III. À L'INTÉRIEUR : UN DURCISSEMENT DU RÉGIME ET DES ATTEINTES AUX LIBERTÉS QUI ONT DES CONSÉQUENCES GRAVES POUR LA RELATION AVEC L'UNION EUROPÉENNE

Dans un contexte marqué par la poursuite de sa prise du contrôle institutionnel de l'Etat, mais aussi par une montée des menaces internes (coup d'Etat déjoué de juillet 2016) par les conséquences de la crise syrienne (attentat terroristes de Daech, reprise des affrontements avec le PKK), le pouvoir va renforcer son caractère autoritaire et cultiver encore davantage une rhétorique identitaire, néo-ottomane et nationaliste et, plus généralement, les postures anti-occidentales. L'option pro-européenne et d'extension des droits a cédé le pas à une forme de démocratie illibérale et populiste. On assiste à une concentration du pouvoir autour du Président de la République qui contrôle toute la sphère institutionnelle (présidence, gouvernement, assemblée), administrative et militaire et une large partie de la sphère politique avec une accentuation de sa domination sur les instances de l'AKP, et médiatique avec la prise de contrôle de nombreux médias par de chefs d'entreprises alliés.

A. DÉGRADATION DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE, CONCENTRATION DU POUVOIR ET RECUL DE L'ETAT DE DROIT

1. La dégradation de la sécurité intérieure

Depuis 2015, la Turquie a connu une dégradation de sa sécurité intérieure en raison de la montée de menaces internes liées en partie à la crise syrienne (attentats islamistes, retour à des affrontements armés avec le PKK) et en partie au rapport de forces politique au sein des composantes islamistes au pouvoir.

a) La menace terroriste islamiste

Si la Turquie, galvanisée par le succès des Frères Musulmans dans les révolutions des « Printemps arabes » a pu dans les premiers moments de la crise syrienne apporter un soutien indistinct à différents groupes de l'opposition syrienne, elle a à partir de 2015 coopéré activement à la lutte contre l'Etat islamique. Elle été frappée sur son sol, en 2015 et 2016, par de nombreux attentats meurtriers revendiqués par Daech depuis celui du 20 juillet perpétré contre des militants socialistes dans la ville frontalière de Suruç - dont la population est en majorité kurde -, jusqu'à celui de la nuit du Nouvel an 2017 dans un discothèque d'Istanbul qui a fait 39 morts pour ne citer que quelques exemples.

b) La reprise du conflit armé avec le PKK

La crise syrienne va également interrompre le processus de paix engagé depuis la fin de l'année 2012 (voir supra p. 23). Il s'ensuit une « guerre des villes » qui fera 4000 morts dont 1140 parmi les forces de sécurité et plusieurs centaines de victimes civiles. Depuis lors des attentats visant des policiers sont régulièrement revendiqués par le PKK ou des organisations proches. Il s'ensuit une répression de grande ampleur contre toute la mouvance kurde (voir infra p. 82).

c) La tentative de coup d'état du 15-16 juillet 2016

Un désaccord profond s'est installé entre deux composantes de la mouvance islamique : l'AKP qui dirige la Turquie depuis 2002 aux termes de processus électoraux démocratiques et la confrérie du prédicateur F. Gülen, qui l'a soutenu dans son accession au pouvoir et qui par sa grande influence et a progressivement infiltré de nombreux organes de l'Etat (éducation, justice, police...). Ce conflit va conduire à des purges dans certaines institutions et à des mesures visant à limiter l'influence et les ressources du mouvement güleniste (fermeture de centres d'enseignement). Dans la nuit du 15 au 16 juillet, une tentative de coup d'Etat est menée impliquant certaines composantes de l'armée 65 ( * ) , avec des opérations militaires contre le palais présidentiel, la Grande Assemblée nationale, et différentes unités de la police et de l'armée. Elle est rapidement déjouée par les forces armées et de la police restées fidèles au Président de la République. Le bilan de ces évènements fait état de 290 personnes tuées dont 114 loyalistes, et 1 440 blessés. L'opération a été attribuée à un « Conseil de la paix dans le pays », une faction de l'armée que le gouvernement accuse d'être liée à Fethullah Gülen.

Cette situation a entraîné la proclamation de l'état d'urgence qui sera prolongé pendant 2 ans, et la suspension de la Convention européenne des droits de l'homme, en application de l'article 15, pendant sa durée. La durée maximale des gardes à vue est prolongée de trois à trente jours Des arrestations massives et de nouvelles purges dans l'armée, la justice et les services de l'Etat sont opérées (voir infra p. 85)

Ces différents évènements vont conduire au renforcement du caractère autoritaire du régime et se traduire par une concentration du pouvoir entre les mains du Président de la République, une renforcement de son emprise sur le parti AKP, une reprise du contrôle de l'armée et des administrations, une alliance avec les mouvances nationalistes (MHP), de nouvelles restrictions des libertés publiques et un durcissement de la répression de toutes les formes d'opposition et un retour à la gestion sécuritaire de la question kurde.

2. L'affirmation institutionnelle : la présidentialisation

A l'issue du mandat d'Abdullah Gül (2007-2014) et en application des nouvelles règles constitutionnelles adoptées en 2007, l'élection présidentielle doit se dérouler au suffrage universel direct. Le 10 août 2014, R.T. Erdogan est élu, dès le premier tour avec 51,79% des voix.

Dès la déclaration de sa candidature, R.T. Erdogan a donné sa vision de la fonction présidentielle, celle d'une instance politique entendue comme le « poumon du système ». Cette conception de la présidence a dès lors prévalu.

a) Un système présidentiel de fait

Grâce à son élection au suffrage universel direct et à sa position de chef du parti majoritaire au Parlement, le Président de la République bénéficie d'un ascendant certain au sein des organes exécutifs.

Le Premier ministre, personnage clef des institutions parlementaires turques jusqu'ici, est progressivement affaibli. Il perd le leadership de la majorité. Il est soumis aux directives du Président qui le nomme et le révoque. Dès son accession au pouvoir, M. Erdogan désigne seul son Premier ministre, Ahmet Davutoglu. Son renvoi, en mai 2016 66 ( * ) , est le signal probant du dualisme ainsi instauré. Le chef de l'Etat assure la présidence constante et active du conseil des ministres. Il est le véritable chef de l'exécutif.

Ainsi, dès 2014, le régime politique de la Turquie est devenu d'essence semi-présidentielle, alors même que, depuis la Seconde Guerre mondiale, il était toujours resté parlementaire, en dépit des coups d'État et des tentatives de renforcement de la présidence qui les avaient parfois accompagnés.

Pour conforter sa position de chef du parti majoritaire, R.T. Erdogan va faire procéder dans la perspective des élections législatives de 2015 à un profond renouvellement du personnel parlementaire et écarter des figures de proue élues depuis 2002. Lors des élections législatives de juin, l'AKP connaît son premier revers électoral important (40,87 % des voix et 258 sièges 67 ( * ) sur 550) perdant ainsi la majorité absolue qui lui avait permis de gouverner seul depuis 2002. Cette élection voit une stagnation du CHP (sociaux-démocrates kémalistes : 24,95 %, 132 sièges), une progression significative du MHP (nationaliste d'extrême-droite : 16,29 % et 80 sièges), et l'entrée en force du HDP, pro-kurde, avec 12,9 % et 80 mandats. Face à l'impossibilité de constituer un gouvernement, de nouvelles élections législatives sont convoquées en novembre, dans un contexte tendu caractérisé par la rupture du processus de paix avec le PKK et l'embrasement des villes des provinces kurdes (voir infra p. 81). Bénéficiant d'une aspiration au retour à l'ordre et à la sécurité, l'AKP retrouve sa majorité avec 49,5% des voix et 317 députés.

b) La présidentialisation complète des institutions
(1) Une volonté politique accomplie

L'objectif pour le président Erdogan reste la transformation du régime parlementaire en régime présidentiel, notamment pour constitutionaliser la pratique d'une présidence partisane.

Une situation plus instable sur le plan politique et sécuritaire encourage la poursuite du processus de concentration du pouvoir entre les mains du seul Président de la République. De fait, la période de mise en oeuvre de l'état d'urgence après le coup d'Etat du 15-16 juillet, lui permet d'exercer pleinement la fonction exécutive voire législative (publication de très nombreux décrets-lois) avec un Premier ministre fidèle, Benali Yildirim.

Elle lui permet, en outre, de gagner le soutien des nationalistes du MHP et de débloquer les équilibres politiques qui avaient empêché jusqu'à présent une réforme plus complète des institutions.

Ce soutien lui a été utile pour obtenir une majorité lors du référendum constitutionnel du 16 avril 2017 ; le « oui » a recueilli 51,41 % des suffrages exprimés.

