D. UNE COOPÉRATION DE SÉCURITE ET DE DÉFENSE QUI OFFRE DES PERSPECTIVES INTÉRESSANTES

1. La coopération policière

Nous entretenons avec la police colombienne une coopération dynamique, orientée principalement vers la lutte contre le crime organisé et le narcotrafic.

La police colombienne comprend 183 000 policiers et constitue un corps civil du ministère de la défense. Il est intéressant de noter qu'elle a été créée en 1891 par un policier français, le commissaire Gilibert, et qu'elle est organisée sur le modèle de la police française. Elle a certes pour modèle de référence le modèle américain et, dans une moindre mesure, le modèle espagnol, mais manifeste un réel intérêt pour le modèle français dont elle souhaite s'inspirer, par exemple en matière de sécurité routière.

Elle est particulièrement ciblée par les groupes armés . Au-delà de l'attentat perpétré contre une école de police à Bogota en janvier 2019, elle subit des attaques quotidiennes. Selon les chiffres cités par le SSI, entre le 17 janvier et 1 er avril 2019, 30 morts, 70 blessés parmi les forces de police et 50 attaques de commissariats ont été recensés. Elle reste une institution touchée par la corruption , en dépit des mesures mises en oeuvre pour la combattre (unité « Dante » créée avec l'appui de l'OTAN).

Notre coopération policière comprend un volet institutionnel, un volet opérationnel et un volet technique.

La coopération institutionnelle correspond aux échanges entre les grands directeurs institutionnels ainsi qu'avec la Fiscalia (Parquet).

La coopération opérationnelle s'appuie sur une « équipe dédiée » composée de 12 policiers colombiens , recrutés au sein de la direction de la police judiciaire et de la direction anti-narcotique, et qui travaillent sous l'autorité de l'attaché de sécurité intérieure (collecte de renseignement, infiltrations...). Ce mode d'action, inspiré d'un système mis en place par les Etats-Unis (avec 3 000 policiers dédiés en ce qui les concerne), se révèle particulièrement efficace puisqu'il a permis la saisie de 8 tonnes de cocaïne et l'interpellation d'une trentaine de personnes dans des affaires de trafic de stupéfiants vers l'Europe.

La coopération technique recouvre l'ensemble des opérations de formation proposées à la police colombienne, en moyenne 35 actions par an. Sur ce volant, environ un tiers sont des formations dispensées par des experts envoyés par la direction de la coopération de sécurité et de défense du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères ou par le Centre interministériel de formation antidrogue (CIFAD) basé en Martinique. Le reste est constitué de formations proposées localement par le SSI (présentation de la police et de la gendarmerie française, maintien de l'ordre, circulation routière...).

A la suite de l'attentat commis en janvier dernier contre une école de police, nos interlocuteurs se montrent intéressés par notre expérience en matière de protection des enceintes . De même, ils souhaitent s'inspirer de l'expérience de notre Gendarmerie nationale dans le cadre de la réorganisation de leur police rurale (carabiniers), même si celle-ci reste d'une taille modeste : 8 000 carabiniers pour couvrir un territoire d'un million de kilomètres carrés, dont de nombreuses zones difficiles d'accès (montagne, région amazone...).

S'agissant de la lutte contre le narcotrafic, notre coopération met l'accent sur les formations à dominante police judiciaire, afin d'encourager les actions visant au démantèlement de filières , alors que, sous l'influence américaine, la Colombie tend à privilégier les saisies sèches de cocaïne (435 tonnes saisies sur les 1 300 tonnes produites, ce qui est déjà considérable) et l'éradication à la source (destruction des plants de coca).

Pour autant, les moyens que nous mettons en oeuvre pour former des policiers colombiens restent insuffisants au regard des besoins et des enjeux pour la France, notamment en termes de lutte contre le narcotrafic.

