PREMIÈRE TABLE RONDE
LE DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES RELATIVES
À LA BIODIVERSITÉ EST-IL TOUJOURS UNE NÉCESSITÉ ?

PROPOS INTRODUCTIF
Dominique THÉOPHILE,
Sénateur de la Guadeloupe

Il me revient l'honneur d'introduire la première table ronde de cet après-midi consacré aux biodiversités du bassin Atlantique. En tant que sénateur de la Guadeloupe, membre du Comité national de l'Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) et rapporteur d'une étude sur la lutte contre les algues sargasses dans la grande Caraïbe, ce sujet me tient particulièrement à coeur.

La présente table ronde est axée, non sans une once de provocation, autour de la question suivante : le développement des connaissances relatives à la biodiversité est-il toujours une nécessité ?

Cette question, qui peut paraître à première vue paradoxale puisque les publications n'ont jamais été aussi nombreuses et détaillées dans ce domaine, me paraît en réalité parfaitement légitime.

Ce qui doit primer désormais c'est bien la qualité des connaissances et la compréhension des phénomènes et des évolutions en cours. L'efficacité de l'action en faveur de la biodiversité est à ce prix.

Le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques ( IPBES ) rendu public le 6 mai dernier, vient de confirmer l'ampleur et l'urgence de la catastrophe annoncée. Ce document considéré comme le plus exhaustif jamais réalisé à ce jour, est le fruit des travaux menés par 145 experts issus de 50 pays, avec des contributions additionnelles de 310 autres experts... Il est basé sur l'analyse d'environ 15 000 références scientifiques et sources gouvernementales. Il convient de souligner aussi, pour la première fois à une telle échelle, la prise en compte des savoirs autochtones et locaux.

Sur les quelque huit millions d'espèces animales et végétales estimées sur Terre, les experts de l'ONU estiment qu'environ un million d'espèces animales et végétales, sont menacées d'extinction, dont « beaucoup dans les prochaines décennies », ce qui signifie qu'il y a une accélération du désastre.

Le champ de la biodiversité est vaste, ses mécanismes complexes, mais nous sommes tous désormais face à nos responsabilités. L'information nous oblige à l'action. Dans quelles directions ?

Pour pouvoir agir vite, il me semble que le premier impératif est d'améliorer encore nos connaissances du vivant et de ses mécanismes, afin de mesurer les lacunes. À mes yeux, le travail d'inventaire des espèces, de leurs milieux et de leurs interactions, est aujourd'hui fondamental quand on sait par exemple que la biodiversité marine reste très majoritairement inconnue et que probablement 70 et 80 % des espèces marines restent encore à découvrir.

Ce n'est pas un hasard si les recensements se multiplient un peu partout dans le monde, sur terre et sur mer, à l'exemple des expéditions Tara Océans. La France a, à son actif, de très belles réussites et je tiens à saluer ici le travail des organismes de recherche dont vous êtes, vous qui partagez ici avec moi cette tribune, les ambassadeurs. C'est grâce aux travaux sur la flore vasculaire de Guadeloupe que nous sommes informés, par exemple, des menaces pesant sur 186 espèces de plantes de l'archipel guadeloupéen comme le Gaïac, la Liane à agoutis, le Mahot-gombo (une variété d'hibiscus), l'orchidée Anathallis mazei ou encore le Ti-branda, ces deux dernières endémiques de l'archipel...

Le deuxième défi est l'appropriation de la connaissance par les différents acteurs, à travers tout le champ social, du décideur au citoyen, de l'élève au scientifique, de l'industriel à l'acteur culturel ou social. Je voudrais citer l'exemple du Parc national de la Guadeloupe, créé en 1989, qui abrite une grande diversité d'habitats terrestres, aquatiques et marins. La moitié des visiteurs qui viennent en Guadeloupe parcourent les grands sites de ce parc C'est un formidable instrument pédagogique et de sensibilisation aux enjeux environnementaux !

Le troisième défi est la question de l'intégration effective de la connaissance dans la décision. Je voudrais à cet égard vous faire part de mon expérience personnelle. En juillet 2018, le Premier ministre m'a confié une mission dans le cadre du Plan national de prévention et de lutte contre les algues sargasses.

J'ai pu constater l'ampleur du phénomène, qui touche à des degrés divers toutes les côtes, depuis celles de la Guyane jusqu'au Mexique à présent. Depuis 2011, les échouages sont réguliers et massifs concernant les Antilles, à la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Ces algues, qui bloquent les plages et les ports et isolent parfois des îles comme la Désirade en mai 2018, ont un impact majeur sur le secteur économique en entravant les activités touristiques et de pêche. Elles ont en outre de possibles conséquences sanitaires de par la présence de sulfure d'hydrogène et d'ammoniac dans les émanations qu'elles produisent ; des fermetures d'écoles ont ainsi été décidées lors d'invasions en Guadeloupe par exemple...

Il est donc urgent d'agir face à ce fléau. L'action doit bien entendu se concevoir sur plusieurs fronts (repérage, ramassage, stockage, traitement, recyclage...). Mais vous voyez bien que l'enjeu de la connaissance est essentiel.

En premier lieu, pour en connaître les causes précises et pouvoir lutter en conséquence ; un des aspects réside par exemple dans la compréhension de l'impact du réchauffement climatique. Ensuite, pour trouver une solution de traitement de ces algues dont l'arrêt de la prolifération n'est sans doute envisageable que sur le moyen terme.

C'est pourquoi j'ai préconisé, d'une part, l'organisation d'une Conférence internationale afin de partager les avancées en matière de recherche, et d'autre part, la mise en place d'un Observatoire international des sargasses afin de constituer un réseau d'acteurs dans la lutte contre ce fléau.

Concrètement, la Conférence aura lieu en octobre prochain, en Guadeloupe, et sera précédée de plusieurs réunions préparatoires associant les pays concernés ainsi que les instances de coopération régionale. Je n'en dis pas plus car la coopération régionale est le thème de la troisième table ronde et je vous renvoie à l'intervention de mon collègue Michel Vaspart.

Nous nous préoccupons tous de problèmes concrets, comme notamment la question de stockage en raison du manque de terrains disponibles au regard des normes liées aux émanations gazeuses, des atteintes à la nappe phréatique ou de la teneur en chlordécone. Un appel à projets piloté par l'Agence nationale de la recherche (ANR), visant à accélérer la recherche sur les causes de cette prolifération et sur l'identification de solutions en matière de prévision des échouages et de valorisation des algues, vient d'ailleurs d'être lancé. L'organisation d'une réunion scientifique autour des projets retenus devrait être articulée avec la Conférence internationale que je viens d'évoquer.

