EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

M. Philippe Bas, président . - La décision du Gouvernement d'abandonner, pour les élections législatives de 2017, le vote par Internet pour les Français de l'étranger, pourtant prévu par les textes et déjà utilisé en 2012, constitue le point de départ des travaux de nos deux rapporteurs, Mme Jacky Deromedi et M. Yves Détraigne. Le risque que la plateforme de vote soit piratée était alors présenté comme la raison de cet abandon. Il nous avait paru regrettable de devoir accepter, sur des arguments informatiques, une telle régression de l'expression démocratique de nos compatriotes expatriés !

Hélas, le Gouvernement ne semble pas avoir recherché depuis une issue à cette difficulté : il n'a présenté, lors de la dernière réunion de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), ni calendrier, si solution technique. Il s'agit pourtant d'une question d'égalité des citoyens devant le suffrage ! Je souhaite que le rapport d'information constitue le point de départ d'une démarche affirmée du Sénat en faveur de ce principe démocratique incontournable.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur . - Le vote électronique recouvre deux dispositifs distincts : les machines à voter, utilisées par une minorité de communes pour l'ensemble des élections politiques, et le vote par Internet, ouvert à nos compatriotes établis hors de France pour les élections législatives et consulaires. Notre commission a déjà a examiné ces dispositifs en 2014, sur le rapport de notre collègue Antoine Lefèvre et de notre ancien collègue Alain Anziani.

Les actuelles machines à voter sont proches de l'obsolescence, le moratoire de 2008 ayant ralenti les efforts de modernisation. Les communes utilisatrices craignent désormais l'abandon d'appareils qui leur donnent entière satisfaction. Par ailleurs, le recours au vote par Internet a été supprimé pour les dernières élections législatives, au détriment de nos compatriotes de l'étranger qui ont souvent dû parcourir de nombreux kilomètres pour se rendre dans un bureau de vote. À l'issue de nos travaux, nous avons acquis la conviction qu'il convient de conforter et de sécuriser ces deux dispositifs.

M. Yves Détraigne, rapporteur . - La France fêtera prochainement les cinquante ans de l'introduction des machines à voter dans son droit électoral. Le recours à ces appareils est une faculté pour les communes de plus de 3 500 habitants, sous réserve de l'accord du préfet. Il demeure toutefois résiduel : au 1 er janvier 2018, seules soixante-six communes utilisent des machines à voter pour tout ou partie de leurs bureaux de vote, ce qui représente 1 421 bureaux de vote et 1,39 million d'électeurs, soit 3 % du corps électoral.

Pour comprendre le fonctionnement des machines à voter, nous avons reçu les représentants des communes utilisatrices et effectué deux déplacements au Havre et à Mandelieu-la-Napoule. Dans un bureau de vote équipé d'une machine à voter, aucune enveloppe ni aucun bulletin de vote papier n'est remis à l'électeur. Prenant son tour dans une éventuelle file d'attente, il se présente devant l'appareil, avec l'autorisation du président du bureau de vote. Seul le votant fait face à la machine afin de garantir le secret du vote, même en l'absence d'isoloir. Une fois le vote validé, le président du bureau annonce que l'électeur a voté et referme l'urne électronique. À la clôture du bureau de vote, l'urne est définitivement fermée et les résultats sont imprimés par la machine sur un ticket de dépouillement.

Les exigences de sécurité à l'égard des machines à voter sont nombreuses. Les appareils sont agréés par arrêté du ministère de l'intérieur, après vérification du bureau de contrôle Veritas. Les critères de l'agrément sont fixés par le règlement technique de 2003, qui définit pas moins de 114 exigences.