(2) Un régime « présidentialiste» revendiqué

Cette révision de la Constitution permet au Président de la République d'être membre d'un parti politique 68 ( * ) et de dissoudre l'Assemblée, supprime la fonction de Premier ministre, une fonction qui existait depuis l'Empire ottoman, et l'entité collégiale et solidaire que constituait le gouvernement. Le Président est désormais le seul organe de la branche exécutive sans responsabilité politique devant la GANT. La révision réduit en outre l'indépendance de la magistrature. 69 ( * )

Le nouveau régime politique de la Turquie n'est pas un régime présidentiel classique puisque la séparation stricte des pouvoirs en est absente, mais un régime « de gouvernement par la présidence de la République ». Le président conserve les prérogatives d'un chef de l'État parlementaire neutre, acquiert celle d'un Premier ministre leader de la majorité au Parlement ce qui a pour effet d'inhiber tout élément pouvant faire office de contrepouvoirs. En outre, la simultanéité des élections présidentielle et législatives est destinée à favoriser une coïncidence des majorités et à assurer le Président de la République d'une majorité de soutien au sein de la GANT. La prééminence présidentielle, de fait, est totale. Le Président cumule l'ensemble des prérogatives de l'exécutif. La nature partisane du chef de l'État constitue un élément essentiel de la qualification du régime politique, notamment en ce qu'elle aboutit à une concentration, voire à une confusion des pouvoirs. Enfin, l'entrée en vigueur complète du système présidentiel, y compris l'abolition du poste de Premier ministre et d'autres fonctions telles que les sous-secrétaires des ministères, a conduit à une plus grande politisation de l'administration publique. Le Président a maintenant le pouvoir de nommer les chefs de la grande majorité des autorités de régulation publiques.

Une concentration des pouvoirs

La révision prévoit une interdépendance organique des pouvoirs au profit du Président : celui-ci a le pouvoir de provoquer de nouvelles élections législatives (droit de dissolution de la GANT), prérogative qui met également en jeu le mandat présidentiel et la simultanéité des élections. La GANT dispose également de cette faculté à la majorité des 2/3. Le but est d'assurer que l'exécutif a la même vision politique que le législatif. La simultanéité des élections favorise en outre la discipline du parti, elle garantit au Président une majorité personnelle alors que son élection directe lui procure la légitimité nécessaire à construire son leadership.

Au-delà des rapports organiques, la spécialisation fonctionnelle est relative : le Président n'éprouve aucune difficulté à inviter les parlementaires de sa majorité à proposer les réformes désirées. Il dispose du droit de message et détient une arme conséquente avec le veto présidentiel qui n'est surmontable qu'à la majorité absolue du nombre total de députés. Avec la suppression du Premier ministre, la fonction exécutive est entièrement dévolue au Président (usage des décrets présidentiels qui forment un pouvoir réglementaire autonome) et la composition politique de la GANT peut aboutir à une inhibition du pouvoir législatif.

En outre, la révision de 2017 ne laisse que peu de place au contrôle parlementaire sans Premier ministre, ni gouvernement, il n'y a plus ni vote de confiance, ni censure. Les ministres et vice-présidents sont responsables devant le Président. Le pouvoir présidentiel en matière budgétaire s'élargit. L'instauration de commission d'enquête ne peut se faire qu'à l'initiative la majorité absolue du nombre totale des députés et doit recueillir 3/5 du total des votes. Ceci traduit par un affaiblissement de la GANT.

Cette duplicité devient préoccupante au regard des prérogatives présidentielles liées à la fonction juridictionnelle, notamment à travers les pouvoirs de nomination des juges au sein des plus hautes juridictions. Aucun rééquilibrage n'a eu lieu lors de la réforme de 2017, ni pour la Cour constitutionnelle (12 membres sur 15 désignés par le Président), nomination exclusivement politique des membres du Haut conseil des juges et des procureurs (6 par le Président, 7 par la GANT).

D'après Aysegul Fistikc « le Statut partisan du chef de l'Etat turc » - Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux n°16, 2018

(3) Une mise en oeuvre accélérée

La présidentialisation est accru par une accélération du tempo politique. La réforme du système ne devait prendre effet qu'en 2019, date prévue pour les prochaines élections législatives et présidentielle. Les échéances sont anticipées, aux termes d'un accord politique entre l'AKP et le MHP. Cet accord prévoit le vote en mars 2018 d'une loi sur l'alliance électorale, qui permet au MHP grâce à une forme d'apparentement avec l'AKP d'être exonéré du seuil des 10% et de s'assurer d'une représentation au Parlement ; en contrepartie, il ne présente pas de candidat à l'élection présidentielle et soutien R.T. Erdogan. Le Président annonce alors la tenue d'élections présidentielle et législatives, désormais simultanées le 24 juin 2018.

Il est réélu comme président dès le premier tour de l'élection présidentielle 70 ( * ) avec 52,59% des suffrages exprimés.

Le même jour, les élections législatives donnent la majorité absolue à l' « Alliance populaire » AKP/MHP (53,66% et 344 sièges sur 600) 71 ( * ) , mais l'AKP perd la majorité absolue sans l'apport du MHP. L' »Alliance de la nation » constituée du CHP, du Bon Parti (dissident du MHP) et du Parti de la fidélité ( Saadet , islamiste traditionnaliste) obtient 33,94% des voix et 189 sièges 72 ( * ) , le HDP 11,70% et 67 sièges.

À l'issue des élections, et avant la levée de l'état d'urgence (le 18 juillet 2018), une série de décrets majeurs ont été pris afin de procéder à la restructuration complète de l'exécutif rendue nécessaire par la disparition du poste de Premier ministre. Ces décrets, qui ont réduit le nombre de ministères à seize et centralisé la plupart des instances administratives autour de la présidence, font entrer la Turquie dans une nouvelle ère.

L'instauration du régime présidentiel est acquise, mais ce régime est déséquilibré car la séparation des pouvoirs n'est pas établie en l'absence d'autonomie du Parlement monocaméral qui reste dominé par l'AKP dont R.T. Erdogan reste le président, allié au MHP.

Cette concentration institutionnelle, surtout lorsqu'elle est combinée avec une concentration au sein du parti majoritaire, voire à un cercle plus restreint, peut conduire à un affaiblissement de la qualité de la gouvernance : moindre résilience aux phénomènes de clientélisme et de corruption alors que la moralisation des moeurs politiques est un axe majeur du programme de l'AKP, prises de décision sans débats suffisants, pression sur des autorités indépendantes en charge de politique de régulation comme il a pu être observé sur la Banque centrale dans sa politique de taux.

Le Conseil européen du 18 juin 2019 sur l'élargissement a rappelé que « les dernières modifications apportées à la Constitution turque, qui ont établi le nouveau système présidentiel, ont fait l'objet d'une évaluation critique de la part de la Commission de Venise 73 ( * ) et ont supprimé de nombreux contre-pouvoirs qui existaient auparavant, mettant en péril la séparation des pouvoirs ».

On notera également que cette séquence intensive de consultations électorales et référendaire se déroule dans un contexte de tensions et sous l'état d'urgence décrété le 20 juillet 2016 et qui ne sera levé qu'à l'issue de cette séquence le 18 juillet 2018. Dans son rapport sur la Turquie publié en mai 2019 74 ( * ) , la Commission européenne relève que ces élections comme d'ailleurs les élections municipales de mars « ont été marquées par une forte participation. Les électeurs avaient un véritable choix malgré l'absence de conditions permettant aux candidats de participer sur un pied d'égalité. Le parti au pouvoir jouissait d'un avantage notable, qui se traduisait également par une couverture excessive par les médias publics et privés affiliés au gouvernement ».

Pour les observateurs internationaux tels que le Conseil de l'Europe ou l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les conditions dans lesquelles se sont déroulés ces scrutins, pourtant capitaux pour l'avenir de la Turquie, n'ont pas été équitables.

Une altération des conditions de déroulement des campagnes électorales

Le 8 février 2017, un décret-loi, adopté dans le cadre de l'état d'urgence, a retiré à la commission électorale suprême le droit d'infliger des sanctions aux radiodiffuseurs ayant failli à leurs obligations de couvrir les campagnes électorales de manière impartiale. Dans le même temps, l'achat illimité de publicités politiques dans les médias a été autorisé.

Dans son avis du 13 mars 2017, la Commission de Venise alertait sur les conditions dans lesquelles la campagne électorale engagée pour le référendum allait se dérouler. En effet, le parti au pouvoir, l'AKP, a pu interdire certaines réunions et faire pression sur les médias durant la campagne. Des fraudes ont été dénoncées lors du scrutin du 16 avril 2017. En effet, des bulletins qui n'étaient pas estampillés par une commission de bureau de vote ont pourtant été pris en compte.

Enfin, les élections du 24 juin 2018 se sont déroulées avec plus d'un an d'avance. Des modifications ont été apportées à la loi électorale dans les mois précédant le scrutin ce qui est contraire au code de bonnes pratiques en matière électorale de la Commission de Venise. Les nouvelles dispositions prévoient que les commissions de bureau de vote seront obligatoirement présidées par un fonctionnaire et plus par des représentants de partis politiques. En outre, les gouverneurs de région pourront exiger le déplacement ou la fusion de bureaux de vote pour des raisons de sécurité ou assigner des électeurs à un autre bureau de vote que celui correspondant à leur domicile. Enfin, les bulletins n'auront plus à être estampillés par une commission de bureau de vote pour être pris en compte.

Au cours de la campagne, les candidats n'ont pas eu les mêmes possibilités pour diffuser leur message. 80 % des médias ont fait campagne pour M. Recep Tayyip Erdogan alors que M. Selahattin Demirtas était en prison et ne communiquait que via les réseaux sociaux ou des messages enregistrés. En effet, plusieurs médias sont dépendants de contrats publics ou sont la propriété de personnes proches du pouvoir. Les observations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ont souligné les inégalités entre les candidats.

