II. EXAMEN EN COMMISSION (29 AVRIL 2019)
Réunie le lundi 29 avril 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.
M. Vincent Éblé , président . - Comme il est de tradition, M. le rapporteur général va nous présenter son rapport d'information sur le projet de programme de stabilité. Cette présentation intervient cette année dans un contexte bien particulier après le grand débat et les récentes déclarations du Président de la République.
Je lui laisse la parole, pour qu'il expose son analyse de ce projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le conseil des ministres a adopté, le 10 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui présente pour cette période la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent. Or ce document important est devenu obsolète du fait des annonces du Président de la République jeudi dernier. De qui se moque-t-on, si ce n'est de nos partenaires ou du Parlement européen ?
Considéré en principe comme le véritable support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire, ce projet s'accompagne du programme national de réforme, qui a pour finalité d'exposer les mesures programmées ou déjà mises en oeuvre afin de réaliser les objectifs fixés.
Ce document est théoriquement important et c'est la raison pour laquelle notre commission a souhaité qu'un débat en séance publique soit prévu aujourd'hui, alors que le Gouvernement n'avait pas envisagé de l'inscrire à l'ordre du jour. Le président Éblé et moi-même avons ainsi défendu l'organisation de ce débat, conformément à la volonté du bureau de notre commission. Cela nous est apparu d'autant plus nécessaire que l'exercice exigé par la transmission du programme de stabilité présente cette année une double particularité : d'une part, il tire les conséquences budgétaires du ralentissement de l'économie et donne l'occasion au Gouvernement de mettre à jour la trajectoire au regard des mesures adoptées fin décembre par le Parlement, afin de répondre aux préoccupations exprimées par le mouvement dit « des gilets jaunes » ; d'autre part, la programmation pluriannuelle a été établie indépendamment des conclusions tirées par le Président de la République du grand débat national, et ce alors même qu'elles risquent fort d'avoir un impact non négligeable sur la trajectoire budgétaire.
Commençons par examiner le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement. Comme le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), je pense que le scénario retenu constitue une base réaliste pour asseoir la programmation pluriannuelle des finances publiques, dès lors qu'il prend acte du ralentissement de l'économie française. Alors que le projet de loi de finances pour 2019 avait déjà été marqué par une révision à la baisse du scénario de croissance, les hypothèses retenues par le Gouvernement dans le cadre du présent programme de stabilité enregistrent un nouveau recul. La croissance serait ainsi limitée à 1,4 % du PIB en volume sur l'ensemble de la période 2019-2022, soit 0,3 point en deçà du précédent scénario.
La révision à la baisse des perspectives de court-terme pour la première période, de 2019 à 2020, tient essentiellement à un « effet base » 2018 défavorable et au ralentissement du commerce et de l'économie européenne. En effet, le ralentissement est plus fort que les prévisions pour le commerce mondial et l'activité de la zone euro, ce qui pèse sur les exportations françaises.
La hausse de la demande adressée à la France serait ainsi limitée à 2,7 % en 2019, également en net recul par rapport au précédent programme de stabilité, ainsi qu'au projet de loi de finances pour 2019. En revanche, la demande intérieure resterait dynamique, comme le suggèrent les enquêtes de conjoncture du début d'année et compte tenu de l'effet des mesures sur le pouvoir d'achat et des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » sur la croissance - cet effet est estimé à 0,3 point de PIB.
Les hypothèses retenues sont donc globalement en ligne avec les prévisions les plus récentes.
Si le présent projet de programme de stabilité est marqué par une dégradation des perspectives de croissance de court terme, le scénario de moyen terme est également revu à la baisse - une première depuis le début du quinquennat !
À cet horizon, l'évaluation des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement repose moins sur l'analyse des indicateurs conjoncturels que sur l'appréciation de la position dans le cycle de l'économie française et sur son potentiel de croissance, lesquels sont actuellement soumis à de fortes incertitudes.
