Rapport d'information n° 726 (2017-2018) de M. Michel AMIEL , fait au nom de la MI réinsertion des mineurs enfermés, déposé le 25 septembre 2018

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N° 726

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 septembre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur la réinsertion des mineurs enfermés

Par Mme Catherine TROENDLÉ,

Présidente

M. Michel AMIEL,

Rapporteur

Sénateurs

Tome I : Rapport

(1) Cette mission d'information est composée de : Mme Catherine Troendlé , présidente ; M. Michel Amiel, rapporteur ; Mme Éliane Assassi, M. Daniel Chasseing, Mmes Catherine Conconne, Josiane Costes, M. Michel Forissier, Mmes Françoise Gatel, Laurence Rossignol, vice-présidents ; MM. Jacques Bigot, Joël Bigot, Mmes Christine Bonfanti-Dossat, Agnès Canayer, Jacky Deromedi, Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, Nassimah Dindar, M. Jean-Luc Fichet, Mmes Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, MM. Martin Lévrier, Didier Mandelli, Mmes Marie Mercier, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Gérard Poadja.

« On ne saurait reprocher à l'épiderme de n'être pas le coeur »

George Santayana, «Soliloquies in England and Later Soliloquies» (1922)

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Concernant l'enfermement pénal

Recommandation n° 1 : développer une culture partagée entre les différents intervenants auprès des mineurs - protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), administration pénitentiaire, éducation nationale, personnel de santé, mais aussi services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements - ce qui suppose une volonté partagée au plus haut niveau de responsabilité et l'organisation de formations communes obligatoires .

Recommandation n° 2 : veiller à ce que les CEF ne deviennent pas la solution unique en matière de placement en développant une palette diversifiée de structures d'accueil et en rappelant que l'enfermement doit demeurer une solution exceptionnelle.

Recommandation n° 3 : profiler les postes d'éducateurs en CEF, améliorer la formation spécifique à la prise de poste et revaloriser le régime indemnitaire lié, pour faciliter la mise en oeuvre d'un véritable projet pédagogique.

Recommandation n° 4 : améliorer les conditions d'incarcération des mineurs détenus en remplaçant, à terme, les quartiers pour mineurs (QPM) par de nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ou, à tout le moins, en offrant en QPM le même accompagnement éducatif qu'en EPM.

Recommandation n° 5 : assurer la continuité de l'enseignement scolaire dans les EPM, les QPM et les centres éducatifs fermés (CEF) pendant l'été.

Recommandation n° 6 : veiller à préparer, en lien avec les éducateurs du milieu ouvert qui assurent un rôle de « fil rouge », la sortie de prison ou la fin du placement en CEF et accompagner le mineur à l'issue de la période d'enfermement pour éviter toute « sortie sèche ».

Recommandation n° 7 : recodifier l'ordonnance de 1945 pour la rendre plus lisible pour les professionnels et les justiciables et renouer avec son esprit fondateur .

Recommandation n° 8 : à l'occasion de cette réécriture de l'ordonnance de 1945, étudier tout spécialement les alternatives à l'incarcération et les possibilités offertes par la justice restaurative.

Recommandation n° 9 : redonner à la PJJ ses capacités d'intervention en matière civile , alors que ces mesures sont aujourd'hui à la charge des services d'aide sociale à l'enfance des départements, et redonner à la protection jeune majeur toute sa place afin d'éviter des ruptures dans les parcours préjudiciables au travail d'insertion.

Recommandation n° 10 : relancer la coopération entre l'administration pénitentiaire, la PJJ et les acteurs de la formation et de l'emploi pour une meilleure insertion professionnelle.

Concernant l'enfermement psychiatrique

Recommandation n° 11 : réserver les soins psychiatriques, pouvant aller jusqu'à l'isolement, au traitement des troubles mentaux avérés.

Recommandation n° 12 : bâtir, à partir des dispositions éparses du code civil et du code de la santé publique, un droit spécifique du patient mineur admis en soins psychiatriques fondé sur le recueil systématique de son avis lors de son admission, l'effectivité de son droit d'information et de participation au soin, l'encadrement de son admission par un certificat médical circonstancié lorsque cette dernière est demandée par ses parents, l'extension de toutes les garanties de l'hospitalisation sous contrainte lorsque cette dernière est décidée par le juge des enfants.

LISTE DES SIGLES

ADF Assemblée des départements de France

AFMJF Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille

APSEP Association des professionnels de santé exerçant en prison

ARF Association des régions de France

ASPMP Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire

ASE Aide sociale à l'enfance

BTS Brevet de technicien supérieur

CACES Certificat d'aptitude à la conduite en sécurité

CAP Certificat d'aptitude professionnelle

CASF Code de l'action sociale et des familles

CATTP Centre d'activité thérapeutique à temps partiel

CAPPEI Certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive

CCOP Cellules de coordination opérationnelle du partenariat

CEF Centre éducatif fermé

CER Centre éducatif renforcé

CFA Centre de formation en alternance

CFEES Centre de formation et d'études de l'éducation surveillée

CFG Certificat de formation générale

CGLPL Contrôleur général des lieux de privation de liberté

CIM Classification internationale des maladies

CIPDR Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation

CLSPD / CISPD Conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance

CNCDH Commission nationale consultative des droits de l'homme

CNESCO Conseil national d'évaluation du système scolaire

CNFE-PJJ Centre national de formation et d'étude de la PJJ

CMP Centre médico-psychologique

COPJ Convocation par officier de police judiciaire

CQP Certificat de qualification professionnelle

CSAPA Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie

CSP Code de la santé publique

DASEN Directeur académique des services de l'Éducation nationale

DGESCO Direction générale de l'enseignement scolaire

DGGN Direction générale de la gendarmerie nationale

DGPN Direction générale de la police nationale

DIR Direction interrégionale

DPJJ Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse

DREES Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

DUP Dossier unique de personnalité

ENM École nationale de la Magistrature

ENPJJ École nationale de la Protection judiciaire de la jeunesse

EPE Établissement de placement éducatif

EPIDE Établissement pour l'insertion dans l'emploi

EPM Établissement pénitentiaire pour mineurs

ETP Emploi Équivalent temps plein

FIJAIT Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes

FIPD Fonds interministériel de prévention de la délinquance

FO Force ouvrière

FOQUALE Réseaux Formation qualifiante emploi

GAME Gestion automatisée des mesures éducatives ordonnées par les magistrats en charge des dossiers relatifs à la jeunesse

GIP Groupe d'information sur les prisons

GLTD Groupes locaux de traitement de la délinquance

HAS Haute Autorité de santé

IDDEES Insertion par le développement durable, l'environnement et l'économie solidaire

IGAS Inspection générale des affaires sociales

IGSJ Inspection générale des services judiciaires

IME Institut médico-éducatif

IMP Institut médico-pédagogique

ITEP Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique

JLD Juge des libertés et de la détention

MNA Mineurs non accompagnés

MDPH Maison départementale des personnes handicapées

MJIE Mesure judiciaire d'investigation éducative

MSPJ Mise sous protection judiciaire

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

ONDAM Objectif national des dépenses d'assurance maladie

OMS Organisation mondiale de la santé

PAFI Parcours aménagés de formation initiale

PART Plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme

PJJ Protection judiciaire de la jeunesse

PLAT Plan de lutte contre le terrorisme

PMI Protection maternelle et infantile

PSAD Plates-formes de soutien et d'appui aux décrocheurs

QPM Quartier pour mineurs

RAP Rapport annuel de performance

RGPP Révision générale des politiques publiques

RRSE Recueil de renseignements socio-éducatifs

SAH Secteur associatif habilité

SDSE Sous-direction de la statistique et des études du ministère de la justice

SMPR Service médical psychologique régional

STEMO Service territorial éducatif de milieu ouvert

UCSA Unité de consultations et de soins ambulatoires

UEAJ Unité éducative d'activités de jour

UEER Unité à encadrement éducatif renforcé

UEHC Unité éducative d'hébergement collectif

UHSA Unité hospitalière spécialement aménagée

UNML Union nationale des missions locales

ZSP Zones de sécurité prioritaire

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 21 février 2018, le Sénat a autorisé, à la demande du groupe La République en Marche, la création d'une mission commune d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés.

Par la création de cette mission, votre rapporteur a souhaité prolonger une réflexion engagée l'année précédente, qui concernait déjà les mineurs, qu'il avait alors étudiés sous l'angle de la santé mentale et de la pédopsychiatrie.

Le public des mineurs enfermés recoupe, pour partie, celui des patients suivis par les pédopsychiatres : l'enfermement thérapeutique est en effet l'une des modalités de l'enfermement auxquelles s'est intéressée la mission d'information. Mais les mineurs enfermés le sont aussi, et surtout, dans le cadre pénal : l'enfermement, qu'il s'agisse d'un placement en centre éducatif fermé ou d'une incarcération, vient alors sanctionner la commission d'une infraction.

Fort de son expérience de vice-président du conseil général des Bouches-du-Rhône à la protection de l'enfance, votre rapporteur a eu envie, via cette mission d'information, de réfléchir à la problématique de la justice des mineurs en articulant concrètement réflexions théoriques et analyses de terrain.

Pour votre rapporteur, la réflexion théorique sur ce sujet ne peut naturellement ignorer l'importante contribution philosophique de Michel Foucault.

Foucault définissait le « bio-pouvoir » comme la localisation du « pouvoir-savoir » dans une approche politique du sujet, lequel se trouve au carrefour de forces antagonistes, telles que la liberté face à la contrainte, le désir à la loi (ou la morale), la révolte à l'État. En ce début des années soixante-dix, il faut parler de révolte et non plus de révolution, car Foucault a acté l'échec des événements de mai 1968, du moins d'un point de vue philosophique.

Ainsi, à la dialectique discours/pouvoir de ses ouvrages antérieurs, Foucault ajoute un troisième terme : le corps, terme plus concret que celui de sujet. Et c'est dans une approche très structuraliste que Foucault affirme : « le pouvoir, c'est une relation, ce n'est pas une chose ».

C'est dans ce contexte qu'il prend, en 1971, la tête du groupe d'information sur les prisons (le GIP) avec des gens venus d'horizons aussi différents que l'helléniste Pierre Vidal-Naquet ou le directeur de la revue Esprit Jean-Marie Domenach. Nourri de cette période très militante où l'idée était de faire s'exprimer les détenus, Foucault fait paraître, en 1975, son célèbre ouvrage Surveiller et punir, avec une volonté de faire le lien entre pratiques discursives et pratiques non discursives.

Au centre du dispositif, répétons-le, le corps mieux que le sujet « se trouve pris entre des signifiances diverses des dispositifs du pouvoir » 1 ( * ) , pouvoir à ne pas confondre avec le bras armé des États modernes, ni même avec celui du prince des sociétés absolutistes, mais le pouvoir comme intersection de multiples lignes convergeant vers le corps, non plus celui du supplicié de l'Ancien Régime tels que décrit dans le chapitre premier de son ouvrage mais celui du prisonnier, et Foucault de faire l'histoire des conditions d'apparition de la prison.

Mais revenons au concept de pouvoir afin de préciser que pour Foucault le pouvoir en prison s'exerce d'une façon omnipotente selon un contrôle panoptique des détenus par les surveillants qui leur permet de voir sans être vus. Or la réalité est bien plus complexe comme le rappelle Robert Badinter à propos de la prison: « des bâtiments, des personnels et des détenus dont le sort est indissociable, des règlements, des rites et des coutumes secrets, des contre-pouvoirs. C'est un monde hermétique même pour ceux qui le dirigent » 2 ( * ) .

Cette complexité n'avait pas échappé à Foucault qu'il avait d'ailleurs étendue à tous les lieux d'enfermement (comme instrument du bio-pouvoir pour assujettir les corps), prison mais aussi école, usine ou caserne. « L'avènement de la société moderne est fondé, comme le suggérait déjà Max Weber, sur l'autodiscipline du sujet(...) et l'extension des pouvoirs de normalisation qui touche l'individu dans tous les espaces du système social » 3 ( * ) .

Le grand mérite de Foucault aura été d'anticiper ce que nos sociétés sont devenues, des sociétés de contrôle, obsédées par un hygiénisme préventif, comme on le voit en particulier dans le domaine de la santé, si bien décrit par Olivier Razac dans son ouvrage La Grande Santé .

Certes, les thèses de Foucault seront récupérées par tous ceux, qui, obsédés à leur tour par le quadrillage disciplinaire de nos sociétés, voient le pouvoir partout et en font le « petit livre rouge » de multiples luttes sectorielles, des nombreux fronts secondaires ou minoritaires où le balancier oscille entre dictature des minorités (et bien sûr celle de la transparence), et autodiscipline fortement suggérée par une vulgate des normes.

Ces quelques lignes introductives, dont le contenu pourrait paraître théorique et abstrait, constituent pourtant la base de notre sujet. La réflexion portant à la fois sur le délinquant, l'acte de délinquance, la société et le pouvoir qu'elle a de le sanctionner.

Dans le cas des mineurs, la peine, la sanction, la mesure éducative, ou tout à la fois, appréhendent plus encore que chez l'adulte, l'acte de délinquance dans un large contexte, qui embrasse à la fois la dimension psychologique et sociologique (famille, quartier, école, bande). Parce que le jeune est un sujet en devenir, il convient d'affirmer le principe de primauté de l'éducatif sur le répressif, point fondamental de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante, elle-même clé de voûte de l'édifice que constitue la justice des mineurs.

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Réfléchir à la justice des mineurs, c'est tout d'abord s'interroger sur la dyade sujet-société en constante évolution.

Ainsi, dans une société où le seuil de tolérance a baissé selon le paradoxe de Tocqueville 4 ( * ) , certains actes considérés comme déviants, qui jusqu'alors ne faisaient l'objet que d'une régulation en interne (au sein du groupe, de l'école, de la famille...), tombent désormais sous le coup de la justice. Ainsi pour reprendre les termes de Bertrand Rothé, dans « Lebrac, trois mois de prison », à propos de l'ouvrage de Louis Pergaud, « les Lebrac, Camus, La Crique et autres Grangibus, seraient aujourd'hui confrontés à l'appareil policier, judiciaire, voire pénitentiaire » là où dans le contexte de l'époque, le père et l'instituteur était les modérateurs (pas toujours si modérés que ça !) de ces parcours de déviance.

Ainsi se sont déplacés et durcis les mécanismes disciplinaires vers plus de normalisation et de judiciarisation : la vive réprimande, voire la correction de l'instituteur (en général complétée par celle du père de famille), ont été remplacées par le rappel à la loi, une panoplie de sanctions éducatives, voire le placement en milieu plus ou moins fermé.

Notons cependant que cette baisse de la tolérance individuelle s'est aussi accompagnée d'une baisse de la tolérance institutionnelle, et que c'est dans cette même période, au tournant du XIX e siècle, que, sous la pression de l'opinion publique et par la prise de conscience d'intellectuels, de philanthropes, et de politiques, que ce qu'il faut bien appeler les « bagnes pour enfants » ont peu à peu disparu.

C'est ensuite se poser la question du rôle de la sanction au sens large du mot. Telle que posée par l'appareil politico-judiciaire, elle paraît jouer, avec plus ou moins de succès, un triple rôle : punir ; amender l'individu ; et protéger la société, ou en tout cas rassurer une opinion publique souvent en proie à une émotion, amplifiée aujourd'hui par les chaînes d'information en continue et les réseaux sociaux.

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Et à cette question complexe une réponse univoque : l'enfermement, la prison, réponse unique visant à punir délits et crimes d'une peine simple et proportionnée.

Or il faut s'interroger sur le concept même de peine et « si l'on peut tout-à-fait concevoir une prison humaine, il est totalement contradictoire de vouloir une prison non dégradante tant l'idée même de peine est liée à celle de perte, de diminution, de chute » 5 ( * ) . La culture chrétienne y ajoute la notion de rédemption, qui relève autant de la volonté individuelle que de la grâce divine, laquelle rédemption constitue le maillon faible de la chaîne que constitue le parcours délinquantiel. On y préfèrera le concept de désistance, qui relève là encore de la volonté individuelle ainsi que celle de la société.

La prison punit-elle ? Peut-être au sens de privation de liberté, à la recherche du fameux « choc carcéral » qui ferait brusquement prendre conscience au jeune de la faute et préviendrait ainsi tout risque de réitération. C'est la « Divine comédie des punitions » pour reprendre l'expression de Deleuze, ami et commentateur de Foucault.

Amende-t-elle ? Certainement pas ne serait-ce que par la brièveté de l'enfermement : en moyenne, les mineurs passent trois à quatre mois en prison, et de l'ordre de quatre mois en centre éducatif fermé (CEF). Comment, en si peu de temps, imaginer mettre en place des mesures éducatives, chez ces jeunes « décrocheurs de la société », et en particulier de l'institution scolaire, si tant est qu'ils aient un jour accroché ?

Rassure-t-elle ? Oui, assurément car, sous l'effet de l'émotion, la société entend être protégée par la mise à l'écart immédiate, voire expéditive, des jeunes délinquants 6 ( * ) , sans trop se poser la question de leur devenir ultérieur ni des moyens pour éviter la récidive.

Mais en fait, en quoi consiste l'enfermement ? Si pour Foucault, l'enfermement consiste en un dispositif de « quadrillage-contrôle » de la société dont la prison n'est qu'un élément, au même titre que l'usine, l'école ou l'hôpital, nous n'utiliserons ce terme que pour nommer les lieux entrant dans le champ de compétences du contrôleur général des lieux privation de liberté, à savoir la prison (quartiers pénitentiaires pour mineurs et établissements pénitentiaires pour mineurs) et leur « antichambre », telle que voulue par la loi, à savoir les centres éducatifs fermés, l'univers psychiatrique posant un cas encore plus complexe quand il vient compléter l'univers carcéral en abordant la question du consentement aux soins 7 ( * ) .

Avec Frédéric Gros, qui a assuré l'édition des derniers cours de Foucault au collège de France, posons-nous la question : « pourquoi alors la prison demeure-t-elle, et pas seulement en France, la modalité punitive majeure ? Par manque d'imagination punitive ? Ou bien parce que, ce qui compte aujourd'hui, c'est qu'on y passe avant de rejoindre un autre contrôle, qu'on y laisse des traces et des dossiers informatiques à compléter pour le prochain passage ? ». Ce qui fait résonner ensemble aujourd'hui les hôpitaux, les prisons et les écoles, ce n'est plus l'imposition autoritaire de normes, mais le dispositif de traçabilité. Ce qui conduit votre rapporteur à se poser une question très personnelle : comment Kafka écrirait-il aujourd'hui Le Procès à l'heure de l'intelligence artificielle ?

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Votre rapporteur est également soucieux de donner à sa réflexion une profondeur historique tant il est vrai qu'il faut, pour reprendre les mots de Montesquieu, « éclairer l'histoire par les lois et les lois par l'histoire ».

L'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante, texte de base de la justice pénale des mineurs, est le fruit d'une longue évolution historique dont les prémisses remontent

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à l'époque romaine. Le droit romain a fortement influencé les juristes français, en particulier les rédacteurs du code civil.

Ainsi, la puissance paternelle ( patria potestas possédée par le p ater familias ) n'a-t-elle été remplacée par l'autorité parentale qu'en 1970. Longtemps, cette puissance paternelle fut considérée en France comme la clé de voûte de l'ordre social.

De même, la pensée d'Aristote eut une influence considérable sur la pensée occidentale:

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dans l'Éthique à Nicomaque , le philosophe écrit que « les parents chérissent leurs enfants comme étant quelque chose d'eux-mêmes » et que « l'enfant à tout âge doit honneur et respect à ses pères et mères », ce que reprendra textuellement l'article 371 du code civil. Autrement dit, l'enfant est assimilé à un objet dont le père peut disposer à sa guise ce que, confirmera l'article 375 du code civil napoléonien (1803), qui, autorisait le père à incarcérer pendant un mois son enfant de moins de quinze ans, pendant six mois si ce dernier était âgé entre quinze et vingt-et-un ans, âge de la majorité d'alors.

Même si le regard sur l'enfant change dès, le XVII e et le XVIII e siècle avec des philosophes comme Locke, Kant et surtout Rousseau avec son Emile ou De l'éducation , il faudra attendre le XX e siècle pour que la société française mette en place un véritable dispositif de justice des mineurs.

Toutefois, la notion d'« excuse en minorité » apparaît dans le code pénal révolutionnaire de 1791 et dans le code napoléonien de 1810, qui fixent la majorité pénale à seize ans.

La responsabilité pénale est subordonnée à la capacité par l'enfant de discernement, capacité laissée à l'appréciation du juge. S'il est considéré que l'enfant a agi avec discernement, il est condamné à une peine réduite effectuée dans une maison de correction. Dans le cas contraire, il relève d'une mesure éducative qui pourra s'effectuer elle aussi dans une maison de correction, faute de structures plus adaptées.

Ce problème de traitement différencié de la délinquance juvénile sera pointé en 1875 par le vicomte d'Haussonville, député chargé d'une enquête sur les établissements pénitentiaires.

C'est au XIX e siècle qu'émerge l'idée d'une « délinquance juvénile » spécifique dont la société doit se protéger. Surgit alors la figure de l'enfant des rues, du chenapan, immortalisé par le personnage de Gavroche dans Les Misérables de Victor Hugo.

C'est toujours au XIX e siècle, que s'ancre la conviction de la nécessité d'offrir aux enfants, jusqu'à seize ans, des modalités d'enfermement différentes de celles des adultes. Il faut éviter la promiscuité entre les jeunes « innocents coupables » et les vieux bandits récidivistes. Dès 1820, la loi prévoit que des quartiers mineurs séparés soient construits dans chaque prison. Cependant, devant les difficultés rencontrées, les penseurs de la question carcérale (notamment la Société royale pour l'amélioration des prisons) considèrent que seule une prison consacrée aux mineurs permet de créer les conditions réelles de la rédemption.

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Pour se protéger de ces « enfants dangereux », la société créera un certain nombre de structures de prise en charge, dont les sociétés de patronage qui, proposent une alternative à la prison en plaçant ces jeunes justiciables chez des paysans ou des artisans où ils seront souvent exploités, mais aussi la prison spécifique pour les enfants de la Petite Roquette à Paris (en activité de 1836 à 1930) construite selon une architecture panoptique inspirée par les observations d'Alexis de Tocquevi1le aux États-Unis et décrite par Michel Foucault dans Surveiller et punir .

Officialisées par la loi du 5 août 1850, les maisons de correction constituent un nouveau modèle de prise en charge des jeunes délinquants: il s'agit d'éloigner ces « innocents coupables » de la ville et de leur famille en les plaçant dans des colonies agricoles qui proposent « un amendement de l'enfant par la terre et de la terre par l'enfant » selon la formule de leur créateur Charles Lucas. Dans ces véritables « bagnes d'enfants », les conditions de vie sont très dures ; elles seront dénoncées dans les années 1930 par des campagnes de presse ou par la parution d'ouvrages comme Enfants du malheur ! Les bagnes d'enfants d'Henri Danjou.

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Un peu plus tôt, à la fin du XIX e siècle et au début du XX e siècle, dans le but de prévenir la délinquance par une approche scientifique, des médecins définissent des « facteurs de délinquance », dans le prolongement des travaux d'anthropologie du docteur Cesare Lombroso (1835-1909). Dans son ouvrage L'homme criminel (1876), il défend la thèse selon laquelle la « délinquance » serait nettement plus fréquente chez les personnes porteuses de certaines caractéristiques physiques, ce qui démontrerait le caractère inné de certains comportements. Il s'oppose ainsi aux conceptions sociologiques qui avancent que les déviances sont la conséquence du milieu. Lombroso est aussi proche des tendances accréditant l'idée d'une décadence générale de la société, pensant que la criminalité est appelée à augmenter. Pour cela, il approfondit les recherches en matière d'anthropologie liées aux questions de

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criminalité. Médecin militaire, il utilise son métier comme lieu d'observation privilégié en étudiant principalement les soldats «délinquants» par la réalisation de l'étude anthropométrique de ceux-ci.

Dans ces mêmes années, se développent les théories des causes sociales de la délinquance avec Alexandre Lacassaque, fondateur de l'anthropologie criminelle, qui tentera de se distinguer de Lombroso. Comme le dénonça Louis Chevalier, les classes laborieuses sont alors assimilées à des classes dangereuses.

Ces discours savants, préconisant parfois l'eugénisme, apparaissent dominants alors que, paradoxalement, le législateur s'emploie, dans le même temps, à renforcer les lois de protection en faveur des enfants victimes, donnant corps à la notion d'enfance en danger.

Néanmoins, le phénomène des « Apaches » (bande de jeunes à la périphérie des villes) et différentes révoltes dans les colonies pénitentiaires alimentent régulièrement la rubrique des faits divers et renforcent, pour l'opinion publique, l'idée de la dangerosité de l'enfant délinquant. Face au « criminel né » et au « sentiment d'insécurité », les colonies pénitentiaires durcissent considérablement les modalités de l'enfermement des mineurs.

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Ainsi voit-on émerger une réflexion, certes balbutiante, sur la spécificité de la délinquance des mineurs, qui se cristallise avec la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et la liberté surveillée.

Les mineurs de moins de treize ans, qui sont considérés comme irresponsables et qui ne peuvent donc être condamnés à une peine de prison, peuvent en revanche faire l'objet d'une mesure éducative. Une juridiction spécialisée est créée pour les enfants de treize à dix-huit ans.

Toutefois, ces mesures ne s'accompagnent pas de la création d'un corps d'éducateurs spécialisés ni de magistrats pour enfants. Il faudra attendre les années d'après-guerre, avec l'ordonnance du 2 février 1945, pour voir s'opérer une véritable rupture dans l'histoire de la justice des mineurs. L'ordonnance consacre la primauté de l'éducatif sur le répressif, crée une justice des mineurs spécifique avec un magistrat spécialisé (le juge des enfants) et des éducateurs distincts du personnel pénitentiaire, employés par la direction de l'éducation surveillée, aujourd'hui dénommée protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Le périmètre de la justice des enfants s'élargira encore avec l'ordonnance du 23 décembre 1958 qui met en place l'assistance éducative et la compétence des magistrats spécialisés tant au civil qu'au pénal.

Le contexte dans lequel elle a été écrite est bien évoqué dès son préambule : « il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d'ordre matériel et moral qu'elle a provoqué ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l'enfance coupable est une des plus urgente de l'époque présente ».

Les choses ne se mettront pas en place du jour au lendemain, la justice pour mineurs aura à naviguer entre une société qui a peur de sa jeunesse et la critique radicale du contrôle social qui s'organise autour de la pensée de Michel Foucault et celle de mai 1968.

Pour terminer ce rapide historique de la justice des mineurs en France, nous dirons que l'ordonnance du 2 février 1945 marque l'aboutissement d'une réflexion sur la spécificité de la délinquance des enfants.

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Par-delà les frontières françaises, il est utile de rappeler que la délinquance juvénile est l'une des conséquences de l'explosion industrielle et urbaine à la fin du XIX e siècle et au début du XX e , dans un contexte de dérégulation économique et de désorganisation sociale.

C'est dans ce contexte que naîtra la première école de Chicago, pionnière en matière d'observation de la délinquance juvénile, aiguillonnée, il est vrai, par des mouvements philanthropiques mais aussi par le mécénat da familles qui ont fait fortune dans ce développement économique comme la famille Rockefeller.

L'essentiel réside dans la reconnaissance de l'enfant et de l'adolescent, non comme un adulte en miniature mais comme un être humain en devenir, pour qui l'éducatif est une priorité absolue car, comme le rappelait Victor Hugo « chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne ».

La reconnaissance de cette spécificité vaut tant sur le plan sanitaire que sur le plan judiciaire, la prévention étant, dans un domaine comme dans l'autre, une priorité. Il y faut de la compétence, de la patience et beaucoup de temps à consacrer au diagnostic.

Rien n'est jamais acquis d'avance et si les lois doivent définir des âges limites, ces derniers ne devraient pas constituer des bornes infranchissables, ce qui pose la question des jeunes majeurs.

L'histoire de la justice des mineurs nous fait ainsi réfléchir sur ce que doit être sa nature : on passe d'une justice distributive à une justice résolutive, il s'agit moins de punir un délit en appliquant une peine que de prendre en charge un individu dans ses multiples dimensions, physique, psychique, sociale. En cela, la justice des mineurs se veut protectionnelle, pédagogique et thérapeutique, selon le modèle développé par Claude Bernard pour qui la justice des mineurs plaide pour une clinique de l'enfant délinquant.

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Votre rapporteur a mis l'accent dans ses travaux sur la réinsertion des mineurs enfermés, le terme de réinsertion désignant le processus par lequel un individu en marge (malade, délinquant) se réadapte à la vie en société. S'agissant de mineurs, il apparaît que le terme d'insertion serait souvent plus approprié, tant certains parcours délinquants révèlent une jeunesse peu intégrée à notre société. L'entrée en formation, l'obtention d'un emploi stable, le fait de se mettre en couple et de fonder une famille, sont autant de marqueurs qui attestent du succès d'un parcours d'insertion.

C'était chose relativement aisée à l'aube des Trente Glorieuses : la rupture du parcours de délinquance du jeune commençait souvent avec son service militaire ; à son retour à la vie civile, en cette période de plein emploi, il ne lui était guère difficile de trouver un travail et de fonder une famille. Le contexte actuel de chômage élevé et de difficultés de logement rend ce parcours d'insertion plus difficile.

Car c'est bien d'un parcours qu'il s'agit : si la mission s'est attachée à comprendre les actions menées pendant le temps de l'enfermement pour préparer la réinsertion, il va de soi que ces actions doivent être prolongées en milieu ouvert pour porter leurs fruits.

Que ce soit dans le domaine pénal ou dans le champ thérapeutique, l'enfermement est considéré par les professionnels comme la solution de dernier recours, mise en oeuvre seulement en cas d'échec des autres modalités de prise en charge.

Dans le champ de la protection judiciaire de la jeunesse, la réponse apportée à la délinquance juvénile présente ainsi tous les caractères d'une réponse graduée : d'abord prise en charge éducative en milieu ouvert ; si le mineur doit être éloigné de sa famille et de son quartier, mesure de placement ; enfin, mesure d'enfermement si le jeune a récidivé ou présente des signes évidents de dangerosité.

La période post-enfermement est cruciale pour prévenir la récidive et consolider le travail réalisé pendant la période d'enfermement. L'articulation entre milieu fermé et milieu ouvert revêt ainsi une importance capitale.

La mission a choisi de ne pas traiter de façon approfondie, même si elle est évoquée dans ce rapport, la question de la radicalisation chez les mineurs. La commission d'enquête sénatoriale sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique a en effet traité de ce sujet dans son très récent rapport 8 ( * ) .

Le sujet de la mission l'a naturellement conduit à mettre l'accent sur les difficultés que rencontrent les jeunes délinquants et sur les politiques à mettre en oeuvre pour faciliter leur insertion. Les membres de la mission n'en oublient pas pour autant la situation des victimes. Ces dernières évoluent souvent dans les mêmes milieux sociaux que les auteurs d'infractions et sont donc exposées aux mêmes problèmes d'insertion. Elles méritent, encore plus que les auteurs d'infractions, de bénéficier de l'attention et du soutien des pouvoirs publics. En outre, les efforts réalisés en faveur de l'insertion des jeunes délinquants ne sauraient se faire au détriment des efforts entrepris en direction de ces jeunes qui, confrontés aux mêmes difficultés sociales et éducatives, choisissent de rester sur le droit chemin.

*

Entre le mois d'avril et le mois de septembre 2018, la mission a procédé à vingt-cinq auditions qui lui ont permis de rencontrer cinquante-six interlocuteurs qui ont partagé leur expertise sur son sujet d'étude.

Elle a complété ces auditions par cinq déplacements, qui l'ont menée :

- du côté de Marseille, pour visiter l'Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) des Cadeneaux et l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) La Valentine ;

- à la maison d'arrêt de Villepinte en Seine-Saint-Denis, pour visiter le quartier pour mineurs ;

- à Savigny-sur-Orge, dans l'Essonne, pour visiter un centre éducatif fermé ;

- du côté de Lyon, pour visiter l'hôpital Le Vinatier et l'EPM de Meyzieu ;

- enfin, à Roubaix, pour visiter l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ).

Un compte rendu de ces déplacements et le procès-verbal des auditions sont publiés dans le tome II de ce rapport.

En complément, le rapporteur a procédé à plusieurs auditions individuelles et il s'est rendu dans les maisons d'arrêt des Baumettes et d'Aix-Luynes, situées dans son département.

D'autres membres de la mission ont visité, dans leurs départements respectifs, des lieux où sont enfermés les mineurs afin de parfaire leur information.

La mission remercie toutes celles et ceux qui ont accepté de donner un peu de leur temps pour l'aider à enrichir sa réflexion.

I. LES MINEURS ENFERMÉS : UN PETIT NOMBRE DE JEUNES QUI CUMULENT LES DIFFICULTÉS FAISANT OBSTACLE À LEUR RÉINSERTION

Même si elle a principalement concentré ses investigations sur la justice des mineurs, la mission ne s'est pas limitée au strict champ de l'enfermement pénal pour s'intéresser à d'autres formes de la privation de liberté applicables aux mineurs, notamment dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique.

Bien qu'identiques dans leur manifestation, les causes respectives de la privation de liberté pourraient renvoyer a priori à des fonctions de la société trop différentes - punitive d'un côté, curative de l'autre - pour que leur examen soit confondu. À cette lecture subjective de l'enfermement, la mission a préféré une appréhension objective , moins attentive à sa causalité qu'à l'examen du phénomène pris pour lui-même , dépouillé de toute considération morale.

Outre qu'elle pense offrir une perspective plus exhaustive, cette lecture paraît également plus cohérente avec l'évolution de la peine d'enfermement implicitement consacrée par le droit pénal depuis plusieurs dizaines d'années, qui l'a faite passer d'une simple fin en soi à une étape préparatoire à la réinsertion. Qu'il soit punitif ou thérapeutique, l'inscription de l'enfermement dans un parcours dont la causalité diffère mais dont la finalité de réinsertion est la même , justifie l'intérêt porté par la mission aux cas des patients mineurs privés temporairement de liberté.

A. L'ENFERMEMENT PÉNAL CONCERNE SURTOUT DES MULTIRÉITÉRANTS

En France, l'enfermement en milieu carcéral ou en CEF est possible pour les mineurs à partir de treize ans. Le nombre de mineurs enfermés demeure limité 9 ( * ) , de l'ordre de quelques milliers chaque année, ce qui est conforme à l'esprit de l'ordonnance de 1945 et aux engagements internationaux de la France, notamment la convention internationale des droits de l'enfant.

On observe toutefois, depuis quelques années, une augmentation préoccupante du nombre de mineurs enfermés dont il conviendra de tenter de comprendre les causes.

1. Le nombre de mineurs enfermés est en progression depuis plusieurs années
a) Plusieurs milliers de mineurs sont concernés chaque année par la privation de liberté

Depuis une quinzaine d'années, le nombre de mineurs détenus dans un établissement pénitentiaire oscille entre 700 et 800. Il s'élevait précisément à 783 au 1 er janvier 2018, ce qui correspond à 1,2 % de la population carcérale totale.

L'incarcération concerne en grande majorité (88 %) des mineurs de plus de seize ans. Les mineurs incarcérés sont, à hauteur de 97 %, de sexe masculin. De l'ordre de 77 % des mineurs sont incarcérés dans le cadre d'une mesure de détention provisoire 10 ( * ) .

À ces mineurs incarcérés, il faut ajouter le nombre de mineurs placés en CEF, qui est compris, depuis 2014, entre 450 et 500 jeunes (466 en 2017).

Pour être exhaustif, il conviendrait d'ajouter à ces chiffres celui du nombre de jeunes majeurs qui exécutent une peine pour des faits qu'ils ont commis étant mineurs. Le système d'information du ministère de la justice ne permet cependant pas d'isoler cette population pour en évaluer le nombre 11 ( * ) .

Sous cette réserve, on peut donc estimer que l'enfermement concerne, à un instant donné , environ 1 300 jeunes.

Ce chiffre ne donne cependant qu'une vision partielle du nombre de mineurs enfermés au cours d'une année : dans la mesure où la durée moyenne d'incarcération d'un mineur ne dépasse pas quelques mois (trois mois et huit jours en 2016), de même que la durée de placement en CEF (3,9 mois en 2016), un nombre élevé de mineurs se succèdent, au cours d'une même année, dans ces lieux de privation de liberté.

Ainsi, en 2016, ce sont 1546 mineurs qui ont été placés en CEF et 3 281 qui ont été placés sous écrou, c'est-à-dire qui sont entrés dans un établissement pénitentiaire. Au total, un peu plus de 4 800 mesures de privations de liberté ont donc été mises en oeuvre au cours de cette année. Le nombre de mineurs individuellement concernés est sans doute inférieur, dans la mesure où il n'est pas rare qu'un mineur incarcéré récidive et fasse ainsi l'objet d'incarcérations successives, sans que les statistiques disponibles permettent de le connaître avec précision.

Ce nombre apparaît modeste si on le rapporte aux 139 000 jeunes suivis par la PJJ la même année. Le suivi assuré par la PJJ l'est essentiellement en milieu ouvert, l'enfermement demeurant l'exception. Il est également limité au regard des 50 000 condamnations prononcées chaque année par la justice des mineurs.

Le cas particulier des enfants vivant auprès de leur mère incarcérée

On trouve en prison une dernière catégorie de mineurs qu'il convient de mentionner pour mémoire, bien qu'ils soient en dehors du champ d'investigation de la mission : les enfants âgés de zéro à dix-huit mois qui vivent auprès de leur mère incarcérée.

Les articles D. 400 à D. 401-2 du code de procédure pénale régissent les conditions dans lesquelles les enfants peuvent être laissés auprès de leur mère en détention. Des locaux spécialement aménagés (« quartiers nurseries ») sont réservés à l'accueil des mères ayant gardé leur enfant auprès d'elles. Au 1 er juin 2013, 72 places de nurserie étaient recensées dans vingt-huit centres pénitentiaires.

L'établissement pénitentiaire doit établir une convention de fonctionnement avec le conseil départemental pour assurer le suivi social de ces enfants, via le service de protection maternelle et infantile.

Peu d'études ont été réalisées au sujet de ces « nurseries ». Le Dr Martine Balençon a cependant attiré l'attention de votre rapporteur sur une analyse récente réalisée au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, sur la période 1998-2013 12 ( * ) . Elle montre que la durée de séjour en détention de ces enfants s'élève à 6,2 mois en moyenne, alors que la durée moyenne de détention de leurs mères atteint 45 mois. À leur sortie du centre pénitentiaire, 43 % de ces enfants sont accueillis par les services de l'aide sociale à l'enfance du département et 57 % sont accueillis dans leur famille.

b) Un enfermement devenu plus fréquent

Les interlocuteurs de la mission d'information ont tous souligné la tendance à la hausse du nombre de mineurs enfermés observée ces dernières années. Ce constat a d'ailleurs conduit la garde des Sceaux à saisir la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui dénonce, dans son avis 13 ( * ) , une « banalisation de l'enfermement » .

La tendance à la hausse s'est poursuivie ces dernier mois puisque le nombre de mineurs détenus est passé de 783 au mois de janvier 2018 à 893 le 1 er juin . La progression est sensible en cinq ans puisque le nombre de mineurs incarcérés n'était que de 696 en octobre 2013, soit une progression de 28 %.

Certes, comme l'indique le graphique ci-dessous, le nombre de mineurs incarcérés était déjà de l'ordre de 900 personnes en 2002, ce qui pourrait conduire à relativiser la progression constatée.

Évolution du nombre de personnes mineures incarcérées

(2002-2017)

Source : avis de la CNCDH

Il convient cependant de garder en mémoire que les CEF n'existaient pas en 2002 puisque leur création résulte de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, dite loi Perben I. Si l'on tient compte de ces structures, le nombre de mineurs privés de liberté s'inscrit effectivement en nette hausse.

Nombre de mineurs privés de liberté en EPM/QM et en CEF

de 2003 à 2017

Source : avis de la CNCDH

2. Le cadre juridique de l'enfermement des mineurs

Les principes juridiques qui régissent le droit pénal des mineurs visent à faire de l'enferment une solution de dernier recours .

a) Le droit interne

Comme cela été indiqué dans l'avant-propos, l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante privilégie les mesures éducatives et envisage l'enfermement comme la solution de dernier recours, réservée aux auteurs des crimes les plus graves ou aux jeunes multirécidivistes qui ont commis un grand nombre d'actes de délinquance.

En dépit des nombreuses réformes dont elle a fait l'objet depuis sa promulgation, l'ordonnance de 1945 a conservé ses principes directeurs, qu'il n'est pas inutile de rappeler ici.

L'existence d'une justice spécialisée : les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée de crime ou de délit ne sont pas déférés aux juridictions pénales de droit commun ; ils ne sont justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d'assises des mineurs (article premier de l'ordonnance).

Il est à noter que si le juge des enfants décide de prononcer une mesure ou une sanction éducative, il peut le faire dans le cadre d'une audience de cabinet. À défaut, il saisit le tribunal des enfants : présidé par un autre juge des enfants, ce tribunal est composé d'assesseurs, qui sont des juges non professionnels, inscrits sur une liste par le président du tribunal, et recrutés pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance.

Le juge des enfants est compétent à la fois en matière pénale mais aussi, depuis l'ordonnance du 23 décembre 1958, en matière civile , puisqu'il peut prononcer, sur le fondement de l'article 375 du code civil, des mesures d'assistance éducative pour protéger les mineurs en danger. Les professionnels auditionnés par la mission ont insisté sur leur attachement à cette double compétence , qui leur permet d'apporter une réponse plus globale aux problématiques rencontrées par les mineurs.

L'existence d'une justice spécialisée illustre un principe plus général de séparation des majeurs et des mineurs qui trouve une application importante dans le domaine pénitentiaire.

Le primat de l'éducatif sur le répressif : l'article 2 de l'ordonnance prévoit que le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs prononcent les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation qui semblent appropriées ; c'est seulement dans le cas où les circonstances ou la personnalité du mineur l'exigent que peuvent être prononcés une sanction éducative, si le mineur a plus de dix ans, ou une peine, si le mineur a plus de treize ans ; l'éventuelle peine d'emprisonnement doit être spécialement motivée par le tribunal.

L'ordonnance dessine ainsi une gradation de la réponse apportée à la délinquance des mineurs : d'abord des mesures éducatives, puis, le cas échéant, une sanction éducative 14 ( * ) , enfin, en dernier ressort, une peine.

La prise en compte de la personnalité du mineur : afin que le juge dispose de tous les éléments lui permettant de prendre la décision la plus appropriée, l'article 5 de l'ordonnance prévoit qu' « aucune poursuite ne pourra être exercée en matière de crime contre les mineurs sans information préalable » et l'article 5-1 ajoute que, avant toute décision (mesure éducative, sanction éducative ou peine), doivent être réalisées des investigations pour avoir une connaissance suffisante de la personnalité du mineur, ainsi que de sa situation sociale et familiale.

L'atténuation de la responsabilité pénale : les mineurs ne peuvent être condamnés à des peines aussi lourdes que celles prévues pour les majeurs. Ainsi, l'article 20-2 de l'ordonnance dispose que le tribunal ne peut condamner le mineur de plus de treize ans à une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue par un adulte ; lorsque la peine encourue est la réclusion ou la détention criminelle à perpétuité, la peine ne peut être supérieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelle. L'article 20-3 pose un principe analogue concernant les amendes : un mineur ne peut se voir infliger une amende supérieure à la moitié de l'amende encourue par un adulte, ni excédant 7 500 euros.

Certaines peines sont en outre exclues pour les mineurs en application de l'article 20-4 : la contrainte pénale, les peines d'interdiction du territoire et de séjour, les peines de jour-amende 15 ( * ) , l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, les peines de fermeture d'établissement ou d'exclusion des marchés publics, l'affichage ou la diffusion de la condamnation ne peuvent être prononcées à l'encontre d'un mineur.

L'exclusion de certaines peines s'explique par le souci de ne pas faire obstacle à la réinsertion du mineur : l'absence d'affichage ou de diffusion limite la publicité donnée à la condamnation et s'inscrit dans la perspective d'un « droit à l'oubli » ; l'impossibilité d'interdire l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité professionnelle vise à préserver ses chances de trouver un emploi.

Par sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, la Conseil constitutionnel a accordé une valeur constitutionnelle au principe selon lequel la responsabilité pénale des mineurs doit être atténuée en raison de leur âge, considérant qu'il s'agit là d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République , de même que le principe selon lequel le relèvement du mineur est recherché par des mesures adaptées à sa personnalité.

Au cours de ses auditions et de ses déplacements, la mission a perçu le très fort attachement des professionnels de la justice des mineurs , qu'il s'agisse des magistrats, des éducateurs de la PJJ ou des avocats, à l'ordonnance de 1945. Mme Laëtitia Dhervilly, vice-procureur, chef de la section des mineurs au parquet de Paris, a exprimé un sentiment largement partagé lorsqu'elle a déclaré que : « l'esprit de l'ordonnance de 1945, qui fixe un cadre faisant primer l'éducatif, est toujours vivant et inspire l'action des services » 16 ( * ) . Comme l'a expliqué M. François Lavernhe, secrétaire général de l'UNS-CGT-PJJ, si des « des ajustements peuvent être utiles » pour faire évoluer l'ordonnance, « ses principes fondateurs demeurent essentiels » 17 ( * ) .

b) Le droit international

La convention internationale des droits de l'enfant , convention des Nations Unies du 20 novembre 1989, contient, dans son article 37, des dispositions relatives au droit pénal des mineurs.

Elle prévoit notamment que « l'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ». Ces principes sont cohérents avec ceux de notre droit interne.

Elle prohibe également certaines peines pour les mineurs : « ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Cette exclusion est cohérente avec l'idée, au coeur de la conception française du droit pénal des mineurs, selon laquelle l'enfant est un être en devenir, qui a la possibilité de s'amender, et non un adulte en miniature.

La convention consacre deux principes qui ont une importance pratique concernant l'organisation de la détention : en premier lieu, elle indique que tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes , à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans l'intérêt supérieur de l'enfant ; elle précise ensuite que l'enfant a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles.

Elle consacre aussi le principe selon lequel tout enfant a droit à une assistance juridique et à des voies de recours effectives pour contester la légalité de leur privation de liberté.

c) Un profil de multiréitérants

Les auditions auxquelles a procédé la mission montrent qu'il existe principalement deux profils de mineurs enfermés.

Il peut s'agir de mineurs qui ont commis un crime ou un délit d'une gravité telle qu'une décision d'enfermement s'impose pour punir l'auteur des faits et protéger la société. Si l'on considère ainsi les 220 condamnations définitives prononcées en 2015 par les cours d'assises des mineurs ou par les cours d'assises d'appel des mineurs, on observe que 184, soit 83,6 %, ont donné lieu à une peine d'emprisonnement en tout ou partie ferme .

Mais il peut s'agir également de mineurs ayant commis des infractions moins graves, des vols ou des délits en lien avec le trafic de stupéfiants par exemple, mais de façon si répétée que le juge des enfants, tirant les conséquences de l'échec des mesures éducatives, finit par décider un placement en CEF ou une incarcération. L'objectif est alors de donner un coup d'arrêt au parcours délinquantiel du mineur.

Juridiquement, il est rare que ces mineurs soient incarcérés en état de récidive. Comme l'a rappelé Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, lors de son audition par la mission, « la récidive consiste à commettre un même fait après avoir fait l'objet d'une condamnation définitive . Les mineurs sont plus souvent réitérants que récidivistes : ils commettent une série d'actes délictueux, dans un délai rapproché, sans avoir pu faire l'objet d'une condamnation définitive, ce qui ne permet pas de retenir la récidive » 18 ( * ) .

Récidive et réitération

La récidive et la réitération constituent deux notions voisines, visant des situations dans lesquelles une première infraction a donné lieu à une condamnation définitive puis dans lesquelles une seconde infraction est commise. La réitération n'intervient que lorsque le délinquant « commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale » (article 132-16-7 du code pénal).

Ainsi, la récidive, suppose une nouvelle infraction d'un certain type et commise dans un délai, déterminés par le code pénal. La récidive n'existe que lorsqu'elle est prévue par un texte, sous forme de « cas de récidive » énumérés aux articles 132-8 à 132-11 du code pénal s'agissant des personnes physiques. Par exemple en matière délictuelle, la répétition de délits ne constitue une récidive que s'il s'agit de délits de nature identique ou assimilée ayant été commis dans un délai de cinq ans (article 132-10).

La notion de réitération a été consacrée par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Dans cette hypothèse, il ne s'agit pas de la commission d'une même infraction, ou d'infractions assimilées au regard de la récidive, mais de la commission de n'importe quelle autre infraction.

Les effets sur la peine diffèrent :

- en matière de récidive, le principe est celui du doublement de la peine encourue ;

- en matière de réitération, le second alinéa de l'article 132-16-7 du code pénal énonce que « les peines prononcées pour l'infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente ».

Le directeur des affaires criminelles et des grâces a également souligné, s'appuyant sur les résultats d'une étude réalisée en 2013 par le ministère de la justice et portant sur la période 1999-2010, que la délinquance juvénile est très « concentrée » sur un petit nombre d'auteurs : « 7 % des mineurs ont connu plus de six affaires de délinquance et ont commis 36 % des délits commis par les mineurs. Un petit nombre de mineurs commet donc un très grand nombre d'actes , c'est également ce que l'on constate sur le terrain ». Et d'ajouter que « les mineurs passent souvent par des périodes de crise, de forte intensité, au cours desquelles ils commettent un grand nombre d'infractions dans un temps très court, ce qui épuise les juridictions comme les éducateurs de la PJJ ».

A contrario , il est notable que les deux tiers des mineurs suivis dans le cadre de cette étude ont été impliqués dans une seule affaire pénale au cours de leur minorité, ce qui suggère que la réponse apportée par l'institution judiciaire n'est pas sans efficacité. Elle suffit dans bien des cas à éviter la réitération d'actes de délinquance.

Le taux de réponse pénale 19 ( * ) est particulièrement élevé s'agissant des mineurs : 92,5% en 2016, contre 89,7% chez les majeurs, le solde correspondant aux affaires classées sans suite. Dans bien des cas, la réponse pénale consiste en un rappel à la loi ou en un avertissement.

L'adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire, Mme Anne Bérard, a précisé lors de son audition que « les mineurs sont principalement incarcérés pour des vols autres que criminels ou violents (31 %) ; viennent ensuite les violences volontaires (14 %) et les vols avec violence (11 %) » 20 ( * ) .

3. Les causes de cette augmentation de l'enfermement des mineurs
a) Une hausse de la délinquance juvénile ?

Une première hypothèse pourrait consister à expliquer cette hausse de l'enfermement des mineurs par une aggravation de la délinquance juvénile : confrontée à des mineurs plus violents et plus jeunes, la justice réagirait en prononçant plus fréquemment des peines privatives de liberté ou en prononçant des peines plus longues.

Comme les adultes, les adolescents peuvent être sujets à une délinquance pathologique ou d'exclusion, pour reprendre la typologie de Denis Salas, mais ils sont sans doute plus souvent que les adultes sujets à une délinquance de transgression.

La typologie de de la délinquance des mineurs

Le magistrat et essayiste Denis Salas distingue trois types de délinquance auxquels est confrontée la justice des mineurs :

- la délinquance « initiatique » , transitoire, celle des transgressions qui ont toujours été observées lors du passage de l'adolescence à l'âge adulte ;

- la délinquance « pathologique » , qui résulte souvent de difficultés familiales lourdes entraînant des troubles de la personnalité et du comportement, difficiles à traiter compte tenu du manque de ressources de la pédopsychiatrie ;

- enfin, la délinquance « d'exclusion » , celle des quartiers relégués, qui est territorialisée et a pris un caractère chronique en raison du chômage de masse ; elle se caractérise par l'adaptation à des formes de survie, à la « débrouille » individuelle, aux lois du « business », dans lequel le trafic de stupéfiants prend une place importante, et finit par former une manière de vivre. C'est la délinquance qui devient socialisante, plus que les institutions.

Tous les interlocuteurs de la mission ont cependant insisté sur le fait que l'on n'assiste pas, contrairement à certaines idées reçues, à une « explosion » de la délinquance des mineurs, pas plus que l'on n'observe de tendance significative au rajeunissement des jeunes délinquants.

Cela ne veut pas dire que l'on n'a pas à déplorer, régulièrement, des faits divers violents impliquant des mineurs, tel par exemple l'homicide d'un adolescent perpétré à Mourmelon en juin 2018. Ces faits appellent, naturellement, une réponse exemplaire, et sans faiblesse, de la part de l'institution judiciaire. Ils ne sont pas néanmoins révélateurs d'une tendance de fond.

La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, Mme Madeleine Mathieu, a ainsi fait observer, au cours de son audition, que « la délinquance des mineurs ne connaît pas une progression exponentielle, supérieure à celle des majeurs ; les deux courbes connaissent une progression parallèle. Après un pic observé dans les années 1980, le nombre de faits de délinquance commis par les mineurs a diminué de 30 %, atteignant un point bas en 2016 . La baisse a été particulièrement forte pour les atteintes aux biens, mais plus limitée, de l'ordre de 8 % à 10 %, pour les atteintes aux personnes, qui recouvrent un champ très large d'infractions, y compris de simples menaces sans violence ». Elle a également déclaré ne pas observer « de rajeunissement important des mineurs délinquants, la plupart d'entre eux ayant plus de seize ans » 21 ( * ) .

S'intéressant à la période récente, M. Rémy Heitz a souligné que « le nombre d'affaires poursuivies par les parquets, le nombre de réponses pénales, le nombre de condamnations est stable depuis cinq ans . Le nombre d'affaires orientées, c'est-à-dire traitées par les parquets, s'élevait à 251 041 en 2011, contre 239 977 en 2016 ».

Ce constat d'une stabilité de la délinquance des mineurs a été confirmé par M. Clément Vives, adjoint au conseiller judiciaire à la direction générale de la police nationale (DGPN), qui a indiqué que « la délinquance des mineurs représente environ 18 % de la délinquance total, en étant plus élevée en zone police, à 19 %, qu'en zone gendarmerie où elle est à 16 % ; ces chiffres demeurant stables par rapport à ceux de 2010 » 22 ( * ) .

Historienne, Mme Véronique Blanchard a pour sa part estimé que « les travaux historiques nous conduisent à affirmer que notre société est peu violente au regard de la situation de ces deux cents dernières années » 23 ( * ) .

Force est d'admettre que ces analyses rassurantes ne coïncident pas avec la perception de l'opinion publique , pour qui la délinquance juvénile demeure un motif d'inquiétude.

Nous touchons là au délicat problème de l'insécurité, que l'on peut évaluer sur le plan statistique, à distinguer du sentiment d'insécurité, plus difficile à quantifier. Mais la vraie question est de savoir pourquoi la délinquance des jeunes fait si peur alors qu'elle ne constitue pas, objectivement, la menace la plus grave pour la société 24 ( * ) .

Auditionné par la mission, le colonel de gendarmerie Jude Vinot a noté que la population est particulièrement sensible à la délinquance juvénile, peut-être en raison de l'attention médiatique plus soutenue que suscitent les faits divers impliquant des personnes mineures : « certains faits de délinquance, parce qu'ils sont commis par des personnes mineures, affectent profondément l'opinion publique et se voient accordés un traitement médiatique particulier. Au-delà, la délinquance des mineurs revêt une sensibilité particulière pour la gendarmerie, du fait de l'impact en termes de trouble à l'ordre public et d'un effet certain sur le sentiment d'insécurité, la délinquance des mineurs présentant un effet anxiogène » 25 ( * ) .

Comme votre rapporteur l'indiquait dans son avant-propos, il est vraisemblable que le décalage entre l'évolution de la délinquance des mineurs et sa perception par l'opinion s'explique, au moins en partie, par ce qu'il est convenu d'appeler le « paradoxe de Tocqueville ». Dans De la Démocratie en Amérique , Tocqueville observait que plus une situation s'améliore, plus l'écart avec la situation idéale est ressenti comme intolérable par les bénéficiaires de cette amélioration. En d'autres termes, si la violence juvénile régresse, les infractions qui persistent deviennent plus difficilement tolérables par nos concitoyens 26 ( * ) .

