Rapport d'information n° 651 (2017-2018) de M. Patrice JOLY , fait au nom de la commission des finances, déposé le 11 juillet 2018
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LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE
VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
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AVANT-PROPOS
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PREMIÈRE PARTIE - LES
LEÇONS DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2014-2020
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DEUXIÈME PARTIE - DES
PROPOSITIONS EN DEMI TEINTE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LE PROCHAIN
CADRE FINANCIER PLURIANNUEL
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I. LE FINANCEMENT DE NOUVELLES PRIORITÉS
POLITIQUES AU DÉTRIMENT DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE ET DE LA
POLITIQUE DE COHÉSION
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II. LES ÉCUEILS DE L'ACTUEL CADRE FINANCIER
PLURIANNUEL SONT PARTIELLEMENT PRIS EN CONSIDÉRATION
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III. UN VOLET « RESSOURCES »
TRÈS OPTIMISTE ET QUI CACHE PLUSIEURS DÉCEPTIONS
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I. LE FINANCEMENT DE NOUVELLES PRIORITÉS
POLITIQUES AU DÉTRIMENT DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE ET DE LA
POLITIQUE DE COHÉSION
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TROISIÈME PARTIE - LE RÔLE
DE LA FRANCE DANS LES NÉGOCIATIONS BUDGÉTAIRES À
CONSOLIDER
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 651
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2018 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les ambitions de l' Union européenne et de la France pour le prochain cadre financier pluriannuel ,
Par M. Patrice JOLY,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel . |
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Les principales observations 1. L'actuel cadre financier pluriannuel, couvrant la période 2014-2020, se caractérise par des retards dans le décaissement des crédits européens , en particulier pour la politique de cohésion. Si ces retards sont habituels et ont été pris en compte dans la trajectoire du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSRUE) d'ici 2020, ils sont plus significatifs que pour le précédent cadre financier pluriannuel . 2. Le retard pris dans l'exécution de l'actuel cadre financier pluriannuel s'est traduit par une minoration des appels à contribution des États membres , et ainsi par une sous-exécution du PSRUE. Cette sous-exécution a atteint un niveau record en 2017 avec 2,3 milliards d'euros d'écart entre la prévision budgétaire votée en loi de finances initiale et son exécution. 3. Même si notre pays reste l'un des principaux bénéficiaires en volume des dépenses de l'Union européenne, le taux de retour de la France au titre de la politique agricole commune (PAC) tend à diminuer depuis plusieurs années : la France est même, en 2016, contributeur net au niveau des deux piliers. Par conséquent, la France se montre davantage favorable au financement des « nouvelles priorités politiques » de l'Union européenne que par le passé. Toutefois, le Gouvernement s'est engagé à continuer à défendre le budget consacré à la politique agricole commune. 4. Le plafond de dépenses proposé par la Commission européenne pour la période 2021-2027 s'élève à 1,114 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne, alors même que le Parlement européen s'est exprimé en faveur d'un plafond plus ambitieux de 1,3 %. En outre, le plafond inclura désormais le Fonds européen de développement (FED). En neutralisant l'élargissement du périmètre retenu, le plafond de dépenses s'établit à 1,08 % du RNB de l'Union européenne, contre 1 % pour la période 2014-2020, soit une augmentation très modeste par rapport aux ambitions initiales. 5. Le redéploiement des crédits européens vers de nouvelles priorités politiques telles que la recherche, la sécurité, la défense des frontières et l'innovation, constitue une évolution salutaire, mais qui se traduit par une hiérarchisation des dépenses européennes au détriment de la politique agricole commune et de la politique de cohésion dont les crédits seraient considérablement réduits pour certains États membres. 