Vous le savez, la croissance potentielle joue en quelque sorte le rôle d'un « limitateur de vitesse » : une fois l'écart de production résorbé, la croissance effective doit se rapprocher de la croissance potentielle. De ce point de vue, alors que le Gouvernement faisait jusqu'à présent l'hypothèse que l'économie française entrerait dans une phase de légère « surchauffe » en fin de quinquennat, tel n'est plus le cas dans le cadre du présent projet de programme de stabilité. Une fois l'écart de production refermé en 2020, la croissance effective - 1,4 % - resterait ainsi très proche de la croissance potentielle - 1,35 % en 2022 -, ce qui maintiendrait l'écart de production au voisinage de zéro.
Le HCFP qualifie ce scénario de « raisonnable », alors qu'il considérait à juste titre l'an passé que « le scénario retenu d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 » était « optimiste ». Les hypothèses de croissance effective qui en découlent apparaissent en tout état de cause en ligne avec les principales estimations disponibles de la Banque de France, du FMI, etc.
Si le débat sur le cadrage macroéconomique gouvernemental se focalise le plus souvent sur le scénario de croissance, d'autres hypothèses jouent un rôle décisif pour l'évolution des finances publiques, au premier rang desquelles figurent l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité et l'évolution des taux d'intérêt.
Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement bénéficie d'un fort dynamisme des recettes, qui a grandement facilité l'atteinte de ses objectifs budgétaires, avec une élasticité des prélèvements obligatoires, de 1,4 point de PIB en 2017 et de 1,2 point de PIB en 2018. Il s'agit d'une situation atypique, car l'élasticité n'est restée supérieure à l'unité pendant trois exercices consécutifs qu'à une seule reprise depuis 1990. Pour la suite du quinquennat, le Gouvernement retient une hypothèse plus réaliste, celle d'un retour à une élasticité unitaire.
La question du rythme de la remontée des taux d'intérêt revêt également une importance majeure pour apprécier la crédibilité du scénario gouvernemental compte tenu du niveau actuel de la dette publique.
En dépit de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de ralentir la normalisation de sa politique monétaire, le Gouvernement continue à établir l'hypothèse d'une remontée des taux assez importante, au rythme de 75 points de base par an - scénario dont j'avais déjà souligné le caractère conservateur l'an dernier.
Sans surprise, les prévisions de taux d'intérêt du Gouvernement diffèrent donc fortement du scénario central des conjoncturistes et de la Banque de France, ce qui conduit naturellement à une appréciation différente du poids de la charge de la dette. Celle-ci s'élèverait en 2021 à 1,3 point de PIB d'après la Banque de France, contre 1,6 point de PIB dans le scénario gouvernemental. Cette différence correspond au surcoût induit par la suppression complète de la taxe d'habitation.
Si la prudence peut se justifier dans un domaine où l'incertitude est grande, il apparaît étonnant de retenir des hypothèses aussi éloignées des conjoncturistes. Ces prévisions concernant la charge de la dette n'auraient-elles pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée, qui échapperait au contrôle du Parlement et dont la sous-exécution viendrait compenser les dérapages sur les autres dépenses ?
Venons-en maintenant à la trajectoire budgétaire, qui ne recueille pas, cela ne vous surprendra pas, le même assentiment que le scénario macroéconomique. En effet, le nouveau scénario budgétaire apparaît significativement dégradé, au point que l'on peut se demander si le Gouvernement ne sacrifie pas les finances publiques pour tenter de répondre au mouvement des gilets jaunes et plus largement aux attentes fortes des Français. Je pense à la renonciation à 120 000 postes de fonctionnaires et à l'abandon ou au report de réformes.
Par rapport au scénario du projet de loi de finances, trois changements notables expliquent la révision des objectifs budgétaires gouvernementaux.
Le premier facteur tient à une exécution 2018 légèrement plus favorable qu'escompté, avec un déficit public de 2,5 % du PIB, contre une prévision de 2,6 % du PIB. Cela permet ainsi au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point pour l'exercice 2019.
La décomposition du solde public fait apparaître que ce résultat est le produit de deux effets contraires : d'une part, un solde conjoncturel plus dégradé que prévu, en lien avec un taux de croissance 2018 - 1,6 % - inférieur de 0,1 point à la prévision associée au projet de loi de finances - 1,7% -; d'autre part, un effort de maîtrise des dépenses plus important qu'anticipé - supérieur de 0,2 point. Malheureusement, ce sont encore une fois les collectivités territoriales - à qui l'on donne souvent des leçons - qui ont grandement contribué à cette bonne tenue de la dépense, avec une progression des dépenses de fonctionnement limitée à 0,7 % en comptabilité budgétaire, soit un niveau significativement inférieur à l'objectif de 1,2 % fixé dans le cadre du mécanisme de contractualisation.
