TROISIÈME PARTIE : EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 10 AVRIL 2019

M. Philippe Bas . - L'application des lois constitue une facette de la fonction de contrôle du Parlement sur l'action gouvernementale, permettant de vérifier l'adéquation entre les mesures législatives que nous votons et les mesures d'application que le Gouvernement a l'obligation de prendre.

19 lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2017-2018 ont été examinées au fond par la commission des lois, soit 46 % de l'ensemble des lois promulguées, hors traités et conventions internationales, niveau le plus élevé, cette année encore, de l'ensemble des commissions permanentes et proportion équivalente aux années parlementaires précédentes. Au-delà d'aspects purement statistiques, le bilan de l'application des lois constitue l'occasion de nous pencher, au moins une fois par an, sur les conditions d'examen des textes par le Parlement.

Sur ces 19 lois promulguées, 8 lois, soit 42 %, étaient d'initiative parlementaire. Alors que ce taux des lois d'origine parlementaire semble optiquement satisfaisant, et que cette importance ne se dément pas depuis 2015, précisons néanmoins qu'une seule des 8 lois concernées était issue d'une proposition de loi sénatoriale, soit 12,5 % seulement du total des propositions de loi examinées par notre commission en 2017-2018, ce qui traduit une particulière difficulté pour les propositions de loi d'origine sénatoriale à être inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il me semble qu'il y a là matière à amélioration.

M. Jean-Pierre Sueur . - C'est un vrai problème !

M. Philippe Bas . - Au 31 mars 2019, sur ces 19 lois, 13 étaient entièrement applicables, dont 6 d'application directe qui ne nécessitaient pas de décret d'application. 6 lois appellent donc encore des mesures d'application. Avant d'évoquer plus en détail certaines de ces mesures d'application que nous attendons toujours, il me faut renouveler les différents constats que nous dressions l'an dernier sur les conditions d'examen des textes par notre commission.

En premier lieu, le niveau d'activité de notre commission ne faiblit pas. Notre commission a examiné au fond, au total, 36 textes législatifs au cours de l'année parlementaire 2017-2018. Ce niveau d'activité soutenu s'inscrit dans la lignée des dix dernières années, au cours desquelles nous avons examiné entre 31 et 55 textes par an. Si l'on ajoute à ce travail législatif tous nos travaux de contrôle, dont certains, nous l'avons vu cette année encore, sont particulièrement lourds, on saisit mieux les conditions d'exercice de ses compétences par la commission des lois.

Le taux d'application des 19 lois examinées au fond par notre commission s'élevait au 31 mars 2019 à 91 %, c'est un bon taux par rapport aux 72 % constatés il y a un an. Notre suivi des mesures d'application n'est sans doute pas étranger à l'amélioration de ce taux. Depuis quelques années, la plupart des mesures d'application des lois sont prises - cela peut sembler être bien le moindre, mais notre vigilance accrue me semble devoir demeurer.

Toutefois, ce taux en progrès ne doit pas masquer les délais nécessaires au Gouvernement pour prendre les mesures d'application attendues. Alors que les gouvernements sont parfois enclins à rejeter sur le Parlement la responsabilité des délais nécessaires à l'adoption des dispositions législatives, il n'en est rien.

D'une part, les délais dans lesquels les mesures d'application de lois sont publiées sont parfois plus longs que les délais d'adoption des lois elles-mêmes. Pas moins de 53 mesures d'application publiées en 2017-2018 portent sur des dispositions législatives qui ont plus d'un an, dont 12 portent application de mesures législatives qui ont de plus de deux ans. Quand on sait que le Parlement se donne les moyens d'adopter certains textes jugés prioritaires en moins de quatre mois, on peut s'étonner qu'il faille six fois plus de temps au Gouvernement pour que paraisse un décret d'application.

D'autre part, l'argument, soulevé par de nombreux gouvernements, selon lequel le recours aux habilitations à légiférer par voie d'ordonnance permettrait de gagner du temps se heurte à une réalité que nous constatons ces dernières années.

M. Jean-Pierre Sueur . - C'est complètement faux !

M. Philippe Bas . - C'est faux en effet : le Gouvernement est très lent dans la publication des ordonnances qu'il a sollicitées, pour ne pas dire qu'il est parfois enclin à ne jamais les publier. À titre d'exemple, aucune des deux habilitations prévues aux articles 52 et 70 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie n'a été prise, sept mois après la promulgation de la loi, et surtout 15 mois après le dépôt du projet de loi initial qui prévoyait déjà de solliciter le recours auxdites ordonnances.