Ce diagnostic a été partagé devant la mission par l'historien Mathias Gardet qui estime que « plus on avancera vers la non-violence, plus la tolérance à l'égard des comportements des jeunes va se réduire. Les juges pour enfants nous indiquent que certains actes qui leur sont déférés n'auraient pas été considérés comme relevant de la délinquance quarante ans plus tôt » 27 ( * ) .

b) Une justice des mineurs plus sévère ?

Dans son avis, la CNCDH explique la progression de l'enfermement des mineurs par la « surpénalisation » de certains comportements des mineurs et par une tendance au rapprochement entre justice des majeurs et justice des mineurs.

Il est peu contestable que les nombreuses modifications apportées à l'ordonnance de 1945 depuis le début des années 2000 ont donné une plus grande importance aux mesures de privation de liberté parmi la palette de mesures dont disposent les juges des enfants. Le législateur a également voulu accélérer le cours de la justice des mineurs, en introduisant la procédure de présentation immédiate et les procédures de convocation par officier de police judiciaire aux fins de mise en examen ou aux fins de jugement. Après 2012, une inflexion est cependant perceptible dans le sens d'un adoucissement de la justice des mineurs, hormis dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

• C'est la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice , dite loi « Perben I », qui a prévu la création des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et des centres éducatifs fermés (CEF). Cette même loi a également introduit dans l'ordonnance de 1945 les sanctions éducatives, susceptibles d'être prononcées à l'encontre des mineurs de dix à dix-huit ans par le tribunal pour enfants. Concernant le fonctionnement de la justice des mineurs, elle a instauré la procédure de jugement à délai rapproché, dénommée ensuite procédure de présentation immédiate par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, dont le fonctionnement évoque fortement celui de la comparution immédiate pour les majeurs, et elle a simplifié la procédure de comparution à délai rapproché 28 ( * ) . Enfin, cette loi a transféré au juge des enfants les attributions auparavant exercées par le juge de l'application des peines en matière de sursis avec mise à l'épreuve.

• Deux ans plus tard, a été adoptée la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité , dite loi « Perben II ». Ce texte a porté la durée de la garde à vue à 96 heures pour les mineurs de plus de seize ans impliqués avec des majeurs dans des affaires de délinquance organisée. Il a étendu aux mineurs la possibilité de saisine directe du juge des libertés et de la détention par le procureur de la République, en cas de non saisine de ce magistrat par le juge des enfants. Il a étendu aux mineurs âgés de treize à dix-huit ans les dispositions relatives à la peine de stage de citoyenneté. Enfin, il a décidé que le juge des enfants exercerait les fonctions du juge de l'application des peines jusqu'à ce que le mineur condamné ait atteint l'âge de 21 ans.

• La réforme suivante est intervenue avec la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance . Cette loi a d'abord étendu aux mineurs la procédure des alternatives aux poursuites, ainsi que celle de la composition pénale 29 ( * ) . Elle a également étendu aux mineurs primo-délinquants de moins de seize ans la possibilité de placement sous contrôle judiciaire, tout en diversifiant les obligations pouvant être imposées à un mineur au titre de son contrôle judiciaire. Elle a complété la liste des sanctions éducatives figurant à l'article 15-1 de l'ordonnance de 1945 et créé la mesure d'activité de jour. Elle a limité le nombre d'admonestations ou de remises à parents pouvant être prononcées à l'encontre de mineurs déjà condamnés. Le maire devenant le chef de file de l'animation et de la mise en oeuvre de la politique de prévention de la délinquance sur sa commune, la PJJ est amenée à participer aux instances se développant dans le cadre des stratégies territoriales de prévention de la délinquance.

• La loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a introduit dans notre législation les « peines planchers ». S'agissant des mineurs, elle a prévu que le principe de la diminution de moitié de la peine encourue, prévu par l'article 20-2 de l'ordonnance de 1945, s'appliquerait aussi à ces peines minimales. Pour apprécier si un mineur est en état de récidive, les mesures ou sanctions éducatives prononcées à son encontre ne sont pas prises en compte.

• La loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2009 a rendu applicable aux mineurs les dispositions relatives à l'assignation à résidence sous surveillance électronique (bracelet électronique) et au placement sous surveillance électronique en fin de peine. Elle a posé un principe d'aménagement des peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à deux ans, qui est applicable aux mineurs. Elle a enfin renforcé les missions de la PJJ en matière d'application des peines.

• Dans le prolongement du texte précédent, la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale a prévu la possibilité de placer en détention provisoire un mineur en cas de non-respect d'une assignation à résidence avec surveillance électronique et a rendu obligatoire le recueil de renseignements socio-éducatifs en cas d'assignation à résidence sous surveillance électronique.

• L'année suivante, la loi n° 2011-939 du 10 aout 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs a introduit des changements dans l'organisation et le fonctionnement de la justice des mineurs : en premier lieu, elle a institué le tribunal correctionnel pour mineurs 30 ( * ) , chargé de juger les délits commis par les mineurs récidivistes ; elle a également introduit la possibilité de césure du procès pénal des mineurs, consistant à dissocier la décision sur la culpabilité du mineur de la décision sur la peine, renvoyée à une audience ultérieure ; pour accélérer les procédures, elle a introduit la possibilité pour le parquet de faire convoquer le mineur par un officier de police judiciaire directement devant le tribunal pour enfants, sans information préparatoire, lorsque le mineur a déjà fait l'objet d'une procédure et que des investigations sur sa personnalité ont donc déjà été réalisées ; elle a créé le dossier unique de personnalité (DUP), qui regroupe tous les éléments relatifs à la personnalité d'un mineur collectés à l'occasion de procédures pénales dont il a pu faire l'objet ; enfin, cette loi a prévu la possibilité, pour le magistrat ou la juridiction saisi de la situation d'un mineur, de faire comparaître par la force publique les parents qui ne répondent pas aux convocations judiciaires, lesquels encourent une amende pénale et un stage de responsabilité parentale.

• La loi n° 2011-140 du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants a introduit dans l'ordonnance de 1945 une mesure plus ponctuelle : comme l'indique son intitulé, elle a prévu la possibilité de prévoir, en matière de composition pénale, d'ajournement ou de sursis avec mise à l'épreuve , la possibilité pour le jeune de plus de seize ans d'accomplir un contrat de service en établissement public d'insertion de la défense (Epide) 31 ( * ) .

• La loi du 15 aout 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales a marqué un changement d'orientation, puisqu'elle a abrogé les peines planchers.

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement , la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale et la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ont introduit des dispositions visant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

Le premier texte a créé le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) sur lequel peuvent être inscrites, par exception, les condamnations des mineurs de treize à dix-huit ans, pendant une durée de dix ans. Le second texte a autorisé la retenue des mineurs soupçonnés en lien avec des activités à caractère terroriste après contrôle d'identité, avec l'accord exprès du procureur de la République et l'assistance de leurs représentants légaux ; il a également confié une compétence nationale au tribunal pour enfants de Paris en matière d'infractions à caractère terroriste ; et il a introduit la possibilité d'une obligation de résidence dans un centre de réinsertion et citoyenneté (centre de « déradicalisation ») en matière de contrôle judiciaire et de sursis avec mise à l'épreuve. Enfin, le dernier texte a augmenté la durée maximale de la détention provisoire des mineurs âgés de plus de seize ans pour certaines infractions à caractère terroriste.

• La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a supprimé les tribunaux correctionnels pour mineurs ; elle a rendu obligatoire l'assistance du mineur par un avocat en garde à vue ; elle a rétabli la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge pour enfants, avec la possibilité de prolonger jusqu'à un an le délai d'ajournement ; elle a introduit la possibilité de recourir à la force publique pour l'exécution des mesures de placement prononcées dans le cadre de décisions pénales pré ou post-sentencielles ; enfin, elle a décidé que la peine de perpétuité n'était pas applicable aux mineurs et elle a généralisé la possibilité, pour les juridictions de jugement, de prononcer cumulativement une peine et une mesure éducative.

• La loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a enfin modifié l'ordonnance de 1945 afin que l'exécution provisoire disparaisse au profit du régime du mandat de dépôt du code de procédure pénale, adapté aux mineurs pour les peines d'emprisonnement ferme sans aménagement ab initio .

En dehors de ces modifications de l'ordonnance de 1945, la CNCDH attire l'attention, dans son avis, sur la création d'infractions nouvelles qui concernent de façon disproportionnée les mineurs . La loi n° 2003-329 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a par exemple introduit une circonstance aggravante lorsque des violences sont commises dans les gares et moyens de transports collectifs, tandis que la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010, renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, a pénalisé le stationnement dans les halls d'immeubles et a créé une circonstance aggravante lorsqu'une violence est commise par une personne dont le visage est masqué.

L'examen des décisions rendues par la justice des mineurs ne révèle pas, cependant, de hausse marquée des décisions d'emprisonnement.

Tout d'abord, il convient de rappeler que les procédures alternatives sont largement privilégiées par les parquets : sur les 173 000 procédures qui ont été engagées en 2016, des procédures alternatives ont été retenues dans 63,2 % des cas, alors que ce taux est de 49 % chez les majeurs. Ces procédures alternatives correspondent à des mesures variées : dans 60 % des cas, il s'agit de rappels à la loi ou d'avertissements, effectués par les services de police, par un délégué du procureur ou par un service éducatif ; il peut s'agir aussi de médiations, de mesures de réparation, de compositions pénales, de désintéressements de victime ou encore de mesures d'orientation vers des structures sanitaires et sociales.

Si l'on considère ensuite les décisions de condamnation à une peine d'emprisonnement, on constate que celles-ci s'inscrivent plutôt en baisse depuis une dizaine d'années.

Peines prononcées par la justice des mineurs

2007

2008

2009

2010

2011(e)

2012

2013

2014

2015

2016

Par les tribunaux pour enfants

Emprisonnement avec sursis simple

9 401

9 516

8 509

8 513

8 638

8 324

7 960

7 753

7 795

8 527

Emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve

5 080

5 095

4 340

4 437

4 348

3 727

3 600

3 589

3 489

3 695

Emprisonnement avec au moins une partie ferme

6 159

5 730

5 064

5 157

5 066

5 141

5 166

5 080

4 863

4 972

Par les cours d'assises des mineurs

Condamnés

300

333

237

213

302

314

310

200

277

326

Champ : France métropolitaine et DOM.

Source : Ministère de la Justice / SG / SDSE / Système d'information décisionnel pénal, tableaux de bord des juridictions pour mineurs.

Le nombre de peines d'emprisonnement avec au moins une partie ferme prononcées par les tribunaux pour enfants a ainsi diminué de 19 % entre 2007 et 2016. Le nombre total de peines d'emprisonnement (prison ferme, avec sursis, avec sursis mise à l'épreuve) s'inscrit en baisse de 16,7 %. L'activité des cours d'assises des mineurs est connue avec moins de précision car elle n'est pas intégrée dans l'application Cassiopée de gestion des affaires pénales. Seul le nombre de condamnations (ou d'acquittements) est donc connu, sachant que la cour d'assises peut prononcer une sanction pénale (prison ou amende) mais aussi une mesure ou une sanction éducative. Sous cette réserve, on observe que le nombre de condamnations est très voisin en 2016 de ce qu'il était en 2007.

C'est plutôt la progression de la détention provisoire qui a joué un rôle déterminant dans la progression de l'enfermement des mineurs.

c) Un recours plus fréquent à la détention provisoire

Lors de son audition, M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, a souligné que « le nombre de mineurs en détention provisoire est élevé, ce qui est un motif de préoccupation : au 1 er janvier, on dénombrait 783 mineurs écroués, dont 601 en détention provisoire et 182 condamnés ; en 2012, on ne comptait que 724 mineurs écroués, dont 439 en détention provisoire et 285 condamnés. On observe donc, à la fois, une augmentation du nombre de mineurs écroués et une augmentation de la part de ceux placés en détention provisoire ». Aujourd'hui, plus des trois quarts des mineurs incarcérés relèvent du régime de la détention provisoire , alors que cette proportion n'atteint que 30 % chez les majeurs.

Si l'on examine le nombre de décisions de placement en détention provisoire prises par les juges des enfants, on observe également une augmentation très sensible : 2 362 décisions en 2016, 1 845 en 2012 et 1 040 en 2007, soit une progression de 56 % en dix ans . L'ordonnance de 1945 dispose pourtant, dans son article 11, que le placement en détention provisoire n'est possible qu'à la « condition que cette mesure soit indispensable ou qu'il soit impossible de prendre toute autre disposition » (un placement sous surveillance électronique par exemple).

Comment expliquer ce recours plus fréquent à la détention provisoire ? Sans prétendre à l'exhaustivité, quelques pistes d'explication peuvent être avancées.

Au cours de son audition, le directeur des affaires criminelles et des grâces a indiqué qu'il pourrait s'agir d'un effet indésirable de la réforme de la procédure de la présentation immédiate intervenue en 2011 : cette procédure a été rendue plus difficile à mettre en oeuvre, car a été posée l'exigence supplémentaire d'avoir mené des investigations sur la personnalité du mineur au cours de l'année écoulée . Le moindre recours à la présentation immédiate a entraîné, mécaniquement, une utilisation plus fréquente des procédures classiques, plus longues à mettre en oeuvre, qui sont susceptibles de donner lieu à un placement en détention provisoire.

Il s'agit là d'un premier élément d'explication : il est vrai que le nombre de fois où la procédure de présentation immédiate a été appliquée a été presque divisé par cinq entre 2011 (1 546 procédures) et 2016 (328).

Mais cette explication ne saurait être exclusive. La détention provisoire prend souvent la suite d'un placement sous contrôle judiciaire, décidé par le juge dans l'attente du jugement du mineur. Or on a observé une augmentation importante du nombre de mesures de placement sous contrôle judiciaire décidées par les juges des enfants : 4 277 mesures en 2007, 6 340 en 2012 et 7 439 en 2016, soit une progression de près de 74 % en dix ans .

Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge impose au mineur des obligations, par exemple se soumettre à des mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation confiées à la PJJ, suivre une formation ou une scolarité, ne pas paraître dans certains lieux ou rencontrer certaines personnes, ou encore intégrer un centre éducatif fermé. Le non-respect par le mineur des obligations qui lui incombent dans le cadre de son contrôle judiciaire peut conduire à son placement en détention provisoire . Or l'expérience montre que les mineurs placés sous contrôle judiciaire, qui sont par définition des jeunes en manque de repères, ont du mal à respecter leurs obligations .

Un dernier élément d'explication réside dans l'incarcération d'un nombre croissant de mineurs non-accompagnés (MNA).

d) La situation préoccupante des MNA

La mission d'information ne s'est pas intéressée en détail à la problématique particulière des migrants, qui mériterait une étude en tant que telle. Elle rappelle que le Sénat a déjà publié, en 2017, un rapport sur les MNA dont les conclusions restent d'actualité 32 ( * ) .

Elle ne peut cependant passer sous silence la place très importante qu'occupent depuis deux ou trois ans les MNA dans les établissements pénitentiaires qui accueillent des mineurs .

Les MNA sont des personnes âgées de moins de dix-huit ans, de nationalité étrangère et se trouvant sur le territoire national sans adulte responsable 33 ( * ) .

L'administration pénitentiaire n'a pas été en mesure de fournir de chiffre, au niveau national, concernant les MNA incarcérés. Interrogée sur ce point, l'adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire, Mme Anne Bérard, a expliqué que « les mineurs non accompagnés ne représentent pas (...) une catégorie statistique. Il n'est donc pas possible à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) de quantifier leur part dans la population pénale mineure ». Elle a toutefois cité les résultats d'une enquête réalisée, à l'initiative de la DAP et de la PJJ, sur la population des mineurs détenus au 1 er juin 2015 : « il est apparu qu'un dixième des mineurs détenus étaient des MNA, dont un tiers étaient incarcérés en EPM et les deux-tiers en quartier pour mineurs. 20 % étaient incarcérés dans le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris ».

Sans avoir pu recueillir des données sur l'ensemble du territoire, la mission a néanmoins entendu des témoignages convergents qui suggèrent que l'incarcération des MNA a pris de l'ampleur depuis 2015, au moins dans les grandes métropoles .

La délégation qui a visité l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) La Valentine à Marseille, le 13 avril 2018, a ainsi appris que 28 % des mineurs incarcérés en 2017 étaient des MNA ; en 2016, cette proportion n'était que de 17 %. Selon Sophie Bouttier-Veron, vice-présidente du tribunal pour enfants de Marseille en charge du milieu fermé, vice-présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), la proportion de MNA dans cet EPM a atteint 58 % au mois de septembre 2017.

La délégation qui a visité l'EPM de Meyzieu, près de Lyon, le 18 juin 2018, a appris que l'établissement, qui compte soixante places, avait accueilli, depuis le début de l'année, une vingtaine de MNA, dont une forte proportion paraissait d'ailleurs avoir dépassé l'âge de la majorité 34 ( * ) .

La présence des MNA apparaît un peu plus limitée à l'EPM de Lavaur, dans le département du Tarn, que notre collègue Brigitte Micouleau a visité le 8 juin 2018 : à cette date, cet établissement comptait dix MNA sur 48 mineurs incarcérés, soit 20,8 % du total.

Lors de son audition 35 ( * ) , Mme Laetitia Dhervilly, vice-procureur, chef de la section des mineurs au parquet de Paris, a indiqué que les MNA représentaient 70 % de son activité au pénal. Le Dr Valérie Kanoui, médecin à Fleury-Mérogis, a indiqué que les MNA représentaient, selon les périodes, entre un tiers et 40 % des jeunes incarcérés dans le quartier pour mineurs de cet établissement pénitentiaire 36 ( * ) .

Ces constats et témoignages recueillis par la mission sont corroborés par les observations faites sur le terrain par le Contrôle général des lieux de privation de liberté. Lors de son audition, Mme Adeline Hazan, contrôleure générale, a indiqué que « sur trois EPM visités depuis le début de l'année 2018, 50 % de leur population était composée de MNA . Outre leur nombre, nous sommes très surpris de la nature des faits qui les ont conduits à l'incarcération : ce sont essentiellement des faits de primo-délinquance, ou de petits délits ordinaires, qui pour un mineur français n'auraient certainement pas conduit au même jugement ».

Les MNA sont plus souvent incarcérés, à délit comparable, que les jeunes ressortissants français. Cela s'explique notamment par le fait qu'ils présentent peu de garanties de représentation, ce qui incite les procureurs à les déférer devant le juge des enfants dès la fin de leur garde à vue et à demander leur placement en détention provisoire, de crainte qu'ils ne répondent jamais aux convocations de la justice.

Confrontés parfois à des MNA qui refusent d'être pris en charge par la protection de l'enfance, parce que leur parcours de migration n'est pas achevé, il est possible que certains juges des enfants en arrivent à voir dans la mesure d'incarcération une mesure de protection - de protection de la société et de protection de ces jeunes qui vivent dans une situation de grande précarité et pratiquent une délinquance de subsistance.

B. LE MINEUR ENFERMÉ POUR RAISONS THÉRAPEUTIQUES : QUAND SOINS ET LIBERTÉ NE SONT PLUS COMPATIBLES

Quatorze années séparent la parution des deux ouvrages de Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique (1961) et Surveiller et punir (1975). Les deux populations concernées, malades mentaux et détenus, sont concernées par le contrôle social rejeté par le vent de liberté qui souffla au moment de mai 1968, et qui se traduisit par le mouvement de l'antipsychiatrie pour les premiers et par la création du Groupe d'information sur les prisons (GIP) pour les seconds. Dans les deux cas, il s'agissait pour la société de « ficher les importuns, éloigner les irréguliers, reléguer les indésirables » 37 ( * ) .

L'enfermement pour motif thérapeutique relève cependant d'un cadre juridique distinct qu'il convient de rappeler et que votre mission jugerait pertinent de faire évoluer.

1. Le profil des mineurs hospitalisés ou l'écheveau multiple des troubles de l'être humain en construction
a) Leur nombre

La psychiatrie infanto-juvénile ou pédopsychiatrie , chargée de soigner les troubles psychopathologiques des enfants et des adolescents, a dès les débuts de son histoire eu recours à la pratique de l'enfermement ou de l'isolement thérapeutique. Initialement motivé par la volonté de distinguer l'espace d'évolution de l'enfant atteint de troubles psychiques, ce recours à l'isolement thérapeutique a connu une diminution progressive au profit d'une prise en charge aujourd'hui fondée sur le soin ambulatoire . La pratique de l'isolement thérapeutique, résiduelle dans le cadre global de la prise en charge, consiste en une séparation contrainte du patient mineur de son entourage, le plus souvent dans sa chambre ou dans une chambre d'isolement.

Les statistiques dont nous disposons pour quantifier le phénomène comportent un biais lié aux particularités de la discipline. En effet, le champ de la pédopsychiatrie ne repose pas sur la définition juridique du mineur mais sur une approche biologique des caractères pubertaires : la pédopsychiatrie prend en charge les patients âgés de moins de seize ans , les patients plus âgés relevant du champ de la psychiatrie adulte 38 ( * ) . Les mineurs âgés de plus de seize ans ne font donc pas l'objet d'une traçabilité spécifique.

Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), les soins psychiatriques susceptibles de comporter une composante d'enfermement ne représentent aujourd'hui que 8,4 % des prises en charge.

Enfants et adolescents de moins de seize ans admis en hospitalisation psychiatrique 39 ( * )

2014

2015

2016

Nombre de patients

39 468

41 834

43 120

Proportion d'hommes

67 %

66 %

65 %

Nombre de journées d'hospitalisation

1 780 236

1 780 180

1 741 174

Part de journées d'hospitalisation partielle (en %)

66 %

66 %

65 %

Durée moyenne d'hospitalisation des patients (journées/an)

45,1

42,5

40,4

Source : Drees

L'évolution observée depuis 2014 montre deux phénomènes distincts : une augmentation régulière du nombre de mineurs de moins de seize ans admis en hospitalisation psychiatrique (à raison de 2 000 mineurs par an) et une diminution régulière de leur durée moyenne d'hospitalisation .

On ne dispose pas d'étude générale récente sur la pratique spécifique de l'isolement thérapeutique au sein des unités pédopsychiatriques où les patients sont accueillis en hospitalisation, d'autant que cette dernière est strictement limitée par la loi aux cas d'hospitalisation sans consentement 40 ( * ) . La dernière étude portant sur la question a été menée en 2005 et montrait que la pratique de l'isolement était répandue dans la plupart des services considérés mais aussi utilisée « avec une grande fréquence », pour tout âge de l'enfance ou de l'adolescence 41 ( * ) .

b) Leur profil

Outre le nombre de patients mineurs enfermés pour raisons thérapeutiques, qui n'est pas précisément connu, le phénomène est complexifié par les motifs de leur prise en charge, dont la Drees donne chaque année un panorama.

Diagnostics des mineurs de moins de seize ans admis en hospitalisation psychiatrique en 2016

Hommes

Femmes

Troubles mentaux organiques, y compris symptomatiques

2,1 %

2,4 %

Troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation de substances psychoactives

13,9 %

5,8 %

Schizophrénie et troubles délirants

25,3 %

16,2 %

Troubles de l'humeur 42 ( * )

20,1 %

37,8 %

Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress

9,4 %

14,4 %

Facteurs influant sur l'état de santé

19,9 %

14,8 %

Autres troubles psychiatriques

3,1 %

2,6 %

Diagnostics somatiques

1,7 %

2,0 %

Non renseigné

4,5 %

4,0 %

Source : Drees

Dans le cas des garçons, l'hospitalisation psychiatrique est majoritairement motivée par des troubles schizophréniques et délirants et des troubles de l'humeur, qui expliquent par ailleurs une grande majorité des hospitalisations psychiatriques des filles.

On constate que la typologie de certains troubles du comportement recensés par la Drees (notamment les troubles de l'humeur et les troubles névrotiques) se concentre sur une approche strictement symptomatique, en prenant peu en compte leur intensité , qui peut pourtant fortement impacter leur nature. Or le rapport rendu en 2017 par la mission sénatoriale sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France 43 ( * ) avait montré que la pertinence de l'approche médicale en la matière dépendait beaucoup plus de l'intensité du trouble que des symptômes qui l'accompagnent 44 ( * ) .

En effet, le même symptôme peut se retrouver dans un trouble de l'humeur faiblement intensif , qui sera alors appréhendé comme un mal-être ou une souffrance psychique, caractéristique par exemple d'une crise d'adolescence, comme dans un trouble de l'humeur fortement intensif , qui devra alors être traité comme un véritable trouble psychiatrique relevant d'une prise en charge thérapeutique.

Dans tous les établissements d'enfermement dont il est question dans ce rapport, nous rencontrons ces troubles du comportement de nature et d'intensité diverses. Compte tenu de la grande misère de la psychiatrie, ce sont bien évidemment les troubles les plus menaçants, donc les plus gênants, qui sont les plus « pris en charge ». Ce ne sont pas forcément ceux qui relèvent d'un trouble psychiatrique avéré.

Par ailleurs, les troubles recensés par la Drees ne regroupent que les troubles figurant au chapitre V relatif aux troubles mentaux et du comportement (codes F00-F99) de la classification internationale des maladies (CIM-10) dressée par l'organisation mondiale de la santé (OMS). N'y figurent donc pas les diagnostics d'hospitalisation psychiatrique motivés par des troubles neurologiques (et non mentaux), au premier rang desquels figurent les troubles du spectre autistique . Il n'existe donc pas de chiffrage officiel des mesures de soins psychiatriques appliqués à des personnes atteintes de troubles autres que mentaux .

Ainsi, en plus d'être imparfaitement documenté sur la quantification de l'isolement thérapeutique des mineurs, on doit s'avouer peu renseigné sur la nature des troubles psychiques, psychiatriques, mentaux ou neurologiques qui le motivent .

2. Les soins psychiatriques : les risques d'une inflation aux contours pas toujours distincts

Les conditions dans lesquelles il peut être recouru à l'enfermement thérapeutique d'un mineur dans le cadre de soins psychiatriques dépendent avant tout d'une donnée socioculturelle à l'importance parfois escamotée : la demande de soins psychiatriques , exprimée soit par les titulaires de l'autorité parentale, soit plus largement par la société civile.

À raison des auditions de la mission d'information, votre rapporteur pose un constat préalable d'augmentation de cette demande, non nécessairement causée par une augmentation de la fréquence des maladies mentales . Autrement dit, la demande de recours aux soins psychiatriques pour un mineur semble être formulée pour un nombre croissant de motifs, dont tous ne paraissent pas justifiés.

Ainsi, de même qu'en matière pénale le regard porté sur la délinquance juvénile a un impact direct sur le nombre de décisions d'enfermement, indépendamment de l'évolution réelle de la délinquance, la demande sociale conditionne pour partie le recours à l'enfermement thérapeutique, par-delà les variations du nombre de pathologies mentales.

a) Une demande croissante de soins psychiatriques
(1) L'extension du champ de la pathologie psychiatrique

Alors que la psychiatrie, entendue comme discipline thérapeutique, se donne traditionnellement pour mission de soigner les maladies mentales stricto sensu , dont les plus fréquentes sont les schizophrénies, les paranoïas ou les psychoses maniaco-dépressives, l'apparition de troubles psychiques , de gravité moindre mais présentant des manifestations similaires, a fait exploser depuis quelques décennies la demande de soins psychiatriques. Ce sont notamment les dépressions, les états anxieux, les malaises névrotiques, qui peuvent parfois entraîner une évolution morbide 45 ( * ) . La psychiatrie se trouve ainsi confrontée à une inflation « des conduites qui ne relèvent pas de la maladie mentale, mais qui témoignent d'une souffrance psychique et qui portent en elles-mêmes une dangerosité, étant donné leur tendance à la répétition » 46 ( * ) .

Plusieurs spécialistes indiquent à cet égard que les structures psychiatriques pour mineurs se retrouvent confrontées à « un motif courant de demande qui est l'agitation [des enfants], souvent accompagnée de comportements opposants ou agressifs » 47 ( * ) . La demande de soins psychiatriques exprimée en de pareils cas ne provient pas tant d'un diagnostic médical de maladie mentale que d'un épuisement familial , qui n'hésite plus à réclamer à des médecins la sédation d'un comportement qu'il ne parvient plus à gérer. L'usage, sans doute exagéré, de la Ritaline, chez des enfants très turbulents, est un exemple de la psychiatrisation de la société et, dans ce cadre, d'un « enfermement psychologique ». Le psychiatre, spécialiste clinicien, a donc récemment vu ses missions augmentées d'une fonction de « conseil dans l'éducation des enfants et adolescents », dont l'extension a été perçue par certains comme un détournement du traitement des maladies graves 48 ( * ) .

Votre rapporteur ne peut que formuler son inquiétude quant à ce qu'il interprète, dans des cas qui ne requerraient pas forcément l'intervention du thérapeute psychiatre, comme un dessaisissement de la fonction parentale au profit de la prise en charge médicale .

(2) Le rôle croissant de l'expert psychiatrique auprès du juge des enfants

Outre la demande croissante de soins psychiatriques directement exprimée par les parents, votre rapporteur tient à attirer l'attention sur la demande croissante de soins psychiatriques incidemment conséquente des hospitalisations décidées par le juge des enfants . En effet, un cas non explicite d'hospitalisation sans consentement, sur lequel on reviendra, est mentionné par l'article 375-9 du code civil, aux termes duquel le juge des enfants peut décider, sur avis médical circonstancié, de l'admission d'un mineur dans un « établissement recevant des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux » .

Cette décision juridictionnelle peut s'appuyer, d'après l'article 388-1 du code civil 49 ( * ) , sur le témoignage du mineur (qui est de droit lorsque ce dernier en formule la demande) mais est le plus souvent prise sur le recueil d'une expertise psychiatrique . Cette expertise, qui se doit d'éclairer la décision d'un juge, incompétent en matière médicale, peut revêtir une influence déterminante. Or les critères de sélection des experts habilités à éclairer les tribunaux de leurs avis font depuis quelques années l'objet de critiques récurrentes 50 ( * ) .

Les termes du décret du 23 décembre 2004 51 ( * ) prévoient des exigences pour le moins minimales et floues : il suffit qu'un expert « exerce ou ait exercé [la] profession ou [l'] activité dans des conditions conférant une qualification suffisante » pour que son avis puisse être recueilli. Dans le cas d'une expertise psychiatrique sollicitée par le juge des enfants susceptible de motiver une décision d'hospitalisation psychiatrique, votre rapporteur observe qu' aucune formation particulière en pédopsychiatrie n'est requise pour l'expert .

La mission d'information, au cours d'un déplacement au centre hospitalier du Vinatier, a ainsi été informée par le personnel soignant du cas d'une jeune fille admise en soins psychiatriques sur décision du juge des enfants à la suite d'une simple fugue. C'est donc d'un processus décisionnel exposé à des fragilités importantes que dépend in fine la décision rendue par un juge des enfants d'une hospitalisation psychiatrique pouvant mener à des situations d'isolement thérapeutique. Votre rapporteur n'en est que plus convaincu de la nécessité de rendre obligatoire - et non plus facultatif - le témoignage du mineur prévu à l'article 388-1 du code civil .

b) Une ouverture croissante et discutée des soins psychiatriques : la prise en charge des enfants autistes

S'il est un postulat que votre rapporteur ne saurait trop rappeler, c'est celui selon lequel la psychiatrie est une discipline scientifique et une spécialité médicale, principalement chargée de soigner les troubles mentaux 52 ( * ) et d'accompagner les patients dans leur cheminement thérapeutique. En tant que spécialité médicale, le recours à des remèdes institutionnels ou médicamenteux ne justifie sa portée curative que lorsque cette dernière est avérée par l'expérience.

Depuis quelques décennies, une polémique persistante, relative à son intervention auprès des personnes - notamment des enfants - atteintes d'autisme , agite le monde de la psychiatrie. Le champ de la psychiatrie ayant historiquement été défini par une approche symptomatique , les personnes atteintes d'autisme manifestant des troubles envahissants du développement ou du comportement s'y sont logiquement trouvées incluses, sans que l'assimilation de l'autisme à un trouble mental ne fasse alors l'objet de débat. Intégrées à la patientèle habituelle des médecins psychiatres, les personnes atteintes d'autisme étaient donc éligibles aux traitements appliqués par ces derniers, essentiellement composés d'accueil en institution, de prescription de psychotropes et, plus récemment, de thérapies psychodynamiques influencées par l'école psychanalytique.

La combinaison progressive de ces trois formes de traitement est souvent présentée comme un progrès historique de la psychiatrie à l'égard de patients effectivement atteints de troubles mentaux. Elle a cependant montré d'importantes limites dans le cas particulier des enfants atteints d'autisme et fait l'objet de violentes critiques 53 ( * ) . Les progrès récents des neurosciences ont définitivement identifié l'autisme comme un trouble neurologique , distinct d'un trouble mental. Par conséquent, l'exclusivité de la compétence psychiatrique en matière d'autisme a été contestée, au profit d'une approche médico-sociale plus englobante .

Une fois ce constat posé, et globalement acquiescé, la carence importante des structures médico-sociales spécialisées dans la prise en charge des enfants autistes a de facto contraint les familles à maintenir leur recours à des soins purement psychiatriques , libres ou sans consentement lorsqu'un trouble du comportement d'un enfant autiste est pressenti comme dangereux. Or la nécessité d'un accompagnement pluridisciplinaire de l'autisme, autant fondé sur une approche médicale qu'éducative et sociale, ne saurait se satisfaire d'une seule admission en soins psychiatriques, dont les effets isolés peuvent d'ailleurs se montrer contreproductifs, voire constitutifs de maltraitance .

Plusieurs travaux du Sénat 54 ( * ) se sont déjà penchés sur ce problème et en avaient identifié les causes, essentiellement financières . Les établissements de soins psychiatriques sont financés au titre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie relatives aux établissements de santé (« l' Ondam hospitalier »), alors que les structures médico-sociales sont financées par les dépenses d'assurance maladie en établissements et services pour personnes handicapées (« l' Ondam médico-social »). La transformation de la prise en charge de l'autisme n'est réalisable qu'à la condition d'un transfert financier d'ampleur entre ces deux ensembles .

Or la loi du 21 juillet 2009 55 ( * ) a explicitement prévu que ces deux véhicules financiers puissent faire l'objet d'une « fongibilité asymétrique » au profit de l'Ondam médico-social , sans que cette dernière ne soit effectivement pratiquée 56 ( * ) . Les frontières culturelles importantes entre le monde sanitaire et le monde médico-social sont certainement grandement imputables à ces freins. Votre rapporteur, se joignant aux préconisations précédemment formulées par ses collègues, en appelle à leur levée.

Proposition : de façon générale, votre rapporteur invite à ce que les soins psychiatriques, pouvant aller jusqu'à l'isolement, soient strictement circonscrits au soin des troubles mentaux avérés . Les débordements signalés relatifs à des troubles psychiques d'intensité moindre et certains troubles neurologiques aux manifestations similaires doivent être régulés par les pouvoirs publics 57 ( * ) , notamment les autorités publiques indépendantes à caractère scientifique.

3. Les droits du patient mineur et la présomption du soin consenti

On a vu que, bien que l'accueil d'un mineur dans un établissement de santé ne revête pas le caractère pénal d'une incarcération, il peut, lorsque le trouble dont souffre le mineur appelle un certain type d'intervention, s'en rapprocher dans ses manifestations. La privation de liberté à laquelle les professionnels de santé peuvent alors avoir recours, dans le cadre d'un traitement spécifique, nécessite que l'isolement thérapeutique soit aussi rigoureusement encadré par le droit que l'enfermement pénal.

Les dispositions qui régissent cet enfermement forment un corpus épars et fort hétérogène , réparti entre le code civil et le code de la santé publique (CSP).

a) Droits du patient mineur et exercice de l'autorité parentale
(1) Le cadre posé par le droit civil : autorité parentale et assistance éducative
(a) L'autorité parentale

Le cadre général des droits du mineur, applicable au cas particulier de son accueil dans un établissement de santé, est d'abord celui de l' autorité parentale, décrite à l' article 371-1 du code civil , qui dispose que « l'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

(b) L'assistance éducative du juge des enfants

En cas de défaillance ou d'insuffisance de l'autorité parentale, les titulaires de cette dernière peuvent se trouver suppléés par un tiers judiciaire, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative . Aux termes des articles 375 et suivants du code civil , lorsque la sécurité, la santé ou la moralité d'un mineur sont en danger, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par le juge des enfants , sur requête d'un parent, du mineur lui-même ou encore du ministère public. Au même titre que l'autorité parentale, la mesure d'assistance éducative peut emporter l'admission du mineur dans un établissement de santé :

- l' article 375-3 5° dispose spécifiquement que le juge des enfants peut, « si la protection de l'enfant l'exige », confier le mineur à un service ou à un établissement sanitaire ;

- l' article 375-7 indique que le juge des enfants peut, exceptionnellement, dans tous les cas où l'intérêt de l'enfant le justifie, autoriser la personne ou l'établissement à qui est confié l'enfant à exercer un acte relevant de l'autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence ;

- l' article 375-9 prévoit que, dans le cas d'une admission dans un « établissement recevant des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux », cette dernière doit être ordonnée après un avis médical circonstancié d'un médecin extérieur à l'établissement, pour une durée de quinze jours maximum. Cette mesure peut être renouvelée, après avis conforme d'un psychiatre de l'établissement d'accueil, pour une durée d'un mois renouvelable.

Bien que l'article 375-1 précise que le juge des enfants doive toujours « se prononcer en stricte considération de l'intérêt de l'enfant », l'exercice d'une mission d'assistance éducative ne prévoit pas explicitement , à l'instar de l'autorité parentale, l'association de l'enfant aux décisions qui le concernent .

L' article 388-1 du code civil dispose toutefois que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande ».

(2) Le cadre hospitalier : une réduction de l'autonomie du mineur par rapport au cadre civil
(a) Un principe général d'hétéronomie
(i) L'admission

Malgré l'importance d'un sujet tel que l'admission d'un mineur dans un établissement de santé, le principe clairement établi de son incapacité à en décider ne s'accompagne pas d'une définition précise des modalités de cette admission .

Au niveau législatif , il n'y a guère que l'article 375-9 du code civil qui, dans le seul cas particulier d'une admission en établissement pour soins psychiatriques prononcée par le juge des enfants dans le cadre d' une mesure d'assistance éducative , fasse un exposé de ces modalités.

Les autres cas d'admission d'un mineur dans un établissement de santé ne sont définis que par voie réglementaire à l' article R. 1112-34 du CSP :

- pour le cas général où le titulaire de l'autorité parentale exerce la plénitude des droits du mineur, l'article R. 1112-34 (alinéa 1 er ) dispose, en cohérence avec l'article 371-1 du code civil, que « l'admission d'un mineur est prononcée, sauf nécessité, à la demande d'une personne exerçant l'autorité parentale ou de l'autorité judiciaire ». Votre rapporteur note cependant que, bien que le droit civil investisse conjointement le père et la mère de l'autorité parentale comme garants de la santé de l'enfant, le droit de la santé publique autorise l'admission en établissement de santé de l'enfant à la condition simple de la demande d'un seul des deux parents ;

- la demande d'hospitalisation peut provenir d'une autre personne que le titulaire de l'autorité parentale, pour le cas où le mineur bénéficie d'une mesure d'assistance éducative l'ayant placé dans un établissement d'éducation ou confié à un tiers (alinéa 2) ou encore dans un service relevant de l'aide sociale à l'enfance (alinéa 3). Son hospitalisation ne peut alors intervenir que sur demande du directeur de cet établissement, de ce tiers ou de ce service.

Dans un rapport de 2017, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté a contesté ces dernières dispositions, dont elle estime qu'elles contredisent « l'esprit de l'assistance éducative qui tend à restaurer les parents [...] dans leurs droits » 58 ( * ) et non à s'y substituer. On peut cependant faire observer que ces alinéas 2 et 3 sont cohérents avec l'article 375-7 du code civil aux termes duquel « le juge des enfants peut exceptionnellement [...] autoriser la personne, le service ou l'établissement à qui est confié l'enfant à exercer un acte relevant de l'autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l'autorité parentale ».

(ii) L'information et l'accomplissement du soin

L' article L. 1111-2, alinéa 5 du CSP dispose, toujours en cohérence avec l'article 371-1 du code civil, que les droits des mineurs usagers du système de santé, notamment le droit à l'information et le droit de participer à la décision de soin , sont exercés par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur.

La distinction opérée en matière d'admission par l'article R. 1112-34 entre hospitalisation demandée par le titulaire de l'autorité parentale et hospitalisation demandée dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative n'est pas reproduite au niveau législatif en matière d'exercice des droits du patient mineur : dans les deux cas, les droits du mineur spécifiques à son hospitalisation continuent d'être exercés par les parents ou par le tuteur .

Votre rapporteur identifie là une première difficulté. En effet, aux termes de l'article 388-2 du code civil, il peut revenir au juge des tutelles ou, à défaut, au juge des enfants, de désigner au mineur un administrateur ad hoc chargé de le représenter lorsque, dans une procédure, ses intérêts apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux . Cette désignation n'entraîne aucun transfert de l'autorité parentale ou de la tutelle. Ainsi, dans le cas particulier, identifié par le juge, de l'hospitalisation d'un mineur requise par ses parents manifestement contre son intérêt, la désignation d'un administrateur ad hoc ne s'opposerait néanmoins pas au maintien de l'exercice par les parents des droits dudit mineur en tant que patient .

(b) Deux exceptions favorisant l'autonomie du patient mineur

À ce principe général d'hétéronomie du patient mineur, votre rapporteur n'identifie que deux exceptions. Aucune de ces deux exceptions ne concerne l'admission ; elles ne regardent que l'exercice des droits du patient une fois admis.

(i) Une exception obligatoire mais subjective : la maturité du patient

La suite de l'article L. 1111-2 du CSP prévoit que les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant , d'une manière adaptée à leur degré de maturité . Votre rapporteur remarque qu' au regard du droit hospitalier , le degré de maturité est le seul critère retenu pour permettre au mineur de participer aux décisions le concernant, alors qu' au regard du droit civil (article 388-1 du code civil), il suffit que ce dernier soit capable de discernement pour être entendu par le juge dans le cadre d'une procédure d'hospitalisation lorsqu'elle est décidée par ce dernier.

L' article L. 1111-4 du CSP énonce le principe du consentement libre et éclairé obligatoire du patient au soin qui lui est dispensé. Son alinéa 7 prévoit que, pour le cas particulier du mineur , le consentement doit être systématiquement « recherché » - et non « recueilli » - s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision 59 ( * ) . La recherche du consentement du mineur est ainsi soumise à deux conditions cumulatives, l'une objective - l'aptitude à exprimer sa volonté - et l'autre subjective - l'aptitude à participer à la décision de soin, dont on a vu qu'elle était fonction de son degré de maturité. Par conséquent, le médecin peut être légalement délié de son obligation de recherche du consentement d'un mineur, si la maturité de ce dernier est jugée insuffisante .

Par ailleurs, ce même article L. 1111-4 ne prévoit qu'une dérogation obligatoire à l'exercice des droits du patient mineur par le titulaire de l'autorité parentale : celui où le refus de traitement peut entraîner des conséquences graves sur la santé du mineur, hypothèse dans laquelle le médecin est délié de son obligation de recueil du consentement du parent et délivre les soins indispensables.

(ii) Une exception objective mais facultative : l'opposition expresse du patient

L' article L. 1111-5 du CSP a introduit en 2002 60 ( * ) une nouvelle exception au monopole du consentement au soin dispensé sur mineur détenu par le titulaire de l'autorité parentale. Il s'agit du cas où la personne mineure s'oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l'autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé.

Deux nuances doivent néanmoins être apportées :

- en cas d'expression par le mineur de cette opposition expresse, l'article L. 1111-5 prévoit néanmoins que le médecin doit dans un premier temps s'efforcer d'obtenir le consentement du mineur à la consultation du titulaire de l'autorité parentale. Dans le cas où ce refus serait maintenu, le mineur doit se faire accompagner par une personne majeure de son choix ;

- mais surtout, l'expression d'une telle opposition expresse n'entraîne nullement pour le médecin l'obligation de ne pas rechercher le consentement du parent . L'article L. 1111-5 se contente d'énoncer la faculté pour le médecin de se dispenser d'une telle recherche, mais pas l'interdiction de s'y adonner. Le droit actuel ne prévoit en effet d'interdiction formelle s'imposant au médecin que dans le cas où le patient mineur s'oppose à la communication d'informations au titulaire de l'autorité parentale à l'occasion d'un soin dispensé 61 ( * ) .

Cet article L. 1111-5, qui ménage incidemment un cas d'autonomie du consentement du mineur, semble davantage animé par le souci de protéger le praticien médical d'un engagement de sa responsabilité que par celui d'atténuer les effets de l'autorité parentale.

b) Le droit spécial applicable aux mineurs admis en soins psychiatriques

Avant d'aborder la question spécifique des droits des mineurs admis en soins psychiatriques, votre rapporteur rappelle que la limite de la « minorité psychiatrique » (seize ans) se distingue de celle la minorité juridique (dix-huit ans) . On ne peut que s'interroger sur le maintien d'un régime juridique d'incapacité dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique relevant du secteur des adultes.

(1) L'admission en soins psychiatriques
(a) L'admission en soins libres

En raison de la nature particulière des soins psychiatriques et des origines et motivations spécifiques qui peuvent entourer la demande de soins 62 ( * ) , la prise en charge pour troubles mentaux doit, dans le cas général, obéir au principe du consentement préalable obligatoire du patient , exprimé le cas échéant par son représentant légal, énoncé à l' article L. 3211-1 du CSP . Il s'agit alors de ce que l'on désigne par des « soins psychiatriques libres ».

Cette spécificité, issue d'une volonté du législateur de définir un droit spécial des soins psychiatriques attentif au recueil du consentement du patient, est pertinente pour des patients juridiquement autonomes, mais reste inopérante pour le cas des mineurs, dont l'incapacité en la matière n'est pas levée.

Il en résulte donc qu' un mineur ayant en droit consenti à recevoir des « soins psychiatriques libres » est en fait un mineur dont les titulaires de l'autorité parentale ont demandé son admission à ces soins 63 ( * ) . Ce motif d'admission est de loin, comme le montre le tableau ci-après, le plus représentatif des admissions de mineurs en soins psychiatriques.

En matière d'admission libre d'un mineur en soins psychiatriques, l' article L. 3211-10 du CSP dispose que « la décision d'admission [...] ou la levée de cette mesure sont demandées, selon les situations, par les personnes titulaires de l'exercice de l'autorité parentale ou par le tuteur. En cas de désaccord entre les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, le juge aux affaires familiales statue ».

Par exception à la règle générale qui prévoit que l'hospitalisation d'un mineur se fait sur demande d'un de ses deux parents ou de l'autorité judiciaire, le droit spécial de l'hospitalisation du mineur pour soins psychiatriques requiert ainsi (sauf en cas de désaccord entre les parents) la demande des deux parents ou, le cas échéant, du tuteur.

En-dehors de ces modalités particulières, le ministère des affaires sociales et de la santé a indiqué en 2013 64 ( * ) que « rien ne permettait de considérer qu'en matière de soins psychiatriques, il y aurait des règles particulières à définir pour les mineurs , par opposition à d'autres secteurs de santé » et que « tout patient, fût-il mineur, ne peut évidemment pas être hospitalisé sans cause médicale et sans qu'un médecin ne prescrive cette hospitalisation ».

Cette dernière précision n'est pas exacte . Le critère discriminant de l'hospitalisation psychiatrique libre est précisément l'absence d'obligation de produire un certificat médical la préconisant. Par ailleurs, les articles L. 3211-1, L. 3211-2 et L. 3211-10 du CSP, qui fixent les règles entourant l'admission en soins psychiatriques libres, ne font aucune mention d'un certificat médical préalable .

(b) L'admission en soins sans consentement

On distingue trois hypothèses en matière de soins psychiatriques sans consentement : l'admission en soins psychiatriques à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent 65 ( * ) , l'admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'État 66 ( * ) et l'admission en soins psychiatriques ordonnée par une juridiction en cas de déclaration d'irresponsabilité pénale 67 ( * ) . Dans ces trois cas, l'admission est demandée par un tiers .

Depuis 2002, l' article 375-3, 5° du code civil ajoute à ces trois cas énoncés par le CSP le cas particulier d'une admission décidée par le juge des enfants au titre d'une mesure d'assistance éducative . Parce que consécutif à la décision d'une autorité juridictionnelle, ce type d'admission entre implicitement dans la catégorie des admissions sans consentement .

Nature de l'admission complète en soins psychiatriques des mineurs en 2015

Fondement juridique

Nombre de patients mineurs en 2015

Soins psychiatriques « libres » (sur demande des titulaires de l'autorité parentale)

Art. L. 3211-1 du CSP

17 779

Soins psychiatriques sur décision du juge des enfants

Art. 375-3 5° du code civil

239

Soins psychiatriques sur décision du représentant de l'État

Art. L. 3212-1 et suivants du CSP

197

Soins psychiatriques à la suite d'un jugement ayant déclaré l'irresponsabilité pénale

Art. 706-135 du code de proc. pénale

42

Total

18 257

Source : Audition de Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, 12 juin 2018

(2) Le maintien en soins psychiatriques
(a) En soins psychiatriques libres : fiction d'un consentement permanent

Pour ce qui regarde l'admission d'un mineur en soins psychiatriques libres , force est de constater que les modalités de maintien du mineur dans la structure de soins ne sont mentionnées qu'à l'article L. 3211-10 du CSP, aux termes duquel la levée de l'admission ne dépend que des titulaires de l'autorité parentale ou, en cas de désaccord entre eux, du juge aux affaires familiales.

(b) En soins psychiatriques contraints : des garanties pour un consentement non recueilli

Le cas de l'admission de mineurs à des soins psychiatriques sans consentement donne lieu à une situation paradoxale , consécutive de l'application de dispositions générales mais conçues avant tout pour des majeurs. En effet, l'encadrement juridique relativement restreint de l'hospitalisation libre ne se justifie que par l'exercice autonome d'une volonté de recevoir ces soins ; a contrario , l'admission à ces soins sans consentement du patient explique que l'encadrement juridique soit nettement plus étoffé. Appliquée aux mineurs, dont le consentement personnel n'est jamais recueilli, cette dualité de régimes aboutit à une protection juridique mieux assurée en cas d'admission contrainte qu'en cas d'admission « libre » .

Trois garanties principales, applicables aux majeurs comme aux mineurs, sont prévues en matière de soins sans consentement :

- l' information du patient : l'article L. 3211-3 du CSP dispose que toute personne faisant l'objet de soins psychiatriques en application d'une admission contrainte est, dans la mesure où son état le permet, informée de toute décision de maintien de soins et doit être mise à même de faire valoir ses observations par tout moyen et de manière appropriée à cet état ;

- l' intervention du corps médical : dans le cas d'une admission contrainte, le législateur prévoit un encadrement très étroit du prolongement de l'hospitalisation par le recours au certificat médical. L'article L. 3211-2-2 du CSP prévoit deux certificats médicaux obligatoires dans les 72 heures de l'admission ; l'article L. 3211-11 prévoit que le psychiatre qui participe à la prise en charge du patient peut proposer à tout moment de modifier la forme de cette prise en charge par un certificat médical circonstancié. Par ailleurs, l'article 375-9 du code civil qui régit l'admission sur décision du juge des enfants, prévoit que cette dernière est décidée après production d'un certificat médical circonstancié et ne peut être prolongée qu'à la condition d'un avis médical mensuel ;

- la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) : cette dernière garantie se justifie par la nature même de l'admission. La saisine du JLD par l'autorité décisionnaire de l'admission est obligatoire dans un délai de douze jours 68 ( * ) (ou de six mois dans le cas d'une admission décidée par le juge dans le cas d'une irresponsabilité pénale). Le JLD dispose de l' avis motivé du psychiatre de l'établissement d'accueil .

S'agissant des mineurs, le JLD peut également être saisi, à tout moment mais sans contrainte de délai, par les titulaires de l'autorité parentale aux fins d'ordonner la mainlevée de l'admission. Il ne peut décider cette mainlevée sans avoir recueilli deux expertises psychiatriques .

c) Trois grandes séries de recommandations
(1) La nécessité d'un droit spécifique du patient mineur

On déduit des observations précédentes que le régime juridique des mineurs admis en soins psychiatriques souffre avant toute chose de l'éparpillement de dispositions pas toujours cohérentes . Les règles communes relatives à la minorité figurent au code civil et sont censées régir toute situation, y compris médicale et hospitalière, impliquant un mineur, mais elles peuvent être parfois infirmées par des dispositions spécifiques du code de la santé publique relatives à l'hospitalisation des personnes.

Le principe général du droit selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale trouverait facilement à s'appliquer si le praticien n'éprouvait pas quelque difficulté à distinguer, au sein du code civil et du CSP, un corpus identifié régissant le droit du patient mineur . Alors que le code civil énonce des règles générales s'appliquant spécifiquement aux personnes mineures, le code de la santé publique isole certes les règles relatives aux soins hospitaliers mais ne pose que rarement la distinction entre les patients majeurs et les patients mineurs.

Outre leur dispersion, les normes relatives aux patients mineurs ne sont pas toutes revêtues de la même valeur . On a ainsi vu que les règles générales d'admission du patient mineur en établissement de santé étaient d'ordre réglementaire (article R. 1112-34 du CSP), mais que diverses dispositions relatives à son admission en soins psychiatriques libres et au recueil de son consentement pour certains actes soignants étaient d'ordre législatif.

La distinction entre minorité juridique (dix-huit ans) et minorité psychiatrique (seize ans) achève de brouiller les contours éventuels d'un droit spécifique. Si l'on admet que la maturité d'un patient mineur est suffisante pour le faire relever dès 16 ans des soins de la psychiatrie générale, il paraîtrait cohérent que les règles entourant son admission libre et le recueil de son consentement soient également calquées sur celles applicables aux adultes.

Ces constats militent pour la construction d'un droit spécifique du patient mineur plus homogène et plus inspiré de la veine civiliste qui privilégie les droits de la personne aux droits de l'établissement.

(2) Intégrer le discernement du mineur à la décision d'admission en soins psychiatriques

L'article 371-1 du code civil prévoit explicitement que les parents associent le mineur aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. L'article 388-1 prévoit pour sa part qu'en cas d'intervention du juge des enfants, le mineur capable de discernement peut être entendu.

Ces principes généraux, destinés à atténuer l'exclusivité de l'exercice de l'autorité parentale, ne sont qu'en partie repris par le CSP dans le cas d'une admission en établissement de santé. Il n'est fait mention, à l'article L. 1111-2 du CSP que du droit des patients mineurs à être informés et à participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée à leur degré de maturité. Il n'en est en revanche plus question en cas d' admission en soins psychiatriques libres, où n'est prévue aucune association du mineur à la décision d'hospitalisation , malgré tout l'intérêt que cette dernière pourrait présenter 69 ( * ) .

Alors que les articles L. 1111-2, L. 1111-4 et L. 1111-5 du CSP prévoient la recherche du consentement du mineur pour tout ce qui regarde son traitement en établissement psychiatrique, l'admission est la seule décision pouvant être prise sans aucun recueil de son avis .

La mission suggère qu'il soit remédié à cette exception, d'autant que l'essentiel de la communauté scientifique s'accorde à reconnaître au mineur une capacité de se prononcer sur l'opportunité d'un soin psychiatrique 70 ( * ) .

(3) Corriger les lacunes des régimes de l'hospitalisation libre et de l'hospitalisation contrainte
(a) Renforcer la protection des mineurs en admission libre

Concernant les mineurs, votre rapporteur a mis en évidence la disparité entre le régime de l'admission en soins libres, qui ne prévoit l'intervention d'aucun contrôle, et le régime de l'admission en soins sans consentement, qui fait l'objet d'un encadrement plus strict.

Votre rapporteur estime que l'absence de contrôle dans le cas des hospitalisations libres demandées par les parents ouvre le risque de pratiques abusives. La gravité de l'admission d'un mineur en soins psychiatriques requerrait que cette dernière ne puisse avoir lieu qu'après production d'un certificat médical circonstancié par un médecin extérieur à l'établissement, ce que la loi ne prévoit actuellement que pour les cas d'admissions contraintes.

