que trop peu de temps et enfin celle du groupe Olympus, qui connaît les retombées de la mise en liquidation, selon le droit britannique, de British Steel. Vallourec n'a pas su se diversifier, ni investir suffisamment. La rapporteure, Valérie Létard m'a fait entrer dans ce dossier il y a quelques temps déjà. Au fil des années, la baisse du prix de la tonne d'acier a permis de rendre cette entreprise viable qui est passée d'un portefeuille de deux à une dizaine de clients, en raison de la qualité de l'acier proposée et de son rendement énergétique.

Néanmoins, le marché de l'acier fluctue énormément, notamment suite au Brexit, et a besoin de plus de visibilité. Les groupes Schmolz & Bickenbach ou Ascométal avaient été identifiés par le tribunal de commerce pour la reprise de l'usine de Saint-Saulve. Je le dis très clairement : le Gouvernement a commis une erreur en ne soutenant pas l'offre de reprise du groupe Liberty Steel. Cela nous aurait permis d'avoir une visibilité sur cette usine. Il a également pensé que Schmolz & Bickenbach ne demandait rien ; choix funeste qui s'est avéré beaucoup plus onéreux ! Même le ministre de l'Économie et des finances ne disposait sans doute pas de l'ensemble des éléments pour évaluer les tenants et aboutissants des deux projets de reprise concurrents. Manifestement, Bercy n'avait ni vision stratégique, ni conscience de l'importance du partenariat de la Région à hauteur 14 millions d'euros, dont 2 millions d'euros d'avances. D'ailleurs, le groupe Schmolz & Bickenbach était-il d'abord intéressé par le développement industriel ou par le carnet de commandes et les conditions d'homologation pour pouvoir produire, par la suite, davantage d'acier en Allemagne ? J'assume totalement mes propos. Il s'agit bel et bien d'une erreur stratégique. Le groupe Liberty souhaitait également reprendre une autre entité dans le Dunkerquois et avait alors la possibilité de créer un groupe industriel. À l'époque, le dirigeant indien de Liberty Steel nous avait indiqué qu'il nourrissait un nouveau projet d'usine pour les aciers spéciaux. La fin de non-recevoir qui lui a été donnée a mis également fin à cet autre projet. Ce groupe agissait pourtant en connaissance de cause et n'a pas été retenu.

S'agissant d'Ascoval, je ne souhaite nullement porter querelle, mais le titre de M. Jean-Pierre Floris devrait être, selon moi, plutôt « Commissaire à la liquidation » qu'à la restructuration industrielle. J'ai pu le constater dans plusieurs dossiers et j'assume absolument ce que je dis ; tous les représentants économiques qui ont été en contact avec lui vous le confirmeront. J'ai été témoin d'une scène, sur le dossier industriel de la société TIM, dans le Dunkerquois. Ce jour-là, j'ai vu M. Floris se comporter avec le gérant de cette société avec une rare condescendance et lui proposer une forme de restructuration industrielle ne répondant nullement à notre cahier des charges. Tous nos efforts ont failli être ruinés par une telle attitude ! Les délégués syndicaux des entreprises industrielles de ma région sont ressortis découragés d'un rendez-vous avec lui ! Lorsqu'une entreprise n'est pas viable, il faut dire la vérité aux ouvriers et proposer une autre activité ou des voies de reclassement. À l'inverse, les activités viables - à l'instar des cabines de chantier produites par TIM ou des aciers spéciaux -, légitiment la mobilisation de moyens pour une reconversion. Je suis également prêt à préciser dans quelle conférence téléphonique j'ai constaté l'existence d'un réel cynisme d'État sur ce dossier Ascoval que l'on est prêt à laisser mourir.

J'ai pourtant remué ciel et terre pour que le Gouvernement et le chef de l'État, qui disposaient d'informations manifestement erronées, changent de position. Malgré cela, nous ne sommes pas pour autant tirés d'affaire. Dans tous les dossiers industriels, et même lorsqu'il existe une réelle stratégie industrielle, du volontarisme et des investissements, tout se passe à hauteur d'hommes et de femmes. Or, l'ensemble de ces salariés ont été ballotés par la succession de plusieurs facteurs : le cynisme de Vallourec, l'incompétence d'un certain nombre de dirigeants d'Ascométal, le manque de solidité des dirigeants d'Artiflor - que les responsables de l'État, dont M. Jean-Pierre Floris, ont contribué à fragiliser -, ainsi que les vicissitudes du Brexit qui ont fragilisé British Steel. Or, le repreneur actuel a besoin de cette société pour constituer un groupe européen. En outre, en l'absence de filière sidérurgique, comment la SNCF s'approvisionnerait-elle en rails ?

La confiance des salariés représente un réel enjeu. Je veux saluer l'implication de Mme Valérie Létard en tant qu'élue nationale et du Valenciennois. Même si les compétences économiques ont été attribuées, dans le cadre de la décentralisation, aux collectivités territoriales, seul un travail en commun avec l'État permettrait de trouver des solutions. Malheureusement, en matière industrielle, les régions sont devenues les supplétifs de l'État, notamment pour l'accès à l'information et au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Certes, de bonnes relations avec les préfets permettent d'obtenir des informations financières au niveau régional, tandis qu'au niveau national, les régions sont bien souvent simplement sollicitées pour faire un chèque, sans être associées aux négociations préalables. Cette situation est honteuse. L'accès aux informations du CIRI, quitte à instaurer un délit de divulgation d'informations, doit être garanti aux élus qui ont conscience de leurs actes. On ne peut plus continuer à travailler ainsi ! Pour preuve, dans le dossier ARC où la Région est intervenue, nous n'en avons été, au final, que le financeur. Ce n'est pas une attitude respectueuse vis-à-vis des élus locaux qui sont également dépositaires d'une part de souveraineté démocratique.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Les derniers propos que vous venez de tenir me font penser à l'initiative « Territoires d'Industrie. » Comment y concevez-vous l'articulation entre l'État, les régions et les territoires ?

M. Xavier Bertrand . - Nous allons jouer le jeu à fond et soutenir cette initiative qui devrait permettre de renforcer notre présence industrielle. Toutefois, l'État n'y met pas un euro d'argent frais ! C'est une opération de communication et de recyclage des dispositifs actuels qui ne me dérange guère, à vrai dire. En effet, nous lancerons début juillet cette opération « Territoires d'Industrie » dans notre région. Néanmoins, j'ai quelque peu retardé l'échéance, car il importait de clarifier les ambitions de cette initiative qui ne saurait se limiter à l'association des élus et des industriels pour la réalisation de fiches-projets. Outre l'affichage politique, il faut en faire un facteur de rebond. Puisque l'État n'apporte pas de nouveaux financements, il nous a fallu revoir les modalités de notre politique industrielle, afin d'identifier des crédits - au-delà des 76 millions d'euros déjà mobilisés - tant par la région que par les autres fonds régionaux -, de jeter les bases d'un pacte pour la formation et l'industrie du futur, et de financer des audits. L'opération « Territoires d'Industrie » doit apporter des solutions claires aux industriels. J'ai d'ailleurs proposé qu'un chef d'entreprise - dans notre région, M. Laurent Bataille identifié par le monde industriel - participe également au pilotage de cette opération qui devait initialement être assuré par le binôme préfet-président de Région, afin de croiser les regards économique, politique et administratif.

Nous allons être capables de présenter des fiches et des moyens opérationnels et pas seulement écouter des discours. En parallèle, je présenterai au Gouvernement des propositions relatives notamment à la différenciation, pour la nouvelle étape de la décentralisation, pour que les régions se voient attribuées davantage de moyens et de compétences. Je ne demande pas d'argent, car je sais pertinemment qu'il ne coule plus à flots. En revanche, je sollicite davantage de maîtrise économique et budgétaire pour pouvoir être plus efficace.

M. Franck Menonville , président . - Merci Monsieur le Président. Je vous avais entendu il y a quelque temps sur Europe 1 lorsque vous évoquiez l'éventuel rôle des régions dans l'instruction des politiques de l'État. Une telle perspective s'inscrit dans l'évolution du paysage économique où, comme en témoignait l'un de nos intervenants hier, le temps économique a été divisé par quatre tandis que le temps administratif a été allongé dans les mêmes proportions. Les régions ont bel et bien toute leur place pour rationaliser, simplifier et surtout gagner du temps et de l'efficacité dans la politique économique.

M. Xavier Bertrand . - On peut en effet gagner du temps, si les régions se voient reconnues la possibilité d'instruire ou de superviser les procédures d'installation ou d'extension. Je suis persuadé que prendre la main sur les procédures nous permettra de gagner un temps certain. Je prendrai un exemple : avec un projet à 150 millions d'euros, tout le monde se met en ligne. On a réussi à mettre en place un contrat d'implantation dans la Région, en tentant de raccourcir et de circonvenir l'empilement des procédures traditionnelles. Dans la Région Hauts-de-France voisine de la Belgique, nous avons un problème : en Belgique, l'implantation d'une entreprise prend deux fois moins de temps, du fait de la complexité vétilleuse qui est la nôtre. Je souhaite que nos contrats spécifiques d'implantation, qui ont motivé l'implantation de groupes étrangers, deviennent l'ordinaire. Suite au Brexit, les procédures ordinaires de l'État, comme les fouilles archéologiques, ont été singulièrement réduites. Comme quoi, lorsqu'on veut, on peut ! Au quotidien, une implantation d'entreprise ou une extension d'activités représente un parcours du combattant. Y remédier ne coûte rien !

M. Franck Menonville , président . - Au contraire, même !

M. François Calvet . - Nous avons fait ensemble, Monsieur le Président, un hôpital franco-espagnol qui fonctionne à merveille depuis ces quatre dernières années ! Vous avez évoqué le besoin d'acier pour l'avenir au début de votre propos. Parmi les utilisateurs de l'acier, je pense en particulier à l'industrie automobile. À ce sujet, rappelant le titre d'un quotidien économique, la fusion entre les groupes Renault et Fiat vous paraît-elle une bêtise ou un coup de génie ?

M. Marc Laménie . - Outre la question financière, l'enjeu humain est fondamental et concerne le recrutement qui pose souvent problème aux chefs d'entreprise. Que faire pour soutenir, au niveau régional, le recrutement dans cette filière de la sidérurgie en crise depuis de nombreuses années ? Dans un contexte budgétaire difficile, qui est à la fois celui de l'État et de la sécurité sociale, comment faire pour amoindrir le poids des charges pour nos entreprises de la sidérurgie qui doivent faire face, comme nos autres filières industrielles, à la concurrence étrangère ?

M. Dany Wattebled . - En fait, Monsieur le Président, vous avez répondu à tout ! Nous n'avons plus rien à dire ! Le cas d'Ascoval est emblématique. Nos grandes régions françaises ne disposent que de budgets ridicules par rapport à celui des Länder allemands. Paris ne connaît pas le terrain et prend des décisions sans consulter le niveau local. La crise française part de là ; les grandes régions n'ont pas de réel pouvoir. Si les experts locaux avaient été consultés, ceux-ci, forts de leurs connaissances des acteurs locaux, auraient pu permettre de définir une stratégie à long terme. Il est toujours possible de sauver une entreprise. Que faire avec cette technostructure ? Il faut prendre des acteurs de proximité et distribuer le budget consacré par l'État à l'industrie aux régions, pour répondre au mieux aux besoins locaux. Inspirons-nous de la politique des Länder, qui savent prendre des décisions au plus près du terrain ! Avec 50 milliards d'euros de budget, la Bavière peut agir efficacement et soutenir son tissu industriel. Chaque région a certes ses problèmes mais tant que les cartes n'auront pas été redistribuées et que l'avis des experts parisiens sera le seul pris en considération, le débat pourra s'éterniser, mais n'aboutira à rien ! C'est un problème institutionnel et non financier !

Mme Martine Filleul . - Vous avez évoqué la formation qui contribue au développement de ressources humaines dans l'industrie. Depuis de nombreuses années, certains chefs d'entreprise ne peuvent embaucher, faute de candidats ; les filières industrielles ne suscitant, faute d'une sensibilisation et d'une orientation des élèves performantes, guère de vocations. Il faut mobiliser les branches professionnelles et trouver des moyens nouveaux pour répondre à ce problème sur l'ensemble du territoire national.

M. Jean-Claude Tissot . - Hier, je suis intervenu au sujet du CIRI et des Territoires d'industrie durant les auditions qui y étaient consacrées. Je suis issu de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Le binôme de l'initiative Territoires d'Industrie rassemble l'État et les régions. Or, nous sommes des Sénateurs élus des départements. À ce titre, nous n'avons aucun accès direct aux dossiers, sauf en cas de relations particulières avec le préfet du département. Ces territoires d'industrie ne sont-ils, au final, que des « coups de com » ? Une fois la feuille de route rendue publique, on en reste là, puisque les financeurs devraient encore être les agglomérations ou les métropoles. Quel rôle les parlementaires auraient à jouer dans cette opération ?

M. Fabien Gay . - Je voulais remercier votre discours articulé sur une réelle vision industrielle. Je ne crois pas ni l'actuel Gouvernement, ni ses prédécesseurs n'en ont eu, à l'exception de ceux formés sous la Présidence de Nicolas Sarkozy qui avait - je dois bien le reconnaître - une vision stratégique. Nous n'avons plus de ministre de l'Industrie ! C'est là un sujet ! J'ai accompagné des syndicalistes des Pages Jaunes auprès de M. Jean-Pierre Floris qui n'a eu de cesse de les démotiver et de les décourager, en clamant d'emblée son impuissance. Je partage entièrement votre point de vue sur l'absence de vision industrielle et sur l'origine de la prise de décision. Cependant, je suis en désaccord avec vous sur la question de la différenciation qui me paraît accroître les différences entre les régions, dotées d'un réel potentiel de développement économique, et les autres.

M. Xavier Bertrand . - Les Hauts-de-France sont la dernière région en termes d'emplois ! Qui nous a aidés ? La différenciation résulte de notre prise de conscience que la péréquation ne nous aidera nullement à obtenir des financements pour l'industrie. Je ne vais pas installer une usine à Laon, dans le sud de ma région, qui viendrait faire concurrence à une autre entité implantée dans la Marne ! Il faut, à l'inverse, tirer parti des complémentarités. En revanche, dans des territoires comme l'Avesnois, si je ne mets pas en place des outils spécifiques, qui va venir m'aider ? Loin de conduire à un dumping entre régions, la différenciation permet de réaliser un aménagement du territoire, surtout en milieu rural ou semi-rural, si des voies de désenclavement voient le jour. Pour preuve, les usines en Suisse et en Allemagne sont situées dans les vallées et non dans le coeur de métropoles ! L'industrie et l'aménagement du territoire vont de pair !

M. Fabien Gay . - On peut avoir un vrai débat sur le troisième axe de décentralisation, pourquoi pas ? Cependant, je pense que la différenciation ne va pas manquer d'induire de réels problèmes !

M. Xavier Bertrand . - Il faut prendre en compte le cadre républicain dans lequel l'État a pour fonction d'assurer cette péréquation.

M. Fabien Gay . - La question de l'égalité républicaine se pose. Comme vous le savez, je suis élu de Seine-Saint-Denis. Désormais, l'État ne garantit rien sur nos territoires ! J'en viens à ma première question qui porte sur la formation. Dans le cadre des activités de la Délégation aux entreprises, nous rencontrons des chefs d'entreprise qui connaissent un manque de main d'oeuvre qualifiée. Aussi, que pensez-vous de l'actuel démantèlement de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui répondait mieux aux besoins que les formations privées ? En outre, votre discours de politique industrielle globale occulte le rôle des banques. À quels taux doivent-elles prêter et comment peuvent-elles aider les territoires pour l'emploi ?

Mme Angèle Préville . - Dans le projet de loi pour une école de la confiance, j'ai fait adopter un amendement, qui modifie le code de l'éducation, afin de favoriser l'éducation manuelle. En tant qu'enseignante, j'avais pu constater les difficultés éprouvées par les élèves de troisième pour s'orienter, faute d'avoir, dans leur scolarité, pu découvrir leurs aptitudes et leurs goûts pour les disciplines manuelles. J'espère que cette modification permettra de réintroduire de l'éducation manuelle en collège et de favoriser, en retour, de nouvelles vocations vers ces métiers. Ce que vous nous avez raconté sur Ascoval m'éclaire beaucoup ! La décentralisation me semble un levier d'énorme progrès potentiel. Il nous faudra cependant réfléchir sur le droit à la différenciation. Le Gouvernement semble rétif pour accorder ce type de disposition qui me semble soutenir notre compétitivité, vis-à-vis notamment de notre voisin allemand. Il nous incombe ainsi de réfléchir, en tant que parlementaires, au contenu de ce prochain volet de la décentralisation.

M. Dany Wattebled . - En France, nous appliquons la réglementation européenne dans le domaine de l'environnement avec une sévérité accrue, qui nous évince de certains marchés et favorise nos concurrents européens. Il s'agit là de distorsion de la concurrence. Pour preuve, le traitement des alluvions dans nos canaux : nos voisins belges parviennent à atteindre un prix de revient quatre fois moins cher que le nôtre ! Dès lors, la totalité des dragages effectués sur les canaux français sont effectués par des entreprises belges ou hollandaises, dans le cadre d'appels d'offres publics ! Notre technostructure gouvernementale impose à nos entreprises des conditions plus draconiennes, fussent-elles minimes, qui contribuent à les évincer, de fait, des marchés publics.

M. Cyril Pellevat . - La Haute-Savoie connaît également des enjeux industriels, dans des domaines comme le décolletage et la transition vers les véhicules électriques, et des difficultés de recrutement, en raison de sa proximité avec la Suisse où les conditions d'engagement sont plus aisées et les salaires plus élevés. La transmission d'entreprises, notamment familiales, pose problème ; les PME performantes - et avec elles, des compétences nécessaires au tissu industriel local - disparaissant le plus souvent, suite à leur rachat par de grands groupes. S'agissant du financement des banques, votre Région Haut-de-France bénéficie-t-elle du plan d'investissement pour l'Europe « InvestEU » ?

M. Xavier Bertrand . - Il nous manque un ministère dédié à l'Industrie. M. Bruno Le Maire mouille réellement la chemise. Mais si l'industrie est une priorité, alors ce ministère doit relever d'un poste à plein temps. Au moment de la crise de 2008, nous avions une cellule d'intervention le plus en amont possible et qui jouait un rôle d'alerte. Dans ce même esprit, comme président de Région, je reçois chaque semaine un récapitulatif des difficultés rencontrées par les entreprises des Hauts-de-France. Il importe d'intervenir le plus en amont possible : ce rôle est avant tout celui d'un architecte et non d'un pompier. Il ne faut pas non plus dire blanc la veille et noir au lendemain des élections, comme j'ai pu le constater sur de nombreux sujets, quelles que soient les mandatures !

Allons jusqu'au bout de ce raisonnement : il faut une administration dédiée dans un ministère spécifique si l'on estime que l'industrie est une priorité. Conduire un travail de veille permet également d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard.

Je n'ai pas souligné le rôle des banques. Sans vouloir généraliser, aller voir certaines d'entre elles uniquement si vous n'avez pas besoin d'elles. J'ai des exemples en tête dans ma région. Puisque j'avais fait campagne sur la thématique du travail, je n'ai pas délégué la compétence industrielle et économique que j'assume dès lors totalement. Je vois les dossiers en direct. Seules les banques qui disposent d'une implantation régionale, à l'inverse de plus grands groupes nationaux, dont la part de marché susciterait sans doute l'étonnement, répondent présent. BpiFrance est certes présente, mais elle ne va pas sur certains risques et, bien qu'actionnaire de Vallourec, elle ne s'est pas impliquée dans le dossier Ascoval. Certaines banques demeurent aux abonnés absents ! Encore une fois, si la Région ne croyait pas à ce dossier, elle n'aurait pas décaissé 12 millions d'euros d'avances sur le solde de l'opération ! De la même manière, elle n'aurait pas engagé 3,5 millions d'euros d'avances remboursables sur le dossier TIM. Est-ce son travail ? Non ! Mais que dire à nos concitoyens si personne n'agit ?

En matière de transmission et succession d'entreprises, la question est celle de la taille critique. Les Allemands et les Italiens du Nord parviennent à transformer leurs PME en ETI, après avoir franchi un certain nombre de paliers qui ne se limitent pas aux seuls seuils sociaux ! La fiscalité de la succession doit être revue si la finalité économique est prouvée ; une telle démarche bénéficiant alors à l'ensemble des secteurs d'activité. Du reste, en politique, on s'est longtemps passionné pour la seule création, alors que cette étape n'est nullement la plus compliquée, à l'inverse de la gestion des difficultés, de la croissance ou de la transmission des entreprises. Bercy raisonne uniquement en termes comptables et financiers, en ne concevant pas les recettes générées par le maintien de l'activité et de l'emploi sur notre territoire national. Or, investir dans une politique favorable à la transmission des entreprises représente un bon investissement. Cet outil manque aujourd'hui et il importe d'adapter notre fiscalité.

J'attends que les discours clamant la confiance envers les collectivités locales soient suivis d'effets. Je ne demande pas la différenciation pour la seule Région Hauts-de-France ! Toutes les régions pourront en bénéficier et ce sera à chacune de fixer ses priorités. La loi sera la même sur l'ensemble du territoire de la République. Il est certes plus facile aux régions qui ont déjà une tradition industrielle d'avoir un avenir industriel ! Si je privilégie une implantation dans ma Région, c'est en raison du taux de chômage qui y sévit ! Personne ne viendra s'en occuper à notre place.

La Loi NOTRe a précisé les prérogatives des régions, reconnues chef de file en matière économique, et des intercommunalités. Notre Région essaie d'associer l'ensemble des élus locaux et des parlementaires sur les dossiers économiques, même si ceux-ci ne sont généralement pas impliqués dans l'initiative Territoires d'Industrie ou dans les projets industriels.

Nous attendons le discours de politique générale que le Premier ministre prononcera la semaine prochaine et qui devrait comporter l'annonce d'une grande loi sur la décentralisation. Je ne demande pas d'argent, mais seulement la liberté de prendre des initiatives dans un cadre où le préfet de Région pourra conduire un contrôle de légalité. On peut gagner du temps, et ainsi de l'argent, pour un certain nombre d'acteurs économiques.

Je n'ai pas abordé la question de la formation pour deux raisons : d'une part, le questionnaire qui m'a été adressé, dans le cadre de la préparation de cette audition, ne l'abordait pas ; d'autre part, les régions, qui n'interviennent pas dans les collèges, n'ont pas d'accès au contenu de l'enseignement des lycées. Alors que les régions étaient auparavant les pilotes de l'apprentissage, elles n'en sont plus que les passagers ! Nous sommes cependant la seule Région à avoir donné quitus à la réforme de l'apprentissage, en espérant qu'elle réponde aux besoins des entreprises. D'ailleurs, la progression de l'apprentissage, bien que de 8 à 10 % par an, ne permet pas de résoudre le problème du chômage des jeunes ! Je suis donc prêt à jouer le jeu, à la condition que Bercy, sans coup férir et l'air de rien, ne réduise pas d'un milliard d'euros nos crédits.

En outre, ceux-ci portent principalement sur la formation des demandeurs d'emplois. Aujourd'hui, nous devrions obtenir l'intégralité des fonds destinés à cette formation et même si Pole Emploi doit en rester l'opérateur, veillons à en demeurer le prescripteur ! Le fléchage de ces fonds sur les réels besoins des entreprises, notamment industrielles, n'en serait que plus assuré. La Région a testé, depuis ces quinze derniers jours, une nouvelle politique d'orientation des jeunes sur les métiers qui donne des résultats, via notamment la mission « proche-emploi », qui a permis de sortir du chômage 13 200 personnes, via des emplois pérennes pour 88 % d'entre eux. Pour 2 euros par jour, la Région prête une voiture aux personnes qui retrouvent un emploi pour se rendre sur leur lieu d'activité. Sur la formation, grâce à nos passations de marché qui confèrent un droit de tirage, des programmes peuvent être mis en oeuvre en deux semaines par les plateformes locales sans qu'elles n'aient besoin de remonter auprès du vice-président en charge de la formation. Cette rapidité permet de répondre aux besoins des entreprises.

En outre, des Pass Emplois et des Pass Formations permettent de répondre au mieux aux besoins de l'industrie, notamment automobile. Cette politique, abondée à hauteur de plusieurs millions d'euros, permet d'adapter les compétences aux évolutions technologiques. Avec la réforme de la formation, on nous vante la création d'une application numérique ! Au passage, je soupçonne l'État, et surtout Bercy, de vouloir récupérer, à terme, un milliard d'euros grâce à cette nouvelle agence nationale qui recentralisera les moyens. D'ailleurs, les opérateurs de compétences (OPCO), forts de leurs nouvelles prérogatives, ont déjà commencé à réduire leurs financements. Sous couvert de modernisation et de simplification, nous disposerons, à l'avenir, de moins d'argent qu'aujourd'hui.

L'industrie, qui permet enfin d'améliorer la qualification et la rémunération, représente encore un outil d'ascenseur social et de transmission. Le tutorat est essentiel à la formation et des crédits doivent lui être consacrés. Nous avons un rôle à jouer dans la formation de manière très décentralisée, c'est-à-dire des bassins d'emplois. Notre travail sur les contrats de branche, que nous avons conduit avec l'UIMM et présenté lors de sa convention nationale, nous a permis de recenser les besoins par secteurs et bassins d'emplois pour les cinq prochaines années. Adaptons les formations aux besoins de l'entreprise, mais aussi aux envies et aux désirs de progression sociale dans l'industrie !

Au-delà de la question de la technostructure, il faut savoir qui décide. Le problème n'est pas franco-français ! Le ministre britannique des entreprises a exprimé son dépit de n'avoir pu soutenir British Steel, contraint qu'il était de suivre l'avis des comptables et des juristes de son cabinet. Encore une fois, qui décide ? Autant s'en remettre à des experts, voire à des algorithmes ! Tel est le fond du problème. Certes, l'expertise représente certes un coût : la Région est passée par un cabinet d'avocats pour bien sécuriser son avance versée à Ascoval.

Les compétences de l'État et des collectivités locales doivent être clarifiées. À partir du moment où les régions se voient confier la compétence économique, que l'on aille jusqu'au bout du raisonnement. Je ne demande pas un nouvel acte de décentralisation !

Le point soulevé par M. François Calvet sur le dossier du rapprochement Renault-Fiat est malheureusement passé sous silence. Je fais d'ailleurs partir un courrier au Président de la République avant la tenue du conseil d'administration de Renault de ce soir. En effet, je ne comprends pas une telle précipitation dans la conclusion d'un accord entre Fiat-Chrysler et Renault, où l'État est actionnaire à hauteur de 15 % avec un droit de vote double. Toutes les évaluations préalables doivent être conduites afin de vérifier si nos intérêts automobiles, industriels et stratégiques seront réellement préservés. Y-aura-t-il réellement complémentarité et qui y gagne réellement ? L'éventuel partenaire de Renault ne dispose pas de la même avance technologique dans le véhicule électrique. Leur situation financière diffère également. M. Bruno Le Maire a évoqué ce matin la nécessité d'un centre opérationnel, sans préciser son échelle régionale ou mondiale, et l'existence de garanties pendant les quatre prochaines années. Une telle durée est ridicule ! Le conseil d'administration de Renault doit nous donner tous les éclaircissements requis ! Ce soir se joue l'obtention d'un Memorandum of Understanding (MoU) engageant Renault sur les aspects financiers de la fusion et les pouvoirs donnés, avant que l'assemblée générale n'en entérine la décision. Si ce MoU est obtenu ce soir, alors la négociation sur l'essentiel est bel et bien terminée ! Tandis que l'existence de ce projet ne nous a été communiquée qu'à la fin du mois dernier, il y aurait urgence à s'engager dans une voie unique, sans aucune possibilité de retour en arrière ! Pourquoi une telle précipitation ? L'étude des éventuelles synergies, qui réclame du temps, a-t-elle été réellement conduite ? Le Groupe Fiat Chrysler Automobiles (FCA) a laissé à Renault un délai de quinze jours pour examiner sa proposition. Mais, considérant le poids du constructeur automobile dans notre économie et le rôle de l'État en son sein, je ne vois pourquoi on cède à cette pression. S'agit-il d'une alliance ou d'une fusion avec le Groupe Fiat et qu'adviendra-t-il de l'alliance Renault-Nissan au-delà de ses tourments récents ? En somme, la précipitation n'a pas sa place dans un tel accord. Il nous faut du temps pour valider les synergies, clarifier le futur centre opérationnel avec Nissan et définir la gestion de la propriété intellectuelle, des effectifs, - notamment dans l'ingénierie -, et d'envisager, en cas de retournement financier de la bourse américaine, les modalités du paiement des retraites que le fonds de pension de Chrysler devra assurer. L'ensemble des élus, des salariés et des dirigeants doivent être informés de toutes ces questions. Toute précipitation est à bannir ; Renault n'est pas une entreprise comme les autres et l'ensemble des questions soulevées par cette opération ne saurait trouver de réponses en seulement quelques jours. J'en appelle à la fois au Président de la République et aux dirigeants de Renault afin d'éviter le sentiment d'un passage en force ; un tel délai de quinze jours étant notoirement insuffisant.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je souhaitais remercier M. le Président Bertrand. Ses derniers propos sur la situation de Renault ne font que conforter l'interrogation quant au manque d'un ministère de l'Industrie et de vision stratégique d'anticipation des mutations industrielles.

On court derrière l'urgence avec les territoires et les régions ! L'État, dont la volonté doit être à la hauteur des enjeux, n'est pas dans son rôle d'accompagnement vers la transition industrielle. Il n'est pas de grand pays sans industrie !

La Région Hauts-de-France comprend un grand nombre de demandeurs d'emplois avec un faible niveau de qualifications. Sans industrie, on ne peut créer de services susceptibles de leur donner un emploi. Afin de pouvoir trouver des solutions dans tous les territoires et auprès de tous les publics, il faut avoir une industrie forte ! Votre témoignage, à l'instar de celui des autres personnes auditionnées, nous fortifie dans notre avis qu'on ne peut faire l'impasse sur l'industrie et que nos voisins européens ont montré que c'était possible. Nous espérons enfin être les relais, dans les préconisations de notre rapport, de votre témoignage. Merci, enfin, pour la clarté extrême de votre propos.

M. Franck Menonville , président . - Merci, Monsieur le Président. Vous nous avez confortés quant à l'intérêt des travaux que nous conduisons. Dans mon propos introductif, j'avais, à juste titre, évoqué votre volontarisme et votre détermination. Nous avons également, les uns et les autres, apprécié votre pragmatisme et votre réalisme face aux enjeux industriels qui sont les nôtres et dans lesquels nos régions, fortes de leur connaissance du terrain, ont un rôle à jouer.

M. AUDITION DE M. PHILIPPE DARMAYAN, PRÉSIDENT DE L'UNION DES INDUSTRIES ET MÉTIERS DE LA MÉTALLURGIE (UIMM) (5 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Monsieur Darmayan, nous avions au moins deux raisons de vous entendre dans le cadre de notre mission d'information : en tant que président des activités françaises d'ArcelorMittal, premier groupe sidérurgique français, européen et mondial, depuis 2015, et en tant que président de l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), l'une des plus anciennes confédérations patronales de France, pilier du Mouvement des entreprises de France (Medef), et l'une des plus influentes par la définition de sa doctrine sociale et par sa participation à la construction de la législation.

Je vous remercie tout d'abord d'avoir permis à notre mission d'information de se rendre le 14 mars sur votre site emblématique de Dunkerque, puis le 5 avril dans votre centre lorrain de Maizières-les-Metz, fleuron de la recherche sidérurgique.

Vous êtes un exemple de la méritocratie à la française. Diplômé d'HEC, vous avez eu une riche expérience industrielle : Péchiney, Framatome puis Arcelor. Vous avez mis ce parcours au profit de l'Alliance France Industrie, dont vous êtes le vice-président, qui a pour objectif d'adapter notre industrie à la révolution numérique du 4.0.

Hier, le délégué aux territoires d'industrie résumait la confrontation entre ces changements technologiques et la complexité croissante de notre régulation publique par une formule frappante : le temps de l'économie a été divisé par quatre - les mutations, la nécessité de réagir s'accélèrent -, or le temps administratif a été multiplié par quatre. Il y a là une perte d'efficacité et une réponse des politiques publiques complètement inadaptée aux attentes des industriels.

Dans l'émission « On n'arrête pas l'éco » sur France Inter, le 16 mars 2016, vous estimiez la sidérurgie européenne en danger. Le contexte a évolué mais on ne peut pas dire qu'il se soit amélioré. Les États-Unis et la Chine pratiquent le dumping et posent des problèmes de surcapacité. Nous devons faire preuve d'une extrême sensibilité vis-à-vis de la filière sidérurgique, qui est absolument stratégique. C'est pourquoi le Sénat est mobilisé.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - S'agissant du pilotage de la politique industrielle française, quel regard portez-vous sur la stratégie de filière mise en oeuvre par le Conseil national de l'industrie et le Comité stratégique de filière « mines et métallurgie » ? Estimez-vous que le dialogue entre l'État et les industriels soit de qualité ? Comment l'améliorer pour mieux définir une politique industrielle française et européenne ? Quel dialogue entretenez-vous avec les régions ?