6. L'objectif de la Commission européenne de parvenir à un accord sur les orientations du prochain cadre financier pluriannuel avant les élections européennes de mai 2019 peut s'expliquer par le souhait de ne pas renouveler les retards rencontrés par l'actuelle programmation. Cependant, ce calendrier aura pour conséquence de priver les prochains parlementaires européens d'un pouvoir d'appréciation sur le futur budget de l'Union européenne jusqu'en 2027. Les principales recommandations Recommandation n° 1 : améliorer les prévisions d'exécution du budget de l'Union européenne, notamment en modifiant les prévisions d'inflation évaluées à 2 % chaque année, afin de limiter les écarts entre le montant du PSRUE voté en loi de finances et son exécution. Recommandation n° 2 : aligner le montant du plafond de dépenses de l'Union européenne sur les ambitions portées par le Parlement européen en le portant à 1,3 % du revenu national brut de l'Union européenne. Recommandation n° 3 : sanctuariser les crédits en faveur de la politique agricole commune, en particulier ceux relatifs au développement rural, et de la politique de cohésion afin de ne pas pénaliser les territoires ruraux les plus fragiles. Recommandation n° 4 : si un accord politique sur les orientations du prochain cadre financier pluriannuel était conclu avant les prochaines élections européennes, permettre au Parlement européen de se prononcer à nouveau sur le CFP au début de son mandat. Recommandation n° 5 : préserver la capacité d'influence de la France au sein des institutions de l'Union européenne en fluidifiant le dialogue interministériel entre les services administratifs compétents. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne sont appelées à définir la physionomie globale de l'Union européenne jusqu'en 2027. Dans le contexte du retrait imminent du Royaume-Uni, la définition du prochain cadre financier pluriannuel place l'Union européenne à un tournant : comment dimensionner un budget pertinent et consensuel pour 27 États membres ? Faut-il procéder à des réorientations budgétaires alors que la politique agricole commune et la politique de cohésion constituent historiquement les premières dépenses de l'Union européenne ? Les recettes du budget de l'Union européenne sont-elles à la hauteur des objectifs qu'elle défend ?
Dans cette perspective, j'ai décidé de réaliser une mission de contrôle budgétaire consacrée aux ambitions de l'Union européenne et de la France pour le prochain cadre financier pluriannuel, en application de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances. Si les orientations présentées par la Commission européenne le 2 mai 2018 ont constitué le fil directeur de mes travaux, les différentes auditions menées ont également permis de dresser un état des lieux plus large des administrations mobilisées sur ces enjeux.
Mes travaux se sont nourris de plusieurs auditions à Paris, mais aussi à Bruxelles, et ils ont permis de rencontrer des acteurs aussi bien institutionnels qu'associatifs. De plus, ils ont été enrichis par ma participation au groupe de suivi du Sénat sur la politique de cohésion régionale, établi en commun avec la commission des affaires européennes et la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, et qui s'est conclu par l'adoption d'une résolution européenne le 2 juillet 2018 1 ( * ) .
PREMIÈRE PARTIE - LES LEÇONS DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2014-2020
I. UN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL INITIALEMENT ADOPTÉ AVEC DIFFICULTÉS, PUIS RÉVISÉ À MI-PARCOURS
En application de l'article 312 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), « le cadre financier pluriannuel vise à assurer l'évolution ordonnée des dépenses de l'Union dans la limite de ses ressources propres . [...] Le budget annuel de l'Union respecte le cadre financier pluriannuel ». Par conséquent, il définit une programmation financière en vue de donner une vision à long terme aux États membres et aux bénéficiaires potentiels des fonds européens et fixe des plafonds annuels maximaux de dépenses juridiquement contraignants.
Les plafonds de dépenses du cadre financier pluriannuel Le cadre financier pluriannuel définit deux types de plafonds de dépenses : - un plafond annuel pour chacune des six rubriques thématiques du budget, exprimé en crédits d'engagement ; - un plafond annuel global pour les crédits d'engagement , correspondant à la somme des plafonds de toutes les rubriques, et un plafond annuel global pour les crédits de paiement , qui correspond au montant pouvant effectivement être décaissé au cours d'un exercice. Source : Commission européenne |
Le cadre financier pluriannuel (CFP) est adopté au terme d'une procédure législative spéciale, dérogatoire par rapport à la procédure législative ordinaire, définie à l'article 312 du TFUE. L'adoption du règlement fixant le CFP requiert l'unanimité au Conseil, après approbation du Parlement européen qui se prononce à la majorité de ses membres. Alors que, dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle de l'Union européenne, le monopole de l'initiative appartient à la Commission européenne, celle-ci ne dispose pas d'un droit d'initiative formel sur le CFP. Toutefois, la Commission européenne assure le travail technique en amont, et formule des propositions.