(b) Sécuriser l'admission contrainte décidée par le juge des enfants

Un cas particulier d'admission sans consentement a retenu l'attention de la mission d'information : celui de l' admission décidée par le juge des enfants au titre des articles 375-3 et 375-9 du code civil. Son statut a pu faire débat : en vertu de l'exclusivité de la compétence de l'autorité administrative pour prononcer des admissions sans consentement 71 ( * ) , on a pu considérer que cette décision de placement par le juge des enfants, prononcée au titre d'une mesure d'assistance éducative, entrait alors dans la catégorie des soins libres. Cette lecture a néanmoins été contestée, au motif que l'admission en soins libres ne pouvait découler que d'une décision du titulaire de l'autorité parentale. Une décision de la Cour de cassation 72 ( * ) , tout en reconnaissant la légalité de l'admission décidée par le juge des enfants, n'a pas clairement tranché sur sa nature, bien qu'il soit admis aujourd'hui qu' elle relève de l'admission contrainte .

Le cas de Timothée D.

Le 17 septembre 2015, la rapporteure spéciale du Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies pour les droits des personnes handicapées, Mme Catalina Devandas-Aguilar, condamne dans un communiqué de presse « l'institutionnalisation de Timothée D. en milieu psychiatrique », intervenue sur décision du juge des enfants.

Ce jeune garçon, âgé de seize ans et atteint d'un trouble du spectre autistique, avait fait l'objet d'une ordonnance de placement en établissement psychiatrique au titre de l'article 375-3 du code civil, et y « avait été assujetti à des traitements médicamenteux sans son accord ni celui de sa mère ». Par ailleurs, « les raisons de ce placement en hôpital psychiatrique ne sont, à ce jour, toujours pas connues de sa mère, qui avait été interdite de le voir ».

Cette affaire est illustrative du défaut de garanties qui entoure l'admission en soins psychiatriques décidée par le juge des enfants.

Votre rapporteur considère qu'une clarification devrait être apportée. Bien qu'implicitement comprise au rang des admissions sans consentement, l'admission décidée par le juge des enfants ne se voit pas explicitement encadrée par les garanties dont bénéficient les patients dans le cadre des autres admissions sans consentement demandées pour péril imminent ou par le représentant de l'État (information, intervention du corps médical, recours auprès du JLD). Or ces garanties, qu'explique une décision prise par un tiers non détenteur de l'autorité parentale, devraient leur être appliquées .

Proposition : bâtir, à partir des dispositions éparses du code civil et du code de la santé publique, un droit spécifique du patient mineur admis en soins psychiatriques fondé sur :

- le recueil systématique de son avis lors de son admission,

- l'effectivité de son droit d'information et de participation au soin,

- l'encadrement de son admission par un certificat médical circonstancié lorsque cette dernière est demandée par ses parents,

- l'extension de toutes les garanties de l'hospitalisation sous contrainte lorsque cette dernière est décidée par le juge des enfants.

C. ENFANCE EN DANGER ET ENFANCE DANGEREUSE : UN MÊME PUBLIC

Le regard que porte la société sur les jeunes délinquants a évolué depuis une vingtaine d'années. L'accent est aujourd'hui davantage mis sur leur responsabilité propre dans la commission d'actes de délinquance, plutôt que sur les difficultés sociales ou familiales qui pourraient expliquer leur passage à l'acte.

Certes, ces difficultés ne sauraient « excuser » leur geste et il est légitime qu'ils en assument les conséquences, le cas échéant en effectuant une peine de privation de liberté.

Il n'en reste pas moins vrai que les auditions auxquelles a procédé la mission ont confirmé une intuition de départ : le public des mineurs enfermés présente de nombreux points communs avec celui de l'enfance en danger suivi par l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements. Même si cette formule peut paraître simplificatrice, votre rapporteur pense ne pas être trop éloigné de la réalité en indiquant que si un enfant en danger peut être dangereux, un enfant dangereux est forcément un enfant en danger .

Ce constat le conduit à regretter l'excessive spécialisation qui a pu être observée depuis une dizaine d'années, la PJJ concentrant son activité sur le suivi des jeunes sous main de justice tandis que l'ASE est chargée de la protection de l'enfance en danger.

Pour reprendre l'expression employée par Anne Bérard, adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire devant la mission, les mineurs enfermés sont souvent des « poly-fracturés de la vie » 73 ( * ) . Cette partie du rapport entend donc préciser quel est le profil de ces mineurs afin de mieux cerner quels peuvent être leurs besoins en termes de réinsertion.

1. De nombreux mineurs sous main de justice sont aussi suivis par l'ASE

Un grand nombre de mineurs ayant affaire à la justice sont déjà connus par l'ASE avant d'être suivis par la protection judiciaire de la jeunesse.

Ce constat a été rappelé avec force par différents interlocuteurs de la mission. Mme Madeleine Mathieu, directrice de la PJJ, a déclaré que « bien que nos outils statistiques soient perfectibles , il apparaît de façon assez claire que les mineurs délinquants ont eu, le plus souvent, un antécédent de protection ou qu'ils auraient dû en avoir un . La rénovation en cours de nos systèmes d'information devrait permettre de le mettre en évidence de façon encore plus nette ». 74 ( * )

Mme Adeline Hazan, contrôleure des lieux de privation de liberté, a déploré que l'on ait trop tendance à dissocier « la prise en charge civile, assurée par l'aide sociale à l'enfance des départements, de l'accompagnement effectué par la PJJ au pénal, alors que ce sont très souvent les mêmes jeunes qui font l'objet de ces deux types de mesures ! » 75 ( * ) . Dans le même esprit, Mme Sophie Bouttier-Véron, vice-présidente du tribunal pour enfants de Marseille en charge du milieu fermé, vice-présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), a noté 76 ( * ) que « l'ASE renvoie les enfants en danger de délinquance vers la PJJ mais ce sont en réalité les mêmes enfants ! ».

Plusieurs interlocuteurs ont souligné que notre ordonnancement juridique et l'organisation de notre justice des enfants consacrent implicitement cette proximité entre enfance en danger et enfance délinquante. Au cours de son audition 77 ( * ) , l'historienne Véronique Blanchard a ainsi fait observer que « l'ordonnance de 1958 78 ( * ) , en conférant à la magistrature des enfants une double compétence pénale et civile, fait entrer la protection des enfants dans le champ de la justice des enfants, la société les considérant en danger ». Prolongeant cette réflexion, Me Etienne Lesage, avocat, président du groupe de travail « Mineurs » au Conseil national des barreaux, a estimé que l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante et celle de 1958 sur la protection de l'enfance en danger « consacrent la primauté de l'éducatif, et considèrent que le mineur - délinquant ou en danger - est souvent le même mineur ».

À défaut de données chiffrées au niveau national, il peut être intéressant enfin d'examiner les conclusions d'une étude réalisée, en 2013, sur les mineurs gardés à vue au commissariat central de Nantes. Il en ressort que « 44,3 % de ces mineurs avaient déjà fait l'objet d'une information préoccupante ou d'un signalement antérieurs à la garde à vue. 40,5 % avaient déjà bénéficié de mesures de protection par l'Aide Sociale à l'Enfance ou le parquet des mineurs. Que ce soit par un signalement ou une information préoccupante antérieurs, une mesure de protection antérieure, ou l'existence d'un fichier éducatif au parquet des mineurs, 38 mineurs (48,1 %) avaient déjà été repérés comme étant en danger par des professionnels de l'enfance avant la garde à vue» 79 ( * ) . Certes, tous les mineurs gardés à vue ne feront pas l'objet d'une décision d'enfermement ; en revanche, tous les mineurs enfermés ont été placés en garde à vue à un moment de la procédure. Comme les mineurs enfermés sont souvent ceux qui cumulent le plus de difficultés et qui ont le parcours de délinquance le plus chargé, il est vraisemblable que les chiffres seraient encore plus élevés si une même étude était réalisée sur cette population.

Votre rapporteur présentera, dans la suite de ce rapport les conclusions qui lui paraissent découler de ce constat concernant les activités de la PJJ : la proximité de ces deux publics ne lui paraît pas plaider en faveur d'une spécialisation trop exclusive sur le pénal . N'ayons pas peur de dire qu'en confiant la mise en oeuvre des mesures civiles aux départements, l'État, sous prétexte de décentralisation, a réalisé avant tout une opération financière.

À ce stade, il souhaite simplement souligner l'importance d'un dialogue, d'un échange d'informations et d'une coopération efficace entre les services de la PJJ et les services départementaux de l'ASE et indiquer que l'enfermement d'un mineur suivi par l'ASE, lorsqu'il survient, constitue toujours un échec dramatique pour la protection de l'enfance.

L'aide sociale à l'enfance, une responsabilité majeure des conseils départementaux

Suite à la décentralisation, les départements, chargés de la veille sanitaire des enfants et de la prévention spécialisée, sont progressivement devenus les maîtres d'oeuvre de la protection de l'enfance. La priorité de l'autorité administrative en matière de protection de l'enfance a ainsi été affirmée.

Cette compétence de la sauvegarde de l'enfance est assumée par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE), en vertu de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles modifié par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant. L'ASE assure les huit missions suivantes :

1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;

2° Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment des actions de prévention spécialisée ;

3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs ;

4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;

5° Mener, notamment à l'occasion de l'ensemble de ces interventions, des actions de prévention des situations de danger à l'égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l'autorité judiciaire, organiser le recueil et la transmission des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être, et participer à leur protection ;

6° Veiller à ce que les liens d'attachement noués par l'enfant avec d'autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur ;

7° Veiller à la stabilité du parcours de l'enfant confié et à l'adaptation de son statut sur le long terme ;

8° Veiller à ce que les liens d'attachement noués par l'enfant avec ses frères et soeurs soient maintenus, dans l'intérêt de l'enfant.

Lorsqu'un mineur est placé, l'ASE contrôle les personnes physiques ou morales à qui le mineur est confié, en vue de s'assurer que les conditions matérielles et morales du placement sont satisfaisantes.

Les départements, via l'aide sociale à l'enfance, peuvent être amenés à exercer les mêmes fonctions dans un cadre judiciaire, conformément aux dispositions de l'article 375 du code civil, selon lesquelles « des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». Ces mesures, qui concernent principalement des jeunes délinquants, présentent un caractère contraignant et peuvent parfois alimenter le reproche d'une trop grande proximité de la procédure d'assistance éducative et de la procédure pénale.

L'ASE est un poste budgétaire majeur pour les conseils départementaux puisqu'elle absorbait, en 2016, en moyenne 22 % de leurs dépenses 80 ( * ) .

M. Jean-Michel Rapinat, directeur des politiques sociales de l'Association des départements de France (ADF), s'est montré rassurant quant à la qualité de la relation entre ces deux institutions. Il a indiqué que « la coopération entre les services de la PJJ et de l'ASE est ancienne et de bonne qualité, si j'en juge par les remontées qui nous parviennent. Elle est réaffirmée au gré de l'introduction ou de la reconduction du schéma départemental de la protection de l'enfance et de la famille. Un dialogue naturel existe entre nous, et a été renforcé par les lois du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant » 81 ( * ) .

De son côté, Mme Madeleine Mathieu, la directrice de la PJJ, s'est montrée plus prudente, insistant surtout sur la diversité des situations locales : « la collaboration entre la PJJ et l'ASE dépend beaucoup de la qualité des contacts que nous entretenons avec les conseils départementaux ». Elle a noté que la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant a créé de nouveaux outils destinés à faciliter la transmission de l'information entre administrations, notamment les observatoires départementaux de la protection de l'enfance qui constituent un vivier inestimable de données et d'analyses susceptibles d'étayer le travail de la PJJ.

Il demeure toutefois des marges de progression, par exemple en ce qui concerne le suivi statistique de ces jeunes : trop de ruptures restent imputables au défaut de compatibilité des systèmes d'information des services de la protection de l'enfance et de la PJJ. Le service informatique de la PJJ travaille à l'amélioration de son application GAME 82 ( * ) pour qu'elle intègre un suivi exhaustif du parcours du jeune.

Votre rapporteur rappelle enfin qu'il existe de grandes disparités entre les moyens des départements. M. Pierre Joxe, ancien ministre, a eu raison de souligner lors de son audition que « les ASE ne sont pas dans une situation uniforme, tant les différences entre départements sont réelles ! Ainsi, l'ASE de Seine-Saint-Denis, confrontée à des milliers de cas, ne peut assumer sa tâche, faute des moyens nécessaires. Ce service départemental diffère, sur ce point, radicalement de celui des Hauts-de Seine, dont les moyens sont beaucoup plus confortables » 83 ( * ) . À ces différences de moyens peuvent s'ajouter des différences d'approche de la part des élus locaux compétents en matière de protection de l'enfance.

2. Le profil des mineurs sous main de justice
a) Quelques éléments de réflexion sur la sociologie des mineurs délinquants

Si la transgression, la délinquance « initiatique », typiques de l'adolescence paraissent concerner l'ensemble des milieux sociaux et des territoires, les représentants des forces de l'ordre entendus par la mission ont surtout insisté sur la délinquance des quartiers, des banlieues sensibles, gangrenées par le trafic de stupéfiants.

Le colonel Jude Vinot, représentant la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a ainsi souligné « la surreprésentation de jeunes issus des quartiers relevant de la politique de la ville et l'influence des groupes de pairs dans l'entrée dans la délinquance juvénile 84 ( * ) ». M. Clément Vives, adjoint au conseiller judiciaire à la direction générale de la police nationale (DGPN ), a abondé dans le même sens en relevant la « problématique des bandes 85 ( * ) qui sont souvent liées à une activité criminelle, dont le trafic de stupéfiants. Les lieux de résidence sont eux-mêmes criminogènes et favorisent la participation des mineurs à des activités dangereuses ».

Longtemps maire d'une commune proche des quartiers Nord de Marseille, votre rapporteur connaît bien cette réalité. Pour reprendre la terminologie de M. Denis Salas, elle relève d'une délinquance d'exclusion qui trouve sa source dans la pauvreté, le délitement du lien social et une certaine anomie urbaine.

Il est intéressant de noter cependant que plusieurs interlocuteurs de la mission l'ont invitée à nuancer ce qui pourrait constituer un tableau trop schématique, en dénonçant l'existence d'un « biais » dans le fonctionnement de la justice des mineurs et, plus généralement, dans le regard que porte la société sur ces mineurs.

C'est ce qu'a expliqué devant la mission Mme Anaïs Vrain, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature : « Ce sont surtout les jeunes des quartiers populaires qui sont interpellés et suivis par la protection judiciaire de la jeunesse. Pourtant, ils ne sont pas les seuls à commettre des transgressions : c'est donc qu'une sélection s'opère. J'ai moi-même été témoin de situations où des jeunes dans les beaux quartiers, lors d'une soirée trop alcoolisée, ont cassé tous les rétroviseurs ou arraché les antennes des voitures garées dans une rue, se sont faits prendre par la police mais n'ont pas été déférés à la justice. Les transgressions sont en réalité assez communes à l'adolescence» 86 ( * ) .

Se plaçant sur un autre terrain, l'ancien ministre Pierre Joxe, qui est aujourd'hui avocat spécialisé dans la défense des mineurs, a expliqué la forte présence des jeunes issus de l'immigration par l'héritage de notre histoire coloniale . Il a estimé que le premier enseignement à retirer de son activité d'avocat pénaliste « a trait à l'origine des jeunes qui se retrouvent attraits devant la justice pour mineurs : ce sont dans l'immense majorité des cas de jeunes issus de l'immigration, ce qui me permet d'affirmer sans ambages que la délinquance juvénile est, de façon générale, un phénomène fortement lié à notre histoire coloniale et à ses incidences économiques et sociales ». Il a ajouté que le poids de l'opinion publique pouvait être un facteur d'aggravation des peines infligées à ces jeunes, considérant que « les Français ne portent pas aujourd'hui le même regard sur les enfants issus de l'immigration que sur les autres, donc l'opinion réclame que la répression de la délinquance juvénile soit sévère. Ce trait profond de l'opinion n'est par conséquent nullement lié à la sévérité particulière qu'on entendrait appliquer aux jeunes en général, mais bien aux jeunes issus de l'immigration en particulier » 87 ( * ) .

Enfin, l'historien Mathias Gardet a fait observer que la délinquance des jeunes en milieu rural est un sujet très peu abordé, sans qu'il soit facile de déterminer si ce manque d'intérêt est dû à une moindre délinquance dans ces territoires ou s'il résulte d'idées préconçues qui conduisent à considérer la campagne comme un territoire nécessairement paisible : « alors que la situation des jeunes délinquants citadins a été beaucoup étudiée, celle des jeunes ruraux a été largement ignorée. La délinquance rurale est très mal connue, au motif que le contrôle social serait davantage présent et efficace dans les campagnes . Au monde criminogène de la ville s'opposerait le monde purificateur et rédempteur de la campagne, alors qu'un nombre conséquent de jeunes déférés sont issus de la ruralité. La présence de ces stéréotypes est encore confirmée par certains programmes télévisés où l'on voit des jeunes délinquants de banlieue se livrer à des exercices en pleine campagne» 88 ( * ) . Il n'est pas certain que ce contrôle social à la campagne soit toujours aussi fort que ce qu'il a pu être par le passé.

La mission d'information ne prétend pas trancher ces débats qui mériteraient des analyses sociologiques plus fouillées, dans le sillage des travaux de l'école de sociologie de Chicago (cf. encadré ci-dessous). Ils attestent cependant de la complexité des rapports entre les phénomènes de transgression et le contrôle social qui tente de les réguler.

Déviances primaire et secondaire : l'analyse des sociologues de l'école de Chicago

La sociologie invite depuis longtemps à distinguer la transgression du regard social porté sur cette transgression. C'est un thème qui a été particulièrement abordé par l'école de Chicago : dans les années 1950, Edwin Lemert a distingué l'étude de la déviance primaire (la transgression de la norme) de l'étude de la déviance secondaire (la reconnaissance et la qualification de cette déviance par une instance de contrôle social).

Les sociologues américains dits de la « seconde école de Chicago » ont approfondi l'étude de ce second volet : ils ont montré qu'une déviance reconnue comme telle suppose un processus de désignation ou de stigmatisation. Ce processus peut se faire de façon formelle ou informelle. Le simple détournement du regard ou du corps constitue une stigmatisation.

Dès lors, le contrôle par l'individu de son image est un enjeu crucial. Erving Goffman 89 ( * ) insiste sur les innombrables adaptations que nous réalisons pour nous conformer à ce que les personnes avec lesquelles nous interagissons attendent de nous. Selon ces sociologues, la déviance peut ainsi devenir un rôle endossé par celui qui est victime de la stigmatisation des autres. Et, s'il persiste, ce rôle peut entraîner une modification de la personnalité de l'individu ainsi qu'une modification de ses relations sociales. Il entre alors progressivement dans une "carrière" de déviant » 90 ( * ) .

b) Un profil-type du mineur enfermé ?

Si l'on examine maintenant le profil des mineurs qui font l'objet d'une mesure d'enfermement dans le cadre pénal, on peut discerner quelques traits communs, qui, sans épuiser l'infinie diversité des parcours individuels, permettent d'établir une sorte de « portrait-robot ».

Les échanges que la mission a pu avoir lors de ses visites dans les établissements pénitentiaires ou dans un CEF ont montré que certaines caractéristiques reviennent fréquemment quand on interroge les professionnels :

- ces mineurs ont souvent grandi dans une famille dysfonctionnelle - père absent, mère dépassée, souffrant souvent elle-même de troubles psychiques ou d'addiction ; ces adolescents grandissent ainsi avec de graves carences éducatives et affectives ; les éducateurs de la PJJ, voire les surveillants de prison, remplissent souvent auprès de ces jeunes une fonction parentale qui n'avait pas été assumée jusqu'à alors ; pour Mme Anne Devreese, directrice de l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), entre 80% et 90% des jeunes délinquants ont en outre subi un traumatisme précoce ;

- des troubles du comportement fréquents, qui vont au-delà des troubles psychiques ordinaires liés à l'adolescence, prenant la forme d'une impulsivité, d'un manque de contrôle de soi, d'une faible résistance à la frustration débouchant rapidement sur des gestes violents ; le Dr David Sechter, de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), a évoqué l'importance des tendances abandonniques et narcissiques ;

- un état de santé souvent dégradé avec une addiction fréquente au cannabis entraînant une absence de motivation et perturbant les apprentissages, au point d'entraîner un décrochage scolaire précoce ; le Dr Sechter a mentionné, sur la population des mineurs détenus, un taux de consommateurs réguliers de cannabis de 25 %, contre 10 % dans la population générale ; la consommation de cannabis est presque toujours associée à la consommation de tabac, puisque 90% de ces mineurs sont fumeurs, et peut s'accompagner d'une consommation excessive d'alcool, souvent sous la forme de binge drinking 91 ( * ) ;

- la consommation de cannabis est classiquement associée à des syndromes amotivationnels , qui expliquent que ces jeunes aient du mal à définir un projet, et à des troubles de la concentration et de la mémorisation, qui obèrent tout apprentissage ; les mineurs enfermés ont généralement quitté le système scolaire autour de treize-quatorze ans et ont donc un très faible niveau d'instruction .

Le Dr Damien Mauillon, de l'Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), a précisé que la consommation de médicaments - benzodiazépine, valium, lyrica - est un phénomène plus spécifiquement observé chez les mineurs non accompagnés (MNA) que chez les mineurs français.

3. La situation particulière des mineurs non accompagnés (MNA)

Les mineurs non accompagnés (MNA), dont on a vu qu'ils représentent une proportion importante des mineurs incarcérés, présentent un profil particulier tant du point de vue juridique que du point de vue des difficultés particulières qu'ils rencontrent.

a) Leur situation juridique

La notion de mineur non accompagné désigne des personnes âgées de moins de dix-huit ans, de nationalité étrangère, et qui se trouvent sur le territoire français sans adulte responsable. Jusqu'au début de l'année 2016, la notion de mineur isolé étranger (MIE) était davantage utilisée. Le changement de terminologie opéré par les pouvoirs publics s'explique par une volonté d'harmonisation lexicale avec la notion utilisée par le droit européen. Il a pour effet de mettre davantage l'accent sur l'isolement du mineur plutôt que sur son extranéité.

Les règles juridique applicables aux MNA s'inscrivent dans un cadre international : convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant ; Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants de 1996 ; enfin, une résolution du Conseil de l'Europe du 26 juin 1997 concernant les mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers (97/C 221/03), non contraignante, aborde cette question.

En droit interne, la loi dispose que les MNA doivent, en principe, être pris en charge par l'ASE des départements. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a spécifiquement prévu que les « mineurs privés de la protection de leur famille », parmi lesquels figurent les mineurs non accompagnés (MNA), relèvent de la protection de l'enfance, conformément à l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles (CASF). La protection judiciaire de la jeunesse n'intervient qu'en cas de poursuite judiciaire à l'encontre d'un MNA et de demande d'un suivi éducatif ou d'un placement dans une structure dédiée par un magistrat.

Si certains quittent leur pays d'origine pour des motifs liés à l'insécurité politique et à des risques de persécution, la plupart arrivent en France, en recourant à des filières criminelles de passeurs, à la recherche d'opportunités économiques, lorsqu'ils ne cherchent pas à rejoindre le Royaume-Uni. Dès lors, ils ne visent généralement pas l'obtention du statut de réfugié politique.

Le nombre de MNA pris en charge par l'ASE a connu une très forte progression : alors que 4 000 mineurs non accompagnés étaient pris en charge par les conseils départementaux en 2010, leur nombre a atteint en 2017 près de 15 000 (14 908), soit un quasi-quadruplement . L'arrivée de ces MNA pèse lourd sur les finances des départements, auxquels l'État a récemment proposé une aide financière pour une prise en charge partielle des coûts résultant de la présence des MNA 92 ( * ) , aide jugée insuffisante par beaucoup de conseils départementaux.

L'âge d'entrée dans le dispositif de la protection de l'enfance se stabilise autour de seize ans - pour 45 % des jeunes -, avec 28 % d'enfants âgés de quinze ans. Ces mineurs sont principalement originaires de pays africains : la Guinée (29 % des MNA), la Côte d'Ivoire (17 %) et le Mali (16 %) 93 ( * ) .

La prise en charge des MNA, un défi pour les départements

Alors que la question des MNA ne concernait, il y a quelques années encore, qu'un nombre limité de départements, notamment ceux proches d'une frontière ou disposant d'un aéroport international, l'ensemble du territoire est aujourd'hui touché, y compris des départements ruraux pourtant à l'écart des routes migratoires.

Les conseils départementaux ont l'obligation d'organiser la mise à l'abri de toute personne se disant mineure et isolée qui se présente ou est présentée à leurs services, afin de procéder à une évaluation de leur situation.

L'évaluation a souvent d'abord pour objet de vérifier l'âge allégué par le jeune. Or il n'existe pas de moyens irréfutables de vérifier la minorité d'une personne et les documents d'état civil des pays d'origine peuvent manquer de fiabilité ou être falsifiés. Les évaluateurs sont donc conduits à apprécier la minorité à partir d'un faisceau d'indices : le récit fait par le MNA et des tests de maturité osseuse, dont la précision est sujette à controverse.

L'évaluation et la mise à l'abri représentent une lourde charge financière pour les départements. Un dispositif de répartition géographique a été mis en place, d'abord par une circulaire du 31 mai 2013 puis par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, afin d'organiser une forme de péréquation entre les départements. Depuis 2013, l'État prend également en charge le coût de l'évaluation, dans la limite de cinq jours et de 250 euros par jour. En 2018, il prend également en charge une partie des frais engagés au titre de l'ASE après l'évaluation.

Au printemps, l'actuel Gouvernement a présenté à l'ADF des propositions qui ont été acceptées : versement par l'État d'un forfait de 500 euros par jeune au titre de l'évaluation et participation aux frais de mise à l'abri pendant les 23 premiers jours de la période d'évaluation ; puis versement d'une aide forfaitaire au titre des nouveaux jeunes admis à l'ASE dans les années à venir.

b) Une délinquance de subsistance

La délinquance est ainsi pour les MNA la conséquence de leur situation de grande précarité , une fois parvenus sur le territoire national, comme le souligne M. Rémi Heitz, le directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice : « s'agissant des mineurs étrangers isolés, il faut se garder de faire un amalgame avec la délinquance : le premier souci de ces mineurs est en effet de se faire oublier, afin d'obtenir un titre de séjour et de pouvoir travailler. Mais tous ne sont pas régularisables, certains sont donc reconduits à la frontière, tandis que d'autres s'installent dans la clandestinité. Un travail important est réalisé par les départements dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou dans le cadre de la tutelle d'État. 94 ( * ) »

Les auditions auxquelles a procédé la mission suggèrent que le profil des MNA qui commettent des actes de délinquance a évolué ces dernières années, au moins sur le territoire parisien. Mme Laetitia Dhervilly, vice-procureur, chef de la section des mineurs au parquet de Paris, a ainsi déclaré : « il y a dix ans, nous les appelions des mineurs isolés étrangers, mais ils n'étaient pas vraiment isolés : Bosniens ou Roumains, ils étaient victimes de la traite des êtres humains, et incités par des clans de mafieux à commettre des délits. Aujourd'hui, la plupart déclarent une nationalité du Maghreb ».

La capitale est en particulier confrontée au problème que pose, dans le quartier de la Goutte d'Or , la présence de quelques dizaines de jeunes marocains âgés de dix à douze ans, dont la prise en charge par les services sociaux s'avère extrêmement difficile. Polytoxicomanes, violents, très abîmés physiquement et psychologiquement, ces mineurs multiplient les actes de délinquance (deal, vols à l'arraché, cambriolages...) pour le compte de réseaux locaux qui les exploitent. La police marocaine a récemment dépêché des agents à Paris pour tenter d'identifier ces jeunes et éventuellement les rapatrier 95 ( * ) .

c) La détermination de l'âge

Outre le problème de leur identification, un problème récurrent concernant les MNA est celui de la détermination de leur âge, pour s'assurer de leur minorité. Certains jeunes majeurs cherchent naturellement à bénéficier du régime juridique plus protecteur associé à la minorité.

Le recours aux examens médicaux peut poser problème, soit qu'ils induisent des risques pour la santé, via notamment l'utilisation des rayons X, soit qu'ils présentent une marge d'erreur trop importante. Un entretien médical avec l'intéressé où sont pris en compte son aspect physique, son récit de vie et, dans la mesure du possible, ses documents d'état civil, peut être de nature à justifier un examen médical osseux et dentaire devant intervenir en dernier ressort et, depuis la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, uniquement sur décision de justice et avec l'accord de l'intéressé 96 ( * ) .

Les témoignages recueillis par la mission montrent que des jeunes majeurs sont néanmoins incarcérés dans des établissements pour mineurs, alors que la séparation des mineurs et des majeurs est une règle essentielle en prison. M. Jean-François Forget, secrétaire général de l'Union fédérale autonome pénitentiaire-UNSa, a par exemple déclaré 97 ( * ) que « leur nombre explose et leur comportement pose des difficultés particulières. Par ailleurs, un grand nombre d'entre eux sont majeurs et leur accueil en EPM mobilise des places initialement réservées à des mineurs ».

*

Il ressort de cette rapide présentation que les mineurs enfermés cumulent les difficultés - milieu familial peu soutenant, faible niveau scolaire, problèmes de comportement et, pour les mineurs enfermés pour motif thérapeutique, sérieux troubles psychiatriques - qui rendent le travail de réinsertion particulièrement complexe. Des actions utiles peuvent certes être entreprises à la faveur d'une période d'enfermement, comme on le verra dans la deuxième partie de ce rapport. Mais la période d'enfermement étant généralement assez brève, le travail d'insertion ne peut réussir qu'au prix d'un travail socio-éducatif au long cours, réalisé en amont et en aval de l'enfermement.

II. TOUT EN VEILLANT À LIMITER L'INCARCÉRATION, METTRE À PROFIT UNE ÉVENTUELLE PÉRIODE D'ENFERMEMENT POUR AMORCER UN TRAVAIL DE RÉINSERTION

Si l'objectif de la réinsertion est toujours présent, toutes les structures n'offrent pas les mêmes conditions de réussite.

À titre liminaire, votre rapporteur indique avoir été surpris de la faiblesse de l'évaluation de l'impact de ces différentes structures sur le devenir des jeunes qui y ont été enfermés.

Alors que dans le domaine des politiques sociales, les directions chargées de l'évaluation 98 ( * ) produisent régulièrement des études et des statistiques pour tenter d'apprécier les effets des dispositifs sur leurs bénéficiaires (que devient un bénéficiaire de contrat aidé six mois après la fin de son contrat ? combien de titulaires du RSA sortent des minima sociaux chaque année ?), cette démarche d'évaluation semble plus balbutiante au ministère de la justice. Les études réalisées sont parcellaires et parfois anciennes.

Comme l'a expliqué Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, devant la mission, il manque des études longitudinales portant sur des cohortes, qui permettraient par exemple de comparer la trajectoire de jeunes passés par la prison à celle de jeunes ayant bénéficié de mesures alternatives pour des faits similaires.

À défaut de données statistiques incontestables, l'évaluation à laquelle s'est prêtée la mission s'appuie donc sur les informations et les observations obtenues grâce aux déplacements et aux auditions auxquelles elle a procédé. Ces éléments l'incitent à considérer que les quartiers pour mineurs (QPM) des maisons d'arrêt offrent des conditions de réinsertion moins favorables que les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). S'agissant des centres éducatifs fermés, la mission a constaté la grande diversité de situations de ces structures fragiles, qui ne peuvent offrir un cadre de travail adéquat que si certaines conditions sont réunies.

La mission n'a pas négligé la situation des mineurs qui font l'objet d'un enfermement thérapeutique pour motif psychiatrique pour lesquels la problématique du soin est évidemment centrale.

A. L'ENFERMEMENT PÉNITENTIAIRE

Créés au milieu des années 2000, les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) paraissent offrir aux jeunes détenus des conditions de détention et des perspectives de réinsertion supérieures à celles des détenus des quartiers pour mineurs (QPM) des maisons d'arrêt.

1. La prison n'offre pas un cadre optimal pour travailler à la réinsertion des mineurs
a) Un environnement difficile

Avant de présenter les différents types de structures pénitentiaires, la mission souhaite d'abord faire état d'un constat largement partage : la prison n'offre pas, d'une manière générale, un cadre propice à un travail socio-éducatif de qualité auprès des jeunes.

Quels que soient les efforts des surveillants et des éducateurs, la prison demeure un environnement difficile, où la violence est présente. Par construction, la prison isole le détenu de la société ; or, comme le faisait observer le sociologue Laurent Solini, il est difficile de mener un travail de réinsertion dans une structure qui « désinsère ». Pour pallier cette difficulté, l'administration pénitentiaire s'efforce de proposer, à l'intérieur des murs de la prison, les activités que le jeune pourrait trouver à l'extérieur (enseignement scolaire, découverte des métiers, activités sportives...), mais avec des moyens nécessairement plus réduits que ceux qui existent à l'extérieur.

La prison peut de plus constituer un environnement criminogène à cause duquel le jeune détenu, au contact d'autres délinquants endurcis, risque de s'enfermer encore davantage dans son parcours de délinquance. De fait, le taux de récidive est important après une incarcération : M. Vito Fortunato, secrétaire national du SNPES, rappelait lors de son audition que « 65 % des mineurs incarcérés retournent en prison, alors que 60 % des mineurs suivis en milieu ouvert ne récidivent pas » 99 ( * ) . À échéance de cinq ans, c'est même 75 % des mineurs détenus qui reviennent en prison d'après les statistiques du ministère de la justice.

Enfin, la durée moyenne d'incarcération des mineurs, de l'ordre de quatre mois, ne permet pas, sauf exceptions, d'envisager qu'un travail de réinsertion puisse être mené à son terme dans un laps de temps aussi court.

La mission partage donc l'idée générale selon laquelle l'incarcération devrait être la solution d'ultime recours pour un mineur, conformément à l'esprit de l'ordonnance de 1945.

b) Un mal nécessaire

Il serait néanmoins irréaliste de laisser croire que l'on pourrait se passer de prisons pour mineurs. D'abord, parce que la prison poursuit plusieurs objectifs : réinsérer certes, mais aussi punir et protéger la société.

Certains considèrent que l'incarcération peut avoir une vertu dissuasive, et ainsi contribuer à la prévention de la délinquance, ou qu'elle est susceptible de produire un « choc » chez le mineur détenu et de mettre ainsi un coup d'arrêt à son parcours de délinquance. C'est la théorie du « choc carcéral » .

Ces hypothèses demeurent débattues et difficiles à étayer. Interrogé par la mission, M. Jean-Marie Delarue 100 ( * ) , ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, a par exemple déclaré : « à l'aune de mes entretiens avec différents détenus, y compris les mineurs que j'ai pu rencontrer, je suis obligé de répondre négativement à cette question [sur l'effet dissuasif de l'enfermement]. La prison, au moment où l'on commet un acte délictuel, ne fournit pas une perspective qui va freiner le geste. À l'inverse, la prison serait-elle, pour certains individus, une étape obligatoire vers un parcours glorieux de délinquance ? C'est possible, mais cet effet me paraît marginal ».

L'anthropologue Léonore Le Caisne a, quant à elle, mis en doute l'hypothèse du choc carcéral : « je ne crois pas beaucoup au « choc carcéral » attendu par les magistrats, surtout quand on voit comment il est détourné par les jeunes. L'intérêt de la prison, si ce n'est celui de mettre hors d'état de nuire, me paraît très faible. En tout cas ça ne semble pas beaucoup les faire réfléchir sur eux-mêmes ni sur leur parcours 101 ( * ) ».

Au contraire, l'ancien ministre Pierre Joxe, fort de son expérience d'avocats auprès de mineurs délinquants, a assuré que « dans certains cas, l'enfermement est salutaire. J'ai vu des gosses sauvés par un ou deux mois de prison » 102 ( * ) .

Il paraît cependant difficile de tirer des règles générales de la diversité des situations individuelles. Il est fort possible que le « choc carcéral » se produise chez certains jeunes détenus, mais pas chez d'autres, et que la prison inquiète certains primo-délinquants davantage que des jeunes plus engagés dans un parcours de délinquance.

Dès lors que l'on admet que l'on ne peut se passer totalement de prisons pour mineurs, la question est alors de savoir quelles actions peuvent être menées dans le milieu carcéral pour que le temps de l'enfermement permette d'amorcer un travail utile de réinsertion.

2. Les structures pénitentiaires

Les mineurs peuvent être incarcérés dans deux types de structures :

- les quartiers pour mineurs (QPM) des maisons d'arrêt : un espace est réservé aux mineurs dans un établissement qui accueille majoritairement des adultes ;

- les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) : il s'agit d'établissements récents, de petite dimension (une soixantaine de places) qui accueillent exclusivement des mineurs.

Actuellement, la capacité d'accueil de mineurs par l'administration pénitentiaire est de 1151 places, réparties entre 54 établissements, dont 48 quartiers pour mineurs et seulement six établissements pénitentiaires pour mineurs . Le parc pénitentiaire demeure donc largement dominé par les QPM : ils accueillent en moyenne les deux tiers des mineurs détenus 103 ( * ) .

La construction des EPM, actée par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, a entendu remédier à certains difficultés structurelles des QPM en isolant, d'une part, les mineurs des autres détenus, en promouvant, d'autre part, l'éducatif comme source de la réinsertion. La construction des EPM n'a cependant pas permis de remplacer les QPM comme cela avait pu être initialement envisagé .

Les EPM de Lyon, Lavaur, Quiévrechain, et Marseille sont en service depuis 2007 et ceux d'Orvault et de Porcheville depuis 2008. Leur construction a représenté un investissement global de 110,6 millions d'euros entre 2003 et 2008 (soit un coût moyen de 18,4 millions d'euros par EPM).

Des délégations de la mission se sont rendues au quartier pour mineurs de la maison d'arrêt de Villepinte , en Seine-Saint-Denis, aux EPM de La Valentine , près de Marseille, et de Meyzieu , près de Lyon. Notre collègue Brigitte Micouleau a visité en outre l'EPM de Lavaur et votre rapporteur s'est rendu dans les QPM des prisons des Baumettes et d'Aix-Luynes.

Avant d'expliquer ce qui distingue les EPM des QPM, il n'est sans doute pas inutile de rappeler que l'article 60 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 fixe des principes communs à ces deux types de structures, parmi lesquels il convient de citer notamment :

- l'obligation pour les mineurs détenus, lorsqu'ils ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, de suivre une activité à caractère éducatif , destinée à contribuer au développement de leur personnalité et à favoriser leur insertion sociale, scolaire et professionnelle ;

- l'intervention continue des éducateurs des services de la PJJ auprès des mineurs détenus ;

- la pluridisciplinarité : travaillent notamment auprès des mineurs les professionnels de la PJJ, les surveillants pénitentiaires, les enseignants de l'éducation nationale et du personnel médical ;

- l'accès à l'enseignement, à la santé, aux activités socio-éducatives, culturelles et sportives ;

- l'encellulement individuel - sauf motif médical ou problème de personnalité ; il s'agit d'une différence majeure avec les prisons pour adultes : on n'observe pas, chez les mineurs, de phénomène de surpopulation carcérale et la règle de l'encellulement individuel est dans l'ensemble bien respectée ;

- la sollicitation systématique de la ou des personnes titulaires de l'autorité parentale pour toute décision, le maintien des liens familiaux constituant l'un des leviers fondamentaux de la réinsertion ;

- la possibilité de maintenir un jeune majeur pendant six mois en détention pour mineurs si son intérêt le justifie.

3. Les EPM offrent un cadre plus propice au travail de réinsertion que les QPM

Les membres de la mission sont conscients que les situations peuvent être contrastées entre différents établissements et ils saluent la qualité du travail réalisé par les professionnels qui travaillent dans les QPM, souvent avec des moyens limités. Néanmoins, il leur paraît que le dispositif des EPM offre de meilleures conditions de détention et de meilleures chances de réinsertion et qu'il devrait donc, à long terme, être privilégié.

a) Une séparation effective des détenus majeurs

La création des EPM a d'abord permis d'apporter une solution au problème récurrent de la séparation des détenus majeurs et mineurs . Les témoignages recueillis par la mission indiquent que cette règle de séparation, pas toujours parfaitement respectée en QPM, complique beaucoup le fonctionnement des maisons d'arrêt.

Les EPM n'accueillant que des mineurs, la séparation avec les majeurs est absolue et le fonctionnement de ces établissements est simplifié. Aucun détenu majeur ne peut entrer en contact avec un mineur pour tenter de l'influencer.

La séparation des mineurs des autres détenus : un problème ancien

Le code pénal de 1791, complété sous l'Empire, a instauré un dispositif spécifique à l'enfermement des mineurs de moins de seize ans . Cependant, loin d'assurer un traitement particulier de ces mineurs, ces maisons de correction spécialisées ou ces quartiers séparés dans les prisons, les mêlaient aux détenus plus âgés.

Ce n'est qu'avec l'ordonnance royale du 18 août 1814 que des quartiers spéciaux, c'est-à-dire séparés de ceux des adultes, seront réservés dans certains établissements pénitentiaires : Strasbourg (1824), Rouen (1826), Besançon, Paris (Les Madelonnettes après 1831), Lyon (1833), Toulouse (1835) et Carcassonne (1836).

Cette séparation demeure néanmoins imparfaite, puisque les mineurs ne sont isolés que des criminels récidivistes et qu'ils travaillent dans les mêmes espaces que les adultes.

En 1832, le ministre en charge des prisons, Antoine d'Argout, dans une circulaire, dresse le constat de l'échec de la séparation entre adultes et mineurs dans les prisons et relève qu'une prison ne peut assumer le rôle d'une maison d'éducation . Néanmoins, sous l'impulsion de personnalités politiques influentes, comme Alexis de Tocqueville, se réclamant du courant philanthrope, la première prison accueillant uniquement des mineurs, située dans le quartier dit de la Petite Roquette à Paris, est édifiée : considérée comme le parangon de la modernité carcérale, saluée par Victor Hugo lui-même, elle conduit à l'isolement cellulaire intégral de quelque 450 jeunes détenus de cinq à seize ans dans des conditions sanitaires bientôt considérées, en leur temps, comme effroyables ; elle sera fermée en 1865 104 ( * ) .

La République de 1848 se préoccupe du sort des mineurs incarcérés. Ainsi, la loi du 5 août 1850 sur l'éducation et le patronage des jeunes détenus préconise à nouveau la création dans les maisons d'arrêt et de justice d'un quartier distinct affecté aux jeunes détenus de toute catégorie, et reconnaît parallèlement l'existence de colonies pénitentiaires privées et publiques, établies en France et en Algérie.

Sous l'impulsion de philanthropes et de l'Église, les colonies agricoles - dont l'ouverture sur l'extérieur n'est que le pendant de tâches épuisantes sans réel contenu éducatif le plus souvent - vont connaître un nouvel essor 105 ( * ) . Certaines colonies existeront jusqu'en 1940, soit six années après la révolte des mineurs détenus dans la colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en Mer , véritable bagne d'enfants que dénoncera dans son poème « La chasse aux enfants » le poète Jacques Prévert :

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux

Tout autour de l'île il y a de l'eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu'est-ce que c'est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens

Qui fait la chasse à l'enfant

Il avait dit J'en ai assez de la maison de redressement

Et les gardiens à coups de clefs lui avaient brisé les dents

Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Maintenant il s'est sauvé

Et comme une bête traquée

Il galope dans la nuit

Et tous galopent après lui

Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens

Qui fait la chasse à l'enfant

Pour chasser l'enfant pas besoin de permis

Tous les braves gens s'y sont mis

Qu'est-ce qui nage dans la nuit

Quels sont ces éclairs ces bruits

C'est un enfant qui s'enfuit

On tire sur lui à coups de fusil

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Tous ces messieurs sur le rivage

Sont bredouilles et verts de rage

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux

Tout autour de l'île il y a de l'eau ».

En dépit de l'ouverture de ces colonies pénitentiaires, le nombre de quartier permanent affecté exclusivement aux mineurs ne permet pas de répondre aux besoins . En ce sens, l'historienne Elise Yvorel évoque l' « évolution-immobile » des conditions de séparation des mineurs et des adultes de la fin du XIX e siècle à la fin de la Seconde guerre mondiale, puis un « isolement aléatoire » ultérieurement et ce, tout particulièrement pour les filles mêlées aux femmes détenues 106 ( * ) .

La volonté de créer des quartiers distincts pour les mineurs, au sein des établissements pénitentiaires, connaît, d'un siècle à l'autre, des problèmes récurrents : la surpopulation carcérale, les problèmes financiers, ainsi que l'exiguïté des locaux. Ainsi, une enquête conduite à la demande d'Alain Peyrefitte, alors Garde des Sceaux, en 1979 atteste du caractère illusoire de cette règle de séparation, malgré la création du centre des jeunes détenus (CJD) de Fleury-Mérogis en 1968.

Les conclusions de cette enquête ne seront pas infirmées par la circulaire du ministère de l'intérieur de 1994 selon laquelle : « les détenus mineurs doivent être séparés des détenus majeurs ; cette condition particulière de leur hébergement n'emporte pas nécessairement obligation de création de quartiers spéciaux : le nombre moyen de cette catégorie de détenus ne justifie pas en effet, dans un certain nombre d'établissements, la mise en place de telles structures. Il s'agit donc au sein des établissements de regrouper les détenus mineurs dans des cellules contiguës, le plus à l'écart possible du reste de la population pénale. 107 ( * ) »

En ce sens, la création des EPM entend répondre à cette faiblesse inhérente au système pénitentiaire en assurant une séparation complète des mineurs d'avec les majeurs, avec un effectif réduit de mineurs détenus par établissement, le développement d'activités éducatives et l'intervention conjointe de l'administration pénitentiaire et de la PJJ sous la forme de binômes éducateur-surveillant afin d'assurer le suivi individuel de chaque détenu.

b) Un travail éducatif plus soutenu

L'encadrement - par les surveillants, les éducateurs de la PJJ, les enseignants - est plus étoffé en EPM, ce qui permet de mener auprès des jeunes détenus un travail éducatif plus intensif.

Dans un EPM, le détenu est suivi par un binôme composé d'un surveillant pénitentiaire et d'un éducateur de la PJJ. Le travail en binôme ne peut être organisé en QPM en raison de l'écart trop important entre le nombre de surveillants et d'éducateurs 108 ( * ) .

Lors de son audition, Mme Anne Bérard, adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire, a cité les résultats d'une enquête conjointe menée par la DAP et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), en 2015, pour dresser un état des lieux de la prise en charge des mineurs détenus . L'enquête fait état d'une offre conséquente d'activités, mais plus importante encore en EPM qu'en QPM.

Concernant l'enseignement scolaire , assuré par des professeurs de l'éducation nationale, l'enquête a ainsi montré que, dans les QPM, pour 75 % des détenus le nombre d'heures proposées d'enseignement hebdomadaire est supérieur à six heures et, pour 30 % d'entre eux, ce nombre est supérieur à onze heures . Dans les EPM, pour 90 % d'entre eux, le nombre d'heures proposées d'enseignement hebdomadaire est supérieur à six heures, voire, pour 50 % d'entre eux, supérieur à onze heures.

Les difficultés de l'enseignement en prison

Certains membres de la mission ont regretté la modestie du nombre d'heures d'enseignement dispensés dans les EPM et a fortiori dans les QPM : six heures d'enseignement hebdomadaire correspondent au nombre d'heures de cours qu'un collégien peut recevoir en une seule journée ! Un enseignement si réduit, assuré pendant seulement quelques mois, ne peut suffire à combler le retard scolaire des détenus.

Les enseignants rencontrés par la mission ont cependant tous souligné qu'il leur serait difficile d'aller très au-delà de ce qui est aujourd'hui pratiqué : les détenus, pour la plupart déscolarisés depuis plusieurs années, ont perdu l'habitude des apprentissages scolaires et leur capacité de concentration est souvent limitée.

L'enseignement est assuré face à de petits groupes de quatre à sept élèves , ce qui garantit un suivi très individualisé. La constitution de petits groupes vise aussi à éviter les bagarres entre détenus, l'administration pénitentiaire veillant à ne pas mettre dans une même classe les détenus qui entretiennent des relations conflictuelles.

Les postes d'enseignants en milieu pénitentiaire sont des postes à exigences particulières : les enseignants intéressés se portent candidats, puis une sélection est opérée. Tous les candidats sont reçus en entretien individuel et une commission mixte, présidée par le recteur et par le directeur interrégional de l'administration pénitentiaire, examine les candidatures. Une formation d'adaptation à l'emploi est dispensée, comprenant une session de découverte, puis deux sessions à l'institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés.

Concernant les activités socio-éducatives , l'enquête a indiqué que pour la totalité des mineurs détenus le nombre d'heures d'activités proposées est supérieur à six heures et supérieur à onze heures pour 60 % d'entre eux.

La mission a pu mesurer, à l'occasion de ses déplacements, l'intérêt des ateliers de découverte professionnelle . Les éducateurs initient les détenus à des métiers, souvent autour de la cuisine, du bâtiment ou encore de la vente. Les moyens déployés en prison paraissent cependant modestes comparés à ceux qui peuvent être mobilisés dans certains centres éducatifs fermés ou en milieu ouvert.

Enfin, le nombre d'heures d 'activités sportives proposées est, pour l'ensemble des mineurs détenus, supérieur à une heure, dont 60 % supérieur à six heures.

Si ces données agrégées paraissent encourageantes, la mission a cependant constaté, lors de son déplacement au QPM de Villepinte, que les mineurs détenus passent, certains jours, 23 heures sur 24 dans leur cellule . C'est le cas pendant les week-ends : le personnel présent étant plus réduit, les détenus sortent seulement pour une heure de promenade dans une cour de la prison. La nécessité de faire sortir les détenus par groupes de cinq, afin d'éviter les rixes entre détenus, ne permet pas de prolonger cette promenade quotidienne. La mission a également appris que la surpopulation du quartier pour majeurs 109 ( * ) prive les mineurs d'un accès au terrain de sport de la prison, occupé pendant l'intégralité de la journée par les détenus adultes.

Les actions proposées à l'EPM de Meyzieu en matière éducative

Durant la visite de cet établissement pénitentiaire pour mineurs, en date du 18 juin 2018, la délégation de la mission a eu connaissance à la fois de son projet de service et des diverses formations proposées aux jeunes détenus.

Ceux-ci bénéficient d'une scolarité allongée qui compte 40 semaines contre 36 dans les autres établissements où le calendrier des enseignements suit celui en vigueur à l'éducation nationale. Les classes comptent un professeur pour cinq élèves et les enseignants y sont nommés par une commission de recrutement spécifique, présidée par le directeur de l'EPM qui décide de leur affectation provisoire, pour une durée d'un an, avant de les confirmer à leur poste.

L'EPM de Meyzieu propose deux formations diplômantes : un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) dans le domaine de la vente ou en électricité, avec la possibilité, pour les mineurs incarcérés en cours de scolarité, de passer des examens pour valider leurs acquis. Il permet également d'adapter le cursus académique en fonction des cas individuels, via la délivrance de certificats intermédiaires.

Dans ce cadre, la continuité éducative apparaît comme l'un des fondements du projet pédagogique et est tout particulièrement assurée, au sein de l'EPM, par la responsable de l'unité pédagogique ainsi que par la psychologue de l'éducation nationale, faisant fonction de conseillère d'orientation, pour orienter les mineurs vers ces formations diplômantes.

Le projet de service de l'établissement a également rendu possible l'instauration de régimes différenciés au sein de deux unités de vie 110 ( * ) , en fonction de la capacité des mineurs à intégrer un collectif et à s'investir dans le travail éducatif. Dans la première unité plus responsabilisante, les détenus bénéficient d'un régime moins strict (repas pris en commun, préparation en commun de certaines activités comme les ateliers d'art culinaire, ou encore accès à la télévision jusqu'à des heures plus tardives).

Cette organisation est prévue par les instructions de service de la totalité des EPM, mais semble trouver une application privilégiée à Meyzieu. La seconde unité, considérée comme une unité de prise en charge adaptée (UPECA), accueille les mineurs nécessitant un «accompagnement individualisé renforcé et sécurisant», en raison de leur fragilité impliquant une présence plus importante des éducateurs à leurs côtés.

c) Une meilleure prise en charge sanitaire

Comme cela a été indiqué dans la première partie de ce rapport, l'état de santé des mineurs enfermés est souvent dégradé. Leur incarcération peut fournir l'occasion de réaliser un bilan et d'amorcer une thérapie.

Les témoignages recueillis suggèrent que la qualité de la prise en charge sanitaire est, là encore, supérieure en EPM.

S'agissant de la santé mentale, le Dr David Sechter, représentant de l'association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) a souligné d'emblée que « les pratiques en matière de suivi psychiatrique sont extrêmement différentes selon que l'on exerce en établissement pénitentiaire pour mineurs ou en quartiers pour mineurs ». Il a ensuite décrit la prise en charge en santé mentale d'un mineur qui arrive à l'EPM d'Orvault, où il exerce :

- à son entrée dans l'établissement, le jeune est reçu par un infirmier pour un entretien ; l'infirmier se charge également des délivrances médicamenteuses, sous la supervision du médecin ;

- pendant la semaine, une réunion clinique permet d'approfondir le diagnostic ;

- l'infirmier effectue une deuxième consultation de l'arrivant ;

- enfin, le suivi avec le psychologue ou le psychiatre peut se mettre en place, avec une consultation par semaine ou toutes les deux semaines.

Le psychologue et le psychiatre assument des missions de dépistage et de prise en charge des troubles psychiatriques , du risque suicidaire , des addictions et de la souffrance psychique. Ils veillent à la continuité des soins avec les soignants d'amont et d'aval et à la prévention. La quasi-totalité des jeunes sont suivis à l'EPM d'Orvault, ce qui évite tout phénomène de stigmatisation des mineurs qui viennent consulter.

En revanche, au QPM de la maison d'arrêt de Luynes, à Aix-en-Provence, qui accueille 25 mineurs, l'équipe médicale développe des activités en individuel ou en groupe, fait passer un premier entretien à chaque détenu, mais n'assure ensuite un suivi que pour 30 % d'entre eux , faute de moyens adaptés.

En ce qui concerne la médecine somatique, les EPM semblent également mieux dotés que les QPM. Notre collègue Brigitte Micouleau a pu constater, lors de sa visite de l'EPM de Lavaur, la réalité des effectifs de l'équipe sanitaire : une infirmière, du lundi au dimanche, un médecin généraliste à mi-temps, et ponctuellement un chirurgien-dentiste, un pharmacien, un psychiatre, un psychothérapeute et un kinésithérapeute pour une population de 48 mineurs. Cet effectif est proche de celui observé à La Valentine où deux infirmières sont en poste du lundi au vendredi, avec un médecin à mi-temps et les interventions ponctuelles de deux chirurgiens-dentistes et de deux psychologues.

En QPM, la prise en charge du détenu mineur dépend des moyens du service médical de la maison d'arrêt. À ce sujet, le Dr Valérie Kanoui, de l'association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), a mis en garde contre le manque d'attractivité de la médecine pénitentiaire , en particulier dans l'établissement de Fleury-Mérogis, où elle exerce, et qui abritait un QPM d'une centaine de places, aujourd'hui en travaux.

Selon le Dr Kanoui, « c et établissement pénitentiaire connaît une désaffection du corps médical, la moitié des postes étant vacants. Il est ainsi inimaginable de mettre en oeuvre des actions préventives, car dispenser les soins, dans l'urgence, est déjà difficile ! ». Elle a précisé que Fleury-Mérogis ne compte qu'un addictologue pour les 4 400 prisonniers détenus dans la maison d'arrêt, alors que le problème des addictions est de première importance.

Pour lutter contre l'addiction au cannabis, le Dr Damien Mauillon, de l'APSEP, a proposé de développer le recours à la consultation « jeune consommateur », proposée dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) , qui sont des centres médico-sociaux. Il a noté que « si ces consultations sont régulières en EPM, il semble plus difficile de les organiser dans les quartiers pour mineurs ». Compte tenu de l'obstacle à la réinsertion que constitue l'addiction au cannabis, la mission ne peut que souscrire à cette recommandation.