En conclusion, deux choses me paraissent donc aller de pair à l'heure actuelle :

La démarche scientifique et l'enrichissement des savoirs sont prioritaires : le but est non seulement d'apporter des solutions pragmatiques à l'échouage des sargasses mais aussi d'avancer très vite sur la compréhension de ce phénomène et de mutualiser les savoirs ;

Parallèlement, il faut la mobilisation des acteurs à tous les niveaux : le fait que les sargasses soient désormais incluses dans le périmètre des risques naturels majeurs dont le nouveau délégué interministériel aux outre-mer, nommé en mai dernier, a la charge, ce qui était la recommandation numéro un de mes collègues de la Délégation sénatoriale aux outre-mer - Guillaume Arnell, Mathieu Darnaud et Victoire Jasmin pour ne pas les nommer - dans leur rapport sur les risques naturels majeurs « Urgence déclarée outre-mer » publié en 2018, m'apparaît comme un signe prometteur sur notre capacité à articuler connaissances et décision, réflexion et action.

Je vous remercie pour votre attention.

Gaël CLÉMENT,
Modérateur,
Directeur du département Origines et Évolution au
Muséum national d'Histoire naturelle

Monsieur le Président,

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs,

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

En préambule, je souhaite préciser que je travaille dans une discipline scientifique particulière au regard de l'objet de ce colloque, puisque je suis paléontologue. Je travaille sur les organismes fossiles et sur la succession des environnements passés. Plus largement, je m'intéresse à l'évolution des écosystèmes et de la biodiversité sur le très long terme. Les organismes actuels, tels que les bactéries, champignons, plantes, insectes, poissons, oiseaux, mammifères - et bien sûr les êtres humains -, sont le fruit d'une longue histoire évolutive de plus de trois milliards d'années. Cette histoire a été marquée de multiples naissances, de catastrophes, de renaissances, de périodes de crise, de périodes d'équilibre et sans doute, en tout cas je l'espère, de périodes idylliques.

Les équilibres naturels ont été très récemment bouleversés par les activités humaines, surtout depuis la sédentarisation des hommes et le début de l'agriculture et de l'élevage. Depuis donc dix mille ans, ce qui est géologiquement parlant assez court. La population mondiale était alors estimée à environ sept millions d'individus. Ces déséquilibres se sont très fortement renforcés depuis la révolution industrielle.

Les origines de ces déséquilibres sont connues : une démographie humaine exponentielle qui correspond aujourd'hui à plus de sept milliards d'individus, l'exploitation des ressources naturelles, l'extraction et la concentration de polluants chimiques dans les airs, les sols et les eaux de nos rivières jusqu'au plus profond des océans, le dérèglement climatique et l'érosion de la biodiversité.

L'érosion de la biodiversité est un problème crucial, dont les conséquences sont encore difficiles à appréhender. Les scientifiques le mettent en évidence de façon parfaitement objective et, malheureusement, de plus en plus précise.

Les citoyens commencent également à ressentir cette menace. Menace effectivement réelle car le potentiel de dévastation est immense. Cela ne se réduit pas uniquement à la valeur esthétique de la nature, au risque de ne plus profiter du plaisir hédoniste, simple et évident, d'entendre un coucou dans la forêt voisine d'une prairie bigarrée de coquelicots et de bleuets. La nature n'est pas là pour offrir à l'Homme de jolis paysages, de gentils compagnons domestiques, des fraises en hiver ou des sodas aux baies de goji. La nature n'est pas là pour être égoïstement et de manière irraisonnée utilisée jusqu'à épuisement. Nous sommes dans une recherche souvent rationnelle de nos besoins, mais le plus souvent irrationnelle de nos envies. La gestion de notre place sur la planète Terre n'est par conséquent absolument pas contrôlée.

L'érosion de la biodiversité n'est déjà plus une érosion, mais un génocide. Je suis conscient que, politiquement, ce terme est beaucoup trop fort, mais il est étymologiquement correct. Ce néologisme a été forgé en 1944 à partir de la racine grecque genos (naissance, genre, espèce) et du suffixe -cide, qui signifie « tuer ». Une espèce disparue l'est à jamais.

Je reste néanmoins optimiste, car une prise de conscience est encore possible par la diffusion des connaissances scientifiques, depuis les écoles primaires jusqu'aux plus hautes instances de l'État. Espérons, car il y a urgence, qu'elle puisse être suivie d'un changement de paradigme sur notre place et notre rôle vis-à-vis des environnements terrestres et marins.

Par des successions d'équilibres écosystémiques complexes s'étalant sur plus de trois milliards d'années d'évolution, c'est la planète Terre qui nous a fait naître, nous offre un environnement viable et nous nourrit. La Terre est la mère génitrice et nourricière. Si chacun connaît et reconnaît tout ce qu'il doit à Mère Nature, il la respectera. Quels que soient nos éducations, nos cultures, nos traditions, nos milieux sociaux, nos territoires, nos continentalités, nos insularités, nos religions ou nos croyances, il existe une règle universelle qui me rend optimiste : personne ne manque de respect à sa mère.

Durant cette table ronde, nous nous demanderons si le développement des connaissances relatives à la biodiversité est toujours une nécessité. La réponse est dans la question elle-même. Une chanson du groupe Genesis, du début des années 80, comprend les paroles suivantes : « We kill what we fear and we fear what we don't understand » (« nous tuons ce que nous craignons et nous craignons ce que nous ne comprenons pas »). Dit autrement, non plus dans le monde de la pop music mais dans celui du mouvement culturel du classicisme, en citant Socrate, « le seul mal est l'ignorance, le seul bien est la connaissance ».

Nous respecterons la biodiversité quand nous la connaîtrons. Pour la connaître, il faut l'étudier. C'est aujourd'hui une nécessité, plus que jamais auparavant.

Philippe BOUCHET,
Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle
« La constitution de collections de référence « nouvelle génération » :
espèces inconnues, petites et rares, ce que révèlent les inventaires de nouvelle génération sur la faune et la flore marines des Antilles et de la Guyane »

Propos de présentation du modérateur Gaël Clément, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle

Philippe Bouchet, vous êtes l'un des fondateurs du programme d'expéditions naturalistes La Planète revisitée. Vous avez conduit de grandes missions d'exploration de la faune et la flore marine, notamment en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Votre intervention porte sur la constitution de collections de référence de nouvelles générations d'espèces inconnues, petites et rares. Vous avez la parole.