L'actuel CFP est régi par le règlement du 2 décembre 2013 2 ( * ) qui couvre une période de sept ans, jusqu'au 31 décembre 2020. Il prévoyait initialement un plafond de dépenses de 960 milliards d'euros (constants 2011) en crédits d'engagement et de 908 milliards d'euros en crédits de paiement , soit 1 % du revenu national brut de l'Union européenne.
L'article 2 du règlement fixant le CFP 3 ( * ) innove en introduisant une révision à mi-parcours afin de permettre aux institutions, « y compris au Parlement européen élu en 2014, de réévaluer les priorités ». En effet, lors des négociations, le Parlement européen a accepté les montants validés par le Conseil européen, alors même qu'il revendiquait une hausse des crédits , en contrepartie de l'introduction de mécanismes de flexibilité entre les rubriques et de l'assurance d'une révision à mi-parcours. Par conséquent, la Commission européenne a présenté le 14 septembre 2014 une communication dédiée à la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Cette dernière visait à tenir compte du contexte économique dégradé par rapport à 2013 ainsi que des nouveaux besoins en termes de sécurité et de gestion des frontières extérieures, à la suite de la crise migratoire persistant depuis 2015, et des attaques terroristes dans plusieurs États membres. Après avoir obtenu l'approbation du Parlement européen, la révision à mi-parcours a fait l'objet d'un accord unanime du Conseil le 20 juin 2017 4 ( * ) .
Comme votre rapporteur spécial l'a souligné à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 5 ( * ) , cette révision a permis d'augmenter les crédits d'engagement disponibles de certains programmes à hauteur de 3,5 milliards d'euros . Toutefois, 900 millions d'euros sont issus de redéploiements de crédits. Les programmes bénéficiaires de cette augmentation de crédits sont les suivants :
- l' Initiative pour l'emploi des jeunes (+ 1,2 milliard d'euros entre 2017 et 2020) ;
- le « volet externe » de la réponse à la crise migratoire à travers la conclusion de partenariats avec les pays tiers , destinés à soutenir le développement local et à prévenir le départ de migrants économiques vers l'Europe et l'abondement du fonds européen de développement durable (+ 1,4 milliard d'euros ) ;
- divers programmes en faveur de la croissance tels que la prolongation du plan d'investissement « Juncker » (+ 150 millions d'euros), le mécanisme pour l'interconnexion en Europe ( MIE ) en faveur des transports (+ 300 millions d'euros), le programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 (+ 200 millions d'euros), le programme de soutien aux petites et moyennes entreprises COSME (+ 100 millions d'euros) ainsi que l' initiative WiFi4EU qui soutient la mise en place d'équipements wifi de pointe dans les espaces publics (+ 25 millions d'euros) ;
- le programme Erasmus+ permettant aux jeunes âgés de moins de 30 ans de séjourner à l'étranger pour suivre un enseignement ou une formation (+ 100 millions d'euros).
À l'automne dernier, votre rapporteur spécial avait déjà estimé que ces dépenses supplémentaires étaient relativement modestes puisqu'elles ne représentaient que 2,2 % de l'ensemble des crédits d'engagement prévus pour 2018 .
Programmation financière actualisée de l'Union européenne 2014-2020
(en prix courants, en milliards d'euros)
Source : Commission européenne
II. DES RETARDS D'EXÉCUTION DES DÉPENSES PRÉJUDICIABLES À LA MISE EN oeUVRE EFFICACE DES POLITIQUES COMMUNES
A. LES RETARDS DES DÉCAISSEMENTS DE CRÉDITS PÉNALISENT PARTICULIÈREMENT LA POLITIQUE DE COHÉSION...
L'ensemble des interlocuteurs auditionnés par votre rapporteur spécial ont souligné que le principal écueil de l'actuelle programmation réside dans les retards des décaissements des crédits européens, en particulier pour la politique de cohésion. Correspondant à la sous-rubrique 1b du budget de l'Union européenne, la politique de cohésion comprend le Fonds social européen (FSE), le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le fonds de cohésion dont la France ne bénéficie pas.