Proposition : recourir plus fréquemment à la consultation « jeunes consommateurs » pour lutter contre les addictions.

d) Un coût plus élevé

Cette prise en charge plus intensive se traduit, logiquement, par des coûts de fonctionnement plus élevés .

En effet, d'après les chiffres diffusés par le ministère de la justice en 2016, le coût total moyen de la journée de détention s'élève, en EPM, à 536 par mineur incarcéré , se répartissant ainsi :

- 378,55 € pour l'administration pénitentiaire : 282,62 € de dépenses de personnel, 92,38 € de dépenses hors personnel et 3,55 € versés à la sécurité sociale ;

- 157,47 € pour la protection judiciaire de la jeunesse : 151,37 € de dépenses de personnel et 6,10 € de dépenses hors personnel.

Ce montant s'avère près de cinq fois plus élevé que celui d'une prise en charge au sein d'un quartier pour mineurs, évalué à 124 €, se répartissant entre 89,40 € pour l'administration pénitentiaire et 34,50 € pour la PJJ.

Si tous les détenus en QPM étaient demain incarcérés en EPM, il en résulterait un surcoût de plus de 80 millions d'euros par an , pour les seuls coûts de fonctionnement. Il faudrait y ajouter les coûts de construction des nouveaux établissements : une dizaine d'EPM de soixante places seraient nécessaires pour remplacer l'ensemble du parc des QPM. Si le coût de construction de chaque établissement est de l'ordre de 20 millions d'euros 111 ( * ) , la dépense totale avoisinerait les 200 millions d'euros. Ces dépenses seraient naturellement plus réduites si le nombre de mineurs détenus diminuait dans les années à venir.

La mission admet qu'il s'agit là d'une dépense significative, ce qui ne permet pas d'envisager, à court terme, l'abandon des QPM au profit de nouveaux EPM 112 ( * ) .

Elle défend néanmoins l'idée selon laquelle la France devrait se donner pour objectif de long terme l'incarcération de la totalité des mineurs en EPM, afin que l'ensemble des détenus mineurs bénéficient de conditions d'incarcération dignes d'un grand pays développé. La construction de nouveaux EPM pourrait s'inscrire dans le programme de constructions de 7 500 places de prison annoncé par le Gouvernement à l'horizon 2022.

Dans l'attente, il serait possible, à tout le moins, de rapprocher les conditions de détention en QPM de celles observées en EPM en renforçant les effectifs en charge de l'encadrement des détenus. Il pourrait également être opportun de diligenter une étude concernant le devenir comparé des détenus passés par un EPM et par un QPM, de manière à mesurer objectivement dans quelle mesure le passage en EPM augmente les chances de réinsertion.

Comme le travail éducatif mené auprès des détenus en EPM ne peut produire ses effets que dans la durée, il conviendrait également de privilégier l'incarcération en EPM pour les longues peines et l'incarcération en QPM pour les peines plus courtes.

Proposition : améliorer les conditions d'incarcération de l'ensemble des mineurs détenus en remplaçant, à terme, les QPM par de nouveaux EPM, ou, à tout le moins, en rapprochant les conditions de détention en QPM de celles observées en EPM.

4. Les points de vigilance
a) Concernant le travail commun entre l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné que l'intervention de la PJJ en milieu carcéral a soulevé des oppositions et que le travail en commun avec l'administration pénitentiaire ne va pas toujours de soi pour les éducateurs.

Pour le sociologue Laurent Solini, qui a étudié le fonctionnement de l'EPM de Lavaur, « le binôme relève davantage d'une juxtaposition des éducateurs et des surveillants que d'une vraie concertation. À l'EPM de Lavaur, les éducateurs n'ont, par exemple, pas souhaité garder les clefs des cellules, ce qui n'a pas été sans générer de sérieuses tensions. Certains binômes peuvent cependant fonctionner, mais pour des raisons de personnalité 113 ( * ) ».

Ce diagnostic a été confirmé par plusieurs représentants syndicaux auditionnés par la mission. Pour M. Samuel Messadia, du syndicat FO-pénitentiaire, « en EPM, une unité doit être gérée par un binôme éducateur-surveillant, qui prévoit le déroulé de la journée. En réalité, c'est rarement le cas : le surveillant est souvent seul le matin pour préparer le petit-déjeuner, lever les mineurs, leur présenter leur emploi du temps ». Il a en revanche estimé que « au QPM de Perpignan, on ne saurait parler de binôme entre éducateurs et surveillants mais le partenariat fonctionne. L'éducateur est perçu par le jeune détenu comme le lien social, avec l'extérieur et sa famille ; le surveillant comme le rappel à la règle et à la discipline ».

Selon M. François Lavernhe, secrétaire général de l'UNS-CGT-PJJ, « au quotidien, les bonnes relations personnelles permettent le fonctionnement des établissements ; il existe cependant parfois des situations très difficiles, voire de confrontation ouverte comme cela a pu être le cas à l'EPM de Meyzieu. À cet égard, la question de la formation des cadres des deux administrations mériterait d'être posée ».

Lors de son déplacement à Villepinte, la mission a également constaté, avec surprise, que le partenariat PJJ-administration pénitentiaire avait considérablement tardé à se mettre en place : le représentant de la PJJ a expliqué que trop peu d'activités étaient proposées aux détenus, mais que la PJJ et l'administration pénitentiaire allaient s'employer à y remédier ; lorsqu'il lui a été demandé pourquoi ce travail en commun n'avait pas été engagé plus tôt, il a répondu que la PJJ n'était présente en détention que depuis peu de temps ; invité à préciser depuis quand, il a indiqué que la PJJ était arrivée à Villepinte au milieu des années 2000 ! Lorsqu'il lui a été fait observer que cela faisait donc plus de dix ans qu'une action partenariale aurait dû être engagée, il s'est retranché derrière une différence de culture entre administrations pour justifier ce délai.

L'argument de la culture professionnelle de la PJJ est revenu plusieurs fois dans les débats.

Mme Madeleine Mathieu, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, a admis « le problème difficile de la collaboration d'administrations différentes autour de la prise en charge de jeunes faisant l'objet d'un suivi judiciaire. C'est un problème culturel ancien dont on ne peut nier l'importance mais dont on peut néanmoins distinguer les causes. À l'origine, l'éducation surveillée des jeunes délinquants relevait de la compétence exclusive de l'administration pénitentiaire, ce qui, particulièrement au cours du siècle dernier, se traduisait par des pratiques répressives très préjudiciables à leur développement. Je vous renvoie notamment à l'histoire éloquente de la prison de la Petite-Roquette. La récupération de la compétence éducative par la PJJ est le résultat d'une revendication forte de leur part d'une sortie de cette culture essentiellement répressive. On peut donc comprendre que le retour de la PJJ en milieu fermé, dans le courant des années 2000, leur fut particulièrement difficile à vivre et qu'il se soit traduit par l'expression d'antagonismes entre une administration pénitentiaire très axée sur la sécurité et une PJJ plus préoccupée d'action éducative 114 ( * ) ».

La table ronde organisée avec les représentants syndicaux a confirmé une opposition, parfois assez idéologique, à l'enfermement des mineurs de la part des organisations de la PJJ, notamment de la plus représentative d'entre elles, le SNPES. Il n'est pas interdit d'ailleurs de se demander si cette position de principe, hostile à l'intervention en milieu fermé, ne finit pas par produire un effet auto-réalisateur : le peu d'implication des éducateurs de la PJJ, comme à Villepinte, leur permettant d'expliquer ensuite que le travail éducatif en détention est de médiocre qualité et qu'il faut donc écarter l'option de l'enfermement pour les mineurs.

Si la mission est ouverte à des évolutions visant à redonner à l'incarcération son caractère exceptionnel, elle ne croit cependant pas qu'il soit réaliste d'envisager sa complète disparition 115 ( * ) . Dès lors, il est important que le travail socio-éducatif mené auprès des jeunes soit réalisé avec toute l'implication qui convient, dès le début de la détention . L'objectif n'est pas de confondre les compétences des surveillants et des éducateurs, qui ont chacun leur métier propre, mais de surmonter les réticences qui semblent encore, trop souvent, altérer la qualité de leur travail commun au service de la réinsertion du mineur détenu.

Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour améliorer la qualité du travail commun entre professionels :

- d'abord, veiller à ce que chaque QPM et EPM soit effectivement doté d'un projet d'établissement mobilisateur , ce qui suppose une impulsion forte de la direction, et une concertation approfondie avec toutes les parties prenantes ; ce projet doit permettre de fédérer les énergies et d'avancer dans une même direction, avec une orientation claire sur le rôle de chacun ;

- développer les formations communes aux éducateurs de la PJJ et aux surveillants pénitentiaires pour favoriser l'émergence d'une culture commune ou au minimum une meilleure compréhension mutuelle ; après une période d'interruption, l'ENPJJ a remis en place depuis quelques années des formations à la prise de poste pour les surveillants et les éducateurs affectés en EPM ; cette formation dure entre quatre et cinq mois, mais la période durant laquelle éducateurs et surveillants sont regroupés sur un même site ne dépasse pas quatre semaines, ce qui est bien court pour rapprocher les cultures professionnelles ; de plus, beaucoup de surveillants, compte tenu du manque d'effectifs dans leurs établissements, ont du mal à se libérer pour participer effectivement à ces formations ;

- profiler les postes de surveillants et d'éducateurs appelés à travailler en milieu carcéral auprès de mineurs, en s'inspirant de ce qui est pratiqué à l'éducation nationale ; cela permettrait de sélectionner des agents motivés mais ne peut aboutir que si ces postes sont rendus attractifs, le cas échéant via une compensation indemnitaire adaptée.

Proposition : relancer le partenariat entre PJJ et administration pénitentiaire, ce qui suppose une volonté partagée et affichée au plus haut niveau de responsabilité, la mise en place de projets d'établissements fédérateurs et des formations communes.

b) Concernant l'enseignement scolaire

L'éducation nationale mobilise des moyens non négligeables pour l'enseignement en prison. À la rentrée scolaire 2017, 789 postes en équivalents temps plein (ETP) étaient mis à disposition pour l'enseignement en milieu pénitentiaire, en hausse de 5,5 % sur les cinq dernières années. Ces enseignants travaillent auprès des détenus mineurs et majeurs.

Une difficulté relevée concerne cependant l'organisation de l'année scolaire, qui est calquée sur le calendrier en vigueur à l'éducation nationale. Il en résulte une interruption des cours pendant les deux mois d'été. Ce problème se rencontre également dans les CEF, comme on le verra dans la suite de ce rapport.

Cette organisation peut être très préjudiciable au travail de réinsertion mené auprès de certains jeunes : quand on sait que la durée moyenne de détention n'excède pas quelques mois, il est regrettable qu'un détenu incarcéré à la fin du mois de juin soit privé d'enseignement scolaire pendant les deux mois qui suivent.

Interrogée à ce sujet, la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) a mis en avant les obstacles statutaires auxquels se heurterait le projet d'assurer les enseignements pendant l'été.

La mission doute cependant qu'il soit impossible de trouver des solutions pragmatiques pour résoudre cette difficulté. Il s'agirait d'organiser différemment la répartition des semaines de service pour un petit nombre d'enseignants afin d'assurer une continuité du service public de l'enseignement en prison, dans le respect du droit à congés de chaque professeur, avec le concours des éducateurs de la PJJ et des associations culturelles qui peuvent exister à proximité de l'établissement pénitentiaire.

Proposition : assurer la continuité de l'enseignement scolaire dans les EPM et les QPM pendant l'été.

c) Concernant la conception et le fonctionnement des EPM

Si les EPM proposent plus d'activité que les QPM, la mission a été alertée sur les risques d'excès en la matière. En tout domaine, excès ne vaut.

Le sociologue Laurent Solini a critiqué une « suractivité forcée comme instrument éducatif, à l'instar des pratiques antérieures, comme lors des colonies agricoles des XIX e et XX e siècles » 116 ( * ) . Ce point de vue est corroboré par le témoignage de M. Samuel Messadia, du syndicat FO pénitentiaire : « à l'EPM, ce ne sont pas les activités qui manquent ; bien au contraire, il y en a trop et les mineurs disent eux-mêmes qu'ils ne sont pas intéressés mais qu'ils y participent pour sortir de cellule. Il y a d'ailleurs régulièrement plus d'activités que de surveillants disponibles pour les encadrer, ce qui pose la question de la sécurité » 117 ( * ) .

M. Jean-Marie Delarue, ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a déploré que les emplois du temps des jeunes n'aient été conçus que comme une suite incessante et exténuante d'activités, « l'enfant rêvant ou seul n'ayant pas le droit de cité 118 ( * ) ».

Des interrogations se font jour également en ce qui concerne la conception architecturale des EPM auxquels certains ont reproché de ressembler au Panopticon, le modèle de prison rêvé par Jeremy Bentham : « le rêve de Bentham, le Panopticon, où un seul individu pourrait surveiller tout le monde [...]. Tout le monde sera surveillé 119 ( * ) ».

M. Laurent Solini a insisté sur cet élément lors de son audition. Il a cité le témoignage d'une jeune détenue qui se plaint de manquer d'intimité en détention, même dans sa cellule : « Ici, ici, c'est comme t'avais, t'avais, t'avais, comment ça s'appelle, c'est comme t'avais un casque avec tout autour des caméras qui contrôlent tes gestes et faits. Qui voient tes gestes et faits. (...) En gros, si tu veux de l'intimité dans ta cellule, t'es obligée d'mettre la couverture. Puis quand tu mets la couverture, ils te demandent de l'enlever. Parc'qu'ils doivent voir les barreaux » 120 ( * ) .

Cette réflexion a toutefois été tempérée par d'autres témoignages, entendus sur le terrain, qui suggèrent que pour certains jeunes, issus d'une famille nombreuse et vivant dans un logement exigu, l'entrée en EPM peut, paradoxalement, être porteuse de plus d'intimité, grâce à l'encellulement individuel.

Le souci de l'intimité des détenus doit en outre être mis en balance avec les impératifs de la sécurité en milieu carcéral, y compris dans sa dimension de prévention du suicide.

Une dernière difficulté tient au petit nombre des EPM qui entraîne un éloignement géographique préjudiciable au maintien des liens avec la famille .

Ces éléments ne remettent pas en cause le progrès que les EPM ont représenté par rapport aux QPM, mais ils constituent des points d'attention à prendre en compte pour affiner leur modèle.

d) Concernant les mineures détenues

La mission, même si elle regrette de n'avoir pu approfondir suffisamment cette question, souhaite apporter un éclairage sur la détention des jeunes filles, qui pose des questions particulières.

L'hébergement des mineures est assuré de manière distincte conformément à la réglementation en vigueur. Ainsi, l'article R. 57-9-14 du code de procédure pénale, que vise notamment la circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire n° 2007-G4 du 8 juin 2007 relative au régime de détention des mineurs, pose le principe de l'accueil des mineures dans les établissements spécialisés pour mineurs au sein d'unités de vie prévues à cet effet. Cependant, à titre exceptionnel, lorsque leur intérêt le justifie, l'équipe pluridisciplinaire peut proposer une autre orientation. Néanmoins, quelle que soit l'affectation décidée, la mineure doit pouvoir bénéficier d'un suivi éducatif par les services de la PJJ.

L'hébergement de nuit des filles doit, dans tous les cas, être assuré dans des unités de vie distinctes de celles des garçons et sous la surveillance de personnel de leur sexe (article R. 59-12 al. 1 du code de procédure pénale). Cette disposition n'exclut nullement l'intervention, en cas de nécessité, du personnel gradé masculin, dans l'unité de vie fille, en présence d'une surveillante.

En ce sens, trois EPM assurent le respect de cette réglementation, en accueillant les jeunes mineures dans des pavillons distincts, comme notre mission a pu le constater à Meyzieu 121 ( * ) . En revanche, cette séparation des filles est moins bien assurée dans les quartiers pour mineurs, où elles sont accueillies dans le bâtiment réservé aux femmes, ce qui n'est pas sans susciter des tensions avec les détenues plus âgées qui ne comprennent pas toujours pourquoi les adolescentes détenues bénéficient d'un traitement différencié.

L'organisation d'activités communes place la mixité au coeur du projet éducatif mis en oeuvre dans les EPM.

Ainsi, en raison de la répartition en « unités de vie », comprenant à la fois des salles communes et des cellules, les activités organisées pour les mineurs peuvent accueillir des détenus des deux sexes, comme pour l'organisation de repas, voire d'activités sportives.

De ce fait, la mixité apparaît comme un « levier » de la réinsertion : la mixité, qui pose la délicate question de la sexualité et des conduites à risques à l'adolescence, doit contribuer à la dynamique d'intégration et de réinsertion et recevoir une fonction éducative au sein même de l'établissement122 ( * ). L'importance d'activités sportives en commun est notamment prise en compte dans l'emploi du temps de l'ensemble des mineurs détenus dans les EPM.

e) Concernant les mineurs non accompagnés

On a vu que les mineurs non accompagnés sont de plus en plus nombreux en détention. Or, le travail de réinsertion auprès de ces jeunes se heurte à d'importants obstacles, qui compliquent grandement le travail de l'administration pénitentiaire et de la PJJ.

La barrière de la langue et le manque de connaissances communes avec les autres détenus isolent ces jeunes et rendent difficile leur participation aux activités proposées au sein des EPM ou des QPM. Il n'est en outre pas possible de travailler avec la famille de ces jeunes puisque celle-ci se trouve à l'étranger.

Les efforts déployés par les enseignants et les éducateurs permettent parfois de belles réussites. À l'EPM de Meyzieux, la délégation de la mission a rencontré un jeune d'origine serbe, lequel, placé pour plusieurs mois dans cet établissement, a acquis les rudiments de la langue française durant son séjour. Si une telle démarche mérite d'être mentionnée, elle demeure relativement rare parmi ces jeunes personnes incarcérées, dont le temps d'incarcération est généralement trop court pour acquérir notamment les fondamentaux de notre langue.

En outre, le séjour des MNA, faute de familles ou de structures d'accompagnement dédié à la sortie de l'incarcération en EPM ou en QPM, n'aboutit, dans la quasi-totalité des cas, qu'à une « sortie sèche », c'est-à-dire au retour dans les conditions antérieures à la peine et favorables à la réitération. Mme Christine Lazerges, présidente de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), notait que « les MNA sont particulièrement touchés par les sorties « sèches » , entraînant quasi systématiquement une récidive. Comme ils n'ont pas de liens familiaux, ils se retrouvent dans la rue, et peuvent être repris par les réseaux 123 ( * ) ».

f) Concernant la fin de la détention

Pour les MNA comme pour l'ensemble des détenus, la préparation de la sortie de détention est un impératif pour prévenir la récidive et poursuivre le parcours de réinsertion. La mission a constaté qu'il s'agit là d'une préoccupation constante chez les éducateurs de la PJJ.

Chez les détenus adultes, c'est la formule de l'aménagement de peines qui est souvent mobilisée pour ménager une transition entre la détention et le retour à la liberté. Elle est possible chez les mineurs, mais moins usitée en raison de la brièveté des peines d'emprisonnement.

C'est le milieu ouvert qui est en première ligne pour poursuivre le travail d'insertion après la fin de la détention. Il importe qu'il dispose d'une palette d'outils diversifiés pour apporter une solution adaptée à chaque jeune. Il importe également que la PJJ puisse s'appuyer sur des réseaux partenaires, notamment celui des missions locales, qui sera abordé dans la suite de ce rapport.

B. LES CENTRES ÉDUCATIFS : DES CONDITIONS DE RÉUSSITE PAS TOUJOURS RÉUNIES

Les centres éducatifs - centres éducatifs renforcés (CER) et centres éducatifs fermés (CEF) - constituent les dispositifs de prise en charge les plus « intensifs » et les plus « contenants » de la PJJ, hors l'hypothèse de l'incarcération . Ils participent de l' « éducation sous contrainte » qu'évoquait devant la mission d'information M. Nicolas Sallée, professeur de sociologie à l'université de Montréal 124 ( * ) . Objets de controverse depuis leur création à partir de 2002, les CEF ont été davantage étudiés par la mission que les CER, un dispositif qui semble être en voie de marginalisation.

1. Les centres éducatifs, lieux d'une prise en charge intensive

Les CEF ont été évalués à de nombreuses reprises au cours des dernières années . Ils ont ainsi fait l'objet d'un rapport d'évaluation au nom de la commission des lois du Sénat, dont notre ancien collègue Jean-Claude Peyronnet et notre collègue François Pillet 125 ( * ) étaient les rapporteurs. Deux autres évaluations ont été menées depuis : une première mission conjointe des inspections générales des affaires sociales (IGAS), des services judiciaires (IGSJ) et de la protection judiciaire de la jeunesse en 2013 126 ( * ) , qui a donné lieu à un rapport de suivi en 2015 127 ( * ) . Plus récemment, l'avis de notre collègue Josiane Costes, rapporteur des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 128 ( * ) , ainsi que l'avis publié par la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur la privation de liberté des mineurs, se sont penchés sur les CEF 129 ( * ) .

Décriés par certains comme « antichambres de la prison », les CEF sont néanmoins fortement sollicités par les juges des enfants. Ils peuvent constituer une alternative à l'incarcération , et être porteurs d'une vraie visée éducative et de réinsertion, à certaines conditions , qui ne sont malheureusement pas toujours réunies. Ils demeurent un dispositif fragile, encore perfectible, dont l'efficacité et l'extension envisagée - par la création annoncée par le Gouvernement de 20 CEF supplémentaires - doivent être appréciées au regard de leur coût élevé .

a) Les CER : en voie de marginalisation

Les centres éducatifs renforcés (CER) sont des structures d'hébergement ayant vocation à prendre en charge des mineurs délinquants multirécidivistes en grande difficulté ou en voie de marginalisation, ayant souvent derrière eux un passé institutionnel lourd. Leur caractéristique principale est la rupture temporaire du mineur avec son milieu d'origine .

L'article 12 du décret du 6 novembre 2007 définit les CER comme des unités éducatives « dans lesquelles la prise en charge des jeunes est organisée :

- en hébergement collectif ;

- aux fins d'établir une rupture temporaire du jeune tant avec son environnement qu'avec son mode de vie habituel ;

- sur la base d'activités intensives ;

- et au moyen d'un encadrement éducatif renforcé » 130 ( * ) .

Ils se caractérisent par des programmes d'activités intensifs , notamment dans les domaines du sport, des travaux agricoles et forestiers, mais certains CER proposent également des activités autour des arts du cirque, de la navigation ou de l'équitation.

Il existe 52 CER, dont quatre seulement relèvent du secteur public , les autres étant gérés par des associations habilitées, pour un total de 354 places disponibles, la capacité d'accueil théorique d'un CER allant de cinq à huit places. Seuls 24 CER accueillent des jeunes des deux sexes ; deux d'entre eux n'accueillent que des filles.

En 2016, 962 mineurs ont suivi un programme d'activités intensives dans un CER, d'une durée moyenne de 3,1 mois, pour un taux d'occupation de 83 %. Le prix d'une journée en CER, pour le secteur public et le secteur associatif habilité, est en moyenne de 563 euros par mineur en 2017 131 ( * ) .

Depuis leur création en 1999, les CER ont connu un développement irrégulier. Depuis une décennie, les crédits consacrés aux CER et le nombre de places sont en diminution constante (- 16 % depuis 2007) . Il semble que les CER soient un dispositif en voie de marginalisation au sein de la PJJ , alors même qu'ils constituent une solution utile lorsqu'une rupture du jeune avec son milieu d'origine est nécessaire pour amorcer un travail d'insertion.

b) CEF : un dispositif intensif appelé à se développer
(1) Présentation des CEF

Créés par la loi dite « Perben I» du 9 septembre 2002 132 ( * ) , les centres éducatifs fermés (CEF) sont des structures d'hébergement qui ont pour finalité de constituer une alternative à l'incarcération pour des mineurs âgés de treize à dix-huit ans, multirécidivistes, multiréitérants ou ayant commis des faits d'une particulière gravité . Ils se situent dans la gradation des mesures de placement comme l'ultime solution avant l'incarcération pour des jeunes ne respectant pas les conditions d'un placement traditionnel et mettant en échec les différentes interventions éducatives.

Le placement en CEF est décidé par le juge dans le cadre d'une décision de contrôle judiciaire, de sursis avec mise à l'épreuve, de libération conditionnelle ou de placement extérieur. La durée normale du séjour est de six mois, renouvelable une fois .

Les CEF se distinguent des autres structures de la PJJ par leur caractère fermé (cf. infra ), permettant une prise en charge intensive et permanente des jeunes par une équipe nombreuse et pluridisciplinaire. Les CEF sont des petites structures, avec une capacité d'accueil de douze jeunes ; l'effectif de l'encadrement s'élève à 27,5 ETP, dont 1 ETP d'enseignant et 1,5 ETP de personnels de santé (infirmier et psychologue).

Si les CEF accueillent des jeunes provenant de l'ensemble du territoire national, la proximité géographique avec la résidence d'origine du mineur est recherchée dans les affectations en CEF afin de maintenir les liens familiaux et le suivi par l'éducateur de milieu ouvert.

Les CEF ne constituent pas des lieux de détention 133 ( * ) : leur caractère fermé procède de l'obligation faite au jeune d'y résider, sous la surveillance permanente des encadrants, et de respecter les conditions du placement. Ce dispositif est toutefois considéré suffisamment contraignant pour relever du champ de compétence du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) .

Le caractère fermé des CEF

Le caractère fermé des CEF est un concept juridique dans la mesure où il réside dans la sanction du non-respect des obligations auxquelles le mineur est astreint. Il prend essentiellement appui sur le caractère contenant de la prise en charge éducative et pédagogique des mineurs. Il s'accompagne néanmoins d'une matérialisation architecturale de la fermeture qui doit être visible.

Source : rapport des inspections générales sur le dispositif des CEF, 2015

La violation des obligations auxquelles le mineur est astreint en vertu des mesures qui ont entraîné son placement en CEF est susceptible d'entraîner son incarcération . C'est sur cette sanction de l'irrespect des obligations auxquelles le mineur est astreint que repose le caractère juridiquement fermé de ces centres.

Les fugues , relativement courantes 134 ( * ) , constituent un manquement aux obligations du placement ; elles font l'objet d'un rapport au magistrat qui apprécie les suites à donner et peut, le cas échéant, ordonner l'incarcération du mineur. Dans les faits, une fugue entraîne rarement seule une incarcération, à plus forte raison lorsqu'elle est de courte durée et ne s'accompagne pas de la commission d'un délit ; comme l'expliquait l'équipe éducative d'un CEF citée par MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet en 2011 : « un jeune qui fugue du centre pour rentrer dans sa famille parce qu'il ne bénéficie pas de permissions de sortie, ce n'est pas la même chose qu'un jeune qui fugue pour commettre des délits » 135 ( * ) . Ce constat reste valable aujourd'hui : il a été confirmé aux membres de la mission qui ont visité le 23 mai 2018, le CEF de Savigny-sur-Orge.

(2) Les CEF et leur public

52 CEF sont aujourd'hui en activité, dont 35 relèvent du secteur associatif habilité et dix-sept du secteur public . Ils obéissent à un cahier des charges précis établi par arrêté du ministre de la justice 136 ( * ) , qui prescrit notamment :

- une répartition selon les CEF en fonction de la tranche d'âge des mineurs : certains établissements accueillent des jeunes âgés de treize à seize ans, d'autres des mineurs à partir de quinze ans ;

- un projet éducatif construit, intensif et structuré permettant d'assurer la prise en charge évolutive des mineurs ;

- un projet pédagogique répondant à un objectif de réinsertion, tant sociale que scolaire et/ou professionnelle du mineur, poursuivi par le biais d'un programme d'activités individualisé et soutenu, articulant apprentissage des savoirs de base et mise en oeuvre d'actions de socialisation visant, notamment, le développement de compétences psychosociales ;

- un règlement intérieur, porté à la connaissance du mineur, qui « doit notamment préciser les modalités d'autorisation de sortie du lieu d'hébergement, d'utilisation des moyens de communication écrites et téléphoniques, de l'accès aux locaux en journée, de visite des familles sur les lieux d'hébergement ainsi que les modalités de rencontre du mineur avec son avocat » ;

- le dimensionnement de l'équipe d'encadrement et son caractère pluridisciplinaire ;

- l'aménagement des locaux et la réalisation d'une enceinte destinée à matérialiser la fermeture du centre ;

- une prise en charge structurée en trois phases (cf. infra) du mineur, selon un projet et un emploi du temps personnalisés, avec un programme d'activités soutenu.

Au 31 mars 2018, 479 mineurs étaient accueillis en CEF. Pendant l'année 2016, 1 546 mineurs, dont l'âge moyen à l'entrée est de 16,2 ans, ont été accueillis en CEF . D'après une enquête réalisée en juin 2016 par la PJJ, ces derniers :

- ont, pour près de 90 % d'entre eux, plus de quinze ans ;

- proviennent davantage de familles dont les parents sont séparés et/ou nombreuses ;

- ont, pour les trois-quarts, un passé d'absentéisme voire de décrochage scolaire ;

- présentent une dépendance au tabac (à plus de 90 %) et à des stupéfiants (à plus de 70 %) ;

- enfin, 7 % manifestent une absence quasi totale d'adhésion à la mesure et d'observance et 21 % sont dans le refus de participer.

Les responsables du CEF de Savigny-sur-Orge ont rappelé que les jeunes arrivant au CEF présentaient un état physique et psychique parfois très dégrad é.

Si la mixité est la règle dans les structures de la PJJ, elle est particulièrement difficile à mettre en oeuvre dans les CEF du fait du caractère intégral de la prise en charge. Si une quinzaine de centres accueillent des jeunes filles, un seul, celui de Doudeville (Seine-Maritime) leur est entièrement dédié .

(3) Des structures coûteuses et peu optimisées

La durée moyenne des séjours s'est élevée en 2016 à 3,9 mois , en-deçà de la durée théorique fixée à six mois : 49 % des placements en CEF ont duré entre trois et six mois, 24 % entre un et trois mois et 17 % moins d'un mois 137 ( * ) . Un grand nombre de placements se concluent en incarcération suite à des comportements problématiques ou violents (fugues répétées, incidents divers), ou à la suite d'une condamnation prononcée dans le cadre d'une autre affaire. Le passage du jeune à sa majorité entraîne généralement la fin de sa prise en charge en CEF.

Ces éléments expliquent un taux d'occupation effective de 78 % en 2017, en légère hausse mais en-deçà des objectifs fixés par le Gouvernement, qui vise un taux de 85 % 138 ( * ) , conforme au taux de prescription. Il convient de rappeler qu'en raison des contraintes inhérentes à l'accueil d'un public particulièrement difficile, notamment le renouvellement des placements dont la durée est limitée, les fugues, les incarcérations ou encore les hospitalisations, le taux d'occupation n'a pas vocation à atteindre 100 % dans ces établissements.

Le niveau d'encadrement et le taux d'occupation expliquent que le coût moyen d'une journée d'hébergement en CEF s'élève à 661 euros en 2017 (le coût prévu pour l'année 2018 est de 690 euros) 139 ( * ) , ce qui en fait le dispositif le plus coûteux de la PJJ 140 ( * ) .

2. Les CEF constituent le cadre d'un travail utile d'insertion
a) Une prise en charge intensive, visant un retour dans la formation et l'emploi
(1) Une prise en charge organisée en trois phases

L'article 18 de l'arrêté du 31 mars 2015 fixant le cahier des charges des CEF prescrit que « les modalités de fonctionnement du centre éducatif fermé reposent sur trois phases ayant pour objectif de favoriser l'évolution du mineur pendant la durée du placement. Ces trois phases correspondent à l'accueil du mineur, à la consolidation du projet personnalisé du mineur et à la préparation à la sortie du mineur » 141 ( * ) .

Se succèdent ainsi trois modules , d'une durée variable :

- un premier module, dit « d'accueil » , qui a pour objet de mener une évaluation globale du mineur , portant tant sur sa personnalité, ses capacités d'intégration au groupe, que sur sa situation scolaire ou sa santé physique et mentale 142 ( * ) . Un projet éducatif individualisé est élaboré à partir de ce bilan et formalisé. C'est dans cette phase que les contraintes pesant sur le jeune, en particulier le régime des sorties et des relations avec l'extérieur, sont les plus strictes ;

- un deuxième module consacré à la prise en charge éducative du mineur (cf. infra ) ;

- le dernier module est consacré à la préparation de la sortie . Il s'agit de préparer concrètement le projet du mineur à l'issue du placement, ce qui implique une coordination avec les services territoriaux éducatifs de milieu ouvert (STEMO) et l'association des établissements scolaires et médicaux du lieu de résidence du mineur. Cette phase a pour objet « de prévenir la rupture des rythmes de vie induite par la fin du placement afin d'éviter qu'elle ne soit source de réitération du comportement délinquant » 143 ( * ) ; elle peut donc se traduire par un allégement progressif des contraintes pesant sur le jeune. Un rapport de fin de parcours est adressé au magistrat prescripteur.

(2) Une prise en charge intensive, qui repose sur des activités quotidiennes

La circulaire du 10 mars 2016 prévoit que les CEF proposent un « programme d'activités soutenu », qui « constitue un des outils indispensables pour une relation éducative de qualité et contribue à la structuration de la journée et à l'instauration d'un cadre sécurisant » 144 ( * ) .

À cette fin, il revient au centre de mettre en place des activités quotidiennes, qui peuvent relever de l'insertion scolaire et professionnelle - la circulaire précitée prescrit l'organisation de trois ateliers techniques minimum - ou d'autres domaines : activités sportives, culturelles, d'éducation ou de détente.

Une place importante est donnée à la découverte des métiers et des gestes professionnels . Si la durée du séjour ne permet pas l'acquisition de diplômes professionnels, il s'agit de donner à des jeunes aux antécédents scolaires souvent difficiles le goût d'un métier ou d'une activité, voire de leur permettre d'acquérir des certifications ou des unités capitalisables.

Ces activités sont souvent proposées en en lien avec d'autres structures de la PJJ, notamment les unités éducatives d'activités de jour (UEAJ) ou d'autres partenaires (entreprises locales, compagnons du devoir, etc.) .

Les activités proposées en CEF : l'exemple du CEF de Savigny-sur-Orge

Situé sur le site de la Ferme de Champagne, le CEF jouxte les installations de l'unité éducative d'activités de jour (UEAJ), qui sont mises à la disposition des mineurs placés au CEF. Sont notamment présents un restaurant d'application, un atelier de génie civil, un plateau logistique et un potager, qui permettent de proposer aux mineurs placés d'être initiés à ces activités. Selon leurs affinités et les possibilités, les mineurs placés peuvent suivre une formation qui peut être qualifiante, à l'instar de certains certificats de qualification professionnelle (CQP) ou du certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES) d'engins de manutention. Dans ces activités, les mineurs placés du CEF côtoient des jeunes relevant de l'accueil en milieu ouvert ainsi que des missions locales. L'offre de formation peut être complétée par le travail avec des partenaires extérieurs : par exemple, l'entretien des extérieurs et des pelouses est confié à une entreprise qui forme des mineurs placés.

Le CEF entretient sur les pelouses attenantes plusieurs enclos contenant différents animaux : ânes, chèvres, chiens primitifs (husky et malamute), rats domestiques, poules, fourmis. Ces animaux servent une fonction pédagogique, dans le cadre de ce que le CEF nomme la « zoopédagogie » : l'exposition aux animaux ayant pour objectif de créer un rapport affectif (« faire ressortir leur âme d'enfant »), de faire découvrir le fonctionnement des sociétés animales et de faire réfléchir les jeunes sur leur place dans la société humaine. Plus généralement, le CEF mise sur l'expérience pratique et le geste manuel plutôt que sur les « grands discours qui les dépassent [les mineurs placés] ».

Le CEF propose également des séjours dits d'apaisement dans une ferme du Sud de la France produisant du fromage de chèvre, dans laquelle les jeunes vivent en communauté avec la famille qui les accueille et participent à la production et à la vente.

Source : compte rendu du déplacement de la mission d'information

(3) L'enseignement dispensé en CEF

L'enseignement scolaire dispensé en CEF est au coeur de la mission d'insertion : il a pour objet de poursuivre la formation initiale des mineurs, éventuellement en réintégrant un établissement scolaire pendant leur placement, et « pour les plus de seize ans, à défaut d'une poursuite d'études générales ou technologiques, de s'engager dans une formation professionnelle » 145 ( * ) .

La majorité des mineurs placés en CEF ont eu des scolarités heurtées voire interrompues, souvent dès les premières années du collège. Il en résulte un niveau scolaire très faible, parfois de l'ordre du cours élémentaire. En outre, les mineurs âgés de moins de seize ans sont soumis à l'obligation scolaire 146 ( * ) , qui n'est pas remise en cause par le placement.

À cette fin, un enseignant exerçant à temps plein, le plus souvent un professeur des écoles, est affecté dans chaque CEF . Membre à part entière de l'encadrement et placé à ce titre sous l'autorité du directeur du CEF, l'enseignant est chargé d'organiser les activités scolaires.

Le recrutement et la formation des enseignants exerçant en CEF

Les enseignants exerçant en CEF sont des personnels expérimentés, prélevés sur la dotation de l'académie concernée ; aucun néo-titulaire n'exerce donc en CEF.

Le recrutement se fait sous la forme d'un poste à profil ; les candidats ayant répondu se présentent à un entretien individuel et le recrutement est du ressort d'une commission mixte associant l'éducation nationale et la justice. Les détenteurs du certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (CAPPEI) sont privilégiés mais des enseignants ayant l'expérience de publics difficiles sont également admis.

Les enseignants nouvellement nommés en CEF reçoivent une formation d'adaptation à l'emploi, à raison de deux sessions de cinq jours, organisée conjointement avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Source : audition de M. Jean-Marc Huart, DGESCO, le 6 juin 2018

Dans le cadre du module d'accueil, l'enseignant effectue un bilan des acquis scolaires et professionnels du mineur arrivant et détermine avec lui un parcours de formation. L'obtention d'une qualification, à l'instar du certificat de formation générale (CFG), qui atteste d'une maîtrise satisfaisante des connaissances et des compétences attendues en fin de cycle 3 (CM1-CM2 et classe de sixième), ou du diplôme national du brevet, est particulièrement visée.

Il est prévu à cet effet un volume d'enseignement hebdomadaire d'au moins quinze heures pour chaque mineur placé ; la circulaire du 22 février 2005 précise que « si cet enseignement de quinze heures n'est pas d'emblée possible pour tout jeune entrant en CEF, il n'en demeure pas moins un objectif à atteindre, au regard du nombre d'heures de cours prévues dans l'emploi du temps du collège » 147 ( * ) .

Orientation des élèves et examens et attestations obtenus en 2012-2013

887 jeunes ont été accueillis sur l'année dans les 34 CEF qui ont apporté une réponse. Pour quelques élèves, notamment ceux originaires des pays tiers, leurs caractéristiques n'ont pas été renseignées et n'apparaissent pas dans ce bilan.

Le bilan suivant se base sur 880 élèves :

- Orientation : 31 élèves ont réintégré un collège, 18 un lycée professionnel, 8 un lycée, 129 un dispositif de formation professionnelle, 38 ont rejoint un centre de formation de la PJJ, 117 ont été incarcérés, 32 sont en établissements de santé, 18 ont rejoint la vie active et 19 ont rejoint leur famille ;

- Examens : 146 élèves ont obtenus le CFG, 11 le diplôme national du brevet des collèges et 3 un CAP ;

- Attestations : 95 élèves ont obtenu l'attestation de sécurité routière, 79 le brevet informatique et Internet (B2i), 2 le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) et 14 ont suivi la formation aux premiers secours.

Source : dossier ministre de la DGESCO (2014)

(4) Le maintien et la consolidation des liens avec les familles

Le partenariat avec les familles et l'adhésion de ces dernières aux mesures sont un facteur important de la réussite des mesures de placement et de la réinsertion du jeune.

Dans le cadre notamment de la reprise d'études ou du retour en formation que vise le séjour en CEF, la circulaire conjointe des ministères de la justice et de l'éducation nationale précise qu'« il est indispensable d'instaurer ou de consolider la relation avec les titulaires de l'autorité parentale . L'implication des parents à toutes les étapes de la scolarité de leur enfant est un facteur favorable à la réussite du parcours (...). Dans cet esprit, il s'agit d'accorder une attention particulière aux parents les plus éloignés de l'institution scolaire » 148 ( * ) .

À l'exception du module d'accueil, et en fonction de la situation et du comportement de chaque jeune, des retours ponctuels au sein de la famille peuvent avoir lieu . Le rapprochement avec l'environnement familial s'intensifie au fil du séjour afin de préparer la sortie. Les membres de la famille conservent un droit de visite, sauf restriction décidée par le magistrat prescripteur. Les titulaires de l'autorité parentale sont tenus informés du contenu du règlement de fonctionnement du CEF, du déroulement de la prise en charge du mineur et des difficultés éventuelles.

b) Les prescriptions en matière d'enseignement et d'ateliers sont toutefois rarement atteintes

Le rapport d'évaluation de 2015 mettait en évidence les limites du travail d'insertion mené dans les CEF : « un déficit d'activités éducatives proposées aux mineurs et une structuration insuffisante de leurs emplois du temps » ainsi qu'un nombre trop limité d'activités techniques, enfin, s'agissant de l'enseignement, « le volume horaire hebdomadaire d'enseignement scolaire par mineur fixé par les textes est rarement atteint » 149 ( * ) .

Mme Sophie du Mesnil-Adelée, inspecteur de la PJJ, soulignait que, « nous sommes en-deçà et parfois même encore très loin » de l'objectif des quinze heures hebdomadaires ; en la matière, « le frein principal procède du stade de déscolarisation de certains mineurs, dont le niveau scolaire est parfois proche du CE2. Dans ces conditions, la reconstruction des bases et une progressivité sont nécessaires avant le retour en établissement ou en CFA. Pour ceux qui présentent des difficultés psychologiques, le soin constitue également un préalable » 150 ( * ) .

La scolarisation des mineurs placés en CEF dans les établissements scolaires situés alentour demeure peu pratiquée , de l'ordre de l'exception. Mme Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, citait l'exemple du CEF de Saint-Denis-Le-Thiboult dans l'Eure, où l'équipe pédagogique « a su nouer des liens avec l'extérieur, par exemple avec le collège du village voisin susceptible d'accueillir des mineurs du CEF » 151 ( * ) .

Se pose également la question de la continuité de l'enseignement dispensé . Le service d'enseignement n'est en effet pas assuré pendant les vacances scolaires, ce qui se révèle problématique selon le temps du placement : un mineur placé en CEF du mois de mars à septembre se verrait privé de deux mois et demi d'enseignement. Interrogés à ce sujet, les représentants du ministère de l'éducation nationale n'ont pas indiqué qu'une évolution en la matière était envisagée, arguant qu'elle impliquerait de revoir les obligations réglementaires de service des enseignants.

Toutefois, comme le rappelait M. Marc Bablet, chef du bureau de la politique d'éducation prioritaire et des dispositifs d'accompagnement à la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), « la circulaire de 2005 relative à l'enseignement en CEF précise que le volume annuel d'enseignement peut être réparti autrement que sur 36 semaines ». Cependant, il ne semble pas que cette possibilité ait jamais été mise en oeuvre 152 ( * ) .

3. Des structures fragiles, dont les résultats dépendent beaucoup de l'implication des équipes
(1) L'absence d'éléments statistiques permettant d'évaluer les CEF

C'est non sans étonnement, compte tenu du coût et du caractère controversé du dispositif, que votre rapporteur a appris que le ministère n'était pas en mesure de produire un suivi des trajectoires des jeunes ayant réalisé un séjour en CEF, afin d'en évaluer les conséquences sur leur parcours et notamment le taux de réitération .

Ce suivi n'est pas effectué par les CEF eux-mêmes, comme les membres de la mission ont pu le constater à l'occasion de leur déplacement au CEF de Savigny-sur-Orge.

Les seuls chiffres disponibles proviennent d'une enquête sur la réitération des mineurs placés en CEF menée entre 2003 et 2007 153 ( * ) . Elle met en évidence une corrélation inverse entre la durée du séjour en CEF et la réitération dans l'année qui suit le séjour ; le taux de réitération s'élève à :

- plus de 80 % pour des séjours inférieurs à quatre mois ;

- à peu près à 70 % entre quatre et sept mois de séjour ;

- un peu plus de 55 % au-delà de sept mois de séjour.

C'est à partir d'une durée de séjour de cinq mois et demi que le taux de réitération est significativement plus faible. Cela doit être considéré à la lumière des durées effectives de placement qui sont, comme on l'a vu, plus proches de quatre mois. En tout état de cause, ces évaluations restent trop parcellaires pour une évaluation fine du dispositif. À cette fin, la PJJ a déclaré entreprendre une étude de cohorte des mineurs délinquants pris en charge, permise par les améliorations en cours de son logiciel GAME.

Votre rapporteur partage le point de vue de notre collègue Mme Josiane Costes, rapporteur pour avis de la commission des lois du Sénat sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse, qui considérait qu'« au regard de l'importance, mais aussi du dynamisme du prix de journée dans le CEF (SAH et secteur public confondus) et dans la perspective de la création de vingt nouveaux centres, il apparaît indispensable de pouvoir mesurer l'efficacité de cette prise en charge » 154 ( * ) .

Proposition : mener une évaluation plus régulière des CEF et des conséquences du placement en matière de réitération et de réinsertion.

(2) Un dispositif structurellement fragile et aux résultats inégaux

ï Des structures fragiles et inégales

Entendue par la mission d'information, Mme Catherine Pautrat, inspectrice générale de la justice, rappelait que les CEF « sont des structures qui sont fragiles par définition ; je les qualifie de « systémiques » dans la mesure où la réussite dépend de facteurs qui se cumulent : qualification et cohésion de l'encadrement, structure de l'établissement et des procédures de référence, environnement propice à l'insertion, etc. À partir du moment où l'un de ces critères n'est pas rempli, le CEF ne fonctionnera pas » 155 ( * ) .

Si certains CEF jouissent d'une bonne réputation et semblent obtenir des résultats favorables, d'autres centres sont régulièrement fermés ou connaissent des dysfonctionnements graves. La CNCDH relève qu'« en 2016, les indicateurs de la PJJ montrent que 20 % des CEF associatifs ont connu des dysfonctionnements (fermeture administrative, réduction de la capacité autorisée...), et cela sans tenir compte des CEF du secteur public. En 2017, les cas recensés uniquement dans la presse permettent de souligner la fermeture d'au moins 6 CEF » 156 ( * ) . Mme Adeline Hazan observait que « le projet éducatif est souvent de qualité nettement insuffisante ; la discipline y est soit trop stricte, soit trop laxiste » 157 ( * ) .

De plus, un fonctionnement satisfaisant ne semble jamais garanti dans la durée : l'arrivée d'un jeune qui va changer la dynamique du groupe comme un changement dans l'équipe d'éducateurs peuvent perturber le fonctionnement du centre. Mme Catherine Pautrat soulignait ainsi que « la fragilité que j'évoquais tient au fait que le bon fonctionnement d'un CEF à un instant donné ne garantit pas son bon fonctionnement dans la durée . Des CEF jugés performants peuvent connaître, l'année suivante, des dysfonctionnements graves : violences envers les jeunes, maltraitance, pratique excessive de la contention » 158 ( * ) .

ï Des structures confrontées à l'instabilité des équipes

La difficulté principale auxquels sont confrontés les CEF est sans conteste l'instabilité de leur encadrement .

Les conditions de travail particulières aux CEF, au contact d'un public très difficile, l'absence de valorisation indemnitaire et l'isolement géographique (cf. infra ) expliquent en grande partie le fort turn-over des éducateurs. Mme Adeline Hazan expliquait que « la difficulté réside dans le fait que peu d'éducateurs veulent travailler en CEF, ce qui explique le recours fréquents à des salariés en CDD, incompatible avec la constitution d'équipes stables » 159 ( * ) .

Alors que les CEF auraient besoin d'éducateurs formés et expérimentés, on y trouve davantage de jeunes sortis d'école, voire des contractuels. Les inspections générales constataient à cet effet en 2015 que, dans le secteur public, les postes en CEF « ne font l'objet d'aucune formalité de sélection alors qu'un profil professionnel adapté constitue une garantie pour satisfaire aux exigences du fonctionnement des CEF ». Elles notaient également que « les éducateurs ne présentant pas les aptitudes requises peuvent se retrouver en plus grande difficulté entraînant une fragilité de la cohésion d'équipe susceptible de compromettre la prise en charge des jeunes » 160 ( * ) . En outre, dans le secteur associatif habilité, qui est confronté aux mêmes problèmes de recrutement, la PJJ peine à s'assurer de la qualité des recrutements. La pénurie de personnel qualifié peut les conduire à se tourner vers des profils plus éloignés du monde de l'éducation et du travail social, des coachs sportifs par exemple.

Enfin, les interlocuteurs soulignent les difficultés liées à l'absence d'une culture commune au sein de l'encadrement : les enseignants, en particulier, font part d'un sentiment d'isolement et d'une intégration perfectible au sein de l'équipe éducative, qui relève essentiellement de la PJJ.

En réponse à cette situation, le renforcement de l'attractivité de l'exercice en CEF doit constituer une priorité : il passe par une revalorisation indemnitaire, une formation appropriée à la prise de poste et un recrutement adapté aux besoins.

Votre rapporteur appelle en conséquence de ses voeux, dans le secteur public , un recrutement sur profil des éducateurs de la PJJ , à l'instar de ce qui est pratiqué pour les enseignants affectés en CEF, et recommande que les employeurs du secteur associatif habilité soient incités à formaliser des fiches de postes adaptées à la mission des CEF.

Proposition : profiler les postes d'éducateurs en centre éducatif fermé, améliorer la formation spécifique à la prise de poste et revaloriser le régime indemnitaire lié.

ï La situation géographique et les liens avec l'extérieur

La localisation en zone rurale de nombreux CEF participe de leurs difficultés, notamment en matière d'attractivité : le recrutement de professionnels qualifiés, y compris des enseignants, en est rendu plus difficile. L'accès aux formations et le maintien des liens familiaux en pâtissent également.

Les inspections générales constataient également que l'implantation de certains CEF en zone rurale, « loin des bassins d'emploi, peut constituer un frein à [leur] politique partenariale et à l'accompagnement vers l'autonomie des mineurs » 161 ( * ) . En conséquence, elles préconisaient notamment d'engager « une réflexion sur la faisabilité du rattachement systématique des mineurs des CEF à un établissement scolaire » 162 ( * ) .

L'ouverture du CEF sur son environnement et le tissage de liens avec ses partenaires - autres dispositifs de la PJJ, établissements scolaires, entreprises, associations, missions locales - sont des éléments déterminants d'une bonne préparation des jeunes à la sortie et à l'insertion ; en 2011, MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, observaient déjà qu'un CEF « n'est pas une entité fonctionnant en vase clos. Au contraire, sa réussite dépend pour une très large part des liens que le centre parvient à nouer avec le territoire dans lequel il s'inscrit » 163 ( * ) .

Les évaluations successives des CEF ont mis en évidence un déséquilibre de leur implantation géographique . Les ouvertures survenues depuis 2012 ont tenté de rétablir cet équilibre, en étant situées au plus près des bassins de délinquance et des centres urbains 164 ( * ) . Comme l'illustre la carte ci-après (qui ne tient pas compte de l'ouverture d'un CEF supplémentaire à Marseille en 2017), certaines régions, notamment le Sud-Est et l'Île-de-France, continuent de connaître un déficit de structures adaptées, ce qui entraîne des éloignements géographiques. La création de CEF supplémentaires devra tenir compte de la nécessité d'un réajustement géographique du dispositif.

Source : commission des lois du Sénat

En particulier, l'absence d'un CEF consacré à l'accueil des jeunes filles dans la moitié du sud du pays est regrettée , le seul centre qui leur est réservé étant situé en Normandie.

4. Mieux préparer les jeunes à la sortie et améliorer le suivi des jeunes à l'issue du séjour

Comme le rappelaient MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, le CEF n'a pas pour objet de « prendre en charge le mineur pendant plusieurs années, mais bien, au terme d'un bilan complet sur sa situation scolaire, familiale, sociale, sanitaire et psychologique, de le « remettre sur des rails » et de le réinscrire dans un dispositif de droit commun » 165 ( * ) .

Un soin particulier doit en conséquence être donné à la préparation à la sortie, afin d'amoindrir la rupture que constitue le passage du CEF , dispositif très encadré, à un retour au domicile ou à une prise en charge dans une autre structure .

Dans son compte rendu de visite au CEF « Les Cèdres » de Marseille, la CNCDH soulignait le fait que « malgré la préparation des projets de sortie, ces derniers sont mis en échec dès le retour du mineur au domicile, en raison d'un cadre moins contenant » ; elle citait comme solutions la prolongation du placement en CEF « afin d'étayer le projet de sortie », l'instauration de séjours séquentiels, permettant un retour progressif des mineurs dans leur famille, ou encore l'insertion dans des microstructures, à l'instar de « mini-colocations, des dispositifs de familles d'accueil ou des séjours en montagne » 166 ( * ) .

L'implication et le suivi du mineur par le service territorial éducatif de milieu ouvert (STEMO) sont essentiels pour faciliter l'insertion sociale et professionnelle du jeune à l'issue du placement en CEF. La circulaire précitée du 10 mars 2016 prévoit à cet effet des échanges réguliers entre le STEMO et le CEF , afin de « clarifier et formaliser la place et le rôle de chaque établissement et service et de chaque intervenant et de repérer les échéances du parcours du mineur » 167 ( * ) . Ce partenariat doit impliquer l'éducation nationale, afin de faciliter le retour en formation dans un établissement scolaire à l'issue du séjour, et, le cas échéant, d'autres structures à l'instar des missions locales et des services de l'aide sociale à l'enfance (ASE).

L'assouplissement des conditions de placement pendant la phase de préparation à la sortie contribue à favoriser une réinsertion réussie . À cet effet, l'article 52 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice permettra, dans le cadre d'un placement en CEF, un accueil temporaire du jeune dans d'autres lieux (établissement éducatif plus ouvert, famille d'accueil, foyer de jeunes travailleurs, hébergement autonome en appartement) afin de préparer la fin de son placement. Votre rapporteur soutient pleinement cette mesure .

Proposition : mieux préparer la sortie et renforcer l'accompagnement des mineurs à la sortie du CEF, en assouplissant les conditions de placement et en associant les partenaires extérieurs.

C. LES STRUCTURES HOSPITALIÈRES : ÉVITER LA RUPTURE DE L'ENFERMEMENT THÉRAPEUTIQUE

En complément des développements figurant dans la première partie du rapport relatifs au phénomène de l'enfermement thérapeutique des mineurs et à ces incidences juridiques, un éclaircissement doit maintenant être apporté sur le cadre institutionnel de cet enfermement.

Pour éviter l'effet de désinsertion qu'une hospitalisation complète prolongée pourrait entraîner, les professionnels de santé privilégient les soins ambulatoires, qui permettent au jeune de poursuivre sa scolarité ou sa formation, ou les hospitalisations de jour, qui maintiennent un lien étroit avec le milieu familial 168 ( * ) .

Un éclairage sera également apporté sur le cas particulier des mineurs détenus nécessitant des soins psychiatriques, pour lesquels enfermement carcéral et enfermement thérapeutique se superposent.

1. L'isolement thérapeutique des mineurs : un remède historique qui connaît des variations multiples
a) Isolement thérapeutique et enfermement pénal

La question du soin thérapeutique pouvant recourir à certaines mesures privatives de liberté est historiquement très liée à celle de l'incarcération répressive des mineurs. Dès le début des années 1940, dans un mouvement de réforme du système judiciaire des mineurs, on observe une volonté de dégager les actes délictuels commis par des mineurs du champ de la répression pénale pour les faire relever d'une autre forme de prise en charge 169 ( * ) . Il s'agissait alors de regrouper les délinquants mineurs et les enfants atteints de troubles physiques ou mentaux au sein d'une catégorie plus large des « enfants inadaptés ».