Les filières consommatrices d'acier connaissent actuellement de profondes évolutions, l'exemple le plus parlant étant celui du diesel, qui est en perte de vitesse. En tant que vice-président de France Industrie et dans ce contexte, comment envisagez-vous l'avenir de la filière sidérurgique ? Comment aborder les transitions, dans le domaine du bâtiment, des énergies vertes, de la mobilité ?

Vous avez placé l'emploi, et en particulier l'apprentissage, au centre des priorités de votre mandat à l'UIMM. Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur des emplois qui ne sont pas pourvus dans le secteur sidérurgique ? Comment renforcer l'attractivité des emplois industriels, en particulier pour la filière sidérurgique ? Quel rôle joue l'apprentissage dans cette filière ?

La filière sidérurgique fait face à un enjeu extrêmement important, celui de la transition énergétique. Dans le cadre du système d'échange de quotas d'émissions européen, des quotas gratuits sont alloués aux entreprises de la filière, afin d'éviter le phénomène de fuite de carbone, et le seront encore jusqu'en 2030, mais leur volume diminuera.

Sans diminution des émissions, les entreprises du secteur devront donc acheter les quotas supplémentaires sur le marché. Dans ce contexte d'augmentation des prix du carbone et de diminution des quotas gratuits alloués, l'industrie sidérurgique pourrait avoir dans les années à venir un coût réel important pour ses émissions de gaz à effet de serre. La taxe carbone aux frontières vous semble-t-elle être l'outil adéquat pour protéger la compétitivité de l'industrie européenne tout en augmentant le prix du carbone en Europe ?

Enfin, le coût de l'énergie revêt une importance centrale pour les entreprises du secteur, qui sont très souvent électro-intensives. Quelle appréciation portez-vous sur les dispositifs de soutien aux électro-intensifs, comme l'abattement de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), l'interruptibilité ou encore la compensation carbone ?

Estimez-vous disposer d'une visibilité suffisante sur les coûts d'approvisionnement en électricité ?

M. Philippe Darmayan, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie et d'ArcelorMittal France . - Depuis la création avec Emmanuel Macron, alors ministre, en 2015, du travail sur l'industrie du futur, nous militons pour l'industrialisation de la France en poussant les mutations actuelles, notamment technologiques, avec la perspective claire et unanimement partagée d'une économie décarbonée. La donne a tellement changé que nous pensons que c'est une chance pour la France, si celle-ci s'en saisit maintenant, que de réindustrialiser notre territoire. L'un des enseignements de la crise des gilets jaunes est que l'industrie est un facteur de stabilité du territoire. Une usine dans chaque village est un rêve, mais c'est aussi l'assurance de peupler le territoire en offrant des emplois stables mieux rémunérés que les autres. C'est un projet valable pour la France. J'ai créé, avec M. Philippe Varin, France Industrie, qui regroupe l'ensemble des fédérations industrielles et les grandes entreprises pour travailler à ce projet. Ce n'est pas du lobbying mais un projet mené avec l'État.

L'État a un rôle essentiel pour fixer les règles de la compétitivité. Le taux de charges est encore, en France, deux fois supérieur à celui de l'Allemagne. La fiscalité sur les coûts de production est nettement supérieure en France à ce qui est pratiqué dans les autres États européens. Il y a un consensus entre nous, Bercy et le Premier ministre sur ce vrai problème, même si l'on nous répond ensuite qu'il n'y a pas d'argent. Nous comprenons que la situation ne peut pas se régler immédiatement, mais ce constat, partagé, nous permet d'avancer.

Les industriels se sont engagés à se prendre en main, dans chaque entreprise, pour imaginer quels seront les marchés, les chaînes de valeur, l'emploi stable de demain. Nous travaillons sur une vingtaine de filières, de l'aéronautique à la construction en passant par l'agroalimentaire, avec le but que les industriels définissent eux-mêmes les grands enjeux de demain. Ensuite les projets seront menés ensemble, y compris avec l'aide budgétaire de l'État sur l'innovation.

Nous pouvons dresser un parallèle entre cette version optimiste et les événements actuels, qu'il s'agisse d'Ascoval, de General Electric ou de Ford. La presse demande si cette politique faillit, puisqu'il y a tous ces problèmes. La réponse est non. La sidérurgie est une industrie vieille créée sur les minerais de fer et de charbon autrefois abondants dans le Massif central ou la Lorraine mais qui n'existent plus. Tout cela entraîne des changements. ArcelorMittal est réparti sur une quarantaine de sites quand les Chinois n'en ont qu'un seul. Nous soutenons nos sites parce qu'ils sont riches en compétences et en expériences, mais il peut arriver qu'une difficulté se pose sur un produit en particulier. La presse parle de l'acier comme s'il était fongible ; or c'est totalement faux. Nous avons un amas de marchés segmentés de produits et d'alliages. Les billettes pour tubes ne peuvent pas servir à faire du fil ; les produits longs nécessitent de gros laminoirs. L'acier est d'une extrême diversité. Chaque site est outillé en compétences et matériels pour s'adresser à un segment particulier du marché. Il n'est pas toujours évident de transformer une installation pour qu'elle aille vers un autre produit.

Nous sommes une industrie ancienne et cyclique qui traverse actuellement une crise due à la plongée du marché dans une dérégulation profonde. Dans ce marché mondial, la France produit 15 millions de tonnes, en exporte 50 % et importe 50 % de sa consommation, soit un flux de 15 millions de tonnes également. Nous sommes dans un marché européen et l'Europe joue dans un marché mondial.

La dérégulation actuelle explique nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement.

Nous faisons face à des enjeux importants de compétences, de dérégulation du marché mondial et de transition vers une économie décarbonée. Du succès de ces trois grands enjeux dépend l'avenir de notre métier.

Le premier enjeu est celui des compétences. La sidérurgie, vieille industrie, évolue vers les automatismes et le numérique. Nous devons par conséquent rééquilibrer nos compétences et notre pyramide des âges. Des embauches sont nécessaires. Quelque 33 % des salariés ont plus de 50 ans et 25 % moins de 30 ans. Il faudrait que les personnes âgées de moins de 50 ans représentent plus des deux tiers des salariés.

Quelque 60 % des effectifs sont répartis sur trois bassins d'emploi : Dunkerque, Fos-sur-Mer et la Lorraine. Les 40 % restants sont partout ailleurs. Nous investirons dans les trois premiers bassins, quoi qu'il arrive, dans les prochaines années. Il faut donc préparer les compétences en ce sens. Quant aux sites plus isolés, excellents mais peu reliés les uns aux autres, nous devons mener un gros travail sur les compétences sur place. Effectivement l'apprentissage est l'une des solutions.

Les métiers de la sidérurgie évoluent et se rapprochent des autres métiers de l'industrie. Les métiers en tension sont notamment dans la maintenance, comme dans la chimie, dans la conduite de machines complexes ou de lignes de produits, comme dans toutes les industries mécaniques, ou dans la supply chain , qui est un métier très transversal. Aussi, l'IUMM travaille sur la définition de certificats de formation avec des unités de valeur afin de savoir quelles compétences supplémentaires apporter à tous nos salariés et de les former efficacement sur ce dont les filières industrielles ont le plus besoin. J'ai pour objectif d'augmenter de 10 % le nombre d'alternants dans la métallurgie, notamment dans la sidérurgie. Nous devons travailler avec les PME pour qu'elles trouvent toutes les compétences dont elles ont besoin. Nous menons une démarche industrielle et la sidérurgie trouve bien sûr sa place dans une problématique de correction de l'histoire.

Le deuxième enjeu est celui de la dérégulation. Après l'épisode de 2015, nous faisons face à un nouvel épisode d'aujourd'hui. En 2015, les Chinois ont pratiqué le dumping . Dans ce marché mondial, ils ne respectent pas les règles du jeu. Nous avons obtenu une taxe à l'encontre des pays faisant du dumping . Cela nous a offert un répit. Il faut continuer à être vigilant et, petit à petit, amener la Chine à réduire ses capacités. En effet, la surcapacité est la cause profonde de la situation actuelle. La production mondiale actuelle d'acier est de 1,6 milliard de tonnes pour une capacité de 2,3 milliards. Quelque 30 % de surcapacité, c'est énorme pour un marché. Or cette surcapacité se situe en Chine, ce qui signifie que ce sont les Chinois qui font le prix du marché. Tous les prix mondiaux évoluent en fonction d'eux. Quand les Chinois font du dumping , l'ensemble du marché mondial connaît une valorisation très inférieure.

Que Donald Trump décide de fermer les frontières américaines n'a pas gêné les exportations européennes vers les États-Unis. Nous savons depuis longtemps qu'ils sont protectionnistes et avons pris nos dispositions, mais le marché européen étant le seul marché ouvert, les importations qui ne se font plus vers les États-Unis sont allées vers l'Europe. Entre janvier 2017 et janvier 2018, les importations européennes, comme américaines, sont restées au même niveau. Mais entre janvier 2018 et janvier 2019, trois millions de tonnes supplémentaires ont été importées par l'Union européenne alors que les importations américaines ont baissé de trois millions de tonnes. Le problème ne provient pas tant de la Chine que de la Russie et de la Turquie. Nous sommes coincés à l'Est et au Sud par des importations massives. Les exportations turques vers l'Union européenne ont crû de 126 % en l'espace de quelques mois.

Très vite, nous avons été épaulés par l'Union européenne grâce à un système de quotas. Toute importation qui dépasse le volume fixé sur la base des importations des trois années précédentes est taxée. Mais le système n'est pas satisfaisant car c'est un système global qui a plutôt poussé à l'accélération des importations avant d'atteindre la limite de volume.

Le deuxième problème, urgent, est que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) impose que, tous les six mois, les quotas soient relâchés afin d'autoriser une augmentation des importations. Cela a été le cas en mars. Si l'on recommence bientôt, le système européen deviendra complètement inefficace. L'Union européenne doit durcir son système et imposer des quotas pays par pays, sans extension des volumes autorisés. C'est fondamental.

ArcelorMittal vient de réduire sa production de façon massive en Pologne en raison des importations russes, en Espagne et en Italie en raison des importations turques, et vient de décider de faire de même pour nos sites de Dunkerque et d'Eisenhüttenstadt en Allemagne. Nous sommes dans un marché de commodités, très sensible aux volumes. Si ces derniers augmentent, les prix tombent, dans un marché où le prix pour le consommateur reste toujours assez élevé. Nous sommes pris dans un squeeze qui affecte la marge des aciéristes. Celle-ci est actuellement extrêmement réduite, notamment sur les produits plats. Il est urgent que l'Union européenne réagisse. Il est important de revenir à un marché mondial régulé. Nous avons par ailleurs un marché de spécialité pour l'automobile extrêmement puissant mais qui ne représente que 20 % de nos volumes. Nous sommes, fondamentalement, des producteurs de commodités.

M. Franck Menonville , président . - Quelle pourrait être la réaction de l'Union européenne ?

M. Philippe Darmayan . - Nous recevons un soutien très positif de la France et de l'Allemagne. Nous attendons des États qu'ils fassent part à l'Union européenne de l'urgence de la situation afin qu'elle prenne des mesures de réduction ou de stabilisation des quotas.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Sans desserrement !

M. Philippe Darmayan . - Effectivement. Nous voulons aussi que les quotas soient établis pour chaque pays, y compris pour les produits laminés à chaud. Nous avons le soutien des gouvernements français, allemand, espagnol, belge et luxembourgeois. J'espère que le dossier avancera vite.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'enjeu est-il déterminant à très court terme ?

M. Philippe Darmayan . - Oui. ArcelorMittal n'aurait pas décidé de baisser sa production s'il n'y avait pas d'urgence.

Le troisième enjeu est la transition vers l'économie décarbonée. La production d'acier représente 7,6 % des émissions de CO 2 dans le monde. Nous produisons du CO 2 en ajoutant du coke pour désoxyder le minerai de fer. C'est chimique. Comment faire pour parvenir à une économie décarbonée en 2050, y compris dans nos métiers ? Nous travaillons sur les process . Par exemple, nous injectons de la ferraille pour réguler le taux de CO 2 par tonne d'acier. Nous améliorons nos hauts fourneaux en réutilisant la chaleur, comme vous l'avez vu dans notre projet Igar à Dunkerque. Nous substituons le coke par du bois comme au Brésil, avec du charbon de bois. Nous travaillons sur de nouveaux process jour après jour.

Nous voulons transformer aussi par innovation de rupture nos process de réduction du minerai de fer pour dégager non pas du dioxyde de carbone mais de l'eau. En ajoutant de l'hydrogène à l'oxygène de l'oxyde de fer, on obtient de l'eau. On peut aussi réaliser une électrolyse du minerai de fer comme pour l'alumine. Nous avons mis en place, à Maizières-lès-Metz, un process sur l'électrolyse, et lancé à Hambourg un projet pour fabriquer une solution à base de réduction par l'hydrogène.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - À quel horizon ces process pourraient-ils être mis en application ?

M. Philippe Darmayan. - Igar est mis en place. Le projet d'Hambourg en est au stade pilote ; il reste à vérifier la compétitivité du process. Celui relatif à l'électrolyse est encore à l'étude dans notre laboratoire. C'est tout le processus du haut fourneau que nous faisons évoluer.

Les aciéries électriques sont opérationnelles - la totalité de l'inox européen en est issue. Mais les investissements se font progressivement, en fonction de la quantité de ferraille disponible. Par définition, les marchés naissants n'en disposent pas, contrairement à l'Europe. Actuellement, la ferraille est recyclée à 90 %. Lorsque les prix baissent, le moment est favorable pour investir.

Une autre solution, dans la perspective d'une économie décarbonée, est l'utilisation du CO 2 comme matière première. Nous avons ainsi lancé une opération pilote pour produire de l'éthanol à partir du CO 2 , et un projet 3D à Dunkerque, subventionné par l'État, visant à concentrer le CO 2 , afin de le stocker dans les puits de Total en mer du Nord.

Tous ces projets sont risqués, car c'est un changement majeur de compétences mais ils sont passionnants pour nos ingénieurs, qui réinventent ainsi la fabrication de l'acier.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'usine ArcelorMittal Dunkerque, qui emploie près de 4 000 salariés, serait concernée par une mesure temporaire de réduction de la production. Quelles sont les modalités de cette réduction de la production ? Où se situent les opportunités de développement pour ArcelorMittal France ?

Le sujet de la taxe carbone est-il important pour vous ?

Pouvez-vous nous présenter le projet de démonstrateur de captage de CO 2 mis en place sur le site de l'usine de Dunkerque ? Quel est le montant du soutien public, français et européen, alloué au projet ?

M. Philippe Darmayan. - L'usine de Dunkerque est l'une des plus compétitives du groupe, et il n'y a pas de risque sur l'emploi. Nous procéderons, via des opérations de maintenance, à une réduction progressive de la production et nous espérons que cette phase sera de courte durée. Sur les trois hauts fourneaux, seul le troisième sera un peu ralenti. Le personnel est tenu parfaitement au courant.

Pour ce qui concerne la taxe carbone, l'Union européenne n'a pas pris en compte l'objectif de compétitivité équitable. C'est en Europe que la législation relative aux émissions de CO 2 est la plus dure, ce qui nous rend moins compétitifs que nos concurrents. Le carbone, qui était à 5 dollars, est monté à 15 dollars, ce qui pose problème. Nous militons - avec un certain succès si j'en crois les récents propos du Président de la République - pour que le système d'échange de quotas d'émission (ETS) soit complété par un dispositif d'ajustement aux frontières.

M. Marc Laménie . - Quels sont les secteurs d'application de la sidérurgie en France et en Europe ? Quelle est la place de l'industrie ferroviaire à cet égard ?

De quels moyens humains la sidérurgie dispose-t-elle ? Quelle est la pyramide des âges des salariés ? Ces métiers n'attirent pas forcément les jeunes ; quelles sont vos perspectives pour les faire connaître ?

Mme Martine Filleul . - Selon vous, la mutation actuelle de la sidérurgie peut représenter une opportunité pour la France ; encore faut-il pouvoir développer la recherche et l'innovation. Êtes-vous suffisamment aidés dans ce domaine par la puissance publique ?

Mme Angèle Préville . - Le processus d'électrolyse du minerai de fer ne semble pas encore au point. Savez-vous si, en Suède, le projet de fabrication d'acier à partir de l'hydrogène a abouti ?

M. Philippe Darmayan. - Pourquoi faire de l'acier dans notre pays ? Parce que cette production concerne l'ensemble des filières industrielles. Autrefois, un site lorrain était spécialisé dans les rails. Aujourd'hui, nous sommes à la pointe des alliages pour l'automobile grâce à notre centre de recherche, très réputé, de Montataire.

Les débouchés pour l'acier sont la construction à hauteur de 30 %, l'automobile pour 20 %, le métal et la mécanique pour environ 30 %. Le fait de produire dans un pays développé nous permet d'avoir un mix de produits comportant davantage de spécialités que d'autres aciéristes.

Les métiers de la sidérurgie sont enthousiasmants. Un laminoir à chaud, c'est une énorme machine qui tourne sur un kilomètre, grâce au savoir-faire et à la passion des ingénieurs et des exploitants. Pour informer les jeunes sur la réalité des emplois industriels - nous y consacrons d'ores et déjà des moyens -, il faut travailler sur l'apprentissage et l'orientation dès la classe de quatrième, en expliquant que ces métiers sont en train d'évoluer avec le numérique ; nous ne l'avons pas fait suffisamment par le passé.

Pour ce qui concerne le financement de la recherche, nous sollicitons l'État et l'Union européenne uniquement pour les innovations de rupture ; nous rejoignons alors des consortiums. Pour les autres projets, puisque personne ne sait faire notre métier mieux que nous - par exemple, fabriquer de l'acier avec des caractéristiques mécaniques permettant d'alléger les automobiles -, nous considérons que c'est à nous de financer la recherche.

Nous travaillons avec les universités pour la recherche fondamentale.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Et l'hydrogène ?

M. Philippe Darmayan. - Nous n'avons pas été les premiers à aborder le sujet. De manière générale, la Suède a su traiter avant nous les différentes questions relatives à l'économie décarbonée et, aujourd'hui, elle est bien positionnée. Pour notre part, nous essayons de rattraper notre retard.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Que pensez-vous des dispositifs de soutien aux électro-intensifs ? Estimez-vous disposer d'une visibilité suffisante pour ce qui concerne les coûts d'approvisionnement en électricité ?

M. Philippe Darmayan. - Avant tout, il faut bien avoir à l'esprit que toutes les mesures mises en oeuvre pour produire de l'acier décarboné conduisent à une augmentation de la consommation électrique. Dès lors, plus le temps passe, plus nous aurons besoin d'une puissante industrie électrique de base, que l'énergie soit produite par le nucléaire ou par les ENR. De notre côté, nous ne pouvons pas développer nos process sans disposer d'une électricité dont les coûts ne seraient pas compétitifs. Dans le cas contraire, tous nos efforts de recherche seront réduits à néant.

En outre, en matière d'électricité, l'Allemagne a suivi au cours des dernières années une stratégie de pricing en faveur de l'industrie : grosso modo , dans ce système, le prix de l'électricité payé par les consommateurs permet de consentir des abattements en faveur de l'industrie. Nous avons obtenu un dispositif similaire de la part du gouvernement français, avec un abattement au titre des transports et une compensation CO 2 indirecte. Mais, aujourd'hui, l'avenir de ce dispositif nous préoccupe, étant donné l'augmentation du prix du carbone : si celui-ci est triplé, le volume des abattements triplera mécaniquement. Or nous sommes conscients des contraintes budgétaires qui s'exercent en France.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'est bien un sujet qui intéresse le prochain projet de loi de finances.

M. Philippe Darmayan. - Nous espérons bien que ce dispositif sera confirmé...

M. Franck Menonville , président . - En tout cas, le rendez-vous est pour 2020.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'enjeu du prochain budget sera la sécurisation du dispositif.

M. Philippe Darmayan. - Exactement. Je précise que, pour la fabrication de l'acier, le prix de l'électricité varie entre 15 et 30 euros la tonne. Or, pour l'aciérie électrique, l'Ebitda à la tonne varie entre les mêmes montants : la question est donc extrêmement sensible. Les industries du ciment ou de l'aluminium sont d'ailleurs dans la même situation.

M. Franck Menonville , président . - À l'avenir, la consommation d'électricité augmentera nécessairement, du fait de l'essor des mobilités et des besoins industriels. À vos yeux, ces besoins croissants sont-ils bien pris en compte dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ?

M. Philippe Darmayan. - Selon nous, le chemin de la PPE doit être modifié, de manière réaliste et sans tabou. Il faut prendre en compte les économies d'énergie et les forts investissements qu'elles impliquent. Il ne faut pas sous-estimer les enjeux de croissance ; il ne faut pas non plus se focaliser sur un réacteur nucléaire en particulier - ce n'est pas le sujet. La véritable question est : comment produire une énergie à la fois délocalisée pour les particuliers et produite en quantité suffisante, pour garantir une véritable puissance industrielle ?

Prenons garde, ne nourrissons pas trop de rêves au sujet des ENR : aujourd'hui, on n'est pas en mesure d'anticiper les évolutions en la matière. Je n'ai rien contre ces énergies, qui sont une véritable solution pour les consommateurs - je pense notamment au solaire. Mais il faut avancer avec prudence, en évitant autant que possible les polémiques.

La PPE doit prendre en compte les impératifs des industries énergétivores, en particulier pour la production d'acier. Voilà pourquoi M. Philippe Varin et moi-même sommes en train de travailler, au sein de France Industrie, pour aider l'État à avancer de la manière la plus rationnelle possible. Nous allons essayer de réunir une équipe à cette fin.

M. Franck Menonville , président . - Merci de cet éclairage.

N. AUDITION DE M. JEAN ROTTNER, PRÉSIDENT DU CONSEIL RÉGIONAL DU GRAND EST (6 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous avons entendu hier le président du conseil régional des Hauts-de-France et nous ne pouvions faire l'impasse sur l'autre grande région sidérurgique, le Grand Est. La délégation s'est rendue dans les centres de recherche d'Arcelor à Maizières-lès-Metz ainsi qu'à Metafensch et nous avons tous en mémoire l'évolution de Florange, que M. Marzorati nous a rappelée lors de son audition. Nous suivons également attentivement le dossier de Saint-Gobain Pont-à-Mousson, nous avons entendu M. Ludovic Weber la semaine dernière et je pense m'y rendre sans doute lundi 24 juin.

Je vous remercie de vous être libéré et si nous avons insisté pour vous entendre, c'est en raison naturellement de la place de la filière sidérurgique dans l'histoire, l'économie et le patrimoine culturel dans la région que vous présidez et principalement en Lorraine, région désormais identifiée par la Commission européenne comme région en « transition industrielle ».

Le Grand Est est la deuxième Région industrielle de France, avec 16 % des emplois dans l'industrie, et avec une spécialisation sectorielle dans la fabrication d'équipements et de machines, la métallurgie, l'industrie du bois et les industries agro-alimentaires. Vous avez récemment déclaré « croire en son avenir industriel », si cette région sait relever les nombreux défis, dont les transitions numériques, technologiques et écologiques, auxquels elle est confrontée. Vous voulez faire du Grand Est l'un des leaders européens en matière d'Industrie du futur. Pouvez-vous décliner ce projet pour la filière sidérurgique ?

Nous avons entendu mardi le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises. Quel jugement portez-vous sur son action dans le domaine de la sidérurgie ?

Il était accompagné du secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle : le CIRI associe-t-il de façon suffisante et satisfaisante la région dans l'instruction des dossiers d'entreprises en difficultés ou se contente-t-il de solliciter des crédits régionaux à la fin du processus de restructuration, vous mettant ainsi devant le fait accompli ?

Nous entendions également le délégué aux Territoires d'Industrie qui porte des projets co-pilotés par des élus et des entreprises, émanant des territoires, mais ne mobilisant aucun financement nouveau. Quelle est votre appréciation de cette action ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Vous l'avez compris, Monsieur le Président, nous nous intéressons à l'ensemble de la sidérurgie qui est pour nous une filière stratégique et porteuse d'avenir y compris dans le cadre de la transition énergétique que ce soit pour la construction d'éoliennes, de véhicules électriques ou pour son apport à l'économie circulaire avec le recyclage de la ferraille.

Pour accompagner cet avenir, comment voyez-vous les rapports entre l'État et les régions ? Votre collègue Xavier Bertrand revendiquait hier davantage de cohérence dans les compétences : puisque les régions ont la compétence économique depuis la loi NOTRe, il faut qu'elles aient les moyens, juridiques et financiers, de mener des politiques d'accompagnement des mutations industrielles.

Faut-il aller jusqu'au droit à la différenciation pour mener des politiques industrielles adaptées à la réalité des territoires ?

Votre collègue Xavier Bertrand soulignait hier à juste titre que l'économie de l'Allemagne marche sur deux jambes : une industrie traditionnelle compétitive qui se modernise avec l'industrie 4.0, une économie de l'innovation numérique.

Vous avez déclaré que votre stratégie de développement économique régional était de « devenir un territoire a` énergie positive et bas carbone » : quelle place occupe la sidérurgie dans le schéma qui doit « faire du Grand Est une Région leader en matière de mix énergétique et de verdissement de son économie » ?

M. Jean Rottner, président du Conseil régional du Grand Est . - La sidérurgie évoque la Lorraine, fière de son passé sidérurgique et fière de la construction européenne, qui s'est faite avec Robert Schuman par la création de la Communauté européenne du charbon et d'acier - Robert Schuman est un enfant de notre région, même s'il partage plusieurs nationalités.

La région Grand Est est la deuxième région industrielle de France. La sidérurgie occupe environ 53 000 salariés, avec des noms forts : Arcelor, Ascometal, que nous partageons avec d'autres régions ; si on s'éloigne un peu de la Lorraine, les Aciéries Hachette et Driout de Saint-Dizier, GHM Wassy en Haute-Marne, terre de fondeurs, de traditions et en même temps de modernité car le territoire de Nogent produit un tiers des prothèses de hanches et de genoux au monde aujourd'hui, à partir de cette tradition des forges. Ces territoires ont de fortes capacités en termes de transition, d'innovation et de rebond.

ArcelorMittal emploie 10 000 salariés en France, mais la moitié de ses salariés se trouve dans le Grand Est. C'est une entreprise avec laquelle la collaboration et le partenariat sont réels. Le groupe a d'ailleurs tenu ses engagements : après la fermeture du haut-fourneau, ArcelorMittal devait investir 180 millions d'euros. Ils ont investi à ce jour 200 millions d'euros et ont fait du centre de recherche et développement que vous avez eu la chance de visiter leur centre de référence mondiale. Ce n'est pas rien et je tiens à le souligner.

Il a fallu se battre, mais cela montre que le partenariat avec un industriel mondial est possible. Nous continuons ces actions aujourd'hui : ArcelorMittal va probablement devenir actionnaire dans la réunification des ports de Moselle que nous venons de réussir. Cela témoigne du souci du groupe de participer au développement, aux mobilités et au fret.

L'année 2019 pour la sidérurgie est assez difficile : je ne reviendrai pas sur les crispations commerciales au niveau mondial, principalement entre les États-Unis et la Chine, que vous maîtrisez parfaitement. Je me permettrais peut-être de citer quelques exemples qui me semblent importants - qui importent également à mon homologue des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, que vous avez rencontré hier. Entre 2008 et 2017, la sidérurgie a perdu 21 % d'emplois : c'est autant de reconversions, de plans sociaux, d'accompagnement et de formations sur lesquelles travaillent les régions. Il s'agit là de notre coeur de métier. Lorsque Xavier Bertrand en appelle à une forme de décentralisation renouvelée, différente, il attire l'attention sur l'écart entre la volonté de l'État d'être le grand sauveur de l'emploi et la réalité du terrain. Les régions réclament aujourd'hui non pas de pouvoir traiter le chômage mais plutôt, à travers une politique de l'emploi de proximité, d'avoir une collaboration renouvelée, organisée de manière différente avec l'État.

La sidérurgie est une activité stratégique. Elle l'est au niveau national, même si cette filière ne représente aujourd'hui que 2 % de l'emploi industriel. Elle est aussi très importante dans la chaîne de valeur, et l'innovation peut sauver cette filière. En région Grand Est, la filière automobile est ainsi extrêmement importante. Notre région possède 40 % de la frontière terrestre française, ce qui nous oblige à adopter une position européenne tout à fait singulière et à considérer des collaborations avec de grands groupes comme PSA. Je suis particulièrement vigilant au devenir de cette filière automobile. Carlos Tavarès a raison de pointer du doigt les hésitations, les choix qui ne sont pas totalement assumés.

En réalité, tout un pan de notre industrie va muter : dans les aciéries, s'agissant des process et des matériaux de production, dans la filière automobile, avec l'évolution des boîtes de vitesses, des moteurs... Cela ne peut pas se faire lorsque l'on est dos au mur. Il faut avoir une collaboration extrêmement forte, non pas simplement entre l'État et la région, mais entre l'État, la région et les filières. Le travail que nous faisons avec Luc Chatel au sein de la filière automobile est tout à fait productif : c'est un des exemples où il y a un lien très fort entre la sidérurgie, l'industrie en général, des métiers qu'il va falloir réinventer, des formations qu'il va falloir créer pour ces nouveaux métiers et pour lesquelles il nous faudra susciter des vocations chez les jeunes.

Nous ne revendiquons pas tant la stratégie économique, qui doit être fixée par l'État, que l'application des choix, l'accompagnement, la proximité. Nous nous inscrivons en cela dans la loi NOTRe, qui nous impose d'avoir construit le Schéma Régional de Développement Économique d'Innovation et d'Internationalisation (SRDEII). Nous l'avons bâti dans le Grand Est sur une grande écoute du système économique - avec plus de 3 000 remontées des acteurs économiques - et nous l'avons fondé sur deux jambes : l'industrie du futur et la bio-économie. Le déploiement territorial se fait à travers des outils d'action, de coordination, à travers les agences de développement économique que nous avons voulu au plus près des acteurs, à l'échelle départementale ; une agence d'innovation à l'échelle régionale ; une agence d'internationalisation, qui se situera probablement aussi à l'échelle régionale. Nous articulons tout cela dans un réseau de développement économique, nous visitons des entreprises, ce qui nous permet de considérer les signaux faibles comme les signaux importants et de ne pas les négliger.

Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) est en cours de finalisation : il traduit la conversion bas-carbone de toute la région, mais c'est également un schéma qui traite des mobilités. Ce n'est pas simplement une réglementation supplémentaire, il s'agit aussi d'un schéma dynamique, vivant, évolutif qui prend en considération tous les pans de la vie quotidienne.

S'agissant de la formation dans les métiers de l'industrie et de la sidérurgie, il existe un écart important entre l'offre et la demande qui ne concerne pas simplement ma région. Il faut que, de manière commune entre élus de la nation et élus locaux, nous nous penchions sur ce sujet. Il y a dans l'orientation probablement beaucoup à faire. Les régions ont aujourd'hui en charge ce secteur. Je souhaite prendre ce sujet à bras le corps et travailler le plus précocement possible avec les départements, car l'orientation doit débuter dès la classe de 4 ème avec une forte action vis-à-vis des parents, du public féminin, principalement dans les métiers de l'industrie et du numérique, qui sont encore des métiers trop genrés et masculins. Nous le faisons de manière coordonnée avec Philippe Varin, à la tête du Centre national de l'industrie (CNI), avec l'UIMM dirigée par Philippe Darmayan et avec l'Alliance pour l'industrie du futur, où territoire par territoire, nous avons décidé de renforcer et de coordonner les efforts dans le cadre du plan industrie 4.0 que nous souhaitons développer.

Dans ce plan, 400 entreprises ont été diagnostiquées. Nous devrions nous situer à 250, il y a donc un réel engouement. En fin de mandat, nous souhaitons avoir diagnostiqué entre 700 et 1 000 entreprises. La question de la disponibilité des ressources capables de faire ce diagnostic se pose ainsi que celle des offreurs de solutions : autant la banque publique d'investissement (BPI) que le CNI et l'UIMM sont mobilisés pour que les briques technologiques et les solutions apportées aux entrepreneurs puissent l'être le plus rapidement possible. Il y a encore trop de délai dans ce plan industrie du futur entre le diagnostic et la transformation de l'entreprise : il est actuellement de 8 mois chez nous, je souhaite le faire diminuer. Nous faisons de même au niveau de l'artisanat, de l'agriculture - nous avons lancé un plan ferme du futur qui a un vrai succès.

Nous devons aussi mieux faire connaître ces outils au service des entrepreneurs. J'ai réalisé deux jours de visite d'entreprises cette semaine : j'ai rencontré un chef d'entreprise en Lorraine, d'origine allemande. Il me disait qu'il ne voyait jamais d'homme ou de femme politique dans les entreprises en Allemagne et s'inquiétait de ma venue. Je lui ai dit que je venais simplement l'écouter, comprendre ce dont il a besoin, ce qu'il produit pour que je puisse en être le premier promoteur. Cette culture de proximité, de suivi, doit encore être amplifiée. Ce n'est pas nous qui faisons la politique économique, ce sont les chefs d'entreprise, les acteurs économiques. Nous devons être à leurs côtés, leur faciliter la tâche, les accompagner.