3. La reconquête interne de l'AKP et la reconfiguration de son discours
a) La reprise en main de l'AKP

Comme l'indique Ahmet Insel 75 ( * ) , l'AKP a pendant longtemps présenté plusieurs visages : conservateur-libéral à l'adresse des classes moyennes urbaines, libéral-démocrate pour le monde occidental et nationaliste-islamiste vis-à-vis électeurs islamistes. Comme parti de masse, il cherche le soutien d'au moins la moitié du corps électoral et continue de disposer de ces trois facettes. Si dans la première moitié de sa présence au pouvoir, il offre plutôt un visage libéral en économie, conservateur sur le plan culturel et plutôt démocrate sur le plan politique, c'est le côté autoritaire et islamiste qui a commencé à dominer dans la seconde moitié.

Au cours de l'été 2014, R.T. Erdogan provoque un rajeunissement des cadres provinciaux de l'AKP et écarte nombre de ses compagnons de route de la première heure, rappelant ainsi que la règle interne à l'AKP selon laquelle un député ne peut faire plus de trois mandats sera appliquée rigoureusement. Cette politique sera poursuivie pour la désignation des candidats aux élections législatives de 2018 et municipales de 2019.

b) Le contrôle affermi de la mouvance islamiste

Dès la période de lutte contre les autorités de tutelle et au fur et à mesure que celles-ci étaient affaiblies et qu'aux termes d'incidents, elles étaient « purgées » de leurs éléments les plus attachés à la préservation de la doxa kémaliste, un champ libre a été laissé pour la nomination et la promotion de militaires, magistrats et fonctionnaires plus en phase avec les idées promues par le gouvernement. La confrérie dirigée par Fethullah Gülen qui dispose d'un réseau éducatif solide 76 ( * ) s'est trouvé ainsi en bonne position pour pourvoir à ces postes et prendre une position influente au sein de certaines juridictions et administrations.

Soutien de l'AKP dans cette phase d'affirmation de la démocratie, la confrérie a adopté une attitude plus critique au fur et à mesure de l'affirmation de son influence au début des années 2010. Elle est entrée en conflit avec l'AKP dont le pouvoir repose sur les instances politiques élues, laquelle s'est efforcée de limiter puis d'éradiquer son influence par des nouvelles purges. Le conflit a atteint son paroxysme avec le coup d'Etat déjoué de juillet 2016 et la répression qui a suivi.

Depuis le pouvoir s'est assuré d'un meilleur contrôle du Diyanet, présidence des affaires religieuses, instaurée à l'époque kémaliste pour contrôler les imams dont elle assure de recrutement en tant que fonctionnaires de l'Etat et auxquels elle adresse des orientations précises. Dès l'arrivée au pouvoir de l'AKP, la Présidence des affaires religieuses a vu son budget multiplié par quatre (il a atteint 2 Mds $ en 2015). L'administration emploie 150 000 personnes et pèse plus que nombre de ministères. Les imams se sont vus également confiés une mission d'encadrement social.

Il s'assure également de l'appui de confréries traditionnelles rivales de la confrérie de F. Gûlen, le Hizmet , trop ouverte, selon elles, à la modernité et à l'international, laquelle est désormais interdite et considérée comme une organisation terroriste. Cette politique d'appui passe par l'attribution de certaines faveurs et par quelques inflexions politiques. Selon Tancrède Josseran 77 ( * ) , « la chute du Hizmet profite largement aux confréries issues de la Nakchibendiya 78 ( * ) . Plus rudimentaires, moins puissantes, dépourvues de projet aussi réfléchi que les « fetthullahçi », elles se coulent au creux de l'appareil d'Etat à l'affût de rente » et de citer quatre d'entre-elles de sensibilités différentes : Erenkoy, suleymançis, Ismailaga et menzils, certaines pouvant être idéologiquement proches du MHP. L'apport de ces confréries reste faible en termes de puissance électorale (évalué à 6% du corps électoral) mais peut être marginalement décisif sans compter leur influence. L'accord implicite passé par le pouvoir est de n'en favoriser aucune et de jouer désormais sur leur mise en concurrence pour s'assurer de leur soutien.

Pourtant, cette politique semble avoir relativement peu d'impact sur la pratique religieuse d'une société en constante transformation par l'évolution des équilibres démographiques 79 ( * ) , des modes de vie urbain 80 ( * ) et son ouverture au monde ( voir infra p 112 ).

c) Une affirmation toujours plus forte de la « synthèse turco-islamique »

Cette reconquête se caractérise également dans le champ idéologique par une affirmation toujours plus forte de la synthèse turco-islamique, qui était plutôt l'apanage de la droite extrême, avec laquelle l'AKP a fait alliance pour les élections présidentielle et législatives de 2018.

L'idéologie sous-jacente qui appuie la personnalisation du pouvoir est une construction qui mobilise autant l'héritage kémaliste que l'appel à la tradition néo-ottomane, le nationalisme et le retour à l'islam.

Comme le souligne l'historien turc Taner Akçam, le nouveau régime a instauré de facto une « Seconde République » qui, par de nombreux aspects, s'inspire de la Première, fondée en 1923 par Mustafa Kemal. Le président actuel réalise une sorte de synthèse des aspirations politiques turques du XXe siècle : islamiste, nationaliste, libéral et étatiste, conservateur, néo-ottoman... Il incarne en partie la « synthèse» théorisée dans les années 1970 par un courant conservateur et adoptée par la junte militaire au début des années 1980 : une alliance du nationalisme turc moderne et de la tradition islamique.

(1) La remise en valeur de l'islam et du passé ottoman

Vis à vis de l'opinion publique, il a su mobiliser un passé mythifié des Turcs qui doivent redevenir fiers de leurs ancêtres ottomans et des musulmans. L'AKP « assume l'héritage d'une marche commencée depuis des siècles ... » dont la commémoration marque les grands rendez-vous : centenaire de la République en 2023, 600 ème anniversaire de la prise de Constantinople (en 2053), et millénaire de la bataille de Manzikert en 2071.

Il affiche plus ouvertement le projet de former une jeunesse pieuse : réouverture des collèges d'imams et de prédicateurs fermés en 1998 81 ( * ) , introduction de cours optionnel de religion dans les programmes scolaires grâce à la « charte des valeurs éducatives », activation du rôle de la Diyanet (présidence des affaires religieuses) et des imams comme agents d'encadrement social, progression de la séparation des filles et des garçons dans les établissements scolaires, augmentation des pratiques de police des moeurs dans le milieu étudiant et dans le domaine culturel, autorisation accordée aux autorités religieuses de célébrer les mariages, entamant l'une des institutions majeures de la laïcité turque, construction de nouvelles mosquées...

Au fil de la consolidation du pouvoir, l'assurance de représenter le « vrai peuple » a conduit enfin les dirigeants de l'AKP à intervenir de plus en plus fortement sur les libertés individuelles au nom des principes moraux prescrits par la religion dominante du pays, non pas tant par des interdits légaux que par une intégration légitime dans les pratiques des autorités intermédiaires (préfets, directeurs d'école, commissaires de police, président d'université) et des médias publics qu'il contrôle et privés dont, une large partie lui sont acquis à la suite de rachats par des entrepreneurs alliés.

(2) Le maintien de la posture nationaliste

Le second ressort est le nationalisme à usage interne, une corde sensible chez de nombreux Turcs. Le nationalisme, qui fait consensus au sein de la population turque, bien au-delà de l'électorat de l'AKP, est d'ailleurs la pierre angulaire de son action depuis 2015. Que ce soit en interne, dans le cadre de son alliance avec MHP et d'autres factions nationalistes panturquistes, ou à l'extérieur, dans son rapprochement avec la Russie et avec l'Iran.

De ce point de vue, il apparaît comme un continuateur du kémalisme dont toute l'action a été dominée par le nationalisme, tout en adoptant une posture plus haute et plus revendicative. Dans des dossiers comme celui de la reconnaissance du génocide arménien du début du XX ème siècle, ou la gestion des revendications autonomistes kurdes, force est d'observer un raidissement de la posture. La mainmise sur la justice, les ingérences dans le mode des médias ou sur les universités, et le renforcement de l'État sécuritaire s'inscrivent dans cette continuité. Enfin, l'exercice autoritaire du pouvoir qui tend à considérer toute opposition comme ennemie de l'État est aussi un élément de continuité. Au point que certains se demandent si l' « État profond », loin d'être anéanti, n'a pas été simplement remplacé au profit du nouveau régime.

L'AKP n'aurait donc pas transformé l'État autoritaire mais se seraient substitué à ses anciens occupants sans changer fondamentalement ni les structures, ni les pratiques, selon une conception instrumentale de la démocratie. Comme le fait remarquer Ahmet Insel 82 ( * ) , « à la décharge de l'AKP, cette vision instrumentale et utilitariste de la démocratie ne lui est pas propres, elle est largement partagée dans la société...L'autoritarisme et la conception très instrumentale de la démocratie s'inscrivent dans la continuité historique de la République ».

Cette attitude est pour partie en phase avec l'opinion publique dont l'aspiration à l'homogénéité est forte. L'indivisibilité de l'État avec sa nation et son territoire est devenue le mythe fondateur et la recherche d'homogénéité sociale est largement diffusée dans la société, ce qui explique le caractère tabou de toute remise en cause de dénis historiques comme le génocide arménien, et la volonté assimilatrice de toutes différences y compris dans les pratiques religieuses. La société se sentant en permanence menacée dans son unité, elle est plutôt encline à produire les conditions d'exercice de l'autoritarisme.