Des précautions sont également prises au cours du processus électoral. Ainsi, les machines à voter fonctionnent en autonomie : elles ne sont pas reliées par un réseau et ne font pas appel à Internet. Leur intégrité est également garantie par des règles de protection physique. Conformément à une circulaire de 2017, les machines sont stockées dans un local sécurisé : seules les personnes habilitées peuvent y accéder et leur présence est consignée dans un registre d'accès. De même, les opérations de programmation des appareils sont réalisées en présence des candidats à l'élection ou de leurs délégués. Une fois la machine paramétrée, les agents de la commune y apposent des scellés numérotés et ses modalités de fonctionnement ne peuvent plus être modifiées jusqu'au scrutin. Enfin, les communes utilisatrices possèdent des appareils de secours, mis en service en cas de défaillance. D'après le ministère de l'intérieur, l'application de ces règles n'a causé aucune difficulté particulière lors de l'élection présidentielle et des élections législatives de 2017, hormis un incident identifié à Issy les Moulineaux lors du second tour de l'élection présidentielle. Cet incident résultait d'une erreur humaine, non d'un dysfonctionnement de la machine.

Lors de leur audition, les représentants des communes utilisatrices se sont déclarés pleinement satisfaits des machines à voter. Grâce au ticket de dépouillement, ces appareils génèrent des gains de temps importants en accélérant le dépouillement : à la clôture du bureau de vote, il n'est pas nécessaire de faire appel à des scrutateurs pour compter les enveloppes, les répartir entre les tables de dépouillement et comptabiliser les résultats par candidat. Les machines à voter empêchent également la nullité d'un bulletin, puisqu'il est impossible d'ajouter des inscriptions, de rayer un élément ou d'insérer plusieurs bulletins dans une même enveloppe. Les machines sont, en outre, facilement accessibles pour les personnes en situation de handicap. Elles n'ont, en revanche, pas d'influence sur le taux de participation, ainsi que nous l'avons constaté à Antibes, où seuls certains bureaux de vote en sont équipés.

Depuis 2008, le Gouvernement a mis en place un moratoire : les préfets n'autorisent plus de nouvelles communes à s'équiper de machines à voter et l'État n'agrée plus d'autres modèles. Les communes déjà équipées peuvent continuer à utiliser leurs appareils mais, en pratique, elles ne renouvellent pas leur parc, craignant que l'État n'interdise les machines à voter.

Initialement, ce moratoire représentait un compromis entre les inquiétudes générées par cette technologie et la volonté des communes utilisatrices d'amortir l'achat de ces appareils. Il est désormais daté ; il ralentit le processus de fiabilisation et de sécurisation des machines à voter. Les appareils sont vieillissants et ne pourront plus être maintenus en état d'ici quelques années. Comme le souligne l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), « le maintien à long terme du moratoire représente sans doute la pire des solutions : les machines acquises avant 2008 continuent à être utilisées, sans jamais être mises à jour ». Nous nous trouvons donc face à un choix politique : interdire les machines à voter ou, au contraire, assurer leur maintien et leur modernisation.

Lors de nos travaux, aucun acteur institutionnel ni aucun informaticien n'a pu démontrer le manque de fiabilité des résultats électoraux dans les communes qui utilisent des machines à voter. Seuls des risques potentiels ont été mis en avant, sans preuve matérielle de l'existence de fraudes passées sur le territoire français. L'ANSSI et le ministère de l'intérieur ont d'ailleurs refusé d'organiser une simulation de piratage contre une machine à voter comme nous le leur proposions. Or, seul un tel test aurait pu démontrer l'éventuelle vulnérabilité des machines !

Dans ces conditions, notre première proposition vise à lever le moratoire de 2008. Nous souhaitons ainsi sécuriser la situation des communes qui utilisent, avec satisfaction, les machines à voter et permettre à de nouvelles communes de s'équiper, sur la base du volontariat.

Parallèlement, nous devons relancer les efforts de sécurisation des machines à voter, même si aucune fraude n'a été constatée sur le territoire français. Avec notre deuxième proposition, nous recommandons de créer les conditions d'un dialogue tripartite entre le ministère de l'intérieur, l'ANSSI et les communes utilisatrices. Une telle méthode avait été mise en oeuvre en 2007 et avait permis d'engager un dialogue efficace et apaisé.

