C. LORS DE CRISES MAJEURES, UN PILOTAGE AU SOMMET À CLARIFIER
1. La zone de défense, échelon crucial outre-mer : dont il convient de garantir la cohérence et la mission sur l'ensemble de la zone
L'échelon de la zone de défense et de sécurité (ZDS) est reconnu par le ministère de l'intérieur comme incontournable outre-mer en raison de l'éloignement géographique et des spécificités locales en termes de risques et de moyens mobilisables en cas de crise. Il n'existe toutefois pas de préfet délégué pour la sécurité et la défense dans les zones concernées.
Si certains considèrent le préfet de zone comme un coordinateur en cas de crise majeure, il apparaît qu'il est parfois considéré comme un simple appui logistique et technique, le préfet du département restant responsable des opérations . Cette répartition des rôles est à clarifier, de même que les capacités de substitution éventuelle d'un préfet d'un territoire voisin en cas d'indisponibilité du corps préfectoral ou d'incapacité de celui-ci à agir.
La situation des préfets de zones et leurs capacités à agir sur l'ensemble de leurs zones a soulevé de vives préoccupations des rapporteurs à l'égard de plusieurs territoires, notamment Wallis-et-Futuna et Mayotte. En effet, le directeur de cabinet du préfet de La Réunion reconnaissait lui-même devant la délégation les difficultés qui seraient celles de la préfecture à intervenir à Mayotte en cas de crise grave. Le préfet de Mayotte, M. Dominique Sorain, soulignait 61 ( * ) que, en cas d'événement majeur, les services de la préfecture « ne seraient pas en capacité d'y faire face seuls et auraient besoin de bénéficier très rapidement de renforts . », selon lui, « ceux-ci devraient être prépositionnés à La Réunion pour raccourcir les délais ».
Recommandation n° 37 : Mieux organiser l'échelon zonal dans son fonctionnement, la répartition des tâches et la responsabilité de pilotage, en particulier : - renforcer le rôle de coordination du préfet ou du haut-commissaire responsable de zone de défense et de sécurité ; - veiller à la capacité d'intervention du responsable de zone dans l'ensemble des territoires de chaque bassin, particulièrement à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie, vis-à-vis de Mayotte et des îles Wallis et Futuna ; - étudier la pertinence de doter chaque zone de défense et de sécurité d'un préfet délégué pour la sécurité et la défense, chargé d'assister le préfet ou haut-commissaire responsable de la zone de défense. Son renouvellement ne pourrait intervenir concomitamment à celui du préfet ou haut-commissaire. |
2. Lors de crises majeures : la gestion ministérielle, voire interministérielle à Paris
a) Historiquement, une cellule de gestion des crises outre-mer au sein du ministère de l'intérieur
Le ministère des outre-mer a abrité jusqu'en 2008 une cellule de crise ministérielle activée en cas d'événements majeurs en outre-mer. Celle-ci était armée par les agents de la mission « sécurité » du cabinet de la direction des affaires politiques, administratives et financières ( DAPAF) et des membres du cabinet ministériel, dont le cabinet militaire, assistés de volontaires des deux directions ministérielles.
Cette cellule ministérielle était organisée en plusieurs sections, équivalentes à celles rencontrées actuellement en cellule interministérielle de crise (CIC), auxquelles s'ajoutaient une dimension « logistique » et un pôle « accueil du public ». Le ministère des outre-mer considère que ces deux missions pourraient être intégrées à la cellule interministérielle de crise, à l'occasion de la révision de son fonctionnement consécutive au retour d'expérience Irma.
La cellule de crise ne se confondait pas avec un centre d'alerte et de veille, comme le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Son fonctionnement la rapprochait davantage d'un centre opérationnel zonal élargi. La cellule était quasi exclusivement activée pour des événements de sécurité civile sans caractère interministériel prononcé ; aucun représentant des autres ministères n'y prenait part.
Le dernier événement traité ainsi a été le cyclone Dean aux Antilles en 2007. L'existence de cette cellule se justifiait à une époque où la compétence relative à la gestion de crise n'était pas unifiée au sein du ministère de l'intérieur et où la CIC n'avait pas encore était instituée . Le ministère des outre-mer considère que si cette cellule « a eu le mérite d'apporter une visibilité au ministère chargé des outre-mer, elle a souvent servi de prétexte à considérer comme une crise majeure un événement de sécurité civile relativement circonscrit » 62 ( * ) . Les missions de gestion de crises liées à des événements survenant outre-mer sont désormais assumées par le COGIC et, en cas de crises majeures, prises en charge au sein d'une CIC.
b) La DGSCGC, appui constant aux territoires quel que soit le niveau de crise
La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), au sein du ministère de l'intérieur , est l'interlocuteur de référence de la gestion des crises, en appui aux territoires .