Bonjour à tous,

Nous vivons dans un monde saturé de mauvaises nouvelles sur l'environnement. Je vais presque m'excuser de vous présenter des nouvelles positives.

Le benthos se définit comme les organismes qui vivent au fond de la mer, par opposition au plancton, notamment les algues et les invertébrés. Vous avez peut-être une vision un peu romantique des biologistes marins en train de faire des observations sur les récifs coralliens. Oubliez cette image. La plupart des espèces dans la nature, qu'il s'agisse des insectes dans les forêts tropicales ou du petit benthos dans les océans, sont petites et naturellement rares. L'exploration de la biodiversité du petit benthos s'effectue avec des outils comme la suceuse et les paniers de brossage puis, après les phases d'échantillonnage, se poursuit par l'installation d'une usine de tri.

Nous avons conduit des expéditions d'exploration de la biodiversité marine en Guadeloupe en 2012-2015, en Guyane en 2014 et en Martinique en 2016. Elles nécessitent un important travail de prélèvements d'échantillons de tissus, qui vont permettre le séquençage de l'ADN ainsi que la prise de vue sur les organismes. Aujourd'hui, chacun peut faire des photos sur son téléphone portable, mais il y a moins de vingt ans, la photo numérique n'existait pas. Réaliser des clichés de petits organismes de quelques millimètres était beaucoup plus difficile et très coûteux.

Nous partons réaliser des campagnes d'inventaire avec la même curiosité qu'il y a cent ans. Nous en revenons avec un type de connaissances sur les inventaires et les collections de nouvelle génération et nous associons aux organismes échantillonnés des photos numériques des organismes en vie. Les mollusques et les crustacés sont le gros « fonds de commerce » de ces campagnes d'exploration. Nous rapportons également des échantillons de tissus qui vont permettre une nouvelle génération d'inventaires associant les données du séquençage de l'ADN aux observations morphologiques classiques.

Ces expéditions génèrent non seulement des connaissances nouvelles, mais également des « porter à connaissance », comme ces deux posters réalisés à la suite de l'expédition de 2014 en Guyane. Elles sont également des moments de partage et de « porter » à connaissance vis-à-vis des élèves. Elles associent un programme pédagogique, par exemple cette visite de classes aux îles du Salut en 2014. Nous découvrons de très nombreuses espèces inconnues, et ceci non seulement à l'autre bout de la Terre, mais tous les jours au cours de ces campagnes d'exploration. J'ai commencé à travailler aux Antilles en 2012. J'étais auparavant et je reste un homme du Pacifique Sud et je dois dire qu'avant l'invitation du Parc national de la Guadeloupe à venir y travailler, je m'interrogeais sur ce qu'il restait à découvrir aux Antilles que les collègues américains n'avaient pas déjà découvert deux fois ailleurs. Avec les suceuses, les paniers de brossage et l'usine de tri, il reste énormément à découvrir.

Je vous invite à découvrir cette petite espèce de gastéropode. Toutes les couleurs que vous voyez sont les couleurs de l'animal, dont la coquille est quasi transparente comme du verre. Nous pouvons choisir de donner des noms à ces espèces nouvelles. Ces noms les insèrent dans le tissu local. Nous avons ainsi découvert à la Martinique une espèce que le spécialiste a choisi de nommer Miss Martinique. Il s'agit d'une façon de communiquer sur la découverte de la biodiversité. Toutes ces données sont mises en ligne sur le site de l'Inventaire national du patrimoine naturel, ce qui permet la traçabilité des échantillons des images au niveau de la commune, et même de la station d'échantillonnage.

Ce travail est réalisé par de grandes équipes. L'une des expéditions a mobilisé environ 45 personnes de huit nationalités. Celles-ci impliquent également des naturalistes locaux, amateurs de haut niveau ou professionnels. Pour financer des expéditions de cette taille, nous avons besoin du soutien de tous les partenaires locaux, des établissements publics, des collectivités et des entreprises privées qui souhaitent s'associer à des opérations positives sur la découverte de la biodiversité.

En Guadeloupe, nous avons poursuivi en 2015 l'exploration de la faune à partir du navire de recherche Antea, qui nous a permis d'accéder jusqu'à 850 mètres de profondeur. Ces opérations de nouvelle génération le sont par leurs objectifs et leur insertion dans le tissu local, mais également par l'ampleur des résultats que nous obtenons.

Voici l'échantillonnage réalisé en Martinique pendant la mission Madibentos. La majorité des espèces sont rares.

Lorsque nous avons lancé l'expédition en 2016, je me demandais là encore ce que nous pourrions y découvrir que nous n'aurions pas déjà découvert en Guadeloupe. Or seulement 50 % des espèces sont partagées par la Martinique et la Guadeloupe. Nous avons divisé la Martinique en plusieurs secteurs. Les espèces rares sont partout. Pour l'homme du Pacifique Sud que je suis, un millier de kilomètres entre des archipels ne compte pas. Aux Antilles, il y a beaucoup de différences sur une distance de 150 kilomètres entre deux îles. Au terme de ces huit années d'expéditions de nouvelle génération dans l'arc antillais, les objectifs des Îles du Nord et du benthos profond n'ont pas encore été touchés, mais nous pourrons les viser grâce à des outils de coopération internationale.

Je vous remercie de votre attention.

Chalut à perche, mis en oeuvre à partir du navire océanographique Antéa pendant
l'expédition Karubenthos 2 - Exploration de la faune marine profonde de la
Guadeloupe jusqu'à 850 mètres de profondeur.

Crédits photo : Laure Corbari/MNHN

Quelques-unes parmi plusieurs centaines d'espèces de crustacés des récifs et
herbiers de l'arc antillais.

Crédits photo : Joseph Poupin et Laure Corbari/MNHN

Michel VÉLY,
Vétérinaire, délégué français du comité scientifique
de la commission baleinière internationale
« La conservation d'espèces protégées : le projet Megara, la télémétrie satellitaire
au service de la protection des baleines à bosse
à Saint-Martin et Saint-Barthélemy »

Propos de présentation du modérateur Gaël Clément, paléontologue au Muséum national d'Histoire naturelle

Les expéditions naturalistes sont pluridisciplinaires, qu'elles soient locales ou internationales, et nécessitent de rassembler d'importants moyens financiers et logistiques, mais également de faire appel aux bonnes volontés des scientifiques pour gérer et traiter les données. La restitution à l'égard des publics locaux et nationaux ainsi qu'à destination des pouvoirs publics est également importante.