Dans la même logique, notre troisième proposition vise à durcir les conditions d'agrément des nouvelles machines à voter. En effet, quinze ans après leur entrée en vigueur, les critères du règlement technique de 2003 doivent être actualisés. L'opération de paramétrage des appareils pourrait également être sécurisée, un tiers indépendant s'assurant de l'intégrité des scellés apposés jusqu'à l'ouverture du bureau de vote.

Enfin, la levée du moratoire de 2008 doit s'accompagner d'une réflexion sur les règles de financement des machines à voter, notamment pour inciter les communes à moderniser leurs appareils. Initialement, l'État prenait en charge l'ensemble des coûts d'acquisition et d'entretien des machines à voter. Cette règle figure d'ailleurs à l'article L. 69 du code électoral. Dans les années 2000, l'État s'est toutefois contenté de verser une subvention forfaitaire de 400 euros par machine pour un coût unitaire estimé à 5 500 euros. Depuis 2008, il ne donne plus rien. Notre quatrième proposition incite donc les communes utilisatrices à renouveler leur parc de machines à voter, au besoin à l'aide d'une subvention de l'État.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur . - Il nous est également apparu indispensable de sécuriser le vote par Internet, qui constitue une garantie essentielle pour les 1,8 million de Français de l'étranger.

Le vote par Internet est le fruit d'une initiative de notre collègue Robert del Picchia en 2003. Il est circonscrit à l'élection des députés représentant les Français de l'étranger et aux élections consulaires. Son extension à d'autres scrutins n'a pas été envisagée, soit parce que le nombre de votants est trop faible pour amortir le coût du dispositif - ce serait le cas des élections sénatoriales - soit parce que le scrutin concerne l'ensemble des Français.

Le vote par Internet doit concilier deux impératifs : sa sécurité et son ergonomie.

S'agissant de la sécurité, il fait l'objet de contrôles de la part du bureau de vote par voie électronique (BVE), de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), de l'ANSSI et du juge électoral.

Pour ce qui concerne son ergonomie, le vote par Internet demeure une procédure complexe, notamment parce que les codes d'identification des électeurs doivent être envoyés a minima par deux canaux de transmission comme les courriels et les SMS. Lors des élections consulaires de 2014, au moins 6 % des votants par Internet, soit environ 4 630 personnes, ont rencontré des difficultés de connexion et dû contacter la cellule d'assistance technique.

Sur le plan sociologique, le vote par Internet ne semble pas avoir d'influence décisive sur le taux de participation des électeurs établis hors de France, qui dépend principalement des enjeux du scrutin. À titre d'illustration, en 2012, 39,07 % des Français de l'étranger ont participé au premier tour de l'élection présidentielle (pour lequel seul le vote à l'urne était autorisé) et seulement 20,71 % d'entre eux ont voté au premier tour des élections législatives (pour lequel le vote par Internet était ouvert, en complément du vote à l'urne et du vote par correspondance). Le recours au vote électronique varie en outre selon les régions du monde : au premier tour des élections législatives de 2012, 78,71 % des votants se sont exprimés par Internet en Europe du Nord, contre 33,93 % au Proche-Orient et en Afrique.

Le vote par Internet constitue toutefois une garantie essentielle pour les Français de l'étranger. Si 80 % d'entre eux habitent à moins de quinze kilomètres d'un bureau de vote, certains doivent effectuer un long trajet pour se rendre aux urnes. Lors des dernières élections législatives, un seul bureau de vote était ouvert en République centrafricaine, deux en Colombie et trois en Russie. Un expatrié vivant à Irkoutsk doit, par exemple, parcourir 2 812 kilomètres pour voter à Ekaterinbourg, ce qui représente un trajet de plus de trois heures en avion et un budget d'environ 470 euros. Le vote par Internet permet également de répondre à des difficultés très concrètes, notamment lorsqu'un risque existe en matière de sécurité. En pratique, les Français de l'étranger l'utilisent massivement : plus de la moitié d'entre eux ont voté en ligne lors des élections législatives de 2012.