J'ai rencontré hier l'ensemble des acteurs de la filière bois. Cette industrie est importante pour notre région. La pression sociale oblige aujourd'hui à prendre beaucoup de précautions lorsque l'on abat un arbre, mais il faut également penser à la stratégie internationale dans une concurrence mondiale où l'aspiration de la production de bois par la Chine pose de vrais problèmes. C'est également un sujet dont il faut saisir, car cette industrie appartient à cette chaîne de valeur. Il n'y a pas de fondeurs sans réflexion historique sur le rôle du bois et sur la présence du bois.

Les deux régions que sont les Hauts-de-France et le Grand Est, terres d'industrie, collaborent de plus en plus, par exemple sur la bio-économie. Nous envisageons de mutualiser nos démarches s'agissant de l'intelligence artificielle ; nous avons également des intérêts communs dans la filière automobile. Avec Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, nous avons signé un bio-pacte l'année dernière à la foire de Châlons-en-Champagne. Ces initiatives recouvrent des communautés de destin économique, industriel, des bassins de proximité, mais aussi des intérêts plus larges, qui pèsent à l'échelle européenne.

Nous sommes un peu les marins de la terre, dans le continent européen, coincés entre deux régions très puissantes, la région parisienne et le Land de Bavière. Nous sommes en quelque sorte le trait d'union, sans vouloir forcément ressembler à ces deux régions. La région Grand Est connaît un regain d'intérêt industriel, de vraies réussites, mais aussi des difficultés qu'il faut savoir entourer. Ainsi, l'année dernière, nous avons attiré 2,3 milliards d'euros d'investissements industriels étrangers - un milliard d'euros au premier trimestre 2019. Une dynamique existe, encouragée par des liens avec l'industrie allemande qui sont extrêmement forts, historiques. L'industrie allemande était implantée chez nous avant même que le mur de Berlin ne tombe ! Nos exportations sont largement positives aujourd'hui grâce à cette position stratégique dont bénéficie l'ensemble de la région. La taille de nos régions, dans le concert des régions européennes, permet de peser, de développer de nouveaux réseaux, de nouvelles collaborations.

Aujourd'hui, l'Alsace et la Lorraine, ont appris, autour de ce destin industriel, à travailler ensemble. Le poids économique de la région intrigue désormais de l'autre côté de la frontière : nos voisins allemands portent aujourd'hui un regard différent sur le Grand Est, même si nous ne pesons que 3 milliards d'euros - face à la Bavière voisine qui en pèse 35.

Mme Valérie Létard . - Quelle est votre appréciation du dispositif Territoires d'Industrie ?

M. Jean Rottner . - Il fait partie des ovnis que nous voyons parfois arriver sans avoir été consultés au préalable. Je trouve cela particulièrement regrettable. Nous n'avons pas pu anticiper ce dispositif ni répondre aux questions de nos collègue élus, ce qui est dommage.

Cette initiative a été créée « entre la poire et le fromage », avec un choix des territoires qui a pu en frustrer, tandis que certains ont réussi à se greffer à l'initiative. Ce n'est pas la bonne méthode. Je recommande un travail continu, régulier avec le Gouvernement.

L'initiative n'est pas mauvaise, mais la manière dont elle a été présentée est contestable. Elle ne comporte aucun moyen supplémentaire. Elle propose des stratégies de bassin d'emploi, des stratégies industrielles. Mais nous avons déjà en Grand Est le dispositif « Pacte offensif croissance emploi » (POCE), une contractualisation entre les intercommunalités et la région. C'est tout à fait vertueux car certaines intercommunalités ne s'étaient jamais saisies de ces sujets industriels ou économiques. Cela a instauré des dialogues qui n'avaient jamais existé. Les Territoires d'Industrie s'ajoutent à tout cela, suscitent de l'incompréhension dans nos territoires, ce qui pose également la question de l'articulation de ces dispositifs : POCE, « Action coeur de ville », Territoires d'Industrie.

Les Territoires d'Industrie ont toutefois permis de croiser les expériences des uns et des autres et d'accélérer ce croisement lorsqu'il existait déjà. D'autres territoires ont besoin de plus de temps. Certains sont confrontés à des enjeux économiques et industriels importants. Les exemples de Bure et de Cigéo nécessitent de se projeter à un horizon de 150 ans, de construire un dialogue qui n'a jamais existé sur certains sujets entre les départements. La question se pose aussi pour Fessenheim, c'est aussi une reconversion industrielle qui recouvre de plus larges enjeux de mobilité.

Territoires d'Industrie propose un binôme entre un élu local et un chef d'entreprise que je trouve très pertinent. Je souhaite d'ailleurs que les agences de développement économique soient présidées par un chef d'entreprise et non par un élu.

Ce dispositif a donc permis de renforcer une intelligence collective, des communautés industrielles locales. Je citerais l'exemple d'Haguenau, où un « réseau résiliant » a été créé par des entrepreneurs dans une communauté industrielle de proximité. Il facilite l'échange de bonnes pratiques, même parfois l'accès à des formations, voire même l'accès à des salariés - lorsqu'une entreprise connaît une baisse d'activité et qu'une entreprise en s'adaptant, est capable de prendre le relais.

Ces bonnes expériences doivent être partagées : Territoires d'Industrie peut y participer, l'idée n'est pas mauvaise en soi, mais il y avait des dispositifs et des stratégies régionales qui avaient été mis en place avant, et je regrette l'absence de discussion préalable à la mise en oeuvre du dispositif par le Gouvernement.

Mme Valérie Létard . - Vous avez rappelé qu'à l'échelle régionale, la coopération entre les filières industrielles régionales et l'action régionale existe. Estimez-vous qu'à l'échelle nationale, l'État associe suffisamment les filières industrielles, dans la coopération et l'anticipation des mutations, ou joue-t-il uniquement un rôle de « pompier » ?

Faut-il renforcer le partage des responsabilités entre le niveau national et le niveau régional ? J'ai suivi la construction du SDREII dans la région de Hauts-de-France. Je craignais à l'époque que les régions s'engagent avec les acteurs économiques sur une organisation territoriale industrielle, sans que la coordination soit faite avec la réflexion au niveau national sur l'avenir des filières. Comment les choix effectués au niveau régional et au niveau national sur les filières s'articulent-ils ? Estimez-vous que la coordination entre les régions, l'État et les acteurs des filières soit suffisante ?

M. Jean Rottner . - La structuration en filières effectuée par le CNI est une bonne chose. Le président du conseil régional peut être en interaction directe avec le président de la filière au niveau régional, ce qui permet une déclinaison locale de l'organisation des filières au niveau national.

Ce qui est plus critiquable, ce sont les initiatives comme Territoires d'Industrie.

En outre, les diagnostics posés au niveau de l'entreprise pourraient être davantage partagés avec les filières. Nous pouvons encore davantage croiser les expériences des uns et des autres pour être plus performants. Nous essayons de le faire avec la filière bois, avec la filière eau - le dossier Pont-à-Mousson est un sujet industriel majeur : j'attends sur ce sujet des réponses gouvernementales. Je ne suis pas dirigeant d'entreprise. Je reste donc respectueux des choix stratégiques de l'entreprise, tout en étant à ses côtés, pour éventuellement accompagner la transformation. On ne peut pas laisser dépérir un outil industriel brillant, avec un centre de recherche et de développement qui sort de nombreux brevets tous les ans.

Il importe de connaître les entreprises du territoire, et qu'élus régionaux, nous fassions le lien avec les filières au niveau national.

Mme Valérie Létard . - L'articulation entre les filières à l'échelle régionale fonctionne. Est-ce qu'au niveau national, l'État tient compte des préconisations des filières et des alertes sur les difficultés qu'elles pourraient rencontrer ? Les entreprises nous ont parlé des enjeux que représente le prix du carbone au niveau européen et de l'importance stratégique du coût de l'énergie.

M. Jean Rottner . - Je prenais l'exemple de la filière bois et des relations avec la Chine. Seuls deux pays n'imposent pas de quotas à la Chine : la France et la Belgique. C'est pourtant stratégique ! Mais nous avons également la possibilité, en cas de tempête ou en cas de surplus, d'écouler les stocks ou de valoriser. Mais où discuter de ces questions ? Il manque un lieu de partage entre les filières, l'État et les régions. C'est le cas aussi pour la sidérurgie. Comment savoir si tel acier est stratégique ou pas ?

Nous ne revendiquons de négocier avec l'Union européenne à la place de l'État, mais nous souhaitons avoir des interactions avec l'échelon européen.

Enfin, je tiens à souligner que ce qui est fait avec Territoires d'Industrie au niveau local, nous serions incapables de le faire au niveau national !

M. Franck Menonville . - Nous n'avons pas de ministère de l'industrie. Est-ce une faiblesse ?

M. Jean Rottner . - Je le regrette, effectivement. Un ministre dédié à l'industrie est un symbole, il permet d'incarner réellement cette priorité. Un ministre de l'industrie est un porteur du maillot jaune de l'industrie française !

M. Dany Wattebled . - Nous avons entendu hier Xavier Bertrand. Notez-vous également une distorsion entre ce vous ressentez et les moyens apportés par l'État sur vos dossiers ? Avez-vous le sentiment d'être considéré comme le financeur en dernier recours sur certains dossiers, sans avoir été associé au préalable ?

M. Jean Rottner . - Qui assume la régénération des lignes de fret ? La région et la SNCF. Qui avance des sommes à l'État pour financer les petites lignes ? La région ! La région Grand Est a déjà avancé de l'argent à l'État pour trois lignes. L'État promet de nous rembourser dans deux ans, dans le cadre d'un Contrat de plan État-région (CPER). Le président de région se trouve face à ses concitoyens sur ces sujets-là !

Si l'on veut garder PSA en France, il faut se battre, et cela veut parfois dire qu'il faut contribuer financièrement. La région Hauts-de-France le fait, nous le faisons également, car nous sommes en concurrence avec des centres de production en Hongrie.

Mme Valérie Létard . - Si nous ne le faisons pas, ils déménagent !

M. Jean Rottner . - Si les collectivités territoriales ne contribuaient pas financièrement, certaines entreprises partiraient en en Hongrie. La confiance dans l'action publique locale est importante. L'inscription de notre action dans une chaîne de valeur est également cruciale. Si on ne participait pas financièrement, PSA ne serait plus là. La région Grand Est, mais aussi la région Hauts-de-France, apportent plusieurs dizaines de millions d'euros pour garantir la pérennité de ces centres de production.

Nous passons aussi par des aides à recherche et l'innovation. Pour bénéficier de fonds publics, l'entreprise doit entrer dans une logique d'innovation. On crée un écosystème viable par la confiance et la connaissance mutuelle. ArcelorMittal a pu fermer définitivement ses hauts fourneaux, en contrepartie de 200 millions d'euros d'investissement ainsi que de l'implantation d'un centre de recherche.

Je souhaiterais enfin mentionner le sujet des friches...

Mme Valérie Létard . - Les fonds structurels européens ont-ils un rôle à jouer dans l'aménagement économique du territoire ?

M. Jean Rottner . - Ils sont aujourd'hui sous-utilisés. Ces fonds sont attribués à l'État et délégués au niveau régional. Pourquoi ne pas faire confiance aux régions d'emblée ? Nous attendons des réponses sur l'avenir de ces fonds. Faisons davantage confiance aux régions sur les sujets liés à l'aménagement.

S'agissant des friches, les intercommunalités n'ont pas toujours les reins suffisamment solides pour traiter ces sujets, et les régions n'ont plus forcément la compétence pour le faire. L'établissement public foncier local va s'étendre dans la région en « peau de léopard ». Nous voulons en faire un outil supplémentaire à disposition des territoires. Le sujet des friches pourrait également s'envisager au niveau interrégional : encore une fois, nous pouvons partager nos expériences.

O. TABLE RONDE AVEC LES SYNDICATS (18 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Mes chers collègues, nous avons aujourd'hui souhaité entendre les grandes centrales syndicales sur le coeur de l'activité industrielle, l'acier. Nous accueillons M. Philippe Verbeke, membre de la direction de la FTM-CGT, en charge de la filière sidérurgie. Vous étiez intervenu lors du débat à l'Assemblée nationale de janvier 2016, suite au rapport de la commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes de 2013. Vous alertiez alors la représentation nationale sur le péril imminent que Vallourec faisait peser sur son site de Saint-Saulve et vous aviez, hélas, été visionnaire. Vous êtes accompagné de M. Hakim Bouktir, délégué CGT du site de Hayange.

Je l'indique d'emblée : la mission sénatoriale n'entend pas revenir sur le passé, notre démarche est plutôt prospective. Des erreurs ont été commises, mais nous souhaitons examiner les conditions dans lesquelles conditions cette filière a un avenir et les leviers de construction stratégique. Nous croyons tous qu'elle doit se trouver au coeur de la politique industrielle de la France et de l'Europe : c'est ce qui a motivé la création de cette mission d'information.

Après avoir entendu il y a quinze jours le Président d'ArcelorMittal France, M. Philippe Darmayan, nous recevons aujourd'hui Mme Christelle Touzelet, représentante syndicale nationale CFDT d'ArcelorMittal, Mme Warda Ichir, Secrétaire fédérale de la FGMM-CFDT, et M. Pierre Damiani, responsable CFE-CGC à ArcelorMittal Florange. Nous accueillons également M. Lionel Bellotti, Secrétaire fédéral en charge des secteurs « Sidérurgie, forges et fonderies » au sein de la fédération FO Métaux, ainsi que M. Didier Rivelois, responsable CFE-CGC à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, où je me rendrai lundi prochain. Nous avons auditionné il y a quelques semaines M. Ludovic Weber, Directeur général du site.

Vous le savez, la France a un long passé industriel et sidérurgique. Elle a aussi vécu le douloureux déclin de cette filière, les fermetures de sites et leurs drames humains, avec 7 700 emplois perdus en dix ans entre 2007 et 2017, soit près d'un quart des effectifs de la sidérurgie : c'est considérable.

Depuis le début de nos travaux, avec nos auditions et déplacements sur le terrain - dans des aciéries particulièrement performantes, des centres de recherche - nous avons examiné les profonds déséquilibres économiques, les relations commerciales asymétriques, les surcapacités, les enjeux de la transition énergétique, les efforts tarifaires pour des sites électro-intensifs, mais aussi l'efficacité des mesures de protection du marché européen ou le système d'allocation de 100 % de quotas carbone gratuits. Nous avons également évoqué le facteur humain, la difficulté de se former et de recruter qui caractérise cette filière dont l'image ne reflète pas sa modernité réelle.

Quelles mesures restent à prendre pour garantir que cette filière continue à être compétitive et que la France préserve ainsi une industrie stratégique pour son indépendance et son avenir économique ? Je vous invite à exposer votre vision du futur de la sidérurgie.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Merci d'avoir accepté notre invitation : cela nous permet de disposer de l'éclairage précieux des salariés du secteur sidérurgique, absolument stratégique selon nous. Nous sommes convaincus que l'industrie, et en particulier la sidérurgie, a un avenir en France, si l'on s'attache à créer les conditions nécessaires à sa pérennité et à sa transformation.

La question qui nous préoccupe aujourd'hui est la suivante : comment les pouvoirs publics peuvent-ils accompagner la nécessaire mutation des entreprises du secteur de l'acier vers une production plus compétitive, plus propre, en maintenant une base industrielle ancrée dans nos territoires ? Nous avons identifié plusieurs pistes de réflexion.

La première est la stratégie de filière, qui peut contribuer à améliorer l'articulation entre les besoins des industriels et le soutien de l'État. Quel bilan tirez-vous de la relance récente du Comité stratégique de filière et du nouveau contrat stratégique de filière ? Êtes-vous associés à ses travaux ? L'implication de l'État est-elle suffisante ?

La seconde est la piste européenne. En matière de politique commerciale, par exemple, l'Union européenne est chargé de la défense des intérêts commerciaux. Êtes-vous satisfaits des mesures récentes, comme l'instauration de droits antidumping et de mesures de sauvegarde ? La politique industrielle européenne est-elle assez ambitieuse ? Des inflexions sont-elles nécessaires ?

Au niveau national, quel bilan tirez-vous de l'action de l'État, à la fois en matière d'aides à l'industrie - par exemple pour investir, devenir plus propre ou développer les compétences - et en gestion des restructurations et de leurs conséquences ?

Dans les territoires, quel pourrait-être le rôle des régions ? Les acteurs locaux ont-ils les moyens de conduire une politique de développement économique efficace ? Que pensez-vous de l'initiative Territoires d'Industrie, récemment lancée par le Gouvernement ?

Enfin, face au double défi de la transition énergétique et de la transition écologique, les efforts des entreprises sidérurgiques sont-ils à la hauteur ? Comment soutenir les industries électro-intensives ? Quel regard porteriez-vous sur l'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'UE, qui permettrait de réduire le différentiel de compétitivité lié au marché des quotas carbone ?

M. Philippe Verbeke, membre de la direction de la FTM-CGT, en charge de la filière sidérurgie . - Au nom de la fédération CGT métallurgie, je vous remercie de nous recevoir. Nous avons souhaité pouvoir être auditionnés, tel que cela avait été le cas à l'Assemblée nationale en 2013.

Au vu des évolutions dans la filière depuis lors, beaucoup de nouvelles questions se posent sur les actions à entreprendre dans le secteur sidérurgique. Vous avez demandé à ce que l'on ne fasse pas trop état du passé, mais je voudrais quand même citer deux rapports : le rapport remis en 2012 par M. Pascal Faure au Gouvernement, dans le cadre de l'annonce de la fermeture de la filière liquide de Florange, et le rapport de 2013 du député M. Alain Bocquet, consacré à la sidérurgie et à la métallurgie françaises et européennes.

Que s'est-il passé depuis cette période ? Malgré les signaux d'alerte émis par ces rapports, l'hécatombe a continué : les fermetures se sont poursuivies, ainsi que la réduction des capacités de production. Dans la filière électrique, nous avons subi la fermeture de deux sites d'Ascométal : le site du Cheylas en Isère, et le site des Dunes dans le Nord. Ce sont deux sites d'aciers spéciaux, ce qui n'est pas négligeable. Chez Aubert & Duval, appartenant au groupe Eramet, on a subi l'arrêt de l'aciérie électrique de Firminy dans la Loire. Dans le secteur des cylindres, on a connu la fermeture d'Akers dans le Nord et en Moselle - les sites de Thionville et de Berlaimont. Sur le marché du tube d'acier, Vallourec a fermé ses laminoirs de Saint-Saulve dans le Nord et de Déville-lès-Rouen en Seine-Maritime. Près du site d'ArcelorMittal de Dunkerque, Europipe a fermé. Dans la filière fonte, évidemment, l'arrêt définitif de la filière liquide de Florange a été confirmé l'année passée ; mais il ne faut pas oublier la fermeture des installations de décapage et laminage du site de Basse-Indre, en Loire-Atlantique, moins médiatisées. Je pense qu'il est donc juste de parler d'hécatombe.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Pouvez-vous estimer le nombre total d'emplois ainsi perdus ?

M. Philippe Verbeke . - Je n'ai pas de chiffrage, mais cela se compte en plusieurs milliers, si l'on chiffre les emplois directs et indirects. La sidérurgie impacte la métallurgie, or, la métallurgie représente trois emplois indirects pour un emploi sidérurgique direct.

Notre analyse est que l'on reste confrontés, aussi bien dans la filière fonte que dans la filière électrique, à un désinvestissement d'une part, et de l'autre, à une stratégie de délocalisation rampante : on peut observer un déplacement vers l'Europe, vers l'Allemagne par exemple, vers l'Asie ou vers l'Amérique.

En ce qui concerne la demande d'acier, vous avez abordé la question des surcapacités. Effectivement, il existe une surcapacité globale, mais elle est concentrée en Chine. En Europe et en France, je pense que la situation est assez différente. À la suite de la crise financière de 2008, la demande d'acier a chuté, puis progressivement remonté. Or, malgré l'alerte émise par les deux rapports déjà évoqués sur l'érosion de nos capacités de production, les fermetures se sont poursuivies. On constate aujourd'hui que la balance commerciale de la France est devenue déficitaire, tout comme celle de l'Europe. Les importations augmentent d'ailleurs très fortement ces derniers mois. Nous manquons d'acier en France suite à ces réductions de capacité, et en raison d'une focalisation des producteurs sur les marchés à haute valeur ajoutée, comme le marché automobile par exemple. C'est une stratégie de l'offre qui se poursuit, pour conserver un prix élevé de l'acier et le niveau de rentabilité exigé par les actionnaires. À titre d'exemple, on consomme aujourd'hui deux fois plus de produits longs en France qu'on en produit.

J'ai parlé de différents rapports. Je voudrais vous en citer quelques extraits, car certains constats très intéressants ont été posés, que la CGT partage complètement : notre analyse n'est pas isolée.

Le premier est extrait d'un rapport récent, remis au gouvernement en mars dernier, intitulé « L'analyse de la vulnérabilité de l'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises » : « Cette explosion des besoins liés à l'urbanisation croissante et à la forte demande de consommation des nouvelles classes moyennes issues des pays émergents ne se limite pas aux métaux stratégiques ou critiques. Elle s'étend aux matières premières de bases telles que le cuivre, l'acier et l'aluminium, utilisées notamment dans les secteurs du logement et des infrastructures de transports ferroviaire ou énergétique, par exemple. Au total, la quantité cumulée de métaux de base, c'est-à-dire d'acier, cuivre et aluminium, nécessaire en 2050... » -mais autant regarder vers le moyen et long-terme pour le développement de la filière - « ... pour générer des infrastructures de production électrique à partir d'énergies nouvelles renouvelables atteindrait entre six et onze fois la production mondiale totale de l'année 2010, en l'absence de nouvelles technologies productives moins consommatrices de ressources. »

Pour rappel, je vous relate un extrait du rapport Faure précité, au sujet de la configuration du site de Florange : « Les avantages d'une telle intégration... » - c'est-à-dire entre la filière liquide et la transformation en froid - « ... sont de plusieurs ordres : une économie sur les coûts de logistique pour le transport des semi-produits ; la possibilité de réduire les stocks de semi-produits ; une interaction plus étroite entre la filière chaude et la filière froide qui facilite la mise en oeuvre d'une vaste palette de nuances d'acier pour répondre au plus près aux demandes des clients. » Je cite également : « Le maintien et le développement d'un site sidérurgique intégré compétitif à Florange nécessite un effort d'investissement rapide et significatif pour moderniser l'outil de production. » Cela vaut la peine de s'en souvenir.

Plus loin dans le même rapport : « La conservation d'une capacité de production sidérurgique dans la filière liquide en France est un enjeu stratégique national. Il est d'intérêt national de conserver sur le territoire français des capacités de production d'acier suffisantes dans la filière liquide. Compte tenu des débouchés en aval dans l'industrie, la capacité globale de production de la filière liquide pour les aciers plats des sites de Dunkerque, Fos et Florange paraît constituer un plancher à maintenir. Par ailleurs, la répartition de la capacité de production sur les trois sites réduit la vulnérabilité globale. » On connaît la décision de fermeture définitive du site prise par ArcelorMittal en fin d'année dernière, avec un silence assourdissant du gouvernement, malgré un accord qui liait ArcelorMittal à l'État.

Je citerai simplement une phrase du rapport de 2013 de la commission d'enquête l'Assemblée nationale, mentionné plus haut : « Il serait illusoire de considérer que notre pays devrait exclusivement concentrer ses capacités de production sur des activités de « niches » à forte valeur ajoutée, alors que les transformateurs et d'autres métiers y compris s'agissant de technologies de pointe pourraient s'approvisionner en « commodités » et matériaux bruts sur les marchés étrangers. Le désengagement puis l'abandon des activités de base hypothéqueraient gravement notre indépendance et ne manqueraient pas de subordonner plus encore la stratégie industrielle de nombreuses entreprises à l'errance des marchés. »

Au vu des fermetures de capacités qui se sont poursuivies, mais aussi des enjeux ainsi soulevés en termes de besoins futurs d'acier, la CGT estime qu'il faudrait remonter la production nationale d'acier à hauteur de 20 millions de tonnes annuelles, à la fois en filière mixte, fonte, et électrique, alors qu'elle est tombée à 15,5 millions de tonnes.

Vous avez parlé de l'emploi. Malheureusement, la chute se poursuit, alors que la question de l'emploi et des compétences avait été très sérieusement soulevée en 2013. Entre 2013 et 2017, l'emploi direct dans la sidérurgie est passé de 27 720 à 21 800 emplois, selon EUROFER. Chez ArcelorMittal, nous comptions 18 176 équivalents temps plein (ETP) en 2013 : ce chiffre est aujourd'hui tombé à 15 689 ETP. Pour Ascométal, il est passé de 1 950 à 1 400 ETP, pour Vallourec de 5000 à 3500 ETP sur la même période. L'abus du recours à l'intérim reste une réalité, en parallèle de l'érosion des emplois, avec un turn-over très important et une augmentation importante des démissions. Les compétences sont touchées dans toutes les catégories professionnelles. Nous demandons la relance sérieuse de l'embauche, et évidemment le renouvellement des départs en retraite - sachant que l'on attend 100 000 départs en retraite par an dans la métallurgie d'ici 2025 - ainsi que l'intégration des contrats précaires en contrat à durée indéterminée.

Puisque nous sommes là pour apporter une dimension sociale, j'en viens au sujet du statut et de l'attractivité des métiers. Une négociation est actuellement engagée dans la branche métallurgie : c'est le « dispositif conventionnel » qui fait suite à la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi travail ». Cette remise en cause des conventions collectives, des statuts, des grilles de classification s'observe dans différentes branches professionnelles. L'objectif du patronat est de réduire les droits collectifs et de casser le principe du paiement de la qualification, pour revenir en arrière et renouer avec un paiement au poste de travail ou selon la fonction occupée. La prime d'ancienneté est aussi remise en cause de notre côté.

Nous réaffirmons le principe de reconnaissance des diplômes de l'Éducation nationale, remis en cause dans ces négociations qui durent maintenant depuis deux ans et demi, et que l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) veut faire aboutir d'ici la fin de l'année. Nous demandons la reconnaissance des formations qualifiantes, de l'expérience professionnelle, et la mise en place d'un salaire minimum démarrant à 1 800 euros bruts, avec des perspectives réelles d'évolution de carrière, un doublement du salaire sur la carrière complète, et une grille unique de 1 à 5 de l'ouvrier à l'ingénieur. Selon nous, cela est fondamental pour l'attractivité des métiers de la sidérurgie.

En ce qui concerne les conditions de travail, une part importante du personnel travaille en régime alterné. La problématique de la pénibilité des métiers se pose également, or, elle sera abordée dans les mois qui viennent dans le cadre de la réforme des retraites. Celle-ci amènera les gens à travailler bien au-delà de l'âge de soixante ans, y compris lorsqu'ils sont postés sur les lignes de production. Je vous laisse imaginer ce que cela peut occasionner. Le manque d'investissement et la précarité aggravent encore davantage les conditions de travail quotidiennes des salariés dans la filière.

Les processus de production plus respectueux de l'environnement sont bien sûr un enjeu fort pour la sidérurgie dans les prochaines années. La CGT considère qu'il y a des solutions. Depuis la fermeture de la raffinerie des Flandres du groupe Total près de Dunkerque, nous avons développé des propositions en lien avec la filière hydrogène, qui se développe de plus en plus en France. Elles visent à utiliser l'hydrogène non seulement pour capter le CO 2 , mais pour le transformer en méthane que l'on peut ensuite réinjecter dans les réseaux de gaz naturel et ainsi diminuer notre dépendance énergétique. Nous reparlerons tout à l'heure du Comité stratégique de filière (CSF) : nous considérons que nos propositions relatives à l'hydrogène sont parfaitement ignorées par le patronat et les pouvoirs publics depuis quelques années, alors que la piste de l'hydrogène se développe très sérieusement en France. Nous demandons davantage de débats public à ce sujet et que les organisations syndicales participent à la discussion dans les entreprises. Par exemple, les syndicats du site même de Dunkerque ne sont pas tenus au courant du projet d'ArcelorMittal d'enfouir le CO 2 en mer du Nord avec Total. Il y a véritablement un problème.

Le fonctionnement des aciéries électriques et l'utilisation de la ferraille s'inscrit parfaitement dans l'économie circulaire. Je crois que vous avez reçu FEDEREC.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'était très éclairant !

M. Philippe Verbeke . - Nous les avons également rencontrés à Lille, il y a quelques mois : ils s'inquiètent de la fermeture en cascade des aciéries électriques dans le pays, puisqu'elles offrent l'opportunité parfaite de valoriser la ferraille.

Certes, la question de la consommation d'électricité se pose, mais nous pensons qu'avec un niveau élevé de recherche et développement, pour peu que l'on y mette les moyens, et avec des tarifications adaptées, la situation n'est pas si mauvaise. Nous menons d'ailleurs campagne, y compris dans le Grand Est, pour la réimplantation de capacités de production, notamment via des aciéries électriques. C'est aussi la proposition que nous avions développée pour le site de Gandrange.

Je terminerai par le sujet de l'intervention de l'État et des régions. Le rapport de l'Assemblée nationale précité émet la recommandation suivante : « Définir une doctrine spécifique d'investissement de la Banque publique d'investissement (BPI) en rapport aux besoins des filières et qui puisse se traduire par des prises de participations significatives au capital et rompre ainsi avec le mouvement de mainmise de groupes étrangers sur les entreprises sidérurgiques et métallurgiques, un phénomène qui s'est accéléré en France au cours de la dernière décennie. » Cela avait été voté en 2013 à l'unanimité de la commission d'enquête parlementaire.

Ce que nous demandons, pas uniquement dans le secteur de la sidérurgie d'ailleurs, ce sont de réelles contreparties aux aides publiques, qui sont très fortement captées par la sidérurgie. Le montant cumulé du crédit d'impôt compétitivité - emploi (CICE) pour le secteur français de l'acier est estimé à environ 30 millions d'euros pour l'année 2018. Pour quel résultat, au regard de l'évolution de l'emploi évoquée précédemment ? Quel suivi de la stratégie de British Steel - ou de Greybull - sera mis en place, alors que ce groupe vient de reprendre Ascoval avec plus de 47 millions d'euros de prêts de l'État, de la région et de Valenciennes Métropole ? Quelle sera l'intervention de l'État et de la région Hauts-de-France face à la stratégie de délocalisation du groupe Vallourec, en sachant que ce dernier a bénéficié de près de 750 millions d'euros de fonds publics ces dix dernières années, et alors que l'État en est le premier actionnaire ? Quel est le contrôle de l'utilisation du Crédit impôt recherche (CIR) chez le groupe ArcelorMittal, alors qu'il est l'un des derniers de la classe en termes de budget dédié à la recherche-développement, en comparaison avec les grands groupes sidérurgiques mondiaux ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Disposez-vous de chiffres comparatifs ?

M. Philippe Verbeke . - On estime que pour des filières industrielles lourdes comme la nôtre, le budget minimal de recherche-développement devant être dégagé est de 2 %. Au début de la crise de 2008, le groupe ArcelorMittal se situait autour de 0,35 % ou 0,4 %. Les groupes asiatiques y dédient entre 4 % et 5 %. Le CIR perçu par ArcelorMittal au titre du site de Maizières-lès-Metz est inséré dans le budget du site.

L'État joue le pompier sur différents sites, mais la CGT revendique depuis longtemps l'intervention des salariés dans les entreprises. Alors que l'on observe une relative destruction du code du travail et une réduction des prérogatives des élus du personnel, nous considérons à l'inverse qu'il faut donner davantage de pouvoir d'intervention aux salariés dans leur propre entreprise. Cela peut concerner la stratégie qui est menée, ou impliquer l'octroi de droits suspensifs sur des restructurations annoncées, notamment celles qui touchent l'emploi.

M. Franck Menonville , président . - Nous vous remercions.

Mme Christelle Touzelet, Représentante syndicale nationale CFDT d'ArcelorMittal . - Tout d'abord, je vous remercie pour cette invitation au nom de la Fédération générale de la métallurgie et des mines (FGMM)-CFDT.

Traiter de l'avenir de la filière sidérurgique française ne peut s'entendre que dans une perspective plus large, qui est celle de l'Europe. Aussi, je développerai quatre axes : renforcer les mesures anti-dumping pour défendre les producteurs européens d'acier ; utiliser l'EU-ETS, c'est-à-dire le marché des quotas carbone, pour renforcer la sidérurgie européenne ; voir la transition écologique comme un défi majeur pour la sidérurgie ; mettre en oeuvre une stratégie de reconquête de la sidérurgie européenne.

Il faut tout d'abord renforcer les mesures anti-dumping pour défendre les producteurs européens d'acier. En 2015, l'acier européen subissait une crise profonde, ayant pour origine le déversement des surcapacités chinoises sur le continent. À la fin de l'année 2015 et au début de l'année 2016, l'Union européenne adoptait des mesures anti-dumping qui ont permis le redressement des prix de vente et le retour à la profitabilité des entreprises productrices d'acier, particulièrement dans les produits plats.