Michel Vély, vous présidez l'association Megaptera, qui participe à la recherche scientifique sur la biologie et la protection des baleines à bosse et des cachalots ainsi qu'à des projets d'écotourisme durable et équitable d'observation de ces espèces de cétacés. Je vous laisse la parole.

Mesdames, Messieurs,

C'est un très grand honneur de parler devant vous des mammifères marins qui nous passionnent. Les baleines à bosse qui viennent sur le banc d'Anguille auquel appartiennent les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy viennent s'accoupler et mettre bas dans ces eaux. Dans le cadre du projet Megara, nous essayons de suivre ces animaux.

[Un film est projeté]

Ce baleineau allaité par sa maman est né dans les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy sur ce banc d'Anguille. Il va rester un moment dans cette zone de reproduction avant de remonter vers des zones d'alimentation en Amérique du Nord et en Europe du Nord, jusqu'en Norvège, ce que nous avons découvert grâce à la photo-identification.

La caudale de cette baleine est en train de sortir de l'eau. Après avoir fait une photo, nous avons identifié cet individu et constaté que nous pouvons le retrouver en Norvège.

Cette zone étudiée à l'aide de capteurs acoustiques est la plus importante des Caraïbes après la République dominicaine. Certes, nous disposons de petits bateaux, mais nous utilisons un système de balises satellites permettant de suivre la baleine à bosse. Le pilote du Zodiaque a l'habitude d'approcher ces animaux, que nous habituons à notre présence. Grâce à un système de canon à air comprimé, nous plaçons ce dispositif sur le dos de la baleine et nous y prélevons un petit bout de peau en prenant toutes les précautions pour la déranger le moins possible. Le dos de baleine est recouvert de graisse sur environ trente centimètres et son muscle n'est jamais touché. L'animal ne subit aucune perturbation métabolique.

Lorsqu'il parcourt des milliers de kilomètres avec ces balises sur le dos, celles-ci envoient des signaux à un satellite qui les renvoie au Centre de calcul de Toulouse. Ce système d'origine française permet de suivre les déplacements exacts de ces animaux et de savoir si les changements climatiques et la constitution de « mers de plastique » perturbent au fil du temps le mouvement de ce géant des mers. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Réserve naturelle de Saint-Martin, l'Agence territoriale de l'environnement de Saint-Barthélemy et les autorités locales, qui nous ont fait confiance pour réaliser ce projet dans le cadre du sanctuaire AGOA mis en place par l'AFB et qui assure la gestion de la protection des mammifères marins. Nous travaillons également en lien avec des équipes norvégiennes et américaines. La balise placée sur le dos de l'animal est dotée d'un système de flottaison qui s'avère utile en cas de perte. Le petit bout de peau prélevé nous permet d'étudier la génétique des baleines.

[Un diaporama est projeté]

Voici le trajet qu'une maman et son baleineau ont effectué depuis Saint-Barthélemy, quittant le banc d'Anguille dans des eaux d'une quarantaine de mètres de profondeur vers Barbuda-et-Antigua. Ces îles étant britanniques, néerlandaises ou indépendantes, nous travaillons dans la zone Caraïbes avec tous ces partenaires. Le trajet passe par les Bermudes. Nous travaillons également en coopération avec différentes institutions locales de l'océan Atlantique, tels que les Américains et les Canadiens implantés dans l'embouchure du Saint-Laurent ainsi qu'avec nos collègues de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le chemin remonte ensuite vers les Açores et la Norvège en empruntant le Gulf Stream . Nous avons besoin d'échanger nos données pour apprécier l'impact des changements climatiques sur les mouvements des baleines vers la zone Caraïbes ou dans l'autre sens.

Selon les spécialistes implantés au Groenland, tout est en train de changer dans l'Arctique. Les baleines ne se nourrissent plus de la même façon et n'occupent plus les mêmes territoires. Leur migration est modifiée. Nous allons engager ce travail sur plusieurs années, en collaboration avec nos collègues français et étrangers de la zone Caraïbes et ceux des îles et territoires de l'Atlantique Nord.

Crédits photo : Michel Vély

Léonide CELINI,
Docteur en biologie, spécialisée en entomologie
« Pour une meilleure prise en compte d'enjeux sanitaires et de préservation à la fois de la biodiversité et de l'habitat en bois : l'inventaire des espèces de fourmis et
de termites à Saint-Barthélemy »

Propos de présentation du modérateur Gaël Clément, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle

Les déplacements de ces animaux nous obligent à travailler de manière collaborative avec des équipes d'autres pays, ce qui initie de nouveaux projets.

Léonide Celini, vos recherches en milieu insulaire se déroulent en Guadeloupe où elles concernent la fourmi manioc, une espèce envahissante, ainsi qu'à Saint-Barthélemy à la demande de l'association Saint-Barth Essentiel pour l'inventaire des fourmis et des termites.

Bonjour à tous,

Un inventaire des fourmis et termites a été réalisé à Saint-Barthélemy à la demande de l'association Saint-Barth Essentiel, dans le cadre d'un partenariat avec le laboratoire de biologie IEES (Institut d'écologie est des sciences de l'environnement) de l'Université Paris Est-Créteil.

Saint-Barthélemy est une série de 21 îles qui comprend une île principale de vingt kilomètres carrés ainsi que 20 îlets d'un kilomètre carré. Sur sa structure rocailleuse et volcanique pousse une végétation secondaire.

Jusqu'en 2011, Saint-Barthélemy était une commune de la Guadeloupe. Il n'existait pas de collection faunistique et floristique très détaillée. L'objectif de l'association était de remédier à ce manque.

Nous nous sommes intéressés aux termites et fourmis, car ce sont des insectes sociaux, qui vivent en colonies et présentent des caractères propices à l'occupation de l'espace.

Leur organisation sociale en castes, avec une division du travail, est évoluée. Ils peuvent se propager par reproduction sexuée et essaimage, ce qui augmente leur possibilité d'avoir des colonies populeuses. Nous souhaitions savoir s'il existait des espèces endémiques et rares, trouver les moyens de les préserver, mais également vérifier l'existence éventuelle d'espèces envahissantes.

Nous avons collecté des fourmis et des termites dans différents écosystèmes de l'île, au cours de différentes missions effectuées entre 2011 et 2013. Les spécimens ont été déterminés sur le plan taxonomique (divers clés d'identification) et moléculaire ( Barcoding ADN) au laboratoire de biologie de l'Université Paris Est-Créteil. Nous avons consulté également les collections de référence du Muséum national d'Histoire naturelle ainsi que du laboratoire de Myrmécologie de CEPLAC au Brésil ( via un collaborateur de ce projet).