Cette attitude explique également le grand soin que le pouvoir attache au contrôle des diasporas turques vivant à l'étranger. Certes leur apport électoral n'est pas négligeable (supérieur à 2 millions d'électeurs aux élections du 24 juin 2018) 84 ( * ) ; elles sont surtout des relais d'influence que le pouvoir entend mobiliser au service des intérêts de la Turquie et sont animés par des structures diverses. 85 ( * )

Depuis le coup d'État manqué de 2016, cette polarisation tend à dépasser les frontières et à éloigner la Turquie du modèle occidental d'un point de vue tant sociétal que politique. Les Occidentaux sont regardés avec méfiance et tout évènement, action ou parole, jugé par les dirigeants de l'AKP et la presse proche du pouvoir comme des pressions destinées à ruiner les efforts de la Turquie pour prendre la place qui lui revient sur la scène international, renouant avec une tradition de victimisation et de désignation assez systématique d'ennemis réels ou imaginés.

4. Un retour des affrontements avec la guérilla kurde et une répression qui touche la société civile kurde dans son ensemble
a) Le conflit syrien a eu raison du processus de paix amorcé en 2012

A partir de l'été 2015, on assiste à une reprise des hostilités entre le PKK et les forces de sécurité turques.

Ce retournement s'opère dans un contexte d'instabilité dans le voisinage immédiat de la Turquie avec la crise syrienne. La prise de contrôle du nord de la Syrie, à la frontière turque, par les Forces démocratiques syriennes, coalition au sein de laquelle les YPG (Unités de protection du Peuple), bras armé du PYD (Parti de l'union démocratique) et forces liées au PKK, ont pris une place prépondérante , grâce au soutien des États-Unis et des membres de la coalition qui voient dans ces forces un allié efficace pour mener la lutte contre l'organisation État islamique (Daech) en Irak et en Syrie, est perçue par la Turquie comme une menace directe pour sa sécurité. Elle va d'ailleurs s'impliquer militairement dans le conflit, de façon limitée, pour empêcher une extension de la zone contrôlée par les forces kurdes et notamment une jonction entre le secteur situé à l'est de l'Euphrate et la région d'Afrin au nord-ouest de la Syrie.

Kobané, symbole de résistance kurde à Daech et point de rupture du processus de paix

Le siège de la ville frontière de Kobané à l'automne 2014 a un impact direct sur la dégradation du climat en Turquie. La passivité du gouvernement turc face au siège de la ville par les forces jihadistes alimente la mobilisation du HDP. À l'appel du parti pro-kurde, beaucoup de militants rejoignent alors la frontière et de multiples manifestations de soutien aux populations assiégées sont organisées. Elles tournent parfois à l'émeute avec des affrontements entre partisans du mouvement kurde et des groupes nationalistes, islamistes et/ou progouvernementaux. Un couvre-feu est déclaré dans de nombreuses municipalités, principalement dans les régions kurdes, bien que des mobilisations soient aussi importantes dans d'autres régions et dans les métropoles de l'ouest du pays.

La polarisation croissante de la scène politique turque s'accroît avec les bons résultats du HDP aux élections de juin 2015 et la progression des forces kurdes en Syrie.

Comme l'observe Yohanan Benhaïm 86 ( * ) , « malgré des avancées entre le gouvernement turc et le mouvement kurde quelques mois plus tôt, jetant pour la première fois les bases d'une discussion possible entre les deux parties, « le processus de paix vole en éclats en juillet 2015 » .

b) Le PKK s'est lancé dans une « guerre des villes » vouée à l'échec

Les succès militaires obtenus par les YPG en Syrie et sa popularité à la suite du siège de Kobané, incitent le PKK à opter pour une stratégie de guérilla urbaine dans les villes à majorité kurde du sud-est de la Turquie, en utilisant des tactiques de combat éprouvées dans sa lutte contre Daech en Syrie 87 ( * ) . Le gouvernement turc réagit très violemment. Les insurgés sont écrasés par les forces de sécurité turques au cours d'une guerre des villes qui se déroule de l'automne 2015 au printemps 2016. Les combats font plus de 4000 morts, dont plusieurs centaines de civils 88 ( * ) , et on dénombre plus de 500 000 déplacés internes à la fin de l'année 2016. Les quartiers insurgés sont détruits afin d'éviter le retour des populations locales et le maintien des liens de solidarité. Un mur est construit le long de la frontière avec la Syrie.

Devant l'ampleur des dégâts matériels, le gouvernement turc s'engage à reconstruire les quartiers détruits et annonce, à l'automne 2016 un plan de 3,5 Mds $ pour la construction de 36 000 nouveaux logements, de nombreuses infrastructures et d'une cinquantaine de commissariats et de bases militaires, mais cette reconstruction se traduit aussi par une expropriation des populations restées sur place.

Dès la fin juillet 2015, la Turquie a lancé des raids aériens contre l'organisation État islamique en Syrie et contre le PKK en Irak, avant de concentrer ses frappes contre ce dernier, puis mener plusieurs opérations militaires successives en 2016 pour mettre un frein à la continuité territoriale 89 ( * ) et en 2018 pour détruire les capacités de gouvernance kurde en Syrie 90 ( * ) (voir supra p. 51 et suiv.), et des raids au nord-est de l'Irak, en vue de menacer le PKK dans ses bastions du mont Qandil et de mener des assassinats ciblés contre ses hauts responsables. Il justifie ces opérations extérieures, qui se poursuivent sans interruption depuis, par la légitimité de la Turquie à intervenir dans cet espace transfrontalier pour défendre son intégrité territoriale contre le PKK.

c) Une répression de grande ampleur qui touche le mouvement kurde dans son ensemble

S'il ne faut pas sous-estimer la violence d'une organisation terroriste comme le PKK ou comme le groupe radical TAK ( Faucons de la liberté du Kurdistan ) qui ont revendiqué plusieurs attentats visant des cibles policières 91 ( * ) après la reprise du conflit kurde à l'été 2015, la criminalisation frappe le mouvement kurde dans son ensemble.

La Commission européenne, dans son dernier rapport de mai 2019 92 ( * ) , note que la situation dans le sud-est a continué d'être difficile, malgré l'amélioration de l'environnement de sécurité. « Le gouvernement a poursuivi ses opérations de sécurité dans le contexte de violence récurrent de la part des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui restent sur la liste de l'UE des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme. Alors que le gouvernement a un droit légitime de lutter contre le terrorisme, il lui incombe également de veiller à ce que cela soit fait dans le respect de l'état de droit, des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les mesures anti-terroristes doivent être proportionnées. »

Si des opérations de police ont pu permettre de découvrir des armes, l'ampleur des arrestations et des condamnations interroge 93 ( * ) . Des milliers de militants sont arrêtés, mis en détention et condamnés dont de nombreux membres du HDP, y compris des députés et son président S. Demirtaç 94 ( * ) , mais aussi de représentants d'associations, de syndicalistes, d'universitaires ou de simples soutiens du mouvement kurde ou des personnes qui se sont élevées contre l'ampleur des mesures de répressions 95 ( * ) .

En août 2018, 95 des 102 maires élus lors des élections de mars 2014 ont été remplacés par des administrateurs directement nommés par le gouvernement turc.

La répression touche aussi les médias proches du mouvement kurde ou des milieux de gauche et plusieurs centaines d'organisations de la société civile et d'associations des régions de l'Est, souvent proches du mouvement kurde, qui ont été fermées.

S'agissant des personnes expulsées ou déplacées à l'intérieur du pays dans les zones de combat, seules quelques-unes ont été indemnisées.

d) Une marginalisation limitée du mouvement kurde

Sur le plan politique, la reprise de la guerre avec le PKK a, dans le même temps, alimenté l'autoritarisme croissant du président Erdogan, et scellé une alliance entre l'AKP et le MHP (voir supra p. 74) ce qui entraîne la diffusion d'un discours ultranationaliste belliqueux.

Le déroulement de la campagne pour les élections présidentielle et législatives de juin 2018 ont été particulièrement difficiles pour le HDP dont les capacités ont été amoindries par les centaines d'arrestations qui ont visé ses membres partout dans le pays, dont celle de son président S. Demirtas qui a fait campagne depuis sa prison. Les élus locaux et les militants du parti ont fait l'objet des actes de violence. Contrairement à l'AKP dont la campagne a été surmédiatisée, celle du HDP n'a quasiment pas été relayée par les médias. Enfin, le scrutin s'est déroulé avec une très forte présence des forces de sécurité dans les régions de l'est même si aucune fraude massive n'a été constatée.

En dépit de ces conditions difficiles, le HDP est parvenu à franchir la barre des 10 % aux élections législatives pour la troisième fois consécutive et à garder une place au Parlement et son candidat à l'élection présidentielle S. Demirtas s'est placé en troisième position avec 8,4 % des suffrages.

Par rapport aux élections de juin 2015, le HDP a confirmé son ancrage électoral dans les régions où il est traditionnellement plus faible, au sud, sur les bords de la mer Égée et dans les grandes métropoles de l'ouest (Istanbul et Izmir), mais il a perdu 400 000 voix dans les régions kurdes du sud-est du pays et de nombreux électeurs dans ses bastions traditionnels, fortement touchés par les combats. Ce recul sera confirmé aux élections municipales de 2019 qui se sont déroulées dans le même climat. Il remporte 8 grandes villes du sud-est au lieu de 10 et au niveau national il ne représente que 4,42% de voix. Sans doute peut-on voir dans ce recul, et notamment dans son effondrement dans certaines villes comme une conséquence de la politique qui a conduit à remplacer les maires HDP élus par des gouverneurs nommés sous l'état d'urgence, le déplacement de certaines populations et le rôle de déplacements massifs de policiers dans la région pour les élections.