L'effet base positif de 0,1 point de PIB issu de l'exécution 2018 est toutefois plus que compensé par la dégradation des perspectives de croissance 2019-2022, qui pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur le solde en 2022.
Enfin, la trajectoire budgétaire est également bouleversée par les réponses apportées à la crise des gilets jaunes en décembre dernier.
Le coût de ces décisions, que le ministre nous a demandé de voter sans savoir à l'époque les expliquer, peut être estimé à 7,4 milliards d'euros en 2019, soit 0,3 point de PIB - selon l'hypothèse favorable d'une mise en oeuvre intégrale des économies annoncées sur le budget de l'État, 1,5 milliard d'euros, soit 40 % des crédits mis en réserve - et d'un rendement de la taxe GAFA conforme à la prévision, soit 400 millions d'euros. Je demande à voir... En 2022, le coût s'élèverait à 12,9 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB, en retenant l'hypothèse du présent programme de stabilité d'un gel complet de la trajectoire carbone jusqu'à la fin du quinquennat.
Faute d'un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique, et en dépit des grandes déclarations de Bruno Le Maire concernant le déficit, l'effet combiné de ces trois facteurs pèserait donc à hauteur de 0,9 point de PIB sur le solde 2022, éloignant ainsi un peu plus la France du retour à l'équilibre des comptes publics initialement anticipé par le Gouvernement.
Cette remise en cause de la trajectoire de réduction du déficit public conduit naturellement à un moindre infléchissement du ratio d'endettement, qui ne diminuerait que de 1,6 point à l'échelle du quinquennat, loin des ambitions initiales. En outre, la révision à la baisse des perspectives de croissance conduit mécaniquement à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB. À l'inverse, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB est plus importante qu'escompté - 0,5 point supplémentaire par rapport au projet de loi de finances -, du fait des réponses apportées à la crise des gilets jaunes.
À l'issue du quinquennat, le poids des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale resterait supérieur de 1,7 point à celui qui a été observé avant la crise financière. Le niveau atteint en 2022 serait sensiblement le même qu'en 2012. Autrement dit, en matière de prélèvements obligatoires, le quinquennat Macron permettra tout juste d'effacer les excès du quinquennat Hollande !
M. Sébastien Meurant . - Quelle vision !
Mme Sophie Taillé-Polian . - C'est expiatoire...
M. Bernard Delcros . - Chacun son passé.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Ce n'est pas moi qui ai inventé le « ras-le-bol fiscal » !
Alors, quel regard porter sur la nouvelle trajectoire budgétaire proposée dans le programme de stabilité ?
S'il était légitime de répondre à la crise des « gilets jaunes », même s'il aurait mieux valu éviter d'allumer l'incendie, - le Sénat a voté le premier le gel de la trajectoire carbone qui a fait l'objet d'un consensus entre nous, mais aussi l'ensemble des mesures d'urgence pour le soutien au pouvoir d'achat en décembre dernier -, il me semble que leur coût aurait dû être compensé par un plus grand effort de maîtrise de la dépense. Aussi, je suis inquiet de ce nouveau report du redressement des comptes publics, qui risque de fragiliser la crédibilité de notre politique budgétaire et la capacité de l'économie française à faire face aux chocs. Il faut se souvenir que la stratégie budgétaire française de sortie de crise s'est singularisée par la volonté de ne pas fragiliser la reprise économique, en engageant un redressement plus progressif de ses comptes publics. Ce choix contribue ainsi à expliquer le retard français en matière d'ajustement budgétaire.
Que l'on s'attache au solde public ou à des indicateurs plus sophistiqués tels que le solde primaire structurel, la France se situe actuellement en « queue du peloton » des grands pays européens, avec l'Espagne. Cette stratégie budgétaire n'est pas dénuée de tout fondement sur le plan économique. En effet, des travaux ont confirmé qu'il est sous-optimal de mener des plans de consolidation budgétaire de grande envergure en bas de cycle. Sa crédibilité reposerait sur la détermination du Gouvernement à s'engager résolument dans un effort de redressement des comptes publics une fois l'économie revenue à son niveau d'activité potentiel. Or les grandes réformes ont toutes été oubliées, alors que le contexte actuel apparaît doublement favorable.