Plusieurs facteurs explicatifs ont été avancés au cours des auditions menées par votre rapporteur spécial :
- un retard, certes habituel, mais plus important que prévu, du processus de désignation des autorités de gestion nationales . En France, la désignation des autorités de gestion a été ralentie par l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) 6 ( * ) qui a désigné les régions comme autorités de gestion. Par conséquent, pour l'actuel cadre financier pluriannuel, les conseils régionaux sont devenus pour la première fois autorités de gestion du Fonds européen de développement régional (FEDER) et d'une partie du Fonds social européen (FSE) ;
- les procédures de contrôle des autorités de certification qui contribuent à allonger les délais de transmission des demandes de paiement à la Commission européenne ;
- la modification de la règle du dégagement d'office constituerait, d'après la Commission européenne, un effet désincitatif sur la programmation et la consommation des crédits puisque désormais les États membres disposent d'un délai de trois ans, et non plus deux ans, pour transmettre les demandes de paiement 7 ( * ) ;
- les dysfonctionnements à répétition des systèmes d'information tels que le logiciel Osiris, l'outil de gestion partagé des aides du second pilier de la politique agricole commune ;
- le manque de ressources humaines compétentes pour assurer l'ingénierie de tels financements. À ce titre, les travaux du groupe de suivi du Sénat relatif à la politique régionale européenne, commun aux commissions des finances, des affaires européennes, de l'aménagement du territoire et du développement durable ont établi le même diagnostic. Les auditions du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) ainsi que du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) ont permis d'évoquer les difficultés pour les collectivités territoriales, de s'appuyer, à long terme, sur des agents formés aux différentes procédures régissant l'utilisation des fonds européens .
Si les retards dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion ont été critiqués par l'ensemble des acteurs auditionnés, votre rapporteur spécial souhaite rappeler que la politique agricole commune (PAC) fait face à des difficultés similaires. Le cas du programme « Leader » , sous-enveloppe du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) qui vise à soutenir les projets de développement rural portés par des groupes d'action locale (GAL), en constitue une illustration. En effet, au cours de l'audition de M. Thibaut Guignard, président de LeaderFrance 8 ( * ) , il a été rappelé qu'à la fin de l'année 2017, seuls 4,5 % des crédits LEADER avaient été programmés et seulement 1 % d'entre deux effectivement consommés , alors que la France devrait bénéficier d'un montant de 687 millions d'euros environ au titre de ce programme pour la période 2014-2020.
B. ... ET FONT PESER UNE INCERTITUDE SUR LE MONTANT DE LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AU BUDGET DE L'UNION EUROPÉENNE
La contribution de la France au budget de l'Union européenne comprend un périmètre légèrement plus large que celui du seul prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSRUE) défini à l'article 6 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 9 ( * ) , puisqu'elle inclut également les ressources propres traditionnelles qui sont versées directement au budget de l'UE. Toutefois, le PSRUE, dont le montant est fixé en loi de finances, constitue le coeur de la contribution de la France au budget de l'Union européenne. Pour rappel, il est calculé à partir des variables suivantes :
- la ressource relative à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui correspond à 0,3 % d'une assiette harmonisée pour l'ensemble des États membres ;
- la ressource fondée sur le revenu national brut (RNB) dite « ressource RNB ».