En 2018, les États-Unis mettaient en place des tarifs sur les produits en acier, et la Commission européenne décidait de mesures de sauvegarde provisoires en juillet 2018. Au début de l'année 2019, la Commission européenne estimait que les mesures protectionnistes des États-Unis étaient à l'origine de la hausse des importations européennes au cours de la dernière année, en détournant les flux commerciaux, et qu'en 2018, la vulnérabilité de l'industrie sidérurgique européenne persistait, avec un risque de préjudice grave si la hausse des importations se poursuivait. Le 2 février 2019, des contingents tarifaires ont été créés pour 26 catégories de produits sidérurgiques - plats, longs et tubes. En cas de dépassement de ces contingents, leur prix augmente de 25 % par le biais de droits de douane supplémentaires. De plus, pour éviter des importations massives en début d'année, des contingents trimestriels ont été ajoutés.

Néanmoins, ces mesures anti-dumping demeurent insuffisantes. Ainsi, les semi-produits plats, les brames, qui représentent 40 % des importations, échappent aux mesures de défense commerciale européennes. Concernant la mesure anti-dumping du 5 octobre 2017, appliquées aux coils à chaud en provenance de quatre pays exportateurs - dont l'Inde, la Russie et l'Ukraine - la formule du prix minimum été retenue, mais l'augmentation du prix des matières premières a rendu inefficace le prix minimum de 472 euros/tonne : même le prix actuel de 500 euros/tonne n'assure plus une marge suffisante aux sidérurgistes européens. Il est donc urgent que l'Union européenne renforce ses mesures anti-dumping sur ces deux catégories de produits sidérurgiques.

Il faut ensuite utiliser le système European Union Emission Trading Scheme (EU-ETS) pour renforcer la sidérurgie européenne. La FGMM estime que l'évolution du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne, l'EU-ETS, prévue pour la phase 2021-2030, va globalement dans le bon sens.

La réserve de stabilité permet de diminuer le nombre total de quotas d'émissions et de soutenir le prix du CO 2 , afin d'atteindre les objectifs de baisse de 20 % d'émissions en 2020 et de 40 % en 2030, pour viser la neutralité carbone à plus longue échéance.

L'allocation de quotas à titre gratuit, pour limiter les fuites de carbone et récompenser les plus vertueux, est maintenue, mais elle est mieux ciblée et plus dynamique. Un fonds pour l'innovation destiné à soutenir les activités de démonstration de technologies innovantes est mis en place, ainsi qu'un fonds de modernisation pour les investissements visant à moderniser le secteur de l'électricité, et plus largement les systèmes d'énergie.

Pour autant, le marché du CO 2 doit encore gagner en transparence. Selon les données de la Commission européenne, à la fin de l'année 2017, ArcelorMittal détiendrait des réserves de 187 millions de tonnes de CO 2 . Les représentants du personnel demandent des informations sur la réalité des stocks détenus, sans jamais pouvoir les obtenir. Maintenir l'opacité du marché du CO 2 favorise le développement de la spéculation. Pour la FGMM-CFDT, les réserves de quotas CO 2 doivent être orientées vers des investissements visant à atteindre une production d'acier neutre en carbone. Les stocks détenus par les sidérurgistes européens doivent alimenter le fonds pour l'innovation.

Si l'EU-ETS est un outil indispensable pour atteindre la neutralité carbone, il ne doit pas conduire à la désindustrialisation de l'Europe. Il est anormal que des productions plus carbonées que celles de notre continent puissent être commercialisées sans subir une revalorisation de leurs prix. Les allocations gratuites de quotas de CO 2 ne suffisent pas à lutter contre le dumping environnemental. L'EU-ETS doit être complété d'un dispositif d'ajustement des prix des produits sidérurgiques qui pénètrent sur le marché communautaire en étant plus carbonés que ceux produits en Europe.

La transition écologique est un défi majeur pour la sidérurgie. L'impact des rejets de l'industrie sidérurgique sur le changement climatique, mais aussi sur la santé des travailleurs, et plus généralement sur la santé publique, n'est plus à démontrer. Les pollutions du bassin de Fos-sur-Mer ou de la cokerie de Serémange-Erzange nous le rappellent régulièrement. La tolérance de l'opinion publique à l'égard des troubles hypothéquant l'avenir de la planète, mais aussi la santé et l'existence des êtres humains qui vivent à proximité des sites, est au bord de la rupture. Si des projets concrets pour réduire les nuisances causées par les rejets des sites industriels ne voient pas le jour dans des délais raisonnables, les populations riveraines agiront pour leur intérêt.

Les pouvoirs publics ont pris conscience de cette évolution sociétale. Ainsi, la justice européenne somme notre pays de prendre des mesures pour réduire les émissions de son industrie. En France, les préfets n'hésitent plus à utiliser les mises en demeure pour rappeler aux industriels leurs obligations réglementaires. Ce contexte naissant introduit une insécurité juridique pour les activités sidérurgiques. En outre, la réglementation européenne entraîne une augmentation significative du prix du CO 2 . Conscients de cette évolution, les industriels ont choisi jusqu'à présent de peser sur l'Europe pour assouplir les règles, afin de ralentir la progression du prix de la tonne de CO 2 . La stratégie de lobbying des industriels ralentit les investissements de la sidérurgie européenne pour atteindre l'objectif d'une production bas carbone et obère de ce fait la lutte contre le dérèglement climatique. Ses concurrents chinois ont déjà engagé la modernisation de leur installation pour réduire les émissions. Sans protection aux frontières, le renchérissement programmé du prix du CO 2 risque donc de créer un déficit de compétitivité durable de la sidérurgie européenne.

Ce constat a conduit la FGMM-CFDT à ne pas demander la réouverture des hauts-fourneaux de Florange en 2018. En contrepartie, la CFDT a demandé à ArcelorMittal de poursuivre l'effort d'investissement pour consolider les installations sidérurgiques de Florange ; de moderniser la cokerie de Serémange-Erzange pour réduire ses émissions ; de soutenir le projet de plateforme multimodale industrielle et logistique Europort pour accélérer sa mise en oeuvre ; de développer les activités de recherche du centre de Maizières-lès-Metz et de les orienter sur la création d'une filière bas carbone.

Considérant que l'avenir de la sidérurgie française est en jeu si le virage de la transition écologique n'est pas rapidement pris, la FGMM a élargi ses propositions à d'autres sites du territoire national. Ainsi, à Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs études concluent à une surreprésentation de certains cancers et maladies chroniques ; à une surmortalité liée au diabète ; à la présence de traces de polluants supérieures aux seuils légaux dans les aliments produits localement ; à une surexposition aux particules ultrafines ; et soulignent un « effet cocktail ». Ces nuisances sont directement liées à l'activité industrielle et notamment aux émissions de la sidérurgie. Pour répondre à l'urgence environnementale et sanitaire, la CFDT a rédigé une proposition de contrat de transition écologique pour le bassin de Fos-sur-Mer. Ce projet envisage de lancer sur le site d'ArcelorMittal un projet de capture et d'utilisation du CO 2 , « CCU », pour le transformer en carburant synthétique ou en matériaux plastiques. Pour soutenir l'émergence d'une filière sidérurgique décarbonée, la CFDT propose d'engager une première étape de la conversion écologique en lançant un projet bas carbone de type « ULCOS » par réinjection des gaz de hauts-fourneaux, comme l'a récemment annoncé ArcelorMittal sur le site de Dunkerque avec le projet de réduction de gaz réducteur dans un haut-fourneau sidérurgique, « IGAR ».

À plus longue échéance, un objectif de création d'une filière hydrogène serait visé, pour réaliser la réduction du minerai de fer avec ce gaz plutôt qu'avec du coke. L'avantage de ce procédé réside dans l'émission d'eau plutôt que de CO 2 . Le projet de contrat de transition écologique que nous avons élaboré contient d'autres propositions concernant les flux logistiques ou encore l'accompagnement des salariés vers la transition.

Enfin, il faut élaborer une stratégie de reconquête de la sidérurgie européenne. L'augmentation notoire des importations de brames met en évidence l'insuffisance croissante des capacités de production européenne d'acier pour satisfaire une consommation qui se redresse : elle est ainsi passée de 160 à 180 millions de tonnes au cours des dernières années. Sur la période 2015-2019, le pourcentage d'importation de demi-produits a quadruplé par rapport à la consommation apparente. Dans le même temps, les capacités de production sont allées diminuant. C'est une spirale de désindustrialisation qui est ainsi mise en place, et les récentes annonces concernant la baisse de production d'ArcelorMittal vont à nouveau l'alimenter. C'est une autre stratégique qu'il faut viser, celle de l'autosuffisance de la production d'acier européen pour alimenter son marché.

Cet objectif passe également par la nécessité de constituer des champions européens de l'industrie métallurgique. L'échec de l'acquisition de l'allemand VDM Metals par Aperam met à mal cette stratégie : face aux règles de libre concurrence trop contraignantes de l'Union européenne, Aperam a préféré abandonner ce projet. Il y a d'autres moyens pour protéger le consommateur que d'empêcher la constitution de groupes européens de taille mondiale. Le 19 février 2019, à Berlin, les ministres de l'économie allemand et français ont signé un « Manifeste pour une politique industrielle européenne adaptée au XXI e siècle ». La démarche conjointe entre l'Allemagne et la France vise à impulser une dynamique pour que l'Europe se dote d'une véritable politique industrielle, afin de maintenir son rang de puissance industrielle. Ce manifeste propose notamment d'adapter le cadre réglementaire de la concurrence. Les syndicats franco-allemands de la métallurgie (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, IG Metall) ont décidé de saisir l'opportunité ouverte par la position de la France et de l'Allemagne pour adopter une déclaration commune, demandant à être associés aux réflexions sur le renouveau de la politique industrielle européenne. Cette déclaration en date du 14 mars 2019 a été transmise au ministère de l'Économie.

La sidérurgie européenne a besoin d'une stratégie de reconquête de son marché intérieur fortement connectée aux enjeux environnementaux. En France, à Saint-Saulve, le Gouvernement n'a cessé de jouer aux apprentis sorciers. Ce fut d'abord la désillusion pourtant prévisible d'Altifort, puis celle de British Steel qui risque d'emporter dans son désastre l'usine productrice de rails de haute performance d'Hayange.

La FGMM-CFDT propose d'inscrire le site de Saint-Saulve dans un projet d'économie circulaire : retraiter les ferrailles plutôt que de les envoyer en Chine pour les voir revenir déjà transformées sur notre marché. Cela pourrait être une voie de transformation salutaire à l'aciérie des Hauts-de-France : le tri des ferrailles à l'entrée de l'usine permettrait d'en faire une matière noble, seule à même d'approvisionner Hayange. Mais cela nécessite du temps et la mobilisation des acteurs du recyclage, de la production d'acier, et des collectivités territoriales pour installer le modèle économique adapté. La FGMM propose qu'un débat soit organisé entre toutes les parties prenantes sur ce sujet. Elle est prête à y prendre toute sa place.

Autre dossier au coeur de l'actualité, Saint-Gobain cherche un partenaire pour son site sidérurgique de Pont-à-Mousson. Les tuyaux qui sortent de ce site de production sont caractérisés par un haut niveau de technologie, leur conférant une qualité alimentaire irréprochable. Le transport et l'acheminement de l'eau sont des sujets stratégiques : le choix d'un partenaire, s'il doit avoir lieu, est donc extrêmement sensible. La Direction Générale des Entreprises (DGE) a engagé un diagnostic approfondi pour définir la meilleure option afin de pérenniser l'entreprise. La FGMM a demandé à ce que ce diagnostic soit partagé avec les syndicats. Pour notre organisation, et quelle que soit la solution envisagée pour Saint-Gobain, il est nécessaire de garantir que les brevets français continueront à être exploités en France, et que la R&D restera sur le territoire national.

En conclusion, l'avenir de la sidérurgie française est européen, dans un cadre réglementaire qui protège ses activités du dumping économique, social et environnemental. Il passe par une politique d'investissement soutenue, qui place ses installations sur la voie de la neutralité carbone. Enfin, la filière doit conserver son intégrité, de l'amont à l'aval, en cherchant au moins à satisfaire les besoins du marché européen.

M. Pierre Damiani, Responsable CFE-CGC à ArcelorMittal Florange . - Au nom de la CFE-CGC, je vous remercie de nous recevoir. Nous avons préparé un argumentaire que je distribue et répond aux questions posées par Mme la rapporteure.

La filière sidérurgique européenne est actuellement dans une très mauvaise situation. Les nouvelles négatives s'enchaînent, les importations progressent dans un marché européen qui se contracte, la production d'acier dans l'Union européenne est impactée par l'augmentation des taxes CO 2 , taxe qui ne concerne pas les importations. Depuis le début de l'année 2019, ArcelorMittal a annoncé, le 6 mai, l'arrêt temporaire de l'aciérie de Cracovie à partir de septembre, le ralentissement du fonctionnement de celle des Asturies en Espagne et la limitation de la montée en production de l'usine de Tarente en Italie, dans un contexte de prévisions à la baisse de la demande d'acier sur ses principaux marchés. En France, des mesures de chômage partiel sont en cours dans plusieurs filiales, des réductions du nombre d'équipes sont déjà en oeuvre ou vont l'être très prochainement dans les usines aval de Montataire, Mardyck, Florange et des arrêts de production ne sont pas à exclure dans les prochains mois si la situation perdure. Le 29 mai, de nouvelles baisses de production ont été annoncées, concernant le site de Dunkerque. Le 10 mai, Tata Steel et ThyssenKrupp renoncent à fusionner à cause - je dis bien, à cause - de la Commission européenne, qui a estimé que cette fusion aurait entraîné une « réduction de la concurrence et une hausse des prix pour différents types d'acier ». Dans la foulée, TKS a annoncé 6 000 suppressions d'emplois, dont 4 000 en Allemagne. Pour Aperam, des mesures de chômage partiel sont prises en France sur un marché européen en raison du dumping de l'Indonésie ; pour Ascometal, les outils de production sont en sous-charge, entraînant du chômage partiel, et le laminoir de l'usine des Dunes est en phase de fermeture. En mars, nous apprenons que le groupe Saint-Gobain cherche à céder le contrôle de sa filiale Saint-Gobain Pont-à-Mousson à un sidérurgiste chinois, sur un marché européen des tuyaux de fonte pour l'adduction d'eau déjà très pénalisé par le dumping de l'Inde et de la Chine - je laisserai mon collègue Didier Rivelois vous expliquer plus en détail les tenants et les aboutissants. Le 22 mai, British Steel demande être placé en procédure de liquidation judiciaire en Grande-Bretagne, avec les conséquences inéluctables en France chez Ascoval et Hayange.

Pour la CFE-CGC, l'Union européenne doit protéger efficacement et durablement sa sidérurgie par des mesures de sauvegarde européennes, en urgence, et par l'instauration d'un mécanisme de compensation CO 2 aux frontières de l'Union européenne. En 2018 le marché européen s'est bien tenu jusqu'à l'automne. Depuis, les marchés sont au mieux stables mais sans réelles perspectives de rebond en 2019. De plus, le ciseau de prix est devenu négatif, avec des prix de vente des aciers qui baissent continuellement. En revanche, le prix des matières premières pour la filière de production hauts-fourneaux (minerai de fer et charbon à coke) stagne et ne baisse pas alors que le prix du CO 2 , quant à lui, augmente. La filière acier électrique n'est pas épargnée non plus, avec un prix de ferraille qui ne diminue pas.

La concurrence est féroce sur le marché de l'acier au sein de l'Union européenne. La sidérurgie française, troisième producteur européen, souffre aujourd'hui des mêmes maux que ses partenaires européens. Depuis le dernier trimestre de l'année 2018, la récession touche toutes les gammes d'acier sur tous les secteurs utilisateurs (automobile, industrie et BTP). De toutes les régions du globe, l'Europe est celle qui voit sa production d'acier diminuer. Cette baisse de la demande d'acier européen est accentuée par une augmentation considérable des importations en provenance des pays tiers. Quelques exemples : pour les coils laminés à chaud à destination des produits plats, ce sont les importations non plafonnées en provenance de Turquie qui déstabilisent le marché. Pour les produits inox, l'acier en provenance d'Indonésie mais d'entreprises d'origine chinoise, ont le même effet déstabilisateur sur le marché européen. Dans ce dernier cas, ce sont les usines Aperam qui sont impactées.

L'Union européenne a mis en oeuvre après de longs mois de discussions un certain nombre de mesures de protection commerciale pour 23 produits sidérurgiques inox. Ces mesures dites « définitives » ne sont en fait valables que pour trois ans et nullement dissuasives, puisque les importations d'acier en Europe ne cessent d'augmenter. Les producteurs européens voient leurs parts de marché se réduire et nombre d'entre eux imposent des mesures de chômage partiel à leurs salariés. En étudiant les dernières décisions prises par les autorités européennes de la concurrence, on constate qu'elles s'opposent systématiquement à la création de champions européens au nom de la protection des consommateurs finaux. Exemples : ArcelorMittal, contraint à céder des sites pour acquérir Ilva en Italie, Tata Steel et ThyssenKrupp qui renoncent à fusionner pour ne pas avoir à céder aussi des sites industriels. Alors que la fixation des prix et, plus généralement, le marché de l'acier est mondial, l'Europe s'accroche à des règles régissant la concurrence comme si les acteurs n'étaient qu'européens.

Les mesures de sauvegarde européenne prises en juillet 2018 pour contrer l'effet report des importations suite aux mesures américaines par une augmentation des tarifs douaniers, mesures confirmées en février 2019, sont insuffisantes pour protéger complètement le marché européen. Elles atténuent le phénomène mais ne l'empêchent pas. Les mesures de protection sont prises pour une durée de trois ans (y compris la période préliminaire) donc jusqu'au 30 juin 2021. Il s'agit d'un contingent, hors droit de douane, égal à la moyenne des importations 2015-2017 avec une augmentation de plus de 5 % par an. Ensuite, ce contingent sera progressivement augmenté afin de revenir à la normale : dans le jargon de la Commission européenne, la normale étant une absence de mesures de protection. Le contingent concerne quasiment tous les produits : à noter néanmoins l'absence des semi- produits comme les brames ou les billettes.

La problématique CO 2 prend et continuera à prendre de l'ampleur au risque de fragiliser la sidérurgie européenne et par conséquent, nos usines de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. La sidérurgie a certes été maintenue dans la liste des secteurs à risque de fuite de carbone et, à ce titre, bénéficiera de quotas gratuits. Heureusement, sinon il faudrait acquitter la taxe CO 2 dès la première tonnes produite. Pour cette période ETS IV (2021-2030), le mode de calcul est plus désavantageux et va progressivement faire diminuer les quotas de CO 2 gratuits.

Le système des quotas de CO 2 commence à peser sur les sidérurgistes européens : prix en forte croissance, quotas gratuits désormais insuffisants pour couvrir leurs émissions. À Dunkerque, sur un budget de production de 7 millions de tonnes de brames, le coût CO 2 est estimé à 75 millions d'euros dès 2019 ; le site de Fos-sur-Mer est également déjà en déficit de quotas CO 2 gratuits.

Les sidérurgistes européens réagissent, pour l'heure, par des projets de R&D de moyen terme afin de diminuer les émissions, soit en utilisant le CO 2 et le gaz carbonique comme matières premières, soit en réutilisant mieux ces gaz dans les procédés, soit en stockant le CO 2 , soit en développant des technologies de rupture, réduction d'hydrogène par exemple. Il n'est pas inutile de rappeler que l'acier, par son caractère quasi indéfiniment recyclable, contribue de façon naturelle à la transition énergétique. La solution plus simple, consistant à développer des aciéries électriques semble rester aujourd'hui plus coûteuse. Mais l'option sera probablement regardée de façon approfondie dans les prochaines années, selon les évolutions du prix du CO 2 et du prix des matières premières.

La CFE-CGC rappelle que les importations d'acier ne sont pas soumises à ce surcoût CO 2 et nous demandons donc qu'une taxe spécifique à l'importation soit appliquée sur les produits sidérurgiques afin que nos producteurs soient mis en concurrence équitable avec les sidérurgistes hors Union européenne, lesquels ne sont pas soumis aux mêmes contraintes environnementales.

La production d'aciers plats carbone dans les deux usines de Fos et Dunkerque se fait à partir d'une filière hauts-fourneaux. Le maintien d'une filière hauts-fourneaux compétitive pour ces deux usines demande quelques points de vigilance. Pour les deux sites, la reconfiguration de l'environnement concurrentiel se poursuit avec la cession des remedies à Liberty dont le projet serait avant tout l'augmentation de capacité de Galati en Roumanie et de la ligne de fer blanc à Liège. Liège, Dudelange et Piombino resteraient alimentés par ArcelorMittal pendant quelques années, mais pour la sidérurgie française, c'est avant tout l'émergence de nouveaux concurrents à proximité, au Bénélux et en Italie ! Pour Fos-sur-Mer, le vieillissement de l'outil doit être regardé de près : des incidents de production sérieux ont perturbé la marche de l'usine entre 2016 et 2007. Le contexte de la montée en régime de l'usine de Tarente peut également être regardé de près car une augmentation de la capacité annuelle de production de 2 millions de tonnes d'acier est programmée. Pour Dunkerque, la concurrence avec Gand, autant que la productivité, impacte des projets CO 2 visant à diminuer l'empreinte carbone de l'acier. Rappelons que si la plupart de ces projets sont aujourd'hui réalisés à Gand, ArcelorMittal développe à Dunkerque en 2019 un projet de démonstrateur innovant (projet DMX) de captage de CO 2 avec notamment IFP Énergies nouvelles et Total. N'oublions pas le projet plus ancien, dénommé « IGAR » d'injection de gaz carbonique dans les hauts-fourneaux, qui devrait être testé en 2021, nous l'espérons, sur le HF2 de Dunkerque. IGAR vise à diminuer de 17 % les émissions de CO 2 d'ici à 2027.

À ce jour, chez ArcelorMittal et concernant les produits plats, nous ne voyons pas de stratégie de substitution de la filière fonte via les hauts-fourneaux par une filière four électrique. L'existant est un avantage : moderniser les hauts-fourneaux ou investir une filière électrique en partant de rien serait coûteux, d'autant que la modernisation des hauts-fourneaux peut désormais être plus progressive. Il existe de surcroit un excédent de production sur l'Europe de l'Ouest par rapport aux besoins aval depuis les cessions de Liège et de Dudelange. L'ajout de capacités chez ArcelorMittal est superflu. Au total, le prix du CO 2 est encore insuffisant pour inverser le mouvement, mais suffisant pour favoriser l'importation d'acier plus carboné ! Globalement, l'intérêt de construire une aciérie électrique pour produire des aciers plats carbone à court terme est diminué d'autant.

Ce que la CFE-CGC attend des pouvoirs publics, c'est la surveillance de la situation du site de Fos-sur-Mer, au regard des investissements dans l'outil de production, des performances techniques et économiques de l'usine dans un contexte de montée en capacité de l'usine de Tarente en Italie. Il faut également mieux utiliser le centre de recherche de Maizières-lès-Metz pour accroître l'intérêt du projet de recherche sur l'un des hauts-fourneaux de Dunkerque.

Pour les aciers inox plats Aperam (sites de Gueugnon, Isbergues, Pont-de-Roide et Imphy), après 4 années de bonne tenue où l'entreprise a connu une croissance des volumes, dans un marché européen soutenu, une nouvelle crise est arrivée très subitement au cours du second semestre 2018. Cette brutale rupture a été provoquée par deux causes principales : la première n'est pas spécifique à l'inox, mais liée aux taxes supplémentaires américaines. Les importations vers les États-Unis ont donc baissé rapidement au profit des productions locales pourtant globalement peu compétitives. La seconde est spécifique à l'inox et liée à la montée en régime d'une installation d'une énorme unité de production de 3 millions de tonnes en Indonésie. Le producteur Tsingshan, d'origine chinoise, produit à très bas coût du fait d'une main d'oeuvre très bon marché, de son positionnement sur une mine de nickel et de contraintes environnementales inexistantes. De plus, au début du second semestre, la Chine a fermé ses frontières aux importations indonésiennes. Tsingshan vise une capacité de 10 millions de tonnes à 5 ans. Pour comparaison, le marché européen des inox est de 5 millions de tonnes. La pénétration de ces tonnes indonésiennes à bas prix, en laminés à froid, sur le marché européen ou en brames sur le marché asiatique, en Corée et Thaïlande, a provoqué un effondrement des prix de vente en à peine quelques mois. Au-delà de la France, tous les producteurs d'inox plats sont en grande difficulté. Les mesures prises sur le plan de sauvegarde de l'UE sont à ce jour, inopérantes sur les importations indonésiennes car l'Indonésie classée « en voie de développement ». Compte tenu de cette situation, la société Aperam se voit contrainte de mettre en oeuvre des mesures de chômage partiel en mai et juin pour plusieurs de ses sites français (Gueugnon, Isbergues, Pont-de-Roide). Ces mesures vont probablement faire l'objet d'une demande d'extension sur juillet, voire sur la fin de l'année.

Pour le segment de marché des aciers longs courants et spéciaux, la sidérurgie française a perdu des volumes très conséquents dans les vingt dernières années, d'abord au profit des autres secteurs européens (Allemagne, Italie, Espagne) et in fine et des acteurs plus lointains. Certes, des marchés spéciaux existent encore en Europe, avec des marges intéressantes et des perspectives positives pour la France, d'autant que notre pays un excédent de ferraille qu'elle exporte. De plus, l'énergie électrique en France pour les industriels reste compétitive ; elle est toujours très largement décarbonée au regard de nos voisins allemands par exemple. Mais on trouve peu d'entreprises françaises d'envergure dans le secteur, ce qui rend difficile la coopération avec les écosystèmes locaux (pouvoirs publics, banques, syndicats, université). Le groupe Vallourec, dont le siège est en France et les dirigeants français, a pris des décisions stratégiques qui ont durablement affaibli son dispositif industriel français avec la concentration de la production d'acier en Allemagne, et des sites français cantonnés à une part d'un process très éclaté entre les laminoirs et les lignes de parachèvement. Pour leur part, les usines françaises sont souvent des maillons d'un process industriel plus global, européen voire parfois plus, avec une part minoritaire de la valeur ajoutée de la chaîne de valeur comme avec British Steel à Hayange.

Nos aciéries électriques sont souvent insuffisamment modernisées, voire obsolètes, comme Industeel ou Ascometal. Les marchés de produits longs carbone standard tels que les ronds à béton, marchés très locaux, sont alimentés par des aciéries de France (les 4 usines Riva) qui ont bénéficié d'investissements réguliers depuis leur rachat, dans les années 1980 et 1990. Cependant, même un outil en bon état n'est pas une garantie suffisante, comme l'exemple de l'aciérie Ascoval de Saint-Saulve le prouve. Il faut un investisseur solide, avec des marchés accessibles qu'il faut pouvoir alimenter à des prix compétitifs. Les déboires de British Steel illustrent la situation catastrophique de la sidérurgie britannique accentuée par le Brexit. Nous pouvons d'ailleurs craindre l'arrêt total de la filière de production de British Steel à partir des hauts-fourneaux, avec des conséquences directes pour l'approvisionnement de l'usine de rails d'Hayange.

La stratégie industrielle du fonds d'investissement Greybull de racheter Ascoval, pour transformer sa coulée continue pour pouvoir alimenter au moins en partie les usines d'Hayange et de FN Steel aux Pays-Bas, faisait sens. Hayange dispose d'un carnet de commandes, notamment au travers de son contrat avec la SNCF qui doit lui permet de s'en sortir, à condition d'assurer un approvisionnement en demi-produits, des blooms carrés en l'occurrence.

Aubert et Duval traverse depuis plusieurs années une période délicate tant sur les performances industrielles que sur les résultats économiques. Tout ceci génère de l'inquiétude, en particulier sur la filière des produits longs pour le site d'Ancizes, et également pour Firminy et Imphy. Pour la CFE-CGC, des consolidations ne sont pas exclues dans le périmètre de cette filière.

La CFE-CGC regrette le manque de coopération entre les acteurs industriels français de filières stratégiques telles que l'aéronautique, le nucléaire, la défense et un producteur d'alliage comme Aubert et Duval. Nous parlons ici clairement de préférence nationale. Je me permets d'ajouter à titre personnel que les Allemands n'hésitent pas à la mettre en oeuvre. Pour la CFE-CGC, il convient d'être particulièrement vigilants sur le devenir des actifs industriels de British Steel au Royaume-Uni afin d'anticiper les conséquences pour les usines françaises d'Hayange de Saint-Saulve et sur la filière électrique sur le devenir des aciéries d'Ascometal, Hagondange et Fos-sur-Mer, Industeel Châteauneuf, Aubert et Duval Les Ancizes.

Pour terminer, la CFE-CGC tient à rappeler que, dans un contexte global de surcapacités mondiales dans le domaine de l'acier, nous disposons en France d'atouts en matière d'innovation de R&D pour maintenir les positions de leader pour nos entreprises : ArcelorMittal Global Research (800 personnes en France dont 600 à Maizières-lès-Metz) ; Eramet Research (200 personnes à Trappes) ; Aperam (environ 80 chercheurs sur le site d'Isbergues et d'Imphy) et Ascometal (50 personnes à Hagondange). Il convient donc de maintenir en France un écosystème favorable au maintien de ces moyens de R&D. Je le dis d'autant plus que je suis un ancien chercheur, qui a travaillé dix ans dans ce secteur.

M. Dider Rivelois, Responsable CFE-CGC à Saint-Gobain Pont-à-Mousson . - Nous avons préparé une présentation que je vais essayer de vous synthétiser.

Nous avons fait beaucoup d'efforts depuis vingt ans : à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, les effectifs ont été divisés par deux en Europe. Nous nous sommes adaptés au marché, car s'agissant de l'adduction d'eau potable, une fois que vous avez équipé, capté l'eau et alimenté les grandes villes, les marchés chutent : c'est ce qu'on vit en Europe depuis 30 ans.

Saint-Gobain Pont-à-Mousson compte 6 000 personnes dans le monde, 2 000 en Lorraine. Nous sommes le numéro deux mondial - nous avons longtemps été les premiers. Le premier est désormais un Chinois. La Chine a de réels problèmes d'eau, qu'elle va chercher dans les montagnes, et de pollution de l'eau. Notre grande différence avec ce concurrent, c'est que l'on fabrique un système complet. Nous avons des connaissances dans la conception des réseaux d'adduction d'eau, dans les réseaux d'assainissement. Nous maîtrisons complètement la potabilité en travaillant avec les collectivités locales. Nous participons au comité stratégique de la filière eau, comme M. Ludovic Weber vous l'a indiqué lors de son audition le 29 mai dernier. Nous maîtrisons la durabilité de nos tuyaux : l'obsolescence programmée pour nous, c'est 150 ans voire même davantage. Nous adaptons nos revêtements aux analyses de sol et nous avons des prescriptions de très longue durée.

S'agissant des performances en développement durable, je vous transmets une documentation datant de 2008 mais toujours d'actualité. Nous avons divisé par deux la masse des tuyaux de petit diamètre. Sur six mètres de long, ils sont passés de 105 kilogrammes à 45 kilogrammes : ces prouesses ont été réalisées grâce à de nouveaux process .

Notre principal risque concerne d'ailleurs ces derniers. Il existe des brevets bien sûr, mais les process -la façon de régler nos machines, de former nos salariés, des spécifications d'achat des matières- risquent d'être transférés alors que vingt ans ont été nécessaires à leur maîtrise. Si nous sommes rachetés, ces process seront transférés en un an. Ces transferts concernent aussi General Electric et nos collègues d'Alstom, même si l'objectif est de conserver des emplois aux États-Unis. La Chine a exactement la même problématique : conserver ses emplois ! La Chine vient d'ailleurs de baisser de trois points la TVA sur les produits manufacturés pour conserver ses emplois industriels.

Nous souhaitons renforcer les contrôles d'investissements étrangers en France : à moyen ou à long terme, ces investissements étrangers auront des impacts sur l'emploi ; à court terme, ils font encourir le risque d'une dépendance de l'Europe à des pays étrangers.

Le concurrent qui veut nous racheter ou avec qui nous ferons un partenariat est une entreprise publique chinoise, qui travaille beaucoup en Afrique. Leur vision stratégique sont plus développée que la nôtre : nous pensons à nos emplois de demain, mais ils pensent à leur stratégie d'adduction d'eau pour l'après-demain !

Saint-Gobain Pont-à-Mousson a beaucoup changé en dix ans : nous sommes devenus des gestionnaires de portefeuille alors que nous étions des industriels. Les investissements ne sont pas faits en Lorraine et nous perdons des volumes et de la marge. Des investissements sont annoncés, mais ils ne concernent qu'une gamme de produits sur les 6 ou 7 que nous possédons. Nous continuons à éroder nos marges. Nos métiers sont cycliques et nous participons à beaucoup de marchés publics : si les financements de ces marchés publics diminuent, de fait, nos commandes s'arrêtent. Les projets d'adduction d'eau sont décidés longtemps à l'avance, car ce sont des gros investissements. Il existe donc un décalage entre le marché de la voirie, le marché de la robinetterie et le marché des tuyaux.