Dans la première moitié des années 2010, le mouvement kurde de Turquie a connu une période d'enthousiasme liée à l'expérience de l'autonomie démocratique en Syrie et aux succès électoraux du HDP dans le pays, à laquelle a brutalement succédé, depuis 2015, une phase de retour à la guerre caractérisée par une violence extrême et une répression généralisée. La présidentialisation du régime et l'autoritarisme de R. T. Erdogan lui laissent dorénavant peu d'espace politique malgré une assise populaire importante.

Ce faisant, certains analystes, estiment qu'un retour de balancier n'est pas impossible. Afin d'éviter une cristallisation des forces d'opposition comme elle a pu se manifester lors des élections municipales dans certaines grandes agglomérations 96 ( * ) , le pouvoir pourrait renouer avec un processus d'apaisement et de reprise du dialogue, mais cela compromettrait probablement l'alliance avec le MHP.

5. Une épuration massive et une prise de contrôle de l'armée et de l'administration
a) Une épuration massive des administrations

Le coup d'Etat de juillet 2016 renforce la dynamique autoritaire du gouvernement et amplifie les purges dans l'armée, les services de sécurité, la justice, l'éducation et l'ensemble de la fonction publique. Celles-ci deviennent massives. Selon le rapport publié en avril 2018 par la Commission européenne, 115 158 fonctionnaires ont été mis à pied en deux ans ; sur la même période, 78 000 personnes ont été arrêtées. Dans son rapport pour 2019, la même Commission observe que les modalités d'examen de la légalité de ces décisions étaient encore largement insuffisantes et n'offrent pas de garanties procédurales efficaces.

Pendant l'état d'urgence, 36 décrets ont été publiés restreignant certains droits civils et politiques, ainsi que les droits de la défense, élargissant les pouvoirs de la police et des procureurs en matière d'enquêtes et de poursuites, et prévoyant le renvoi de plus de 152 000 fonctionnaires, y compris des universitaires, enseignants et fonctionnaires.

La Cour constitutionnelle a décidé qu'elle n'avait pas pour mandat de contrôler la légalité des décrets utilisant les pouvoirs légaux conférés pendant l'état d'urgence. Le Parlement en a examiné 32. En mai 2017, les autorités turques ont mis en place une commission d'enquête sur l'état de mesures d'urgence chargée d'examiner chacune des plaintes.

En mai 2019, 126 600 demandes avaient été déposées. Parmi celles-ci, la Commission d'enquête a examiné 70 406 et 5 250 seulement ont abouti à une réintégration, tandis que 65 156 plaintes ont été rejetées. Il y a 55 714 demandes en attente. Le taux de traitement des demandes soulève la question de savoir si chaque cas est examiné individuellement. En l'absence d'audiences, les requérants ne bénéficient généralement pas de garanties procédurales et les décisions sont prises sur la base des dossiers écrits relatifs au licenciement initial, ce qui remet en question le crédit de la Commission d'enquête.

Encore récemment des mandats d'arrêts ont été émis à l'encontre de 249 employés actuels ou anciens du ministère des affaires étrangères pour ce motif 97 ( * ) . La Cour européenne des droits de l'homme a communiqué au gouvernement turc le 3 juin 2019, 546 requêtes de magistrats portant sur la détention provisoire de magistrats à la suite de la tentative de coup d'État.

b) Une prise de contrôle « politique » des administrations publiques (un exemple : l'armée)

Outre le caractère de sanction disciplinaire qu'elles expriment, ces purges sont aussi des moyens de prises de contrôle des administrations et de l'armée.

Dans une étude publiée récemment Benjamin Gourisse décrit la mise sous contrôle définitive de l'institution militaire 98 ( * ) depuis la tentative ratée de coup d'État du 15 juillet 2016. Cet événement a en effet permis au pouvoir de mener une purge massive de l'institution, tandis que les réformes mises en place depuis lors - généralement par décret présidentiel - ont renforcé de façon inédite le contrôle du pouvoir civil sur les militaires qui avaient déjà été progressivement éloignés de la sphère politique (voir supra p.15 et suiv.)

Plusieurs vagues de purges ont touché l'armée turque. Selon le rapport de la Commission européenne 99 ( * ) , en décembre 2018, un total de 15 242 militaires officiers ont été renvoyés du service en raison de leurs liens présumés avec le Mouvement Gülen tandis que 5783 anciens militaires ont également été arrêtés en raison de leur implication alléguée dans le coup d'Etat évité. Benjamin Gourisse estime, quant à lui qu'au total, entre 2016 et les premiers mois de l'année 2018, ce serait donc plus de 40 000 militaires 100 ( * ) qui ont été démis de leurs fonctions, tandis que d'autres vagues de purges ont eu lieu depuis 102 ( * ) . Ces purges massives ont conduit à une profonde modification de la composition sociale et politique de l'institution militaire en provoquant la départ d'une bonne partie des militaires proches du Mouvement Gülen mais également des éléments kémalistes et à une perte de compétences le temps de leur régénération.

De surcroît les décrets promulgués depuis juillet 2016 et en juillet 2018 ont mis un terme à l'autonomie que pouvait encore revendiquer l'état-major, en renforçant les capacités de contrôle de l'exécutif sur l'armée.

Plusieurs réformes ont contribué à diminuer son influence et à multiplier les contrôles exercés à son endroit :

• intégration de la gendarmerie et du corps des garde- côtes au ministère de l'Intérieur.

• transfert du commandement des armées de terre, de l'air et de la marine au ministère de la Défense nationale, l'état- major ne jouant plus qu'un rôle de coordination.

• système de promotion interne placé sous le contrôle du gouvernement avec la réforme du Conseil militaire 103 ( * ) .

• responsabilité du chef d'état-major devant le ministre de la Défense nationale.

• élargissement des compétences de la Cour de contrôle de l'État 104 ( * ) sur les armées et les organismes associés, fondations et associations composées de membres de l'institution militaire, Université de la défense nationale et toutes les écoles militaires.

• remise à plat du système de formation des officiers.

• dissolution des cours militaires, transfert de la gestion des hôpitaux militaires au ministère de la Santé et fermeture de nombreuses entreprises dirigées par des militaires en fonction ou retraités.

Source : Benjamin Gourisse « L'armée turque : épuration et contrôle politique » Questions internationales n°94 novembre-décembre 2018

Par ces mesures, l'ensemble des dispositifs qui assuraient l'autonomie organisationnelle et financière de l'armée turque qui disposait jusqu'à présent de moyens très importants pour fonctionner tel un acteur politique à part entière, sont anéantis et l'armée est définitivement placée sous le contrôle du pouvoir politique. Cette situation ne serait pas en elle-même choquante - le modèle d'organisation n'est pas si éloigné du modèle français - dans le cadre d'une démocratie libérale dans laquelle la séparation des pouvoirs et les respects des droits seraient garanties. Dans le cadre d'un Etat en proie depuis quelques années à une concentration du pouvoir et à une régression de l'Etat de droit, elle peut entraîner de graves dérives, comme une politisation de l'armée et des administrations.

6. Des atteintes aux libertés plus nombreuses et plus sévères
a) Un recul important de l'Etat de droit en situation d'état d'urgence

La situation de l'Etat de droit et des libertés en Turquie a fait l'objet d'observations récurrentes dans les rapports de la Commission européenne de suivi du processus de candidature de la Turquie à l'Union européenne, les études régulières du Conseil de l'Europe et les travaux de nombreuses ONG.

Déjà en mai 2013, le mouvement de contestation au sujet du parc Gezi avait été sévèrement réprimé. Le gouvernement avait alors fait adopter une loi pour renforcer le contrôle d'Internet. Plus tard, en décembre 2013, à la suite de la révélation d'affaires de corruption un contrôle renforcé de l'exécutif sur le système judiciaire, notamment le Conseil supérieur de la magistrature avait été mis en place.

En 2015, la reprise de la lutte armée avec le PKK et les attentats terroristes commis par l'État islamique ont entraîné une dérive autoritaire du régime. Le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a dénoncé dès 2016 « le recours à une notion extrêmement large du terrorisme pour punir des déclarations non violentes et la criminalisation du moindre message qui semble simplement coïncider avec des intérêts perçus comme étant ceux d'une organisation terroriste ». Ce message a été relayé au mois de juin 2016 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dont la résolution1 soulignait le fait que certains articles du code pénal turc permettaient d'imposer d'importantes restrictions à la liberté d'expression.

La situation s'est significativement aggravée depuis la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016 qui a entrainé l'instauration de l'état d'urgence à partir du 20 juillet 2016 lequel a été renouvelé sept fois jusqu'à sa levée le 18 juillet 2018. Il permet au Président de la République de prendre des décrets-lois qui doivent être approuvés par le Parlement dans un délai de trente jours suivant leur publication, mais qui ne peuvent faire l'objet d'aucun recours judiciaire. Ces décrets ont permis l'organisation de purges massives aboutissant à la révocation de plus de 150 000 fonctionnaires (voir supra p. 85), l'arrestation de plus de 78 000 personnes 105 ( * ) et le placement en détention provisoire de plus de 44 000 personnes.