Le vote par Internet comporte donc de nombreux avantages qui plaident pour son maintien. Il rencontre cependant de sérieuses difficultés qui ont conduit le précédent Gouvernement à l'abandonner pour les élections législatives de 2017.

Cette décision s'explique notamment par le contexte géopolitique. Elle ne résultait pas d'une menace précise ou d'un risque clairement identifié mais d'un environnement plus global, avec les attaques contre le site Internet de TV5 Monde en 2015 et les interrogations sur le déroulement de la campagne présidentielle américaine en 2016. Le Gouvernement a donc fait usage du principe de précaution, comme l'a reconnu l'ancien président du bureau de vote par voie électronique.

Outre ces difficultés géopolitiques, la plateforme de vote en ligne présente des imperfections structurelles, qui ont également contribué à l'abandon du vote par Internet pour les élections législatives de 2017.

Conçue à partir de mai 2016, cette plateforme représente un projet d'envergure. Outre le système de vote, elle comporte plusieurs services périphériques comme la centralisation des résultats du scrutin, y compris depuis les bureaux de vote physiques. Le marché a été attribué à la société espagnole SCYTL, pour une durée de quatre ans. Son montant total s'élève à 3,73 millions d'euros, somme à laquelle il faut ajouter 2,99 millions d'euros de prestations annexes confiées à d'autres entreprises.

Dès l'origine, le calendrier de l'opération était trop resserré, comme l'a démontré la Cour des comptes. Le prestataire et l'administration n'ont pas eu suffisamment de temps pour concevoir et tester la nouvelle plateforme.

En outre, le besoin initial en matière de sécurité a été sous-estimé : le Gouvernement a multiplié par deux ses exigences pendant l'exécution du marché, sans revoir le contrat du prestataire.

Enfin, les deux tests grandeur nature (TGN) organisés en décembre 2016 et en février 2017 n'ont pas donné satisfaction. Lors du second TGN, 14 % des utilisateurs n'ont pas réussi à accéder à la plateforme, contre environ 5 % lors des élections législatives de 2012. Ces difficultés ergonomiques ont retardé la sécurisation du dispositif, comme l'a confirmé l'ANSSI au cours de son audition. Si les responsabilités semblent partagées entre l'administration et le prestataire, il semble étonnant que ce dernier n'ait subi aucune pénalité, alors que sa plateforme présentait de graves imperfections fonctionnelles. Son marché public n'a pas été résilié ; il est encore en vigueur.

Dans ce contexte, l'enjeu est de maintenir le vote par Internet pour les Français de l'étranger tout en sécurisant le dispositif. Cette exigence reprend l'engagement pris par le Président de la République devant l'Assemblée des Français de l'étranger.

À court terme, il faut garantir l'organisation du vote par Internet pour les élections consulaires de 2020, en travaillant avec le même prestataire, la société SCYTL. Avec notre cinquième proposition, nous souhaitons que l'État renforce ses capacités de pilotage technique et organise au moins trois tests grandeur nature en amont du scrutin.

À moyen terme, une nouvelle procédure de mise en concurrence sera lancée pour préparer les élections législatives de 2022. Il faudra éviter de reproduire les erreurs constatées en 2017 ! Avec notre sixième proposition, nous préconisons que l'État renforce les moyens alloués à la sécurisation du vote par Internet. À titre d'exemple, la dématérialisation de la propagande électorale pour les seuls Français de l'étranger permettrait d'économiser plus de 3 millions d'euros, qui pourraient être réinvestis dans la plateforme de vote.

De même, il convient de rationaliser la procédure de passation du marché public pour s'assurer de l'adéquation entre les besoins de l'administration et les offres des candidats. Le marché doit être attribué au moins dix-mois mois avant le scrutin - contre douze mois en 2017 - pour pouvoir corriger les imperfections constatées lors des tests grandeur nature.