D'une part, l'écart de production est pratiquement résorbé à l'issue de l'exercice 2019 et devrait même être positif à compter de 2020, ce qui signifie que les conditions économiques sont désormais propices à la mise en place de plans de consolidation budgétaire. D'autre part, la France bénéficie depuis 2017 d'un effet « boule de neige » positif, qui facilite la réduction du ratio d'endettement. Ainsi, même un léger déficit primaire serait suffisant pour engager la diminution du ratio d'endettement. Mais il faudrait que la situation se prolonge jusqu'à la fin du quinquennat, ce qui est inédit depuis le milieu des années quatre-vingt.
Plutôt que de profiter de ce contexte historiquement favorable pour commencer à réduire notre endettement, le Gouvernement préfère une nouvelle fois reporter l'effort en « surfant » sur la conjoncture. La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, qui s'écartait déjà significativement des règles européennes, est ainsi revue à la baisse sur la période 2019-2021. Les efforts prévus apparaissent bien insuffisants sur l'ensemble du quinquennat. Si le Gouvernement pourra sans doute de nouveau compter sur la « souplesse » des institutions européennes, ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d'endettement par rapport au reste de la zone euro. Seule l'Italie devrait faire pire en matière d'évolution de son endettement. Le différentiel d'endettement avec l'Allemagne atteindrait ainsi 48 points à l'horizon 2022 - 34 milliards d'euros qui partiront en fumée, sachant que cette charge représente le deuxième poste du budget de l'État. Et nos services publics requièrent de nouvelles infrastructures.
Or ce choix risque de rendre l'économie française plus vulnérable aux chocs, pour deux raisons. Tout d'abord, il risque de limiter la capacité de l'économie à faire face à un ralentissement économique, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d'amortisseur. Selon de récents travaux empiriques, dans l'hypothèse d'une crise financière de même ampleur, voire d'un krach boursier, les pays disposant d'importantes marges de manoeuvre budgétaires connaîtront une perte de PIB de moins d'un point en moyenne, tandis que les pays dont l'endettement est déjà élevé devront faire face à une perte d'environ 7 points de PIB - en 2008, il a fallu faire appel à la dépense publique, nationaliser des banques.
En outre, un niveau élevé d'endettement rend l'économie plus vulnérable à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés. Ainsi, un surcroît d'endettement de faible ampleur peut se traduire par une élévation brutale des taux d'intérêt. L'exemple italien, avec des taux souverains de 7 % à 8 % est d'ailleurs récemment venu rappeler l'importance de ce risque sur les marchés en cas de crise, notamment pour les pays dont les taux d'endettement avoisinent le PIB. Les taux pratiqués en Allemagne permettront toujours d'emprunter. Le choix du Gouvernement de reporter encore une fois l'inflexion du ratio d'endettement n'est donc pas exempt de risques sur le plan économique.
Pour l'heure, la trajectoire de redressement proposée par le Gouvernement reste sujette à caution.
Un premier facteur de fragilité tient au fait que la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts sur les années 2021 et 2022, soit la fin du quinquennat, alors qu'il est très rare de réaliser des économies à l'approche de la campagne présidentielle. D'un montant de 13 milliards d'euros en 2020, les réductions nécessaires s'élèveraient ainsi à 20 milliards d'euros en 2022.
Un deuxième facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire, qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris. Même pour l'exercice en cours, les incertitudes sont importantes. Ainsi, les économies de 1,5 milliard d'euros annoncées sur l'État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées, alors même qu'il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en oeuvre de la « contemporanéisation » des aides au logement...
M. Philippe Dallier . - C'est trop compliqué !
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - ...et le retard dans la mise en oeuvre des nouvelles règles d'indemnisation du chômage.
Une troisième faiblesse tient au fait que ce programme de stabilité a été établi « indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national ». Ite missa est : ce projet est déjà obsolète !