Cette volonté de dépénaliser la délinquance juvénile, au profit d'une réponse davantage tournée vers l'accueil thérapeutique, a néanmoins posé deux grandes séries de problèmes, dont la pratique actuelle ne s'est pas tout à fait dégagée :

- la dissolution de la catégorie des mineurs délinquants dans la catégorie des mineurs requérant des soins psychiatriques suppose que la délinquance juvénile revêt une nature nécessairement pathologique 170 ( * ) . Bien que ce postulat ait été depuis largement contesté, il paraît néanmoins à votre rapporteur que certains de ses effets soient toujours d'actualité. En effet, la confusion, même partielle, de la population juvénile délinquante et de la population juvénile atteinte de troubles mentaux a indéniablement contribué à la justification et à la diffusion des mesures privatives de liberté dans le cadre thérapeutique ;

- elle a durablement installé le soin apporté au mineur atteint de troubles mentaux comme un soin doublement contraint : en effet, l'incapacité juridique du mineur dispensait déjà largement le praticien médical de recueillir son consentement, mais l'assimilation initiale de l'enfermement thérapeutique à un enfermement préventif de l'acte délinquant a par ailleurs fortement diminué sa possibilité de refuser les modalités du soin dispensé.

Aux termes mêmes des spécialistes, « il est difficile pour les patients de distinguer l'aspect thérapeutique de l'isolement de son aspect punitif. [...] Le principal risque de l'utilisation de l'isolement est qu'il devienne une modalité de maltraitance institutionnelle , le problème n'étant pas alors l'isolement en lui-même mais l'usage qui en est fait » 171 ( * ) .

b) La privation de liberté dans le cadre thérapeutique est encadrée

Les deux modalités principales de privation de liberté dans le cadre thérapeutique sont l' isolement et la contention . Elles ont été consacrées au niveau législatif par la loi du 26 janvier 2016 172 ( * ) , créant un article L. 3222-5-1 du CSP. L'introduction de cet article, issue d'une initiative parlementaire de notre ancien collègue député Denys Robiliard, était particulièrement nécessaire en l'absence d'encadrement juridique précis de ces pratiques.

Article L. 3222-5-1 alinéas 1 et 2 du CSP

L' isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours . Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en oeuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin.

Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement . Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

En conséquence de cette consécration législative, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié en février 2017 une série de recommandations de bonne pratique détaillant les mesures de contention et d'isolement :

- pour la contention : elle peut prendre deux formes principales, la contention physique , qui consiste dans « le maintien ou l'immobilisation du patient en ayant recours à la force physique », et la contention mécanique , qui consiste dans l'utilisation de tous moyens « empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire ». Il est indiqué que la contention ne doit intervenir qu'exceptionnellement et en dernier recours, et uniquement dans le cadre d'une mesure d'isolement. Il ne peut y avoir recours à des moyens de « contention mécanique ambulatoire » (la fameuse camisole) qu'en cas de « troubles psychiatriques gravissimes de longue évolution avec des conduites auto-agressives ou de mutilations répétées » ;

- pour l' isolement : il s'agit du « placement à visée de protection dans un espace dont le patient ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients ». Cette mesure, qui ne doit jamais aller à l'encontre de la dignité de l'intéressé, ne peut être mise en oeuvre que dans des cas très circonscrits et pour des durées très restreintes.

L'article L. 3222-5-1 du CSP n'interdit nullement la pratique de la contention et de l'isolement sur les mineurs admis pour des soins psychiatriques et ne prévoit aucune disposition spécifique les concernant . En revanche, l'inscription de l'article L. 3222-5-1 au chapitre du CSP relatif aux soins sans consentement ainsi que les recommandations de bonne pratique de la HAS prescrivent explicitement que la contention et l'isolement ne peuvent être pratiquées que dans des cas d'hospitalisation sans consentement, et jamais dans des cas d'hospitalisation libre .

Par conséquent, aucune pratique d'isolement thérapeutique ne peut être légalement admise dans le cas d'un mineur admis en hospitalisation libre (c'est-à-dire sur demande des titulaires de l'autorité parentale).

c) L' « enfermement chimique »

Alors que les formes physiques de l'isolement thérapeutique ne peuvent logiquement advenir que dans un cadre institutionnel contraint, votre rapporteur souhaite évoquer le sujet de l' enfermement médicamenteux, ce que l'on appelle parfois la « camisole chimique ». Il peut concerner des patients mineurs atteints de troubles psychiatriques, mais aussi de jeunes délinquants dont on souhaite canaliser la violence et les réactions incontrôlées par l'administration massive de psychotropes.

Les médicaments psychotropes

Aux termes de la HAS 173 ( * ) , il s'agit de médicaments qui ont la propriété de modifier l'activité du cerveau en y réduisant ou en y stimulant certains processus biochimiques. Leur effet peut être soit stimulant, soit sédatif. On distingue six grandes catégories de médicaments psychotropes :

- les hypnotiques , souvent des benzodiazépines, qui luttent contre certains troubles du sommeil ;

- les anxiolytiques , qui réduisent les symptômes anxieux ;

- les neuroleptiques ou antipsychotiques , qui réduisent les symptômes psychotiques dans certains troubles du comportement liés à des maladies comme la schizophrénie ;

- les thymorégulateurs , qui traitent les épisodes maniaques et dépressifs du trouble bipolaire ;

- les antidépresseurs , qui traitent les épisodes dépressifs avérés et sont indiqués dans certains troubles anxieux ;

- les psychostimulants , qui soignent les troubles déficitaires de l'attention.

La prescription de médicaments psychotropes est l'un des actes les plus sensibles prescrits par le pédopsychiatre. Le corps médical est traversé de débats sur le recours à la prescription médicamenteuse dans le cadre d'une prise en charge devant nécessairement prendre en compte des facteurs sociaux ou affectifs : pour certains médecins, la prescription médicamenteuse peut tout à fait participer d'une prise en charge globale, pour d'autres elle court-circuiterait mécaniquement la réflexion psychodynamique propre à chaque patient. De part et d'autre de cette controverse, qu'il n'est nullement ici question de trancher, des reproches de « sur-prescription » et a contrario de « réticence à prescrire » peuvent être formulés.

La réticence à prescrire de certains pédopsychiatres a trois explications principales :

- elle peut résulter du caractère lacunaire de leur formation, qui « comporte peu d'enseignements spécifiques de psychopharmacologie pédiatrique » 174 ( * ) ;

- elle peut s'expliquer également par le cadre particulier des prescriptions de psychotropes à des enfants ou adolescents, qui ne peuvent, pour certaines d'entre elles, être faites qu' en dehors du cadre réglementaire de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) 175 ( * ) , ce qui engage la responsabilité personnelle du prescripteur et ne garantit pas le remboursement des soins par la sécurité sociale ;

- elle est aussi le fruit de préoccupations strictement éthiques. Les structures cérébrales de l'enfant étant encore en formation et les effets à long terme des psychotropes prescrits dans l'enfance n'ayant fait l'objet d'aucune étude étayée, de nombreux praticiens préfèrent appliquer le principe de précaution en s'abstenant de prescrire.

À l'inverse, la pratique de la sur-prescription médicamenteuse chez l'enfant présente des risques importants qu'il est impératif de contrôler. Le problème est particulièrement prégnant aux États-Unis où il n'est pas rare qu'un enfant se voit administrer un psychostimulant, à la demande de parents soucieux de leur réussite scolaire et sur simple consultation d'un généraliste 176 ( * ) . Bien que la France se soit toujours montrée plus méfiante que les États-Unis à l'égard de la prescription de psychotropes chez l'enfant, une étude de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2012 faisait état d'une augmentation de ces prescriptions et, par conséquent, de leur risque de mésusage 177 ( * ) .

Par ailleurs, l'acte de prescrire un psychotrope chez l'enfant ou l'adolescent n'est pas seulement délicat en raison des spécificités du patient, mais également du contexte familial dans lequel il intervient. La méfiance initiale des parents à l'égard de ces traitements médicamenteux place parfois le prescripteur dans une position inconfortable où il doit veiller au strict respect du traitement. Néanmoins, lorsque le traitement rencontre le succès, il arrive que ces mêmes parents se montrent favorables à sa poursuite, négligeant ainsi les causes psychosociales du trouble psychiatrique du mineur.

Au-delà des remarques sur l'étayage nécessaire de la pédopsychiatrie qu'il a formulées dans son précédent rapport 178 ( * ) , votre rapporteur rappelle son attachement au respect des conditions de prescription des psychotropes recommandées par la HAS 179 ( * ) :

- précaution : toute prescription doit être prudente, raisonnée et basée sur des données objectives permettant au prescripteur d'évaluer régulièrement le rapport bénéfice/risque pour chaque patient ;

- spécialité du prescripteur : hors situations d'urgence, les psychotropes doivent être prescrits par un spécialiste en neurologie de l'enfant ou en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ou par un médecin très familier du traitement des troubles du comportement de l'enfant et de l'adolescent ;

- subsidiarité du traitement , une fois qu'un examen clinique aura éliminé toute cause somatique ;

- surveillance des effets par le prescripteur .

2. Un objectif encore imparfaitement réalisé : abattre les murs autour du patient mineur
a) Un enfermement psychiatrique de plus en plus régulé : la persistance de l'esprit de 1960

Les modalités de la prise en charge psychiatrique des patients ont fait l'objet d'une réforme profonde instrumentée par deux circulaires du 15 mars 1960 180 ( * ) .

Ces circulaires, considérées comme l'acte de naissance du secteur psychiatrique , marquent un renouvellement important de l'encadrement administratif de l'établissement psychiatrique, qui doit « de plus en plus [devenir] un hôpital spécialisé pour maladies mentales et non plus un asile où [sont] placées les personnes considérées comme dangereuses pour la société ». Le traitement de la personne atteinte de troubles psychiatriques se tourne résolument, à compter de cette date, vers une prise en charge ambulatoire , soucieuse d'une thérapie structurée autour de plusieurs espaces et « séparant le moins possible le malade de sa famille et de son milieu », au détriment d'une prise en charge strictement institutionnelle .

La circulaire relative au programme d'organisation et d'équipement de 1960, dont les principes irriguent encore la prise en charge actuelle 181 ( * ) , isole le cas particulier des besoins des enfants en matière d'hospitalisation. Elle distingue deux catégories d'enfants ayant leur place à l'hôpital psychiatrique, en raison « soit du fait qu'il s'agit de sujets nécessitant la mise en oeuvre de traitements psychiatriques, soit du fait qu'ils relèvent de techniques de rééducation analogues à celles qui sont requises pour le traitement des malades mentaux proprement dits ». Il s'agit en fait de distinguer les mineurs atteints de troubles psychopathologiques et les mineurs atteints d'un handicap mental ou psychique susceptibles de recevoir des traitements similaires :

- pour la première catégorie, la circulaire recommande de créer des services de neuropsychiatrie infantile de petite taille . Le principal objectif de ces services est d'assurer une rotation rapide de la file active en pratiquant des hospitalisations de courte durée ;

- pour la seconde catégorie, la circulaire pose les bases d'un accueil en instituts médico-pédagogiques (IMP), aujourd'hui instituts médico-éducatifs (IME), dont elle recommande qu'ils soient le plus possibles créés à l'extérieur de l'établissement psychiatrique .

La circulaire relative au plan directeur des hôpitaux psychiatriques anciens pose quant à elle le principe d'une architecture en « pavillons séparés ». Les pavillons réservés aux enfants devaient veiller à séparer les enfants de chaque sexe en groupes de huit à douze « suivant leur âge mental, leur âge physique et leur capacité d'adaptation ». Outre la séparation des pavillons, la circulaire ne donne pas d'autres précisions sur l'étanchéité du secteur des enfants et du secteur des adultes . Rien n'est pas ailleurs dit des modalités éventuelles d'isolement.

Malgré leurs lacunes, le principe posé par les circulaires de 1960 est bien celui d'une prise en charge psychiatrique du mineur soucieuse de prioriser le milieu extrahospitalier et, par conséquent, de diminuer le recours aux pratiques d'isolement.

Pour autant, les évolutions successives du cadre légal de la prise en charge psychiatrique n'ont pas particulièrement fait diminuer le recours aux pratiques d'enfermement thérapeutique des mineurs . La loi du 27 juin 1990 182 ( * ) a explicitement introduit la distinction entre hospitalisation libre et hospitalisation sous contrainte, sans prévoir de droit spécifique pour les mineurs dont l'hospitalisation est réputée libre lorsqu'elle est demandée par les titulaires de l'autorité parentale.

Bien que la loi ait récemment réaffirmé l'interdiction totale de recourir à l'isolement thérapeutique dans le cas des hospitalisations libres , il demeure tout à fait possible, surtout dans le cadre d'une hospitalisation permanente , d'opérer des transformations d'hospitalisations libres en hospitalisations sous contrainte sur simple décision du directeur d'établissement lorsque ce dernier estime un isolement nécessaire 183 ( * ) . Cette possibilité était d'ailleurs explicitement prévue par la circulaire dite Veil de 1993, aux termes de laquelle « si l'évolution de l'état de santé d'un patient jusque-là consentant aux soins exige qu'on transforme son mode d'hospitalisation, [la loi] oblige le directeur de l'établissement à prendre, dans les 48 heures, les mesures nécessaires » 184 ( * ) .

Ainsi, malgré une prise en charge majoritairement centrée sur l'ambulatoire, la loi conserve une souplesse importante aux modalités d'hospitalisation complète, de sorte à ne pas entraver le recours à l'isolement thérapeutique lorsque le directeur d'établissement l'estime indispensable.

b) Les structures spécifiques de la prise en charge des mineurs

Bien qu'elles les aient expressément visés, les circulaires de 1960 n'avaient envisagé la prise en charge psychiatrique des mineurs que de façon incidente, sans spécificité particulière au sein de la prise en charge psychiatrique générale. La nécessité de préciser le cadre de cette prise en charge et de définir les jalons administratifs et techniques de la pédopsychiatrie a donné lieu à plusieurs circulaires en 1972 185 ( * ) , en 1974 186 ( * ) , en 1990 187 ( * ) et en 1992 188 ( * ) , qui se sont attachées à appliquer une continuité du parcours du patient mineur .

(1) Continuité dans l'espace

Ces circulaires ont détaillé les structures de la prise en charge psychiatrique des mineurs, réparties entre soins ambulatoires et soins hospitaliers. Votre rapporteur souhaite toutefois noter qu'aucune ne mentionne le recours à l'isolement, laissant ce dernier au cadre légal .

Les structures de la prise en charge psychiatrique des mineurs

1) Les soins ambulatoires

a) La structure spécialisée prépondérante est le centre médico-psychologique (CMP) , qui réunit une équipe pluridisciplinaire composée de personnels médicaux et sociaux. Il doit être le premier point d'accueil de la famille et le lieu de la construction et de la coordination du parcours de l'enfant. Le rapport du Sénat de 2017 notait que les CMP spécialisés dans la psychiatrie infanto-juvénile étaient en 2016 au nombre de 1 545. Des délais très importants d'accès à une première consultation (pouvant aller jusqu'à 9 mois) ont également été relevés.

b) Le CMP peut être relayé par le centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) , qui peut maintenir ou favoriser l'autonomie des patients par des actions de soutien et de thérapie de groupe. Au nombre de 695 en 2016, leur objectif est essentiellement de prévenir l' hospitalisation partielle, dite de jour .

c) L' hôpital de jour assure quant à lui des soins polyvalents et intensifs, mis en oeuvre par une équipe multidisciplinaire selon une périodicité déterminée pour chaque patient, dans la journée comme dans la semaine ; l'utilisation de l'hôpital de jour répond à des indications cliniques précises, pour une pathologie nécessitant des soins à moyen ou long terme, ou parfois pour un séjour d'observation. Elle doit impérativement tenir compte de la continuité du parcours de l'enfant entre le milieu hospitalier, où il ne fait que des séjours ponctuels, et le milieu extrahospitalier .

2) Les soins hospitaliers à temps complet

Ils sont les héritiers des « pavillons fermés » évoqués par la circulaire du 15 mars 1960, et ont été par la suite qualifiés par la désignation plus générale d'« internat », dont les unités d'hébergement sont désignées par des « lits ». Leur recours a connu une diminution importante « tant du fait de l'évolution générale des mentalités, notamment celle des familles qui, de plus en plus souvent, rejettent cette solution, que des critiques apportées à un système qui favorise la ségrégation et les changements continuels d'interlocuteur soignant lié à la rotation des équipes » 189 ( * ) . En 2005, on notait que 70 % des lits de pédopsychiatrie avaient été supprimés depuis 1970.

D'après l'avis des spécialistes, les indications de l'hospitalisation à temps complet se limitent aux situations de crise dont les symptômes ne peuvent plus être gérés en famille 190 ( * ) . Ce n'est que dans leur cadre que les situations d'isolement peuvent advenir.

(2) Continuité dans le temps

L'autre grand sujet abordé par ces circulaires concerne le partage entre pédopsychiatrie et psychiatrie générale . Progressivement, les textes ont aménagé une relative porosité de cette frontière :

- la circulaire de 1972 indiquait initialement que « le sujet déjà suivi par une équipe de psychiatrie infanto-juvénile pourra continuer de l'être s'il est besoin, jusqu'à l'entrée dans l'âge adulte, tout en retenant l'âge limite de 16 ans comme principe général » ;

- la circulaire de 1974 atténuait fortement cette indication, en recommandant que « l'âge limite des enfants pris en charge par les équipes de pédopsychiatrie [soit] apprécie avec souplesse. La limite réglementaire de seize ans ne doit pas constituer un obstacle à ce que des enfants plus jeunes soient reçus dans des structures dévolues aux adultes et surtout à ce qu'au-delà de l'âge de seize ans les adolescents soient encore traités par les équipes de psychiatrie infantile » ;

- la circulaire de 1990 réaffirmait cette porosité en confirmant qu'« il n'y a pas d'étanchéité entre les deux types de secteur : les équipes de psychiatrie générale et les équipes de psychiatrie infanto-juvénile dont les secteurs couvrent une même aire géographique servent une même population. [...] Se pose le problème de l'entrée dans l'âge adulte d'enfants pris en charge en psychiatrie infanto-juvénile qui nécessite d'aménager le passage d'une équipe à l'autre. Tout ceci nécessite une étroite collaboration entre secteurs de psychiatrie générale et de psychiatrie infanto-juvénile ».

Un décret du 14 mars 1986 191 ( * ) , codifié à l' article R. 3221-1 du CSP , inverse partiellement ce mouvement en définissant le secteur de psychiatrie générale comme répondant « principalement aux besoins de santé mentale d'une population âgée de plus de seize ans », alors que les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile « répondent aux besoins de santé mentale des enfants et adolescents ». Votre rapporteur note que l'usage de l'adverbe « principalement » n'interdit pas l'intervention de la psychiatrie générale auprès des mineurs de moins de seize ans .

c) La prise en charge psychiatrique des mineurs : une spécificité insuffisamment reconnue
(1) Les constats

Le tableau ci-dessous retrace les structures de la prise en charge psychiatrique des mineurs en distinguant les soins complets des soins ambulatoires.

Structures de la prise en charge psychiatrique des mineurs

2014

2015

2016

Soins à temps complet (en lits)

3 000

3 160

3 250

Soins ambulatoires

Hospitalisation partielle (en lits)

9 750

9 800

9 590

CMP (en structures)

1 470

1 500

1 545

CATTP (en structures)

690

675

695

Source : Drees

Deux constats s'imposent à son examen :

- en valeur absolue, votre rapporteur déplore la faiblesse de la couverture nationale en soins pédopsychiatriques 192 ( * ) . Les difficultés financières que subit globalement le secteur, amplifiées par un pilotage encore peu lisible ainsi qu'une délimitation encore imparfaite de la profession, sont connues depuis longtemps et ont conduit l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) à recommander l'élaboration d'un plan national de la pédopsychiatrie , qui n'est pour l'heure pas inscrit dans les stratégies les plus récentes ;

- en valeur relative, on remarque une augmentation continue des moyens consacrés à l'hospitalisation complète de la psychiatrie infanto-juvénile, mouvement inverse de celui que connaît la psychiatrie générale, ainsi qu'un ralentissement de l'ouverture de lits en hospitalisation partielle et une stagnation relative des structures de soins ambulatoires .

L'accent porté sur l'hospitalisation complète en psychiatrie infanto-juvénile résulte d'un arbitrage formulé par le plan quinquennal « psychiatrie et santé mentale » (2005-2010). Dans un rapport d'évaluation de décembre 2011, la Cour des comptes note ainsi que « le plan a indéniablement contribué au renforcement de l'offre [d'hospitalisation complète] en psychiatrie infanto-juvénile : selon la direction générale de l'offre de soins, 40 millions d'euros lui ont été consacrés » 193 ( * ) .

Il n'est pas question pour votre rapporteur de discuter la pertinence de cette mesure, que commandait l'impératif d'assurer des hospitalisations complètes soucieuses de la séparation des adultes et des enfants. Il n'en demeure pas moins que le développement des soins complets s'est indéniablement traduit par un investissement moins dynamique porté sur les soins ambulatoires . Votre rapporteur appelle à un rattrapage urgent en la matière, qui peine pour l'heure à trouver une inscription concrète au sein des stratégies ministérielles les plus récentes 194 ( * ) , bien que Mme Sylvie Escalon, adjointe au sous-directeur de la régulation de l'offre de soins à la DGOS, ait affirmé à votre mission d'information que « la ministre Agnès Buzyn a décidé de faire de la pédopsychiatrie une de ses priorités » 195 ( * ) .

L'IGAS signale ainsi, dans un rapport de novembre 2017, qu'en psychiatrie infanto-juvénile, « les délais d'attente [en centre médico-psychologique] sont considérablement supérieurs à ceux observés en psychiatrie générale » 196 ( * ) , mais également que « les patients hospitalisés sont beaucoup plus nombreux (le double par rapport à la situation constatée il y a trente ans) et les journées d'hospitalisation ont progressé de 20 % depuis 2003 ».

(2) Les avertissements

Ces constats conduisent votre rapporteur à formuler deux avertissements quant au recours abusif à l'isolement thérapeutique qui peut découler des caractères actuels de l'offre de soins psychiatriques à destination des mineurs :

- la préférence stratégique donnée à l'hospitalisation complète au détriment des autres formes de soins confère un primat excessif à la réponse thérapeutique institutionnelle . Les délais d'attente importants que l'on constate en soins ambulatoires peuvent inciter les parents à se tourner vers des solutions d'hospitalisation complète, avec un risque plus élevé de recours à l'isolement, qui ne se justifient pas toujours ;

- la faiblesse d'ensemble des moyens alloués à la pédopsychiatrie peut conduire à des prises en charge de mineurs au sein de services normalement consacrés aux soins pour adultes 197 ( * ) , en contradiction avec les recommandations de la HAS, pour laquelle la prise en charge, mais aussi la circulation des enfants et des adolescents doit être « totalement distincte de celle des adultes, notamment en psychiatrie » 198 ( * ) .

Dans ces cas de cohabitation de mineurs et d'adultes , la contrôleure générale des lieux de privation de liberté distingue deux éventualités : soit le mineur est accueilli en chambre individuelle, soit, faute d'une telle chambre, le mineur est directement hébergé en chambre d'isolement, en contradiction totale avec la vocation de cette dernière.

Par ailleurs, la contrôleure générale rappelle que « les équipes soignantes des unités pour adultes ne sont pas formées à la psychiatrie infanto-juvénile » 199 ( * ) , cette absence de formation conduisant à un recours plus fréquent à l'isolement, faute de réponse thérapeutique adaptée .

3. D'un enfermement l'autre : quand le détenu devient patient

Après l'examen du cadre institutionnel de l'enfermement thérapeutique des mineurs atteints de troubles psychiatriques, il reste à votre rapporteur à évoquer le cas de la superposition des deux formes d'enfermement auxquels la mission s'est intéressée : qu'advient-il d'un mineur détenu atteint de troubles psychiatriques nécessitant son isolement ?

a) Les défis généraux du soin apporté aux mineurs détenus
(1) La confidentialité des soins

Le cadre juridique du soin apporté aux mineurs détenus ne fait l'objet que de rares dispositions spécifiques. C'est donc le droit commun de l'accès à la santé en établissement pénitentiaire qui s'applique, décrit aux articles 45 à 56 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 200 ( * ) .

Quelques caractères de l'accès à la santé en établissement pénitentiaire

Article 45 : L'administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation ;

Article 46 : La prise en charge de la santé des personnes détenues est assurée par les établissements de santé dans les conditions prévues par le code de la santé publique. La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population . [...] L' état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur incarcération et pendant leur détention ;

Article 48 : Ne peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une expertise médicale ;

Article 51 : Au début de son incarcération, il est proposé à toute personne détenue un bilan de santé relatif à sa consommation de produits stupéfiants, de médicaments psychotropes, d'alcool et de tabac. Ce bilan, effectué à titre préventif, dans un but de santé publique et dans l'intérêt du patient, reste confidentiel .

Il est donc prévu que le mineur détenu, à l'instar des autres détenus, bénéficie d'une totale confidentialité des soins qui lui sont prodigués en milieu carcéral. Dans les faits, plusieurs auditions de votre mission d'information ont indiqué que ce principe connaissait de graves atteintes . Le Dr Damien Mauillon, de l'association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), affirme ainsi que le secret médical en prison est « absolument inexistant pour les mineurs. Un mineur étant constamment accompagné d'un surveillant en tenue, nous avons de grandes peines à faire appliquer un semblant de confidentialité des soins. Le mineur peut même en venir à refuser certaines extractions en milieu hospitalier, en raison de cet accompagnement ininterrompu » 201 ( * ) .

Parce qu'indispensable à la construction d'un lien de confiance entre le détenu mineur et le personnel médical de sa structure d'hébergement, la confidentialité des soins doit être rigoureusement respectée. Les cas d'extrême dangerosité peuvent certes donner lieu à des pratiques d'immobilisation mais rien ne justifie qu'un membre de l'administration pénitentiaire ou de la PJJ maintienne sa présence lors de la consultation.

(2) Le recueil du consentement

Aucune disposition du CSP ne prévoit de dérogation en cas d'incarcération d'un mineur au droit commun du recueil du consentement du titulaire de l'autorité parentale. La seule exception à ce principe est mentionnée au second alinéa de l'article L. 1111-5 du CSP et autorise le recueil du seul consentement du mineur détenu lorsque « les liens de famille sont rompus ». En dehors du cas de rupture des liens familiaux, tout acte soignant non urgent pratiqué sur un mineur détenu doit faire préalablement l'objet d'un consentement parental .

Outre l'inconvénient précédemment évoqué relatif au discernement et à l'autonomie du mineur, dont il n'est nullement tenu compte, le contexte particulier de la détention peut ajouter certaines difficultés pratiques à l'accomplissement du soin. Le Dr Valérie Kanoui, de l'APSEP, a indiqué à votre mission d'information que « l'essentiel des soins [prodigués] sont des soins non-urgents - radiologies dentaires, vaccinations, tests de dépistage - et qu'à ce titre les parents doivent systématiquement transmettre leur accord. Pour ce faire, l'administration pénitentiaire leur fait parvenir un premier courrier, suivi d'un second avec accusé de réception si le premier reste sans réponse. Les délais de traitement peuvent alors connaître un allongement conséquent » 202 ( * ) .

Pour éviter le risque de traitements jamais dispensés faute d'un consentement parental, votre rapporteur suggère que soit étendue aux structures pénitentiaires pour mineurs ainsi qu'aux centres éducatifs la disposition figurant au deuxième alinéa de l'article 375-7 du code civil . Cette dernière prévoit que « le juge des enfants peut exceptionnellement, dans tous les cas où l'intérêt de l'enfant le justifie, autoriser la personne, le service ou l'établissement à qui est confié l'enfant à exercer un acte relevant de l'autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l'autorité parentale , à charge pour le demandeur de rapporter la preuve de la nécessité de cette mesure ».

Cette compétence exceptionnelle du juge des enfants est actuellement limitée aux mesures d'assistance éducative qu'il prononce. Elle ne concerne donc pas les mesures de placement ou les décisions d'incarcération qu'il prononce au titre de sa compétence de juge pénal.

Votre rapporteur estimerait opportun que la loi opère cette extension, ce qui permettrait au personnel soignant de trouver une solution à des situations de blocage. Cette possibilité d'intervention du juge des enfants pourrait d'ailleurs trouver à s'appliquer, en dehors du champ des questions de santé, à d'autres situations où une décision des détenteurs de l'autorité parentale est requise.

Proposition : autoriser à titre exceptionnel le juge des enfants à autoriser un acte relevant normalement de l'exercice de l'autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou de négligence de l'autorité parentale.

b) Le mineur détenu atteint de troubles psychiatriques : trois niveaux de prise en charge

Le soin psychiatrique en milieu carcéral, de l'avis des spécialistes auditionnés, doit se montrer particulièrement attentif aux symptômes qui appellent son intervention. Votre rapporteur a déjà indiqué les risques croissants que courait une science psychiatrique de plus en plus sollicitée pour des troubles - neurologiques ou de souffrance psychique - qui débordent son champ premier de compétence. Ce phénomène est particulièrement susceptible d'amplification en milieu carcéral, où certains troubles psychiques sont aggravés par l'enfermement.

Ainsi, le Dr David Sechter, de l'association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), a fait part à votre mission d'information de la difficulté d'un métier dont la mission première est de dépister « les prodromes schizophréniques, les troubles bipolaires ou d'autres troubles du comportement liés à l'enfermement », mais qui se trouve également chargé de traiter de « troubles psychiques plus classiques liés à l'adolescence, souvent compliqués par une carence affective et qui recouvrent des intolérances alimentaires, des frustrations, des tendances abandonniques ou narcissiques » 203 ( * ) .

Un rapport de nos collègues Laurence Cohen, Colette Giudicelli et Brigitte Micouleau 204 ( * ) a décrit les différents niveaux de la prise en charge psychiatrique des détenus qui, dans la très grande majorité des cas, s'effectue sans transfert définitif de l'établissement pénitentiaire d'accueil :

- le premier niveau, de loin le plus répandu, est constitué par les unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) situées au sein de chaque établissement ;

- le deuxième niveau poursuit l'offre de traitements psychiatriques ambulatoires mais fournit la possibilité d'une hospitalisation partielle et permet donc une extraction temporaire du détenu . Ce deuxième niveau est assuré au niveau régional par un service médical psychologique régional (SMPR) . Le Dr David Sechter a indiqué que, sur les effectifs de l'EPM d'Orvault, ces hospitalisations partielles ne dépassent pas la dizaine de jours par an 205 ( * ) ;

- le troisième niveau requiert l'hospitalisation complète et suppose un transfert permanent du détenu dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) . Mme Sophie Terquem, de la DGOS, a rappelé à votre mission d'information que « ces unités, qui se trouvent dans un hôpital, accueillent exclusivement des détenus, sous la surveillance de l'administration pénitentiaire chargée d'assurer la sécurité. Une fois passé le sas de sécurité, le détenu se retrouve cependant dans un service hospitalier classique et ce sont les soignants qui détiennent les clefs des chambres, ce qui n'est pas le cas pour les détenus souffrant de troubles somatiques accueillis en unité hospitalière interrégionale sécurisée » 206 ( * ) . En effet, de façon quelque peu paradoxale, le principe de confidentialité des soins, dont votre rapporteur a déploré la faible effectivité dans le milieu carcéral, est strictement respecté en UHSA puisque les « surveillants de l'administration pénitentiaire n'ont plus accès aux locaux internes de l'UHSA, qui sont des services hospitaliers placés sous l'autorité des médecins » 207 ( * ) .

L'avenir des UHSA

On dénombre actuellement neuf UHSA , progressivement installées depuis l'arrêté du 20 juillet 2010 208 ( * ) .

Mme Sylvie Escalon, de la DGOS, a indiqué à votre mission d'information que « l'unité la plus récente a ouvert à Marseille en 2018. Le ministère a missionné l'IGAS et l'inspection générale de la justice (IGJ) pour évaluer les résultats de cette première tranche de construction et réfléchir à l'implantation des futures unités. En 2011, un objectif de 705 places avait été fixé ; à ce jour, 440 places ont été ouvertes. [...]

Le ministère de la Santé demande le lancement d'une deuxième tranche de construction , mais c'est un sujet interministériel qui nous demandera encore un peu de temps avant d'aboutir. Il faudra ensuite tenir compte du temps de la construction de ces nouvelles unités. Je peux cependant vous indiquer que certains établissements psychiatriques nous ont fait part de leur intérêt pour l'accueil d'une UHSA. La mission IGAS-IGJ devra proposer une répartition géographique des nouvelles unités, en fonction des besoins et des candidatures reçues, et proposer des mesures pour harmoniser les pratiques en vigueur dans les UHSA » 209 ( * ) .

Nos collègues avaient dans leur rapport pointé le caractère particulièrement coûteux des UHSA , dont la première tranche de construction avait requis un investissement de plus de 135 millions d'euros.

c) Le problème de la séparation des mineurs et des majeurs

Le principal problème soulevé par la prise en charge psychiatrique des détenus mineurs concerne le respect de leur séparation avec les adultes . Il est en effet très surprenant de constater que le principe, très rigoureusement appliqué, de la séparation constante des mineurs et des majeurs en cas de cohabitation des deux populations en milieu carcéral fasse l'objet d'une application beaucoup moins ferme en matière de soins psychiatriques, et ce aux trois niveaux de la prise en charge .

Ce constat se nourrit d'abord d'une disposition réglementaire explicite, au 3° de l'article R. 3221-1 du CSP , qui ignore la distinction entre psychiatrie infanto-juvénile et psychiatrie générale dès lors qu'elles s'exercent à l'intérieur du milieu pénitentiaire . Aux côtés des deux premières, la « psychiatrie en milieu pénitentiaire » fait ainsi étonnamment figure de spécialité indépendante.

Par ailleurs, en cas d' hospitalisation partielle en dehors de l'établissement pénitentiaire , le mineur détenu âgé de plus de seize ans pourra tout à fait relever des soins dispensés par le secteur de psychiatrie générale, où sont également soignés les adultes. L'interdiction rigoureuse du contact entre mineurs et majeurs détenus peut donc être transgressée dans le cadre d'une extraction pour hospitalisation partielle, du fait du décalage entre minorité psychiatrique et minorité juridique. Ce risque achève de convaincre votre rapporteur de la nécessité de relever le seuil de la psychiatrie infanto-juvénile à l'âge de 18 ans .

Enfin, lorsque l'état du détenu mineur requiert une hospitalisation complète , il n'est nullement fait expressément mention d'une séparation obligatoire des adultes en UHSA . En effet, l'article L. 3214-1 du CSP dispose que « lorsque leur intérêt le justifie , les personnes mineures peuvent être hospitalisées au sein d'un service adapté dans un établissement [de santé chargé de dispenser des soins psychiatriques sans consentement] en dehors des [UHSA] ». La rédaction de cet article est particulièrement surprenante : non seulement elle rend facultative la séparation des mineurs et des majeurs en cas d'hospitalisation psychiatrique complète, mais elle induit de plus que leur cohabitation ne pourrait pas suffire à justifier l'intérêt d'un mineur à faire l'objet d'une prise en charge à part.

Votre rapporteur souligne à quel point il lui paraît contradictoire que l'application du principe de séparation des détenus mineurs et majeurs soit stricte dans le milieu carcéral, mais souple dans le milieu psychiatrique. La raison en a été partiellement exposée par Mme Sylvie Escalon, de la DGOS, qui estime qu'une séparation au sein des UHSA de lits réservés à des mineurs « mobiliserait des moyens importants pour [ces derniers], alors que le nombre de jeunes hospitalisés est, heureusement, très faible, et cela risquerait de rendre indisponibles des lits pour des adultes qui pourraient en avoir davantage besoin » 210 ( * ) .

*

Un trait commun à l'enfermement des mineurs, quel qu'en soient les modalités, est sa brièveté : il est finalement assez rare qu'un mineur soit enfermé plus de quelques mois. Dans ces conditions, le temps de l'enfermement ne peut suffire, en règle générale, à poser les bases de la réinsertion du jeune. Un travail en continu, inscrit dans la durée, précédant et suivant l'enfermement, se révèle indispensable.

III. LE SUCCÈS DU TRAVAIL DE RÉINSERTION SUPPOSE DE MENER UNE ACTION COHÉRENTE EN AMONT ET EN AVAL D'UNE ÉVENTUELLE PÉRIODE D'ENFERMEMENT

A. LA PRÉVENTION DOIT DEMEURER UN AXE POLITIQUE CENTRAL

La prévention n'a pas été au coeur des travaux de la mission, qui s'est surtout intéressée à la réinsertion des mineurs enfermés, soit des jeunes qui ont déjà commis des actes de délinquance ou dont la dégradation de l'état de santé mentale a rendu nécessaire une hospitalisation complète.

Elle a néanmoins souhaité revenir brièvement sur cette dimension de nos politiques publiques pour deux raisons : d'abord, parce que de nombreux interlocuteurs de la mission ont insisté sur l'importance du travail de prévention ; ils ont déploré que beaucoup de moyens soient consacrés à tenter de réparer a posteriori des situations dégradées, alors qu'une intervention plus précoce aurait été moins coûteuse et aurait évité, pour le jeune, une spirale négative ; ensuite, parce que la notion de prévention inclut la prévention tertiaire, c'est-à-dire la prévention de la récidive, qui est une préoccupation essentielle s'agissant des mineurs délinquants.

Prévenir la récidive, c'est favoriser un parcours de désistance , c'est-à-dire de sortie de la délinquance. La désistance repose sur la prise de conscience du délinquant et sur sa motivation, mais aussi sur les ressources, objectives et subjectives, dont il dispose, par exemple son niveau d'instruction, ses capacités de communication ou son degré d'insertion professionnelle. Parmi les facteurs de désistance, on peut notamment citer l' âge , au sens de maturité mais aussi comme élément conduisant à une « usure » du délinquant, les événements positifs de la vie (tels qu'une rencontre amoureuse, la naissance d'un enfant ou l'obtention d'un emploi stable), le renforcement du capital humain (par exemple, des capacités de communication ou de gestion des émotions) et le développement du capital social (intégration dans des réseaux sociaux non délinquants, insertion professionnelle...).

Que ce soit dans le cadre pénal ou dans le cadre psychiatrique, la prévention de l'enfermement des mineurs suppose une détection et une intervention précoce et l'association de compétences pluridisciplinaires.

Sans viser à l'exhaustivité sur ce sujet complexe, la mission a donc souhaité éclairer quelques aspects de la nécessaire politique de prévention, en revenant en premier lieu sur la question majeure de la lutte contre le décrochage scolaire.

1. La lutte contre la déscolarisation et le décrochage scolaire, un enjeu central pour prévenir la délinquance d'exclusion
a) Un grand nombre de mineurs pris en charge par la PJJ sont en situation de rupture avec l'école ou de déscolarisation

Les mineurs pris en charge par la PJJ sont, pour une proportion importante d'entre eux, en situation de décrochage scolaire ou de déscolarisation. Se fondant sur une étude épidémiologique menée en 1998 211 ( * ) , le ministère estime que « la déscolarisation concerne un adolescent pris en charge sur deux » 212 ( * ) , proportion qui s'élève à 80 % pour les mineurs incarcérés 213 ( * ) .

Les mineurs suivis par la PJJ s'inscrivent souvent dans une des situations suivantes :

- l'absentéisme, les absences récurrentes et non justifiées d'un élève inscrit dans établissement : le seuil défini par le ministère s'élève à quatre demi-journées ou plus d'absences injustifiées par mois ;

- la déscolarisation, à savoir l'absence de scolarisation d'élèves soumis à l'obligation d'instruction, qui s'applique aux enfants âgés de six à seize ans 214 ( * ) ;

- le décrochage scolaire, qui désigne la sortie précoce et sans qualification du système éducatif.

L'étude de près de 500 dossiers de jeunes suivis par la PJJ à Marseille en 2014 retrace le parcours des jeunes décrocheurs : difficultés scolaires survenues dès l'école primaire (65 % de l'échantillon a redoublé), maintien de lacunes scolaires importantes (à près de 80 %), mauvais rapport avec l'institution scolaire ; cela mène à une déscolarisation pour 72 % d'entre eux, souvent longue voire définitive : 64% des jeunes déscolarisés l'ont été entre une et trois années scolaires et 22 % plus de trois ans. L'étude note qu'« ainsi un jeune suivi peut être déscolarisé depuis ses douze ou treize ans sans que les parents n'aient véritablement réagi. C'est d'ailleurs ce qui ressort des notes des éducateurs : les parents des enfants déscolarisés sur une longue période sont totalement désinvestis de la vie du jeune, ne favorisent ni la scolarité, ni une insertion professionnelle » 215 ( * ) . Le retour en formation est particulièrement difficile : les mineurs pris en charge sont moins de 40 % à déclarer avoir un projet scolaire 216 ( * ) .

Il ressort des rencontres menées dans le cadre de la mission et de ces travaux plusieurs constats :

- la prévalence d'une déscolarisation parfois très précoce , qui peut intervenir dès l'école primaire ou les premières années de collège, et qui pose la question du contrôle de l'obligation scolaire ;

- un accompagnement insuffisant des élèves en difficulté - l'étude précitée constate que « seuls 32,5 % des jeunes de notre échantillon ont bénéficié d'un aménagement de scolarité leur permettant de se maintenir dans un système scolaire adapté à leurs capacités et leurs rythmes d'apprentissage » ; les pouvoirs publics ne semblent se mobiliser « vraiment que lorsque les adolescents décrochent au collège, c'est-à-dire lorsqu'il est déjà très (parfois trop) tard » 217 ( * ) ;

- les jeunes suivis par la PJJ rencontrent des difficultés très importantes à retrouver une formation qui corresponde à leurs aspirations, du fait notamment de problèmes de comportement et d'un niveau scolaire généralement très faible, parfois de l'ordre du CE2.

b) La lutte contre le décrochage scolaire participe à la prévention de la délinquance

Si tous les élèves en situation d'échec scolaire, de déscolarisation ou de décrochage ne deviennent pas des mineurs délinquants, il existe une corrélation forte entre ces situations et la délinquance. En effet, ces situations participent de la marginalisation des jeunes concernés, ce qui alimente une délinquance d'exclusion ; pour les auteurs de l'étude précitée, il apparaît ainsi évident que « la déscolarisation favorise l'oisiveté des jeunes et peut engendrer de fait un passage au délit et/ou un maintien dans la délinquance » 218 ( * ) .

A contrario , comme l'observait M. Jean-Marc Huart, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO), « la prévention de la délinquance passe notamment par l'insertion dans la formation et dans l'emploi » 219 ( * ) .

(a) La prévention de l'absentéisme et le recensement des enfants déscolarisés

L'absentéisme constitue un manquement à l'obligation de scolarisation mais aussi « l'un des signes visibles qui peut traduire les premiers pas d'un élève dans l'engrenage du décrochage scolaire » : selon les données de l'enquête PISA 2015 menée par l'OCDE, 11 % des jeunes âgés de quinze ans déclaraient avoir manqué volontairement des cours pendant au moins une journée complète dans les deux semaines précédant l'enquête 220 ( * ) .

Les modalités de prévention et de traitement de l'absentéisme scolaire sont précisées par une circulaire du 23 décembre 2014 221 ( * ) , qui prévoit notamment :

- l'information préalable des élèves et de leurs parents des obligations en matière d'assiduité ;

- le recensement sur un registre d'appel de toute absence au niveau de chaque établissement d'enseignement scolaire, « qui est immédiatement signalée aux personnes responsables de l'enfant qui doivent sans délai en faire connaître les motifs au directeur de l'école ou au chef de l'établissement » 222 ( * ) ;

- un accompagnement des parents dès la première absence, qui est renforcé selon le degré d'absentéisme ; des mesures d'aide à la parentalité peuvent être mises en oeuvre avec les différents partenaires ;

- un travail partenarial, mené au niveau du département, associant services municipaux et départementaux, associations, caisse des allocations familiales ainsi que d'autres administrations, dont la PJJ et les services chargés de la cohésion sociale ;

- le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) adresse aux personnes responsables un avertissement et leur rappelle leurs obligations légales et les sanctions pénales auxquelles elles s'exposent, il peut également diligenter une enquête sociale ; en cas de persistance, il saisit le procureur de la République.

Les sanctions encourues en cas de non-respect de l'obligation scolaire

L'article R. 624-7 du code pénal rend passible d'une amende sanctionnant une contravention de quatrième catégorie (750 euros au plus) le fait, pour le titulaire de l'autorité parentale, après avoir reçu un avertissement du directeur d'académie rappelant ses obligations légales et les sanctions encourues, de ne pas imposer à l'enfant de fréquenter régulièrement l'école sans pouvoir donner de motif légitime ou d'excuse valable.

L'article 227-17-1 du même code punit de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait, par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l'inscrire dans un établissement d'enseignement, sans excuse valable, en dépit d'une mise en demeure de l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation.

Compte tenu du grand nombre de déscolarisations, à la fois précoces (dès les premières années du collège) et durables, constatées parmi les jeunes suivis par la PJJ, il est clair que le contrôle du respect de l'obligation scolaire demeure perfectible .

Dans leur communication, nos collègues députées Anne Brugnera et George Pau-Langevin, rapporteures de la mission d'information sur la déscolarisation de l'Assemblée nationale, constatent que « le repérage et le suivi des enfants non scolarisés sont clairement insuffisants . S'ils ne paraissent pas poser de difficultés particulières dans les plus petites communes, la situation est très différente dans les villes » et qu' il existe en la matière de véritables « trous dans la raquette » 223 ( * ) .

L'article L. 131-6 du code de l'éducation charge le maire, agissant au nom de l'État, de recenser chaque année la liste des enfants résidant dans sa commune soumis à l'obligation scolaire . L'article R. 131-3 prévoit que les directeurs d'école et les chefs d'établissement de l'enseignement public déclarent au maire les enfants qui fréquentent leur établissement et le tiennent informé des changements en cours d'année ; il est prévu que le maire et le DASEN se tiennent réciproquement informés des manquements à l'obligation d'instruction.

Ces dispositions reçoivent toutefois une application variable : Mmes Brugnera et Pau-Langevin notent que « par méconnaissance du droit, certains maires ne recensent pas les enfants au-delà de l'âge de l'école élémentaire », pour lesquels il n'existe pas de logiciel de traitement de données équivalent à « Base élèves 1 er degré », et que « si le versement de prestations familiales est, en droit, conditionné par le fait les enfants reçoivent une instruction, cette condition est, dans la pratique, présumée remplie. Dans tous les cas, le travail des maires se heurte à d'importantes difficultés pratiques (absence de registre municipal, caractère toujours incomplet des fichiers existants, défauts des croisements de fichiers) » 224 ( * ) . En outre, « les règles applicables à la radiation d'un enfant d'un établissement scolaire permettent de déscolariser un enfant sans l'instruire à domicile » 225 ( * ) .

La publication d'un guide sur le contrôle de l'instruction à domicile à destination des élus locaux au mois d'octobre 2017 constitue une première étape louable ; votre rapporteur considère que des efforts renouvelés doivent être faits pour s'assurer du respect de l'obligation scolaire pendant la scolarité au collège, pour lequel le contrôle demeure lacunaire .

(b) La résorption du décrochage scolaire

Comme le rappelait M. Jean-Marc Huart, DGESCO, lors de son audition, « la résorption du décrochage scolaire, est une priorité du ministère et nous avons considérablement progressé, que ce soit dans les résultats comme dans les dispositifs ». Le nombre d'élèves sortant chaque année du système éducatif sans qualification a ainsi diminué progressivement de 140 000 en 2011 à 98 000 à la rentrée scolaire 2016.

À cet égard, « la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a représenté un tournant », poursuivi au fil des alternances politiques : en 2011 226 ( * ) puis en 2013 par la loi de refondation de l'école de la République 227 ( * ) et enfin, par le plan d'actions « Tous mobilisés contre le décrochage scolaire » présenté en novembre 2014.

La résorption du décrochage scolaire s'effectue selon plusieurs modalités :

- la prévention , par le contrôle de l'absentéisme, l'implication des parents dans la scolarité de leurs enfants et dans leurs choix d'orientation, l'amélioration du climat scolaire et la création de référents « décrochage scolaire » dans les établissements du second degré ;

- l'intervention auprès des jeunes présentant un risque de décrochage - parcours aménagés de formation initiale (PAFI), dispositifs relais (cf. infra ) - et leur maintien en formation, notamment par le droit reconnu aux élèves ayant échoué aux examens du baccalauréat, du CAP et du BTS à une nouvelle inscription dans leur établissement et à la conservation des notes égales ou supérieures à 10 ;

- enfin, le repérage et la remédiation auprès des jeunes ayant quitté le système scolaire ; le ministère dispose d'un système de suivi informatique (SIEI) qui permet d'alimenter les différents réseaux de prise en charge : plates-formes de soutien et d'appui aux décrocheurs (PSAD), réseaux Formation qualifiante emploi (FOQUALE), etc., qui « prennent contact avec les jeunes identifiés, les reçoivent et les accompagnent dans leur retour en formation » 228 ( * ) . Ils peuvent être accueillis dans des structures spécialisées de l'éducation nationale (micro-lycée, lycée nouvelle chance, etc.) ou dans des écoles de la deuxième chance. Le réseau des missions locales contribue aussi à la prise en charge des jeunes sans qualification.

En outre, la loi du 8 juillet 2013 a modifié l'article L. 122-2 du code de l'éducation afin de prévoir que « tout jeune sortant du système éducatif sans diplôme bénéficie d'une durée complémentaire de formation qualifiante qu'il peut utiliser dans des conditions fixées par décret » et qui « peut consister en un droit au retour en formation initiale sous statut scolaire ». Deux décrets du 5 décembre 2014 229 ( * ) et une circulaire 230 ( * ) ont précisé les contours de ce droit au retour en formation initiale, ouvert aux jeunes de seize à vingt-cinq ans qui possèdent au plus le diplôme national du brevet ou le CFG. La circulaire précise qu'une « attention particulière sera portée aux jeunes placés sous main de justice relevant de la protection judiciaire de la jeunesse, de l'enseignement en milieu pénitentiaire ou des unités pédagogiques régionales » 231 ( * ) .

(c) Les dispositifs relais : un partenariat entre l'éducation nationale et la PJJ

Les dispositifs relais - classes, ateliers et internats - sont des structures destinés à aider les élèves en voie de marginalisation scolaire et sociale, qui risquent de sortir de manière précoce et le plus souvent sans qualification du système scolaire. Ces élèves peuvent être absentéistes ou déscolarisés - pour un tiers d'entre eux - ou scolarisés de manière régulière mais en difficulté ou au comportement perturbateur 232 ( * ) .

Rattachés administrativement à un collège, les classes et ateliers relais accueillent de manière temporaire - quelques semaines - les élèves afin de mener auprès d'eux un travail de socialisation et de mise à niveau leur permettant de reprendre une scolarité ordinaire.

Les internats relais, qui se substituent aux établissements de réinsertion scolaire, ont vocation à prendre en charge « certains élèves en rupture plus profonde avec les exigences de la vie des établissements scolaires, ou en voie de déscolarisation », pour lesquels l'internat permet une prise en charge plus globale 233 ( * ) .

Avec les collectivités territoriales partenaires, la PJJ est fortement associée à ces dispositifs , auxquels elle consacrait 69 ETP en 2017. En lien avec l'assistant de service social, les éducateurs de la PJJ relient scolarité et prise en charge éducative, instaurent un lien avec les familles et les autres institutions concernées, participent aux réunions d'équipes et contribuent à l'élaboration du projet pédagogique et éducatif du dispositif.

En 2015-2016, 10 200 élèves ont été accueillis au sein de 355 classes relais et 135 ateliers 234 ( * ) ; 50 % des élèves accueillis présentent un retard scolaire, 43 % une scolarisation intermittente ou ont connu des absences supérieures à deux mois, 30 % au moins sont sous mesure éducative 235 ( * ) .

Les résultats de suivi des élèves pour l'année scolaire 2014-2015 indiquent qu'à l'issue de leur séjour en dispositif relais, 76 % sont retournés au collège, 14 % en lycée professionnel, 5 % en CFA ; 3 % ont intégré à part égale un établissement relevant du ministère chargé de la justice ou de la santé ; 1 % ont rejoint d'autres structures d'accueil et 1 % ont intégré la vie active 236 ( * ) . Toutefois, le CNESCO met en garde contre la fiabilité de ces chiffres, rappelant que « les évaluations réalisées par l'institution elle-même ne permettent pas de connaître la situation d'un nombre important d'élèves dans l'année qui suit leur passage en dispositif (de 37 % à 50 % de réponses non renseignées) » 237 ( * ) .

L'évaluation de ces dispositifs par le CNESCO est relativement mitigée : si elle fait état d'un « rétablissement de la confiance en soi » des élèves, « le retour en formation ordinaire est difficile », du fait notamment du « caractère tardif de la prise en charge, généralement très proche de la fin de la scolarité obligatoire, et enfin les lacunes importantes de ces élèves en matière de compétences scolaires » 238 ( * ) .

2. La prévention de la délinquance des mineurs

On distingue classiquement trois niveaux dans la politique de prévention de la délinquance :

- la prévention primaire , générale, qui porte sur l'environnement, elle prend la forme de programmes de cohésion sociale, urbaine et économique ; la stratégie gouvernementale 2013-2017 de prévention de la délinquance y inclut une approche dite situationnelle et le développement de la vidéo-protection 239 ( * ) ;

- la prévention secondaire , tournée vers les publics les plus exposés à un premier passage à l'acte délinquant ;

- enfin, la prévention tertiaire , qui vise à prévenir la récidive des auprès des mineurs délinquants.

a) Le maire au coeur de la prévention de la délinquance

La politique interministérielle de prévention de la délinquance et, depuis 2014, de la radicalisation, est pilotée au plan national par le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), présidé par le Premier ministre. Son financement spécifique est assuré par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), doté pour 2018 de 72,7 millions d'euros, dont 38 millions consacrés à la prévention de la délinquance 240 ( * ) .

La stratégie nationale de prévention de la délinquance 2013-2017

La stratégie nationale de prévention de la délinquance 2013-2017, qui fixait les orientations de la politique de prévention de la délinquance, se déclinait en trois volets :

- un programme d'actions à l'intention des jeunes exposés à la délinquance, ayant pour objectif « d'éviter le basculement et l'enracinement des jeunes dans la délinquance », par le soutien aux familles et à la parentalité, la protection de l'enfance en danger, la prévention du décrochage scolaire, des actions de promotion de la citoyenneté et des mesures contre la récidive ;

- un programme d'actions pour améliorer la prévention des violences faites aux femmes, des violences intrafamiliales et l'aide aux victimes ;

- un programme d'actions pour améliorer la tranquillité publique, notamment par la prévention spécialisée et la vidéo-protection.

La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a consacré la responsabilité centrale des maires en matière de prévention de la délinquance 241 ( * ) .

Elle a rendu obligatoire la création des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD ou CISPD) dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans celles comportant une zone urbaine sensible. Le CLSPD constitue l'instance de référence en matière de prévention de la délinquance et associe à ce titre les administrations concernées.

Le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance

Présidé par le maire, le CLSPD « constitue le cadre de concertation sur les priorités de la lutte contre l'insécurité et la prévention de la délinquance dans les communes » (article D. 132-7 du code de la sécurité intérieure).

Sa composition, fixée par arrêté municipal, intègre des représentants du préfet, du procureur de la République, du conseil départemental, des services de l'État ainsi que d'associations, établissements ou organismes « oeuvrant notamment dans les domaines de la prévention, de la sécurité, de l'aide aux victimes, du logement, des transports collectifs, de l'action sociale ou des activités économiques ».

Un programme de travail partagé doit y être élaboré dans le cadre d'un plan local d'actions de prévention de la délinquance intégrant les orientations prioritaires de la stratégie nationale de prévention de la délinquance 2013-2017.

Des groupes de travail et d'échange d'informations à vocation territoriale ou thématique peuvent être mis en place, de manière ponctuelle ou pérenne. Il en est ainsi des cellules de coordination opérationnelle du partenariat (CCOP) ou des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) des zones de sécurité prioritaire (ZSP). La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales a ajouté la possibilité pour ces groupes de traiter, à la demande de l'autorité judiciaire, des questions relatives à l'exécution des peines et à la prévention de la récidive.