Il y a deux ans, à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, un projet d'avenir nous a été annoncé avec la suppression de 400 emplois sur 2 000 : le but est de survivre. On nous annonce que nous cherchons un partenaire : nous ne comprenons pas. Ce plan va se finir en 2021 : nous souhaitons que l'État nous accompagne d'ici là avec par exemple des financements de la Bpifrance. Nous avons chiffré à 100 millions d'euros les investissements nécessaires en fonderie, en voirie - je suis d'ailleurs responsable de qualité de voirie. Une autre enveloppe de 100 millions d'euros serait consacrée à la transformation de nos hauts-fourneaux dont vous a parlé M. Weber : l'échéance à deux ans ne sera pas tenue, et si on ne les transforme pas à la prochaine échéance, dans sept ans, M. Weber estime que ce sera l'arrêt des hauts-fourneaux. Ce ne serait pas seulement l'arrêt des hauts-fourneaux, mais celui de la fonte et de l'usine. Nous avons déjà perdu 100 emplois sur 5 ans.

À Saint-Gobain Pont-à-Mousson, nous savons « endormir » un haut-fourneau pendant trois ans. Nous l'avons fait avec HF2, arrêté en 2014, puis redémarré presque cinq ans après. Au bout d'une semaine, il refaisait de la fonte. Le haut-fourneau de Dunkerque est beaucoup plus gros, mais nos collègues ne savent pas l'arrêter.

Vous avez reçu M. Floris, délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, dont on estime qu'il faut renforcer les compétences pour anticiper les problèmes de financement des entreprises et de sous- investissement.

Mon collègue de la CGT considère qu'il faut que l'on renforce notre présence dans les conseils d'administration. Je suis administrateur au conseil d'administration du Centre technique des industries de la fonderie. Nous pilotons, nous choisissons les investissements, nous participons à la gouvernance. Si nous avions pu le faire à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Nous subissons des mesures anti-dumping de l'Inde pour les tuyaux, et de la Chine pour la voirie. L'outil mis en place est utile mais il arrive toujours trop tard ! Pour être efficace, sa mise en place doit être rapide. Le cas échéant, il se produit une rupture du marché et d'approvisionnement.

Dans nos métiers, nous avons la sidérurgie en amont et la fonderie en aval (pour les raccords, la voierie). Nous avons un Centre technique des industries de la fonderie qui bénéfice de taxe affectée. Il a beaucoup de mal à survivre alors qu'il est indispensable, car nous sommes plus petits qu'ArcelorMittal. Il peut nous aider dans notre transformation, pour passer du cubilot au four électrique par exemple.

Nous avons également quelques recommandations sur les compétences, sur la reconnaissance des diplômes. L'enjeu pour nous en termes de recrutement, c'est l'apprentissage. C'est par là que les jeunes rentrent, c'est par là que les jeunes restent. Nous avons chez nous beaucoup de diplômés de master 2 mais pas assez de titulaires de bac pro alors que nous en recherchons.

M. Lionel Bellotti, Secrétaire fédéral en charge des secteurs « Sidérurgie, forges et fonderies » au sein de la fédération FO Métaux . - Je voudrais commencer par rappeler l'intérêt que nous portons à FO Métaux à la démarche de concertation tripartite, entre les représentants des organisations syndicales, des entreprises et des pouvoirs publics, et notamment à travers le Conseil national de l'Industrie et les comités stratégiques de filière. Le comité stratégique de filière « mines et métallurgie » en est à ses débuts, le contrat ayant été signé début janvier. Nous souhaitons que les recommandations que nous pouvons faire et que les décisions qui sont prises dans ce comité ou au Conseil national de l'Industrie soient davantage prises en compte.

La sidérurgie joue un rôle déterminant dans la chaîne de valeurs industrielle. C'est un secteur d'autant plus stratégique qu'il se situe à l'amont de bien d'autres filières : l'automobile, la construction, le bâtiment, le ferroviaire, la navale, le nucléaire, l'électroménager, les énergies renouvelables et l'emballage. Une sidérurgie qui ne serait plus performante conduirait inévitablement à la perte de la souveraineté de la France ou de l'Union européenne sur ses activités stratégiques.

De la même façon, les métaux de base qui sont des matières premières indispensables aux besoins du quotidien et à la sidérurgie sont essentiels à l'industrie : un pays comme la France se doit de veiller à ne pas être dépendant de ces métaux et de sécuriser son approvisionnement, sous peine de mettre en péril son industrie.

L'industrie sidérurgique est une industrie lourde, qui implique le déplacement de bobines. J'étais à Ugitech vendredi dernier, il est question de supprimer une voie ferrée : que va-t-il se passer ? À Saint Chély d'Apcher, un pont, classé monument historique, empêche le transport des trains chargés de bobines.

Les fluctuations des prix des matières premières, comme le fer, le charbon, le nickel, le manganèse, ne font que renforcer l'inquiétude actuelle, car elles ont un impact direct sur l'activité et sur la rentabilité du secteur sidérurgique.

Néanmoins, comme tous les secteurs d'activité, la sidérurgie doit faire face aux enjeux industriels et aux mutations et transitions de notre société. Les crises se succèdent, nombre d'entreprises basées en France, souffrent à des degrés divers. Je parle non seulement des entreprises sidérurgiques comme Tata Steel, British Steel, Ascoval, Vallourec, Saint Gobain, ArcelorMittal, Aperam, RIVA, NLMK, Ascométal, Ugitech, mais également des forges et des fonderies françaises. Dans la liste des entreprises que je viens d'énumérer, la majorité ne sont pas françaises. On se satisfait quand même qu'elles soient implantées en France et donnent du travail aux salariés français.

En tout cas, ces entreprises recourent actuellement à des campagnes de réduction drastique des coûts, voire à de l'activité partielle. Tout cela les contraint à ne plus pouvoir investir dans la maintenance, dans la modernisation des outils, et à limiter parfois leur budget de recherche et développement. Sans moyens pour faire de la recherche et du développement, il n'y aura plus la possibilité de concevoir ni de produire des aciers détenant des caractéristiques mécaniques élevées, ce qui permet par exemple la fabrication de véhicules plus légers. Cela n'ira pas dans le sens d'une sidérurgie durable. L'importance de la R&D rend nécessaire une contribution de l'État. Néanmoins, en cas d'aide de l'État, un contrôle doit en être la contrepartie.

Le pire n'étant jamais sûr : on ne voudrait pas que certaines de ces entreprises soient contraintes à la fermeture pure et simple. Griset a fermé, alors qu'il était numéro un mondial du cuivre. Je n'ai plus de nouvelles de Tréfimétaux. Ce qui se passe à Ascoval est terrible : les salariés s'interrogent légitimement sur leur avenir, alors qu'ils ont un vrai savoir-faire, ils aiment leur métier.

Nous sommes très inquiets pour Vallourec, qui a pratiquement réduit les effectifs par deux en cinq ou six ans. Ils ont vendu les drills , qui ont été rachetés par une entreprise américaine, qui performe. Je m'interroge : pourquoi ne pas les avoir conservés ? Pourquoi les américains, sur site, font-ils mieux ?

Je ne souhaite pas me limiter à un constat alarmant : lutter contre le feu lorsqu'il se déclare, c'est un pauvre substitut à la prévention de l'incendie. Ne croyez-vous pas que le meilleur moyen de traiter une crise, c'est de ne pas en avoir ?

J'ai fait une conférence sidérurgique les 4 et 5 juin dernier : j'ai repris toute l'histoire de la sidérurgie depuis les maîtres de forge. La sidérurgie est toujours debout.

L'avenir de la sidérurgie, selon nous, repose sur une meilleure compétitivité, certes, mais il n'est pas concevable que la problématique se focalise uniquement sur le seul coût du travail. Dans la sidérurgie, le coût de la main-d'oeuvre représente en moyenne 10 % - entre 6 et 12 %. Il faudrait se focaliser sur le prix des matières premières, les prix de l'énergie, l'organisation du travail. Nos dirigeants, les industriels devraient se poser quand même les bonnes questions car sinon, comment voulez-vous motiver les troupes ?

Il apparaît impératif que la concurrence avec d'autres pays comme la Chine, puisse être loyale. Je ne sais plus s'il faut parler de concurrence loyale ou de guerre commerciale et de concurrence déloyale car les producteurs d'acier ne sont pas soumis à des normes ni environnementales ni sociales.

ArcelorMittal annonce une réduction de la production de 4,5 millions de tonnes. Le groupe a déjà employé cette stratégie pour défendre le niveau de prix. Mais en conséquence, la concurrence pénètre sur le marché français avec des aciers bas de gamme, des commodités à des prix très bas, que l'on ne sait plus faire. On entend qu'il faut aller vers des produits à haute valeur ajoutée, mais encore faut-il les vendre plus cher mais il faut aussi continuer à produire des commodités à des tarifs compétitifs.

Notre organisation syndicale n'a cessé de le rappeler : s'il faut que l'Union européenne convienne de règles et les fasse respecter, c'est bien au niveau mondial qu'il doit y avoir une régulation car nous sommes dans un commerce mondial. Toutes les entreprises françaises qui exportent hors de l'Union européenne doivent affronter le protectionnisme : tout le monde s'organise en face de nous. Actuellement, le marché français est pénétré par des importations à bas coût. La mise en place de règles commerciales et fiscales ainsi que des barrières douanières au niveau européen doit être faite et d'une façon pérenne. Des choses ont été réalisées mais devraient évoluer dès le mois de juillet. Le monde change, de plus en plus vite, il faut donc que la Commission européenne soit plus réactive et prenne les décisions dans des délais beaucoup plus courts.

J'allais à Bruxelles lorsque j'étais au comité restreint d'ArcelorMittal, avant les années 2010, et on parlait déjà des quotas de carbone. Mais pour arriver à un compromis sur leur création, il a fallu de nombreuses années. Certains pays en Europe n'ont pas d'industrie sidérurgique ce qui ne les empêche pas de n'être jamais d'accord.

À FO Métaux, nous avons participé par le passé à des manifestations à Bruxelles qui rassemblaient les organisations syndicales - nous sommes en effet d'accord sur le caractère indispensable d'une industrie sidérurgique forte et performante en Europe. FO Métaux a fait une manifestation avec la CFE- CGC et Eurofer qui mène un combat commun au niveau européen comme nous l'avons écrit dans notre livre blanc intitulé « pour la défense de l'industrie : combattre le dumping social et environnemental ».

Positionner notre industrie sur des marchés verts et investir dans la technologie environnementale en réalisant des investissements dans la protection climatique devraient contribuer à trouver des nouveaux débouchés, de nouveaux marchés. J'habite à Nantes, où un parc de 80 éoliennes doit s'installer, mais cela fait des années que l'on en parle.

Sur la réforme des quotas carbone européens, FO n'a changé de position depuis le début : il faut préserver l'industrie sidérurgique et ses emplois en France et en Europe, mais aussi préserver la planète.

Le SEQE a démontré ses limites et son inefficacité. D'abord, il ne tient pas compte du contexte mondial : les industries européennes doivent émettre moins de CO 2 , contrairement aux entreprises hors de l'Union européenne. En Europe, si certaines entreprises en ont profité, d'autres font du chantage aux fuites de carbone. La tonne d'acier pourrait coûter à l'avenir plus de 50 euros : où nos dirigeants vont-ils les trouver ? Le droit à polluer est devenu un marché, resté trop longtemps très bas, puis aujourd'hui le prix de la tonne de CO 2 a été porté à 25 euros, soit une multiplication par trois. L'impact sur l'environnement n'est pas oublié, mais on regrette qu'il ne soit pas possible de créer des règles qui s'imposent à tous les acteurs de la sidérurgie au niveau mondial. Nous regrettons que ne soit pas instauré un mécanisme de taxe de carbone aux frontières de l'Europe dans le but d'éviter une concurrence déloyale.

Il est nécessaire de rappeler que des entreprises dégagent des moyens pour réduire leurs émissions, mais il existe dans tous les cas des limites techniques : si vous voulez produire de l'acier, il faut du charbon, du fer. Il faut récompenser les plus vertueux, les entreprises qui progressent. L'État a son rôle à jouer, en donnant des subventions, en mesurant les émissions.

L'industrie de la sidérurgie, ce n'est pas que des entreprises, c'est aussi des femmes et des hommes. Le développement de l'apprentissage fait partie de nos revendications. Nous sommes à la traîne par rapport à nos voisins européens. 85 % des apprentis dans la métallurgie trouvent un emploi dans les 6 mois en France après leur entrée dans la vie active : il y a des débouchés, pas nécessairement en CDI, parfois en CDD, qui reste de l'emploi. Il faut que les jeunes soient attirés par l'industrie, par la sidérurgie. Ce n'est pas forcément le cas avec les plans sociaux, le travail le week-end, la nuit. Il y a des choses à faire. Nous avons souhaité associer l'Éducation nationale au groupe de travail sur l'emploi et les compétences au sein du Conseil national de l'industrie. L'Éducation nationale a un rôle à jouer sur ce sujet, notamment sur la conception des formations initiales : il faut donner envie aux jeunes, il faut faire des visites dans l'entreprise dès la 3 ème . Il faut investir dans la qualification, reconnaître les diplômes et aller vers davantage de qualifications et de compétences, en utilisant une GPEC offensive. Avec la pyramide des âges, il n'y a plus besoin de mener des PSE : les départs en retraite se font tout seul, et la productivité augmente ! Avoir des jeunes, travailler sur l'attractivité dans la sidérurgie... Toute cela nous permettra de passer le cap sur la transition numérique.

Les entreprises et les organisations syndicales ne peuvent pas agir seules : l'État doit assumer son rôle de stratège. Il nous apparaît avisé de concevoir une nouvelle forme de politique industrielle qui reposera sur un équilibre juste entre l'intervention directe de l'État et son rôle de créateur d'environnement favorable à l'attractivité de la filière et en créant les conditions nécessaires, des espaces de délibération-, c'est peut-être le CSF et le CNI - entre les partenaires sociaux et en accentuant la responsabilité sociale des entreprises.

Pour conclure, j'insisterai sur l'importance d'un dialogue avec les différents industriels français afin qu'ils s'organisent au lieu qu'ils se fassent la guerre. C'est compliqué, ils ne sont pas tous des entreprises 100 % françaises. Il faut organiser des synergies avec le monde de la recherche, car la sidérurgie a besoin d'un aval important. Il faut que le CSF Mines et métallurgie travaille avec les CSF aéronautique et automobile.

Notre objectif, c'est de créer et maintenir de l'emploi en France dans l'industrie : il en va de notre avenir. La sidérurgie est sans cesse confrontée à une situation difficile et préoccupante. Les défis ne seront relevés qu'avec la prise en compte des points qui sont évoqués dans mon intervention, mais surtout, afin de permettre de garantir une compétitivité face à l'avenir et un marché concurrentiel, avec le maintien et le développement du capital humain : sans l'homme, sans la femme, il n'y aura pas d'industrie demain. Personne ne veut plus travailler dans une industrie et pourtant quand on parle aux salariés, ils sont fiers de leur métier, où existent des possibilités d'évolution et de promotion sociale.

M. Franck Menonville , président . - Merci à chacune et chacun d'entre vous, pour vos interventions et votre analyse particulièrement complète et convergente de la situation. Nous passons à une série de questions et un temps d'échange.

Mme Martine Filleul . - Les interventions ont été tellement complètes et complémentaires qu'il devient vraiment difficile de poser des questions pertinentes. J'ai spontanément envie d'adhérer à vos analyses, en particulier sur la nécessité pour l'État de s'investir et de jouer à plein son rôle d'État stratège. Nous avons besoin d'une politique industrielle affirmée en France. Malheureusement, à ce jour, on la cherche encore. J'estime que l'État doit affirmer ses positions. S'agissant la formation, il faut de l'apprentissage, davantage d'attractivité dans les métiers de l'industrie, dont la pyramide des âges fait apparaître des emplois à pourvoir dans les années à venir. Cependant, la crise de la sidérurgie ne donne pas envie d'aller y travailler. Lorsque l'on évoque les fermetures d'entreprises, cela refroidit l'appétence des jeunes. L'un d'entre vous a estimé qu'il y avait trop de master 2 alors que la filière aurait davantage besoin de contrats d'apprentissage. Il ne faut pas opposer les deux. Ce secteur a besoin aussi d'emploi de grande qualification pour la recherche et de l'innovation, pour trouver des niches qui vont permettre à la sidérurgie d'avancer. Cela amène à s'interroger sur le positionnement des centres de formation, faut les maintenir généralistes ou les spécialiser ? Sur la question européenne, on se cache un peu derrière son petit doigt en trouvant des prétextes et des alibis. La question majeure à résoudre est celle du dumping. On invoque le coût de la main-d'oeuvre et des salaires alors qu'on ne s'attaque pas véritablement aux raisons de la crise sidérurgique en France.

M. Fabien Gay . - Je partage une grande partie des interventions. Nous n'avons toujours de vision industrielle. Ce n'est pas que de la responsabilité de ce gouvernement car cette situation dure depuis un moment. Mais on est en train de laisser à l'abandon ce secteur au prétexte de la compétition internationale. Si on ne fait rien, dans dix ans, il n'y aura plus de filière. Elle est aujourd'hui dans un piètre état. Celui-ci pose beaucoup de questions sociales, environnementale, mais aussi un enjeu de souveraineté et d'indépendance.

Vous avez évoqué l'action du CIRI et de M. Floris. J'ai accompagné des salariés du secteur de la sidérurgie qu'il recevait, et à qui il disait qu'il ne pouvait rien faire. Il a été un grand capitaine d'industrie, mais le poste qu'il occupe aujourd'hui est une coquille vide.

Au-delà de nos appréciations politiques, nous allons émettre des recommandations qui iront sans doute dans le même sens comme lors de la commission d'enquête sénatoriale sur Alstom. Dans ce dossier, nous avions bien raison. Il faut interpeller le gouvernement sur l'existence d'une volonté politique pour sauver cette filière.

Sur la formation, je suis assez frappé d'entendre, chaque fois que nous rencontrons des industriels ou des patrons, hier encore au Salon du Bourget, que la France manque de personnes formées, malgré six millions de chômeurs et une volonté de déstructurer la formation, de casser les AFPA.

M. Jean-Pierre Vial . - Les intervenants ont pointé à juste raison l'enjeu européen niveau pertinent de la défense de la filière. Pouvez-vous citer une politique de défense de la filière particulièrement significative mise en oeuvre par un pays voisin ? Sur la situation particulière de Saint-Gobain, et de son avenir, l'eau est la préoccupation présente et future de l'Afrique. Ce marché est-il un débouché pour les produits français ou est-il déjà investi par la Chine ?

Mme Angèle Préville . - Je partage une grande partie des propos tenus et notamment la nécessité d'avoir une industrie sidérurgique française parce que c'est un enjeu très puissant, le constat d'absence de volonté politique de préserver et de développer une production française indépendante et localisée dans le pays, pourtant absolument nécessaire.

L'acier a besoin de de carbone, puisque c'est un alliage de fer et de carbone ; quelles sont les perspectives de la filière hydrogène ?

S'agissant de la formation, j'indique que j'ai fait adopter un amendement au projet de loi sur l'école de la confiance, afin de réhabiliter l'éducation manuelle qui avait disparu des collèges. Des élèves sont orientés à la fin de la 3ème vers des formations professionnelles, sans connaître ces filières car ils n'ont pas eu des parents artisans ou bricoleurs, en ignorant s'ils vont aimer fabriquer des objets avec leurs mains. J'espère que le Gouvernement va se saisir de cet amendement pour développer, dans les collèges, l'éducation manuelle, qui serait un levier très puissant pour mieux orienter les élèves.

Saint-Gobain a développé la fonte ductile de meilleure qualité que les réseaux PVC qui vieillissent mal. Cette innovation ne va-t-elle pas offrir de nouveaux marchés pour renouveler les réseaux ?

M. Jean-Marc Todeschini . - Vous avez cité l'usine du groupe Riva à Tarente en Italie. La montée en puissance de la production italienne ne risque-t-elle pas de venir concurrencer Fos-sur-Mer ?

Connaissez-vous les raisons qui ont conduit le groupe ArcelorMittal à créer une nouvelle entité juridique, Arcelor France ?

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je dois vous quitter pour aller présenter l'état d'avancée de nos travaux et vous remercie sincèrement de la richesse et de la qualité de vos contributions sur l'attractivité du métier, la formation et l'apprentissage, le rôle de la Commission européenne, la question de l'État stratège, les contrats stratégiques de filières. Tous ces éléments semblent fonctionner en tuyaux. L'État stratège est souvent un État pompier. Il faut un accompagnement des restructurations ou des difficultés, mais aussi pouvoir les anticiper. Merci de préciser vos propositions sur ces trois sujets.

M. Hakim Bouktir , délégué CGT de Hayange . - Je rappelle que le site de Hayange était client de Akers France à Thionville, liquidée en 2016, pour les cylindres. Lorsque Hayange s'est approvisionné en Chine pour des raisons de coûts, cette décision a contribué à la fermeture de Akers France. Nous achetons désormais des cylindres au Japon, qui sont beaucoup plus chers et pas forcément de meilleure qualité. Notre principal client est la SNCF, avec un contrat annuel de 120 000 tonnes, depuis des années, auxquels s'ajoutaient 30 000 tonnes de commande hotspot supplémentaire soit un total de 150 000 tonnes. Nous avons perdu ce dernier contrat de hotspot, lequel représentait une production d'un mois. On ignore l'issue de la vente de British Steel, de groupe ou par appartements, comme la pérennité des livraisons en blooms, ces barres de fer nécessaires à la fabrication des rails, mais la réponse pourrait être apportée le 20 juin.

M. Pierre Damiani . - En réponse à M. Vial, ArcelorMittal, a une usine en Allemagne, pays qui a conservé son industrie et a développé son apprentissage. Or, si en Allemagne il y a 500 candidats pour 100 places en formation alors que nous avons du mal à sélectionner 10 candidats en France. En réponse à Mme Préville, je donne un exemple concret de ce qu'on pourrait faire pour attirer les jeunes dans l'industrie, en tous cas, la leur faire connaître. On évoque le développement du service à la personne mais il faut derrière une industrie manufacturière forte. Je vais vous donner un exemple concret. Je suis sidérurgiste, mon père est sidérurgiste et ma grande fille sidérurgiste. Pendant son stage de 3 ème , j'ai eu la chance de lui fait découvrir l'entreprise dans laquelle je travaille. À l'issue, elle a souhaité étudier la chimie. Ces stages sont à développer pour faire découvrir aux jeunes ce qu'est l'industrie. On peut aussi développer les forums des métiers dans des lycées. D'année en année, je vois de moins en moins de monde. Dans la salle à côté, un designer fait le plein. Pourtant, il y a davantage d'emplois dans l'industrie que dans le design. Je préconise donc le développement de ces stages en entreprise pour donner l'envie. À Mme Filleul, j'indique qu'on a besoin également de chercheurs, de doctorants, pour faire de la R&D, pour innover dans les aciers. Beaucoup d'entre eux n'existait pas hier. Les aciers d'Arcelor dans les automobiles permettent de diminuer leur poids de l'automobile. Nous avons tout autant besoin de salariés opérationnels, comme des conducteurs de ligne. La sidérurgie fait peur alors que l'aéronautique fait rêver, sauf que si la conception des avions peut faire rêver, sa construction, c'est simplement de la tôle rivetée. Dans la sidérurgie, vous réalisez des choses exceptionnelles, comme le pilotage de lignes. Ces actions ne sont hélas pas montrées aux jeunes. Pourtant, l'image d'un haut fourneau est spectaculaire, mais fait peur et pas rêver.

M. Didier Rivelois . - Certaines entreprises emploient des ingénieurs de leur service marketing mais pas de bac pro dans les usines.

Mme Christelle Touzelet . - Sur l'emploi, l'attractivité, la formation, tout part de la stratégie de l'entreprise, qui va déterminer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences nécessaires. La grande difficulté est de comprendre les besoins.

Nous avons fait une proposition, dans le bassin phocéen, avec le contrat de transition écologique de Fos-sur-Mer. Il faut, d'un point de vue territorial, associer la transition écologique, certes, mais aussi de futurs employés en capacité d'effectuer une GPEC territoriale. Je pense que les entreprises n'ont pas de difficultés à trouver des emplois précaires. Accompagner le changement et la transition écologique de l'industrie du futur va également déterminer les emplois à venir qui ne sont plus les métiers antérieurs. Nous estimons, à la CFDT, que les contrats de transition écologique peuvent développer cette dynamique prenant en compte les besoins afin d'établir une GPEC sectorielle.

M. Philippe Verbeke . - Mme Filleul a évoqué l'augmentation des importations. Il faut resituer les choses et regarder la responsabilité des uns et des autres. Avec la crise financière 2008-2009, l'acier a été impacté par ses marchés en aval, bien évidemment. On a observé une escalade de fermetures de capacités de production, pas simplement en France et en Europe, représentant 40 millions de tonnes annuelles de production d'acier en Europe depuis 2008. En comparaison, un site comme Dunkerque produit 7 millions de tonnes annuelles avec 3 hauts fourneaux. Ce déclin des capacités est considérable. Au-delà du dumping, les importations sont mal maîtrisées en Europe. C'est assez facile d'imputer ces difficultés à la Commission européenne. Elle a certes un rôle à jouer pour empêcher le dumping environnemental ou social. Cependant, lorsque 40 millions de tonnes de capacités de production sont fermées en Europe, on provoque mécaniquement un appel d'air aux importations. D'autant plus qu'elles ne répondent pas à l'entièreté des besoins. Il est paradoxal qu'ArcelorMittal, dans lequel je travaille, exerce un lobbying extrêmement actif auprès à la fois de l'État français et de la Commission européenne alors qu'il est responsable de la situation, étant l'un des premiers acteurs de fermeture de capacités depuis 10 ans en Europe et en France.

Je peux fournir des chiffres qui ne se trouvent pas sur la place publique car le patronat de l'acier ne les donne pas. L'importation de brames, la matière brute de la filière fonte en 2014, était 5,8 millions de tonnes puis est monté en 2018 à 8 millions de tonnes, et même de 1,6 million de tonnes en janvier et février 2019. Le groupe ArcelorMittal a décidé de réduire sa production, une fois de plus. Nous analysons cette décision pour tenter de maintenir des prix élevés, voire les augmenter, dans une guerre commerciale qui oppose des groupes sidérurgiques et leurs clients. Arcelor dresse un paysage alarmant, mais il faut prendre en considération tous les tenants et les aboutissants.

La question de la formation et de l'apprentissage est un scandale absolu, je partage l'opinion de M. Fabien Gay.

La filière sidérurgique a été décrété stratégique en France comme en Europe depuis les travaux de la commission Tajani, auxquels nous avons participé en 2013, sur un plan d'action destiné à « révolutionner la culture d'entrepreneuriat en Europe ». Il est cependant paradoxal de considérer qu'une filière est stratégique et de ne pas prendre de décision politique pour la préserver. J'ai évoqué dans mon propos liminaire les recommandations de l'Assemblée nationale en 2013 en faveur de la prise de participation au capital des groupes à une hauteur suffisante, c'est-à-dire avec une minorité de blocage, pour éviter d'employer le terme de nationalisation, qui est apparemment devenu en France un gros mot. Pourtant, la nationalisation de Florange était prête en 2012. Si le projet de reprise du site d'Ascoval par British Steel et Greybull échoue, que fait-on ? On ferme l'entreprise, en offrant des valises de billets au aux salariés et on raye de la carte une entité majeure, la plus performante des aciéries électriques françaises ? Ne pourrait-on nationaliser, ne serait-ce que temporairement le temps de trouver une solution pérenne ? Si la sidérurgie est vraiment une filière stratégique, on peut alors prendre des décisions de nationalisation temporaire, comme celle décidée pour l'industrie navale, il y a deux ou trois ans, lors d'une transaction difficile avec un groupe italien. Il faut de l'audace politique face à une situation qui va de mal en pis. Sinon on se contente de bouts de sparadrap. C'est un vrai choix politique à opérer.

Sur ArcelorMittal France, dont le siège est à Saint-Denis, la fusion concerne les entités les plus grosses entités du groupe ArcelorMittal, Atlantique et Lorraine, mais Fos reste en dehors. Le groupe assure qu'il s'agit simplement d'une opération à périmètre juridique constant, il n'est pas totalement transparent. Il existe peut-être d'autres motivations. Je rappelle qu'ArcelorMittal avait pris des engagements sur Florange, et notamment dans le contrat avec l'État de 2012, stabilisant ses actifs en France. Si le site de Fos-sur-Mer est menacé, s'il ferme, que fera l'État ? Nationalisera-t-il ? Il faudra, le moment venu, prendre les décisions à la hauteur des enjeux.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Pour rebondir sur la stratégie du groupe ArcelorMittal, je veux savoir ce que vous pensez de la dernière cession par ce groupe de deux sites, l'un en Côte d'Or l'autre dans la Meuse, au groupe allemand Mutares, spécialisé dans la reprise d'actifs ? On peut vraiment s'interroger sur les objectifs de cette stratégie.

M. Franck Menonville , président . - Nous auditionnons les entreprises concernées demain.

Mme Anne-Catherine Loisier . - S'agissant du renouvellement des réseaux d'eau potable, et compte-tenu de l'action des agences de l'eau, on peut être inquiets quant aux capacités des collectivités locale ayant engagé des investissements massifs pour renouveler des canalisations en eau potable.

M. Lionel Bellotti . - ArcelorMittal voulait céder le site de Sainte-Colombes il y a 18 mois car l'activité, centrée sur la production de tubes pour l'offshore pétrolier, était déficitaire. Un fonds de pension américain a paru intéressé puis s'est désisté. Arcelor a eu l'opportunité de céder ces deux sites qui ne lui apparaissent pas rentables. Altifort était initialement intéressé. Ce projet aurait eu du sens avec Ascoval.

Le siège d'ArcelorMittal France était à la Défense, il est passé à Saint-Denis. Il comptait jusqu'à 1 500 salariés. C'était le coeur d'Usinor puis d'ArcelorMittal. Il existe des synergies et des salariés du siège qui vont partir chez Liberty House. Le siège n'existe que parce qu'il faut une entité juridique ArcelorMittal en France. Le fait de laisser Fos-sur-Mer de côté a pour objectif de mesurer sa capacité d'augmenter sa compétitivité au regard de ce que pourra faire les Italiens sur le site d'Ilva. Ce dernier site a davantage de potentiel, mais n'a jamais fonctionné à 100 % de sa capacité.

Quant aux 40 millions de tonnes de fermeture de capacités, sans vouloir minorer les propos de mon collègue, il faut rappeler l'aspect économique et la nécessité de rénover les hauts fourneaux de Liège et de Florange, ce qui représente un coût considérable. Le groupe Arcelor a arbitré en faveur d'une production de produits à haute valeur ajoutée et a délaissé les commodités. Nous estimons qu'il faut savoir faire les deux. Les produits à haute valeur ajoutée doivent se vendre plus cher. Avec le recul, on peut se demander si Liège et Florange n'avait pas fermé, est ce que la situation serait satisfaisante ? Nous sommes favorables au maintien de l'emploi et de la sidérurgie en France, mais il faut prendre en considération des données économiques. Les produits turcs arrivent, beaucoup moins chers... Les clients d'ArcelorMittal, regardent aussi les prix. Il faut mettre des règles à la concurrence et les faire respecter.

M. Didier Rivelois . - Les réseaux de distribution d'eau dans les villes sont en fonte avec un diamètre faible, comme le montre le document qui a été distribué. Le marché français a diminué en 2008. Nous nous sommes adaptés à cette évolution cyclique. Le plastique va jusqu'au diamètre 200 mais nos produits jusqu'au diamètre 2000, il existe donc de la marge. Nous sommes attaqués sur nos marchés en Italie, Espagne, Angleterre, par les Indiens qui ne sont pas forcément exemplaires en termes de potabilité et de durabilité. Nous savons installer des tuyaux d'une durée de vie de 130 ans ; ceux dans la baie de Saint-Michel ont 100 ans. Les réseaux d'assainissement qui utilisent le PVC sont en moins bon état. Le problème ne concerne pas la gestion des ressources, mais la pollution. Le prix du tuyau représente 10 % d'un chantier. Si les tuyaux sont en fonte, la tranquillité est assurée ; s'ils sont en PVC, il faudra les renouveler rapidement.

Nous avons eu de beaux marchés en Afrique, comme la captation sur 140 kilomètres du fleuve Sénégal à la ville de Nouakchott, avec des tuyaux énormes de 2 mètres. Ces grands captages effectués, nous sommes rentrés en concurrence frontale avec l'Inde pour l'Europe et les Chinois pour l'Afrique. Nous avions une usine en Chine de 2 000 personnes qui proposait toute la gamme de tuyaux, mais elle a fermé en avril 2018 et les salariés ont été licenciés. Cette source d'approvisionnement low cost a disparu, et globalement sur l'Afrique, nous sommes 20 % plus cher que le numéro 1 mondial.