Même s'il est indéniable que la Turquie a dû faire face à une menace grave et imminente, les mesures prises apparaissent manifestement disproportionnées.

De nombreux décrets lois sont intervenus au cours de cette période pour renforcer les mesures de police comme l'allongement du délai de garde à vue à 30 jours. Certaines de ces dispositions ont ensuite été intégrées dans le droit commun ordinaire.

Un nombre très importants d'arrestations et de procès ont visé au-delà des membres et sympathisants de la confrérie de l'imam Gülen, la société civile, en particulier le milieu universitaire, les médias et les militants des droits de l'Homme, mais aussi les milieux économiques. À cela s'ajoute les personnes arrêtées en raison de leur participation ou de leur soutien réel ou supposé au mouvement kurde (voir supra p. 80).

Selon les chiffres du ministère turc de la justice, à la mi-juin, 3239 personnes avaient déjà été condamnées à l'issue de 261 procès, et 28 procès sont en cours, dans la cadre de la répression suivant le coup d'Etat. Le 20 juin dernier, 224 inculpés ont été jugés, dont une vingtaine d'anciens généraux. Parmi elles, 176 comparaissaient en détention provisoire, 35 libres et 13 absents. 151 personnes ont été condamnées à la prison à vie (dont 128 à des peines de prison à vie aggravées) notamment pour « tentative de renversement de l'ordre constitutionnel, assassinat et tentative d'assassinat », 33 personnes ont été relaxées et 27 condamnées à des peines allant jusqu'à 20 ans de prison pour « appartenance à une organisation terroriste »

Plusieurs organismes internationaux, dont la Commission européenne et la Commission de Venise, ainsi que les ONG ont alerté sur la situation dégradée des droits de l'Homme. Le 24 novembre 2016, le Parlement européen a voté une résolution demandant le gel des négociations avec la Turquie « en raison des mesures répressives disproportionnées prises par Ankara dans le cadre de l'état d'urgence instauré depuis la tentative de coup d'État du 15 juillet ».

Ces rapports mettent également en avant de graves reculs dans les domaines des droits de l'Homme, notamment sur la liberté d'expression, y compris la liberté de presse, la liberté d'assemblée et d'association, la protection des défenseurs des droits de l'Homme, les droits de propriété et les droits procéduraux. Aucune modification n'a été apportée à la législation introduite immédiatement après la levée de l'état d'urgence, qui a supprimé des garanties essentielles pour la protection des militants de la société civile, des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes, des universitaires et d'autres personnes. L'application des droits est entravée par la fragmentation et l'indépendance limitée des institutions publiques chargées de protéger ces droits et libertés, ainsi que par l'absence d'un pouvoir judiciaire indépendant. Les droits syndicaux continuent d'être soumis à de fortes pressions.

Aucune mesure n'a été prise pour enquêter, poursuivre ou punir les personnes impliquées dans de graves violations des droits de l'Homme commises pendant l'état d'urgence. Il existait un climat d'intimidation dans la société, l'état d'urgence ayant été utilisé pour réduire l'espace réservé aux opinions différentes. La peur d'être accusé de terrorisme est devenue omniprésente au sein de la société civile turque. Ainsi, les associations turques de défense des droits ont vu le nombre de leurs adhérents chuter de 75 %, passant de 200 000 environ à 50 000.

Aucune amélioration juridique n'a été apportée en ce qui concerne la suppression des garanties essentielles protégeant les détenus. En décembre 2018, le nombre total de personnes en prison sans mise en accusation ni procès en cours, était de 57 000 personnes, soit plus de 20 % de la population carcérale. Il y a surpeuplement et les conditions se détériorent.

Des restrictions sévères à la liberté d'expression ont été maintenues et la tendance à engager des poursuites à l'encontre d'écrivains, d'utilisateurs de médias sociaux et d'autres membres du public, même des enfants, pour avoir insulté le président s'est considérablement accrue.

Le manque de transparence quant à la propriété des médias continue de faire douter de l'indépendance du commentaire éditorial.

b) Les dysfonctionnements du système judiciaire

Ces dysfonctionnements de l'appareil judiciaire font fréquemment apparaître, sur le fondements d'enquêtes bâclées ou manipulées, avec parfois des preuves fabriquées de toute pièce par l'accusation, des qualifications juridiques approximatives qui dérivent trop facilement vers des crimes d'atteinte à la sûreté de l'Etat, et des mise en détention, des réquisitions et des condamnations disproportionnées par rapport aux actes commis. Ils montrent, qu'au-delà des évolutions législatives, il demeure en Turquie un véritable problème d'instrumentalisation de la justice à des fins strictement politiques, et de mise sous contrôle de l'institution judiciaire à travers les processus de nomination, de formation et de promotion des magistrats. Les instances en charge de ces actions sont loin d'être indépendantes (ce qui n'est pas une garantie infaillible contre une infiltration organisée sauf à être supervisée par un organe pluraliste) ou pluralistes ce qui permet de rechercher un consensus ou à tout le moins un équilibre dans la nomination.

Le Conseil européen sur l'élargissement et le processus de stabilisation du 18 juin 2019 a constaté « le recul persistant et très inquiétant de l'État de droit et des droits fondamentaux, notamment de la liberté d'expression ». Il met en exergue la détérioration actuelle de l'indépendance et du fonctionnement de la justice et « les restrictions, détentions, incarcérations et autres mesures qui continuent de viser les journalistes, les universitaires, les membres de partis politiques, y compris des parlementaires, les défenseurs des droits de l'Homme, les utilisateurs des médias sociaux et d'autres personnes exerçant leurs droits et libertés fondamentaux », comme. les récentes procédures judiciaires « visant les activités légitimes et légales des membres d'organisations de la société civile ».

La Commission européenne, dans son dernier rapport 106 ( * ) , relève qu'il y a eu d'autres reculs sérieux en matière judiciaire et que les recommandations de ses rapports précédents n'ont pas été acceptées ni appliquées.

Les pressions politiques exercées sur les juges et les procureurs et les mutations d'un grand nombre de juges et de procureurs contre leur volonté ont été poursuivies, qui un impact négatif sur l'indépendance, la qualité globale et l'efficacité du système judiciaire.

Le recrutement à grande échelle de nouveaux juges et procureurs dans le système actuel est préoccupant, car aucune mesure n'a été prise pour remédier à l'absence de critères objectifs, uniformes et préétablis pour leur recrutement et leur promotion même si l'Académie de justice de Turquie a été rétablie par décret présidentiel après avoir été fermée sous l'état d'urgence.

L'effet paralysant du licenciement et des mutations forcées de juges et de procureurs est toujours observé et risque de générer une autocensure généralisée.

Aucune mesure n'a été prise pour rétablir les garanties juridiques permettant de garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif ou de renforcer l'indépendance du Conseil de la magistrature et du parquet.

Le Président Erdogan a dévoilé le 30 mai une « Stratégie de réforme de la Justice » qui vise à améliorer le système actuel. Cette feuille de route qui « devrait permettre à la justice turque d'être en phase avec les critères européens dans ce domaine annonce des restrictions dans le domaine de la détention préventives, le renforcement du droit à un jugement équitable, des réformes visant à accroître la confiance des citoyens dans la justice, le renforcement de la liberté d'expression, des dispositions permettant de bloquer le contenu incriminé sur un site Internet et non plus le site dans son ensemble, une restructuration des procédures disciplinaires contre les juges et procureurs et un élargissement des voies de recours contre ces décisions disciplinaires, à la création de tribunaux spéciaux dans les domaines de l'environnement, de la construction et de l'énergie, la délivrance d'un passeport « vert » pour faciliter les déplacements internationaux des avocats, un droit de regard de la Cour suprême sur les décisions de justice concernant la liberté d'expression à l'issue des recours en appel, l'élargissement du contrôle électronique à domicile pour certains détenus ». En outre, la durée de formation dans les facultés de droit sera portée à 5 ans. Ces annonces ont été reçues avec un certain scepticisme par l'opposition qui met en avant l'absence de séparation des pouvoirs qui concentre les nominations des hauts magistrats relèvent du Président de la République (voir supra p. 73). Le Conseil européen du 18 juin a « pris note de l'adoption de la stratégie de réforme de la justice », mais considère que celle-ci « devra être prolongée par des mesures déterminées et concrètes de la Turquie et l'a invitée à mettre en oeuvre ses engagements et à produire des résultats clairs et concrets » à « renforcer sa coopération avec le Conseil de l'Europe et ses organes et institutions concernés, donner suite à leurs recommandations essentielles et mettre en oeuvre tous les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme conformément à l'article 46 de la CEDH ». Il a également souligné les questions relatives à la séparation des pouvoirs.

c) La levée de l'état d'urgence n'a que très marginalement amélioré la situation

Avec la levée de l'état d'urgence, la Turquie a retiré ses dérogations à la Convention européenne des droits de l'Homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Pour autant la situation ne s'est guère améliorée. Plusieurs décisions judiciaires favorables à des accusés de premier plan, notamment des défenseurs des droits de l'Homme, ont rapidement été infirmées par une autre, voire par un même tribunal, dans certains cas à la suite de commentaires de l'exécutif.