Source : ministère de l'intérieur

Par son pouvoir de police, le maire « concourt (...) à l'exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance » 242 ( * ) . Outre son rôle d'animation de la politique de prévention de la délinquance et de la coordination de sa mise en oeuvre, il peut effectuer un rappel à l'ordre , dans les conditions précisées à l'article L. 132-7 du code de la sécurité intérieure 243 ( * ) , ou proposer une transaction à un administré ayant commis une infraction relevant d'une contravention commise au préjudice de la commune, qui peut prendre la forme d'une indemnisation ou d'une activité non rémunérée au profit de la commune.

Votre rapporteur porte un regard mitigé sur ces évolutions : sollicités de toutes parts, les maires rencontrent souvent des difficultés pour assumer leurs responsabilités en la matière.

La concertation au sein des instances dédiées, dont les CLSPD, pâtit d'un formalisme excessif, au point de s'assimiler à une forme de « comitologie », au détriment de l'efficacité opérationnelle. Le colonel Jude Vinot, représentant de la direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN), insistait sur la nécessité que les CLSPD « prennent le temps de traiter des cas particuliers et ce, au-delà des déclarations d'intention, pour aller au fond des choses » 244 ( * ) .

Votre rapporteur note que le projet de police de sécurité du quotidien, présenté par le Gouvernement en février 2018, participera de la prévention primaire et secondaire de la délinquance, en particulier par la généralisation des opérations de prévention des forces de l'ordre auprès des élèves et par le renouvellement des partenariats au niveau local. Comme le décrivait M. Clément Vives, adjoint au conseiller judiciaire à la direction générale de la Police nationale (DGPN), « l'un des sujets abordés avec la création de la police de sécurité du quotidien est de redonner au chef de l'échelon territorial la possibilité de nouer les partenariats qui lui semble les plus adaptés. Il faut en effet limiter la comitologie qui freine, en définitive, les actions. L'idée est plutôt de développer des actions ponctuelles, via la collaboration avec le procureur » 245 ( * ) . Elle devrait permettre une action de police de proximité, comparable à celle décrite par M. Nicolas Sallée au Québec : « Les policiers québécois, appelés policiers communautaires, sont formés, connaissent leur territoire, et agissent tels des policiers de proximité. La délinquance juvénile est ainsi perçue différemment » 246 ( * ) .

La participation des forces de l'ordre à la prévention secondaire est également importante, à l'instar des brigades de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie ou des centres de loisirs jeunes mis en oeuvre par la DGPN. Au nombre de 29, dont huit temporaires et auxquels devraient s'ajouter huit nouveaux centres dont la création est prévue à l'horizon 2020, ces centres « accueillent des jeunes de huit à dix-sept ans issus des quartiers de la politique de la ville. Leur sont proposées des activités sportives et culturelles, via des partenariats spécifiques entre la PJJ et l'éducation nationale. Des policiers peuvent ainsi accueillir des élèves qui ont fait l'objet d'une expulsion temporaire de leur établissement et ainsi assumer une sorte de mission extrascolaire » 247 ( * ) .

b) Des initiatives intéressantes pour améliorer la réponse institutionnelle au premier acte délinquant et prévenir la récidive

Les prérogatives du maire, en particulier le rappel à l'ordre , peuvent permettre de sanctionner des comportements ne relevant pas de poursuites judiciaires et de donner un coup d'arrêt à une possible trajectoire délinquante.

Pendant son audition, Mme Sophie Diehl, conseillère technique à la Fédération des associations socio-judiciaires Citoyens et Justice, a relevé que « que beaucoup de mesures alternatives aux poursuites ne méritent pas un traitement judiciaire et peuvent relever du maire (...) . On s'aperçoit que la proximité avec leurs administrés leur offre une certaine légitimité et permettrait de résoudre des problèmes en amont de l'infraction, pour des faits ne nécessitant pas un suivi éducatif important ». Elle a cité notamment l'exemple de la ville de Limoges, qui « travaille sur un contrat citoyen afin d'accompagner durant six mois les jeunes de six ans à treize ans chez qui l'on détecte une vulnérabilité importante. Il est encore trop tôt pour recourir au judiciaire, qu'il s'agisse du civil ou du pénal, mais leur rôle de prévention peut être intéressant » 248 ( * ) .

La mission a eu connaissance d'initiatives intéressantes en la matière, qui participent pleinement de la prévention tertiaire ; il s'agit en particulier du rappel à la responsabilité des mineurs (RRM) mis en oeuvre par la Gendarmerie nationale dans certains départements. Visant à ne laisser aucun acte sans réponse, le RRM « consiste en l'accueil du mineur auteur d'un acte d'incivilité ou d'un acte de délinquance mineur ne faisant pas l'objet d'une enquête judiciaire, afin de le sensibiliser, en présence de ses représentants légaux, aux conséquences notamment pénales de son acte. Il vise ainsi à prévenir la réitération de comportements déviants. Une orientation dans un cadre partenarial peut être donnée. Ce procédé s'inscrit parfois dans le cadre d'un protocole conclu avec l'autorité judiciaire ou a minima est mené en lien avec les magistrats chargés des mineurs » 249 ( * ) .

Une autre initiative, citée par le colonel Jude Vinot lors de son audition devant la mission, consiste en « l'accueil d'un groupe de mineurs récidivistes, de quinze à dix-huit ans, dans une brigade de gendarmerie, située dans les Pyrénées Orientales. Ceux-ci, dans un cadre légal contraignant, deviennent acteurs de la préservation du littoral, accompagnés par la PJJ et les gendarmes. Aucun désistement n'a été constaté et tous les mineurs concernés ont retrouvé une scolarité, à l'issue de cette période. Pour le moment, aucune réitération n'a été constatée parmi les membres de ce groupe » 250 ( * ) .

Votre rapporteur souligne la nécessité de donner une réponse adaptée à chaque acte, même mineur, sans pour autant judiciariser chaque fait. De telles initiatives permettent de donner un coup d'arrêt à une trajectoire délinquante, épargnant à la société comme au jeune un coût considérable.

La mission souhaite enfin attirer l'attention sur l'intérêt des mesures de justice restaurative , sur lesquelles Mme Sophie Diehl, conseillère technique à la Fédération des associations socio-judiciaires Citoyens et Justice, a insisté lors de son audition. La justice restaurative a reçu une consécration législative à l'occasion de la loi du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, qui a introduit un nouvel article 10-1 dans le code de procédure pénale.

Selon cet article, constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. La justice restaurative apporte ainsi un apaisement à la victime - grâce à la réparation des dommages, des préjudices et de la souffrance qu'elle a subie -, mais aussi pour la société qui a été perturbée par la commission de l'infraction, enfin pour l'auteur, qui joue un rôle actif dans la réparation due à la victime et dans sa propre réinsertion sociale. Il est à noter que le succès ou l'échec d'une mesure de justice restaurative est sans incidence sur les indemnités qui peuvent être allouées à la victime par la justice ni sur la sanction pénale infligée à l'auteur.

3. La détection précoce des troubles psychiatriques

Votre rapporteur a déjà traité de ce sujet important dans son rapport de 2017 sur la pédopsychiatrie, dont les conclusions demeurent d'actualité.

Il rappelle que, dès 2010, un avis du Conseil économique, social et environnemental soulignait que « les progrès au niveau des prises en charge des enfants et des adolescents [atteints de troubles psychiatriques] n'ont pas été accompagnés de progrès équivalents dans le repérage des premiers signes » 251 ( * ) , ce qui retarde d'autant le diagnostic et le traitement précoce et donc entraîne une perte de chance pour les enfants. Sont en cause surtout la formation insuffisante des professionnels, ainsi que les réseaux de proximité insuffisamment développés 252 ( * ) .

La mission d'information du Sénat relative à la situation de la psychiatrie des mineurs en France 253 ( * ) s'était attachée à recenser les difficultés principales du repérage.

L'efficacité de ce repérage est en grande partie conditionnée par la coopération des différents acteurs appelés à intervenir auprès du mineur au fur et à mesure de son avancée en âge. Il apparaît par conséquent nécessaire d'assurer la diffusion la plus large possible d'instruments communs auprès des professionnels concernés , en particulier dans le cadre scolaire (psychologues, infirmiers, médecins) et dans les services de protection maternelle et infantile (PMI) (psychologues, infirmiers, sages-femmes, travailleurs sociaux).

4. Le rôle du secteur médico-social

Votre rapporteur est convaincu que les institutions du secteur social et médico-social peuvent contribuer à la prévention de la délinquance ou à la prévention de la récidive, de même qu'elles peuvent apporter un environnement propice au développement de mineurs souffrant de troubles du comportement.

Il est en particulier sensible au travail réalisé dans le cadre des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). Les Itep accueillent des enfants, adolescents ou jeunes adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l'expression, notamment l'intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l'accès aux apprentissages. Le placement en Itep est habituellement décidé par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) mais il peut plus exceptionnellement être décidé par le juge des enfants dans le cadre d'une mesure de placement.

L'Itep offre aux jeunes qu'il accueille une prise en charge pluridisciplinaire, avec un accès aux soins et un projet thérapeutique, des activités éducatives adaptées, des apprentissages scolaires et pré-professionnels personnalisés et un soutien aux parents et aux proches.

En avril 2018, une délégation de la mission a visité l'Itep des Cadeneaux, sur le territoire de la commune des Pennes-Mirabeaux, dont votre rapporteur a été le maire pendant dix-sept ans. L'Itep, qui dispose d'une capacité de 99 places, dont 54 en internat, accueille des jeunes de onze à vingt ans. Il est particulièrement investi dans l'accueil des jeunes suivis par la PJJ puisque ce public représente 10% de son effectif ; la moyenne dans les Itep est plutôt de l'ordre de 3%.

La délégation de la mission a apprécié les moyens mis en oeuvre pour dispenser une formation aux jeunes, dans une perspective de pré-apprentissage. Un atelier boucherie, un atelier maçonnerie, un atelier mécaniques tentent de redonner aux jeunes le goût de l'apprentissage et de l'effort, tout en préparant leur future insertion professionnelle. Pour motiver les jeunes, la direction de l'Itep veille à ce que les travaux qui leur sont confiés soient utiles au fonctionnement de l'établissement.

L'apport des Itep pourrait être davantage valorisé pour traiter précocement des troubles du comportement susceptibles de favoriser la commission d'actes délinquants, ou pour travailler à la réinsertion de jeunes ayant déjà commis des actes délictueux.

B. CONFIRMER LA PRIMAUTÉ DONNÉE À L'ÉDUCATIF SUR L'ENFERMEMENT

Votre rapporteur est convaincu que les mineurs sont des êtres en devenir, qu'il est possible de faire évoluer grâce à un travail socio-éducatif approprié. Il lui paraît donc indispensable de confirmer, ou de réaffirmer, ce principe fondateur de l'ordonnance de 1945 et de la justice des mineurs : la primauté de l'éducatif sur le répressif, et en particulier sur les mesures d'enfermement.

Concrètement, il est possible d'agir sur trois leviers. D'abord, donner à la PJJ les moyens humains et matériels de nature à lui permettre d'assumer convenablement ses missions en milieu ouvert comme en milieu fermé. Ensuite, veiller à ce que les magistrats aient à leur disposition une palette diversifiée de structures et de dispositifs de manière à pouvoir apporter à chaque jeune une réponse adaptée à son profil et à son parcours ; cela suppose de ne pas concentrer tous les moyens sur le développement des centres éducatifs fermés et de réorienter certains crédits vers le milieu ouvert. Enfin, refondre l'ordonnance de 1945 afin de redonner toute sa cohérence au droit pénal des mineurs.

1. Conforter la protection judiciaire de la jeunesse dans ses missions

La protection judiciaire de la jeunesse est l'administration du ministère de la justice chargée de l'ensemble des questions relatives à la justice des mineurs et de l'exécution des mesures qui lui sont confiées par les juges des enfants. Elle est donc en première ligne pour conduire le travail de réinsertion des mineurs sous main de justice. Elle ne peut mener à bien cette mission difficile si elle ne dispose pas des moyens adéquats et de la confiance des responsables publics.

Il n'est pas inutile de rappeler les grandes lignes de l'histoire de la PJJ afin de mieux comprendre les enjeux auxquels elle fait face aujourd'hui.

a) De l'investissement dans le champ de l'assistance éducative au retour au pénal

La PJJ est instituée par une ordonnance du 1 er septembre 1945 : elle s'appelle alors l'éducation surveillée et est détachée de l'administration pénitentiaire, dont elle formait auparavant une sous-direction. L'ordonnance est complétée par un décret du 16 avril 1946 qui précise dans quelles conditions le secteur privé est associé à cette mission.

La création de l'éducation surveillée s'accompagne de celle d'un corps d'éducateurs spécifique , distinct de celui des éducateurs spécialisés, dont le premier statut est fixé par un décret du 10 avril 1945. Aux côtés des autres professionnels de la PJJ - personnel d'encadrement, professeurs techniques, assistants de service social, psychologues, infirmiers - les éducateurs mènent auprès des jeunes un travail socio-éducatif en vue de leur réinsertion.

Dans les années d'après-guerre se développe un modèle de justice dit « protectionniste » ou « thérapeutique », par opposition à une justice répressive, auquel l'éducation surveillée prend toute sa part. L'éducation surveillée gère les grands internats, installés à la campagne, qui avaient été ouverts avant-guerre. Elle met en place des centres d'observation destinés à connaître la personnalité des mineurs.

En 1951, le centre de formation et d'études de l'éducation surveillée (CFEES) est créé à Vaucresson ; il deviendra le lieu privilégié de formation des méthodes éducatives de prises en charge des mineurs délinquants, contribuant à la diffusion d'une culture commune aux juges des enfants et aux éducateurs de justice. Il contribue à forger l'identité professionnelle des éducateurs de l'éducation surveillée : comme l'écrit M. Nicolas Sallée, « face aux positions majoritairement anti-intellectualistes défendues par les éducateurs spécialisés 254 ( * ) , l'éducation surveillée a très tôt fait le choix inverse, misant pour sa profession d'éducateur, à l'image des instituteurs d'État, sur une logique de savoirs et de qualifications » 255 ( * ) . L'objectif est de doter les éducateurs d'une solide culture générale afin qu'ils puissent ensuite acquérir et utiliser dans leur pratique professionnelle des savoirs issus du droit et de la criminologie, de la psychologie ou encore de la pédagogie.

En 1952, les institutions spéciales de l'éducation surveillée sont créées par décret pour prendre en charge les mineurs les plus difficiles et un arrêté organise la postcure à la sortie des internats, pour préparer le jeune à son retour dans sa famille (foyers de semi-liberté).

Le 23 avril 1956 est publié le nouveau statut des éducateurs de l'éducation surveillée, inspiré de celui des instituteurs de l'éducation nationale. Cette amélioration de leur statut leur confère une reconnaissance supplémentaire, certains auteurs allant jusqu'à parler de l'émergence, au tournant des années 1960, d'une « aristocratie éducative » 256 ( * ) .

L'ordonnance du 23 décembre 1958 marque une étape importante dans l'histoire de la justice des mineurs et de l'éducation surveillée puisqu'elle élargit la compétence des juges des enfants aux mineurs en danger. L'objectif est d'étendre à ces mineurs , qui n'ont pas commis d'infraction, les capacités d'action éducative et de protection que mobilise l'éducation surveillée dans le champ pénal . Cette réforme a eu un impact profond sur la culture professionnelle de l'éducation surveillée puis de la PJJ : pour reprendre les mots de notre ancien collègue Jean-Pierre Michel, « l'action éducative sous mandat judiciaire prend de ce fait des distances avec la contrainte, la contention, la répression » 257 ( * ) .

Dans les années 1970 , la conception protectionniste de la justice des mineurs est affirmée avec encore plus de force. Pour l'historienne Véronique Blanchard, auditionnée par la mission, cette période a constitué une « rupture marquante » en ce sens que « la philosophie du préambule de l'ordonnance de 1945 est réellement appliquée au quotidien auprès des jeunes, durant ce mouvement très particulier de la fin des Trente Glorieuses ».

La contestation apparue dans le sillage de 1968 favorise l'émergence au sein de l'éducation surveillée d'une critique de l'ordre pénal et de l'ordre judiciaire, perçus comme les soutiens d'un ordre social inégalitaire.

Dans ce contexte idéologique, la note d'orientation de la directrice de l'éducation surveillée, Mme Simone Rozès, publiée en 1975 insiste sur l'idée que l'acte délinquant est avant tout la conséquence de difficultés personnelles, familiales ou sociales , qu'il convient avant tout de traiter. Cette note encourage le développement des prises en charge en milieu ouvert, dans le cadre d'une évolution plus générale tendant à privilégier le milieu ouvert tant dans le domaine médico-social, hospitalier que dans la politique du handicap, et le remplacement des grands internats par de petits foyers d'action éducative situés en zone urbaine.

Il en a résulté une autonomisation accrue de l'action éducative par rapport au mandat judiciaire 258 ( * ) , l'administration de l'éducation surveillée laissant une large place aux initiatives locales des éducateurs et des professeurs techniques. En 2003, la Cour des comptes est allée jusqu'à évoquer une culture de « l'automissionnement » 259 ( * ) .

En parallèle, les effectifs d'éducateurs augmentent : alors qu'ils n'étaient que 250 en 1947, ils sont 3 000 en 1980 pour gérer 200 services et établissements. Le secteur privé habilité se développe également, passant de 100 à 900 établissements habilités entre 1948 et 1978.

La fin de la période de forte croissance des Trente Glorieuses a rendu plus difficile l'insertion sociale des jeunes, ce qui semble avoir entraîné, concomitamment, un changement de perception de la délinquance juvénile.

En 1976, M. Alain Peyrefitte prend la tête d'un comité d'études sur la violence, la criminalité et la délinquance qui propose de nombreuses recommandations, mais qui fait aussi le constat que certaines personnes peuvent se sentir oppressées par l'insécurité alors qu'elles en sont très éloignées. La même année, M. Jean-Louis Costa, qui fut le premier à occuper le poste de directeur de l'éducation surveillée en 1945, publie un rapport qui constate la disparition progressive des mesures éducatives exercées à partir d'une infraction pénale.

Ce constat est confirmé en 1986 par un rapport d'audit remis au ministre de la justice M. Albin Chalandon, qui constate que l'éducation surveillée prend en charge massivement des enfants en danger au titre de l'assistance éducative, au détriment des mineurs délinquants. En 1984, le rapport de la commission de réforme du droit pénal des mineurs présidée par M. Pierre Martaguet insiste sur la reconnaissance de la responsabilité pénale des mineurs et sur la nécessité de concilier action éducative au long, réaction sociale face à un acte de délinquance et réparation du dommage causé aux victimes.

• Ces travaux ont préparé l'inflexion amorcée dans les années 1990 , dans le sens d'une justice des mineurs plus répressive et d'une PJJ recentrée sur la prise en charge des mineurs délinquants.

Le changement de nom de l'éducation surveillée, rebaptisée protection judiciaire de la jeunesse par un décret du 21 février 1990, coïncide avec la définition de nouvelles orientations.

Pour lutter contre le sentiment d'impunité, les circulaires du Garde des Sceaux au début des années 1990 recommandent que chaque acte délictueux reçoive une réponse pénale . Des mesures jusqu'alors réservées aux majeurs, comme le sursis avec mise à l'épreuve ou le travail d'intérêt général, sont étendues aux mineurs. La loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale introduit la mesure de réparation qui poursuit une visée restauratrice attachée au rétablissement du lien social. En 1996, la procédure de convocation par officier de police judiciaire et les convocations à délai rapproché sont instituées pour accélérer la réponse pénale, tandis que sont ouvertes les premières unités à encadrement éducatif renforcé (UEER), perçues par les professionnels de la PJJ comme des structures à visée plus répressive qu'éducative.

Des changements sont introduits, à la même époque, dans la formation initiale des éducateurs de la PJJ. Un arrêté du 11 mars 1992 transforme le centre de formation et d'étude de Vaucresson en Centre national de formation et d'étude de la PJJ (CNFE-PJJ). Les programmes sont refondus, offrant une place croissante aux enseignements théoriques, un partenariat étant d'ailleurs conclu avec l'Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines, et recentrés sur la spécificité d'une action éducative dans le cadre d'une décision de justice. Un arrêté du 27 mars 1992 rehausse le niveau de diplôme requis pour accéder au corps des éducateurs de la PJJ, qui passe du niveau bac au niveau bac + 2.

La circulaire de la directrice de la PJJ, Mme Sylvie Perdriolle, en date du 24 février 1999, prolonge ces orientations. Elle assigne comme mission principale à la PJJ la prise en charge des mineurs délinquants et invite à mieux distinguer l'action éducative conduite auprès de ces mineurs délinquants de celle menée auprès des mineurs en danger, les premiers devant prendre conscience de leur responsabilité dans l'acte commis. En conséquence, la part des mesures civiles d'assistance éducative, qui représentait les deux tiers de l'activité de la PJJ en 1994, n'en représente plus que 30 % dès 1998.

Un effort important est consenti concernant les moyens alloués à la PJJ qui voit ses crédits de fonctionnement progresser de 38 % dans la seconde moitié des années 1990. Ces crédits permettent d'envisager l'ouverture de nouvelles structures : en janvier 1999 est décidée l'ouverture de 100 centres éducatifs renforcés et de 50 centres de placement immédiat.

•Dans les années 2000 , le tournant plus répressif de la politique pénale des mineurs s'accentue, ce qui a naturellement un impact sur les activités de la PJJ.

En 2004, la PJJ devient compétente pour la préparation et la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures pénales, y compris les aménagements de peine pour les mineurs incarcérés. La PJJ investit le champ de l'action éducative sous contrainte dans les EPM ou dans les CEF.

À partir de 2007, sous l'effet de nouvelles orientations politiques et dans un contexte de contrainte budgétaire résultant de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la PJJ a accéléré son désengagement de l'assistance éducative et de l'aide aux jeunes majeurs, parachevant ainsi son « recentrage » sur le péna l, qui ne va pas sans poser des difficultés pour la continuité du parcours des jeunes sous main de justice comme on le verra dans la suite de ce rapport.

En 2009, le CNFE-PJJ de Vaucresson devient l'école nationale de la PJJ (ENPJJ). L'école est délocalisée à Roubaix, où elle noue un partenariat avec l'Université Lille-III. À partir de 2003, la direction de la PJJ introduit de nouvelles voies d'accès à la profession d'éducateur, dans le but de diversifier les profils des éducateurs ; aux traditionnels concours interne et externe s'ajoutent un concours sur titre, pour les candidats titulaires d'un diplôme dans le travail social, notamment le diplôme d'État d'éducateur spécialisé, et un concours dit « troisième voie » ouvert aux personnes pouvant justifier de cinq années d'expérience dans le travail social.

Entre 2008 et 2012, les crédits de la PJJ diminuent de 6 % ; si les dépenses de personnel évoluent peu, les crédits de fonctionnement reculent de 16 % et les crédits affectés au secteur associatif de 21 %. Cette baisse des crédits a été rendue possible par le désengagement du champ de l'assistance éducative, mais aussi par une rationalisation administrative de grande ampleur.

b) Une organisation administrative rationalisée

Depuis le 1 er janvier 2009, les quinze directions régionales et les 100 directions départementales sont regroupées dans neuf directions interrégionales (DIR) et 54 directions territoriales (DT).

Cette nouvelle organisation a permis de clarifier la répartition des compétences entre les différents échelons, en confiant les fonctions support aux DIR (gestion des moyens humains et financiers), ainsi que la fonction de contrôle des établissements et services et le pilotage des relations avec tous les acteurs impliqués dans la protection de la jeunesse (autorités judiciaires, services de l'État, collectivités territoriales).

Elle a également donné à chaque direction une masse critique qui augmente les possibilités de mutualisation, de redéploiements et d'arbitrages budgétaires.

Cette rationalisation a permis de réduire les effectifs de la PJJ sans ponctionner excessivement les effectifs d'éducateurs : selon la Cour des comptes 260 ( * ) , la réorganisation territoriale a permis d'absorber les deux tiers des allègements d'effectifs demandés dans le cadre de la RGPP.

Sans méconnaître les économies réalisées, plusieurs membres de la mission ont cependant témoigné du sentiment d'éloignement et d'abandon des territoires ruraux qui a résulté de cette restructuration. Et les personnels de la PJJ se plaignent parfois des temps de transport accrus pour se rendre à la DT ou la DIR. On ne peut que regretter enfin que la carte administrative de la PJJ ne coïncide finalement ni avec la carte judiciaire, ni avec celle de l'implantation des services de l'Etat ni avec le découpage de la France métropolitaine en treize grandes régions, ce qui ne facilite pas le dialogue interinstitutionnel.

c) Un renforcement des moyens dans le cadre de la prévention de la radicalisation

À partir de 2012, les moyens affectés à la PJJ sont repartis à la hausse. Ses effectifs ont notamment augmenté à la suite des décisions prises dans le cadre des différents plans de prévention de la radicalisation et de lutte contre le terrorisme.

En 2012 et en 2013, la hausse des effectifs est restée modeste : 38 équivalents temps plein (ETP) la première année et 17 la seconde. L'accent a été mis sur la réduction des délais de prise en charge dans le milieu ouvert et l'accompagnement pédopsychiatrique dans les CEF.

L'effort a été de plus grande ampleur au cours des quatre exercices budgétaires 2014 à 2017 : une centaine d'emplois ont été créés la première année pour le renforcement des CEF et l'amélioration de la santé des mineurs ; 223 postes ont été créés la deuxième année, dont 163 au titre du premier plan de lutte contre le terrorisme (PLAT 1) ; les recrutements ont surtout concerné les postes de psychologue (76 créations de poste) et d'éducateurs (18 postes), mais on observe aussi l'embauche de 59 référents « citoyenneté et laïcité » ; la troisième année, 138 emplois ont été créés, dont 75 au titre du deuxième plan de lutte antiterroriste, PLAT 2 (principalement des éducateurs) ; enfin, en 2017, ce sont 165 emplois qui ont été créés, dont 145 au titre du plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART), pour renforcer les équipes d'éducateurs (115 postes) et de psychologues (trente postes).

Comme l'écrivait en 2016 notre collègue Cécile Cukierman, « la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a choisi de s'appuyer sur les moyens supplémentaires accordés par les PLAT 2 et PART pour renforcer les dispositifs de droit commun . Cette stratégie a été confirmée par le garde des Sceaux qui (...) a fait état de la nécessité d'abonder en moyens et personnels les services habituels de prise en charge afin de leur permettre, le moment venu, d'« avaler l'extraordinaire ». Aucun crédit n'est donc spécifiquement fléché sur des actions de prévention de la radicalisation. Aucun établissement n'a de même vocation à n'accueillir que des mineurs radicalisés » 261 ( * ) .

Au total, les crédits de la PJJ ont augmenté de 9% entre 2011 et 2017, malgré un environnement budgétaire très contraint, ce qui a permis de les ramener à leur niveau d'il y a dix ans.

Le budget 2018, en cours d'exécution, marque une stabilisation puisque seule la création de seize ETP est prévue, pour recruter des éducateurs. La loi de finances pour 2018 a alloué 857 millions à la PJJ en crédits de paiement.

En dépit de cette remise à niveau, les besoins restent importants, y compris en milieu ouvert où l'objectif fixé par la direction de la PJJ est que chaque éducateur suive 25 mineurs . Par comparaison, un délégué à la jeunesse à Montréal suit quatorze jeunes, ce qui permet un suivi plus intensif 262 ( * ) . Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné les délais importants constatés dans certains départements pour qu'un éducateur intervienne auprès du jeune. M. Marc Lifchitz, secrétaire général adjoint du syndicat Unité Magistrats, a ainsi déclaré qu' « en Seine-Saint-Denis, une mesure décidée par le juge des enfants va être mise en oeuvre dans un délai d'environ dix-huit mois. Dix-huit mois, c'est très long à l'échelle de la vie d'un adolescent ! ».

La mission a également constaté que, sans relever de la psychiatrie, beaucoup de mineurs sous main de justice sont en souffrance psychique, ce qui plaide pour un accompagnement par des psychologues en nombre suffisant. Cette dimension est prise en compte depuis longtemps part la PJJ comme l'atteste l'existence d'un corps des psychologues de la PJJ. Ce corps a vocation à devenir un corps commun ministériel géré par le secrétariat général du ministère de la justice.

C'est dans ce contexte que le Gouvernement a décidé, conformément à une promesse de campagne du président de la République, la création de vingt nouveaux CEF entre 2019 et 2022. Compte tenu du coût élevé de ces structures, on peut supposer que les moyens affectés à la PJJ vont continuer à progresser dans les années à venir. La mission d'information souhaite cependant insister sur la question de la répartition des moyens entre les différents types de prises en charge du mineur délinquant .

2. Réorienter une partie des moyens vers les places d'hébergement en milieu ouvert
a) Le déploiement des CEF s'est accompagné d'une réduction de l'offre alternative de la PJJ
(1) La pertinence de la réponse judiciaire procède de la diversité des solutions offertes par la PJJ

Afin de permettre une réponse adaptée à la situation de chaque jeune, la PJJ entretient une large palette de mesures et de structures, qui relèvent du secteur public , constitué de 216 établissements et services relevant directement du ministère de la justice, et du secteur associatif habilité , qui compte 1 023 établissements et services (dont 244 financés exclusivement par l'État) habilités et contrôlés par le ministère 263 ( * ) .

Les structures relevant du milieu ouvert, qui peuvent relever du secteur public comme du SAH, mettent en oeuvre les mesures d'investigation et de protection, les mesures et sanctions éducatives pénales (mesures de réparation, stages, travaux d'intérêt général), les activités de jour ainsi que l'intervention éducative auprès des mineurs incarcérés.

Les UEAJ

Les unités éducatives d'activités de jour (UEAJ) organisent des activités scolaires, professionnelles, culturelles et sportives adaptées aux mineurs qui font l'objet d'une décision judiciaire mise en oeuvre par un établissement ou un service du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse. Elles participent à la prise en charge des jeunes en vue de les préparer à l'accès aux dispositifs de socialisation et de formation de droit commun. Elles organisent, par ailleurs, l'exercice des mesures d'activité de jour ordonnées par l'autorité judiciaire.

Source : ministère de la justice

La PJJ dispose également d'une offre diversifiée en matière d'hébergement. Elle prend la forme :

- des foyers d'hébergement collectifs dits « traditionnels » : les unités éducatives d'hébergement collectif (UEHC), qui accueillent 10 à 12 mineurs âgés de 13 à 18 ans ;

- des CER et des CEF (cf. supra ) ;

- de l'hébergement dit « diversifié », qui regroupe un éventail de prises en charge tels que l'hébergement individuel en structure collective (foyer de jeunes travailleurs, résidence sociale, réseau des fermes d'accueil à dimension sociale) et l'hébergement en familles d'accueil, proposé par des bénévoles indemnisés 264 ( * ) .

La répartition des mineurs pris en charge par la PJJ au 31 mars 2018

Au 31 mars 2018, 61 391 jeunes étaient présents dans les établissements et services des secteurs public et associatif habilité de la PJJ, répartis comme suit :

- 23 212 en investigation : recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE) et mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE) ;

- 39 439 en milieu ouvert ;

- 2 435 en placement, répartis comme suit :

• 1 052 sont hébergés en foyers traditionnels, soit 43 % ;

• 627 accueillis en hébergement diversifié, soit 26 %

• 277 en CER, soit 11 % ;

• 479 en CEF, soit 20 %.

N.B. Un même jeune peut faire l'objet de plusieurs prises en charge concomitantes, par exemple en placement et en milieu ouvert.

Source : ministère de la justice

Les établissements de placement éducatif (EPE) sont des établissements de la PJJ regroupant au moins une unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) et plusieurs des structures présentées ci-dessus : unité d'hébergement diversifié (UEHD), centre éducatif renforcé (CER), voire une ou plusieurs unités éducatives d'activités de jour (UEAJ).

Une compréhension philosophique du milieu ouvert comme expression de la société de contrôle

Votre rapporteur s'est intéressé à l'analyse stimulante que le philosophe Olivier Razac propose du milieu ouvert, dans le prolongement des réflexions de Michel Foucault.

Pour Foucault, gouverner une population revient à agir sur toutes les variables qui guident son comportement général. Tout pouvoir est assimilable à un dispositif, c'est à dire à un système global associant une diversité de structures et d'acteurs (théories scientifiques, articles de loi, techniciens, collaborateurs, instruments technologiques, bâtiments et murs).

Le pouvoir est ainsi producteur de ce que Foucault désigne comme des « régimes d'énoncés », c'est à dire un ordre du discours qui impose un sens univoque à tout comportement et toute pensée, rejetant ainsi toute forme de déviance.

Si, comme l'écrit Olivier Razac « la prison est une machine répressive qui possède sa propre logique qui consiste à disposer une multiplicité d'individus de telle manière que l'on puisse dominer leurs actions » 265 ( * ) , l'évolution de la société tend à privilégier, notamment pour la petite et moyenne délinquance, des peines alternatives à cette privation de liberté. Ce changement de discours intervient, en France, durant les années 1970 : la délinquance est alors considérée comme une déviance ; les petits délinquants devenant des « coupables-victimes », ou encore des « individus déficients qu'il ne faut plus tant punir que traiter ou retraiter » 266 ( * ) .

Dès lors, le milieu ouvert, entendu comme « l'ensemble des peines de substitution à l'enfermement » 267 ( * ) , est privilégié comme mode de régulation de ce phénomène social. Loin de concourir à l'affirmation des libertés publiques, cette extension du milieu ouvert correspondrait à une « extension de la prison dans le corps social » du fait de ses caractéristiques.

En effet, le milieu ouvert, présenté comme une alternative offerte aux délinquants, repose sur un modèle contractuel ; chaque condamné est libre de la refuser et d'opter pour l'enfermement. Cependant, l'autonomie de la volonté et le consentement vicié de celui-ci, mis de fait sous tutelle en raison de la menace constante de l'incarcération pénale, posent problème ; « l'État étant toujours gagnant dans ce contrat, puisque que l'autre partie ne peut qu'accepter l'offre qu'il propose ou subir la peine qu'il impose » 268 ( * ) .

Davantage, le caractère méritoire, voire salvateur, du milieu ouvert renvoie également à l'affect du délinquant dont l'intériorisation des règles imparties à sa peine est exigée pour sa réinsertion : il s'agit de faire « amende honorable » et de pleinement acquiescer à une peine qualifiée de méritoire aux yeux de la société.

Ainsi, l'extension du milieu ouvert, pour certains observateurs s'inscrivant dans la continuité de Michel Foucault, reviendrait à « insérer le pouvoir de punir plus profondément encore dans le corps social » 269 ( * ) et participerait au renforcement du contrôle où la violence des rapports sociaux demeure présente et où le contrôle des individus dépasse l'enceinte de la prison - « le dedans » - pour caractériser « le dehors », c'est à dire la société dans sa totalité.

(2) Des structures fragilisées par le développement des CEF
(a) Le développement des CEF s'est largement fait au détriment des autres structures

L'ensemble des personnes interrogées a estimé que le développement des CEF, qui s'est effectué au détriment des autres structures de la PJJ, a fragilisé ces dernières . En 2013, la mission d'évaluation des CEF avait critiqué la création de CEF, non pas ex nihilo , mais par la conversion de structures existantes, notamment les UEHC, pointant deux risques : celui « d'appauvrir et de déséquilibrer la diversité de l'offre globale de placement proposée aux magistrats » et que, faute de structure à même de les prendre en charge en amont ou en aval du placement en CEF, « les efforts accomplis par un mineur et l'investissement de l'ensemble des intervenants soient compromis » 270 ( * ) . À partir d'une enquête menée auprès des magistrats, la mission rappelait leur souhait « de disposer d'un panel diversifié et individualisé, notamment dans le cadre de prises en charge alternatives aux structures collectives » : davantage que sur les CEF, étaient cités comme structures « manquantes » les lieux de vie relevant de l'hébergement diversifié, les familles d'accueil, les CER et les EPE 271 ( * ) .

Ce constat rejoignait la mise en garde émise en 2011 par MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet : « l'attention particulière portée par les pouvoirs publics aux centres éducatifs fermés ne doit pas conduire à délaisser le dispositif des foyers classiques - aujourd'hui désignés sous le nom d'établissements de placement éducatif (EPE). Ceux-ci offrent en effet un mode de prise en charge adapté à certains mineurs délinquants qu'il importe d'extraire de leur environnement habituel sans que, pour autant, ils présentent des difficultés telles qu'un placement en centre fermé soit nécessaire » 272 ( * ) .

Dans un contexte de maîtrise, voire de réduction, des budgets alloués à la PJJ, la création des CEF, compte tenu de leur coût, n'a pu se faire - au moins en partie - qu'au détriment des autres structures, dont le coût est sensiblement plus faible : ainsi, le coût pour la puissance publique d'une journée en famille d'accueil ou en UEHD est bien inférieur (il s'élevait en 2014 en moyenne à 155 euros par journée par mineur accueilli) 273 ( * ) .

Coût des mesures judiciaires par journée (en euros)

2015

2016

2017

Mesure de milieu ouvert ou d'investigation

12,6

12,9

12,9

EPE-UEHC

533

557

560

CER

542

519

563

CEF

649

659

661

N.B. Les chiffres concernent les secteurs public et associatif habilité, à l'exception des mesures de milieu ouvert ou d'investigation, qui ne relèvent que du secteur public

Source : RAP 2017

Entendus par la mission, les représentants syndicaux de la PJJ ont corroboré ce constat, à l'instar de M. Thierry Tame, secrétaire général adjoint de l'UNS-CGT-PJJ, qui déplorait « la diminution du nombre de places d'hébergement en milieu ouvert, tant dans le secteur public que dans le secteur associatif habilité . Certains établissements dans le secteur public ont été transformés en CEF et la loi de finances pour 2018 a programmé la suppression de 58 places dans le secteur associatif. Les centres éducatifs renforcés (CER) sont également de moins en moins nombreux. Dans ces conditions , les possibilités qui s'offrent à nous de trouver une solution adaptée pour chaque jeune se raréfient » 274 ( * ) .

Mme Sophie Diehl, conseillère technique à la Fédération des associations socio-judiciaires Citoyens et Justice, constatait que « le dispositif global diversifié est sacrifié sur l'autel des CEF (...). Le placement éducatif diversifié au pénal a diminué de 39 % entre 2010 et 2018, au profit notamment de l'augmentation du nombre de placements en CEF. En comparaison, nous sommes passés de 2010 à 2018 de 300 000 journées financées à seulement 180 000 journées, soit une baisse de 120 000 journées et de 16,8 millions d'euros pour le placement éducatif diversifié. Sur la même période, les CEF sont passés de 97 000 journées financées à 130 000 journées, soit une augmentation de 33 000 journées et 12,7 millions d'euros supplémentaires. Résultat : moins de jeunes accompagnés, dans des structures moins diversifiées, moins adaptées et plus stigmatisantes : un jeune qui sort de CEF garde une étiquette dont il lui est difficile de se débarrasser, et pour un coût beaucoup plus important » 275 ( * ) .

(b) Des structures sous tension

Outre qu'il est nettement moins onéreux que le placement, le suivi en milieu ouvert, comme le rappelait le directeur interrégional de la PJJ d'Île-de-France et de l'outre-mer, peut s'avérer plus adapté pour certains jeunes, pour lesquels le placement est parfois « un traumatisme » et un « arrachement au foyer » 276 ( * ) .

Les professionnels pointent cependant des conditions de travail difficiles en milieu ouvert, liées à un manque d'effectifs. Le taux d'activité constaté en 2016 dans les unités éducatives de milieu ouvert relevant de la PJJ s'établissait à 27 jeunes suivis par emploi équivalent temps plein travaillé (ETPT) d'éducateur , soit un chiffre supérieur au taux de référence, fixée à 25 jeunes.

Les UEHC connaissent également des difficultés importantes , quoique d'une autre nature. Leur coût également élevé (560 euros par journée par mineur accueilli) s'explique en partie par un taux d'occupation faible (69 % en 2017) et très en-deçà du taux de prescription (87 %, soit 18 points d'écarts) 277 ( * ) . Cette différence s'explique principalement par les problèmes liés au comportement des mineurs placés dans ces structures ouvertes, moins contenantes que les CEF ; Mme Sophie Diehl, rappelait que ces structures « ont beaucoup de mal à fonctionner . Le fait d'être passé au tout pénal en 2007 a eu de graves répercussions sur la façon dont on travaille dans ces unités » 278 ( * ) .

Les inspections générales se faisaient en 2013 l'écho de certains magistrats qui estimaient que « la situation actuelle des EPE leur semblait problématique, beaucoup stigmatisant leur caractère insuffisamment contraignant » 279 ( * ) ; Mme Sophie du Mesnil-Adelée, inspectrice de la PJJ observait que « les mineurs y circulent librement et parfois s'en vont, si bien que certains les appellent les « foyers passoires » » 280 ( * ) .

S'agissant des familles d'accueil, dont la qualité du travail a été établie par un rapport de l'inspection générale des services judiciaires d'octobre 2012 281 ( * ) et saluée par de nombreux intervenants, les services de la PJJ connaissent des difficultés importantes pour entretenir et étendre le vivier de familles bénévoles . Comme l'observait notre collègue Josiane Costes, « la recherche de familles d'accueil s'avère difficile, en partie en raison des inquiétudes et réticences que peut susciter, pour une famille, l'accueil d'un mineur délinquant, mais aussi en raison d'un statut et d'un niveau d'indemnisation peu incitatifs » 282 ( * ) .

(c) Le secteur associatif habilité : une complémentarité à préserver

Comme le rappelaient la Cour des comptes et notre collègue Josiane Costes, le secteur associatif habilité a vu son activité réduite par le recentrage de la PJJ sur ses missions pénales et les crédits qui lui sont alloués - hors CEF - diminuer de manière régulière et continue .

Évolution des crédits « autres hébergements » du secteur associatif habilité*

2013

2014

2015

2016

2017

2018(p)

48

46,7

41,5

38,6

38,2

38,6

Source : commission des lois du Sénat sur la base des réponses au questionnaire budgétaire

*somme de « l'hébergement 45 exclusif de l'État » et de « l'hébergement 45 conjoint »

Cette évolution a été regrettée par un grand nombre de professionnels interrogés, alors même que, comme le rappelait Mme Sophie Diehl, la souplesse qui leur est propre en fait des terreaux d'innovation, dont la complémentarité avec le secteur public est utile et bénéfique . Mme Sophie Bouttier-Veron, vice-présidente du tribunal pour enfants de Marseille en charge du milieu fermé et vice-présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), déplorait « la possibilité de plus en plus réduite de recourir aux foyers privés habilités . Ce sont des lieux où l'on s'occupe des jeunes sans la contrainte de l'enfermement à un âge où ils peuvent encore évoluer » 283 ( * ) .

b) Pour une autre répartition des moyens
(a) Le CEF doit s'inscrire dans une offre globale, cohérente et progressive

Votre rapporteur estime que le CEF, s'il peut être une solution pertinente pour les jeunes les plus difficiles, ne constitue pas une « solution miracle » . Du fait du caractère ponctuel de la prise en charge qu'ils proposent, le maintien d'une large palette de solutions de suivi et de placement est nécessaire à leur succès .

Lors de son audition par la mission d'information, Mme Sophie du Mesnil-Adelée rappelait à juste titre que « le CEF n'est en effet qu'un mode d'accueil parmi d'autres, non un modèle unique à imposer . La PJJ a besoin d'une palette variée de solutions de placement, à l'instar des familles d'accueil ou des établissements de placement éducatif. Au sein de cette offre, le CEF est pertinent et adapté pour ce pour quoi il fut conçu - l'accueil des multirécidivistes - mais il ne doit pas la vampiriser de par son coût » 284 ( * ) .

La part croissante des CEF dans l'offre d'hébergement de la PJJ entraîne le risque que ces derniers deviennent une solution de placement banalisée ou utilisée par manque de places dans un autre type, plus adapté, d'établissement , ce qui ne constituerait pas le gage d'une utilisation efficiente de ces ressources ; les CEF doivent demeurer une solution parmi d'autres. Faute d'autres modes de placement disponibles, le travail réalisé en CEF pourrait également être perdu, faute d'accompagnement adapté à l'issue du séjour.

(b) Ouvrir un nombre de CEF plus réduit

Le Gouvernement a annoncé la création de vingt CEF d'ici à 2022, pour un coût estimé à 40 millions d'euros, dont l'étude d'impact du projet de loi de programmation pour la justice ne justifie pas de la nécessité , au-delà de la seule « forte demande sociale de contrôle et de sécurité » à laquelle répondent ces établissements 285 ( * ) . Une telle extension du dispositif ne semble toutefois pas correspondre aux besoins réels de la PJJ .

En 2013, au terme d'une analyse menée tant à la lumière des places « manquantes » en CEF et des besoins exprimés par les directeurs interrégionaux de la PJJ, les inspections générales concluaient que, dans le cadre du développement du dispositif, l'ouverture de treize CEF supplémentaires pouvait être envisagée 286 ( * ) ; les CEF en activité étaient au nombre de 45 à l'époque, soit une cible de 58 CEF . Ces nouveaux centres devaient être concentrés au plus près des besoins, particulièrement en Île-de-France et dans le Sud-Est, et l'un d'entre eux, au Sud de la Loire, devait être dédié à l'accueil des jeunes filles.

Cinq ans plus tard, sept CEF ont été créés, portant le total des CEF en activité à 52 . Le CEF supplémentaire dédié à l'accueil des jeunes filles n'a pas été ouvert, la PJJ ayant « estimé inopportun de spécialiser un deuxième établissement au nom du principe de mixité qui est réaffirmé dans le projet de circulaire d'application des arrêtés portant cahier des charges des CEF » 287 ( * ) .

Comme le rappelait la Cour des comptes, « ni les besoins en nombre de places de CEF, ni les conséquences de leur substitution aux places d'hébergement traditionnel n'ont fait l'objet d'une évaluation approfondie lors de leur création en 2002 » 288 ( * ) ; la mission d'évaluation de 2013 rappelait que, sans aucun fondement statistique, l'étude d'impact de la loi du 10 août 2011 annonçait déjà la création de vingt CEF supplémentaires par rapport aux 45 déjà existant 289 ( * ) .

Votre rapporteur note qu'il n'existe pas d'indice permettant de conclure à une saturation du dispositif dans sa configuration existante : le taux de prescription des CEF ne dépasse pas 85 %, pour un taux effectif d'occupation de 78 % 290 ( * ) . Sans méconnaître les difficultés structurelles propres aux CEF, leur taux d'occupation peut encore être optimisé, de même que les durées de séjour, en moyenne de 3,9 mois.

Au vu des éléments présentés ci-dessus, la création de vingt CEF supplémentaires - soit une cible de 72 CEF en activité - peut donc paraître excessive .

Votre rapporteur estime qu'une cible de 60 CEF en activité, soit huit CEF supplémentaires et deux de plus que la cible fixée en 2013 par les inspections générales, pourrait être suffisante pour répondre aux besoins .

Parmi ces huit CEF, cinq seraient créés en Île-de-France et dans le Sud-Est , régions qui demeurent déficitaires, ainsi qu'un centre en Martinique et un autre en Guyane , ces collectivités n'en comptant pas à ce jour 291 ( * ) . Enfin, un CEF dédié à l'accueil des jeunes filles serait créé dans le Sud de la France , conformément aux recommandations des inspections générales.

Sans remettre en cause le principe de mixité des hébergements, votre rapporteur considère qu'une approche pragmatique doit prévaloir en la matière ; comme l'expliquait Mme Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, « la situation des jeunes adolescentes y est souvent très compliquée, ce qui plaide pour l'ouverture d'un deuxième CEF , ouvert sur l'extérieur, réservé aux jeunes filles » 292 ( * ) .

(c) Investir dans d'autres solutions de prise en charge

Votre rapporteur rejoint pleinement notre collègue Josiane Costes, qui considérait que « le renforcement des moyens des structures de milieu ouvert et des hébergements traditionnels doit constituer un objectif à conduire en parallèl e » de l'extension des CEF 293 ( * ) .

Il estime que l'extension du dispositif des CEF doit s'accompagner d'un investissement important dans les autres modalités de prise en charge, en particulier le suivi en milieu ouvert et l'hébergement diversifié .

La réduction de la cible de création des CEF (cf. supra ) dégagerait une marge estimée à 24 millions d'euros environ, qui pourrait ainsi être consacrée à ces dispositifs ainsi qu'aux mesures visant à renforcer l'attractivité de l'exercice en CEF et d'y améliorer la qualité de l'encadrement .

Il conviendrait également d'inventer de nouvelles modalités de prise en charge , en favorisant l'ouverture des structures d'hébergement sur leur environnement et la mise en oeuvre de pédagogies diversifiées.

À ce titre, votre rapporteur salue la nouvelle mesure d'accueil de jour prévue à titre expérimental à l'article 52 du projet de loi de programmation pour la justice ; visant à faciliter la transition entre le cadre strict du CEF et un éventuel retour sur des dispositifs de droit commun, elle permettra aux mineurs de bénéficier d'un accompagnement intensif, pluridisciplinaire, garantissant une prise en charge continue en journée à partir d'un emploi du temps individuel, adapté à leurs besoins spécifiques.

Proposition : veiller à ce que les CEF ne deviennent pas la solution unique en matière de placement en développant une palette diversifiée de solutions de prise en charge.

3. Refondre l'ordonnance de 1945

Il convient à présent de s'interroger sur le cadre juridique de l'enfermement des mineurs en droit pénal. Faut-il faire évoluer l'ordonnance de 1945 pour la faire renouer avec son esprit d'origine qui se serait perdu au fil de ses nombreuses modifications ? Sans prétendre à l'exhaustivité, la mission d'information souhaite partager à ce sujet quelques réflexions qui ressortent de ses travaux.

a) L'intérêt d'une réécriture

La mission a constaté que les praticiens du droit pénal des mineurs expriment un fort attachement à l'ordonnance de 1945, certains notant qu'elle renvoie dans son titre à « l'enfance délinquante » et que « le choix du mot « enfant » est important. Cette notion fait penser à ses propres enfants, à la nécessité de mesures éducatives, alors que le droit pénal inspire la répression », pour reprendre les mots de Me Sylvie Garde-Lebreton 294 ( * ) . Ses principes fondateurs sont perçus comme étant toujours d'actualité. En revanche, plusieurs interlocuteurs de la mission ont insisté sur l'intérêt pratique que présenterait un travail de réécriture, de refonte, de l'ordonnance.

Ils pointent tout d'abord un problème de lisibilité de l'ordonnance, devenue très complexe en raison de la sédimentation des réformes , une quarantaine depuis 1945. Ainsi, le directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Rémi Heitz, a estimé que « tous les professionnels souhaitent une réécriture de cette ordonnance devenue illisible au fil des nombreuses modifications qu'elle a subies depuis 70 ans. Une recodification clarifierait ce texte devenu désordonné » 295 ( * ) .

La complexité de l'ordonnance découle parfois d'une insuffisante prise en compte des spécificités de la justice des mineurs à l'occasion de l'examen de textes réformant le droit pénal des majeurs ou à une insuffisante coordination entre l'ordonnance et le code pénal. Sur ce point, le directeur des affaires criminelles et des grâces a notamment déclaré que « les différents modes de poursuite devraient être redéfinis, afin de leur redonner de la lisibilité et de faciliter leur compréhension par les professionnels. On s'est parfois inspiré des procédures appliquées aux majeurs, sans aller jusqu'au bout de la démarche, comme avec la présentation immédiate ou la convocation par officier de police judiciaire (COPJ). Parfois, compte tenu de la difficulté pour certains parquets de mettre en oeuvre des dispositifs qu'ils connaissent mal, c'est le juge d'instruction, compétent à la fois pour les majeurs et les mineurs, qui est sollicité, et non le juge des enfants ».

Mme Camille Rouet, juge des enfants, a donné la mesure concrète des difficultés quotidiennes qui résultent pour les professionnels du manque de lisibilité du texte : pour elle, « la multiplication des réformes a rendu ce texte illisible, notamment sur la révocation du contrôle judiciaire ou la détention provisoire, car il renvoie implicitement à des textes relatifs aux majeurs. Du coup, pour éviter la détention arbitraire, nous nous référons à des tables de correspondance réalisées par l'école nationale de la magistrature (ENM) » 296 ( * ) .

De manière plus anecdotique, la réécriture de l'ordonnance permettrait d'en moderniser l'expression et de l'expurger de quelques formules vieillies, qui peuvent être peu claires pour les mineurs auxquelles elles s'adressent ou pour leurs parents. M. Rémi Heitz a relevé que « certains termes, comme « la remise à parents » ou « l'admonestation », qui peuvent figurer sur le casier judiciaire, apparaissent désuets » ; ce point de vue est partagé par Mme Sophie Bouttier-Véron, vice-présidente du tribunal pour enfants de Marseille en charge du milieu fermé, vice-présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, qui notait « la présence d'expressions peu adaptées, telles « liberté surveillée » ou « admonestation » » 297 ( * ) .

À vrai dire, il y a déjà eu plusieurs tentatives de recodifier l'ordonnance de 1945. En 2008, le rapport Varinard 298 ( * ) préconisait l'élaboration d'un code dédié à la justice pénale des mineurs permettant une réécriture formelle des dispositions applicables afin de renforcer leur cohérence et de leur donner une meilleure lisibilité. Un projet de code pénal a été mis en chantier dans le courant de l'année 2009 mais sans aboutir. La plus récente tentative de réécriture remonte à 2015, mais ces travaux n'ont de nouveau pas abouti en raison des attentats terroristes, qui ont conduit la Chancellerie à retenir d'autres priorités. Ce code de la justice pénale des mineurs en préparation conservait les grands principes de l'ordonnance de 1945.

Le Gouvernement actuel a décidé de remettre l'ouvrage sur le métier. Un groupe de travail a été constitué au ministère de la justice, auquel la présidente de la mission et son rapporteur son associés. Huit réunions sont prévues d'ici à la fin de l'année pour piloter la réécriture de l'ordonnance de 1945. Il restera à avoir la volonté politique d'inscrire cette réforme à l'ordre du jour du Parlement pour un examen rapide une fois que le travail technique sera achevé. Cela suppose que ce travail de fond ne soit pas relégué derrière d'autres projets répondant à une actualité médiatique plus immédiate.

Proposition : recodifier l'ordonnance de 1945 pour la rendre plus lisible pour les professionnels et les justiciables.

b) Conserver les actuelles bornes d'âge concernant la responsabilité pénale des mineurs

Le débat sur la réforme de l'ordonnance de 1945 se focalise souvent sur la question d'un éventuel abaissement de l'âge de la majorité pénale : faudrait-il aligner les règles applicables aux jeunes de seize à dix-huit ans sur celles applicables aux adultes afin de les sanctionner plus sévèrement ?

Ce débat avait traversé les travaux de la commission Varinard précitée. La commission avait conclu au maintien de l'âge de la majorité pénale à dix-huit ans.

La mission d'information aboutit à la même conclusion. Aucun de ses interlocuteurs n'a d'ailleurs plaidé pour un abaissement de l'âge de la majorité pénale. Il serait paradoxal de distinguer majorités civile et pénale alors que les mineurs délinquants se caractérisent, souvent, par une grande immaturité qui ne plaide pas pour un traitement aligné sur celui des adultes. De plus, l'arsenal législatif en vigueur permet de punir avec la sévérité qui convient les mineurs qui ont commis les crimes et délits les plus graves.

Certains intervenants ont en revanche rappelé qu'il n'existe pas en droit français d'âge minimal pour la responsabilité pénale. C'est ce qui explique qu'un enfant de dix ans ait pu récemment être mis en examen, soupçonné d'avoir provoqué un incendie à Aubervilliers ayant entraîné la mort de plusieurs occupants d'un immeuble. Le code pénal retient, dans son article 122-8, un critère de discernement : « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables ». En revanche, comme cela été expliqué dans la première partie de ce rapport, ce mineur âgé de dix ans ne pourra faire l'objet d'une peine, mais seulement d'une mesure éducative ou d'une sanction éducative.