L'État ne peut pas tout faire pour nous. L'Europe a condamné des ententes sur les prix mais ne peut orienter la gestion d'une société privée comme Saint-Gobain. Cette entreprise est passée en gestion de portefeuille, sans contrôle des aides publiques comme le CICE ou le CIR. Il faut que les sociétés investissent au bon endroit et dans l'industrie, il nous faut des capitaux à long terme.

Mme Christelle Touzelet . - Je cite un bref exemple de taxation les États-Unis par rapport à ArcelorMittal. Le site industriel du Creusot a subi aux États-Unis une taxation de ses produits à hauteur de 148 %, taux qui doit être prochainement révisé. Or, le plaignant côté américain était ArcelorMittal États-Unis, qui avait déposé plainte conte ArcelorMittal France. Je rejoins mes collègues CGT sur les interrogations relatives à la stratégie d'ArcelorMittal qui, en réponse à un afflux d'importations, baisse sa production en laissant venir tous les produits concurrents.

M. Pierre Damiani . - Sur le CO 2 , à Dunkerque se développe un procédé, qui s'appelle IGAR et un autre, DMX. Il ne faudrait pas qu'en raison des baisses de production, et pour baisser les coûts, ArcelorMittal arrête ce projet. Il faut absolument le maintenir parce qu'en 2021, dans 18 mois, il sera opérationnel, il faut le tester, il deviendra intéressant d'un point de vue de l'émission de CO 2 .

M. Franck Menonville , président . - Nous avons auditionné le président Darmayan qui était très clair sur la question et sur les stratégies du groupe en matière énergétique, la recherche-développement ; mais nous devons rester vigilants.

M. Lionel Bellotti . - Une dernière chose, je voulais préciser que si ULCOS a échoué, c'est que M. Mittal ne voulait pas mutualiser la recherche et le développement avec des entreprises concurrentes. C'est l'une des raisons pour lesquelles le projet n'a pas abouti, alors qu'il y a des coopérations nécessaires et profitables à toute la filière.

M. Franck Menonville , président . - Je vous remercie de votre présence et de votre participation, pour ces échanges riches, complémentaires et très concordants, qui confortent la mission qui est la nôtre de travailler sur cette filière extrêmement stratégique.

P. AUDITIONS DE DIRIGEANTS D'ENTREPRISES SIDÉRURGIQUES DE LA « METAL'VALLEY » À MONTBARD (SERA PUBLIÉ ULTÉRIEUREMENT) (19 JUIN 2019)

Mme Valérie Létard , présidente . - Merci d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Nous devions nous rendre le lundi 17 juin à Montbard. Pour des raisons diverses, nous n'avons pu effectuer ce déplacement, ce qui nous vaut de nous retrouver ici aujourd'hui.

Il nous semblait en effet important de faire écho à la demande d'Anne-Catherine Loisier, qui nous a rappelé combien il pouvait être utile, dans le cadre d'une mission d'information sur l'avenir de la sidérurgie, de s'intéresser au département de la Côte d'Or, étant donné la place qu'y occupe la sidérurgie. Ce département est en effet le deuxième de France en matière de fabrication de tubes en acier, avec des filiales de grands groupes comme Vallourec Umbilicals, installé à Venarey-Lès-Laumes depuis 2011, spécialisé dans les tubes ombilicaux, ou Salzgitter Mannesmann à Montbard, l'un des quatre principaux fabricants mondiaux de tubes sans soudure en acier inoxydable.

En 2008, huit entreprises de la métallurgie de ces deux sites, représentant 1 500 emplois et 500 millions de chiffre d'affaires cumulé, se sont regroupées sous le nom de Metal'Valley, afin de contribuer à renforcer l'attractivité du territoire et promouvoir les métiers de la métallurgie et la formation professionnelle. M. Jackie Couderc, de Valinox Nucléaire, en est l'animateur. Depuis cette date, 180 millions d'euros ont été investis et 600 embauches ont été réalisées. Vous nous préciserez quelle a été l'aide publique de l'État ou de la région dans ces investissements qui ont revitalisé ce territoire.

Je précise que Valinox Nucléaire, filiale de Vallourec, est leader mondial en tubes pour générateur de vapeur. Depuis 1974, l'usine de Montbard concentre toute l'expertise en mécanique nucléaire. Elle produit des tubes de générateur de vapeur et divers produits tubulaires à usage nucléaire en acier inoxydable et alliage de nickel.

Nous entendrons également M. André Calisti, directeur général adjoint de Mutares France, groupe allemand qui vient de reprendre une tréfilerie à Commercy et une à Sainte-Colombe-sur-Seine au groupe ArcelorMittal, sans perte d'emplois. Il nous précisera les raisons de cet investissement et le projet industriel qui est visé.

Notre mission d'information souhaite obtenir des éléments sur des sujets aussi divers que les enjeux liés au carbone ou la concurrence mondiale. Quelle place la question de l'énergie occupe-t-elle dans votre réflexion ? La visibilité sur ces questions vous paraît-elle suffisante ?

Des éléments sur la question des ressources humaines, de l'emploi et de la formation ainsi que du recrutement peuvent nous être également utiles. Plus globalement, quelles sont vos perspectives d'activités dans les années qui viennent ? Où vous situez-vous et comment voyez-vous l'avenir de vos entreprises ?

Vous avez la parole.

M. André Calisti, directeur général adjoint de Mutares France . - M. François Martin, président de TrefilUnion, s'il n'est pas présent aujourd'hui, est cependant très investi, et j'ai la lourde tâche de le représenter.

Permettez-moi de structurer mon propos en cinq à six points, d'abord pour rappeler la nature de notre acquisition, vous dire ensuite quelques mots sur l'accord avec ArcelorMittal, signé sous le sceau de la confidentialité et à propos duquel je pourrais cependant vous indiquer quelques éléments. Je vous dirai également deux mots de nos produits et vous communiquerai quelques chiffres.

Nous avons acquis cette entreprise le 3 juin. C'est pourquoi j'insisterai sur la situation que nous devons aujourd'hui saisir à bras le corps. Notre visibilité est aujourd'hui limitée, car nous ne possédons pas toutes les réponses du fait de la date récente de notre acquisition.

TrefilUnion est une tréfilerie qui travaille le haut et le bas carbone. Le site de Commercy, qui constitue notre base d'action, et celui de Sainte-Colombe, sont distants de 200 kilomètres. Le management effectue donc des déplacements réguliers pour se rendre d'un lieu à l'autre.

Commercy compte un effectif de 60 personnes. Celui de Sainte-Colombe, qui est à peu près le même, fait appel aux intérimaires. Vous le savez, c'est en effet un ressource que les entreprises ne se privent pas d'utiliser.

Nous avons signé un accord signé avec ArcelorMittal le 3 juin, avec un avis unanime des élus. Pour votre information, un expert désigné par les élus syndicaux nous a accompagnés. Il a été attentif à notre présentation de fond, qui insistait sur le fait que la seule alternative était Mutares. Il y a quelques années encore, on trouvait 1 000 personnes à Commercy. Aujourd'hui, 90 % du personnel a été licencié et est parti vers d'autres activités.

Une quinzaine de présentations a été faite aux élus syndicaux - comités d'entreprise, comité central, etc. Aujourd'hui, cette entreprise est dirigée par François Martin, président de l'entreprise. Il gère, outre TrefilUnion, deux entreprises de la région lilloise, l'EUPEC, qui intervient dans le domaine du pétrole, et La Meusienne, qui produit des tubes.

Nous déplorons des pertes assez importantes, que je ne détaillerai cependant pas ici. À Commercy, notre chiffre d'affaires s'établit à environ 20 millions d'euros, et à 23 millions d'euros environ à Sainte-Colombe.

Nous travaillons à Commercy avec l'automobile, l'alimentaire - muselets pour les bouteilles de Champagne -, l'agriculture - agrafes pour les cageots -, ou le packaging. Un certain nombre de clients nous suivent depuis plusieurs années, comme Michelin ou Bic.

À Sainte-Colombe, nous travaillons dans le nucléaire. Nous proposons des torons qui servent par exemples à l'édification de stades ou dans le ferroviaire pour fixer les rails. Dans ce secteur, les principaux clients qui nous suivent sont Rector ou Freycinet.

TrefilUnion devait être acquise par Altifor début 2019. Quelques semaines avant l'accord, les négociations se sont arrêtées pour des raisons qui ne nous regardent pas. Le fait que les élus syndicaux et les édiles, notamment le maire de Commercy, ne sachent plus qui allait présider aux destinées de cette entreprise a créé frustrations et tensions. Par ailleurs, les deux établissements subissent des pertes importantes, celui de Commercy davantage que celui de Sainte-Colombe.

L'enjeu est de remonter une équipe. Le métier de Mutares est de reprendre des entreprises qui ont un chiffre d'affaires compris entre 10 millions d'euros et 190 millions d'euros. L'objectif est de retourner l'entreprise avec l'aide d'une équipe interne qui a un certain nombre d'années de maison et de les renforcer au travers de recrutements ad hoc , comme celui du directeur général.

70 % des postes clés qui vont servir au retournement de TrefilUnion ont été pourvus quatre semaines après l'arrivée de Mutares.

La sécurisation de nos clients constitue un point important. En effet, certaines légendes urbaines circulent sur les holdings et les fonds d'investissement. Notre travail consiste donc à les démonter. La rentabilité est également un élément essentiel. Il n'existe en effet pas de projet industriel sans rentabilité. Nous avons aujourd'hui un calendrier extrêmement précis. Nous nous sommes engagés auprès des élus à présenter un premier bilan au bout de 100 jours. J'ai proposé aux maires de Commercy et de Sainte-Colombe de venir leur expliquer en toute transparence ce que nous aurons fait au terme de cette période. Nous nous sommes ensuite donnés 24 mois pour redresser l'entreprise et afficher un équilibre à Commercy, ainsi qu'une rentabilité significative à Sainte-Colombe.

Nous avons réalisé cette acquisition sans envisager de restructuration. Il s'agit d'un enjeu fort sur le plan industriel et sur le plan humain, mais aussi en termes économiques en matière de rétention de nos clients et de stratégie d'acquisition, l'objectif principal étant d'augmenter durablement le carnet de commandes.

Ces éléments ont été présentés au personnel, aux élus syndicaux et aux édiles de Sainte-Colombe et de Commercy. Mutares compte aujourd'hui 4 780 collaborateurs, dont 1 600 Français. 76 % sont européens. Le projet industriel de Mutares est donc de facto un projet industriel européen.

Mme Valérie Létard , présidente. - La parole est à M. Couderc.

M. Jackie Couderc, président de Metal'Valley. - L'association Metal'Valley a été créée il y a environ huit ans et regroupe huit sociétés. Son objectif est essentiellement de développer l'attractivité du territoire.

L'association s'est montée en réponse à la menace de disparition de l'arrêt du TGV en gare de Montbard. Plusieurs chefs d'entreprise se sont regroupés pour s'y opposer. Cette disparition n'est aujourd'hui plus d'actualité, ce qui est une bonne chose, la SNCF enregistrant une progression des chiffres de fréquentation.

On retrouve parmi ces huit sociétés l'entreprise Salzgitter Mannesmann Stainless Tubes (SMST), qui emploie environ 300 personnes, fabrique des tubes inox à partir d'un tréfilage à chaud à destination du marché pétrolier et également nucléaire ; Vallourec Bearing Tubes, qui compte 250 salariés, réalise des tubes destinés à des pièces automobiles ; Valinox Nucléaire, du groupe Vallourec, qui fabrique exclusivement des tubes pour le nucléaire, notamment pour les générateurs de vapeur, ainsi que quelques échangeurs annexes, avec 300 salariés ; la société Néotis, basée à Venarey-Lès-Laumes, qui réalise des échangeurs en inox et des tubes fabriqués à partir de tôles roulées-soudées et emploie environ 150 personnes ; Vallourec Umbilicals, société du groupe Vallourec, qui compte environ une cinquantaine de personnes fabriquant des tubes ombilicaux pour les plateformes pétrolières destinés à piloter les électrovannes qui se trouvent au fond de la mer. Un projet d'investissement envisage de tripler la production, ce qui amènera l'entreprise à employer une centaine de personnes. On compte également la société Métal Déployé, qui fabrique pour sa part des caillebotis en tôle torsadée, s'est orientée vers la construction des nouveaux bâtiments, auxquels elle fournit des pare-soleils, avec une cinquantaine d'employés ; Métal Déployé Résistor qui fabrique des résistances pour les motrices de TGV avec environ 150 personnes ; enfin, la société Cablofil, qui appartient au groupe Legrand réalise des supports de câbles pour le bâtiment. On y retrouve une centaines de personnes.

Globalement, l'ensemble représente près de 1 500 emplois sur le bassin, pour environ 500 millions d'euros de chiffre d'affaires.

La principale activité de l''association est de développer l'attractivité du territoire. Nous sommes en effet dans un milieu rural problématique pour trouver les qualifications adaptées à nos besoins. C'est la raison pour laquelle nous nous battons pour conserver la gare TGV, qui nous permet de faire venir des personnes de Paris ou de Dijon.

Mme Valérie Létard , présidente. - Les salariés viennent-ils de loin ?

M. Jackie Couderc. - Un certain nombre d'entre eux viennent de Dijon.

Mme Valérie Létard , présidente. - À combien s'élève le temps de trajet moyen ?

M. Jackie Couderc. - En train, il faut compter 35 minutes pour rejoindre Dijon, contre une heure en voiture. Nous comptons peu de Parisiens. La liaison ferroviaire avec Paris prend environ une heure. Il est important pour nous d'attirer du personnel et de le conserver.

Mme Valérie Létard , présidente. - C'est aussi une question de qualité de vie.

M. André Calisti. - Il est vrai qu'il existe des problèmes de recrutement. Il est aujourd'hui assez difficile de trouver une infrastructure hôtelière décente. Certains établissements ne sont plus aux normes, et leur standing remonte aux années 1970 ! On voit bien que le temps s'y est arrêté. Pour les managers et les cadres de Paris ou de Dijon, c'est un vrai souci. On a tendance à penser que les provinciaux mettent seulement 5 minutes en voiture pour aller travailler. C'est une considération très parisianiste. Beaucoup de salariés effectuent entre 45 minutes et une heure 15 de trajet sur de petites routes. Il ne faut donc pas sous-estimer le rôle des infrastructures.

M. Jackie Couderc. - Le rôle de l'association est d'étudier la meilleure façon d'attirer les salariés, qu'il s'agisse de l'arrêt TGV ou du développement de la formation. Nous développons, en partenariat avec le lycée technique de Montbard, une filière complémentaire de contrôle non destructif (CND), dans laquelle nous avons beaucoup investi. Plus de 50 % du budget de notre association est consacré à ce projet. Cela fait trois ans que nous investissons dans ce domaine. Nous devrions aboutir. Il s'agit d'un projet en lien avec Territoires d'industrie, que nous portons avec la commune et la communauté de communes, un peu moins avec la région, ce qu'on peut regretter. Il s'agit pourtant d'une filière d'avenir, assez unique en France. Un seul établissement est pour l'instant capable de dispenser cette formation certifiée COFREND, qui permet aux personnes qui la détiennent de travailler n'importe où. C'est pourquoi nous souhaitons que ce lycée obtienne cette certification.

Nous travaillons également sur la mobilité à travers deux actions. Nous avons financé une voiture école que nous avons offerte à une association d'accompagnement de personnes en difficulté qui n'ont pas accès au permis en milieu rural, afin de leur permettre de trouver un emploi.

En outre, dans le cadre de la transition énergétique, nos huit sociétés essayent de créer une plateforme de covoiturage, beaucoup de gens habitant le même village et travaillant au même endroit. La région s'y implique pour le coup énormément.

Quelques métiers demeurent néanmoins sous tension, comme les métiers de maintenance ou d'usineur. Ce n'est pas nouveau, et nous essayons de travailler avec le GRETA et les syndicats de la métallurgie pour mettre en place des formations et attirer les jeunes. Il faut en quelque sorte essayer de « redorer le blason » des métiers de la métallurgie.

Par ailleurs, en matière de taxes, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) va plus que doubler dans les années à venir. Or nous sommes de gros consommateurs de gaz ou d'électricité. Ceci risque de mettre en cause notre compétitivité, sans parler de la concurrence déloyale que nous livrent les autres continents. C'est notre problématique du moment, qu'il s'agisse du pétrole ou du nucléaire.

Mme Valérie Létard , présidente. - À quelle hauteur le coût de l'énergie impacte-t-il votre secteur d'activité ?

M. André Calisti. - Les matières premières, l'énergie et les frais de personnel constituent un enjeu capital. C'est pour les directeurs généraux un sujet majeur. L'instabilité des prix et notre faible capacité de négociations vis-à-vis des prestataires peuvent hypothéquer durablement notre compétitivité.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Monsieur Calisti, d'une manière générale qu'est-ce qui a motivé votre investissement ?

Monsieur Couderc, il est intéressant de souligner la dynamique de cette association composée d'entreprises, qui a permis une appropriation du territoire et des problématiques périphériques à l'entreprise, essentiels en termes de recrutement et de mobilité.

Au-delà, avez-vous des débats entre entreprises sur la vision d'avenir que portent vos secteurs d'activité dans ce contexte rural, plus difficile que les autres ? Comment vous projetez-vous par rapport aux marchés futurs et aux problématiques plus globales du secteur de la métallurgie, ainsi qu'en termes d'investissement et d'emplois ?

M. André Calisti. - Les difficultés industrielles sont inhérentes au métier de Mutares. Pourquoi cet investissement ? La dominante des entreprises que Mutares a acquises est industrielle. L'industrie parle à l'industrie et va vers l'industrie. Mutares est composée de personnes qui ont une polarité industrielle très forte : c'est l'industrie qui les intéresse.

En outre, ces entreprises sont complémentaires. Le métier de Mutares est d'acheter une entreprise, puis parfois une seconde, qui va devenir complémentaire de la première. Par ailleurs, après l'acquisition de TrefilUnion, on peut mettre à la disposition d'autres entreprises, en Italie, en Allemagne, en Slovénie, le savoir-faire ou les produits de TrefilUnion pour renforcer la dynamique industrielle.

L'investissement et la modernisation vont souvent ensemble. Mutares n'a pas de dogme en matière d'investissement. Nous sommes pragmatiques et essayons de savoir si l'investissement va véritablement apporter quelque chose. Si c'est le cas, Mutares ira dans ce sens, mais il n'existe pas de philosophie définitive à ce sujet.

Nous nous soucions en permanence des relations avec les élus et de l'emploi. Bien évidemment Mutares veille aussi à sa réputation : il n'est jamais bon d'être associé à des plans de restructurations ou des fermetures d'usines. Je ne dis pas que ce n'est jamais arrivé - et peut-être cela arriva-t-il encore -, mais en France, nous respectons les consultations, les explications, les procédures et le code du travail. L'engagement de TrefilUnion est d'atteindre la rentabilité sans que les employés et les équipes en payent l'addition.

M. Jackie Couderc. - Il m'est assez difficile pour moi de vous répondre en matière d'avenir et d'investissement, chaque société faisant ce qu'elle veut chez elle. L'association n'a pas pour but de s'immiscer dans leur gestion. Certaines sociétés sont en train de se développer, comme Vallourec Umbilicals. Pour les autres, il s'agit d'entretenir les moyens de production. Je n'ai pas eu vent de projet particulier d'investissement important à venir. Dans le nucléaire, la question est plutôt de savoir comment adapter l'outil au marché. C'est une problématique depuis Fukushima : comment adapter la filière afin qu'elles soient forte et compétitive demain ?

Pour ce qui est des effectifs, on assiste à u phénomène de vases communicants : quand l'un va moins bien, l'autre va parfois mieux. On dispose d'un volant d'intérimaires qui passent d'une société à une autre - même si ce volant a plutôt diminué aujourd'hui. Quelques intérimaires sont également recrutés en CDI. Ces personnes peuvent intervenir dans différentes entités, où elles ont été formées, et sont supportées par les sociétés d'intérim. Il s'agit d'opérations à la marge, mais cela se développe. L'effectif est plutôt stable sur l'ensemble des sociétés.

Mme Angèle Préville . - Quelles sont vos difficultés sur le marché par rapport à la concurrence étrangère ? La ressentez-vous fortement ?

Les métaux s'avérant plus vertueux que d'autres matériaux : pensez-vous que de nouveaux objets domestiques pourraient être réalisés en métal ? On va en effet connaître un gros problème avec le plastique, alors qu'on peut recycler les métaux à l'infini. Or quand on fait de la tréfilerie, on peut être concerné par la fabrication d'objets plus petits...

M. André Calisti. - J'ai en permanence sur moi un carnet où je reporte le coût des métaux. Certes, la concurrence mondiale est importante, mais elle l'est tout autant au niveau national. Je ne puis vous apporter de réponse au sujet des développements que vous évoquez, mais je note votre suggestion de recherche et développement.

Mme Angèle Préville . - Les gourdes en inox vont par exemple beaucoup se développer, car elle reste un matériau excellent pour ce genre d'utilisation.

M. Jackie Couderc. - S'agissant de la concurrence étrangère, le marché nucléaire est à 50 % chinois. Or pour avoir accès au marché en Chine, il faut être Chinois, sans quoi on n'est même pas consulté ! Nous avons une usine en Chine : malgré cela, nous ne sommes pas considérés comme Chinois. On ne le ressentait pas jusqu'à présent, mais la situation se durcit.

Mme Valérie Létard , présidente. - Quelle forme cela prend-il ?

M. Jackie Couderc. - Ils agissent par le biais des qualifications. En outre, les concurrents locaux font souvent partie du comité de qualification. Il faut le prendre en compte : tout le monde entre chez nous, mais on ne peut aller partout !

Mme Valérie Létard , présidente. - Ce sont des questions que l'on aborde régulièrement avec nos interlocueurs - mesures anti-dumping, taxe carbone aux frontières, visibilité du coût de l'énergie, difficultés de la filière aluminium, impacter des prochains budgets sur l'évolution du prix de l'électricité. Êtes-vous associés à la réflexion sur les contrats stratégiques de filière et sur ce qui est piloté par le Conseil national de l'industrie ? Avez-vous le moyen de faire remonter vos difficultés ?

M. André Calisti. - Nous avons été sollicités pour l'opération Territoires d'industrie, à l'initiative du Premier ministre. Nous allons y participer.

Concernant les contrats de filière, nous ne sommes pas consultés ou n'avons pas été identifiés.

J'ajoute que le fait de conserver le personnel, fidéliser nos clients, en acquérir d'autres, suppose que l'on fasse dès que possible entendre notre voix, reconnaître notre marque, et établir notre réputation industrielle.

J'insiste sur le fait que notre objectif, tout comme celui des salariés, est de saturer le carnet de commandes. On préfère avoir des problèmes de riches que des problèmes de pauvres. Un carnet rempli règle une partie des problèmes.

Nous sommes donc totalement disponibles pour faire remonter les problèmes et faire redescendre des contacts commerciaux qui permettraient de maintenir cette activité de tréfilerie.

M. Jackie Couderc. - Il existe un syndicat du tube, le SIFTA, par lequel nous faisons remonter ces éléments.

M. Jean-Pierre Vial . - En tant que société de retournement, combien de temps conserver-vous une entreprise ?

Par ailleurs, la démarche de votre association, monsieur Couderc, est extrêmement sympathique pour nous, élus. J'ai personnellement été émerveillé par l'expérience des pôles de compétitivité et de voir des industriels se mettre à travailler ensemble, découvrir leurs complémentarités, alors qu'ils les ignorent très souvent.

Vous avez par ailleurs beaucoup parlé d'emplois et de formation. Êtes-vous allés jusqu'à créer des coopératives d'emplois partagés, notamment dans le cadre des plans régionaux ?

Mme Valérie Létard , présidente. - J'ai compris que, concernant Territoires d'industrie, il s'agissait d'une contractualisation entre une collectivité locale ou intercommunale, les acteurs économiques du territoire et l'État, et non forcément immédiatement avec les régions. Vous avez dit tout à l'heure que la région n'était pas forcément partie prenante. Pouvez-vous préciser ?

M. Jackie Couderc. - J'ai dit que je regrettais que la région ne soit pas plus impliquée dans un dossier ponctuel, celui du lycée. Elle est toutefois impliquée dans tout ce qui est mobilité ou Territoires d'industrie, et tout passe par elle.

Mme Anne-Catherine Loisier . - La prise de conscience quant à la nécessité de soutenir les entreprises est peut-être insuffisante. La délégation aux entreprises a effectué il y a quelques mois une visite dans le lycée que vous évoquez. Le proviseur est quelqu'un hors du commun, qui a su répondre aux besoins des industries et organiser tous ces schémas. Il s'agit de formations très adaptées et très ciblées. Cela donne aux jeunes une image de modernité et d'innovation du bassin d'emplois et jette un éclairage positif sur cette filière et sur ses métiers. Les organismes de formation sont des maillons essentiels dans ce domaine.

M. Jackie Couderc. - Malheureusement, ce proviseur s'en va ! On a rencontré son successeur. J'espère qu'il va poursuivre en ce sens. Le dialogue entre les entreprises et le lycée a aussi contribué à sauver l'établissement.

J'aurais dû aujourd'hui faire partie d'une délégation qui reçoit les représentants de Framatome, venus se faire une idée de la filière. Cela constitue pour la région un attrait important. Les industriels qui s'intéressent à cette formation viennent de très loin.

S'agissant des questions de M. Vial, les huit sociétés se sont mises d'accord avec les sociétés d'intérim pour créer des CDI intérimaires (CDII). C'est la société d'intérim qui embauche des intérimaires en CDI afin que ceux-ci passent d'une entreprise à l'autre.

M. Jean-Pierre Vial . - Combien de personnes cela représente-t-il ?

M. Jackie Couderc. - Aujourd'hui, on en compte une dizaine. Ce n'est pas toujours facile qu'ils acceptent de passer du statut d'intérimaires à celui de CDI.

M. Jean-Pierre Vial . - C'est très original ! C'est la société d'intérim qui devient donc employeur...

M. Jackie Couderc. - C'est cela. Nous nous engageons à les employer pendant deux ans. On ne peut pas s'engager au-delà.

M. Bernard Buis . - Sur quel périmètre ces entreprises tournent-elles ?

M. Jackie Couderc. - Elles interviennent dans un rayon de 20 à 30 kilomètres. On est en train de faire quelque chose du même ordre sur Dijon avec le syndicat de la métallurgie.

Mme Valérie Létard , présidente. - Comment cela fonctionne-t-il ?

M. Jackie Couderc. - De la même façon. C'est le syndicat qui est employeur.

Mme Valérie Létard , présidente. - Pourriez-vous nous communiquer des éléments à ce sujet ?

M. Jackie Couderc. - Bien sûr. Ils l'ont également fait pour des usineurs et des chaudronniers, ainsi qu'en matière de sécurité. Il faut adhérer au système.

M. André Calisti. - Nous sommes bien une société de retournement. Pendant combien de temps conservons-nous ces entreprises ? Il n'y a pas de religion en la matière. Il nous arrive d'en conserver certaines trois ans, quatre ans, cinq ans. Notre métier consiste également à revendre les entreprises. L'objectif est d'être capable de retourner cette entreprise et de la rendre profitable.

Par exemple, Cenpa, papetier de Schweighouse, à côté de Strasbourg, a un résultat 2018 de 3,7 millions d'euros. Quand on a acquis cette société, elle était proche de la fermeture. On n'a pas toujours des destins aussi glorieux, mais nous n'avons pas de religion en matière. Je le disais : nous sommes cotés en bourse, nous avons une réputation, nous connaissons M. Floris. On ne se permet pas n'importe quoi. On essaye de mener ces entreprises vers un retournement. Plus nous en ferons de manière positive, plus nous serons sollicités. C'est un cercle vertueux qu'on essaye de maintenir.

Mme Valérie Létard , présidente. - Y a-t-il un accompagnement de l'action publique, des services de l'État, tant financier que technique, pour organiser ces reprises ?

M. André Calisti. - Non, nous n'avons pas eu d'accompagnement public. Nous avons suscité a contrario une marque d'intérêt très forte chez les élus locaux et les sénateurs.

Mme Valérie Létard , présidente. - Avez-vous obtenu des soutiens financiers des collectivités ?

M. André Calisti. - Non, ce qui ne veut pas dire que nous les demanderons pas, mais nous ne voulons pas en faire un préalable, même si une partie de l'activité peut bien sûr être accompagnée, en matière de formation, par exemple. Cela peut en tout état de cause constituer une action postérieure.

M. Martial Bourquin . - L'achat de l'entreprise se fait-il en fonction d'un projet industriel ou en fonction du retournement ?

M. André Calisti. - Mutares compte deux équipes, l'une qui se charge de la fusion-acquisition, et une autre qui s'occupe du retournement. C'est la fusion-acquisition qui détermine si le projet industriel, l'absence de dettes, l'orfèvrerie que l'on peut trouver dans ces métiers permettent d'accompagner un projet. Le retournement est toujours incertain.

M. Martial Bourquin . - Étudiez-vous les zones de non-productivité ?

M. André Calisti. - Bien sûr, cela fait partie du retournement. Entre le moment où vous considérez les choses comme possibles, plausibles, viables, et celui où vous entrez dans l'entreprise pour rencontrer les chefs d'équipe, les employés, que vous voyez les machines tourner, il arrive qu'il y ait un hiatus qu'on ne peut voir en consultant simplement un tableau Excel. On ne peut se rendre compte de la réalité d'une entreprise que sur le terrain.

M. Martial Bourquin . - Lorsque vous revendez cette entreprise, avez-vous la volonté de chercher une filière ou la vendez-vous au plus offrant ?

M. André Calisti. - C'est un peu connoté...

M. Martial Bourquin . - Il y a des fonds de pension qui viennent « essorer » les entreprises et qui partent avec le meilleur !

M. André Calisti. - Nous ne sommes ni un fonds d'investissement ni un fonds de pension. Les mots ont une importance. Nous sommes une holding industrielle. Par ailleurs, le projet industriel n'est pas celui que vous décrivez. Je sais toutefois que vous avez raison, parce que ces opérateurs existent. Mais pour notre part, nous n'« essorons » pas les entreprises pour disparaître ensuite. Je ne juge pas mes concurrents, mais ce n'est pas notre pratique. Cela ne l'a jamais été.

M. Martial Bourquin . - Il y a des choses intéressantes dans ce que vous faites.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Un industriel peut voir un intérêt à investir dans un secteur en difficulté. Qu'est-ce qui a motivé cet investissement ? Où sont les potentiels de ces entreprises ? Comment de telles entreprises, situées dans des secteurs ruraux, avec des outils anciens, ont-elles attiré votre attention ? Sur quoi repose votre ambition ?

M. André Calisti. - Je l'ai dit : nous essayons d'être cohérents avec les acquisitions que nous avons pu réaliser par le passé et les entreprises dont nous avons actuellement la gestion. Le deuxième élément important, c'est le caractère d'orfèvrerie que l'on retrouve dans ces sociétés. C'est pour nous un élément majeur. Enfin, bien souvent, ces entreprises, malgré leurs caractéristiques, malgré leurs techniques, leurs expériences, un peu comme les territoires qui les hébergent, ont été abandonnées. Il n'est pas contradictoire d'acheter des sociétés qui ont commencé à péricliter alors qu'elles comptent en leur sein des personnes qui ont un savoir-faire exceptionnel, à la fois qualitatif et quantitatif.

François Mitterrand disait : « Le plus mauvais des professionnels de la politique sera toujours meilleur que le meilleur des amateurs ». C'est un peu la même chose dans l'économie : quand vous avez 35 ans d'entreprise, vous « connaissez la musique ». Cependant, sans management, si on ne regarde pas les coûts, si on ne renégocie pas les contrats, si on ne met pas les choses sous pression, on continue comme par le passé, selon des modalités négatives.

Mme Valérie Létard , présidente. - Il s'agit en fait d'allier savoir-faire et modernisation du management. Merci. Les conclusions de notre rapport devraient être examinées le 9 juillet prochain. Vous en serez également les destinataires.

Q. AUDITION DE MME CHRISTEL BORIES, PRÉSIDENTE DU COMITÉ STRATÉGIQUE DE FILIÈRE « MINES ET MÉTALLURGIE » ET PRÉSIDENTE-DIRECTRICE GÉNÉRALE D'ERAMET (25 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Nous achevons aujourd'hui notre cycle d'auditions, d'abord avec Mme Christel Bories, puis avec M. Philippe Crouzet.

Mme Bories est diplômée de HEC. Elle a notamment collaboré avec le groupe de métallurgie Umicore, ainsi que Pechiney, ex-fleuron de l'aluminium, dont elle a été membre du comité exécutif. Elle a rejoint par la suite Alcan, qui a racheté Pechiney. En 2011, Mme Bories a pris la direction du fabricant de produits en aluminium Constellium, avant de faire un passage par le secteur de la pharmacie en 2013, en devenant directrice générale déléguée d'Ipsen pendant trois ans, puis par l'Union Minière belge, devenue Umicore, le spécialiste du recyclage des métaux. Mme Bories dirige le groupe Eramet depuis 2017, ancienne société Le Nickel, créée en 1880 pour exploiter ce minerai en Nouvelle-Calédonie. Eramet est le seul champion français de la filière minière et métallurgique française, présent sur cinq continents et dans 20 pays avec un effectif de 12 590 salariés sur 47 sites ; c'est le premier producteur mondial d'alliages de ferronickel et d'alliages de ferromanganèse, lesquels entrent dans la composition des différentes séries Premium d'aciers inoxydables. Mme Bories a rapidement sorti le groupe d'une crise cyclique particulièrement violente, qui s'est désendetté et a renoué avec les initiatives stratégiques en bénéficiant d'une reprise des cours mondiaux des métaux.