À long terme, notre septième proposition vise à s'assurer de l'identité des électeurs qui se connectent sur la plateforme de vote, en recourant par exemple à des techniques biométriques. Un tel dispositif simplifierait également la procédure de connexion, en supprimant l'envoi des codes d'identification par courriel et par SMS ; il nécessiterait de nombreuses garanties en matière de protection des données personnelles.

Enfin, nous devons porter une attention particulière aux conséquences, pour les Français de l'étranger, de la prochaine réforme institutionnelle s'agissant des élections législatives.

Les projets de loi déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale proposent notamment de supprimer le vote par correspondance lorsque les Français de l'étranger sont autorisés à voter par Internet. Nous n'y sommes pas hostiles mais souhaitons, avec notre huitième proposition, que l'Assemblée des Français de l'étranger soit consultée en amont sur ce choix fondamental entre les deux modalités de vote.

Nos compatriotes établis hors de France disposeraient, après la réforme, de deux votes : un vote pour l'élection au scrutin proportionnel de députés dans la circonscription « Français de l'étranger » (qui deviendrait une circonscription unique), et un vote pour l'élection, également à la proportionnelle, de 61 députés sur une liste nationale. Nous avons constaté avec satisfaction que le vote par Internet serait ouvert pour ces deux scrutins, ce qui présente l'avantage de la cohérence et de la simplicité. Il faut que ce principe soit maintenu au cours de la navette parlementaire.

M. Philippe Bas, président . - Je vous remercie pour votre exposé fort concret qui soulève des questions essentielles pour le fonctionnement de notre démocratie.

Mme Agnès Canayer . - La ville du Havre utilise des machines à voter depuis 2004. Il s'agit d'un engagement démocratique important à l'endroit de nos électeurs.

La ville se trouve désormais au pied du mur : comment expliquer que le système ne fonctionne pas, alors qu'il s'est montré efficace pendant presque quinze ans et qu'aucun problème n'a été déploré ?

L'enjeu est également financier : Le Havre a investi un million d'euros pour l'achat de 150 machines et aimerait pouvoir échelonner le renouvellement indispensable de son parc. Je remercie les rapporteurs pour leur travail, dont l'apport au débat sera essentiel.

M. François Bonhomme . - Votre rapport d'information a le grand mérite de réaliser une analyse exhaustive du sujet. Certes, la sécurité et la fiabilité des dispositifs doivent être améliorées. Pour autant, j'avoue être moins convaincu par l'argument que je qualifierais de « totem moderniste ».

L'acte de vote est sacré dans une démocratie ! Les urnes et le caractère secret du vote, qui n'existaient pas sous la Révolution française, représentent dans ce cadre un immense progrès. Je crains une désacralisation de l'acte de vote s'il venait à être dématérialisé. Nous rappelons souvent que le geste doit être tremblant pour modifier la loi ; changer les modalités du vote ne peut non plus être anodin.

M. François Pillet . - J'apprécie toujours lorsqu'un exposé pédagogique permet un débat éclairé ; je vous remercie donc pour la grande qualité de votre présentation.

Je partage les interrogations de François Bonhomme, en distinguant toutefois l'usage de la machine à voter, qui nécessite toujours l'acte civique et symbolique de se déplacer dans un bureau de vote, du vote par Internet. La nécessité de cette seconde modalité peut néanmoins se comprendre pour nos compatriotes vivant à l'étranger, compte tenu de la distance qui parfois les sépare d'un bureau de vote.

Lors des auditions que vous avez menées ou des déplacements que vous avez effectués, a-t-il été envisagé par certains de vos interlocuteurs que l'expérimentation du vote par Internet puisse être étendue à l'ensemble des électeurs français, y compris lorsqu'ils résident sur le territoire national ? Personnellement, je serais très préoccupé par une telle expérimentation...