La ressource fondée sur le revenu national brut (RNB) Le RNB est un agrégat proche du produit intérieur brut (PIB) qui mesure le revenu total des agents résidant sur le territoire français. On passe du PIB au RNB en ajoutant les flux de revenus reçus de l'étranger et en retranchant les flux de revenus versés à l'étranger. Le montant de la ressource RNB versé par chaque État membre est obtenu par l'application d'un taux d'appel à l'assiette RNB de l'État considéré. Les prévisions d'assiette réalisées par les États membres sont confrontées à celles de la Commission européenne et un compromis, généralement médian, est adopté. La ressource RNB étant la ressource d'équilibre du budget de l'Union, le taux d'appel est fonction de la différence entre les dépenses inscrites au budget de l'Union et la somme des autres ressources de l'Union (TVA, ressources propres traditionnelles et ressources diverses). Il est ainsi obtenu en divisant le besoin en ressource manquant par la somme des assiettes RNB de l'ensemble des États membres. Il est donc susceptible d'évoluer en cours d'exercice si un budget rectificatif modifie le besoin de ressource RNB. Source : Insee, annexe au projet de loi de finances pour 2018 « Relations financières avec l'Union européenne » |
Décomposition de la contribution de la France au budget de l'UE
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2018 « Relations financières avec l'Union européenne »
Le retard pris dans l'exécution de l'actuel CFP s'est traduit par une minoration des appels à contribution des États membres , et ainsi par une sous-exécution du PSRUE. Comme l'a souligné votre rapporteur spécial dans sa contribution à la loi de règlement du budget de 2017 10 ( * ) , en 2017, cette sous-consommation a atteint un niveau record avec 2,3 milliards d'euros d'écart entre la prévision votée en loi de finances initiale et son exécution , soit 12,3 % de moins que le montant initialement prévu.
Évolution du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne
(en millions d'euros)
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
|
Crédits votés en LFI |
20 224 |
20 742 |
20 169 |
18 690 |
Crédits exécutés |
20 347 |
19 702 |
18 996 |
16 380 |
Écart LFI/exécution en valeur |
123 |
- 1 040 |
- 1 173 |
- 2 310 |
Écart LFI/exécution en % |
0,6 % |
- 5 % |
- 5,8 % |
- 12,3 % |
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
La montée en puissance progressive des dépenses du cadre financier pluriannuel a été anticipée par la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 en prévoyant que le montant annuel du PSRUE augmente significativement d'ici 2020. Ainsi, une hausse de près de 17 % du PSRUE y est prévue à partir de 2019, puis de 3 % environ en 2020 . Votre rapporteur spécial souhaite alerter sur le risque d'un éventuel « goulet d'étranglement » que certaines autorités de gestion pourraient rencontrer d'ici 2020 pour faire face à l'accélération de la programmation et de la consommation de l'ensemble des crédits.
Outre les retards dans l'exécution des dépenses, la volatilité du montant du PSRUE au cours du temps tient également à d'autres facteurs telles que les hypothèses d'évolution des assiettes des ressources TVA et RNB de l'ensemble des États membres, l'adoption de budgets rectificatifs de l'Union européenne en cours d'année et le mécanisme de report du solde de l'exercice précédent. Néanmoins, le montant du PSRUE établi en loi de finances intervient dans le calcul des prévisions du déficit public annuel. Ainsi, votre rapporteur spécial souhaite à nouveau insister sur la nécessité d'améliorer les prévisions d'exécution du budget de l'Union européenne . Lors de son déplacement à Bruxelles, des membres du cabinet du commissaire Günther Oettinger, en charge du budget et des ressources humaines de l'Union européenne, ont indiqué qu'ils travaillaient à renforcer le dialogue entre les services de la direction générale du budget de la Commission européenne et les États membres pour mieux anticiper le volume annuel des dépenses de l'Union européenne.
Toutefois, l'audition de fonctionnaires de la Représentation permanente de la France à Bruxelles a attiré l'attention de votre rapporteur spécial en soulignant que l'évaluation des dépenses annuelles de l'Union européenne est établie à partir d'une hypothèse d'inflation de 2 % . Cette hypothèse d'inflation a été fixée par l'article 6 du règlement du cadre financier pluriannuel afin d'actualiser chaque année le montant des dépenses prévues pour la période 2014-2020 en euros constants 11 ( * ) . Toutefois, cette hypothèse d'inflation étant supérieure à celle observée depuis plusieurs années, les contributions des États membres tendent à être surestimées.