La mission n'est pas convaincue qu'il soit nécessaire d'introduire un âge minimal, le régime aujourd'hui en vigueur ne semblant pas poser de véritable problème au fonctionnement de la justice des mineurs. La mise en examen décidée à la suite du drame d'Aubervilliers ne doit pas masquer le fait qu'il est assez exceptionnel que de si jeunes enfants soient inquiétés par la justice.

c) Accepter la temporalité particulière de la justice des mineurs

La mission souhaite d'abord insister sur la temporalité particulière de la justice des mineurs, qui demande plus de temps que celle des adultes.

Les réformes de procédure adoptées depuis une vingtaine d'années (COPJ, présentation immédiate) ont eu tendance à rechercher l'accélération des procédures, en partant du principe qu'une sanction plus rapide serait mieux comprise par le jeune délinquant. La mission est peu convaincue de la pertinence de ce raisonnement. Les procédures rapides peuvent certes avoir leur utilité face à des délinquants récidivistes ou réitérants, lorsqu'une enquête a déjà été réalisée et que le juge dispose de tous les éléments pour apprécier l'affaire qui lui est soumise.

Mais elles ne devraient pas devenir le mode ordinaire de fonctionnement de la justice des mineurs. Il est essentiel en effet que la décision du juge soit éclairée par une enquête de personnalité, qui lui permettra de mieux comprendre la situation et le profil du jeune et de prendre ainsi une décision plus appropriée.

De plus, ce délai peut être mis à profit pour mettre en oeuvre des mesures éducatives provisoires qui permettent de commencer un travail auprès du jeune afin de l'aider à prendre conscience de la faute qu'il a commise. Il abordera ainsi son procès dans une disposition d'esprit différente de ce qu'elle aurait été si le jugement avait eu lieu juste après la commission de l'infraction. Juste après l'infraction, le mineur est souvent dans le déni, il ne reconnait pas les faits, mais cette attitude peut évoluer grâce un travail éducatif approprié.

d) Concentrer la réflexion sur les mesures de nature à réduire le recours à l'enfermement

Dans la première partie de ce rapport, la mission a insisté sur le recours plus fréquent à l'incarcération des mineurs. Elle a ensuite indiqué que le milieu carcéral était peu propice à un travail efficace de réinsertion, même si certains établissements offrent de meilleures conditions de détention que d'autres. En conséquence, il lui paraît que si des modifications de fond doivent être introduites dans l'ordonnance de 1945, celles-ci doivent d'abord viser à redonner à l'incarcération son caractère exceptionnel .

Les pistes de réforme qui ressortent des auditions doivent être mises en débat et expertisées.

• La question du placement sous contrôle judiciaire est souvent revenue dans les débats. Dans son avis, la CNCDH propose de le réserver, comme ce fut le cas jusqu'à la loi du 9 septembre 2002, aux mineurs de plus de seize ans, considérant que les mineurs de moins de seize ans n'ont pas la maturité, le contrôle de soi suffisants pour en respecter les termes, ce qui les conduit fréquemment en détention provisoire. Mme Laetitia Dhervilly, vice procureur, chef de la section des mineurs au Parquet de Paris, a observé que le contrôle judiciaire peut parfois durer deux ans et que la PJJ manque de moyens pour suivre réellement tous les mineurs concernés ; aussi a-t-elle proposé de fixer à six mois la durée maximale de contrôle judiciaire.

• Le placement en détention provisoire est fortement encadré par l'ordonnance de 1945 (article 11).

Il peut s'appliquer aux jeunes de treize à dix-huit ans, à condition que la mesure soit indispensable et qu'il soit impossible de prendre toute autre disposition et à la condition que les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique soient insuffisantes. Il est également subordonné à certaines conditions tenant à la durée de la peine encourue par le mineur : pour les mineurs de plus de seize ans, peine criminelle ou peine correctionnelle d'au moins trois ans ; pour les mineurs de moins de seize ans, peine criminelle uniquement.

La durée de la détention provisoire est également règlementée, de façon quelque peu complexe :

- en matière criminelle, et en matière correctionnelle si la peine encourue est supérieure à sept ans d'emprisonnement, pour les mineurs de plus de seize ans, c'est la législation de droit commun qui s'applique : la détention provisoire ne peut dépasser quatre mois, sauf si elle est prolongée ; pour les mineurs, la prolongation ne peut excéder un an alors qu'elle peut atteindre deux ans pour les majeurs ;

- en matière criminelle, pour les mineurs de treize à seize ans, la durée de la détention provisoire ne peut excéder six mois ; à titre exceptionnel, elle peut être prolongée pour une nouvelle période ne pouvant dépasser six mois ;

- en matière correctionnelle, lorsque la peine encourue ne dépasse pas sept ans d'emprisonnement, les mineurs de plus de seize ans peuvent être placés en détention provisoire pour une durée d'un mois, qui ne peut être prolongée que pour un mois au maximum.

Des ajustements à cette règlementation permettraient sans doute de restreindre le recours à la détention provisoire. En complément de modifications textuelles, c'est aussi une plus grande sensibilisation des juges de la liberté et de la détention (JLD) aux spécificités de la justice des mineurs qui devrait être recherchée. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné que le JLD, seul compétent pour décider le placement en détention provisoire, n'est pas un juge spécialisé, à la différence des autres intervenants de la chaîne pénale des mineurs. En 2008, la commission Varinard avait déjà préconisé une meilleure formation initiale et continue des JLD aux spécificités de la justice des mineurs . Cette recommandation demeure pleinement d'actualité. Elle pourrait conduire les JLD à recourir avec plus de parcimonie à la détention provisoire pour privilégier les mesures éducatives.

• Une autre piste pour réduire le nombre de mineurs incarcérés serait de développer le placement sous surveillance électronique . Il est possible avant la condamnation, à la place d'une détention provisoire, ou après la condamnation, dans le cadre d'un aménagement de peine, mais il demeure peu utilisé chez les mineurs.

Le placement sous surveillance électronique n'est pas toujours bien supporté, même chez les adultes, lorsqu'il est appliqué pendant une longue période. Il peut cependant être une alternative à la prison pour éviter une incarcération de courte durée, présentant l'avantage de ne pas couper le mineur délinquant de son environnement. Il est compatible par exemple avec la poursuite d'une scolarité ou d'une formation. Il ne peut être mis en oeuvre qu'après s'être assuré que le contexte familial, les conditions de logement du mineur, rendent possible sa réalisation.

Le Gouvernement souhaite favoriser le recours au placement sous surveillance électronique en en faisant, dans le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice (article 43), une peine autonome , qui sera applicable aux mineurs. Si cette mesure est approuvée par le Parlement, cela constituera un signal politique encourageant les juridictions à avoir davantage recours à la surveillance électronique.

Proposition : dans le cadre de la refonte de l'ordonnance de 1945, étudier tout spécialement les modifications de nature à donner un caractère réellement exceptionnel à l'incarcération et sensibiliser les JLD aux spécificités de la justice des mineurs.

C. LA CONTINUITÉ DES PARCOURS, CLÉ DU SUCCÈS DU TRAVAIL D'INSERTION

Sachant que l'enfermement constitue un court moment dans le parcours de vie du mineur, il est essentiel de garantir une continuité dans le suivi, avant et après l'enfermement, pour obtenir des résultats en termes de réinsertion.

1. Des parcours souvent très chaotiques

Les témoignages recueillis par la mission ont mis en évidence les fréquentes ruptures dans le parcours des mineurs qui font l'objet d'une mesure d'enfermement. Ces ruptures obèrent la qualité du travail éducatif.

a) Des mineurs ballotés de structures en structures

Le sociologue Laurent Solini a bien résumé cette difficulté lors de son audition : « pour des motifs comportementaux, ils sont sans cesse ballotés d'un établissement à l'autre, sans que s'établisse un lien durable avec les éducateurs. Les éducateurs peinent à assurer le suivi de ces jeunes, du fait de leur passage non linéaire dans des établissements, relevant du carcéral ou de l'éducatif » 299 ( * ) .

Pour illustrer son propos, M. Laurent Solini a cité in extenso le témoignage de Fadela qui a connu toutes les formes de l'enfermement pénal ou psychiatrique : « Ça s'est enchaîné comme ça. Ils me mettaient dans des foyers. Dans des foyers qui sont pas chez moi quoi. Ni à Nîmes ni à Marseille. C'est des foyers, Avignon, de partout. Et après, j'devais rester deux semaines, du temps qu'on vienne me chercher pour aller au CEF (centre éducatif fermé) à Rouen. Et en fait, genre le lendemain, j'devais partir, je partais, je fuguais. Après on m'rattrapait, on m'remettait dans un foyer. Juste avant d'aller au CEF, genre je re-fuguais. Ça en finissait jamais. [...] Du coup, j'suis allée directement en CEF. Et c'est là que voilà, après tac, j'me suis barrée. C'est là que tac, ils m'ont mis en hôpital psychiatrique. Après, attends qu'je m'rappelle. J'sais plus trop. J'étais en CEF. J'suis restée quatre jours ? J'en avais marre, j'suis partie. Après, on m'a rattrapé, on m'a remis au CEF. Après, j'ai eu un incident avec euh, avec un mec du CEF. Après j'suis re-repartie. Et après on m'a dit, j'sais pas quoi, na, ni, na, na. En fait, on m'a ramené euh, en hôpital psychiatrique du temps que, du temps que, que j'aille me faire juger à Nîmes chez moi. Et en fait, à la limite, j'étais, il pouvait pas m'garder. Le psychiatre, il m'disait ouais, na, na, na, on peut pas vous garder. Euh, mais ils veulent absolument qu'on vous garde, j'sais pas pourquoi. Moi, j'sais pas les raisons pour lesquelles j'devrais vous garder, voilà. À la limite, il était pas censé euh, le psychiatre il m'disait, vous avez rien à faire là. Mais j'peux pas vous relâcher comme ça quand même. Du coup, ils ont attendu. Ils m'ont mis en jugement à Nîmes. J'suis allée en prison. Après, dans l'ordre, euh, Perpignan, l'EPM (établissement pénitentiaire pour mineurs), les Baumettes, et encore l'EPM ».

Lors de sa visite à l'Itep des Cadeneaux, la délégation de la mission a échangé avec un jeune de dix-sept ans, Jonathan, au parcours particulièrement difficile, qui a connu le placement en CEF, l'incarcération à l'EPM de La Valentine et qui a longtemps été soumis à un lourd traitement médicamenteux. Si l'Itep lui procure un cadre de vie apaisant et sécurisant pendant la semaine, l'établissement ferme ses portes chaque week-end. La plupart des mineurs accueillis à l'Itep rentrent alors dans leur famille. Jonathan n'ayant que peu de relations avec ses parents, le retour au domicile n'est pour lui pas envisageable. Chaque fin de semaine, son éducatrice de la PJJ consacre donc du temps à lui trouver une place dans un foyer, une famille d'accueil, chaque fois différent : Jonathan ayant de gros problèmes de respect des règles et de l'autorité des adultes, aucune structure ne souhaite l'accueillir de manière régulière. Cet adolescent, qui a souffert de graves carences éducatives et affectives dans son enfance, peine donc à trouver la stabilité qui lui serait pourtant indispensable. Sa violence, ses réactions incontrôlables font obstacle à une solution pérenne. Seule son éducatrice de la PJJ, qui le suit depuis deux ans, semble avoir établi un lien solide avec lui.

b) La PJJ ne remplit qu'imparfaitement son rôle de « fil rouge »

La direction de la PJJ a naturellement conscience de la réalité qui vient d'être décrite. Comme elle l'a indiqué à la mission, c'est en principe l'éducateur de milieu ouvert qui doit assurer la continuité du suivi, par-delà la succession des prises en charge en établissements.

Dans ses réponses écrites au questionnaire de votre rapporteur, la directrice de la PJJ explique que « la prévention des ruptures dans le suivi des jeunes et la garantie de la continuité des parcours est un enjeu prioritaire pour la PJJ, ce que rappelle la note d'orientation du 30 septembre 2014. En effet les unités de milieu ouvert doivent garantir des pratiques assurant la continuité des projets éducatifs. Ainsi, le milieu ouvert est positionné comme « socle » de l'ensemble des interventions éducatives menées auprès du jeune, dans cette ambition de prévenir au maximum les ruptures et/ou incohérences des suivis ».

Il ressort des travaux de la mission que cette politique demeure perfectible. Pour reprendre les termes mesurés employés par Geneviève Avenard, défenseure des enfants, « dans ce rôle de fil rouge que la protection judiciaire de la jeunesse devrait avoir tant pendant la privation de liberté du jeune qu'à sa sortie, il existe des marges de progrès importantes » 300 ( * ) .

Les témoignages recueillis par la mission lors de ses déplacements suggèrent en effet que les éducateurs de milieu ouvert tendent à espacer leurs rencontres avec les jeunes une fois qu'ils sont enfermés, considérant qu'ils bénéficient déjà d'un encadrement important.

Si l'on peut comprendre cette attitude, qui permet aux éducateurs de consacrer plus de temps aux jeunes de milieu ouvert, elle ne peut être jugée satisfaisante : les mineurs enfermés ont besoin, plus que les autres, d'un référent sur lequel s'appuyer. Il est donc important que la direction de la PJJ veille à ce que les éducateurs de milieu ouvert restent pleinement investis dans le travail éducatif auprès des mineurs qui font l'objet d'une mesure de placement ou d'une incarcération.

c) Objectif zéro « sorties sèches »

La mission rappelle l'importance d'éviter les « sorties sèches » de prison ou d'un CEF, déjà mentionnée dans la deuxième partie de ce rapport. Un mineur qui sort de ces structures, et qui revient dans son milieu d'origine sans accompagnement adapté, s'expose à un fort risque de récidive.

Le suivi post-enfermement peut être organisé par le juge des enfants dans un cadre post-sentenciel (aménagement de peine, mesure éducative) ou dans le cadre de mesures civiles, lorsque l'intervention de la justice pénale n'est plus justifiée mais qu'un suivi social apparaît nécessaire pour poursuivre le travail de réinsertion.

2. L'intervention de la protection judiciaire de la jeunesse en matière civile

Une question qui est revenue comme un leitmotiv au cours des travaux de la mission est celle du « recentrage » de la PJJ sur la mise en oeuvre des mesures pénales, au détriment des mesures civiles d'assistance éducative. Ce recentrage a pu être qualifié de « décentrage » par ceux qui considèrent que la vocation de la PJJ est de mettre en oeuvre de manière équilibrée ces deux catégories de mesures 301 ( * ) .

Ce recentrage pénal a été décidé par le ministère de la justice à partir de 2007, sans modification des textes relatifs aux compétences de la PJJ. Il résulte donc d'un choix de politique publique et d'un choix budgétaire : la PJJ s'est désengagée des mesures d'assistance éducative, considérant que leur mise en oeuvre relevait désormais de la compétence exclusive des départements, au titre de l'aide sociale à l'enfance.

Notre ancien collègue Jean-Pierre Michel a critiqué la manière brutale dont ce recentrage pénal a « été imposé sans concertation ni ménagement aux juridictions, aux personnels de la PJJ et à ses partenaires du conseil général comme du secteur associatif » 302 ( * ) .

Le recentrage a conduit à la quasi-disparition des mesures civiles réalisées par la PJJ, à l'exception des mesures d'investigation judiciaire, l'aide à la décision judiciaire demeurant une prérogative de l'Etat. En 2007, la PJJ avait mis en oeuvre 18 429 mesures civiles en milieu ouvert et 1 885 mesures civiles de placement ; cinq ans plus tard, on ne comptait plus que 443 mesures en milieu ouvert et 37 mesures de placement !

Ce recentrage a conduit à des contestations au sein de la PJJ et chez certains magistrats, dans la mesure où il heurte une conception de l'action éducative qui envisage les régimes de protection civile et pénale comme un ensemble indissociable.

Surtout, ce recentrage a supprimé la possibilité pour les mineurs qui font d'abord l'objet d'une mesure pénale puis d'une mesure civile de continuer à être suivis par le service qui les a initialement pris en charge au titre de la mesure pénale . Il introduit donc un facteur supplémentaire de discontinuité dans le parcours de ces jeunes qui sont pourtant, on l'a vu, souvent ballottés de structures en structures.

Ce recentrage a eu aussi pour effet de procéder à un discret transfert de charges de l'Etat vers les départements, qui n'a donné lieu à aucune compensation, malgré la demande formulée en ce sens par les départements.

Dans son rapport d'octobre 2014, la Cour des comptes voit dans ce recentrage sur le pénal une vertueuse « spécialisation ». Elle balaie les critiques relatives à la continuité des parcours au motif que « la PJJ n'est pas en mesure de quantifier le risque de rupture de continuité dans l'enchaînement entre un dispositif pénal et une mesure d'assistance éducative qui permettrait de calibrer le niveau souhaitable de réouverture des prises en charge civiles ». Elle préconise de parachever le recentrage sur le pénal en supprimant les dispositions juridiques qui fondent l'intervention de la PJJ en matière civile.

Votre rapporteur est surpris que la Cour ne saisisse pas d'emblée l'élément de rupture qu'implique un changement de service pour le mineur et quelle réclame une « quantification » là où il est question de trajectoires individuelles, à appréhender dans leur singularité et leur fragilité.

Pour sa part, la mission considère que doit primer la construction de parcours de prise en charge cohérents, élaborés à partir des besoins du jeune , et non en fonction de frontières de compétences institutionnelles. Dès lors que les publics de la PJJ et de l'ASE se recoupent largement, il lui paraît inévitable que les champs d'intervention de ces deux institutions se chevauchent pour partie.

Cette conclusion est celle à laquelle était déjà arrivé notre ancien collègue Jean-Pierre Michel dans son rapport de 2013. Elle est cohérente avec les orientations prises depuis quelques années par la PJJ qui, mesurant les inconvénients d'une spécialisation trop exclusive sur le pénal, a légèrement infléchi sa politique.

Dans sa note du 20 mai 2015 relative à la mise en oeuvre des mesures éducatives en matière civile par les établissements et services de la PJJ, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse privilégie trois axes d'intervention : l'anticipation de la fin de la prise en charge ; l'accès à l'autonomie ; et le passage à la majorité. Elle indique que la poursuite, au civil, de l'action des services et établissements a pour but d'éviter une nouvelle rupture forte dans le parcours, qui compromettrait les effets positifs de la prise en charge au pénal et de consolider le relais avec les intervenants ultérieurs.

Cette poursuite n'est cependant possible que dans des conditions restrictives, plusieurs critères cumulatifs devant être réunis, soit l'existence de signes de danger , de détresse grave pendant l'exercice d'une mesure pénale qui arrive à échéance et en l'absence de relais immédiat pouvant être assuré par les services de l'aide sociale à l'enfance ou par le droit commun de la protection sociale.

La mission d'information se réjouit que la PJJ ait commencé à infléchir sa politique en matière de prise en charge civile. Elle estime qu'il serait pertinent d'aller plus loin sur cette voie. L'absence de relais immédiat par les services de l'ASE devrait suffire à autoriser une prise en charge civile par la PJJ. De même, une situation de détresse grave d'un mineur pourrait justifier que le travail avec la PJJ se poursuive pour un temps, même si une prise en charge par l'ASE est envisageable immédiatement, compte tenu des liens personnels très forts qui peuvent se nouer entre un jeune et son éducateur.

Proposition : élargir les possibilités d'intervention de la PJJ en matière civile afin d'éviter des ruptures dans les parcours préjudiciables au travail d'insertion.

3. Le suivi des jeunes majeurs

Votre rapporteur est convaincu de la nécessité d'éviter que le passage à l'âge de la majorité fonctionne comme un « couperet » pour les jeunes suivis par la PJJ. Sociologiquement, le passage à l'âge adulte, marqué par l'accession à l'autonomie, la décohabitation avec les parents, l'entrée dans l'emploi, l'arrivée d'un premier enfant, intervient de plus en plus tardivement. Ceci plaide pour la définition de solutions de continuité entre la prise en charge des mineurs et celle des jeunes majeurs.

a) La protection jeune majeur : un dispositif utile

Le recentrage de l'activité de la PJJ sur le pénal a eu des conséquences fâcheuses sur la continuité du parcours au moment où le jeune atteint l'âge de la majorité, du fait de la quasi-disparition des mesures de protection jeune majeur.

La mesure de protection jeune majeur est possible sur le fondement du décret n°75-96 du 18 février 1975, fixant les modalités de mise en oeuvre d'une action judiciaire en faveur des jeunes majeurs. À l'origine, ce décret visait à pallier les effets de l'abaissement de l'âge de la majorité à dix-huit ans, décidé en 1974, à l'égard de jeunes majeurs souffrant de graves difficultés d'insertion sociale. La mesure de protection est décidée par le juge à la demande de l'intéressé.

La PJJ dispose d'une compétence concurrente avec celle des conseils départementaux qui peuvent eux aussi, sur la base de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, prendre en charge, dans le cadre de l'ASE, des majeurs de moins de vingt-et-un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressource ou d'un soutien familial suffisant.

Les conseils départementaux font dépendre la mise en oeuvre de cette protection administrative de la signature d'un « contrat jeune majeur », dont la conclusion est laissée à la discrétion du département.

Le contrat jeune majeur

Le contrat jeune majeur est un dispositif d'accompagnement qui vise à aider le jeune à trouver du travail ou une formation tout en ayant la possibilité de se loger et de subvenir à ses besoins, lorsque sa famille n'est pas en capacité de le faire.

L'accompagnement peut consister en une aide financière, via une allocation dont le montant varie en fonction des ressources du jeune adulte, et un suivi assuré par un éducateur ou un psychologue.

Le contrat précise la durée de la mesure, la date de mise en oeuvre et les objectifs poursuivis. Le bénéficiaire s'engage à élaborer un projet d'insertion sociale et professionnelle. Il rend compte au professionnel chargé de son suivi de ses démarches en matière de formation ou de recherche d'emploi.

La mesure est organisée pour une durée d'un an au maximum, avec la possibilité d'être renouvelée dans les mêmes conditions. Le contrat peut être interrompu à l'initiative du jeune ou du service de l'ASE si ce dernier estime que le bénéficiaire ne remplit pas ses obligations.

Des dérives ont été constatées dans les années 1990 s'agissant de la mise en oeuvre de la protection jeune majeur par la PJJ : de nombreux jeunes placés sous protection judiciaire n'avaient jamais eu affaire à la PJJ avant leur majorité et les dépenses en faveur de l'hébergement des jeunes majeurs ont représenté, dans certains départements, jusqu'à la moitié des dépenses financées par l'Etat dans le secteur associatif habilité !

Une remise en ordre a été opérée à partir de 2005 303 ( * ) , consistant à orienter vers la PJJ les jeunes majeurs qui étaient déjà suivis par ce service avant leur majorité et à orienter les autres vers la protection administrative départementale.

À partir de 2008, dans le cadre de la RGPP et du recentrage de la PJJ sur le pénal, une mesure plus radicale a été prise, tendant à supprimer progressivement la prise en charge de l'ensemble des mesures de protection judiciaire des jeunes majeurs par le secteur public et le secteur associatif de la PJJ. En 2011, plus aucune ligne de crédit n'était prévue pour la protection des jeunes majeurs. Toutefois, le décret de 1975 n'a jamais été abrogé, un projet en ce sens ayant été abandonné à la suite d'un avis négatif de la commission consultative sur l'évaluation des charges du comité des finances locales.

Les jeunes majeurs suivis par la PJJ durant leur minorité sont donc censés se tourner vers le département pour bénéficier d'un contrat jeune majeur. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont cependant souligné qu'il est de plus en plus difficile d'obtenir un tel contrat : dans un contexte de très forte contrainte financière, les départements tendent à réduire cette dépense facultative.

Ce n'est pas tant le nombre de contrats qui a diminué - il demeure proche de 20 000 par an - que leur durée. Dans un récent avis, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) note que la durée des contrats est souvent de six mois, renouvelable une fois, de sorte que « seule une faible proportion de ces jeunes bénéficie de prestations jusqu'à vingt-et-un ans » 304 ( * ) .

Dans son rapport précité de 2014, la Cour des comptes écrivait, curieusement, que l'arrêt de la protection jeune majeur ne s'était accompagné d'aucun transfert de charge vers les départements, le nombre de contrats jeunes majeurs n'ayant que peu augmenté après 2008. En réalité, si la protection jeune majeur a été stoppée, et que le nombre de contrats jeunes majeurs n'a pas augmenté de manière significative en parallèle, cela signifie que des jeunes majeurs qui, autrefois, auraient été aidés restent aujourd'hui sans soutien de la collectivité.

Comme pour les mesures civiles, la direction de la PJJ a fini par desserrer légèrement l'étau qui s'était refermé sur les mesures de protection des jeunes majeurs. Depuis 2014, le nombre de mesures augmente un peu chaque année, même s'il demeure très faible : 85 mesures en 2014, 125 en 2015 et 174 en 2016 305 ( * ) . Le bénéfice de la protection est accordé si certaines conditions cumulatives sont réunies : nécessité de poursuivre un accompagnement éducatif auprès du jeune majeur isolé socialement et absence de relais immédiat pouvant être assuré par les services de l'ASE ou par le droit commun de la protection sociale. La prise en charge ne dure pas plus d'un an, sauf circonstances exceptionnelles dûment motivées.

La PJJ avait décidé que seul le service public pourrait intervenir auprès des jeunes majeurs. Sur ce point également, elle semble prête à évoluer : dans un courrier adressé le 9 mars 2018 aux fédérations associatives, la direction de la PJJ se montre favorable à l'examen de la possibilité pour le secteur associatif habilité de mettre en oeuvre de telles mesures. La mission soutient cette orientation qui va dans le sens d'une plus grande continuité des parcours, certains mineurs étant suivis dans le secteur associatif.

Sans retomber dans les excès constatés dans les années 1990, la mission se prononce en faveur d'une relance de la protection jeune majeur , qui pourrait concerner, chaque année, quelques milliers de jeunes qui étaient déjà suivis par la PJJ (secteur public ou habilité) avant leur majorité.

Proposition : redonner à la protection jeune majeur toute sa place dans la palette d'outils à la disposition de la PJJ.

b) En matière pénale

Alors que la PJJ a réduit à peu de choses ses interventions auprès des jeunes majeurs au civil, cette population constitue une part importante, et en augmentation, des jeunes suivis par la PJJ dans le cadre pénal. Il n'est pas impossible qu'un « transfert de charges » se soit produit ces dernières années, du civil vers le pénal.

En ce qui concerne tout d'abord les mesures éducatives (articles 15 et 16 de l'ordonnance de 1945), l'article 17 de l'ordonnance prévoit que leur durée ne pourra excéder l'époque où le mineur aura atteint sa majorité.

Une exception est cependant prévue à l'article 16 bis , relatif à la mise sous protection judiciaire (MSPJ), qui a connu un réel essor ces dernières années. La durée de la MSPJ ne peut excéder cinq années. Elle consiste en des mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation, y compris une mesure de placement qui peut se prolonger après la majorité si le jeune en est d'accord. Le nombre de MSPJ a été multiplié par 2,5 entre 2007 et 2015 (de 4 274 mesures à 11 396 mesures).

Il est vraisemblable que cet essor spectaculaire résulte en partie d'une stratégie d'adaptation de la justice et de la PJJ pour compenser la quasi-disparition de la protection jeune majeur. Le sociologue Nicolas Sallée, spécialiste de la protection judiciaire de la jeunesse, a indiqué devant la mission que « les éducateurs en viennent parfois à rechercher des délits commis par le jeune, afin de pouvoir obtenir, sur le fondement de l'article 16 bis de l'ordonnance de 1945 une mesure pénale permettant de prolonger le suivi du jeune. Une telle démarche illustre l'absurdité de la dissociation (...) entre civil et pénal » 306 ( * ) .

Si l'on y ajoute les peines de sursis avec mise à l'épreuve et les travaux d'intérêt général, qui peuvent se poursuivre après la majorité, on constate que les jeunes majeurs représentent 25 % des jeunes suivis dans l'année par la PJJ , secteur public et secteur associatif habilité confondus.

Cette proportion pourrait encore augmenter avec la mise en oeuvre de la mesure éducative d'accueil de jour, prévue à titre expérimental par le projet de loi de programmation pour la justice ; elle pourrait être prononcée pour une durée de six mois, renouvelable deux fois, et pourrait se poursuivre après la majorité si le jeune en est d'accord.

En ce qui concerne l' emprisonnement , les jeunes incarcérés rejoignent en principe les quartiers pour adultes lorsqu'ils atteignent l'âge de la majorité. La PJJ passe alors le relais au service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip).

Toutefois, par exception, les mineurs devenus majeurs peuvent être, avec leur accord, maintenus en établissement pénitentiaire pour mineurs ou en quartier pour mineurs pour une durée de six mois après leur majorité, lorsque leur personnalité et leur comportement en détention le justifient. Leur suivi éducatif demeure assuré par la PJJ, sauf décision contraire du magistrat.

c) Un sas vers les dispositifs de droit commun

Si elle est convaincue de l'intérêt de pouvoir prolonger après la majorité certaines mesures éducatives, la mission ne considère pas le suivi par la PJJ comme une fin en soi. L'objectif est bien de faire accéder les jeunes à l'autonomie, le cas échéant via un dispositif de droit commun.

Une prise en charge assurée par la PJJ peut avoir une dimension stigmatisante que ne revêt pas une prise en charge par une mission locale ou un département. L'enjeu est alors d'anticiper et de préparer le passage de relais entre professionnels pour une transition efficace. Comme l'indiquait Mme Madeleine Mathieu, directrice de la PJJ, « nous sommes sortis de l'idée qu'il fallait garder les jeunes le plus longtemps possible dans les dispositifs de la PJJ ; au contraire, pour faciliter leur réinsertion, il s'agit de les ramener le plus vite possible dans la société » 307 ( * ) .

Cependant, la mission est sensible à l'argument de M. Vito Fortunato, secrétaire national du SNPES-PJJ, qui soulignait « que les jeunes dont s'occupe la PJJ sont des jeunes en rupture, qui ont besoin d'un sas, d'une transition , avant de pouvoir rejoindre les dispositifs de droit commun » 308 ( * ) . Ils ont souvent besoin d'une remise à niveau scolaire avant de pouvoir intégrer une formation, mais aussi d'acquérir des savoir-être et des savoir-faire dans une optique pré-professionnelle. C'est dans cette perspective que la prolongation du suivi par la PJJ après la majorité peut trouver sa pertinence.

L'inscription des jeunes dans les dispositifs de droit commun est bien sûr facilitée si la PJJ noue des partenariats solides avec les acteurs de la formation et de l'insertion professionnelle.

4. Des partenariats à renforcer avec les acteurs du monde de la formation et l'insertion professionnelle

Si la PJJ a conscience de l'importance de nouer de tels partenariats, la mission dresse un bilan mitigé de leur mise en oeuvre sur le terrain. Les initiatives demeurent trop éparses, et dépendantes des bonnes volontés locales, alors qu'elles devraient être systématisées et devenir un axe d'action majeur.

a) Concernant la formation professionnelle

Alors que la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a donné compétence aux conseils régionaux en matière de formation professionnelle des détenus, la direction de la PJJ a attendu le 24 février 2016 pour inviter, par une note d'instruction, ses directions interrégionales à développer et entretenir, notamment dans le cadre de conventions, des coopérations avec les conseils régionaux.

Dans ses réponses écrites aux questions de votre rapporteur, la directrice de la PJJ indique que « depuis, l'ensemble des directions interrégionales se sont rapprochées des conseils régionaux en ce sens et sur certains territoires, des conventions ont pu être signées ».

Cette réponse rassurante, mais un peu vague, n'est pas corroborée par les déclarations plus alarmistes de Mme Anne Bérard, adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire. Evoquant la formation professionnelle de l'ensemble des détenus, mineurs comme majeurs, elle a indiqué à la mission que « les régions doivent être davantage mobilisées pour soutenir la formation professionnelle des détenus qui a régressé au cours des quatre dernières années. Nous souhaitons que les collectivités s'impliquent dans la prise en charge et la réinsertion de l'ensemble des personnes détenues ».

La mission regrette de n'avoir pu approfondir cette question de la formation professionnelle des détenus dans le temps limité imparti à ses travaux. Il lui paraît néanmoins peu douteux que les résultats sont en-deçà des attentes et que cette question mériterait d'être retravaillée dans les meilleurs délais par les ministères concernés et par l'association des régions de France (ARF).

Les témoignages recueillis sur le terrain montrent que les mineurs sous main de justice rencontrent de vraies difficultés pour intégrer les dispositifs de droit commun de la formation professionnelle, notamment en raison de leur faible niveau scolaire, même lorsqu'ils présentent des aptitudes et une appétence pour certains métiers manuels. Un rapprochement de la PJJ et des acteurs de la formation professionnelle paraît donc indispensable pour définir les stratégies de nature à surmonter ces obstacles.

Proposition : relancer la coopération entre l'administration pénitentiaire, les PJJ et les conseils régionaux pour un meilleur accès des jeunes sous main de justice à la formation professionnelle.

b) Le partenariat avec les missions locales

Le travail en commun entre la PJJ et les missions locales est ancien ; dès 1994, une convention-cadre avait été signée entre le ministère du travail et le ministère de la justice pour organiser leur partenariat. Pour actualiser cette convention, un nouvel accord-cadre a été signé le 7 mars 2017.

Les missions locales

Depuis 1982, les missions locales ont développé un mode de prise en charge globale au service des jeunes qui rencontrent des difficultés d'insertion. Leur accompagnement mobilise l'ensemble des leviers qui favorisent l'insertion : emploi, formation, orientation, mobilité, logement, santé, accès à la culture et aux loisirs.

Les 436 missions locales sont présentes sur l'ensemble du territoire national. Chaque année, elles sont en contact avec 1,3 million de jeunes et assurent un suivi pour 600 000 d'entre eux.

Les missions locales ont un statut associatif. Leur conseil d'administration, présidé par un élu local, rassemble des représentants des collectivités territoriales, des services de l'Etat, de Pôle emploi, des partenaires économiques et sociaux et du monde associatif. Les missions locales sont financées par l'État, les communes et établissements publics de coopération intercommunale, les conseils régionaux et départementaux.

Les missions locales jouent un rôle central pour l'élaboration et le pilotage des projets territoriaux d'insertion des jeunes. Elles mettent en oeuvre des dispositifs nationaux, notamment le parcours contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) et la Garantie jeunes. De nature contractuelle, le Pacea permet au jeune de bénéficier d'un accompagnement et éventuellement d'une allocation. La Garantie jeunes est une modalité renforcée du Pacea, pouvant comporter des périodes de formation et de mise en situation en milieu professionnel.

L'accord de 2017 vise à renforcer la collaboration et à préciser les modalités de coopération, au niveau national, régional et local, entre les missions locales, la PJJ et les Spip pour les jeunes majeurs, étant rappelé que les missions locales assurent le suivi des jeunes de seize à vingt-cinq ans .

Retraçant les différents parcours possibles des jeunes sous main de justice (en milieu ouvert, en milieu fermé, après la libération et la fin du suivi judiciaire), l'accord-cadre entend accroître la cohérence des actions menées dans les territoires. Il s'appuie notamment sur la co-construction d'un parcours d'insertion, dans le cadre des dispositifs de droit commun, à partir d'une évaluation de la situation du jeune réalisée par les services de la PJJ ou du Spip et complétée par celle du conseiller référent justice de la mission locale.

En ce qui concerne les jeunes détenus, l'accord-cadre prévoit que le conseiller référent justice travaille aux conditions d'une sortie réussie et qu'il contribue à la constitution des dossiers d'aménagement de peine. L'accord-cadre précise que le conseiller « assure à la sortie le relais avec l'ensemble des acteurs concernés par la réinsertion des jeunes en s'appuyant notamment sur le réseau des partenaires qui disposent des ressources pour l'accompagnement social afin de lever les freins à l'insertion professionnelle (santé, logement...) et l'aboutissement du projet de réinsertion ».

Si l'accord-cadre est intéressant sur le papier, il n'est pas certain que sa mise en oeuvre sur le terrain soit toujours à la hauteur des enjeux.

Les auditions auxquelles a procédé la mission montrent que les professionnels de la PJJ ne connaissent pas toujours très bien les contours de ce partenariat et que les relations de travail positives nouées localement s'effilochent parfois au fil du temps. Lors de la table ronde organisée avec les représentants des organisations syndicales, M. Addelrezeg Labed, secrétaire général de FO-PJJ, a ainsi déclaré : « dans l'établissement de placement éducatif (EPE) où j'exerçais, nous avions mis en place une collaboration fructueuse avec la mission locale de notre secteur, qui avait désigné un référent « justice ». Quand nous nous rendions à la mission locale avec un jeune, nous savions que nous aurions affaire à un interlocuteur connaissant les difficultés particulières des mineurs placés sous-main de justice. Nos jeunes avaient accès à des stages de découverte des métiers, ils définissaient leur projet professionnel puis pouvaient accéder à des stages rémunérés. Ce travail a permis de resocialiser et de réinsérer de nombreux jeunes, mais il faut constater que les référents « justice » ont disparu dans beaucoup de missions locales, ce qui ne permet plus de mener un travail en commun avec la même efficacité ». M. Vito Fortunato, secrétaire national du SNPES-PJJ, a confirmé que l'accord-cadre « n'est pas appliqué partout, sans doute en raison de problèmes de budget » 309 ( * ) .

Ces problèmes de moyens ont été éclairés par l'audition de MM. Jean-Patrick Gille et Serge Kroichvili, respectivement président et délégué général de l'Union nationale des missions locales (UNML) 310 ( * ) . La subvention versée par le ministère du travail au titre de l'accord-cadre ne permet de financer que 50 postes de conseiller référents justice pour toute la France, ce qui permet de couvrir à peine une mission locale sur huit. Et l'UNML déplore que la signature de l'accord-cadre n'ait pas apporté une plus grande visibilité concernant les financements alloués aux missions locales ; les incertitudes relatives aux financements incitent les directeurs de missions locales à une grande prudence s'agissant des embauches.

Consciente des actuelles contraintes budgétaires, la mission ne demande pas tant un renforcement des moyens affectés aux missions locales qu'une plus grande stabilité de leur financement qui paraît indispensable pour leur permettre de s'engager dans des partenariats et des projets de long terme.

L'UNML devrait être en mesure de présenter à la fin de l'année 2018 une première évaluation de l'efficacité des conseillers référents justice en suivant le parcours des jeunes ayant bénéficié du dispositif.

Proposition : stabiliser le financement apporté par l'Etat aux missions locales au titre des référents justice en l'inscrivant dans une perspective pluriannuelle.

c) Rapprocher les jeunes de la PJJ du monde de l'entreprise

La mission ne saurait trop encourager la PJJ à multiplier les partenariats avec des entreprises - du secteur marchand ou du secteur de l'insertion par l'économique - et avec les chambres de commerce ou les chambres des métiers et de l'artisanat.

Alors que les jeunes suivis par la PJJ souffrent globalement d'une image dégradée auprès des employeurs, ces partenariats offrent un moyen de changer le regard sur ces jeunes, de mettre en valeur leurs compétences et leur motivation.

Lors de ses déplacements, la mission a pu constater les efforts déployés, et les résultats obtenus, par les éducateurs de la PJJ et les professeurs techniques pour familiariser les jeunes avec des métiers, principalement dans les secteurs de la restauration, du bâtiment ou de l'entretien des espaces verts. La délégation qui s'est rendue au CEF de Savigny a déjeuné dans le restaurant d'application géré par la PJJ, qui se trouve à proximité immédiate du centre éducatif, et elle a pu apprécier, à cette occasion, le professionnalisme des jeunes qui y travaillent, en cuisine ou en salle.

Diverses initiatives locales qui mettent en valeur ces compétences, gagneraient à être reproduites en d'autres points du territoire.

Ainsi, la direction interrégionale de la PJJ compétente pour l'Ile-de-France et l'outre-mer a-t-elle signé une convention avec la chambre régionale des métiers et de l'artisanat pour la mise en oeuvre d'une expérimentation « accès à l'apprentissage » dans trois centres de formation des apprentis (CFA) en Ile-de-France. Les jeunes suivis par la PJJ rencontrent des difficultés pour trouver une place en apprentissage chez un employeur. Ce partenariat leur permet de s'appuyer sur un réseau d'entreprises dans le cadre d'un parcours d'orientation et d'insertion construit en lien avec la chambre régionale et les chambres départementales des métiers et de l'artisanat. Il sera intéressant d'évaluer les résultats de cette expérimentation et de l'étendre, le cas échéant, à d'autres territoires.

La direction interrégionale Sud organise avec le service de milieu ouvert de Montauban des mises en situation professionnelle en partenariat avec l'entreprise d'insertion IDDEES 311 ( * ) . Un atelier est installé au sein de l'entreprise d'insertion avec un encadrement assuré par la PJJ pour une découverte progressive des métiers.

Lors de son audition 312 ( * ) , la directrice de la PJJ a également évoqué les grandes manifestations nationales auxquelles participe la PJJ pour favoriser les rencontres entre jeunes et employeurs. Par exemple, les « parcours du goût», concours culinaire national de la PJJ, dont la dernière édition s'est déroulée à Toulouse en avril 2018, à la suite de laquelle un des participants s'est vu proposer un emploi chez Lenôtre. Ou encore l'opération « Rêves de gosse », réalisée en partenariat avec l'association « les chevaliers du ciel », qui organise, au cours de ses neuf étapes, des baptêmes de l'air pour des enfants handicapés, accompagnés par les jeunes de la PJJ qui sont chargés de réaliser les repas, ce qui représente un total de 250 repas par jour. Des entreprises comme Carrefour ou Pomona participent à l'opération, ce qui permet de multiplier les contacts et contribue à changer l'image des jeunes de la PJJ.

CONCLUSION

Au total, la démarche poursuivie dans ce rapport se veut dénuée de tout esprit partisan ou doctrinaire. Elle s'appuie sur des soubassements de nature plus sociologiques que philosophiques, autrement dit qui relèvent davantage d'observations (au sens clinique du mot) que d' a priori .

L'approche de l'histoire et de l'évolution des mentalités nous aura été utile : apparaît très tôt la prise de conscience du fait que le jeune n'est pas un adulte en miniature mais un être humain en devenir.

Il nous aura fallu réfléchir sur le rôle de la prison - protéger la société, punir ou réinsérer ? - et au-delà, sur le sens du châtiment qui « n'est pas d'inspirer l'effroi mais de rabaisser quelqu'un dans l'ordre social » selon la formule, certes discutable, de Nietzche.

À cet égard, le regard sur la société de Michel Foucault et de ses commentateurs reste incontournable. Surveiller et punir reste le point de départ de notre réflexion, avec le concept de société de contrôle que dissèque si bien Olivier Razac dans son ouvrage Avec Foucault, après Foucault. Ce dernier ouvrage porte un regard lucide sur le milieu ouvert dont les « nouvelles techniques représentent à la fois une menace et un progrès », nouvelles formes de « gouvernementalité » qui excluent tout « dehors » et finalement toute liberté ; il cite Gilles Deleuze pour qui « face aux formes prochaines de contrôle incessant en milieu ouvert, il se peut que les plus durs enfermements nous paraissent appartenir à un passé délicieux et bienveillant ».

Nous glissons là sur le terrain philosophique, de manière à rappeler la complexité du passage d'une société disciplinaire à une société de contrôle où la violence de la punition serait surtout virtuelle et ne s'exercerait plus que sur les individus asociaux, refusant le contrôle en milieu ouvert, lequel était censé servir à alléger les prisons : il n'en est rien puisque la population pénitentiaire a doublé en vingt-cinq ans et que les moyens alloués au milieu ouvert ont été multipliés par sept depuis 1975.

Cela signifie-t-il que notre société a évolué vers plus de délinquance ? Nous renvoyons à ce sujet à l'ouvrage de Laurent Mucchielli sur la S ociologie de la délinquance . Ainsi avons-nous cherché, dans ce rapport, à croiser l'expérience de terrain avec l'observation sociologique qui s'en nourrit, et la réflexion philosophique.

C'est avec beaucoup d'humilité que nous livrons ces quelques préconisations, convaincues que la solution « miracle » et monolithique n'existe pas. Nous sommes aussi bien conscients du fait que les réponses apportées par les professionnels de la justice, de l'éducation ou du médical, ne satisfont pas toujours l'opinion publique et qu'elles peuvent être remises en cause à l'occasion d'un fait divers pour lequel une réponse immédiate est attendue, quelle qu'en soit l'efficacité à long terme.

Si parmi ces préconisations nous utilisons le mot d'évaluation, c'est en étant attentifs aux limites et aux difficultés de l'exercice en la matière (l'évaluation des politiques publiques au sens où l'entend, par exemple, la Cour des comptes, ne saurait se réduire à une approche comptable ni même statistique).

Nous avons essayé de ne tomber ni dans un angélisme libertaire post soixante-huitard, ni dans une approche du tout répressif telle qu'on a pu la voir revenir au tournant des années 2000.

Relire puis réécrire l'ordonnance de 1945 nous paraît un point de départ indispensable et nous nous réjouissons de la mise en place, par la garde des Sceaux, d'un groupe de travail sur ce sujet : nous y participons, avec la présidente de la mission, avec assiduité.

Nous espérons de tout coeur que cette modeste contribution, éclairée par des acteurs de terrain et des chercheurs en sciences humaines, apportera sa pierre à l'édifice d'une justice à la fois plus humaine et plus efficace dans une société où chaque citoyen puisse se sentir libre, respecté et protégé.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 25 SEPTEMBRE 2018

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Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous débattons aujourd'hui des conclusions de la mission d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés.

Notre mission a commencé ses auditions en avril dernier ; elle a réalisé vingt-cinq auditions, nous permettant de rencontrer cinquante-six interlocuteurs. Nous avons entendu des chercheurs - sociologues, historiens -, qui nous ont aidés à mettre en perspective notre sujet d'étude, des représentants des administrations concernées - la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l'administration pénitentiaire notamment -, pour bénéficier d'un éclairage plus institutionnel, ainsi que les organisations syndicales représentatives de ces administrations. Nous avons également reçu la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et la Défenseure des enfants, afin qu'elles nous fassent partager leur expertise, et, enfin, de grands témoins - notamment MM. Jean-Marie Delarue et Pierre Joxe.

Nous avons par ailleurs visité les différents lieux d'enfermement des mineurs : les établissements pénitentiaires pour mineurs de Marseille et de Meyzieu, le quartier pour mineurs de la maison d'arrêt de Villepinte, le centre éducatif fermé (CEF) de Savigny-sur-Orge et l'hôpital psychiatrique Le Vinatier, dans l'agglomération lyonnaise. Enfin, le 6 septembre dernier, une délégation s'est rendue à l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, à Roubaix, afin de mieux comprendre comment sont formées les futures générations d'éducateurs.

Le 18 juillet dernier, notre rapporteur, Michel Amiel, vous a fait part de ses grandes orientations et le projet de rapport vous a été transmis jeudi dernier.

Notre rapporteur va nous présenter ses conclusions et ses préconisations. Ensuite, vous aurez la parole, mes chers collègues, pour proposer des modifications. À l'issue de nos échanges, je vous demanderai si vous approuvez l'adoption du rapport.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Je veux tout d'abord vous remercier, madame la présidente pour la qualité de nos travaux.

Le point de départ de notre réflexion était les mineurs enfermés et leur réinsertion ; nous avons finalement abouti à un panorama plus vaste sur la justice des mineurs et ses conséquences. Je revendique trois points dans ce travail : conviction, humilité et pragmatisme.

Ma conviction est celle de l'importance de la jeunesse en général, y compris de la jeunesse difficile. Nous avons travaillé avec humilité, car nous n'avons pas la prétention d'apporter des solutions miracles - nous avons d'ailleurs observé lors de nos comparaisons internationales que tout le monde se heurte aux mêmes difficultés. Enfin, nous avons tâché de rester pragmatiques et de formuler des préconisations rappelant les fondamentaux qui président à la justice des mineurs.

Nous avons fait deux constats. Tout d'abord, un enfant n'est pas un adulte miniature, c'est un être humain en devenir. C'est ce principe qui préside à l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, et c'est un principe que les médecins connaissent bien, notamment pour ce qui a trait à la dimension psychologique de l'enfant. Ensuite, si un enfant en danger peut être dangereux, un enfant dangereux est presque toujours en danger - c'est ce qui justifie les relations institutionnelles entre l'aide sociale à l'enfance (ASE) et la PJJ.

La clef de voûte de la justice des mineurs est cette fameuse ordonnance de février 1945 ; ce texte, qui consacre la primauté de l'éducatif par rapport au répressif, a conduit à la création de la PJJ et des juridictions spécialisées, dont le maître d'ouvrage est le juge pour enfants, ainsi qu'à la prise en charge de l'enfant dans sa globalité et sur le temps long. Enfin, il prévoit des peines réduites par rapport à celles qui s'appliquent aux majeurs ; c'est ce que l'on a appelé « l'excuse de minorité », même si cette expression me déplaît - la minorité n'est pas une excuse pour commettre des actes de délinquance, il s'agit plutôt de rappeler cette notion d'être humain en devenir.

Cette mission a procédé à des auditions des professionnels qui participent à la prise en charge des mineurs délinquants - administration pénitentiaire, éducation nationale, PJJ, médecins - et d'universitaires, et elle a fait des visites dans des lieux d'hébergement ou d'enfermement des mineurs - CEF, établissements pénitentiaires pour mineurs et quartiers pour mineurs.

Nos constats peuvent être résumés en six points.

En premier lieu, nous soulignons la primauté de la prévention et de l'éducation, dans le cadre d'un retour aux fondamentaux de l'ordonnance de 1945, retouchée une quarantaine de fois.

En second lieu, nous rappelons le caractère exceptionnel de l'incarcération. La prison est un milieu criminogène ; des enfants un peu en marge peuvent y devenir de véritables délinquants.

En troisième lieu, nous soulignons la nécessité du fil rouge, dans le parcours délinquantiel, que constitue le suivi assuré par l'éducateur en milieu ouvert. Il faut toujours qu'un mineur, même s'il est enfermé pendant un moment, soit suivi par un éducateur en amont pendant l'enfermement puis en aval - pour éviter les sorties « sèches ».

En quatrième lieu, nous avons souhaité faire une analyse spécifique sur les CEF, issus de la loi du 9 septembre 2002, dite « Perben I ». Ces centres ont été très critiqués par les éducateurs de la PJJ, qui estimaient que c'était une remise en cause de la primauté de l'éducatif sur le répressif. Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, que la garde des sceaux présentera prochainement, prévoit de créer vingt CEF et de développer en parallèle toute la palette des solutions, du milieu ouvert à l'incarcération.

Ces CEF peuvent accueillir les adolescents pendant une période pouvant aller jusqu'à six mois renouvelables une fois ; mais en moyenne, les jeunes y restent seulement quatre mois. Le coût de la journée, qui s'élève à environ 700 euros, est élevé en raison de l'importance du dispositif de prise en charge, mais on peut se demander s'il est possible de mener un travail éducatif de fond en seulement quatre mois.

Nous avons aussi visité des établissements pénitentiaires et des quartiers pour mineurs. On y a observé que 70 % des mineurs incarcérés sont en détention provisoire ; ils ne sont donc pas encore jugés.

En cinquième lieu, nous avons aussi souhaité étudier le cas des jeunes majeurs. En effet, la majorité est fixée à dix-huit ans mais on sait que, du point de vue du développement cérébral, jusqu'à l'âge de vingt et un ans, les jeunes doivent faire l'objet d'une attention particulière. Ainsi, comme pour les mineurs, il faut à tout prix éviter les sorties « sèches » pour les jeunes majeurs.

Enfin, en sixième lieu, on peut trouver dommage que les missions de la PJJ aient été recentrées strictement sur la dimension pénale, car cela nuit à la qualité du suivi. On sait que, en pratique, il y a des allers et retours entre l'ASE et la PJJ. Les enfants suivis par l'ASE passent souvent la ligne jaune, ils sont alors suivis par la PJJ puis sont repris en charge par l'ASE. D'ailleurs, il peut arriver que ces allers et retours relèvent d'une stratégie visant à se débarrasser du problème, parce qu'on ne sait pas trop que faire de certains enfants.

Pour finir, je veux faire deux remarques. Tout d'abord, l'adolescence est la période de quête du sens de la vie. L'adolescent ne croit plus aux parents, ne croit plus en Dieu ni au progrès ; en outre, il est en recherche de bien-être et vit un conflit entre le désir d'une chose et de son contraire. Par ailleurs, l'adolescence pose aussi la question de la confiance en l'autre, dont la perte entraîne un repli sur soi, et celle de l'estime de soi. Dans ce cadre, le rôle de l'éducateur est de stimuler le potentiel de l'enfant, en évitant deux poisons : l'humiliation et la violence.

Ensuite, je veux rappeler le point de départ philosophique de la mission d'information : les recherches de Michel Foucault et Gilles Deleuze et les notions de biopouvoir et de société de contrôle. La probation et le contrôle judiciaire ne doivent pas remplacer les mesures éducatives.

Bref, entre l'angélisme et le tout sécuritaire, ce rapport préconise une voie médiane.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Avant de vous passer la parole, mes chers collègues, je veux vous rappeler les propos tenus devant notre mission par Mme Anne Berard, adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire qui avait déclaré que : « les mineurs [enfermés] sont des poly-fracturés de la vie . »

M. Michel Forissier . - Je suis très satisfait du travail que nous avons fait. Nous avions des niveaux très différents de connaissance sur ce sujet, et la discussion nous a enrichis. On a bien pris la température des acteurs de ce milieu. J'ai apprécié, pour ma part, les contacts que nous avons eus à l'hôpital psychiatrique Le Vinatier. Les médecins demandent à être considérés comme des médecins et non comme ceux qui doivent régler les problèmes de la société ; on ne peut pas continuer d'interner des personnes en hôpital psychiatrique sous prétexte qu'on ne sait pas où les mettre.

On a aussi mis en évidence le problème des mentalités vis-à-vis de la justice pénale. Ce qui compte, c'est l'efficacité de la sanction pénale et non l'assouvissement d'un besoin de vengeance. C'est aux potentielles victimes du délinquant qu'il faut penser pour le réinsérer.

Pour un mineur, qui a besoin de bouger, la peine d'enfermement est beaucoup plus difficile ; c'est pour cela que sa peine doit être courte.

En outre, il est difficile de faire de l'éducatif, il ne faut pas penser qu'un mineur enfermé pourra sortir avec un CAP. La peine est trop courte pour cela ; ce qui importe, c'est de le préparer à suivre une formation qui pourrait intervenir par la suite.

Les EPM et les CEF ont rencontré une même difficulté : on a mis dans un même lieu des professionnels qui ne savaient pas travailler ensemble. D'où l'importance de conserver une part de liberté dans les projets d'établissement.

Notre travail met en évidence l'ensemble des difficultés et nos propositions demeurent génériques, pour laisser aux professionnels, dont c'est le métier, le soin de les adapter. Notre rapport fournit une bonne photographie du mal dont souffre la société. Les solutions sont multiples ; plutôt que de couvrir notre pays d'établissements pénitentiaires, il vaut mieux travailler au plus tôt avec les enfants, pour leur éviter de dériver vers la délinquance. L'enfermement est nécessaire, mais ce n'est pas la seule solution.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - C'est pourquoi, notre travail a également porté sur la prévention.

M. Michel Amiel, rapporteur . - La psychiatrie est une spécialité médicale particulière. On se situe parfois à la limite du normal et du pathologique, pour faire référence à l'ouvrage majeur de Georges Canguilhem. Il est parfois difficile pour les professionnels de faire la distinction entre la pathologie mentale - la psychose -, les « simples » troubles du comportement et la souffrance psychologique.

Nous faisons deux propositions au sujet de l'enfermement psychiatrique, les propositions n os 11 et 12 : réserver les soins psychiatriques au traitement des troubles mentaux avérés, et bâtir, à partir de dispositions éparses, un droit spécifique du patient mineur admis en soins psychiatriques.