Les moyens de la direction générale sont d'abord des moyens nationaux propres ; l'administration centrale compte 280 personnes avec 38 statuts différents, de préfets ou administrateurs civils à des experts et techniciens dédiés sur différents risques, des sapeurs-pompiers civils et militaires, des pilotes, des médecins par exemple.
La direction s'appuie sur une flotte de 26 avions, essentiellement des bombardiers d'eau et multi-fonctions et de 35 hélicoptères multi-missions, les EC145. Trois sont déployés dans les outre-mer, en Guadeloupe, en Guyane et à la Martinique, deux ont été utilisés pour Irma. Enfin, la DGSCGC compte également des démineurs, 3 régiments du génie de l'armée de terre qui interviennent en matière de sécurité civile - ce sont des militaires, employés et rémunérés par le ministère de l'intérieur, et qui sont sapeurs-sauveteurs - et 4 établissements logistiques.
Pour la gestion opérationnelle, le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) est l'organe de suivi de l'ensemble des activités, en France comme à l'étranger, qui pourraient avoir des conséquences sur le territoire national. Le COGIC peut se transformer de manière immédiate en état-major de commandement ; son format peut évoluer d'un niveau 1 à un niveau 3 d'une quarantaine de personnes. C'est un état-major militaire de direction et d'opération. Le COGIC est lié par essence aux territoires : il fonctionne en réseau et s'appuie sur les cellules de crise des préfectures.
Le COGIC est en capacité d'armer très rapidement une cellule de crise.
Bilan du ministère de l'intérieur sur les opérations de sécurité civile conduites à la suite du passage des ouragans Irma - José - Maria Les phases d'anticipation et de réponse post-cycloniques se sont rapidement enchaînées lors des ouragans de septembre 2017. L'anticipation, facteur essentiel du début de la gestion de crise, caractérisée par une mobilisation plusieurs jours avant l'arrivée de Irma (phase anticipation) Suivi par les services de la préfecture de la zone Antilles, l'ouragan Irma a attiré l'attention des autorités bien avant la date d'impact prévisionnel (6 septembre). Ainsi, dès le 1 er septembre, la DGSCGC a été pré-alertée par l'EMIZ-A des hypothèses de trajectoire, dont la plus défavorable a orienté la décision de pré-positionner, avant l'arrivée du phénomène, des moyens de sécurité civile dans les Îles du Nord : - une mission d'appui en situation de crise-MASC (5 personnes) au profit de la préfète déléguée à Saint-Martin ; - un détachement d'intervention « cyclone » des formations militaires de la sécurité civile-ForMiSC (57 personnes) déployé à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Dès le 4 septembre, 62 sapeurs-sauveteurs étaient déployés avant l'impact d'Irma sur les Îles du Nord en renfort des moyens locaux. Une réponse post-cyclonique Irma adaptée à la survenance des ouragans José et Maria (phases de montée en puissance et d'anticipation) En appui des remontées d'informations sur l'étendue des dégâts dans les zones impactées, mais également compte tenu de l'arrivée des deux autres ouragans José (10 septembre) et Maria (18 septembre), la réponse opérationnelle de sécurité civile a alterné l'anticipation et la montée en puissance s'articulant autour de : - l'engagement d'un détachement de sécurité civile composé de 10 personnes pour mettre en oeuvre et activer un hub logistique en Guadeloupe ; - l'engagement de 3 détachements « cyclone » en réponse au cyclone Irma : 1 détachement des ForMiSC (62 personnes), 2 détachements de sapeurs-pompiers territoriaux (Île-de-France et Sud, respectivement de 60 et 66 personnes) ; - le déploiement d'une MASC au profit de l'EMIZ-A (5 personnes) ; - la mise en place d'une MASC (5 personnes) au profit de la préfecture de Guadeloupe ; - la mise en place d'un groupe de commandement (5 personnes) au profit des Îles du Nord. Cependant, l'approche de Maria, identifiée dès le 15 septembre, a motivé le déploiement de renforts supplémentaires en Guadeloupe : - en anticipation, l'engagement d'un détachement des formations militaires de la sécurité civile de plus de 100 sapeurs-sauveteurs ; - en réponse, l'engagement de deux détachements (ForMiSC et SP) de plus de 160 personnes. Au plus fort de la crise, ce sont près de 550 sapeurs-pompiers et sapeurs-sauveteurs qui étaient déployés dans les différentes îles des Antilles. Plus de 610 personnes ont été projetées en cumulé sur cette opération. |
Source : Réponses du ministère de l'intérieur au questionnaire des rapporteurs
c) Dans le cas d'Irma, déclenchement de la CIC
En cas de crise grave , le Premier ministre peut activer la cellule interministérielle de crise (CIC), comme ce fut le cas lors du passage des cyclones Irma et Maria aux Antilles en septembre 2017. Le ministère des outre-mer apporte son soutien humain et technique, et peut co-présider la CIC le cas échéant. Une circulaire du 2 janvier 2012 encadre le déclenchement et l'organisation des CIC.