Nous entendons cependant Mme Bories en qualité de présidente du comité stratégique de filière (CSF) Mines et métallurgie. Je laisse la rapporteure, Mme Valérie Létard, introduire nos débats sur les aspects qui nous intéressent plus particulièrement.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Relancée en 2018, la filière « Mines et métallurgie » inclut aussi bien les industries extractives de la mine que les secteurs de l'acier ou de l'aluminium. Les thématiques spécifiques à la sidérurgie sont-elles, selon vous, madame Bories, suffisamment prises en compte dans les travaux de la filière, au champ très large ? Comment les « projets structurants », définis dans le contrat de filière signé en janvier dernier, contribueront-ils à la compétitivité et à la transformation des producteurs d'acier ?

Les actions du nouveau contrat - la sécurité de l'approvisionnement minier, l'économie circulaire, une industrie moins émettrice de CO 2 - s'inscrivent dans la continuité des priorités établies par l'ancien contrat, datant de 2014. Un bilan de ces actions ou un suivi de l'évolution des politiques publiques avait-il été réalisé ? Comment assurer des progrès rapides sur les actions prioritaires ? Nous sommes convaincus qu'il faut accompagner une transition rapide de l'industrie sidérurgie, compte tenu des défis qu'elle devra relever dès 2020.

La sidérurgie est une industrie à forte composante capitalistique : les investissements nécessaires à la modernisation de l'outil, à la transition écologique, à la recherche et au développement, sont énormes. Pourtant, le soutien de l'État aux projets structurants semble faible : 600 000 euros pour la formation... Et rien d'autre qu'un financement dans le cadre des dispositifs existants. La filière automobile est, elle, dotée de 40 millions d'euros pour l'expérimentation de véhicules autonomes. Les engagements de l'État dans le contrat stratégique de filière relèvent-ils plutôt d'une déclaration d'intention que d'une implication tangible ?

Au sein de l'organisation de la filière, de sa gouvernance et de ses travaux, quelle place est réservée aux entreprises sidérurgiques de plus petite taille, qui ne disposent pas des mêmes moyens, et aux entreprises de transformation de l'acier ?

Enfin, l'effort réalisé par la filière au niveau français est-il articulé avec l'échelon européen ? Quelle sera la place de la sidérurgie parmi les chaînes de valeur stratégique ? Les projets structurants pourront-ils bénéficier de financements européens ? Quelles sont vos demandes en matière de politique commerciale de l'Union européenne, afin de mieux protéger les producteurs d'acier français ?

Mme Christel Bories, présidente du comité stratégique de filière « Mines et métallurgie » et présidente directrice générale d'Eramet . - J'ai toujours un grand plaisir à parler d'industrie et, en particulier, d'industrie métallurgique car je suis impliquée depuis très longtemps dans ce secteur. J'en ai suivi les évolutions récentes ; j'ai notamment observé la concentration des grandes entreprises de l'aluminium, qui sont passées de sept à deux en moins de dix ans - songez à la disparition de Pechiney ou d'Alcan -, non sans conséquences pour les sites français. Le rachat de Pechiney par Alcan a été une bonne chose, car Alcan, en investissant dans les sites de Pechiney, a renforcé leur position, mais le rachat d'Alcan par Rio Tinto a conduit à un démantèlement total de la filière, au point qu'il n'existe plus aucun site en France. Cela montre à quelle vitesse les filières, soumises à une forte pression internationale, peuvent se déstructurer.

Le comité stratégique de filière que j'ai l'honneur de présider vise à restaurer les filières au coeur de la politique industrielle française en instaurant un dialogue, aussi efficace que possible, entre l'État, les entreprises et les organisations syndicales sur tous les sujets clés permettant une reconquête industrielle. À la différence des précédents, les CSF actuels, plus sélectifs, se focalisent sur les batailles que la France peut gagner.

Le contrat pour la filière mines et métallurgie, signé en janvier 2019, est le résultat d'un long travail de concertation entre les industriels, les syndicats et l'État, qui a été accouché dans la douleur. La filière mines et métallurgie est un maillon indispensable de l'approvisionnement de filières aval aussi stratégiques que l'automobile, la construction, l'aéronautique, l'espace, la défense, les composants électroniques, les énergies renouvelables, mais elle est très spécifique. Contrairement aux filières automobile ou aéronautique, dans lesquelles de grands donneurs d'ordres prévalent sur une pyramide de sous-traitants, dans une relation verticale de fournisseur à client, la filière mines et métaux est atypique, très horizontale, laisse peu de place aux relations de fournisseur à client. Les enjeux sont très hétérogènes : les activités respectives d'Eramet, ArcelorMittal, Imerys, Orano ou de petits fondeurs diffèrent grandement - les métaux, les applications, les métiers, les marchés ne sont pas les mêmes. Il y a peu de grands leaders et, surtout, quasiment plus de grand leader français. Il n'existe pas d'équivalent d'Airbus ou de PSA, qui peuvent fédérer une série de sous-traitants et leur dire sur quel projet se mobiliser. Beaucoup se sont en conséquence interrogés sur la pertinence d'un CSF pour ce secteur. Les enjeux stratégiques d'approvisionnement des filières aval ont finalement justifié que l'on tente de conduire des projets structurants en commun.

Vous connaissez les chiffres de la filière : près de 2 650 entreprises, 36 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 110 000 emplois directs, une valeur ajoutée d'environ 11 milliards d'euros. Le secteur est extrêmement exposé à la concurrence internationale. Il y a dans de nombreux cas des surcapacités mondiales, non sur le volet mines, mais sur celui de la métallurgie et de la sidérurgie. Cette industrie donne à la France de nombreux atouts. D'abord, sa forte capacité exportatrice, puisque 70 % des entreprises de la filière font plus de 50 % de leur chiffre d'affaires à l'export. Ensuite, un potentiel d'innovation non négligeable : la quinzaine de centres de recherche sur le territoire rassemble plus de 2 000 personnes. C'est enfin une filière à caractère stratégique puisqu'elle approvisionne l'automobile, la défense ou encore l'aéronautique françaises.

La forte concurrence internationale, défi posé à notre compétitivité, et la forte fragmentation du secteur, rendaient indispensable de mutualiser nos efforts. Nous avons choisi sept projets, qui s'articulent autour des principaux enjeux rassemblant les industriels de l'extraction, de la production, de la transformation et du recyclage de l'ensemble des métaux ferreux et non ferreux. Ces enjeux sont les suivants : assurer un développement durable et compétitif en matières premières primaire et secondaires ; accompagner la transformation numérique des entreprises, pour assurer leur compétitivité et leur montée en gamme ; favoriser l'innovation ; contribuer aux objectifs de la transition écologique, dans la manière de produire et dans l'utilisation des produits ; développer l'économie circulaire ; développer, enfin, un haut niveau de compétence des salariés et l'attractivité des métiers de la filière - qui peine pour l'heure à attirer les talents.

Le premier projet structurant vise à construire et mettre en place les standards de référence de la mine et de l'approvisionnement responsables. L'objectif est de rétablir la confiance des investisseurs et des populations locales dans le développement des projets miniers en France, mais surtout d'assurer une égalité de traitement entre les entreprises minières qui s'approvisionnent de manière responsable, ce qui a un coût, et les autres. Nous travaillons pour cela à la réforme du code minier, à l'élaboration d'un référentiel de la mine responsable, et à la mise à l'étude d'un système de labellisation durable.

La révision du code minier est importante, mais les enjeux de la filière ne s'y réduisent pas. L'indépendance française ne sera pas assurée par les mines françaises - même si l'on peut encore développer des mines en France - mais il est important de se rapprocher des standards internationaux. Le Canada, par exemple, s'est doté d'un code minier extrêmement responsable dont la France peur s'inspirer : ne réinventons pas la roue. Eramet est leader sur le projet de référentiel mines responsable. L'idée est de ne laisser entrer en France et en Europe que des matières premières répondant à un code éthique et selon une chaîne d'approvisionnement responsable, afin d'éviter la concurrence déloyale. Ce projet ne concerne pas directement la sidérurgie - bien qu'ArcelorMittal soit opérateur minier à l'étranger - mais de nombreux minerais entrent dans la composition de l'acier et l'approvisionnement responsable en ces minerais servira la filière aval. Les consommateurs automobiles s'intéressent de plus en plus à la façon dont sont produits les véhicules. Or la voiture de demain sera faite de davantage de métaux qu'aujourd'hui, puisque la batterie représentera 40 % du poids d'une voiture verte et la carrosserie restant fabriquée en acier. Un label européen permettrait de ne laisser entrer en Europe que les matières premières produites de manière responsable.

Le deuxième projet structurant consiste à accélérer la digitalisation de la filière métallurgique pour la rendre plus compétitive. Cela concerne aussi la sidérurgie. Un état des lieux de sa maturité numérique a été réalisé en 2018, qui a permis d'établir une cartographie et d'évaluer la sensibilité des entreprises à la digitalisation et leur intérêt à travailler sur des projets collaboratifs. Trois thèmes prioritaires en sont ressortis : l'automatisation, l'aide à la conception pour la fabrication, et la traçabilité des flux énergétique et environnementaux. Les projets collaboratifs suscitant l'intérêt des entreprises sont la création de jumeaux numériques, l'internet des objets, et la manutention des charges lourdes.

Nous avons beaucoup de difficultés à mobiliser les entreprises de taille moyenne, notamment les PME, sur ces enjeux, qui conditionnent pourtant leur avenir. Focalisées sur leur survie au quotidien, elles peinent à dégager des ressources financières et humaines pour ces projets. L'État a pourtant mobilisé des moyens, des formations existent, mais nous avons du mal à mettre les acteurs autour de la table. Nous avions envisagé une plateforme numérique et collaborative commune mais nous avons mis ce projet en veille, faute de moyens et d'intérêt des acteurs. Ces derniers ont plutôt tendance à se raccrocher aux plateformes numériques de leurs clients, qui leur sont imposées. Nous pourrions réorienter ce projet vers des actions individuelles portées par certaines entreprises. Les grands groupes - Arcelor, Aperam, Imerys, Eramet... - peuvent se débrouiller seuls ; les autres n'ont pas de temps à y consacrer.

Le troisième projet, qui ne concerne pas la sidérurgie, consiste à développer des mines et des carrières connectées. C'est fondamental pour sécuriser l'approvisionnement en matières premières. Le big data est un enjeu colossal pour le volet de la géologie relatif aux métaux rares et stratégiques. Nous travaillons sur ces questions avec les acteurs amont.

Le quatrième projet vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre en extrayant le CO 2 des gaz et des fumées industrielles. Spécifique à la sidérurgie, il est porté par ArcelorMittal. Je sais que Philippe Darmayan vous en a parlé en début de mois.

Le cinquième projet consiste à développer une filière intégrée de recyclage des batteries lithium-ion. Il est piloté par Eramet. Il ne concerne pas spécialement la filière sidérurgique mais fait partie intégrante de la réflexion de la mission « batteries » du Conseil national de l'industrie, copilotée par les CSF « Automobile » et « Chimie et matériaux ». Le CSF « Mines et métallurgie » y contribue pour ce qui relève du recyclage des cellules de batteries et l'alimentation en matières stratégiques. L'enjeu est de ne pas se laisser distancer par nos concurrents. La Chine a gagné la première bataille : les batteries électriques de première génération seront chinoises. La Chine ayant compris très vite que l'alimentation en matières premières serait stratégique, elle maîtrise 50 % de la production mondiale de lithium, 45 % de la production mondiale de cobalt, 90 % des métaux rares, et la plupart des projets de nickel hydrométallurgie en développement actuellement sont le fait d'entreprises chinoises largement subventionnées.

Ayant perdu la première bataille, nous tâchons de nous positionner pour la seconde, en évitant que les batteries chinoises montées sur des véhicules européens, une fois arrivée en fin de vie, ne repartent pour être recyclées en Asie. La France a déjà des capacités de traitement des batteries. Nous attendons de grandes quantités, environ 50 000 tonnes, à recycler à partir de 2027, et plus encore sans doute en 2030. Il faudra, d'ici là, mettre en place une filière compétitive capable de produire non pas des matières dégradées comme c'est le cas aujourd'hui - le nickel n'est recyclé qu'en inox - mais des matières susceptibles de servir à faire de nouvelles batteries - du nickel haute pureté, aussi.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le Grenelle de l'environnement, il y a une dizaine d'années, avait envisagé ce travail de coopération entre les industriels pour anticiper les nécessités du recyclage. Or la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage nous a dit la semaine dernière que cette coopération était toujours inexistante... Comment construire une telle coopération ?

Mme Christel Bories . - C'est une vraie question. Eramet, qui investit dans le lithium, le nickel, le cobalt, est au centre de ces réflexions. Le groupe de travail du CSF sur le recyclage a des difficultés considérables à travailler avec les collecteurs, tels Véolia, les fabricants et les entreprises d'approvisionnement de matières premières car, même si nous avons le même horizon, les intérêts divergent. Certains acteurs de la filière sont pourtant de grands acteurs du recyclage, et nous avons de quoi faire une belle filière.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Les matières premières étant concentrées dans peu de mains, nous allons avoir un problème d'approvisionnement. Comment accélérer la constitution de réseaux permettant aux acteurs de travailler ensemble ?

Mme Christel Bories . - C'est une question complexe. Le groupe de travail du CSF fera des recommandations dans ce sens dans les semaines qui viennent. Je crois beaucoup à la pédagogie. Les premières batteries lithium-ion de première génération étaient composées à parts égales de cobalt, de nickel et de manganèse. Le cobalt venant de République démocratique du Congo, nous craignions des problèmes d'approvisionnement. Il y a deux ans environ, nous avons alerté les grands acteurs de l'automobile, notamment allemands, qui ne semblaient alors pas conscients du problème. Dix-huit mois plus tard, Volkswagen annonçait que ses batteries ne comporteraient plus un gramme de cobalt congolais. Bref, ils ont fait un progrès immense en dix-huit mois, grâce aussi aux ONG dénonçant la fabrication de « voitures vertes avec des batteries rouges du sang des enfants congolais »... C'est pourquoi nous travaillons au développement de filières durables, à quoi le numérique nous aide en rendant possible la traçabilité des matières premières, ainsi qu'à la captation de l'activité de recyclage. Il ne faudrait pas que nous passions d'une dépendance au pétrole à une dépendance aux métaux - qui aurait aussi une dimension géopolitique.

Cette prise de conscience est récente mais progresse chez les constructeurs automobiles, qui poussent leur filière. Si les constructeurs demandent 30 % de composants recyclés dans leurs batteries car c'est ce que veut le consommateur, la filière s'organisera. Nous devrions avoir un premier diagnostic à l'automne.

Le sixième projet structurant consiste à recycler le véhicule hors d'usage de demain. Le problème est analogue au précédent : il faut organiser un meilleur tri en amont. Nous savons assez bien recycler le véhicule hors d'usage, mais produisons des métaux dégradés, faute de savoir trier les alliages. Un groupe a commencé ses travaux sur les alliages d'aluminium et d'acier. Lorsque l'on saura séparer les alliages de carrosserie, on pourra produire de nouvelles carrosseries et limiter la déperdition de matières premières.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'écoconception doit permettre de concevoir le véhicule en tenant compte des nécessités du recyclage. La séparation des matériaux reste difficile. Les constructeurs et les recycleurs devraient y travailler ensemble. Pour l'heure, la coopération est hélas inexistante.

Mme Christel Bories . - En effet. Si les fabricants automobiles n'initient pas cette coopération, ce n'est ni le fabricant de pare-chocs ni le constructeur de portières qui va s'en charger. C'est la même chose pour le bâtiment. La filière métallurgie peut donner des idées, mais ce n'est pas elle qui dira de quelle façon construire un bâtiment.

Le dernier projet est relatif aux engagements de développement de l'emploi et des compétences. Nous travaillons pour cela en partenariat avec l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Le but est d'accompagner les PME dans leur transition numérique, à travers des phases de diagnostic, de formation et d'accompagnement. Nous avons beaucoup de mal à mobiliser les PME et les TPE, qui n'ont que peu de temps à consacrer à tout cela.

La filière est donc assez spécifique. Le rapport sur l'analyse de la vulnérabilité d'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises a révélé que ces dernières étaient peu sensibilisées à l'enjeu ; beaucoup sont mono-fournisseurs, parfois dans des pays politiquement instables - certaines ont ainsi été surprises par les sanctions américaines infligées à Rusal... Nous avons un problème de compétitivité, lié à notre approvisionnement. Certaines zones du monde sont très sensibles ; si les Chinois mettent la main sur les ressources africaines ou latino-américaines, ce n'est pas par hasard. Ils ont compris que si la construction d'usines ne requiert que de l'argent, l'accès à la matière première est plus complexe. L'autre enjeu majeur est celui de la transition écologique, essentielle mais qui ne doit pas donner lieu à des distorsions de concurrence. Si nous imposons à notre industrie des contraintes de stockage de CO 2 , une taxe carbone, des approvisionnements plus durables, il faut donc des compensations à l'importation.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Sous quelle forme ?

Mme Christel Bories . - Certains pays jouent sur tous les tableaux, car taxer un fournisseur très polluant fait entrer de l'argent, mais ne résout pas le problème du CO 2 ... Un label européen est une autre hypothèse. Même la Chine a interdit l'accès à son territoire à certains déchets. On ne pourra agir sur ces questions qu'au niveau européen.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il faudrait en quelque sorte un cahier des charges précis sur les exigences environnementales, le processus de fabrication, l'origine des matières premières, etc.

Mme Christel Bories . - Absolument. Cela enclencherait un cercle vertueux. Même la Chine a augmenté ses exigences environnementales, poussant ses producteurs à aller produire ailleurs, là où les standards sont plus bas. Le problème est ainsi déporté.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Il faut donc nous doter d'exigences fortes aux frontières de l'Europe.

Mme Christel Bories . - Absolument.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Les acteurs industriels sont-ils capables de faire les mêmes efforts ? La Chine, elle, peut se permettre de supprimer d'un coup 200 000 emplois en fermant 30 hauts fourneaux dans la ville de Xuzhou pour des raisons environnementales. Ne pensez-vous pas qu'à un horizon assez proche, l'Europe pourra être dépassée par des initiatives prises ailleurs ?

Mme Christel Bories . - La balle est dans notre camp. À nous d'encourager la modernisation de notre industrie. Les Chinois, qui produisent 50 % de l'acier mondial et presque autant de presque tous les métaux, progressent très vite. Il ne suffit donc pas de dénoncer la concurrence déloyale, il faut se remettre en question et investir. Il faut aussi faire des choix. C'est l'approche du CSF nouveau modèle : plutôt que de livrer tous les combats pour sauver tous les emplois, se concentrer sur ceux que la France peut gagner. D'où le choix de filières dans lesquelles nous avons un avantage compétitif, afin de ne pas disperser nos efforts. Les plans soviétiques ne fonctionnaient pas ; les plans chinois sont eux assez efficaces. Ils identifient les filières compétitives et abandonnent celles qui ont moins de réussite. Des dizaines de petites mines de manganèse, souvent polluantes, ont ainsi été fermées en dix-huit mois, pour reporter les efforts ailleurs. Leur industrie automobile a été largement aidée, et les constructeurs forcés de s'équiper en batteries chinoises. Cela a suffi à bâtir une industrie compétitive, qui n'est désormais plus subventionnée.

Mme Martine Berthet . - Merci, madame Bories, pour cette présentation des différents moyens que vous entendez développer pour aider la filière sidérurgique française. Vous avez balayé différents sujets, tous aussi importants les uns que les autres : sélectionner des filières, créer des emplois là où nous sommes plus compétents... En Savoie, toutes les entreprises que je rencontre se plaignent du manque de main d'oeuvre. Les entreprises forment certes les personnes dont elles ont besoin, mais elles gagneraient en compétitivité si elles avaient la possibilité d'embaucher des personnes déjà qualifiées. Or ces filières ne sont plus choisies par nos jeunes. Comment y remédier ?

Mme Christel Bories . - C'est un point très important. Chaque CSF est tenu de travailler sur les engagements de développement de l'emploi et des compétences dans la transition numérique, car c'est un enjeu qui touche toutes les filières. Nous nous y sommes employés avec l'UIMM, mais nous travaillons également sur les autres besoins en compétences !

Je crois beaucoup à l'apprentissage et à la formation professionnelle. J'ai même écrit un petit livre intitulé L'industrie racontée à mes ados (qui s'en fichent) , qui plaide pour redorer le blason de l'industrie à l'école. Le ministre de l'éducation prend heureusement le sujet de la formation professionnelle à bras-le-corps. Il faut que les entreprises se prennent en main pour accueillir davantage d'apprentis. C'est davantage le cas en Allemagne. Là-bas, un jeune en apprentissage n'est pas considéré comme en échec scolaire. Notre filière peine à recruter alors que le nombre de smicards se compte sur les doigts d'une main, car les salariés sont qualifiés et bien payés. Les CDD sont également très peu nombreux : les salariés sont recrutés en contrats longs, et les entreprises font très peu appel au travail temporaire.

Nous avons donc élargi notre recherche de compétences au-delà du numérique, pour travailler, avec l'éducation nationale, sur les besoins les plus criants de la filière. Nous pouvons améliorer la communication auprès des jeunes ; c'est l'affaire de l'éducation nationale, mais aussi des entreprises. Nous devons montrer que l'industrie est attractive, moderne, robotisée, que ce n'est plus le monde décrit par Zola !

M. Bernard Buis . - La difficulté de recycler les batteries tient-elle aux normes, à des problèmes de qualité, ou à la volonté de l'industrie ?

Mme Christel Bories . - Le problème réside dans l'absence de technologie pour extraire des batteries lithium-ion un lithium extra-pur. Eramet a lancé un projet de recherche et développement sur ce sujet. Cela fait partie des enjeux de la filière. Umicore est à la pointe de la récupération du cobalt, et s'emploie à séparer le nickel, le cobalt et le lithium, tout en éliminant les impuretés. Ce type d'opération permet de réutiliser la matière première pour refaire des batteries. Tout l'enjeu de l'aluminium est de séparer les composants des alliages. Les usineurs de l'aéronautique ont longtemps manqué de sensibilité à ces questions, qui mélangeaient le titane de l'aluminium et des alliages. Ils ont fait des progrès. C'est tout une filière économique qui doit s'organiser en conséquence ! Dans la plupart des cas, il manque les technologies adéquates.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Trouvez-vous que l'Europe soit suffisamment réactive ? Le temps de la bureaucratie européenne est-il adapté au temps des mutations industrielles ? La priorité réside-t-elle à vos yeux dans le coût de l'énergie, les règles antidumping, la labellisation ? Bref, quelles préconisations feriez-vous pour l'État stratège ?

Mme Christel Bories . - L'Europe ne va pas assez vite, si on la compare à certains de ses concurrents. Et c'est normal, car nous sommes plusieurs... C'est pourquoi je considère que le couple franco-allemand est absolument clé. Certaines initiatives industrielles peuvent en procéder. Créer des taxes à la frontière de l'Europe impose certes de mettre tout le monde d'accord, mais quelques pays suffisent pour lancer une filière stratégique. Il faut parfois savoir jouer avec des clusters plus petits.

Il nous faut enfin bâtir des entreprises européennes à même de concourir à l'échelle mondiale, et raisonner Europe plutôt que France. Je ne commenterai pas les dernières fusions ratées ; les opérations avortées rempliraient un cimetière entier... Cessons de nous focaliser sur le consommateur européen. Regardons l'Europe dans la compétition mondiale, par rapport à la Chine ou aux États-Unis, et créons des sociétés ayant la capacité d'investissement nécessaire. Relever les défis exige une puissance de feu, et nous aurons du mal à nous en doter seuls, à l'échelle nationale.

M. Franck Menonville , président . - Nous vous remercions.

R. AUDITION DE M. PHILIPPE CROUZET, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE VALLOUREC (25 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Mes chers collègues, nous achevons avec M. Philippe Crouzet nos auditions qui ont débuté en février dernier, puisque nous examinerons le projet de rapport mardi 9 juillet.

M. Philippe Crouzet, major de l'École nationale d'administration (ENA) en 1981, a commencé sa carrière au Conseil d'État puis a bifurqué vers le privé en intégrant en 1986, Saint-Gobain en tant que directeur de plan, puis après 1989, les papeteries de Condat. En avril 2008, vous rejoignez le conseil de surveillance de Vallourec avant d'être nommé à la présidence du directoire de l'entreprise un an plus tard. Vous avez également siégé au conseil d'administration d'EDF de 2009 à 2014. Vous avez également présidé l'Association pour l'Insertion Économique et Sociale et êtes investi dans l'aide aux sans-abris. Il est important de souligner vos engagements humanistes et citoyens. Vallourec a été cité à de très nombreuses reprises au cours de nos déplacements et auditions, mais je laisse Mme la Rapporteure, qui connaît mieux que moi cette entreprise, poser les problématiques de votre audition, y compris la cession d'Ascoval.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - À mon tour de vous remercier de vous être prêté aux travaux de notre mission. M. Crouzet, lorsque vous avez pris les commandes de Vallourec en 2009, vous « pensiez venir faire de la stratégie mais vous avez dû faire de la médecine d'urgence », selon vos déclarations au Monde dans un article qu'il vous a consacré le 9 décembre 2014, l'activité de l'entreprise, concentrée dans le pétrole et le gaz, ayant chuté de 50 % en quelques mois. Le chiffre d'affaire de Vallourec qui s'élevait ainsi en 2008 à 6,437 milliards d'euros s'est rétracté jusqu'à 2,965 en 2016 pour remonter à 3,750 milliards en 2017 et à 3,921 milliards en 2018. L'an dernier, votre résultat brut d'exploitation s'est amélioré de façon significative, à 150 millions d'euros, contre 2 millions d'euros en 2017, avec un fort rebond au 4 ème trimestre, grâce sans doute à des économies brutes cumulées de 445 millions d'euros depuis 2016 ; « l'objectif initial étant ainsi dépassé, avec deux ans d'avance sur le calendrier » selon votre communication, et avec une dette s'élevant à environ 2 milliards d'euros.

Malgré cette extrême fragilité, Vallourec demeure leader mondial des solutions tubulaires premium destinées principalement aux marchés de l'énergie, ce qui est sans doute sa faiblesse compte-tenu de leur volatilité.

Vous pourrez dans un premier temps nous donner des nouvelles de la santé de votre groupe et de vos investissements majeurs : la construction d'une nouvelle usine intégrée à Jeceaba au Brésil et la construction d'une nouvelle tuberie à Youngstown, aux États-Unis, servant les forages d'hydrocarbures non-conventionnels aux États-Unis. Le rebond de l'activité pétrolière, notamment au Brésil, semble laisser entrevoir le bout du tunnel, mais les incertitudes géopolitiques demeurent fortes.

Dans un deuxième temps, nous reviendrons sur les déboires d'Ascoval qui traumatise le valenciennois alors même que ce site a fait, historiquement, la fortune de Vallourec, et menait grand train, avec une gestion que certaines personnes auditionnées ont qualifiée de dispendieuse. Alors que Vallourec a créé ce site, pourquoi n'y croyez-vous plus, alors même que ce site a été fortement modernisé ces dernières années ?

Face à vos difficultés, l'aide de l'État a été massive : 750 millions d'euros en dix ans, selon certains, dont une souscription en capital de 250 millions par BpiFrance en avril 2016, portant sa participation au capital à 15 %, soit autant que votre partenaire japonais Nippon Steel. Quelle a été la contrepartie de ces aides publiques ? Au vu de votre expérience, comment percevez-vous le rôle de l'État ? Celui-ci vous a-t-il demandé des efforts particuliers ?

Selon des syndicalistes que nous avons auditionnés la semaine dernière, votre groupe « a pris des décisions stratégiques qui ont durablement affaibli son dispositif industriel français avec la concentration de la production d'acier en Allemagne, et des sites français cantonnés à une part d'un process très éclaté entre les laminoirs et les lignes de parachèvement ». Dans ces conditions, vous comprendrez que la principale interrogation est de savoir si votre entreprise n'envisage pas d'abandonner la France voire l'Europe pour d'autres horizons. Pouvez-nous rassurer sur ces interrogations ?

Troisième question, quelles sont vos perspectives de développement ? Lors du débat à l'Assemblée nationale du 13 janvier 2016, le ministre de l'Économie de l'époque estimait que « nous devons avoir un plan offensif sur le volet industriel, pour redonner des perspectives à Vallourec et faire en sorte que toutes les décisions capitalistiques soient prises : diversification, consolidation industrielle, partenariat, en France et sur les autres marchés ». Si le Président de la République vous rend visite demain, lui présenterez-vous des mesures de diversification de votre entreprise ou avez-vous persisté dans le marché de l'énergie ?

Dans un dernier temps nous souhaitons savoir comment vous voyez le futur de la filière sidérurgique en France, et notamment celui des marchés des aciers spéciaux. Faut-il que la France se spécialise dans le haut de gamme et délaisse les commodités ? L'organisation en filières verticales au sein des comités stratégiques de filières est-elle pertinente ? Merci pour les éclairages que vous voudrez bien nous apporter, au cours de cette audition dont je viens de vous dresser le cadre. Vous avez la parole.

M. Philippe Crouzet, président du Directoire de Vallourec . - Je suis très sensible, au nom de Vallourec, à l'honneur que vous nous faites de nous recevoir à la toute fin de vos travaux. Je ne peux vous donner que le point de vue d'un producteur de tubes en acier, avec une technologie particulière, et non d'un sidérurgiste généraliste comme peut l'être Arcelor Mittal. Les tubes sans soudure, produits à partir de blocs d'acier percés par un processus de centrifugation, sont une niche dans ce secteur des tubes qui ne représente que 1 % de l'industrie sidérurgique. Pour autant, nos problèmes sont représentatifs de ceux rencontrés par la sidérurgie.

Aussi présenterai-je à la fois les points communs et les particularités de Vallourec avec le reste de l'industrie sidérurgique. Quels sont les points communs actuels du monde de l'acier ? Tout d'abord, une énorme surcapacité mondiale, et tout particulièrement en Chine où, encore aujourd'hui, des usines de tubes sont créées. Notre industrie est très intensive en capital, ce qui en rend son pilotage difficile lors de cycles baissiers. Nous sommes dépendants du coût de l'énergie et des matières premières. Ce poste s'avère davantage problématique que celui des coûts de la main d'oeuvre pour la filière sidérurgique en France et en Europe. Nous sommes également confrontés aux fermetures des frontières de certains pays.

La première particularité de la filière des tubes par rapport à d'autres est d'être mondiale, à l'inverse des aciers plats et des produits longs qui restent plutôt cantonnés dans des zones régionales. Vallourec exporte ainsi près de 70 % de sa production et ses concurrents, qui ne sont pas nécessairement européens, ne bénéficient pas des mêmes de production. Vallourec s'est donc construit comme une société exportatrice à partir de la France et de l'Allemagne. Lorsque j'ai rejoint le groupe en 2009, il était clair que notre stratégie était dangereuse : nous étions à la fois confrontés à une concurrence par les coûts de l'Argentine et du Mexique, dont la devise connaissait alors une forte déflation, et aux dangers, pendant cinq ans, d'un euro fort. La conciliation de ces deux facteurs augurait de la fin de notre groupe. C'est pourquoi, entre 2009 et 2014, sans sacrifier la qualité de nos actifs européens, nous avons investi dans deux pôles de production : l'un au Brésil, où les coûts sont bas et notre groupe fabrique lui-même de la matière première, et l'autre aux États-Unis, pour profiter de l'opportunité du pétrole de schiste. C'est grâce à ces investissements que nous existons encore. Si nous étions demeurés à 70 % européens, notre société aurait aujourd'hui cessé d'exister. Cette particularité nous différencie ainsi des autres secteurs sidérurgiques, que vous avez dû auditionner, dont l'horizon d'activités est plus régional ; leur confrontation s'exerçant selon les mêmes facteurs de coûts et de devises.

Seconde particularité : nous sommes exposés à des cycles spécifiques, à savoir ceux du pétrole et du gaz. Historiquement, le portefeuille d'activités de Vallourec est à dominante pétrolier et gazier ; le coeur de savoir-faire de Vallourec, qui a racheté Mannesmann, étant localisé dans le Valenciennois, et notamment à Emery, où se trouvent nos plus gros actifs européens de fabrication de connexion ainsi que notre recherche-développement (R&D)...

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Combien de salariés sont-ils employés par cette unité de production ?