Dans cet exposé, nous présentons les fourmis présentes dans l'île et classées comme potentiellement envahissantes par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ainsi que les termites inventoriés.

Une espèce est dite invasive ou envahissante lorsqu'elle se trouve à l'extérieur de son aire de répartition ou de dispersion potentielle. Sa présence résulte soit d'une introduction intentionnelle soit accidentelle (échanges commerciaux). Elle peut être nuisible pour la biodiversité locale avec des impacts écologiques économiques et sanitaires. Sa présence peut être l'une des causes de disparition d'espèces autochtones, rares ou menacées.

S'agissant des fourmis, parmi les dix-neuf espèces de fourmis envahissantes actuellement recensées par l'UICN dans le monde, nous en avons identifiées sept à Saint-Barthélemy.

Paratrechina longicornis (Latreille), « la fourmi folle » est une espèce très abondante dans les habitations et les bâtiments ; elle occasionne des courts-circuits dans les appareils électriques comme les téléviseurs et les climatiseurs. Elle peut véhiculer des micro-organismes pathogènes.

Tapinoma melanocephalum (Fabricius) « la fourmi fantôme » ne mord pas, mais constitue une nuisance dans les domiciles. Des effets sur la santé humaine ont été constatés, en particulier du fait de son association avec les habitations et les hôpitaux.

La fourmi grosse tête Pheidole megacephala (Fabricius) est un ravageur agricole (consommation de graines), mais elle peut également occasionner de nombreux dégâts domestiques (installations d'irrigation, câblages téléphonique, fils électriques).

L'espèce Azteca delpini antillana ( Forel) n'est pas reconnue comme envahissante mais représente un danger pour la flore locale. Elle niche souvent dans le Gaïac ( Guaiacum officinale ), plante protégée à Saint-Barthélemy par la Convention de Washington. Cette plante, originaire d'Amérique continentale tropicale et des Antilles, a pratiquement disparue dans l'île.

En outre, trois espèces de fourmis appelées localement « fourmis rouges » sont relativement dangereuses :

- la fourmi de feu tropicale Solenopsis geminata (Smith) inflige des nuisances aux êtres humains et aux animaux domestiques. Dans la nature, elle entretient des insectes producteurs de miellats, (cochenilles pucerons) favorisant ainsi des maladies virales sur les plantes ;

- la grande fourmi de feu Solenopsis invicta (Buren) est considérée aujourd'hui comme la plus dangereuse des fourmis à l'échelle mondiale, car responsable de ravages économiques, environnementaux et sanitaires. Son venin est redoutable et très corrosif. Elle est une menace pour des personnes endormies ou alitées, (décès de personnes sensibles : jusqu'à 80 décès aux États-Unis en 2001) ainsi que pour les petits animaux de compagnie ou de fermes ;

- la petite fourmi de feu Wasmannia auropunctata ( Roger) est très agressive ; elle représente une menace pour la biodiversité locale et les économies touristique et agricole. Elle est dotée d'un venin virulent dont les piqûres peuvent provoquer chez les animaux (chiens et chats, tortues) la kératite de Floride, une maladie incurable ;

Quant à la fourmi manioc Acromyrmex octospinosus ( Mayr), fourmi champignonniste, classée par l'UICN comme étant l'espèce envahissante la plus dangereuse en Guadeloupe, c'est un grand ravageur de plantes ; elle a été signalée à Saint-Barthélemy en 2010 mais il est vraisemblable qu'elle y était présente bien avant. Elle peut représenter à long terme une menace pour la flore de Saint-Barthélemy.

En ce qui concerne les termites, ce sont des insectes lucifuges et leurs colonies peuvent atteindre jusqu'à plus d'un million d'individus.

Un grand nombre d'espèces sont xylophages, consommant la cellulose sous toutes ces formes (bois sec, humide, partiellement décomposé, débris de bois sur le sol, branches et troncs morts des arbres, structures en bois, contreplaqué, papiers.). Ils sont nuisibles à toute source de cellulose : aux bois d'oeuvre, plantes, cultures. Leur action représente une véritable menace pour la solidité des habitations et constructions qui en sont infestées.

Nous avons identifié trois espèces de termite xylophage :

- Heterotermes tenuis (Hagen) dont le nid est souterrain. Il peut construire à l'air libre des galeries pour se nourrir de bois, carton, papier, tissus.

- Nasutitermes corniger (Motschulsky), dont le nid est épigé, arboricole et bien structuré. Pour atteindre sa source de nourriture, Il se déplace dans le sol et en milieu aérien mais à l'abri de la lumière, dans des cordonnets sortent de galeries-tunnels qu'il construit avec de la salive, d'excréments, de particules de terre et de bois mâché. Leurs dégâts sont une menace pour la solidité des bâtiments.

- Incisitermes incisus (Sylvestri) construit son nid à l'intérieur du tronc et des branches des arbres vivants.

Les recommandations concernant ces insectes portent sur la surveillance des voies d'introduction maritimes et aériennes, le renforcement des politiques de prévention et de protection, la sensibilisation de la population ainsi que le respect de la loi du 8 juin 1999 dans la lutte contre les termites.

Nicolas MASLACH,
Directeur de la Réserve naturelle de Saint-Martin
« La vulgarisation de la connaissance : le projet de création de l'Institut caribéen de la biodiversité insulaire (ICBI) à Saint-Martin »

Propos de présentation du modérateur Gaël Clément, paléontologue au Muséum national d'Histoire naturelle

La connaissance précise en entomologie permet d'identifier différentes problématiques sanitaires et économiques et favorise la mise en place de mesures phytosanitaires.

Nicolas Maslach, vous avez mené à bien la création du sanctuaire AGOA et du Parc naturel marin de Mayotte. Titulaire d'un diplôme de sciences politiques et d'un DESS de l'Institut français de l'urbanisme, vous avez élaboré les premiers outils financiers au bénéfice des gestionnaires d'espaces naturels français.

Bonjour à tous,

Dans la continuité de la mise en place de ces outils financiers à Saint-Martin, nous travaillons depuis quatre ans à la création de l'Institut caribéen de la biodiversité insulaire de Saint-Martin, un projet structurant pour le territoire qui participera à la conservation de la biodiversité, à l'amélioration et la diffusion des connaissances.