Concernant le choc que peuvent ressentir des professions qui n'ont pas la même culture, nous faisons deux propositions, les propositions n os 2 et 5. La première consiste à développer une culture partagée entre les différents intervenants auprès des mineurs - PJJ, administration pénitentiaire, éducation nationale, personnel de santé -, ce qui suppose une volonté partagée au plus haut niveau et l'organisation de formations communes obligatoires ; il ne s'agit pas de mélanger les rôles mais de savoir ce que fait l'autre. La seconde, qui m'est chère mais qui ne recueille pas l'unanimité chez les professionnels, vise à profiler les postes d'éducateurs en CEF, à améliorer la formation spécifique à la prise de poste et à revaloriser leur régime indemnitaire. Beaucoup d'éducateurs de la PJJ ne veulent pas aller en CEF, et ceux qui y travaillent s'y retrouvent parfois par défaut. Un éducateur de la PJJ en milieu ouvert n'a pas du tout les mêmes contraintes ni le même métier qu'en CEF. Certains centres sont de véritables cocotte-minute. Le profilage des postes me paraît donc important.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition. Le profilage est d'ailleurs utilisé par l'éducation nationale pour les enseignants qui interviennent dans ces structures. Par parallélisme, il ne me paraît pas extraordinaire de faire de même pour les éducateurs ; cela ne fera que contribuer à la présence de personnes investies et expérimentées.

M. Jean-Marie Morisset . - Il y a une contradiction à se poser la question de vingt CEF supplémentaires et à proposer que le CEF ne devienne pas la solution unique. J'aurais plutôt posé les choses dans l'autre sens : il faut privilégier les solutions en milieu ouvert. En outre, on a appris lors d'une audition que 65 % des mineurs incarcérés retournent en prison et que 60 % des mineurs suivis en milieu ouvert ne récidivent pas.

Enfin, je n'ai rien vu concernant les mineurs non accompagnés (MNA), alors qu'ils représentent, selon des personnes entendues, 50 % de l'effectif des mineurs incarcérés.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous avions exclu ce sujet en définissant le périmètre de la mission, car il est particulier.

M. Jean-Marie Morisset . - C'est dommage de ne pas profiter de cette occasion pour indiquer que nos CEF doivent évoluer.

Enfin, je souhaite modifier la proposition page 175, qui vise à stabiliser le financement apporté par l'État aux missions locales en l'inscrivant dans une perspective pluriannuelle - c'est un voeu pieux. Je rajouterais, après « par l'État », la mention « pour les conseillers référents justice », afin que le Gouvernement prenne conscience que les missions locales doivent conserver, au titre des référents justice, un soutien financier.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Le milieu ouvert est transversal à tout le parcours délinquantiel et joue donc un rôle central dans les solutions à privilégier.

Les statistiques que vous avez rappelées sont exactes mais elles présentent un important biais de sélection : ceux qui sont incarcérés sont ceux qui ont déjà commis les actes les plus graves. On se retrouve rarement en prison du jour au lendemain, quand on est mineur. Le CEF représente pour les mineurs un avertissement avant l'incarcération.

Je rappelle la classification, par Denis Salas, de la délinquance en trois catégories : la délinquance initiatique - la transgression -, la délinquance pathologique - la pathologie individuelle ou familiale -, qui est souvent grave, et la délinquance sociale - la misère sociale qui fait le lit de la délinquance. L'audition de Pierre Joxe nous a rappelé que, en milieu pénitentiaire, les patronymes sont souvent d'origine étrangère. Je connais bien les quartiers nord de Marseille, où la majorité de la population est d'origine maghrébine et où la misère sociale est la plus élevée.

En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, il ne s'agit pas d'un oubli. Je rappelle à cet égard l'excellent travail d'Isabelle Debré et le rapport réalisé l'an dernier par nos collègues Jean-Pierre Godefroy et Elisabeth Doisneau.

M. Jean-Marie Morisset . - Par ailleurs, on ne parle pas, dans la proposition n° 2, des conseils départementaux.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Les mineurs délinquants ne font pas partie des missions des départements.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous avions en tête, pour la rédaction de la proposition n° 2, les auditions avec les professionnels des CEF ou des EPM, au cours desquelles tous évoquaient un problème de différence de cultures professionnelles, ce qui m'a beaucoup gênée. La meilleure façon de se connaître, c'est de prévoir une formation commune obligatoire.

Mme Laurence Rossignol . - Je salue la qualité de ce travail, tant dans son résultat que dans sa méthode, qui a consisté à chercher des éléments de compréhension au plus près de ceux qui travaillent au quotidien dans ce secteur.

Rien ne me pose problème dans le rapport ; j'adhère à ses propositions. Cela dit, on ne dit pas assez que l'incarcération d'un mineur représente un dramatique échec de la protection de l'enfance, car les mineurs délinquants sont souvent issus de familles fragiles.

Par ailleurs, j'ai cherché des données sur le genre dans le rapport, mais je n'en ai pas trouvé.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Le rapport précise page 26 que 97 % des mineurs incarcérés sont des garçons.

Mme Laurence Rossignol . - Je maintiens l'expression de ma frustration : les 3 % de filles m'auraient intéressée.

Mme Catherine Troendlé , présidente. - Elles sont très peu nombreuses, il y a peu de statistiques sur les filles ; c'est un regret pour nous.

Mme Laurence Rossignol . - Je pense qu'il faut souligner cette absence.

Par ailleurs, pour rebondir sur ce que disait notre collègue M. Morisset sur la proposition n° 2, je suggère d'ajouter l'ASE parmi les partenaires censés élaborer une culture partagée, plutôt que les conseils départementaux.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Oui, tout à fait.

Mme Laurence Rossignol . - L'ASE n'intervient pas systématiquement auprès des mineurs confrontés à la justice mais bon nombre d'entre eux y ont eu affaire ; elle doit donc participer à ce partage de cultures.

Enfin, si l'on pouvait faire quelque part référence à la loi de 2016 sur la protection de l'enfant et à la nécessité du décloisonnement, j'en serais personnellement très heureuse.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Les jeunes filles sont très minoritaires parmi les jeunes détenues. Je me suis rendu dans les deux QPM des Bouches-du-Rhône, à Luynes pour les garçons et aux Baumettes pour les filles. Il n'y avait que quatre jeunes filles incarcérées, dont l'une de 15 ans enceinte.

Mme Laurence Rossignol . - J'en viens à la question des bilans de santé. Je n'ai pas pu avoir la certitude qu'un jeune reçoit une évaluation de santé de qualité. Des expertises psychiatriques sont probablement menées, mais cette approche de la santé est parcellaire. Il faut un bilan de santé global, car nous avons la conviction empirique que beaucoup de mineurs délinquants ont été victimes de violences. Il faudrait donc recommander un bilan de santé global et approfondi.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Le bilan de santé est obligatoire en principe. Mais vous connaissez la misère des services médicaux en milieu pénitentiaire. Je ne peux donc pas vous assurer que le bilan qui est fait soit très approfondi. Un simple examen clinique ou un simple interrogatoire ne permet pas de dépister des sévices sexuels qu'un enfant aurait pu subir par exemple.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - J'ai présenté les travaux de notre mission d'information lors d'une mission en Allemagne la semaine dernière. Nos voisins mettent des moyens importants sur l'évaluation de l'enfant qui est pris en charge. Il est vu par un psychologue et un psychiatre. S'il a des problèmes d'addiction ou de schizophrénie, par exemple, ils sont incarcérés dans des unités spéciales. L'évaluation est coûteuse et longue, mais la prise en charge est ensuite ciblée et individualisée.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Les moyens sont dérisoires - nous évoquons cette question dans le rapport. Il faut avoir une vision militante de la médecine pénitentiaire pour exercer ce métier.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Les procédures alternatives sont largement privilégiées par le parquet. Les mineurs sont essentiellement en détention provisoire, ce qui n'existe pas en Allemagne, où ils sont incarcérés pour une durée qui ne peut être inférieure à un an. La démarche est complétement différente.

Mme Laurence Rossignol . - Que font-ils alors de ces jeunes ?

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Ils sont pris en charge en milieu non carcéral.

Dans notre pays, les juges pour enfants, qui constituent une particularité française importante, nous expliquent qu'ils ont besoin de disposer d'une évaluation complète. Néanmoins, celle-ci ne comprend pas de volet médical spécifique. L'évaluation est longue à réaliser et, en attendant, les jeunes sont placés en détention provisoire. Ces jeunes sont incapables de se projeter dans un projet de sortie car tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation ferme, ils se disent qu'ils sortiront peut-être le lendemain. Les éducateurs ont alors du mal à les prendre en charge.

Mme Françoise Gatel . - Je remercie aussi le rapporteur et la présidente de ce travail.

Sur votre proposition de développement des alternatives à l'emprisonnement, cela me semble souhaitable, même si l'enfermement est parfois nécessaire. Les peines alternatives ne sont souhaitables et envisageables qu'en parallèle d'un accompagnement des mineurs.

Sur la durée de l'enfermement, je soutiens la nécessité d'assurer la continuité de l'enseignement scolaire. Il ne faut pas que l'enfermement soit un temps mort, une période blanche, qui entretient une haine, un sentiment de déconstruction.

S'agissant de la culture partagée, il est banal de dire que notre pays souffre d'une approche en silos, avec ceux qui éduquent, ceux qui punissent, ceux qui font de la prévention... On nous impose de plus trop souvent une culture du silence, qui serait nécessaire pour protéger l'enfant.

Il faut, au contraire, une culture partagée, pour prendre en compte le mineur dans sa globalité. En tant qu'élus locaux, nous sommes souvent confrontés à des refus de transmission d'informations, au prétexte qu'elles seraient confidentielles.

Enfin, la prévention doit mobiliser toute la société. La pluridisciplinarité est nécessaire, car nous avons besoin des compétences de chacun des acteurs.

Le tribunal de grande instance de mon département d'Ille-et-Vilaine a récemment installé le conseil de juridiction, rendu obligatoire par la loi sur la justice du XXI e siècle. Ce conseil réunit le préfet, l'ensemble des acteurs judiciaires, la police, la gendarmerie, les associations de défense des victimes, l'éducation nationale, les collectivités locales et les parlementaires. Nous avons évoqué le sujet des enfants engagés dans un chemin judiciaire.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Les mesures alternatives sont de deux types : les mesures probatoires, qui sont en quelque sorte une extension des mesures répressives, et les mesures éducatives. Il faut privilégier les secondes. Les mesures de contrôle judiciaire, qui se situent entre l'éducatif et l'incarcération, ont considérablement crû ces dernières années.

La délinquance des mineurs n'a pas augmenté, mais sa prise en charge a changé. La réponse judiciaire - de la simple admonestation jusqu'aux mesures les plus sévères - est très importante pour les mineurs, bien davantage que pour les adultes.

Nous sommes partis de l'idée qu'il fallait remettre les enfants sur le chemin de l'école. On parle de décrocheurs scolaires, mais encore eut-il fallu qu'ils s'accrochent à un moment ou à un autre ! On estime que ce décrochage survient au collège, en 4 e ou en 3 e , alors que certains d'entre eux ont décroché depuis l'école primaire.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Je rappelle que 63 % des mesures demandées par les parquets sont des mesures alternatives aux poursuites. De nombreux jeunes ont du mal à respecter un contrôle judiciaire et finissent en détention provisoire.

Selon leurs enseignants, ces jeunes mineurs de 16 ans ont souvent un niveau scolaire équivalent au CM2 : ils peuvent être attentifs seulement une heure ou deux. C'est la raison pour laquelle il est très important de bien profiler les enseignants.

Mme Michelle Meunier . - Je félicite également M. Amiel, dont on sent bien à la lecture du rapport qu'il est médecin !

Je partage les remarques qui ont été faites sur la nécessité d'offrir des réponses diversifiées et approuve l'idée d'ajouter l'ASE à la proposition n° 2, d'autant que la présidente de la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (Cnape) nous avait confirmé l'importance de mener un travail de coopération entre les différentes instances.

La proposition n° 1 ne me semble pas correspondre à la tonalité du rapport : elle est trop timorée.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Je suis d'accord !

Mme Michelle Meunier . - Soit on ne met pas cette proposition en premier, soit on revoit sa formulation.

Je vous invite à aller voir le film Shéhérazade. Tourné à Marseille, il traite de cette jeunesse « en rupture », « polydéchirée ». C'est une véritable leçon de choses !

M. Michel Amiel, rapporteur . - La proposition n° 1 pourrait ne pas être mise en exergue. C'est un point qui me sépare de la présidente : on ne fermera pas les QPM pour les remplacer par des EPM. Cette solution serait certes préférable, mais je n'en ferai pas un casus belli .

M. Daniel Chasseing . - Je vous félicite pour ce travail réalisé avec humilité et pragmatisme. Le rapport constate qu'il est nécessaire de donner la primauté à l'éducation et à la prévention, et de faire de la prison l'exception.

Dans le CEF de ma commune, 50 % des jeunes ont le projet de faire une formation. J'ai remarqué, en tant que médecin, qu'aucun d'entre eux ne faisait de sport en arrivant dans le centre. Les associations ont un rôle important à jouer en matière d'intégration. Un bilan médical sommaire et psychiatrique est fait à l'entrée du CEF. Malheureusement, nous n'avons pas toujours de psychiatre disponible pour les jeunes dont le comportement pose gravement problème.

Les propositions n os 3 et 5 me paraissent très satisfaisantes.

S'agissant de la proposition n° 6, il est important d'accompagner les jeunes à l'issue d'une période d'emprisonnement pour éviter qu'ils n'abandonnent leurs éventuels projets de sortie.

Il n'est pas satisfaisant de constater que de nombreux départements se désengagent de la question de la réinsertion des jeunes quand le mineur atteint 18 ans.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Il existe les contrats jeunes majeurs, mais tous les départements ne les ont pas mis en place, pour des raisons financières.

Mme Chantal Deseyne . - J'adhère aux propositions qui sont faites dans le rapport qui, toutefois, n'évoque pas suffisamment l'environnement social, familial et culturel de ces jeunes. Nous sommes tous d'accord pour dire que ce sont des victimes. Un partenariat avec l'ASE, avec les assistants sociaux de l'éducation nationale, avec la protection maternelle et infantile (PMI) permettrait peut-être de mieux détecter ces enfants, pour les accompagner plus en amont.

Il faut souligner la défaillance de l'éducation nationale dans les lieux de privation de liberté des mineurs, CEF ou QPM.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Le rapport évoque les familles dysfonctionnelles.

M. Michel Amiel, rapporteur . - La sociologie de la délinquance montre que la défaillance sociale, affective et familiale fait le lit de la délinquance. Ce point est cependant en dehors du champ de notre rapport.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Auparavant, les infirmières scolaires assuraient un meilleur suivi des enfants à l'école primaire ; les assistantes sociales, qui étaient plus nombreuses, prenaient le relais. Le signalement pose aujourd'hui problème.

On pourrait peut-être s'inspirer de la plateforme qui a été mise en place pour permettre aux enseignants de signaler les jeunes qui risquent de se radicaliser.

M. Michel Amiel, rapporteur . - L'histoire de la prévention de la délinquance juvénile montre que, depuis le XIX e siècle, on a essayé de profiler le délinquant, y compris de façon morphotypique. Il faut veiller à ce que la prévention ne tourne pas à un dépistage reposant sur des critères discutables, car il y a un risque de stigmatisation. Nous ne devons pas pointer des enfants vivant dans des milieux socialement défavorisés comme des graines de délinquants...

Mme Chantal Deseyne . - Je ne veux pas que l'on fiche les enfants, mais que l'on accompagne les familles.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Je vous renvoie au livre Sociologie de la délinquance de Laurent Mucchielli.

Ce qui a disparu aujourd'hui, c'est le contrôle social. Le personnage de Lebrac dans La guerre des boutons serait aujourd'hui en prison ! À l'époque, il se prenait une raclée et à l'école et à la maison... Je ne fais pas l'apologie du châtiment corporel, mais le contrôle social évitait à ces jeunes de se retrouver devant la justice. Aujourd'hui, le contrôle est institutionnel, ce qui a déplacé les radars de la délinquance vers des champs différents.

Mme Josiane Costes . - Je félicite également le rapporteur et la présidente, qui ont mené des auditions au plus près du terrain.

J'adhère totalement aux propositions de ce rapport. Sur la proposition n° 5, il me paraît important d'avoir un projet pédagogique construit, et de ne pas se contenter d'offrir une mosaïque d'activités déconnectées les unes des autres qui ne peuvent structurer un adolescent. Le profilage des personnels intervenant en CEF, éducateurs et enseignants, est important.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Normalement, les CEF doivent avoir un projet d'établissement. La pratique est parfois tout autre...

M. Michel Forissier . - Je suis partisan de fermer les QPM. Pour des raisons psychologiques, un mineur ne doit jamais être traité comme un majeur.

Un établissement pénitentiaire est très perméable : la nuit, les détenus circulent, on pratique du commerce... Les surveillants laissent passer pour éviter des problèmes plus importants.

Placer certains mineurs déjà engagés dans la délinquance dans un établissement pour adultes constitue, pour eux, une avancée professionnelle ! Des jeunes sont aussi « recrutés » en prison par des adultes.

M. Michel Amiel, rapporteur . - La proposition n° 1 est une proposition de compromis. On pourrait ajouter qu'il est nécessaire de séparer le monde des adultes et celui des mineurs.

M. Michel Forissier . - Ce n'est pas possible ! Nous n'avons pas le choix : il faut construire des établissements pour mineurs, même si cela coûte cher, pour éviter la perméabilité avec les adultes.

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Je ne veux pas jeter un pavé dans la mare, mais en Allemagne les établissements pénitentiaires comprennent 180 détenus, dont la moitié d'adultes et la moitié de jeunes. Pourtant, ils ont de très bons résultats !

M. Michel Forissier . - Nous n'avons pas la même culture.

M. Daniel Chasseing . - Les CEF ne sont pas fermés : la drogue y entre, même en milieu rural. Nous n'avons aujourd'hui plus le droit de faire doser les urines pour vérifier si un jeune consomme de la drogue.

Mme Marie Mercier . - J'ai été frappée d'entendre Pierre Joxe dire, lors de son audition, qu'il s'occupait de la défense des mineurs parce que personne ne voulait le faire.

Les auditions que nous avons menées, sur la question des violences sexuelles ou sur celle des mineurs en psychiatrie, nous ont permis de nous rendre compte qu'il fallait changer les mentalités. De nombreux professionnels considèrent que les questions relatives aux mineurs sont mineures. Or s'occuper des mineurs, c'est majeur !

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Le titre du rapport serait : « Une adolescence entre les murs : l'enfermement dans les limites de l'éducatif, du thérapeutique et du répressif ».

M. Michel Amiel, rapporteur . - Ce titre rappelle l'ouvrage d'Hervé Bazin, La tête contre les murs .

Mme Catherine Troendlé, présidente . - Je mets le rapport aux voix.

Le rapport est adopté.

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* 1 François Dosse, Histoire du structuralisme. Tome 1. Le champ du signe 1945-1966 ; Tome 2. Le chant du cygne 1967 à nos jours, Éditions La Découverte (1991-1992).

* 2 Propos recueillis pour Philosophie magazine, n° 40, juin 2010.

* 3 François Dosse, Histoire du structuralisme, op.cit.

* 4 Paradoxe selon lequel au plus un phénomène désagréable pour la société diminue, plus ce qu'il en reste est considéré comme désagréable.

* 5 Olivier Razac, Avec Foucault, après Foucault. Disséquer la société de contrôle, L'Harmattan (2008).

* 6 C'est ainsi que la loi Perben prévoit la présentation immédiate pour les cas les plus graves, équivalent de la comparution immédiate chez les majeurs.

* 7 À ce sujet, votre rapporteur renvoie au rapport intitulé « Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale » d'Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

* 8 Cf. le rapport Sénat n° 639 « Menace terroriste : pour une République juste mais plus ferme », fait par Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure, au nom de la commission d'enquête.

* 9 La France compte près de 4,3 millions de jeunes âgés de treize à dix-huit ans.

* 10 Les mineurs âgés de treize ans révolus et de moins de seize ans ne peuvent être placés en détention provisoire que s'ils encourent une peine criminelle ou s'ils se sont volontairement soustraits aux obligations d'un contrôle judiciaire, qui comportait une obligation de respecter un placement en centre éducatif fermé. Les mineurs âgés de seize ans révolus ne peuvent être placés en détention provisoire s'ils encourent une peine criminelle ou une peine correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans ; ou s'ils se sont volontairement soustraits aux obligations d'un contrôle judiciaire ou aux obligations découlant d'une assignation à résidence avec surveillance électronique.

* 11 D'entrée de jeu se pose donc la question des jeunes majeurs sur laquelle nous reviendrons.

* 12 Cf. l'article « Les nourrissons vivant auprès de leur mère incarcérée au centre pénitentiaire des femmes de Rennes entre 1998 et 2013. Constats et perspectives », par A. Blanchard, L. Bébin, S. Leroux, M. Roussey, M.-A. Horel, M. Desforges, I. Page, Y. Bidet et M. Balençon, publié dans les Archives de pédiatrie, décembre 2017.

* 13 La CNCDH a adopté le 27 mars 2018 un avis sur la privation de liberté des mineurs.

* 14 Font partie des sanctions éducatives l'avertissement solennel, l'exécution de travaux scolaires, l'interdiction de paraître, l'interdiction de rencontrer la victime, l'interdiction de rencontrer les co-auteurs ou les complices, la confiscation, la mesure d'aide ou de réparation, le stage de formation civique ou le placement.

* 15 La peine de jour-amende prévue à l'article 131-5 du code pénal consiste à payer une amende dont le montant est fixé par jour (dans la limite de cent euros) et pour une certaine durée (360 jours au maximum).

* 16 Audition du 26 juin 2018.

* 17 Audition du 20 juin 2018.

* 18 Audition du 18 avril 2018.

* 19 Le taux de réponse pénale mesure la part des affaires susceptibles d'être poursuivies qui ont fait l'objet soit de poursuites, soit d'une mesure alternative aux poursuites (y compris la composition pénale). Il revient au parquet d'apprécier l'opportunité des poursuites.

* 20 Audition du 18 avril 2018.

* 21 Audition du mardi 15 mai 2018.

* 22 Audition du 13 juin 2018.

* 23 Audition du 11 avril 2018.

* 24 Il est toujours utile sur ce sujet de consulter l'ouvrage Sociologie de la délinquance de Laurent Mucchielli (Armand Colin, 2 e édition 2018).

* 25 Audition du 13 juin 2018.

* 26 En 1980, Michel Foucault écrivait que « les seuils d'intolérance dans une société méritent une grande attention, tant du point de vue de la réflexion historique que de l'analyse politique. Car ce n'est pas affaire simplement de sensibilité, c'est aussi affaire de résistance, de capacité de rejet et de volonté de combat ». (cf. la postface de l'ouvrage édité par Michelle Perrot, L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIX e siècle, page 316).

* 27 Audition du 11 avril 2018. C'est aussi la thèse qu'illustre l'ouvrage de Bertrand Rothé, Lebrac trois mois de prison (Seuil, 2009).

* 28 Instituée par la loi n° 96-585 du 1 er juillet 1996, la procédure de comparution à délai rapproché, prévue à l'article 8-2 de l'ordonnance de 1945, permet au parquet, à tout moment de la procédure, s'il estime que des investigations complémentaires ne sont plus nécessaires, de requérir du juge des enfants qu'il ordonne la comparution du mineur devant la juridiction de jugement dans un délai compris entre un et trois mois.

* 29 La composition pénale est une procédure qui permet au procureur de proposer une sanction (amende, retrait de permis, stage...) à une personne ayant commis certaines infractions. La proposition doit être acceptée par l'auteur des faits et validée par le tribunal. Elle permet d'éviter la tenue d'un procès.

* 30 Fort peu utilisé, il a été supprimé en 2016.

* 31 Il est désormais rebaptisé établissement public d'insertion pour l'emploi.

* 32 Cf. le rapport d'information Sénat n° 598 (2016-2017) du 28 juin 2017, « Mineurs non-accompagnés : répondre à l'urgence qui s'installe », fait par Mme Elisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy au nom de la commission des affaires sociales.

* 33 La notion de mineur isolé étranger (MIE) était usitée jusqu'à 2016 pour caractériser ces personnes. Le choix de cette nouvelle terminologie de MNA s'explique par l'harmonisation lexicale avec le droit européen. En effet, ces mineurs sont définis selon l'article 1 er de la résolution du Conseil de l'Europe du 26 juin 1997 comme « tous les nationaux de pays tiers de moins de 18 ans qui entrent dans le territoire des États membres sans être accompagnés d'un adulte qui soit responsable d'eux par effet de la loi ou de fait, et [...] (les) mineurs ressortissants de pays tiers qui ont été laissés seuls après être entrés sur le territoire des États membres. »

* 34 La question de l'évaluation de l'âge des MNA est un problème récurrent ; tant que leur âge n'a pas été évalué, les individus qui déclarent être mineurs sont considérés comme tels.

* 35 Audition du 25 juin 2018.

* 36 Audition du 12 juin 2018.

* 37 Citation extraite du texte «La vie des hommes infâmes» de Michel Foucault, paru dans Les Cahiers du chemin, n° 29, 15 janvier 1977.

* 38 J.-R. BUISSON, La pédopsychiatrie : prévention et prise en charge , avis du Conseil économique, social et environnemental, 2010.

* 39 Comprend l'hospitalisation complète et l'hospitalisation partielle.

* 40 Cf. les développements sur les droits du patient mineur.

* 41 B. WELNIARZ et H. MEDJDOUB, « L'utilisation de l'isolement thérapeutique au cours des hospitalisations à temps plein en psychiatrie infanto-juvénile », L'information psychiatrique , t. 81, 2005.

* 42 Les troubles de l'humeur recoupent essentiellement les troubles dépressifs et les troubles bipolaires.

* 43 M. AMIEL, Situation de la psychiatrie des mineurs en France , rapport d'information de la mission d'information du Sénat n° 494 (2016-2017).

* 44 Au cours de son audition du 10 janvier 2017, Mme Marie-Rose MORO, pédopsychiatre, avait notamment déclaré que « l'intensité compte également. [...] Il existe donc une continuité dans ces états et des catégories. [L'intensité explique qu'] on bascule dans une catégorie. Celle qui relève du registre de la pédopsychiatrie est bien sûr la souffrance psychique qui se transforme en trouble psychiatrique ». Ce que nous avons constaté en matière de délinquance, à savoir une baisse de la tolérance de la société, s'observe également en matière de troubles psychiques et la judiciarisation de la société s'accompagne d'une psychiatrisation, en particulier en matière infantile. Le moindre trouble doit maintenant relever d'une prise en charge psychique (et non d'une simple évaluation) supplétive de la parentalité.

* 45 M. BRIAN, « Psychiatrie, la fin d'une époque ? », Le Débat , t. 127, 2003, p. 137.

* 46 Ibid. , p. 138.

* 47 Ibid. , p. 142.

* 48 Ibid. , p. 145.

* 49 L'article 388-1 du code civil est ainsi rédigé : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.

Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d'être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne.

L'audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.

Le juge s'assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat. »

* 50 D. GAUTIEZ, C. HOUSSOU, B. LACHAUX et L. MICHAUD, « Crédibilité et expertise psychiatrique », L'information psychiatrique , t. 84, 2008.

* 51 Décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, article 2.

* 52 Dont la liste figure au chapitre V relatif aux troubles mentaux et du comportement (codes F00-F99) de la classification internationale des maladies (CIM-10) publié par l'organisation mondiale de la santé (OMS).

* 53 L'approche psychanalytique de l'autisme, popularisée dans les années 1950 par Bruno BETTELHEIM, explique l'apparition de l'autisme chez l'enfant par le désir inconscient qu'aurait sa mère de le supprimer. En a été déduite la prescription d'un retrait de l'enfant de son environnement familial, jugé destructeur.

* 54 Notamment le rapport de nos collègues Cl.-L. CAMPION et Ph. MOUILLER, Prise en charge de personnes handicapées dans des établissements situés en dehors du territoire national , rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat n° 218 (2016-2017).

* 55 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 56 L'IGAS, dans un rapport de novembre 2017 ( Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 ), relevait qu'en 2017 seules 8 opérations de transfert financier de l'enveloppe psychiatrique vers l'enveloppe médico-sociale avaient eu lieu pour un montant total de 5 740 000 euros, soit environ 0,07 % de l'enveloppe psychiatrique (annexe 9).

* 57 M. BRAIN, « Psychiatrie, la fin d'une époque ? », op. cit. : « la globalisation des problèmes qui vont de l'autisme aux troubles anxieux introduit un flou inquiétant qui ne peut qu'augmenter la demande d'avis psychiatrique ».

* 58 CGLPL, Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale , 2017.

* 59 Dans une rédaction plus alambiquée, l'article R. 4127-42 du CSP dispose que « si l' avis de l'intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible ».

* 60 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 61 Article R. 1111-6 du CSP.

* 62 Les modalités de soins psychiatriques font l'objet du titre I er du livre II de la troisième partie du code de la santé publique.

* 63 Votre rapporteur est tenté d'y voir un « résidu », à l'époque contemporaine, de l'article du code civil de 1804 qui donnait la possibilité au père de faire incarcérer son enfant.

* 64 Réponse à la question écrite n° 36 681 de Mme Jacqueline FRAYSSE (JOAN du 3 septembre 2013).

* 65 Qui fait l'objet du chapitre II du titre susvisé.

* 66 Qui fait l'objet du chapitre III du titre susvisé.

* 67 Article 706-135 du code de procédure pénale.

* 68 Ce délai a d'ailleurs donné son titre à un documentaire réalisé en 2017 par Raymond Depardon.

* 69 Audition du 10 janvier 2017 de Mme Marie-Rose MORO dans le cadre de la mission d'information du Sénat relative à la psychiatrie des mineurs : « l'enfant est souvent très bon juge de ce qui lui arrive [...] L'enfant est capable de dire ce qu'il ressent de son point de vue ».

* 70 C. HAZIF-THOMAS, La liberté de choix des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques , Rennes, thèse de droit soutenue à l'Université de Rennes-1, 2016, p. 411.

* 71 Il est en effet historiquement admis que l'autorité judiciaire n'a pas à connaître de faits dont l'imputabilité à leur commettant fait défaut du fait d'une absence de discernement. La compétence en revient au corps médical, sous le contrôle de l'autorité administrative.

* 72 Cour de cassation, première chambre civile, 29 mai 1996, n° 92-05018.

* 73 Audition du 18 avril 2018.

* 74 Audition du 15 mai 2018.

* 75 Audition du, 12 juin 2018.

* 76 Audition du 4 juin 2018.

* 77 Audition du 11 avril 2018.

* 78 Ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger.

* 79 Dr Margaux Lemesle, Mémoire pour le diplôme d'études spécialisées, qualification en pédiatrie, 2013, Université de Nantes, inter-région Ouest.

* 80 Études et résultats, revue de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), février 2018.

* 81 Audition du 4 juin 2018.

* 82 Gestion automatisée des mesures éducatives ordonnées par les magistrats en charge des dossiers relatifs à la jeunesse.

* 83 Audition du 24 mai 2018. Ce constat rejoint celui auquel était parvenu le chercheur Grégory Derville, dans son article « Le système territorialisé de protection de l'enfance : enjeux et difficultés de la mise en oeuvre de la réforme du 5 mars 2007 » publié dans la revue Informations sociales 2010/6 (162) ; il évoquait un « volontarisme variable des conseils départementaux. Qui plus est, les situations sont ici très contrastées selon les départements, en fonction par exemple du nombre et de la gravité des situations que le dispositif départemental de protection de l'enfance doit traiter, de la densité du tissu urbain, du type d'organisation mis en oeuvre par les conseils généraux (plus ou moins « déconcentré »), mais aussi et surtout de l'ancienneté et de la qualité des relations que ceux-ci entretiennent avec leurs différents partenaires en matière de protection de l'enfance».

* 84 Audition du 13 juin 2018.

* 85 Sur la problématique des bandes, voir l'ouvrage de Marwan Mohammed, La formation des bandes. Entre la famille, l'école et la rue (PUF, 2011).

* 86 Audition du 27 juin 2018.

* 87 Audition du 24 mai 2018.

* 88 Audition du 18 avril 2018.

* 89 Cf. son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne (Les éditions de minuit, 1973, pour la version française).

* 90 Ce développement s'appuie sur un article de Laurent Mucchielli, « La déviance : normes, transgression et stigmatisation », disponible via : http://laurent.mucchielli.free.fr/deviance.htm

* 91 Le binge drinking consiste à consommer une quantité massive d'alcool en un court laps de temps.

* 92 Ce point est abordé dans l'audition de M. Jean-Michel Rapinat, directeur des politiques sociales de l'Assemblée des départements de France, le 6 juin 2018.

* 93 Source : la Gazette.fr, 2018.

* 94 Audition de M. Rémi Heitz du 18 avril 2018.

* 95 Cf. l'article du journal Le Monde « À Paris, des policiers marocains chargés d'identifier des mineurs isolés », 26 juillet 2018.

* 96 Circulaire du ministère de la justice relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers : dispositif national de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation, circulaire n° JUSF1314192C, du 31 mai 2013. Voir, sur cette question, l'article de Nisrine Eba Nguema intitulé « La protection des mineurs migrants non accompagnés en Europe », Revue des droits de l'homme, 7/2015.

* 97 Audition du 20 juin 2018.

* 98 Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) au ministère du travail et Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) au ministère de la santé et des solidarités.

* 99 Audition du 20 juin 2018. On ne peut cependant déduire de ces chiffres que le milieu ouvert produirait de meilleurs résultats pour prévenir la récidive que l'incarcération. Les mineurs incarcérés, on l'a vu, sont des mulréitérants ou les auteurs d'infractions graves ; ils n'ont donc pas le même profil que les mineurs suivis en milieu ouvert.

* 100 Audition du 19 avril 2018.

* 101 Audition du 16 mai 2018.

* 102 Audition du 24 mai 2018.

* 103 Au 1 er juillet 2017, sur un total de 825 mineurs détenus, 551 étaient détenus en QPM - avec 387 prévenus et 164 condamnés - tandis que 274 - 213 prévenus et 61 condamnés - l'étaient en EPM.

* 104 Voir Henri Gaillac, les maisons de correction 1830-1945, (1971), pp. 63-65.

* 105 Henri Gaillac, opus cité, p. 86 : « Les douze colonies de jeunes détenus groupent 2 500 enfants [...] Par suite d'une politique aberrante, qui s'est malheureusement perpétuée longtemps, les garçons les plus difficiles sont placés dans des maisons aux effectifs trop importants, alors que l'atmosphère familiale était réservée à des enfants moins difficiles ».

* 106 Elise Yvorel, Les enfants de l'ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XX e siècle en France métropolitaine (2007), p. 45-58.

* 107 Cité par Mathias Gardet, dans l'ouvrage collectif coordonné par Jacques-Guy Petit, La détention des enfants dans Ces peines obscures. La prison pénale en France 1780-1875, (1990), p. 295.

* 108 À Villepinte, il a été indiqué à la délégation que deux ou trois surveillants sont présents chaque jour, contre huit éducateurs de la PJJ, pour encadrer une quarantaine de détenus mineurs. À titre de comparaison, on compte deux surveillants pour deux cents détenus dans le quartier pour majeurs.

* 109 Le taux d'occupation est de 200 %.

* 110 Dans l'EPM de Lavaur, visité par notre collègue Brigitte Micouleau, le 8 juin 2018, sont organisés trois régimes de vie différenciés : un régime général, un régime renforcé et un régime de responsabilité, selon des niveaux d'autonomie et d'accès aux activités en fonction de la conduite des mineurs durant leur incarcération.

* 111 Les 18,4 millions d'euros de 2007 corrigés de l'inflation.

* 112 Deux QPM devraient d'ailleurs être prochainement construits : le premier, de vingt places, dans le futur centre pénitentiaire de Lutterbach (Haut-Rhin) et l'autre, d'une trentaine de places, dans le futur établissement de Lille Loos (Nord).

* 113 Audition de M. Laurent Solini du 16 mai 2018.

* 114 Audition de Mme Madeleine Mathieu du 15 mai 2018.

* 115 Elle partage sur ce point la réflexion de l'ancien ministre Pierre Joxe pur qui « l'enfermement peut être une réponse justifiée, à deux conditions : s'il est rare et surtout s'il s'agit du dernier recours » (audition du 24 mai 2018).

* 116 Audition du 18 mai 2018.

* 117 Audition du 20 juin 2018.

* 118 Audition de M. Jean-Marie Delarue du 18 avril 2018.

* 119 Entretien avec Michel Foucault, À propos de l'enfermement pénitentiaire, Pro Justitia, Revue politique de droit, tome I, n° 3-4 ; Le Persée, octobre 1972, page 7.

* 120 Audition du 16 mai 2018.

* 121 À titre principal, sept établissements pénitentiaires peuvent ainsi accueillir des mineures : trois établissements pénitentiaires pour mineurs, au sein d'une unité spécifique pour les jeunes filles (Lavaur, Meyzieu et Quiévrechain) ; quatre établissements disposant de quartiers femmes : la maison d'arrêt d'Épinal, le centre pénitentiaire de Marseille-Les-Baumettes, la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et le centre pénitentiaire de Rennes. À titre subsidiaire, des mineures peuvent être incarcérées dans d'autres établissements pour femmes, afin de privilégier les liens familiaux.

* 122 Antony de Wise, La mixité comme un levier, Les Cahiers Dynamiques 2013/1 (n° 58).

* 123 Audition du 20 juin 2018.

* 124 Audition du 7 juin 2018.

* 125 Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? , rapport d'information n° 759 (2010-2011) de MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, fait au nom de la commission des lois du Sénat, juillet 2011.

* 126 IGAS, IGSJ et IPJJ, Mission sur l'évaluation des centres éducatifs fermés (CEF) dans le dispositif de prise en charge des mineurs délinquants , février 2013.

* 127 IGAS, IGSJ et IPJJ, Rapport sur le dispositif des centres éducatifs fermés , juillet 2015.

* 128 Projet de loi de finances pour 2018 : Protection judiciaire de la jeunesse , Avis n° 114 (2017-2018) de Mme Josiane Costes, fait au nom de la commission des lois du Sénat, novembre 2017.

* 129 CNCDH, Avis sur la privation de liberté des mineurs, mars 2018.

* 130 Décret n° 2007-1573 du 6 novembre 2007 relatif aux établissements et services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse.

* 131 Rapport annuel de performance (RAP) 2017, Programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse ».

* 132 Loi n° 2002-1138 d'orientation et de programmation pour la justice.

* 133 Ils relèvent des établissements sociaux et médico-sociaux régis par l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 134 Une enquête menée en 2016 par la PJJ recensait une proportion de 38 % de mineurs placés en CEF faisant l'objet d'au moins un signalement relatif à une absence non autorisée.

* 135 Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? , op. cit.

* 136 Arrêté du 31 mars 2015 relatif aux règles d'organisation, de fonctionnement et de prise en charge des centres éducatifs fermés du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, circulaire d'application du 10 mars 2016. Ce cahier des charges ne s'applique de jure qu'au secteur public, le ministère déclare réfléchir aux modalités juridiques de son application au secteur associatif habilité.

* 137 Réponse au questionnaire budgétaire du programme 182.

* 138 Rapport annuel de performance 2017.

* 139 PAP 2018.

* 140 Idem.

* 141 Arrêté du 31 mars 2015 précité.

* 142 La circulaire du 10 mars 2016 précise qu'« un bilan de santé est réalisé avec le mineur dans les délais les plus brefs suivant son arrivée au CEF et en tout état de cause au cours de la phase d'accueil. Il permet de définir les modalités du recours aux soins et à la prévention en fonction des besoins repérés. Les démarches à engager sont formalisées dans le dossier du mineur qui contient un recueil d'informations sur sa santé ».

* 143 Circulaire du 10 mars 2016 précitée.

* 144 Idem.

* 145 Circulaire n° 2015-121 du 3 juillet 2015 conjointe relative au partenariat entre le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la justice.

* 146 Articles L. 131-1 et L. 131-5 du code de l'éducation.

* 147 Circulaire conjointe DPJJ/DGESCO du 22 février 2005 concernant l'organisation de la scolarisation des mineurs placés en CEF.

* 148 Circulaire n° 2015-121 du 3 juillet 2015 précitée.

* 149 IGSJ et IGAS, Rapport sur le dispositif des centres éducatifs fermés , juillet 2015.

* 150 Audition du 12 juin 2018.

* 151 Audition du 13 juin 2018.

* 152 Audition du 6 juin 2018.

* 153 de Bruyn F., Choquet L-H, Thierus L., Enquête sur la réitération des mineurs places en centre éducatif ferme entre 2003 et 2007 , Rapport final, août 2011, Pôle Recherche, DPJJ.

* 154 Projet de loi de finances pour 2018 : Protection judiciaire de la jeunesse , op. cit.

* 155 Audition du 13 juin 2018.

* 156 CNCDH, Avis sur la privation de liberté des mineurs, op. cit.

* 157 Audition du 13 juin 2018.

* 158 Audition du 13 juin 2018.

* 159 Audition du 13 juin 2018.

* 160 IGSJ et IGAS, op. cit.

* 161 IGSJ et IGAS, op. cit.

* 162 Idem.

* 163 Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? , op. cit.

* 164 Les ouvertures de CEF depuis 2012 sont situées notamment à Bures-sur-Yvette, Laon, Bruay-la-Buissière, Epinay-sur-Seine, Angoulême, Marseille (deux centres) et Cambrai.

* 165 Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? , op. cit.

* 166 CNCDH, op. cit.

* 167 Circulaire d'application du 10 mars 2016 précitée.

* 168 Pour une approche sociologique de l'hôpital psychiatrique, cf. l'ouvrage d'Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus (Les éditions de minuit, 1968), où il est question du rapport entre l'interprétation de l'hôpital comme institution totalitaire et celle des psychiatres comme établissement de santé.

* 169 Cette inflexion fait l'objet d'une étude approfondie dans l'ouvrage de S. FISCHMAN, La bataille de l'enfance. Délinquance juvénile et justice des mineurs en France pendant la Seconde Guerre mondiale , Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 190 et suiv.

* 170 L'étude précitée cité notamment R. GAUTIER, qui voyait l'acte délinquant comme « la manifestation extérieure d'une conscience pathologique » (p. 197).

* 171 B. WELNIARZ et H. MEDJDOUB, « L'utilisation de l'isolement thérapeutique », op. cit.

* 172 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, article 72.

* 173 HAS, Lettre d'information n° 10 , janv.-fév. 2008.

* 174 B. WELNIARZ, « Utilisation des psychotropes en pédopsychiatrie », L'information psychiatrique , t. 94, 2018, p. 91-92.

* 175 En effet, dans la plupart des cas, les molécules intervenant dans la composition de ces médicaments n'ont pas fait l'objet d'une autorisation pour cette population en particulier. Seule la rispéridone bénéficie de l'AMM chez l'enfant.

* 176 Courrier international, « Pédopsychiatrie. La Ritaline prescrite à tout-va », 19 juillet 2006.

* 177 INSERM, Médicaments psychotropes : consommations et pharmacodépendances , Paris, Collection Expertise collective, 2012.

* 178 M. AMIEL, Situation de la psychiatrie des mineurs en France , op. cit.

* 179 HAS, Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent , mars 2012.

* 180 Circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales et circulaire du 15 mars 1960 relative au plan directeur des hôpitaux psychiatriques anciens.

* 181 Un récent rapport de l'IGAS ( Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 , novembre 2017) n'appelait d'ailleurs pas à son abrogation, estimant qu'elle était « loin d'être dépassée », mais considérait qu'elle « ne [suffisait] plus à guider notre trajectoire compte tenu des changements qu'a connus le dispositif psychiatrique et les demandes qui lui sont aujourd'hui adressées ».

* 182 Loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation.

* 183 B. EYRAUD et D. MOREAU, « Formes et régulations de l'enfermement psychiatrique : de la création de l'asile aux nouvelles unités sécurisées, l'exemple de l'hôpital du Vinatier », Cultures & Conflits , t. 90, 2013, p. 132.

* 184 Circulaire n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993 ( Circulaire Veil ) portant sur le rappel des principes relatifs à l'accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pour troubles mentaux.

* 185 Circulaire n° 72-443 du 16 mars 1972 portant programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et des adolescents.

* 186 Circulaire DGS/892/MS 1 du 9 mai 1974 sur la mise en place de la sectorisation psychiatrique infanto-juvénile.

* 187 Circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale.

* 188 Circulaire DGS/DH n° 70 du 11 décembre 1992 portant orientations de la politique de santé mentale en faveur des enfants et adolescents.

* 189 J. HOCHMANN, P. BIZOUARD et Cl. BURSZTEJN, « Troubles envahissants du développement : les pratiques de soins en France », La psychiatrie de l'enfant , t. 54, 2011, p. 532-533.

* 190 Ibid.

* 191 Décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation de la sectorisation psychiatrique.

* 192 Les comparer avec les chiffres précédemment exposés des patients mineurs pris en charge en soins psychiatriques.

* 193 Cour des comptes, L'organisation des soins psychiatriques : les effets du plan « psychiatrie et santé mentale » (2005-2010) , rapport public thématique, décembre 2011.

* 194 Le 28 juin 2018, la feuille de route relative à la santé mentale et à la psychiatrie présentée par Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, ne mentionne que « l'augmentation du nombre des professionnels formés (notamment PU-PH et chefs de cliniques en pédopsychiatrie) ».

* 195 Audition de la mission d'information du 13 juin 2018.

* 196 IGAS, Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 , novembre 2017.

* 197 Notre rapport relatif à la psychiatrie des mineurs ( op. cit. ) rappelle qu'en 2017 une dizaine de départements étaient totalement dépourvus de lits de pédopsychiatrie.

* 198 HAS, Enjeux et spécificités de la prise en charge des enfants et des adolescents en établissement de santé , décembre 2011.

* 199 CGLPL, Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale , 2017.

* 200 Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

* 201 Audition du 12 juin 2018.

* 202 Audition du 12 juin 2018.

* 203 Audition du 12 juin 2018.

* 204 L. COHEN, C. GIUDICELLI et Br. MICOULEAU, UHSA : construire pour soigner , rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat n° 612 (2016-2017).

* 205 Audition du 12 juin 2018.

* 206 Audition du 13 juin 2018.

* 207 L. COHEN, C. GIUDICELLI et Br. MICOULEAU, UHSA : construire pour soigner , op. cit .

* 208 Arrêté du 20 juillet 2010 relatif au ressort territorial des unités spécialement aménagées destinées à l'accueil des personnes incarcérées souffrant de troubles mentaux.

* 209 Audition du 13 juin 2018.

* 210 Audition du 13 juin 2018.

* 211 Choquet M. et al. (1998), Adolescents (14-21 ans) de la protection judiciaire de la jeunesse et santé , INSERM.

* 212 Ministère de la justice, Synthèse de l'état des connaissances , Dossier de presse de la journée du 2 février 2015, février 2015.

* 213 Gouvernement, Priorité jeunesse - Synthèse du comité interministériel de la jeunesse , février 2013.

* 214 Article L. 131-1 du code de l'éducation.

* 215 Bibard D., Borrelli C., Mucchielli L., Raffin V. (2016), « La délinquance des mineurs à Marseille. 500 jeunes suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse », Les Rapports de Recherche de l'ORDCS, n°9, MMSH, Université Aix-Marseille.

* 216 Idem.

* 217 Idem.

* 218 Idem.

* 219 Audition du 6 juin 2018.

* 220 Conseil national de l'évaluation du système scolaire (CNESCO), Comment agir plus efficacement face au décrochage scolaire ? , dossier de synthèse de la conférence de comparaisons internationales sur le décrochage scolaire, novembre 2017.

* 221 Circulaire interministérielle n° 2014-159 du 24 décembre 2014 relative à la prévention de l'absentéisme scolaire.

* 222 Les motifs légitimes d'absence sont limitativement énumérés à l'article L. 131-8 du code de l'éducation : maladie de l'enfant, maladie transmissible ou contagieuse d'un membre de la famille, réunion solennelle de famille, empêchement résultant de la difficulté accidentelle des communications, absence temporaire des personnes responsables lorsque les enfants les suivent.

* 223 Communication de Mmes Anne Brugnera et George Pau-Langevin, rapporteurs de la mission « flash » sur la déscolarisation de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, juillet 2018.

* 224 Synthèse de la de la mission « flash » sur la déscolarisation, fait par Mmes Anne Brugnera et George Pau-Langevin, rapporteurs, au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, juillet 2018.

* 225 Idem.

* 226 Circulaire n° 2011-028 du 9 février 2011 relative à l'organisation et mise en oeuvre des articles L 313-7 et L. 313-8 du code de l'éducation.

* 227 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

* 228 Audition du 6 juin 2018.

* 229 Décrets n° 2014-1453 du 5 décembre 2014 relatif à la durée complémentaire de formation qualifiante prévue à l'article L. 122-2 du code de l'éducation et n° 2014-1454 du 5 décembre 2014 relatif à la formation professionnelle des jeunes sortant sans qualification professionnelle du système éducatif.

* 230 Circulaire interministérielle n° 2015-041 du 5 mars 2015 relative au droit au retour en formation initiale pour les sortants du système éducatif sans diplôme ou qualification professionnelle.

* 231 Idem.

* 232 CNESCO, op. cit.

* 233 Circulaire n° 2014-037 du 28 mars 2014 relative au schéma académique et au pilotage des dispositifs relais : ateliers, classes et internats.

* 234 Le nombre total de séjours s'élève à 10 900, un élève pouvant effectuer plusieurs séjours.

* 235 MEN-DEPP, Repères et références statistiques - édition 2017 , septembre 2017.

* 236 MEN, Eduscol.

* 237 CNESCO, op. cit.

* 238 Idem.

* 239 Stratégie nationale de prévention de la délinquance 2013-2017, juin 2013.

* 240 Projet de loi de finances pour 2018, Document de politique de transversale - Prévention de la délinquance et de la radicalisation.

* 241 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

* 242 Article L. 132-1 du code de la sécurité intérieure.

* 243 À titre indicateur, le guide Le maire et la prévention de la délinquance, édité par le ministère de l'intérieur, cite : « les conflits de voisinage, l'absentéisme scolaire, la présence constatée de mineurs non accompagnés dans des lieux publics à des heures tardives, certaines atteintes légères à la propriété publique, les incivilités commises par des mineurs, les incidents aux abords des établissements scolaires ou encore certaines contraventions aux arrêtés du maire portées à sa connaissance ».

* 244 Audition du 13 juin 2018.

* 245 Idem.

* 246 Audition du 6 juin 2018.

* 247 Audition du 13 juin 2018.

* 248 Idem.

* 249 Audition du 13 juin 2018.

* 250 Idem.

* 251 J.-R. BUISSON, La pédopsychiatrie : prévention et prise en charge , avis du Conseil économique, social et environnemental, 2010.

* 252 D. SIBERTIN-BLANC et M. AZOULAY, « Politique et pratique de secteur sont-elles pertinentes aujourd'hui ? », L'information psychiatrique , t. 89, 2013.

* 253 M. AMIEL, Situation de la psychiatrie des mineurs en France , op. cit .

* 254 Les éducateurs spécialisés travaillent dans le champ social et médico-social. Ils concourent à l'éducation d'enfants et d'adolescents ou au soutien d'adultes présentant un handicap, des troubles du comportement ou qui ont des difficultés d'insertion.

* 255 Cf. l'article de Nicolas Sallée « Des éducateurs dans l'Etat. Logiques syndicales et identité professionnelle à la Protection judiciaire de la jeunesse », Terrains & travaux 2014/2 (n° 25), p. 75-94.

* 256 Cf. l'article de Dominique Turbelin, « Éducateurs Justice. Un statut vaut-il qualification ? » Revue d'histoire de l'enfance « irrégulière », 1,1998.

* 257 Cf. le rapport « La PJJ au service de la justice des mineurs », par Jean-Pierre Michel, parlementaire en mission, remis à la Garde des Sceaux, ministre de la justice, le 18 décembre 2013.

* 258 Dans son article précité, Nicolas Sallée note que cette prise de distance de l'éducatif vis-à-vis du judiciaire était en germe dès la création du corps des éducateurs de l'éducation surveillée : en 1947, leur principal syndicat - le Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée (SNPES) - a fait le choix d'adhérer à la Fédération de l'éducation nationale (FEN), manière d'affirmer son autonomie par rapport à l'administration du ministère de la justice. Le SNPES demeure aujourd'hui affilié à la Fédération syndicale unitaire (FSU), qui regroupe principalement des syndicats représentant les personnels de l'éducation, de la culture et de la recherche.

* 259 Cf. le rapport de la Cour des comptes sur la protection judiciaire de la jeunesse de juillet 2003.

* 260 Cf. le rapport sur la protection judiciaire de la jeunesse d'octobre 2014, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat.

* 261 Cf. l'avis n° 146 (2016-2017) sur le projet de loi de finances pour 2017, fait par Mme Cécile Cukierman au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 24 novembre 2016.

* 262 Audition du 17 juin 2018.

* 263 PAP 2018.

* 264 Ces structures sont désignées unités éducatives d'hébergement diversifié (UEHD).

* 265 Olivier Razac, Avec Foucault, après Foucault : disséquer la société de contrôle (2008), p.21

* 266 Olivier Razac, ibid, p.29.

* 267 Olivier Razac, ibid, p.29.

* 268 Olivier Razac, ibid, p.123

* 269 Michel Foucault, Surveiller et punir (1975), p.95

* 270 IGAS, IGSJ et IPJJ, Mission sur l'évaluation des centres éducatifs fermés (CEF) dans le dispositif de prise en charge des mineurs délinquants , op. cit.

* 271 Idem.

* 272 Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? , op. cit.

* 273 Cour des comptes, La protection judiciaire de la jeunesse , enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, octobre 2014.

* 274 Audition du 20 juin 2018.

* 275 Audition du 18 juillet 2018.

* 276 Compte rendu du déplacement de la mission au CEF de Savigny-sur-Orge, le 23 mai 2018.

* 277 RAP 2017.

* 278 Audition du 18 juillet 2018.

* 279 IGAS, IGSJ et IPJJ, Mission sur l'évaluation des centres éducatifs fermés (CEF) dans le dispositif de prise en charge des mineurs délinquants , op. cit.

* 280 Audition du 13 juin 2018.

* 281 IGSJ, Mission d'étude sur l'hébergement familial des mineurs délinquants , octobre 2012.

* 282 Projet de loi de finances pour 2018 : Protection judiciaire de la jeunesse , op. cit.

* 283 Audition du 6 juin 2018.

* 284 Audition du 13 juin 2018.

* 285 Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, étude d'impact.

* 286 IGAS, IGSJ et IPJJ, Mission sur l'évaluation des centres éducatifs fermés (CEF) dans le dispositif de prise en charge des mineurs délinquants , op. cit.

* 287 IGAS, IGSJ et IPJJ, Rapport sur le dispositif des centres éducatifs fermés , op. cit.

* 288 Cour des comptes, La protection judiciaire de la jeunesse , op. cit.

* 289 Loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

* 290 RAP 2017.

* 291 Seules la Guadeloupe et La Réunion comptent aujourd'hui un CEF en activité.

* 292 Audition du 18 juin 2018.

* 293 Projet de loi de finances pour 2018 : Protection judiciaire de la jeunesse , op. cit.

* 294 Audition du 27 juin 2018.

* 295 Audition du 18 avril 2018.

* 296 Audition du 28 mai 2018.

* 297 Audition du 6 juin 2018.

* 298 Rapport de la commission présidée par le recteur André Varinard, professeur de droit pénal, remis à la ministre de la justice en 2008.

* 299 Audition du 14 mai 2018.

* 300 Audition du 30 mai 2018.

* 301 Cf. l'audition de Mme Anaïs Vrain, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, le 27 mai 2018.

* 302 Cf. son rapport « La PJJ au service de la justice des mineurs », p.28.

* 303 Circulaire du 21 mars 2005 du garde des sceaux adressée aux chefs de cour d'appel et aux directeurs régionaux de la PJJ.

* 304 Cf. l'Avis du Cese « Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance » fait par Antoine Dulin au nom de la section des affaires sociales et de la santé (juin 2018).

* 305 À titre de comparaison, on rappelle que 9 044 protections jeunes majeurs avaient été accordées en 2007.

* 306 Audition du 7 juin 2018.

* 307 Audition du 15 mai 2018.

* 308 Audition du 20 juin 2018.

* 309 Audition du 20 juin 2018.

* 310 Audition du 18 juillet 2018.

* 311 Insertion par le développement durable, l'environnement et l'économie solidaire.

* 312 Audition du 15 mai 2018.

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