La CIC est composée d'une cellule de situation, au sein de laquelle fonctionne une cellule d'anticipation, d'une cellule de décision et d'une cellule de communication. Les correspondants des services déconcentrés de chaque ministère transmettent leurs informations et un point de situation nationale selon la nature de la crise est réalisé plusieurs fois par jour.
Déroulé de la conduite de la cellule
interministérielle de crise durant Irma :
Dès le dimanche 3 septembre , une CIC a été activée pour observer l'évolution du cyclone qui n'était alors que de niveau 3, comme la circulaire en prévoit la possibilité. Le cyclone est passé le lundi au niveau 4 puis, dans la nuit de lundi à mardi, au niveau 5. La crise, qui ne concernait jusqu'alors que le ministère de l'outre-mer et celui de l'intérieur, avec la mobilisation de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, a conduit le Gouvernement à mobiliser le préfet de zone et les préfets de département pour prendre des mesures préventives, alors que la violence du cyclone s'est accrue très rapidement, passant du niveau 4 au niveau 5 en seulement 13 heures. Plusieurs autres ministères ont dû être rapidement associés, santé et transports notamment, sans que la CIC n'ait encore été rendue interministérielle. Les ministères ont envoyé en observation des chefs de bureaux ou des sous-directeurs le dimanche et le lundi. Le mardi 5 septembre , le Premier ministre a fait renforcer la CIC de suivi sectoriel, sans la rendre officiellement interministérielle pour autant ; ce point a été regretté par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), considérant le besoin de réunir directement des directeurs d'administration centrale ou des directeurs de cabinet, et non leurs subalternes, qui n'a pu se faire que trop tardivement. Dès le 6 septembre , fait rare, le Président de la République et le Premier ministre sont venus en personne, accompagnés de tous les ministres concernés . Dans le cas d'Irma, jusqu'à 4 points de situation quotidiens ont été faits le vendredi : cela n'avait pas été possible le jeudi 7 septembre, lendemain du passage du cyclone, en raison des communications qui avaient été coupées. Le rétablissement de connexions a permis de faire le point dès le vendredi 8 au matin sur l'évaluation des besoins et la définition des moyens à mettre en oeuvre ; la cellule anticipation a surtout fait de la logistique interministérielle de crise, en rassemblant les hauts fonctionnaires concernés et en anticipant les flux logistiques. Dès ce 8 septembre , le cabinet du Premier ministre a convoqué une réunion interministérielle au cours de laquelle un comité interministériel a été créé, dirigé par un délégué interministériel qui avait pour charge de gérer les suites immédiates et de plus long terme. La CIC s'est réunie 28 fois entre le 5 et le 20 septembre. L'ambassadeur des Pays-Bas a été convié à de nombreuses réunions afin d'assurer la bonne coordination des actions entre les deux parties de l'île de Saint-Martin. |
Source : Audition du directeur du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le 21 février 2018
Le préfet Pascal Bolot, directeur de la protection et de la sûreté de l'État au SGDSN, préconisait devant la délégation une attention plus fine au retour à la vie normale et au rétablissement des services publics, avec une formalisation plus forte de la sortie de crise « par une CIC présidée par les plus hautes autorités ou par renvoi à une réunion interministérielle, afin que les responsabilités soient clairement établies pour la suite » : le renvoi à un délégué interministériel n'a pas été jugé suffisant.
Il convient de renforcer, d'une part, la prise en compte des territoires ultramarins dans les schémas d'anticipation et de crise au sein de la direction générale de la sécurité civile et, d'autre part, de veiller à une étroite association du directeur général des outre-mer .
Recommandation n° 38 : Renforcer la connaissance des territoires ultramarins à la DGSCGC par la désignation d'un référent outre-mer au sein du comité opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC) et associer systématiquement le directeur général des outre-mer aux situations de veille. |
* 61 Visioconférence du 29 mai 2018.
* 62 Réponses du ministère au questionnaire des rapporteurs.