De nombreux défenseurs des droits de l'Homme, militants de la société civile, médias, universitaires, hommes politiques, médecins, avocats, juges et militants LGBTI sont toujours détenus - parfois sans mise en accusation, et font l'objet de campagnes de diffamation dans les médias et les discours de hauts responsables politiques. L'espace pour les organisations de la société civile travaillant sur les droits fondamentaux et les libertés s'est encore rétréci, comme en témoigne notamment l'introduction de nouveaux obstacles administratifs.

Les organisations fermées sous le régime de l'état d'urgence ne se sont vu offrir aucun recours légal en matière de confiscation.

La Turquie n'a toujours pas répondu aux principales recommandations du Conseil de l'Europe et de ses organes. Les allégations d'actes répréhensibles doivent être établies par des procédures transparentes et sur une base individuelle. La responsabilité pénale ne peut être établie que dans le respect total de la séparation des pouvoirs, la pleine indépendance du pouvoir judiciaire et le droit de tout individu à un procès équitable.

7. Une restructuration des forces politiques

Lors des élections législatives de juin 2015, la structure avec un parti dominant majoritaire (AKP) et trois partis d'opposition (CHP, HDP, MHP) qui caractérisait le système politique depuis 2007 est ébranlée à la fois par le résultat des nationalistes du MHP (16,2 %) et ceux du HDP (13,1 %).

Instruits par le bon score de leur candidat Selahattin Demirtas à la présidentielle de 2014 (9,6 %), les Kurdes ont présenté des listes partisanes plutôt que des candidats indépendants, comme ils en avaient pris l'habitude et franchi, le seuil des 10 % (voir supra p. 26). Cette double poussée a privé l'AKP d'une majorité absolue, qu'il ne retrouvera qu'en novembre, à l'occasion d'élections anticipées. L'élargissement de sa base électorale est devenu une nécessité. La fin du processus de paix avec les Kurdes en 2015 et l'instauration de l'état d'urgence à l'issue de la tentative de coup d'État en juillet 2016 poussent le parti au pouvoir à se rapprocher des nationalistes du MHP, d'autant plus enclins à une telle alliance qu'ils sont au même moment confrontés à la dissidence de Meral Aksener qui va déboucher sur la création du « Bon Parti ». Cette convergence AKP-MHP s'est avérée décisive.

Le 24 juin 2018, la victoire de R. T. Erdogan et de l'AKP, lors des élections législatives et présidentielle, n'aurait pu être obtenue sans cet appui. Dans la perspective de ce scrutin et de cette alliance, le parti au pouvoir a d'ailleurs modifié la loi électorale pour autoriser les coalitions partisanes (voir supra p. 74)

Avec 52,5 % des suffrages exprimés, le Président sortant a devancé largement, le candidat du CHP, son principal adversaire Muharrem Ince, crédité de 30,6 %. Parallèlement, l' « Alliance populaire » rassemblement de l'AKP et de MHP, a obtenu 53,6 % des voix et 344 sièges au Parlement (sur 600), tandis que l' « Alliance de la nation » , regroupement temporaire de l'opposition, réunissant le CHP, le Bon Parti et deux formations marginales, n'atteint que 33,9 %, et ne peut compter que sur 189 sièges.

En dehors de cette nouvelle victoire de l'AKP, les enseignements majeurs de ces élections concernent l'extrême droite et les Kurdes. Contrairement à ce qui était attendu, le MHP est parvenu à augmenter le nombre de ses sièges 108 ( * ) , tandis que le Bon Parti n'a franchi que de justesse le seuil des 10 % 109 ( * ) . (11,7 %). Alors que le gouvernement pariait sur la marginalisation du HDP, celui-ci a renforcé son groupe au Parlement (11,67 % des voix, 67 sièges) et placé son candidat à la présidentielle, Selahattin Demirtas, à la troisième place, quand bien même il était emprisonné. Ce résultat montre que, malgré sa gestion résolument sécuritaire de la question kurde et en dépit de l'abandon du processus de paix, l'AKP ne parvient pas à se défaire de ce phénomène politique kurde, qui perdure donc dans son propre système (voir infra p. 83).

Politiquement, au lendemain de ces élections, la Turquie est ainsi divisée trois blocs :

• le premier d'entre eux (50 % à 55 % du corps électoral), matérialisé par l'alliance AKP-MHP, reflète la confiance que les populations néo-urbaines et rurales continuent à témoigner à R. T. Erdogan pour améliorer leur niveau de vie dans le respect des valeurs traditionnelles, tout en concentrant tacitement des atteintes aux libertés.

• le deuxième bloc (30 % à 35 %), représenté par l'électorat du CHP et du Bon Parti, exprime les inquiétudes des élites et des secteurs les plus sécularisés de la société, face à la montée de l'autoritarisme et aux menaces contre la démocratie et l'État de droit.

• le troisième bloc (10 % à 15 %), qui incarne d'abord le fait politique kurde (et 60 % de l'électorat kurde), parvient à séduire, en particulier dans les grandes villes, un électorat turc de gauche, déçu par l'opposition traditionnelle.

L'opposition sort très affaiblie de ce scrutin. Le CHP est en proie à des querelles internes, son candidat malheureux à l'élection présidentielle contestant la direction du parti. Déçue par son résultat, Mme Meral Akçener semble vouloir prendre ses distances avec la vie politique, ce qui risque d'être fatal au Bon Parti. Quant aux dirigeants et aux militants kurdes, ils continuent d'être la cible d'une répression sévère, qui handicape leur action politique. Il semble donc que le règne de R.T. Erdogan et de l'AKP soit appelé à se prolonger sans difficultés politiques majeures jusqu'en 2023.

Toutefois, une analyse attentive des résultats lors des élections révélait déjà des signaux faibles d'une forme de lassitude de la population face à une hégémonie croissante d'un pouvoir dont les résultats économiques moins brillants altèrent la confiance que les résultats mitigés de l'AKP aux élections municipales, qui lui sont généralement favorables, vont confirmer. Si les candidats du parti obtiennent 44,72 % des suffrages au niveau national 110 ( * ) , ils perdent 6 des 7 plus grandes villes comme Ankara, et Istanbul dont les résultats ont été contestés, au profit du CHP. Néanmoins, il reste majoritaire dans 50 provinces sur 81 et l'Alliance au pouvoir détient 4/5 des conseils municipaux et la majorité des districts des grandes villes comme Ankara et Istanbul. Il progresse enfin dans les provinces kurdes, le HDP perdant beaucoup de terrain 111 ( * ) .

Il est à remarquer que la campagne électorale s'est déroulée dans un climat très défavorable à l'opposition qui a été privée de moyens d'expression dans les médias et notamment dans les provinces kurdes.

Le succès de l'opposition a été amplifié par les résultats de l'élection annulée une première fois pour la municipalité d'Istanbul. Alors qu'il ne disposait que de 13 000 voix d'avance en mars, M. Ekrem Imanoglou l'emporte avec 54% des suffrages et un écart 800 000 voix en juin.

Il est à remarquer que la campagne électorale s'est déroulée dans un climat très défavorable à l'opposition qui a été privée de moyens d'expression dans les médias et notamment dans les provinces kurdes.

L'émergence, au sein du CHP, principal parti d'opposition, d'une personnalité disposant d'une légitimité confirmée par l'amplification de sa victoire à Istanbul après une élection annulée à la demande du pouvoir constitue un témoignage de cette lassitude de l'opinion publique et un défi pour l'AKP et son leader dans la mesure où elle peut :

• d'une part, cristalliser les oppositions dans une forme tacite de non-agression : le HDP a appelé à voter pour le candidat CHP malgré la tentative de dernière minute de faire s'exprimer le leader du PKK emprisonné A. Ocalan en faveur de l'abstention, comme le Bon Parti déjà allié au CHP au Parlement. Le parti traditionniste islamiste Saadet avait maintenu son candidat malgré les demandes de retrait de l'AKP (à noter qu'il était membre de l'Alliance de la Nation avec le CHP aux législatives de 2018).

• d'autre part, susciter une réflexion interne au sein de l'AKP en faveur d'une réorientation du discours et des méthodes, avec le renforcement éventuel d'un courant plus libéral, qui à défaut pourrait essayer de créer son propre parti 112 ( * ) .


* 65 Le 27 juillet 2016, l'état-major des forces armées déclare que 8 651 militaires turcs, soit 1,5 % environ des effectifs, disposant de 35 avions, dont 24 avions de combat, de 37 hélicoptères, de 37 chars, de 246 véhicules blindés et de trois bâtiments de la marine ont été impliqués dans la tentative de coup d'État

* 66 Des désaccords apparaissent entre le chef de l'Etat et son Premier ministre sur de sujets essentiels : la reprise du processus de présidentialisation, relance du processus de paix avec les Kurdes, les tensions avec l'Union européenne. En mai 2016, le comité central de l'AKP retire au Premier ministre le pouvoir de nommer les dirigeants provinciaux du parti.

* 67 L'AKP perd 69 sièges par rapport à l'Assemblée sortante.

* 68 Cette réforme permet donc à M. Erdogan de redevenir le leader du parti.

* 69 Cette présidentialisation du système ne devait pourtant prendre effet qu'en 2019, date prévue pour les prochaines élections législatives et présidentielle. A la demande du MHP, le nouvel allié de l'AKP, ces dernières se sont pourtant tenues, de façon anticipée, le 24 juin 2018. Elles ont vu la reconduction au pouvoir de R. T. Erdogan et de l'AKP.