2. La coopération douanière

Egalement tournée vers la lutte contre le trafic de stupéfiants , l'activité de notre poste douanier consiste essentiellement à collecter de l'information permettant de déboucher sur des saisies en Europe, surtout dans les ports (Rotterdam, Anvers et ports espagnols).

Cette action est mise en oeuvre par la coopération menée avec l'Armada (marine) et les services colombiens de renseignement, sur la base d'un protocole de coopération opérationnelle, ainsi que par le recrutement de sources directes.

En 2018, elle a permis la saisie de 14,6 tonnes de cocaïne en Europe , ce qui représente la quasi-totalité des saisies de la douane française sur l'ensemble du territoire européen et un record depuis 2014.

3. La coopération de défense

Constituées de 300 000 hommes , les forces armées colombiennes constituent, avec la police colombienne, la force publique, rassemblée au sein du ministère de la défense. Celle-ci est utilisée pour répondre aussi bien à des menaces militaires (protection du territoire, lutte contre les guérillas) que les menaces de nature civile (narcotrafic, criminalité organisée), garantir l'ordre public et la protection des populations (évacuations, reconstruction de ponts et routes...).

Les forces armées colombiennes

Armée de terre

246 000 h

Marine

31 000 h

+ 20 000 h Infanterie de Marine

Armée de l'air

13 000 h

Source : ambassade de France

Notre coopération bilatérale de défense s'inscrit dans le cadre d'un arrangement technique « cadre » signé en décembre 2017 et d'un plan 2018/2020 plutôt ambitieux. Néanmoins, la Colombie est en demande d'une coopération renforcée , notamment sur les problématiques de criminalité transnationale.

Côté français, nous sommes intéressés par l'expertise opérationnelle des forces armées colombiennes (lutte contre les guérillas, déminage...) qui pourrait être employée avec profit dans le cadre d'opérations de maintien de la paix sur les théâtres africains, d'autant que la Colombie a obtenu en mai 2017 le statut de partenaire de l'OTAN.

Mines et déminage en Colombie

Les FARC et les autres guérillas colombiennes ont fait usage d'un grand nombre de mines/bombes artisanales et leur maîtrise dans ce domaine est reconnue, certains ex-combattants étant partis au Yémen pur partager leur expertise.

De fait, au moment de la signature des accords de paix, la Colombie était le deuxième pays le plus miné au monde après l'Afghanistan. Les mines présentes sur le territoire font chaque année un grand nombre de victimes, dont 60 % sont les forces de sécurité et 40 % la population civile.

Alors que le président Santos avait promis que le déminage serait achevé en 2021, celui-ci, confié aux ONG et aux organismes civils, s'avère trop lent. Les forces armées ont donc été en renfort, l'armée de terre créant à cet effet un « centre de déminage » dual (militaire/humanitaire) qui a obtenu en avril 2019 la qualification de centre d'excellence de l'OTAN en Amérique latine.

La coopération privilégiée entre les marines française et colombienne, notamment en matière de lutte contre le narcotrafic en mer, est affectée par le blocage depuis plusieurs mois de l'opération conjointe Tucan Royale de lutte contre le narcotrafic dans les Caraïbes, pour des raisons liées à l'interprétation du cadre juridique applicable aux trafiquants présumés interceptés. La France demanderait des garanties concernant le respect par la Colombie du cadre juridique international applicable. Les échanges sur cette question n'ayant pour l'instant pas débouché, l'opération demeure suspendue. Cette situation est regrettable. Outre le fait qu'elle brouille notre relation opérationnelle avec la Colombie, elle risque de perturber la participation de la Marine nationale à d'autres opérations qui montent en puissance dans la région, telle qu'Orion, opération multinationale contre le narcotrafic dans les Caraïbes et le Pacifique.

Il est urgent de parvenir à une solution permettant la reprise de l'opération Tucan Royale. En outre, la coopération au niveau des armées de terre et de l'air mériterait d'être renforcée.