M. Philippe Dallier . - On aurait pu commencer par là !
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En effet, au moins quatre des mesures annoncées jeudi dernier pourraient se traduire par un impact significatif sur la trajectoire budgétaire, d'après les premiers éléments de chiffrage dont nous disposons.
Je pense bien sûr à la baisse annoncée de l'impôt sur le revenu, pour un montant d'environ 5 milliards d'euros, même si des économies en dépense et un rabot de certaines « niches fiscales » - lesquelles ? - viendraient en partie compenser ce coût. Je pense également à la réindexation partielle des pensions en 2020 et qui représenterait un « manque à gagner » de 1,4 milliard d'euros environ. Le renoncement total ou partiel à la suppression de 120 000 postes dans la fonction publique à l'échelle du quinquennat pourrait également peser sur les finances publiques - l'économie attendue était initialement estimée à 3 milliards d'euros environ. Enfin, porter à 1 000 euros la pension minimale pour les carrières complètes dans le privé représenterait un surcoût de 150 millions d'euros par génération à compter de 2020.
En première analyse, les enjeux budgétaires pourraient donc aller jusqu'à 10 milliards d'euros, soit environ 0,4 point de PIB, en l'absence de mesure de compensation.
Il ne serait pas acceptable de financer une nouvelle fois ces annonces par le recours à l'endettement, déjà particulièrement élevé. Il faudra malheureusement attendre l'actualisation de la trajectoire budgétaire à l'été dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques pour que le Gouvernement précise les économies supplémentaires qu'il entend mettre en oeuvre pour compenser le coût de ces nouvelles annonces.
En tout état de cause, le présent projet de programme de stabilité apparaît plus que jamais déconnecté des arbitrages budgétaires, ce qui est de nature à créer un doute sur la crédibilité de ce document, pourtant supposé constituer le support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire. Et à moins que le ministre nous annonce tout à l'heure qu'il compte le réviser, je ne manquerai pas de l'interroger sur ce point.
Enfin, la trajectoire gouvernementale pourrait également pâtir d'une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique, compte tenu des aléas importants susceptibles de peser sur le scénario de croissance gouvernemental à la hausse - principalement les aléas internes - mais aussi à la baisse - principalement les aléas externes.
Si la trajectoire gouvernementale se fonde légitimement sur le scénario macroéconomique le plus probable, il est utile d'examiner la sensibilité de la trajectoire budgétaire aux hypothèses macroéconomiques retenues. Afin de circonscrire le champ des possibles, j'ai élaboré deux scénarios macroéconomiques alternatifs à partir des prévisions les plus optimistes et les plus pessimistes des instituts de conjoncture et des organisations internationales.
La réalisation du scénario défavorable conduirait à dégrader le niveau du déficit public de 0,9 point de PIB en 2022, tandis que la réalisation du scénario favorable l'améliorerait de 0,5 point de PIB, ce qui suggère que les aléas baissiers l'emportent sur les aléas haussiers.
De façon plus rassurante, la réalisation du scénario défavorable ne conduirait pas à dépasser le seuil maastrichtien de 3 % du PIB en 2020 - ce qui risquerait de conduire à l'ouverture d'une nouvelle procédure de déficit excessif à l'encontre de la France, compte tenu du dépassement déjà prévu dans le scénario gouvernemental en 2019, en lien avec le surcoût temporaire lié à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
En revanche, le retour à l'équilibre budgétaire à l'issue du quinquennat, qui figurait parmi les objectifs initiaux du Gouvernement, annoncé à de nombreuses reprises urbi et orbi , resterait hors d'atteinte, même dans le scénario favorable. La réalisation du scénario défavorable risquerait de porter le ratio d'endettement public au-delà du seuil symbolique de 100 % du PIB dès 2020.
Il est donc urgent d'agir, et j'espère que les finances publiques ne seront pas une nouvelle fois sacrifiées sur l'autel des annonces.
M. Vincent Éblé , président . - Merci de ce propos étayé et stimulant pour notre réflexion collective, je donne maintenant la parole aux commissaires.
M. Roger Karoutchi . - Certes, tout cela devient virtuel, mais faire des annonces en dehors de tout texte est habituel. En décembre dernier, nous avons voté 10 milliards d'euros en 24 heures... C'est dire si le contrôle du Parlement est essentiel !