M. Henri Leroy . - J'aimerais apporter mon témoignage d'élu municipal de Mandelieu-la-Napoule, qui utilise le vote électronique depuis 2005. Je puis vous assurer que le caractère cérémonieux de l'acte de vote ne s'en trouve aucunement amoindri.

Selon les sondages que nous avons réalisés, les jeunes apprécient la modernité du procédé, tandis que les plus âgés y semblent accoutumés. À Antibes par exemple, où certains bureaux de vote sont équipés de machines à voter et d'autres non, les électeurs qui dépendent de bureaux de vote traditionnels réclament l'installation de machines à voter !

Croyez-moi : l'acte de vote demeure symbolique ; la sensation est intacte. La fraude, en outre, s'avère impossible compte tenu de l'installation de scellés préalablement au vote, au besoin par huissier de justice. D'ailleurs, nous utilisons des machines à voter au Congrès des maires ! Enfin, les mal voyants peuvent, grâce à ce système, voter sans l'aide d'un tiers.

À mon sens, le sujet n'est en réalité préoccupant qu'à cause du moratoire de 2008 qu'il convient de lever, afin de moderniser le parc des machines à voter.

M. Pierre-Yves Collombat . - Je joins mes félicitations à celles de mes collègues concernant la clarté de ce rapport. Il convient de distinguer les machines à voter du vote par Internet, surtout s'il était envisagé une généralisation de ce dernier.

Je n'ai guère d'expérience s'agissant de l'utilisation des machines à voter et la question m'apparaît mineure. Du reste, la fraude, phénomène néanmoins en recul, ne constitue pas un sujet propre aux machines à voter : dans ma région, d'aucuns parlent de « sucrage des urnes »...

Le vote doit, à mon sens, rester un acte sacré qui soude la Nation dans un geste symbolique qu'il ne faut pas perdre.

Le vote par Internet pose, en conséquence, un problème différent. Si son usage paraît, pour des raisons pratiques, logique et de bon sens pour les Français résidant à l'étranger, je ne suis pas favorable à son élargissement à l'ensemble des électeurs. Prenons garde aux dérives modernistes qui remettraient en cause le caractère cérémoniel du vote.

M. Jérôme Durain . - Je ne partage par la crainte exprimée par certains de nos collègues de voir désacralisé le geste électoral. J'ai parfois trouvé les bureaux de vote tristes et austères... Je suis favorable à l'utilisation des machines à voter dès lors que la sécurité et la fiabilité sont garanties.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur . - Il me semble effectivement important, comme le mentionnait notre collègue François Pillet, que les électeurs se déplacent physiquement pour voter. J'ai toujours plaisir à le constater, pour les Français de l'étranger, dans nos ambassades et consulats.

Lorsqu'il est mis en oeuvre, le vote par Internet n'est qu'une une possibilité : les urnes existeront ! Dans certains pays où les distances sont considérables, le vote par Internet est toutefois indispensable pour permettre à nos compatriotes expatriés de conserver un lien avec la France, même si les conséquences sur le taux de participation ne paraissent pas évidentes.

En revanche, notre rapport d'information ne préconise nullement la généralisation du vote par Internet à l'ensemble des électeurs résidant sur le territoire français ; le coût en serait trop élevé et le risque de piratage important.

M. Yves Détraigne . - De même, nous ne proposons pas de rendre obligatoire l'usage des machines à voter mais de permettre aux communes utilisatrices de moderniser leurs équipements. Parce qu'il n'est pas relié à Internet, ce dispositif ne pose pas de difficulté en matière de sécurité. Il préserve, en outre, le rituel du vote. Pourquoi, dès lors, bloquer le renouvellement du parc de machines à voter? Une décision de bon sens doit être prise.

M. Philippe Bas, président . - Chers rapporteurs, recevez à nouveau mes remerciements pour votre étude approfondie. Je vous propose d'envoyer le présent rapport d'information, accompagné d'un courrier au Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, afin d'insister sur l'urgence de la problématique du vote par Internet pour les Français de l'étranger.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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