Moins acceptable encore est l'habilitation sollicitée dans le vide : aucune des quatre habilitations à légiférer par voie d'ordonnance prévues par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique n'a eu de suites.

Il peut sembler pour le moins paradoxal d'encombrer l'ordre du jour législatif des assemblées de textes d'habilitation à légiférer par voie d'ordonnance, de le justifier par la technicité des dispositions ou la nécessité de faire vite, et d'en rester là.

Enfin, l'inflation législative, mal bien connu que nous dénonçons, est restée forte. Plusieurs textes examinés au fond par la commission des lois y ont été confrontés.

La loi précitée du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, adoptée en lecture définitive par l'Assemblée nationale après échec de la commission mixte paritaire, comporte 72 articles. Marque d'une inflation normative devenue courante, le projet de loi initial, qui comprenait 41 articles, a ainsi vu ses dispositions augmenter de moitié dès son passage en première lecture à l'Assemblée nationale (+ 21 articles).

Le coefficient multiplicateur de certains textes, c'est-à-dire le rapport entre le nombre d'articles en fin et en début de navette, est particulièrement révélateur de cette tendance : 8 des 19 textes examinés en 2017-2018 ont connu une multiplication au moins par deux du nombre d'articles au cours de la navette.

Je voudrais plus particulièrement évoquer trois des douze mesures d'application non prises au 31 mars pour 2019 pour les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2017-2018. En premier lieu, rappelons que l'article 11 de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles supprime les principaux régimes de formalités préalables obligatoires, remplacés par le mécanisme directement prévu par le RGPD en cas de risque pour la vie privée. Par exception certains traitements d'une sensibilité particulière restent soumis à des régimes particuliers. À ce titre, un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) doit définir les catégories de responsables et les finalités pour lesquelles pourront être mis en oeuvre, pour le compte de personnes publiques ou privées, des traitements de données parmi lesquelles figure le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques « NIR ». Ce décret n'a toujours pas été pris. Néanmoins, selon les informations fournies par le Gouvernement, un projet de décret a été soumis pour avis à la CNIL à la mi-mars, examiné par le Conseil d'État à la fin du même mois, et devrait donc pouvoir être prochainement publié.

En second lieu, il est regrettable, comme le soulignaient nos collègues Alain Marc et François Grosdidier, que deux décrets prévus par la loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique n'aient toujours pas été pris. La loi renvoyait à trois décrets en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la CNIL, la définition des modalités d'utilisation des caméras mobiles et des enregistrements visuels collectés. Au 31 mars 2018, seul un des trois décrets prévus avait été pris. Il s'agit du décret du 27 février 2019 qui fixe le régime applicable à l'usage des caméras mobiles par les agents de police municipale.

En revanche, pour l'heure, les décrets relatifs à l'expérimentation des caméras mobiles pour les sapeurs-pompiers et les surveillants de l'administration pénitentiaire n'ont pas été pris. La CNIL a été saisie d'un projet de décret relatif à l'usage des caméras-mobiles par les sapeurs-pompiers. Aucune procédure n'a en revanche été engagée s'agissant des surveillants de l'administration pénitentiaire.

M. Jean-Pierre Sueur . - Votre communication témoigne d'un grand réalisme. Je ne relèverai qu'un seul des points que vous avez évoqués, même si je les partage tous : une seule proposition de loi d'origine sénatoriale est parvenue à son terme et a été promulguée en 2017-2018. C'est un véritable gâchis : nous travaillons beaucoup pour rien. Un de nos anciens collègues avait formulé une proposition que je reprends à mon compte : il serait opportun de rendre obligatoire, dans l'année, l'inscription à l'ordre du jour des propositions de loi adoptées par l'autre assemblée. Je serais favorable que l'on réfléchisse à cette proposition à la faveur de la révision constitutionnelle.

Mme Françoise Gatel . - Tout à fait !

M. Philippe Bas . - Je trouve cette proposition excellente. Il est vrai que non seulement les propositions de loi que le Sénat adopte sont très rarement inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, mais il y a même des cas où des députés déposent des propositions de loi à l'Assemblée nationale en reprenant des textes que nous avons adoptés, voire déposent des propositions de loi sur les collectivités territoriales suscitées par le Gouvernement, plutôt que d'inscrire à leur ordre du jour le texte transmis. Cela a encore récemment été le cas lors de l'examen de la loi sur l'exercice des compétences « eau et assainissement » par les communes et leurs groupements. Susciter une proposition de loi dans ces conditions constitue un détournement des règles, puisque l'article 39 de notre Constitution prévoit que les projets de loi relatifs à l'organisation des collectivités territoriales doivent être déposés en premier lieu au Sénat.

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