Presque tous les pays de l'OCDE revoient leurs prévisions de croissance dramatiquement à la baisse pour 2019 et 2020 - parfois de l'ordre de la moitié voire les trois quarts de l'évolution... La contraction du commerce international et l'augmentation continue des prix de l'énergie, et notamment du pétrole, y contribuent. Or le Gouvernement français semble avoir stabilisé sa prévision de croissance à 1,4 %, sans la modifier en raison de ces facteurs qui auront de probables conséquences sur l'économie française. Nous risquons de ne pas tenir nos prévisions...
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Un scénario est toujours sujet à caution. Sans remettre en cause les hypothèses du HCFP, il existe des facteurs contradictoires en Europe. Parmi les facteurs négatifs, il y a la dégradation de la croissance de plusieurs pays européens, et la réduction du commerce international - même si nous n'y sommes pas trop exposés, puisque nous n'exportons pas beaucoup. En facteur positif, le Parlement a voté des mesures en urgence, équivalant à 0,3 point de PIB. Le Sénat avait voté de telles mesures initialement, en alertant sur les impacts de la hausse de la TICPE et de la non-indexation des retraites sur les entreprises et les ménages ; nous nous y sommes opposés non pas pour nous faire plaisir, mais parce que c'est la réalité économique ! Et ne négligeons pas l'impact de la contraction de la croissance en Europe ; il y a de nombreux facteurs d'incertitude...
M. Philippe Dallier . - Je félicite le rapporteur général pour sa présentation, mais la situation est ubuesque. Que fait-on là ? Je croyais que ce débat était une obligation du Gouvernement, avec comme seule différence un vote à l'Assemblée nationale, mais pas obligatoirement au Sénat... Or c'est la commission des finances qui a, in fine, décidé d'inscrire ce débat à l'ordre du jour du Sénat ; le Gouvernement voulait-il s'en passer ?
Or certaines données ne sont déjà plus d'actualité. Je doute que les 9 milliards ou 10 milliards d'euros d'annonces de jeudi dernier et les 9 milliards d'euros de suppression de taxe d'habitation soient mentionnés dans ces prévisions, alors que le Gouvernement sera obligé de supprimer la taxe d'habitation pour tous - comme l'a demandé le Conseil constitutionnel. Si ces sommes ne sont pas prévues, quel est le sens de ce débat ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le Gouvernement est seulement obligé de transmettre au Parlement le programme de stabilité et le programme national de réforme. Ce débat en séance publique a été réclamé avec insistance par notre commission, mais le Gouvernement n'était pas obligé de le proposer. L'Assemblée nationale en débattra demain.
M. Philippe Dallier . - Et les députés voteront ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Oui.
La suppression complète de la taxe d'habitation est bien intégrée dans la trajectoire de la dépense publique. Le seul ratio pour lequel nous sommes en désaccord concerne l'évolution des taux d'intérêt. L'hypothèse retenue par le Gouvernement lui permet d'avoir davantage de marges de manoeuvre.
Dans quinze jours, nous examinerons le projet de loi de taxation des services numériques, dite taxe GAFA, qui revient aussi sur la baisse d'impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises. Le Gouvernement prévoit éventuellement « un lissage de la trajectoire pour les entreprises ayant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros », qui « ne modifierait pas l'ancre de 25 % pour toutes les entreprises en 2022 » et serait prévu pour le projet de loi de finances pour 2020. Le Gouvernement se réserve donc le droit de reporter à plus tard la baisse de l'impôt sur les sociétés... en 2022, l'année des miracles !
M. Vincent Éblé , président . - Lorsque le rapporteur général et moi-même avons réclamé ce débat sur le programme de stabilité, nous n'en connaissions pas le contenu. Nous pensions qu'à la mi-avril nous aurions des éléments précis sur les décisions consécutives au grand débat national...
M. Marc Laménie . - Merci de votre expertise de qualité et réaliste. Votre rapport porte bien sur le programme de stabilité des finances publiques, et notamment de la dette publique, document qui nous a été remis ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Tout à fait.