* 70 On notera que la simultanéité des élections, conjuguée à la possibilité pour le président d'être également président du parti donne lieu à la candidature des chefs de partis Erdogan (AKP) Demirtas (HDP), à l'exception du CHP (Ince).

* 71 L'Alliance populaire obtient 53,66% des suffrages dont 42,56% pour l'AKP et 11,10% pour la MHP, et 344 sièges dont 295 pour l'AKP et 49 pour le MHP

* 72 CHP 22,64%, 144 sièges, Bon Parti 9,96% et 43 sièges, Parti de la Félicité 1,34% et 2 sièges.

* 73 Avis sur les modifications de la Constitution adoptées par la Grande Assemblée nationale le 21 janvier 2017 et soumises au référendum national le 16 avril 2017, adopté par la Commission de Venise à sa 110e session plénière (Venise, 10-11 mars 2017) https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)005-f

La Commission européenne pour la démocratie par le droit, aussi appelée commission de Venise, est un organe consultatif du Conseil de l'Europe composé d'experts indépendants en droit constitutionnel. Elle a été créée en 1990, après la chute du mur de Berlin, à une période où une aide constitutionnelle était nécessaire pour les États d'Europe centrale et orientale.

* 74 Commission européenne Turkey 2019 Report - 29 mai 2019 https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-turkey-report.pdf

* 75 Ahmet Insel «  La nouvelle Turquie d'Erdogan » Edition La découverte 2017

* 76 Notamment à travers des cours qu'il propose aux parents d'élèves, que faire suivre à leurs enfants en complément de l'enseignement reçu dans les établissements publics, notamment pour leur assurer une réussite aux concours nationaux très sélectifs qui mènent aux lycées classiques et aux établissements d'enseignement supérieur.

* 77 Tancrède Josseran « « Derrière Recep Tayyip Erdogan : les confrèries ? » Moyen-Orient n°37 janvier-mars 2018

* 78 Matrice des confréries turques, appartenant à l'islam soufi de stricte observance sunnite, tradition remontant au XIème siècle.

* 79 Au cours des deux dernières décennies, le pourcentage de Turcs vivant en zone urbaine est passé de 64% à 75%, selon la Banque mondiale

* 80 Moindre disponibilité pour les activités religieuses, progression du travail des femmes, réduction de l'emprise et de l'encadrement des confréries...

* 81 Le nombre d'étudiants dans les écoles professionnelles islamiques connues sous le nom d'imam hatips a plus que quintuplé depuis 2012, pour atteindre environ 1,4 million

* 82 83 Ahmet Insel «  La nouvelle Turquie d'Erdogan » Edition La découverte 2017

* 84 Le droit de vote aux élections en Turquie leur a été accordé en 2007. Les votes sont répartis dans tout le pays.

* 85 Samin Akngönül « La diaspora turque en Europe et son rôle politique » Questions internationales n°94 novembre-décembre 2018

* 86 Yohanan Benhaïm « Le mouvement kurde de Turquie face au régime d'Erdogan » Questions internationales n°94 novembre-décembre 2018.

* 87 Dans les villes kurdes du sud-est du pays des insurrections éclatent. Dans ces centres urbains, la politique de contre-insurrection étatique est mise en place pour séparer la guérilla de son soutien local au sein de la population » et à pousser les populations locales au départ.

* 88 1140 au sein des forces de sécurité, 2440 au sein des militants du PKK, entre 460 et 700 civils tués.

* 89 Opération « Bouclier de l'Euphrate »

* 90 Opération « Rameau d'olivier »

* 91 Une attaque terroriste revendiquée par les TAK devant le stade de football du Besiktas à Istanbul le 10 décembre 2016 avait fait 47 morts dont 39 policiers.

* 92 Commission européenne Turkey 2019 report -29 mai 2019 https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-turkey-report.pdf

* 93 Ainsi le 17 février, 735 personnes accusées d'avoir des liens ou d'apporter leur soutien aux militants kurdes ont été arrêtées lors de 156 opérations selon le ministère de l'Intérieur. 226 ont été relâchées, parmi celles restant en détention 61 ont été formellement arrêtées et 448 font l'objet de procédures judiciaires.

* 94 En mai 2016, le Parlement turc vote la levée de l'immunité parlementaire des députés HDP accusés de collusion avec la guérilla du PKK. Un certain nombre d'entre eux sont arrêtés et condamnés en 2018 à de lourdes peines de prison. La Cour européenne des droits de l'homme a ordonné en novembre 2018 la remise en liberté de M. Demirtas. Dans leurs attendus, les juges admettent que le leader kurde a pu être arrêté pour des « raisons plausibles » mais estiment « insuffisantes » les raisons invoquées pour justifier la durée de sa détention (depuis le 4 novembre 2016). Maintenir M. Dermirtas en détention provisoire aussi longtemps « constitue une atteinte injustifiée à la libre expression du peuple et aui droit du requérant d'être élu et d'exercer son mandat parlementaire »

* 95 Près de 700 universitaires sont poursuivis en justice pour avoir signé avec 2000 de leurs collègues début 2016, une pétition réclamant la fin des opérations militaires dans les villes kurdes du sud-est de la Turquie. Le fait d'avoir signé ce texte est assimilé à « un acte de propagande en faveur d'une organisation terroriste ». 91 d'entre eux ont été condamnés à des peines allant de 15 mois à 3 ans de prison. Cette répression se poursuit et touche également un universitaire turc Tuna Altinel, enseignants en France, arrêté le 11 mai 2019 à l'occasion d'un séjour en Turquie accusé de soutien à une organisation terroriste pour avoir assister à une réunion publique en France

* 96 Des signes ont pu être adressés comme la reprise des vistes des avocats à A.Öcalan, interdite depuis 2011 levée le 22 mai 2019.

* 97 Afp 20 mai 2019

* 98 Benjamin Gourisse « L'armée turque : épuration et contrôle politique » Questions internationales n°94 novembre-décembre 2018, même si le nombre exact de militaires démis de leurs fonctions est difficile à évaluer, et ce pour plusieurs raisons Information lacunaire données par les autorités : prises en comptes des mises à la retraite, des démissions, du personnel civil.

* 99 Commission européenne Turkey 2019 Report -29 mai 2019 https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-turkey-report.pdf

* 100 De l'été 2016 à janvier 2018, 150 des 325 généraux et amiraux que comptaient les forces armées turques avaient été congédiés ce qui représente près de 44 % des généraux de l'armée de terre, 42 % des généraux de l'armée de l'air et 58 % des amiraux, 586 colonels ont été mis à la retraite le 23 août 2016. Les dernières données globales publiées par les forces armées (février 2017), donnaient à voir une réduction de 20 % du corps des sous-officiers depuis l'année précédente 101 .

* 102 Le 18 avril 2018, le ministre de la Défense nationale annonçait ainsi que 3 000 officiers et sous-officiers supplémentaires allaient être démis de leurs fonctions. Un décret de juillet 2018 a ensuite conduit au limogeage de 6 152 militaires supplémentaires, dont 3 077 officiers de l'armée de terre, 949 de l'armée de l'air et 126 de la marine

* 103 Ce Conseil avait été institué en 1972, afin d'assurer la maîtrise interne des nominations et des promotions dans l'institution. Depuis lors, deux fois par an, le Premier ministre, le chef d'état-major des armées, le ministre de la Défense nationale, les commandants d'armées, de la gendarmerie et de la marine se réunissaient afin de procéder aux nominations, promotions et mises à la retraite des officiers. Les décisions étant prises à la majorité absolue, les militaires étaient assurés de garder un contrôle total sur les carrières des officiers.

Pour la première fois, les représentants du gouvernement furent plus nombreux à siéger que les membres des forces armées et deviennent décisionnaires alors que les réunions du Conseil consistaient essentiellement à valider les décisions prises par le chef d'état- major.

Le passage au système présidentiel a entraîné une nouvelle réorganisation du Conseil en juillet 2018, renforçant encore la place des civils autorisant le Président de la République à présider ses réunions s'il considère que la situation le nécessite. En outre, celui-ci acquiert la compétence de nomination des généraux et des amiraux, sans que le Conseil puisse intervenir.

* 104 Cette institution, mise en place en 1982 par les militaires après leur prise de pouvoir afin de s'assurer un contrôle sur l'appareil d'État

* 105 Selon le rapport publié en avril 2018 par la Commission européenne,

* 106 107 Commission européenne Turkey 2019 Report - 29 mai 2019 https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-turkey-report.pdf

* 108 Le bon score du parti nationaliste s'explique aussi par le fait que ce dernier a réussi à rallier les électeurs qui se sont détournés de l'AKP. En votant pour le MHP au sein de l'Alliance populaire, ces derniers ont eu en fait la faculté d'exprimer leur mécontentement à l'égard du parti au pouvoir, sans pour autant basculer dans l'opposition.

* 109 Sa candidate, Meral Aksener, a déçu en ne terminant que quatrième de la présidentielle. Les électeurs les plus nationalistes ont donc été séduits par la politique kurde répressive de R. T. Erdogan

* 110 Soit avec ceux de son allié MHP (7,25%), un total de 51,76% relativement similaire à celui obtenu par l'Alliance populaire aux législatives de 2018

* 111 4,22% des suffrages au niveau national, il remporte 8 grandes villes du sud-est au lieu de 10 en 2014.

* 112 L'ancien ministre des finances M. Ali Babacan a annoncé le 8 juillet qu'il quittait l'AKP pour former un nouveau parti politique.

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