Enfin, il faut encourager les coopérations potentielles dans le domaine spatial , sur lequel la Colombie semble vouloir miser (sur le plan tant civil que militaire), et pour lequel nous un atout avec la proximité de la Guyane.

De manière générale, il semble intéressant de renforcer nos coopérations de défense en Guyane , compte tenu de la similitude des problèmes qui se rencontrent sur ce territoire français et sur le territoire colombien (géographie marquée par la forêt et la pénétration des fleuves, orpaillage...).

4. D'importants besoins d'équipements

La Colombie connaît d'importants besoins en termes de renouvellement de ses équipements (avions de chasse, sous-marins, bâtiments de surface, systèmes de défense anti-aérienne ...), ce qui pourrait présenter un intérêt pour notre industrie de défense.

Cependant, il convient de tenir compte de deux restrictions.

D'une part, les moyens restent limités, malgré l'augmentation continue des crédits de défense depuis 2010 (+4,9 %par an en moyenne sous les deux mandats du président Santos, +3,13 % en 2019) pour atteindre 10,6 milliards de dollars en 2019 . En effet, 70 % du budget est consacré au paiement des salaires et pensions du personnel civil et militaire (T2), une dépense qui a vocation à croître compte tenu des compensations attendues par les militaires en suractivité depuis des années, ainsi que des dépassements en matière de fonctionnement général (T3). Le ministère de la défense dispose donc de faibles marges de manoeuvre pour l'achat de matériel et souhaiterait recourir à des financements innovants pour ces investissements.

D'autre part, il faut compter avec la concurrence des autres pays partenaires de la Colombie en matière de défense , au premier rang desquels les Etats-Unis, mais aussi l'Espagne, Israël et l'Allemagne. La présence américaine est prépondérante, aussi bien physiquement (plus de 11 000 coopérants sur place, en plus d'être légalement implantés sur 7 bases militaires en vertu d'un accord bilatéral de 2009) que d'un point de vue doctrinal et bien sûr financier, depuis 2000, à travers le « plan Colombia » (près de 10 milliards de dollars alloués entre 2000 et 2016, 251,4 millions de dollars en 2019). Les Etats-Unis s'assurent également une position privilégiée comme fournisseur à travers le programme des Foreign Military Sales (FMS, Ventes militaires extérieures), une forme de vente d'armes d'Etat à Etat via la Defense Security Cooperation Agency (DSCA) du Pentagone.

La Colombie entretient aussi d'excellentes relations avec Israël (pour son parc de chasseurs KFIR, ainsi que dans le cadre d'échanges de renseignement et lutte anti-terrorisme), avec l'Allemagne pour son parc de sous-marins, avec le Royaume-Uni (échanges de renseignement et lutte contre le narcotrafic) ainsi qu'avec l'Espagne (qui l'a parrainé pour rejoindre l'OTAN et l'aide à acquérir un parc de drones).

Naval Group, dont nous avons rencontré le représentant en Colombie, se positionne sur un marché de frégates , pour lequel l'un des atouts de l'entreprise est d'être une société d'Etat. Echaudée par certaines expériences difficiles de relations directes avec des entreprises, la Colombie privilégie désormais les relations de gouvernement à gouvernement (« G to G ») qui lui paraissent plus sûres. Si cette vente aboutissait, Naval group serait prêt à coopérer avec l'établissement public COTECMAR qui est chargé de promouvoir le développement de l'industrie navale colombienne et que le gouvernement colombien voit comme un fer de lance de ses ambitions dans ce domaine à l'échelle régionale.

Enfin, il faut signaler la signature en septembre 2017 d'un contrat entre le ministère de la défense colombien et l'entreprise EUTELSAT, potentiellement élargissable aux autres ministères et qui serait à même de fournir une solution pour la connexion internet des écoles du pays (celles déjà connectées dans le cadre d'un contrat arrivant à échéance et celles - les plus nombreuses- encore non connectées).

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