M. Marc Laménie . - D'où vient l'augmentation du coût des décisions prises en réponse aux gilets jaunes, qui passent de 7,4 milliards d'euros en 2019 à 12,9 milliards en 2022 ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous portons précisément nos appréciations sur deux documents - le programme de stabilité et le programme national de réforme, qui montrent les engagements en cours de mise en oeuvre ou devant l'être - que la France enverra à nos partenaires européens. Le programme national de réforme précise les moyens de mise en oeuvre de la soutenabilité de la dépense publique.
Le différentiel entre 2019 et 2022 pour les mesures accordées aux gilets jaunes est dû à l'annulation de l'augmentation de la taxe carbone, qui devait intervenir chaque année. Nous avons gelé le tarif au niveau de 2018, il y aura donc moins de recettes qu'escompté - recettes qui devaient croître jusqu'en 2022. Le Gouvernement avait trouvé un impôt invisible, voté une seule fois, mais qui n'est pas indolore...
M. Vincent Capo-Canellas . - Merci pour ce rapport extrêmement tonique. Les mesures de décembre et celles qui viennent d'être annoncées par le Président de la République sont-elles conjoncturelles, nées de nécessités sociales, ou vont-elles avoir une mise en oeuvre plus structurelle ? Bascule-t-on d'une politique de l'offre vers une politique de la demande ou les vannes sont-elles juste un peu ouvertes ? Ce revirement est-il complet ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous revenons à une juste proportion d'annulations d'erreurs relatives à des décisions qui n'avaient, pour certaines, pas encore été mises en oeuvre, comme l'augmentation de la taxe carbone. Le Gouvernement avait expliqué au Sénat qu'il ne pouvait revenir au tarif de 2018, il a fini par le faire...
La baisse annoncée d'impôt sur le revenu est plus fondamentale. Nous verrons à qui celle-ci bénéficiera : certaines tranches, les classes moyennes ?
Il n'y a pas de changement fondamental par rapport à la politique entreprise ; ce sont juste des corrections d'erreurs qui ne sont absolument pas mesurées. Le taux de prélèvements obligatoires restera à un niveau extrêmement élevé, loin devant l'Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni, et même l'Espagne et le Portugal, qui ont fait des réformes structurelles. Nous avons seulement fait des réformes cosmétiques.
M. Jean-Marc Gabouty . - Nous faisons un débat théorique. Il aurait été difficile d'avoir déjà des déclinaisons opérationnelles des orientations du Président de la République, alors que de nombreux arbitrages n'ont pas encore été rendus... Il sera difficile de réaliser un bilan complet de ces mesures avant la rentrée prochaine. Restons prudents, sans pécher par excès d'optimisme ou de pessimisme. Les réductions de niches fiscales pour les entreprises ne sont pas précisées.
Le Président de la République ne renonce pas à supprimer 120 000 fonctionnaires, mais ce n'est plus un objectif absolu : il faut faire d'abord d'autres réformes dans l'éducation nationale ou les services publics de proximité. Même sans la crise de cette année, la suppression de ces 120 000 fonctionnaires aurait été difficile à tenir, à la moitié du quinquennat...
Supprimons plutôt les organismes qui se superposent les uns aux autres. Nous en sommes tous d'accord, mais attendons de voir comment chacun sera défendu... En dix-huit ans, nous sommes passés de deux à dix-huit agences ! Je ne suis pas sûr qu'elles soient structurellement plus efficaces et moins coûteuses que l'État. Nous ne pouvons pas juger en connaissance de cause. Certes, le Gouvernement reprendra d'une main ce qu'il donne de l'autre, mais pas forcément aux mêmes personnes...
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Dont acte. Je ne reproche pas au Gouvernement de ne pas chiffrer des mesures récentes, mais enverra-t-il une lettre corrective à ses partenaires européens ?