M. Philippe Crouzet . - À peu près 600, y compris dans la R&D. Ce secteur représente les deux-tiers de notre chiffre d'affaires, tandis que le reste baisse : d'une part, la mécanique, assurée plutôt Outre-Rhin, se porte moins bien qu'auparavant puisque les producteurs de machines-outils allemands sont concurrencés par leurs homologues chinois. Si ce secteur de notre activité n'est pas d'une très grande rentabilité, il permet toutefois de charger nos usines. D'autre part, l'activité de fabrication du tube pour les centrales au charbon - désigné comme le Power Gen - qui représentait jusqu'à 15 % de notre chiffre d'affaires, était partagée entre notre aciérie de Saint-Saulve ainsi que notre usine allemande de Reisholz. Ce dispositif industriel, très rentable, a été concurrencé par les usines chinoises. Cependant, les motifs du déclin de cette activité résultent non pas tant de la compétitivité que de l'effondrement du marché. Si nous sommes encore capables de vendre en Chine, en utilisant de l'acier européen, la transition énergétique, amorcée par la COP de Copenhague, a mis un terme au lancement de nouvelles centrales que nous équipions. La décision de mettre un terme à l'exploitation de l'aciérie de Saint-Saulve, qui produisait des aciers spéciaux destinés aux centrales thermiques super-critiques, - c'est-à-dire émettant le moins de CO 2 par KWH produit-, fait suite à l'effondrement de ce marché. Si la mise en service de nouvelles centrales thermiques est abandonnée dans les pays qui suivent les prescriptions de la COP de Copenhague, ce marché subsiste encore en Asie. Certes, certaines applications, dans le pétrole et le gaz, consomment des aciers spéciaux, mais dans des volumes infimes comparés à ceux requis par ces centrales à charbon. En outre, ce marché, déjà mort dans les pays développés, a perduré jusqu'au milieu de 2017 en Chine, où le programme d'installation de ces centrales thermiques a été divisé par deux, tandis qu'il a été interrompu en Corée du Sud. Les débouchés ont alors chuté, ce qui a conduit à l'arrêt de notre atelier chaudière à l'usine de Saint-Saulve et à mettre en vente, voire, en cas d'absence de repreneurs, à mettre un terme, à l'exploitation de notre usine allemande de Reisholz. Ce sera donc la fin d'une époque, très longue et très profitable pour Vallourec, avec la disparition du marché des centrales thermiques. Il est essentiel d'avoir conscience que si Vallourec est, encore aujourd'hui, plus compétitif que les Chinois sur ce marché, celui-ci n'existe plus.

En outre, le marché chinois tend à se fermer ; Pékin vient de nous imposer des mesures totalement injustifiées d'anti-dumping à hauteur de 59 %, sur le peu qui nous restait. Il s'agit bel et bien d'une forme de guerre commerciale face à laquelle l'Organisation mondiale du commerce est impuissante et nos sollicitations, tant diplomatiques qu'auprès de Bruxelles, n'ont guère porté leurs fruits. Néanmoins, la Chine, où nous disposons d'unités de production auxquelles ne s'appliquent pas ces mesures anti-dumping, ne représente pas un très gros débouché pour le pétrole et le gaz, même si notre activité de fabrication de tubes pour l'industrie nucléaire, localisée à Montbard, en Côté d'Or, en est impactée.

La trajectoire de Vallourec, d'un point de vue stratégique, peut bel et bien être comparée à une forme de médecine d'urgence à partir de 2014 ; date où la crise de l'acier a été rejointe par celles du pétrole et du gaz. En effet, entre 2014 et 2017, cette crise a durement frappé notre activité, déjà très intense en capital. Nous ne sommes pas passés loin de la réanimation. Dans notre cas, si nous n'avions pas anticipé l'intensité de cette crise, nous étions en revanche conscients de notre problème majeur de compétitivité. Nos investissements au Brésil et aux États-Unis nous ont sauvés, puisque c'est grâce au redémarrage des marchés d'abord américain depuis 2017, puis de celui de l'Afrique du Nord, du Moyen-Orient, puis de l'Afrique de l'Ouest que nous avons amélioré notre situation.

L'opération de recapitalisation des coûts, qui s'est déroulée en 2016, s'inscrivait dans une démarche commune à de nombreux acteurs du secteur touchés par la même crise. L'augmentation d'un milliard d'euros du capital était nécessaire, bien qu'intervenant alors que les secteurs gazier et pétrolier étaient en crise. L'État actionnaire a joué son rôle. Loin des 750 millions d'euros évoqués, la souscription de l'État dans le capital de Vallourec, en février 2016, s'élevait à 150 millions d'euros. Notre partenaire japonais Nippon Steel a, quant à lui, investi 350 millions d'euros. Au total, avec 500 millions d'euros supplémentaires provenant des marchés boursiers, la recapitalisation de Vallourec a bénéficié du financement de l'État ; celle-ci qui renforçant notre crédibilité auprès de notre partenaire japonais qui accepta, malgré ses réticences initiales, d'investir dans notre outil. Lorsque j'ai expliqué aux équipes dirigeantes de Nippon Steel , - partenaire technologique de notre groupe depuis une cinquantaine d'années - que nous allions conduire une restructuration en profondeur en France et en Allemagne, l'apport de l'État aura permis d'achever de les convaincre. Nous avons ainsi pu recapitaliser, de manière suffisante, notre groupe. L'État actionnaire, qui a joué son rôle, m'a demandé de traiter, le plus socialement possible, l'ensemble de cette restructuration. J'ai alors pris publiquement l'engagement qu'il n'y aurait aucun départ contraint dans l'ensemble des restructurations conduites en France qui se sont avérées très substantielles. Si toutes nos instances de décision et la totalité de la R&D ont été conservées en France, nous avons réduit nos capacités en France et en Allemagne dans les mêmes proportions.

Le dispositif industriel auquel nous avons abouti est devenu assez simple à présenter. Alors que celui-ci comprenait historiquement un certain nombre de doublons, du fait du rachat, par Vallourec, de son concurrent historique, la spécialisation s'est faite en tenant compte de l'ADN des deux sociétés : côté allemand, où le procédé Mannesmann permet de réaliser des tubes à partir de blocs d'acier, la production a été conservée, tandis que leur finition, qu'il s'agisse des connections ou du traitement thermique, est réalisée en France, soit à Saint-Saulve ou à Déville-Lès-Rouen. Notre dispositif implique le déplacement sur plusieurs sites de nos produits, à l'inverse de ceux de notre concurrent mexicain Tenaris qui a regroupé toute sa production sur un seul site. Les coûts de transport ne sont cependant pas dirimants, compte tenu de la valeur de nos produits, et les autres contraintes logistiques peuvent être aisément surmontées. Notre dispositif a ainsi été simplifié : nous faisons des tubes en Allemagne et nous les terminons en France.

Nous recueillons à présent les fruits de cette restructuration qui a également touché les autres pays, y compris le Brésil, où 800 postes ont été supprimés, et les États-Unis. Cette crise, qui a touché l'ensemble du groupe Vallourec, n'avait pas de précédent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et a duré cinq années. Lorsque j'ai rejoint Vallourec en 2009, j'ai vécu une crise qui a duré moins d'un an. Cette toute dernière crise a duré, quant à elle, de 2014 à 2017 aux États-Unis et jusqu'à la fin de l'année 2018 pour le reste du monde. Désormais, le retour de la croissance se fait étape par étape, comme en témoigne l'évolution de nos performances. À nos partenaires syndicaux qui nous ont interrogés sur d'éventuelles difficultés à venir, je réponds par la négative, au-delà des nécessaires ajustements conjoncturels et des difficultés actuelles de la filière nucléaire qui pourraient faire l'objet d'une mission comme la vôtre. Nos autres sites sont plutôt bien chargés, comme à Déville et à Aulnoye-Aymeries, et dans une moindre mesure à Saint-Saulve ; unique site de notre groupe dans sa spécialité, suite à la fermeture de son équivalent allemand.

Si nos résultats ne sont pas encore satisfaisants, leur tendance reste en ligne avec nos objectifs. Nous ne sommes plus dans le traitement de l'urgence ; l'essentiel des restructurations est derrière nous et celles qui doivent encore être conduites concernent nos sites allemands et concernent entre 600 et 700 personnes, sans compter la fermeture de l'usine de Reisholz, si nous ne trouvons aucun repreneur. Ces restructurations font à présent l'objet de négociations, sans aucune intervention externe ni contentieux.

M. Franck Menonville , président . - Quelles sont vos priorités en matière de recherche et d'innovation ?

M. Philippe Crouzet . - La R&D au sein de notre groupe s'inscrit sur deux axes. Le premier vise à améliorer notre savoir-faire actuel ; à savoir, la mise au point de tubes et de connections plus performants afin de faire face aux divers défis de demain de l'industrie pétrolière et gazière. Ces améliorations se font, du reste, dans nos installations françaises. Nous explorons, dans ce cadre, le digital, qui permet de rendre plus efficaces les processus de production et d'accélérer le développement technologique. Par ailleurs, l'exploration systématique de potentiels de marché nouveaux, suite à la transition énergique sur la durée, constitue notre second axe d'exploration, en liaison avec nos clients, comme les compagnies pétrolières. La quasi-totalité de la R&D se trouve d'ailleurs en France.

M. Franck Menonville , président . - Êtes-vous présent sur le marché russe ?

M. Philippe Crouzet . - Malheureusement, non, en raison des sanctions. C'est le seul territoire sur lequel j'aurais aimé projeter Vallourec mais les sanctions ont eu raison de nos intentions.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Comment anticipez-vous l'évolution des coûts de l'énergie qui risque d'être significative sur votre activité ? Par ailleurs, estimez-vous efficace l'accompagnement de la Commission européenne, face aux mesures anti-dumping prises par Pékin ? Enfin, les effectifs du ministère en charge de l'industrie, dans notre époque complexe marquée par une profonde mutation industrielle, vous paraissent-ils suffisants pour assurer à la fois un soutien et une anticipation efficaces des Pouvoirs publics ?

M. Franck Menonville , président . - L'absence de ministère intégralement dédié à l'industrie n'obère-t-elle pas notre capacité à définir une stratégie industrielle pertinente ?

M. Philippe Crouzet . - Nous payons encore le prix de la destruction du ministère de l'industrie, depuis ces dix dernières années. Nous avons également aggravé la situation en regroupant dans un même ministère l'écologie et l'énergie. Ce sont là deux erreurs massives qui n'envoient pas de message positif au secteur industriel ! Désormais, les arbitrages politiques entre ces différents objectifs de transition énergique et de politique industrielle, qui peuvent s'avérer contradictoires, se font à des niveaux beaucoup trop bas. Or, lorsque de tels arbitrages sont avant tout politiques et doivent être rendus au bon niveau, afin de disposer d'une vision d'ensemble du système. Les responsables doivent agir en toute transparence et l'organisation actuelle ne permet pas d'y parvenir.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - La question des effectifs est en corrélation, comme l'a rappelé lors de son audition M. Xavier Bertrand, avec la définition d'une réelle stratégie industrielle, dont le portage doit revenir à un ministère dédié.

M. Philippe Crouzet . - La compétence importe davantage que le nombre et le ministère actuel compte de nombreux personnels compétents. L'organisation d'une administration est révélatrice des priorités et des niveaux d'arbitrage des pouvoirs publics.

J'en viens à vos questions sur l'énergie et la Chine. Pour moi, la filière sidérurgique européenne et française ne sera pas confrontée à une chute de la demande à terme, puisqu'il faudra toujours transporter des fluides dans des environnements agressifs et ce, alors que les débouchés des aciers plats s'avèrent, dans le même temps, plus problématiques, comme me l'ont indiqué mes partenaires japonais. En revanche, l'offre peut poser problème. Il me paraît possible de produire de l'acier en Europe, dans des conditions compétitives, tant pour les tubes que pour l'acier carbone, que nous produisons dans une coopérative allemande. À cet égard, l'aciérie de Saint-Saulve n'est pas confrontée à un problème de compétitivité, mais de débouchés. Je le dis aussi pour les aciers carbones, de bas de gamme, fabriqués, de manière également compétitive, dans une coopérative de production en Allemagne. Cependant, on ne peut être compétitif qu'à la condition que les usines, intenses en capital, soient chargées. Tel est le drame de l'aciérie de Saint-Saulve : comment charger de telles unités sen sortant des produits sur lesquels on gagne de l'argent ? Dès lors, il faut protéger les débouchés régionaux afin de garantir un minimum de charges ; tel est l'objet de la politique commerciale européenne, à l'instar de ce que font les Chinois et les Américains, via la réglementation 232 décidée par le Président Donald Trump : se protéger en fermant leur marché et en le réservant aux producteurs implantés sur leur territoire respectif. D'ailleurs, Vallourec, déjà implanté sur le territoire américain, bénéficie de cette réglementation. Je suis donc bien placé pour constater les réels effets de telles politiques. Cette vision diffère des principes de fondation de l'Union européenne reposant sur la primauté des principes du commerce international que le Président Donald Trump, depuis son élection, a remis nettement en cause. L'Europe ne doit pas être à la traine de telles pratiques et doit conduire la même politique que celle de la Chine et des États-Unis. Le constat est clair : historiquement, l'Europe est le plus grand pôle exportateur mondial et ses entreprises ont besoin d'exporter. Encore faut-il renforcer la compétitivité des coûts que représentent, pour 60 %, les matières premières - minerais de fer, coke ou ferraille selon les filières - dont les cours sont mondiaux. A ce stade, il n'y a pas de problème de compétitivité, puisque les coûts sont globalement les mêmes pour l'ensemble des acteurs de la filière. En outre, l'Europe produit également de la ferraille, dont elle pourrait sans doute limiter les exportations, à l'instar de ce que font les Russes, notamment vers la Turquie.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Quelles sont les motivations de cette exportation de ferraille, qui représente jusqu'à la moitié de sa production ?

M. Philippe Crouzet . - Le bon paiement des clients turcs, qui ne disposent d'aucune matière première et privilégient la filière ferraille au détriment de la filière fonte. Leur localisation est également, pour ce marché, un atout : ils sont entre le premier gisement de ferraille que constituent les industries automobiles américaine et européenne et l'autre second grand gisement fourni par le démantèlement de l'ancienne industrie soviétique. D'ailleurs, les États-Unis limitent leur exportation de ferraille vers la Turquie. Il faut que l'industrie sidérurgique fasse attention à ne pas se départir de sa ferraille.

L'énergie représente le deuxième poste de dépenses. Entre la France et l'Allemagne, subsistent des différences en matière de productions et de coûts d'énergie. En effet, le prix, hors taxes, de l'énergie électrique est plus bas pour un industriel en Allemagne qu'en France. A l'inverse, une fois les différentes taxes nationales acquittées, le coût total de l'électricité s'avère supérieur Outre-Rhin. C'est là l'un des rares avantages comparatifs, avec la recherche, de la France par rapport à l'Allemagne. Les Allemands ont mis en place un certain nombre de dispositifs destinés à compenser leur handicap intrinsèque et il serait bon que cette question soit solutionnée par les pouvoirs publics.

M. Jean-Pierre Vial . - Quelle est l'amplitude de cette différence ?

M. Philippe Crouzet . - Une différence de l'ordre de 30 % taxes comprises. Dans le système français bordé de taxes, les industries électro-intensives, parmi lesquelles est rangée la sidérurgie, bénéficient de remises sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui sont loin d'être négligeables et permettent à nos usines d'économiser une vingtaine d'euros par kilowatt-heure. Puisque la sidérurgie n'est pas l'industrie la plus électro-intensive, elle ne bénéficie pas du régime le plus favorable, à l'instar des alumineries ?

M. Jean-Pierre Vial . - Quel est le montant moyen d'un kilowatt-heure dans votre secteur d'activité en France et en Allemagne ?

M. Philippe Crouzet . - On compare une usine à une autre, et les résultats ne peuvent être aisément généralisés. Au prix de l'énergie va bientôt s'ajouter au prix du carbone qui sera directement lié à celui de l'énergie. Jusqu'à présent, nous sommes sous le régime européen des Energy Trading System (ETS), qui est intelligent et complexe. Ce système permet de prendre en compte l'ampleur et l'intensité des besoins par rapport à l'ensemble des coûts et des technologies ; une société faisant l'effort de se doter des meilleures technologies est favorisée dans ce système. C'est notre cas : Vallourec, qui a équipé des meilleures technologies disponibles en matière environnementale l'ensemble de ses usines, dont celle de Saint-Saulve avant de la céder, dispose suffisamment de crédits-carbone pour couvrir l'ensemble de ses besoins.

Ce système devrait être durci en 2020, de manière à élever le prix du carbone. Il est prévu de réviser ce système à cette échéance, afin de le durcir et d'augmenter le coût du carbone. Au-delà de son effet-prix, il peut induire des effets pervers, faute d'une technologie assurant une réduction de l'empreinte carbone. De ce fait, en l'absence d'alternative, les coûts vont nécessairement augmenter et rendre ce dispositif plus pénalisant. Investir dans une technologie à des seules fins fiscales n'est pas, en soi, une démarche convaincante pour les entreprises du secteur, surtout lorsque leur situation financière est chancelante. Cette démarche est propre à l'Europe qui, si elle a raison, sur le fond, d'inventer de tels systèmes innovants, risque d'obérer la compétitivité de ses entreprises face à leurs concurrents étrangers qui n'ont pas à se conformer à une telle réglementation. Certes, la Chine a également lancé un système de crédits-carbone qui pourrait nous servir à calibrer le nôtre. La mise en oeuvre de tels systèmes ne doit pas générer des handicaps compétitifs pour les entreprises européennes, mais doit prendre en considération ce que les autres font.

Nous ne sommes pas aidés sur ce point par les Américains. Dans l'univers sidérurgique, la Chine est notre principal compétiteur. Puisque l'industrie européenne est fondamentalement exportatrice, il ne s'agit pas seulement d'être protégé sur le marché européen, mais aussi d'avoir accès aux marchés tiers où se déroule la bataille commerciale et ce, dans les mêmes conditions que nos autres concurrents. Je pense que c'est possible ; une telle démarche globale s'inscrivant dans l'esprit de la COP que n'aide guère le retrait américain. Dans les pays du Golfe, on se préoccupe également du réchauffement climatique. Ainsi, tous ces dispositifs doivent être mis en oeuvre de manière réaliste, en veillant à ne compromettre ni la charge de nos outils, ni la compétitivité de nos coûts. Je n'ai pas parlé du travail, car je suis réaliste ; nous n'allons pas payer les Européens au même salaire que celui des Chinois !

Enfin, les impôts de production - que le Conseil d'analyse économique considère désormais comme des « impôts contre la production » - sont une spécificité française à laquelle il convient de remédier au plus vite.

Je reviens enfin sur votre question sur la comparaison des coûts de l'énergie entre la France et l'Allemagne. Sans pour autant généraliser cette information qui provient de la comparaison de deux sites de production, le prix de base de l'électricité est, dans la région de Düsseldorf, de 47 euros du kilowattheure contre 52 en France. Une fois les dégrèvements et les taxes pris en compte, la tendance s'inverse avec un coût, en France de 85 euros le kilowattheure contre 125 en Allemagne ; de tels résultats impliquant également la neutralité des crédits carbone. Le coût de l'énergie représente ainsi jusqu'à 10 % de nos coûts totaux en Allemagne.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Avez-vous une visibilité sur l'évolution des coûts de l'énergie ?

M. Philippe Crouzet . - L'absence de prévisibilité sur le nouveau dispositif de crédits-carbone agite l'ensemble des industriels et obère leur capacité d'investissement. Les services de Bruxelles devraient néanmoins proposer un nouveau système progressif.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quel est votre avis sur le dispositif des territoires d'industrie ? En outre, comme élue de Côté d'Or où se trouve votre usine de Montbard, j'ai bien compris que l'absence de débouchés remettait en cause l'avenir des activités, notamment nucléaires. Quelles seront également les incidences de la transition énergétique sur celles-ci ?

Mme Nadia Sollogoub . - En tant qu'élue de la Nièvre, je souligne que le site de Cosne-sur-Loire a connu une restructuration, perçue comme très injuste et intervenue juste après une recapitalisation. Quel regard portez-vous lorsque la reprise se passe mal, comme c'est le cas à Cosne-sur-Loire, où le repreneur, en proie à de nombreuses difficultés et vicissitudes, s'avère incapable de faire redémarrer l'activité ? Dans quelle mesure vous sentez-vous concerné et quel est, selon vous, votre niveau de responsabilité ?

Mme Martine Filleul . - Votre intervention ne m'a guère convaincue. Le traitement d'Ascoval a été clinique, sinon chirurgical, et s'est avéré inapproprié pour ce site. J'en arrive à comprendre le sentiment d'abandon de la population locale par rapport à Vallourec et des syndicalistes, vous accusant de défaisance. N'y avait-il pas d'autres solutions et de réponses possibles à l'absence de marché pour les centrales thermiques que vous invoquez à l'appui de votre retrait de ce site ? Avec le recul, un tel argument n'est-il pas, au final, spécieux ?

M. Fabien Gay . - Votre intervention donne matière à un débat qui ne peut être que nourri. Par exemple, vous fustigez l'impôt, mais celui-ci nous permet d'être compétitifs. C'est grâce à lui qu'un service public existe et que sont bien soignés et formés nos salariés. Contrairement à ce qui vient d'être dit, l'impôt est fondamentalement juste. La CSPE permet également de soutenir les familles les plus précaires à un moment où les tarifs réglementés ont été augmentés ! J'en viens à Vallourec-Ascoval. C'est l'enfer pour les salariés et leurs familles, qui représentent jusqu'à un millier de personnes sur le bassin d'emploi ! Ça fait des années que ça dure ! On a l'impression d'une absence de solution et d'une passivité face aux échéances ! Chaque reprise du site s'est avérée un coût pour les salariés, qui sont les premiers concernés. Les salariés y jouent leur vie ! J'entends votre discours, mais ne le comprends pas. Je ne vois pas d'issue positive destinée à assurer la préservation de ces emplois et de ce site. Je soutiens ainsi l'assignation au tribunal des salariés intervenue en juin dernier.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'année où BpiFrance était mobilisé pour abonder le capital d'Ascoval et l'aider à refonder sa stratégie a également été marquée par la suppression de 900 emplois ; ce qui n'a pas empêché la distribution de dividendes aux actionnaires !

M. Philippe Crouzet . - Il n'y a pas eu de dividendes distribués aux actionnaires cette année-là.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Cette même année, 900 emplois ont été supprimés, y compris sur le site de Valenciennes. Pourquoi Vallourec a-t-elle choisi de se départir d'une aciérie intégrée à son unité au bénéfice d'une dévolution à une entreprise allemande extérieure au groupe, alors que les financeurs publics intervenaient dans le même temps ? L'impact financier d'une telle démarche était-il à ce point significatif ? Une telle démarche ne peut que nous interpeller ! Il nous reste un certain nombre de sites en France, dont une tuberie à Valenciennes. Nous nous battons tous pour obtenir une issue favorable pour l'aciérie. Quand bien même vous accompagnez financièrement cette transition, pourquoi avoir pris de tels choix que nous payons encore aujourd'hui ? Quelles sont vos ambitions et comment, avec l'État, doit-on anticiper les mutations à venir ? Nous avons eu, notamment avec M. Xavier Bertrand et moi-même, des échanges compliqués sur le terrain. On peut certes entendre qu'un secteur industriel soit obligé de muter, mais il faut pouvoir se parler en toute franchise et sincérité pour préparer ces mutations, au bénéfice des salariés et en concertation avec eux et les pouvoirs publics. Comment allez-vous continuer à prospérer, en évitant, en aval, des restructurations ? En d'autres termes, comment construire ensemble les évolutions futures ?

M. Philippe Crouzet . - Je tiens à rétablir la vérité sur la situation d'Ascoval sur laquelle de nombreux propos erronés ont été tenus. Au point de départ, cette aciérie ne produisait que 500 000 tonnes d'aciers spéciaux. Sa taille s'avère tenue, comparée à celle de l'aciérie implantée en Allemagne que détient à 30 % par Vallourec qui représente 8 millions de tonnes. L'aciérie Ascoval n'est donc pas compétitive pour construire autre chose que des aciers spéciaux. Lorsque le marché a disparu, pour les raisons que je vous ai exposées, nous en avons recherché d'autres ! Or, seul le marché automobile a recours à ces aciers spéciaux. C'est pourquoi nous avions trouvé une entreprise repreneuse, conformément à notre engagement vis à vis de l'État. Cette société, Ascometal, qui produisait des pièces pour l'automobile en acier spéciaux et dont les deux usines - situées aux Dunes à Dunkerque et à Hagondange - n'étaient plus aux normes. Le plan industriel était absolument clair : Ascoval, qui avait fait l'objet d'investissements conséquents, était rachetée par Ascometal qui en faisait l'aciérie de production pour l'ensemble de ses usines. Toute cette opération s'est déroulée dans la plus grande transparence ; nous n'avons demandé aucun financement pour les aciers spéciaux pour les pièces automobiles. Le plan industriel était clair : les deux aciéries, qui n'étaient plus aux normes, étaient délaissées au profit d'Ascoval. Nous avions ainsi laissé une entité, après y avoir investi 100 millions d'euros, tout en nous engageant à nous approvisionner auprès d'elle, à hauteur de 20 000 tonnes par an. Le malheur a voulu qu'Ascometal ait connu une crise de trésorerie et déposé son bilan. Cette société a alors été placée sous administration judiciaire. Deux repreneurs se sont alors présentés : le groupe britannique Liberty et la société allemande Schmolz Bickenbach . Cette dernière, que seule la fabrication de pièces automobiles intéressait, a été transparente dès le premier jour : son offre de reprise ne concernait pas l'aciérie, en raison de l'existence d'autres aciéries en Allemagne en manque de chargements. À l'inverse, le groupe Liberty reprenait l'aciérie et demandait à Vallourec un certain nombre d'engagements, que j'ai pris. Ainsi, le tribunal de grande instance de Strasbourg, en charge du dépôt de bilan d'Ascometal, avait, en face de lui, deux solutions : l'une allemande, partielle puisqu'elle n'assurait pas la conservation de la totalité des sites, et l'autre, britannique, qui permettait de conserver 600 salariés supplémentaires. Or, l'autorité judiciaire, en présence de ces deux solutions financières équivalentes, a retenu la solution allemande ! Je n'en suis toujours pas revenu ! Telle est l'origine du problème d'Ascoval . Si le tribunal avait accordé l'ensemble des actifs au groupe Liberty , celui-ci ferait aujourd'hui tourner l'aciérie. Qu'on n'aille pas me dire que ce dernier, qui avait repris les 23 000 salariés d'Arcelor Mittal, n'était pas capable de reprendre Ascoval ! Nous sommes dans un pays où ce genre de décision, prise dans la précipitation, n'est susceptible d'aucun appel. À partir du moment où l'on retire à Ascoval ses débouchés, tant les centrales thermiques que l'automobile, que peut-on faire ? Altifort s'est alors présentée : treize jours après la décision de ce même tribunal de Strasbourg, cette société s'est déclarée incapable de financer ce projet ! Manifestement, il y a là un réel dysfonctionnement et aucune autre solution n'a pu être trouvée. Dans l'intervalle et pendant toute la période de recherche d'un repreneur, nous avons contribué, à hauteur de plusieurs dizaines millions d'euros, - je ne peux vous en révéler le montant exact puisqu'il s'agit d'une information boursière -, à nous approvisionner en acier, pour un prix qui n'était pas compétitif. Aussi, accuser les salariés de Vallourec d'avoir lâché Ascoval, alors que nous avons accepté de surpayer notre acier pendant trois ans et que notre restructuration n'a pas provoqué de départs contraints, est inepte ! Tous les salariés du Valenciennois ont reçu plusieurs offres de reclassement et il n'y a eu aucun contentieux ! Nous avons, de fait, outrepassé nos obligations juridiques. Vous connaissez cette histoire et les épisodes récents sont pathétiques.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Votre rappel des différents épisodes du dossier Ascoval est légitime. Cependant, cette réalité vient bel et bien d'un sujet interne à Vallourec dont plusieurs centaines de salariés des tuberies ont perdu leur emploi. La région, l'agglomération et la collectivité ont accompagné les restructurations nécessaires. Tous les plans de formation et d'accompagnement des salariés ont été élaborés par la Région. Cette action a été collective. Je suis bien placée pour le savoir ayant été pendant huit ans présidente de Valenciennes Métropole. L'ensemble des acteurs publics a ainsi investi quelque 150 millions d'euros dans la reconversion de la friche du premier site historique de Vallourec, qui représentait une surface de 27 hectares qu'il a fallu réaménager. Au-delà même de l'accompagnement des salariés dans leur avenir professionnel, il faut prendre en compte l'ensemble des actions des collectivités publiques sur plusieurs années dans le démantèlement des usines abandonnées et le développement de nouvelles activités économiques. Mon propos n'était pas une critique en soi. Comment travailler de concert sur l'anticipation des mutations et ne pas attendre ? J'ai le souvenir de proposition portant sur des sites libres que nous aurions pu aménager à des fins de développement économique pour retrouver des solutions professionnelles en l'absence de débouchés pour les infrastructures existantes. Ascoval est une aciérie propre, électro-intensive qui recycle de la ferraille. Or, pour trouver l'aval, il faut une stratégie portée par une administration compétente ; ce qui revient à poser la question de la pertinence d'un ministère dédié à l'industrie. Cet exemple souligne ainsi l'importance d'un travail plus en amont des acteurs publics avec les industriels, sous le pilotage d'un État stratège. Dès lors, il serait salutaire de travailler davantage de concert avec les industriels et les salariés bien plus en amont des problèmes !

M. Philippe Crouzet . - J'apprécie effectivement votre action au sein de Valenciennes Métropole, à laquelle le groupe Vallourec va bientôt céder des terrains redevenus propres. Mon ambition initiale n'était pas de vous solliciter, puisque je considère que cette démarche nous incombait. Si Liberty avait été le repreneur, la collectivité ne l'aurait pas été ! Il faudrait ainsi s'interroger sur la légitimité de décisions aussi absurdes que celles réitérées par une formation non spécialisée du tribunal de grande instance, composée de trois personnes. En Allemagne, ça ne se serait pas passé comme cela ! Je ne peux que souscrire à votre idée d'anticipation. Telle est la raison pour laquelle je vous alerte sur la filière nucléaire dont la France et le Royaume-Uni, l'Inde et la Chine ; c'est à dire l'ensemble des pays où EDF investit. La filière française, dont l'expertise est considérable et unique au monde, subsiste. Or, le débouché chinois se ferme actuellement et il est de plus en plus difficile aux entreprises françaises d'y exporter. En outre, les perspectives de la filière nucléaire française demeurent, à tout le moins, obscures. Je suis persuadé qu'il n'y a pas d'alternative à la filière nucléaire française ; à retarder la décision inéluctable de la relance du programme nucléaire français, on crée un vide qui ne peut être supporté par les entreprises que sur une durée d'un an. On compromet ainsi l'existence même de cette filière française d'excellence, qui ne sera plus là lorsqu'on aura besoin d'elle !

M. Fabien Gay . - Suite à ce qu'a rappelé Mme la Rapporteure, comprenez-vous que la mobilisation pendant quatre ans des élus, des salariés et de l'argent public - que ce soit pour Ascoval ou l'usine Ford de Bordeaux - pour assurer une restructuration efficiente et trouver de nouveaux débouchés, alors que vous aviez anticipé, par avance, l'inanité d'une telle démarche, est insupportable pour le plus grand nombre ? Quels sont désormais les débouchés ? Où va-t-on pour les 280 salariés qui ont besoin de réponse au-delà du pathétique que vous avez évoqué ? À aucun moment, vous n'avez eu un moindre mot pour ces salariés ! Les acteurs politiques, dont je ne partage pas toujours la sensibilité, sont extrêmement mobilisés. Quelle est votre responsabilité ?

M. Philippe Crouzet . - On ne peut inventer les débouchés. British Steel , avec leur proposition de construire des rails spéciaux, ont astucieusement proposé une charge minimale avec des volumes substantiels. Il s'agirait d'agir sur une production en provenance de Grande-Bretagne. Ce débouché a l'air sérieux. C'est la seule solution, mais je ne sais où nous en sommes concrètement.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Rendez-vous est pris au tribunal le 19 juillet prochain puisque British Steel est en liquidation. Le fonds d'investissement qui se portait acquéreur d'Ascoval est-il en capacité d'assurer la reprise globale des entités de British Steel ou pourra-t-il n'acheter que certaines de ses sociétés afin de réaliser une filière intégrée en France ? En outre, le repreneur d'Ascoval dispose-t-il d'autres plans stratégiques pour l'aval ? Toutes ces questions doivent être appréhendées par le tribunal.

M. Philippe Crouzet . - La question des débouchés est en effet fondamentale. En effet, une aciérie sans débouché ne peut perdurer.

M. Franck Menonville , président . - Je tenais à vous remercier pour votre temps et la précision de vos réponses qui ponctuaient la fin des travaux de notre mission d'information. Surmonter une double crise pendant cinq ans n'est pas chose aisée et nous souhaitons que le redressement de votre groupe soit durable.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Merci, Monsieur Crouzet, de vous être rendu devant nous.

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