Le projet d'implantation du bâtiment se situe à proximité d'une zone humide et du littoral. Le permis de construire allait être déposé mais l'ouragan Irma nous a obligé à revoir notre projet en raison notamment du nouveau schéma de prévention des risques au regard des vents, de la houle cyclonique et des phénomènes de submersion.

À l'issue d'un nouveau diagnostic post-Irma, nous avons confirmé le site d'implantation de l'Institut à proximité de la zone humide de la baie du Cul-de-Sac, classée RAMSAR et UICN, gérée par la Réserve naturelle et affectée au Conservatoire du littoral. En cas de nouvelles situations de houle cyclonique ou d'ouragan dévastateur, nous aurons la possibilité d'utiliser l'Institut comme un PC de crise.

L'île accueille 80 % de la biodiversité en outre-mer, mais également près de trois millions de touristes par an. Nous prévoyons que la création de l'Institut aura des retombées en matière d'amélioration des connaissances, d'éducation et de sensibilisation mais sera aussi générateur de recettes financières.

L'insularité de ce petit territoire se caractérise par sa fragilité, ce qui nécessite de mettre les moyens pour sensibiliser au maximum la population.

Les objectifs de cet Institut consistent à créer un pôle de recherche centré sur la biodiversité, établir des liens de collaboration avec des établissements d'enseignement, mais également travailler sur la pêche et l'aquaculture, le tourisme et l'écotourisme et la lutte contre les effets du réchauffement climatique ainsi que l'animation pédagogique envers tous les publics. Nous souhaitons créer un lieu privilégié et stratégique pour la reconquête de la biodiversité, développer des outils d'accueil et de transfert de connaissances et soutenir de nouvelles synergies pour la création de filières économiques durables et la promotion touristique.

Après son rattachement à la Guadeloupe, ce territoire a obtenu un statut d'autonomie à travers la création de la collectivité territoriale de Saint-Martin. L'étude que nous avons menée fait ressortir un déficit de réflexion, de connaissances et même de matière grise sur ce territoire. Nous avons en effet besoin que des chercheurs, des doctorants et des étudiants en master viennent étudier certaines problématiques, qu'il s'agisse de la consommation électrique ou encore du type d'énergie à développer dans l'avenir. Nous voulons également créer de nouvelles filières de formation et des emplois liés aux métiers de la mer, la pêche, l'aquaculture, la recherche scientifique.

Enfin, nous devons contribuer à conserver le cadre de vie de la population locale, qui est nécessaire au maintien de l'attractivité du territoire tant pour ses habitants que pour les visiteurs.

Le budget de l'Institut est bien maîtrisé. Le permis de construire sera finalement déposé avant la fin de l'année 2019. À l'origine, nous avions prévu la mise en place d'un aquarium, mais l'ouragan Irma a fait évoluer ce projet. Nous souhaitons développer sur 600 mètres carrés de salles d'exposition un lieu comparable à celui de l'Atelier des Lumières, à Paris, faire découvrir aussi bien la banquise de l'Argentine que les gratte-ciel de Sydney et New-York, voire développer des accords avec le Muséum d'Histoire naturelle et proposer la visite virtuelle des plus grands musées du monde. Notre souhait est d'apporter la culture et la connaissance aux habitants, qui n'ont pas toujours la possibilité de se déplacer ailleurs dans le monde.

[Un film sur le diagnostic réalisé par les architectes de l'Institut est présenté à la salle]

Gaël Clément, paléontologue au Muséum national d'Histoire naturelle . - Je vous remercie pour la présentation d'un projet scientifique et pédagogique qui concilie apport des connaissances aux visiteurs et intérêt économique, avec le développement de l'écotourisme. Je pense que votre appel auprès du Muséum national d'Histoire naturelle aura été bien entendu.

Guy CLAIREAUX,
Professeur de physiologie à l'Université de Bretagne Occidentale
« La gestion durable de ressources biologiques : l'exemple des stocks de flétan dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon »

Propos de présentation du modérateur Gaël Clément, paléontologue au Muséum national d'Histoire naturelle

Guy Claireaux, vous êtes originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon et titulaire d'un doctorat en physiologie animale, en particulier celle des poissons. Chercheur au CNRS pendant treize ans, vous avez été recruté en tant que professeur de physiologie à l'Université de Bretagne occidentale, à Brest. Vous effectuez vos recherches à l'Institut universitaire européen de la mer, plus particulièrement au sein du laboratoire des sciences de l'environnement marin.

Bonjour à tous,

Je vous propose de vous présenter le projet multidisciplinaire de recherche en écologie Flamenco mené autour de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. L'objectif consiste à mieux comprendre la biologie et l'écologie, mais aussi l'économie d'un poisson emblématique de l'Atlantique Nord, le flétan Atlantique ou flétan blanc. Ce projet s'inscrit dans une collaboration qui englobe l'ensemble du bassin régional de Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est-à-dire le golfe du Saint-Laurent et les bancs de pêche autour de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les partenaires du projet sont implantés tout autour de ce bassin régional. L'Université du Québec à Chicoutimi, l'Université du Québec à Rimouski, le Ministère canadien des Pêches et des Océans à Mont-Joli ainsi que des collègues du Marine Institute de l'Université Memorial de Saint-John's à Terre-Neuve.

Participent au projet à partir de Saint-Pierre-et-Miquelon, l'Université de Bretagne Occidentale, l'Université de Lorraine et l'IFREMER.

En 1992, l'effondrement des stocks de morue sur les bancs de Terre-Neuve et dans le golfe du Saint-Laurent a suscité la mise en place d'un moratoire qui dure depuis vingt-cinq ans. Cet effondrement d'une ressource halieutique majeure a entraîné celui d'une culture, d'une économie, d'un patrimoine et d'une histoire vieille de quatre siècles, obligeant les communautés de cette région à changer les pratiques de pêche et notamment de cibler des espèces jusqu'alors considérées comme accessoires. C'était le cas du flétan.

Il faut également souligner des négociations difficiles avec le Canada. En effet, le flétan blanc ne fait pas partie des accords de cogestion conclus entre la France et le Canada en matière de gestions des ressources halieutiques. Depuis quelques années, le Canada exerce une forte pression en faveur de la signature d'un avenant afin d'y inclure le flétan. Or la mise en place d'un tel accord nécessite au préalable une connaissance fiable et partagée de la ressource et de son évolution. Nous ne disposons pas actuellement d'une telle connaissance.