M. Jean-Marc Gabouty . - Il devrait y en avoir une. C'est en tout cas nécessaire, une fois les mesures connues.
M. Michel Canévet . - L'Insee envisage pour fin juin un surplus de croissance, qui serait alors supérieure à 1,4 %. Attend-on des recettes supplémentaires, notamment de TVA, à la suite de ces dernières mesures qui seront favorables au pouvoir d'achat ? Avez-vous pris en compte la baisse de 10 milliards d'euros de charge des intérêts de la dette d'ici à 2021, telle qu'annoncée dans Les Échos ? Ce serait une source d'économies importantes.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La baisse de la charge de la dette est bien prise en compte. On estime à 0,3 point de PIB l'impact des mesures en faveur des « gilets jaunes », mais avec un taux d'élasticité des recettes évalué à 1,4. Il y aura un petit impact sur les recettes de TVA, mais mieux vaut prendre en compte un taux d'élasticité des recettes proche de l'unité ; le taux de 1,4, récemment connu, est exceptionnel. Normalement la progression des recettes suit celle de la croissance économique. Celle-ci s'est élevée à 0,4 % au premier trimestre.
M. Bernard Lalande . - Je ne suis pas surpris par le ton du rapporteur général dans une période où il faut montrer sa connaissance du terrain. Mais en 1995, la dette publique était de 56,1 % du PIB ; 68,8 % en 2008, et 90,6 % en 2012. Certains gouvernements ont donc leur part de responsabilité : 34 points pour la droite, alors que la dette était gérée par des administrateurs de sociétés... Sous le quinquennat de François Hollande, la dette atteignait 98 % du PIB, certes, mais comparons ce qui est comparable...
La crise actuelle est une crise sociale, et pas seulement une crise des gilets jaunes - ce dernier terme est un raccourci facile et médiatique. Le Gouvernement doit évidemment répondre à cette crise pour ne pas tomber dans une crise plus importante. Nous parlons, au total, de 20 milliards d'euros... Or on avait bien réussi à trouver 20 milliards d'euros pour conforter la reprise des marges des entreprises par le biais du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)... Les Gouvernements successifs ont voulu réadapter l'économie à une réalité française.
Le programme de stabilité ne tient pas compte des éléments du grand débat national. Les chiffres prévus sont meilleurs que ce que nous avons pu - et vous avez pu - faire, ce qui serait rassurant pour l'économie.
Pour infléchir la dette, nous avons besoin de réponses et de solutions, et pas seulement de critiques. On pourrait augmenter l'âge de départ en retraite à 64 ans et supprimer de nombreux fonctionnaires d'État - mais le Gouvernement précédent avait augmenté ce nombre pour des raisons de sécurité.... Quelles autres mesures proposez-vous pour infléchir la dynamique de la dette ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En 2008, il y avait la crise...
M. Philippe Dallier . - Oh, si petite...
M. Bernard Lalande . - La droite était aux affaires jusqu'en 2012...
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - À part l'Italie, les autres pays ont fait des efforts massifs de désendettement. En cas de crise ou de krach financier, les pays qui ont presque 100 % de dette publique sont plus exposés, car les marchés risquent de ne plus leur prêter. La France fait partie d'un marché européen, avec des règles de convergence et une monnaie commune... Tous les gouvernements successifs portent la responsabilité de la dette française. Nous avons pu profiter d'un début de quinquennat avec un fort taux d'élasticité des recettes de 1,4. Affirmer que les réformes seront faites en 2022 n'est pas réaliste. La réduction des dépenses publiques permettrait d'enclencher le désendettement. Le retard de deux ans du départ en retraite ferait gagner 1 point de PIB, soit 20 milliards d'euros. La fonction publique d'État représente 40 % du budget de l'État, si on prend le compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, soit 140 milliards d'euros.
Sommes-nous mieux administrés aujourd'hui qu'il y a vingt ans ? Nos concitoyens en doutent. Il y a de moins en moins de fonctionnaires sur le terrain, alors qu'il faudrait réduire le nombre de ceux qui produisent des normes, comme les fonctionnaires des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire), des agences régionales de santé (ARS), des agences de l'eau, devenus des monstres ingouvernables. L'État n'a pas besoin de s'occuper des aides aux entreprises, puisque ces compétences reviennent largement aux régions. Localement, tout est automatisé, mais il y a beaucoup de monde pour produire des normes. Nous avons conservé le ministère de la santé malgré les ARS. Les agences de l'eau ont-elles apporté quelque chose ? Je n'en suis pas sûr... L'âge de départ à la retraite est un grand poste des dépenses sociales qui nous différencie des autres pays.
La commission a autorisé la publication de la communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sous la forme d'un rapport d'information.