Ce graphique montre les débarquements de flétan depuis les années 60 jusqu'à nos jours. Il met en exergue la nature cyclique de cette ressource. On constate ainsi des pics de débarquements au début des années 60, puis en 1985 et à nouveaux ces deux dernières années. Malheureusement, nous n'avons aucune idée quant aux mécanismes hydrologiques, écologiques ou biologiques qui déterminent ce cycle, et dans ces conditions la mise en place de méthodes de gestion fiables est quelque peu illusoire. Afin de répondre à cet enjeu, plusieurs projets de recherche ont été lancés depuis cinq ans dans le golfe du Saint-Laurent et depuis un an autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le projet Flamenco est basé sur la mise en place d'un programme de marquage au cours duquel des poissons sont équipés de balises satellites. Ces balises enregistrent la température et la profondeur de l'eau durant un an puis elles se détachent du poisson et remontent à la surface.

Grâce au système ARGOS, ces balises transmettent toutes les données à un ordinateur de l'Université Memorial de Saint-John's à Terre-Neuve où la route de migration de chaque poisson est reconstituée. Cet outil permet ainsi de déterminer les optima thermiques et bathymétriques de l'espèce ainsi que les aires et les périodes de ponte. Il est ainsi possible de préciser les unités de gestion et de mieux prendre en compte le cycle de vie de l'espèce dans la réglementation de la pêche.

En 2014, nos collègues canadiens ont marqué 21 poissons avec ces balises. La reconstruction des routes migratoires de ces poissons a montré qu'à l'approche de la période de reproduction, entre janvier et mars, ils rejoignent les pentes du chenal Laurentien, un canyon sous-marin de 500 mètres de profondeur. Au cours du printemps, ils font le trajet inverse et retournent sur les aires de grossissement estivales. Ces premières données suggèrent que le chenal Laurentien agit comme une frontière et divise le golfe du Saint-Laurent en deux zones, l'une situé au sud et l'autre au nord du chenal. L'été dernier, nous avons réalisé la même opération autour de Saint-Pierre-et-Miquelon et programmé nos balises pour qu'elles remontent à la surface en août 2019. Dix poissons ont été marqués. Trois flétans ont reçu une double marque programmée de façon à remonter à la surface en janvier 2019 et ainsi indiquer la position des poissons à l'entrée de la période de reproduction.

Le chenal Laurentien semble ici également agir comme une sorte de barrière, dont nous devrons évaluer l'étanchéité par des études de génétique. L'une des zones de reproduction potentielles mis en évidence par nos premières données relève de la zone française. Par conséquent, sa gestion nous incombe. Le projet Flamenco est un bel exemple d'une collaboration réussie sur une ressource halieutique d'intérêts partagés entre le Canada et la France.

En conclusion, nous souhaitons que la situation de la recherche en outre-mer puisse évoluer. En effet, il est difficile à l'heure actuelle de développer des programmes de recherche s'ils n'entrent pas en résonnance avec les intérêts de la recherche nationale ou internationale.

Cette obligation de satisfaire à des objectifs mal taillés pour l'outre-mer a pour conséquence que celui-ci est rarement le donneur d'ordre des projets menés sur son territoire. La coordination par et pour l'outre-mer de la recherche scientifique est un enjeu essentiel à son développement socioéconomique.

Crédits photo : Guy Claireaux

Gaël Clément, modérateur, paléontologue au Muséum national d'Histoire naturelle . - Je remercie grandement nos cinq intervenants et j'invite Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer à prendre la tribune.

Michel MAGRAS,
Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Cette première table ronde témoigne de la passion qui anime nos intervenants. Malheureusement, nous avons été contraints de limiter la durée de leurs prises de parole, mais celles-ci nous encouragent à poursuivre nos efforts. J'ai oublié dans mon intervention introductive de saluer la présence de Monsieur Olivier Stirn, ex-Ministre des Outre-Mer, qui est un fidèle des travaux de la délégation, et celle de Monsieur l'Ambassadeur et ami Jean-Bernard Nilam.

Entre-temps, mes collègues Maurice Antiste, sénateur de la Martinique, Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, vice-président du Sénat, Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe et Michel Vaspart, sénateur des Côtes-d'Armor, nous ont rejoints, ainsi que Philippe Folliot, député du Tarn, qui est un passionné et un vrai militant des outre-mer.

Merci Madame la Ministre de votre présence et je vous cède la parole, pour conclure sans plus tarder cette première table ronde.


INTERVENTION
Annick GIRARDIN,
Ministre des Outre-Mer

Merci de votre invitation, pour cette seconde édition - l'an dernier, quand vous avez évoqué la question du Pacifique, je ne pouvais pas être à vos côtés - d'un colloque qui met en valeur le lien entre la science, la préservation de la biodiversité et le développement durable de nos territoires.

La plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques a rendu il y a un mois son évaluation mondiale. Ce rapport tire une nouvelle fois, de manière encore plus stridente, la sonnette d'alarme. Près de 10 % des espèces - soit un million d'espèces - sont menacées. L'effondrement de la biodiversité terrestre est lié au changement d'utilisation des sols par l'agriculture. La pression de la pêche est aussi un facteur fort et je viens d'un territoire où la surpêche a provoqué une crise environnementale, économique et sociale.

Ce rapport nous parle aussi des bonnes intentions politiques et de l'adoption de normes mondiales. Celles-ci ne doivent pas rester lettre morte. Nous devons agir, concrètement. C'est notre devoir, et vous devez nous rappeler à notre responsabilité. Les modes de développement économiques et sociaux doivent être protégés et s'appuyer sur les populations autochtones et des comités locaux. Celles-ci ont en effet un savoir-faire dans la préservation de la biodiversité qui doit nous éclairer. Sur ces questions, il faut faire preuve d'humilité.

Ce rapport nous parle également du futur cadre mondial sur la biodiversité, qui devrait être adopté en 2020 lors de la COP 15. L'alimentation et l'agriculture seront au centre des négociations. On parlera des subventions à la pêche, qui feront sans doute aussi l'objet d'un débat à l'organisation mondiale du commerce, et de la mise en oeuvre de l'agenda 2030 pour le développement durable. La France doit être la tête de pont des négociations, puisqu'avec ses outre-mer, elle est présente dans la quasi-totalité des points chauds de la biodiversité mondiale.

J'ai lancé le 8 avril dernier à Paris la stratégie de développement durable du ministère des outre-mer à l'horizon 2030.

C'est la trajectoire « outre-mer 5.0 ». Je travaille sur les 17 objectifs de développement durable depuis mon passage au ministère des Affaires étrangères, en tant que secrétaire d'État au développement et à la francophonie, car j'ai participé aux négociations sur ces objectifs, assortis d'un nombre impressionnant d'indicateurs.

Dans les territoires d'outre-mer, j'ai voulu établir une trajectoire plus dynamique, pour aller plus vite dans la transformation. Aussi avons-nous condensé les 17 objectifs de développement durable pour créer la trajectoire 5.0 : zéro déchet, zéro carbone, zéro polluant agricole, zéro vulnérabilité au dérèglement climatique et zéro exclusion.

Dans cette trajectoire, la question de la biodiversité est transversale à chacun des objectifs, et elle questionne dans chacun d'entre eux notre rapport à la nature et à notre environnement. Zéro déchet, zéro carbone, cela implique de réduire drastiquement l'empreinte de l'homme pour préserver la biodiversité. Zéro polluant agricole, cela revient à protéger les populations des substances chimiques dans leur quotidien, grâce à de nouveaux systèmes agricoles qui freineront l'artificialisation des sols. Zéro vulnérabilité, cela consiste à rendre les territoires d'outre-mer résilients face aux changements climatiques, car ils sont en première ligne - qu'on pense au cyclone Irma à Saint-Martin, par exemple.

Il faut donc travailler à prévenir les risques naturels qui découlent du dérèglement climatique. Et une barrière de corail, ou la mangrove, sont la meilleure des réponses aux problématiques de submersion. Zéro exclusion, enfin : dès lors qu'on protège notre biodiversité, que l'on respecte notre système écologique, la population se trouve au centre d'une transformation qui crée de l'emploi, par les entreprises, mais aussi de l'emploi solidaire à travers les associations. Bref, l'engagement en faveur de la biodiversité est, sur le long terme, un engagement en faveur de notre épanouissement individuel.

Cela passe aussi par la lutte contre cette consommation effrénée que l'on connaît aujourd'hui. Le monde de demain sera le monde du moins et du mieux. L'homme du futur, s'il veut être libre, devra moins empiéter sur son environnement.

Pour réussir cette trajectoire, nous devrons associer de nombreux acteurs : institutions, secteur privé, associations, et société civile. Chacun d'entre nous doit faire partie de cette coalition d'acteurs sur le terrain.

Je dis souvent que 80 % de la biodiversité française se trouve dans les territoires d'outre-mer, et que la France possède le deuxième espace maritime au monde, et abrite 10 % des récifs coralliens du globe grâce aux outre-mer. Ce qu'on dit moins souvent, c'est que l'Europe a le premier domaine maritime - devant les États-Unis. La valeur économique des récifs coralliens d'outre-mer est estimée aujourd'hui à 1 milliard d'euros.

La valorisation de l'exceptionnelle biodiversité ultramarine est essentielle, et voulue par l'ensemble des populations des territoires d'outre-mer qui ont été interrogées dans le cadre des Assises des outre-mer. Le Livre bleu en a tenu compte, et nombre de projets répondent à ce besoin de protection et de valorisation.

Le développement des connaissances sur la biodiversité est nécessaire : avant d'agir, il faut savoir. Il faut appuyer nos actions sur la recherche. Les territoires d'outre-mer sont désireux d'accueillir des plateformes de recherche organisées par bassin maritime.

Avec Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, nous avons signé en février une convention de préfiguration d'une plateforme subarctique à Saint-Pierre-et-Miquelon. J'espère lancer dès cet été une mission de préfiguration pour La Réunion et pour Mayotte et, dans l'Atlantique, pour la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Ces plateformes répondent au besoin de coordonner nos actions. J'ai fait partie de l'équipe-projet ultramarine qui a travaillé sur les Assises des outre-mer. Nous avions souligné le fait que la recherche outre-mer n'est prise en charge par personne. J'ai longtemps cru qu'on arriverait à intégrer davantage d'outre-mer dans les politiques nationales. Je reconnais à présent, comme plusieurs parlementaires, qu'il va falloir que nous fassions les choses par nous-mêmes, en allant au-delà du Livre bleu, peut-être avec un fonds spécifique : ces plateformes auront besoin d'être alimentées par des chercheurs, mais elles auront aussi des besoins financiers. L'AFB doit être à nos côtés sur ces sujets. Et nous devons nous engager tous ensemble sur la création des compteurs biodiversité. Ces outils pédagogiques montreront quelles sont les espèces en danger.

L'Initiative française sur les récifs coralliens (IFRECOR) fête ses vingt ans : il lui faut une nouvelle dynamique, et les nouveaux membres du collège parlementaire qui viennent d'être nommés, parmi lesquels Dominique Théophile ou Victorin Lurel, sauront bousculer les choses.

Les organisations non gouvernementales sont aussi importantes dans le combat des territoires d'outre-mer. Je parle souvent du réflexe outre-mer : ce réflexe doit être porté au sein du Gouvernement comme au Parlement. Il doit être porté, aussi, par toutes les associations, qui ne se préoccupent pas tous suffisamment d'outre-mer. Je salue toutefois le WWF, ou l'Union internationale pour la conservation de la nature, ou encore la fédération France Nature Environnement, qui agissent sur ces territoires, et viennent nous bousculer, ce qui est toujours bénéfique - je viens moi-même du milieu associatif.

Je salue aussi Jean-Bernard Nilam, pour son action en tant qu'Ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles-Guyane. Quand je suis arrivé, je lui demandé d'aller plus loin, plus vite, et d'assumer la totalité de la zone atlantique.

Monsieur le Président de la Délégation aux outre-mer du Sénat, ce colloque est très pertinent. Ces sujets importants doivent pouvoir être évoqués, y compris dans la Chambre Haute. N'hésitez pas à me faire part de vos réflexions à l'issue de cette rencontre : je suis à l'écoute, notamment sur ces plateformes de recherche que l'on doit installer dans chaque bassin maritime et auxquelles les acteurs des territoires devront être associés, qu'il s'agisse du monde de la recherche, de celui de l'entreprise, ou des élus locaux. Nous ne pourrons réussir qu'en formant une coalition. Ainsi permettrons-nous à nos enfants, aux générations à venir, et peut-être aussi à nous-mêmes, de mieux vivre sur ce territoire et sur cette Terre. Merci.

[Applaudissements]

Michel Magras, Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer . - Merci, Madame la Ministre. Le Sénat est l'assemblée des territoires et notre fierté est de les mettre à l'honneur chaque fois que l'occasion nous en est donnée.


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