DEUXIÈME PARTIE - DES PROPOSITIONS EN DEMI TEINTE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LE PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL
Le 2 mai 2018, la Commission européenne a présenté ses propositions relatives au prochain cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027. Celles-ci se caractérisent par un redéploiement des crédits vers le financement de nouvelles priorités politiques et la réforme des principaux postes de dépenses de l'Union européenne, à savoir la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion.
I. LE FINANCEMENT DE NOUVELLES PRIORITÉS POLITIQUES AU DÉTRIMENT DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE ET DE LA POLITIQUE DE COHÉSION
A. UN CONTEXTE POLITIQUE RENOUVELÉ POUR LES NÉGOCIATIONS DU PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL
En premier lieu, les négociations du prochain cadre financier pluriannuel se tiennent en parallèle des discussions relatives au Brexit . Le montant de 12 milliards d'euros a été avancé pour évaluer la perte de recettes annuelles du budget de l'Union européenne à la suite du retrait britannique. Toutefois, cette contraction des recettes reste délicate à évaluer car elle s'effectue principalement par deux canaux :
- un effet direct sur le budget de l'UE avec la suppression de la contribution du Royaume-Uni ;
- un effet de « second tour » via la modification de la « clé RNB ». En effet, en application de la décision « ressources propres » adoptée en 2014 12 ( * ) , le cadre financier pluriannuel actuel prévoit que les ressources de l'UE ne peuvent dépasser 1,23 % de la somme des RNB des États membres . Le retrait du Royaume-Uni entraîne une diminution de la somme des RNB des États membres de l'UE. Si le plafond de 1,23 % est conservé, cela se traduirait mécaniquement par une réduction des recettes.
Cette perte de recettes doit être minorée par les économies réalisées par l'UE en raison du retrait des projets britanniques financés par les aides européennes. Ces économies pourraient s'élever jusqu'à 7 milliards d'euros par an 13 ( * ) . En outre, elle doit aussi tenir compte de la fin du financement du rabais britannique. Pour rappel, l'Allemagne reste le premier contributeur en volume au budget de l'UE suivie par la France puis le Royaume-Uni avec des contributions s'élevant respectivement à environ 27, 21 et 15,9 milliards d'euros en 2016 14 ( * ) . En ce qui concerne le « rabais britannique », pour la période 2010-2018 , la France finance la compensation en faveur du Royaume-Uni à hauteur de 1,3 milliard d'euros en moyenne par an 15 ( * ) .
Montant de la correction britannique et coût pour la France depuis 1986
(en milliards d'euros)
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2018 « Relations financières avec l'Union européenne »
S'agissant du règlement financier du Brexit , les 27 États membres ont exprimé leur volonté que le Royaume-Uni respecte tous les engagements du cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020. Le 8 décembre 2017, les négociateurs de l'Union européenne et du Royaume-Uni ont publié un rapport précisant que :
- le Royaume-Uni participera au financement du budget de l'Union européenne jusqu'en 2020 et il bénéficiera jusqu'au 31 décembre 2020 des politiques communes de l'Union européenne ;
- il contribuera au financement des restes à liquider (RAL) définis au 31 décembre 2020 , jusqu'à l'extinction des appels de fonds correspondant aux crédits rattachés à la programmation 2014-2020.
L'accord sur la période de transition conclu en mars dernier a acté que cette dernière devrait se terminer au 31 décembre 2020 afin de coïncider avec la fin de l'application de l'actuel cadre financier pluriannuel.
En second lieu, la position de la France dans les négociations à venir a pu sembler évoluer par rapport à la précédente programmation , en raison de la diminution de son taux de retour au titre des politiques communes. Selon la direction du budget, en 2016, les dépenses européennes réalisées en France se sont élevées à 11,3 milliards d'euros, soit 9,6 % du total des dépenses européennes. En volume, les retours de la France sont restés relativement stables depuis les années 2000. Toutefois, la part des retours français dans l'ensemble des dépenses totales ne cesse de se réduire, essentiellement en raison des élargissements successifs .
Lors des auditions conduites par votre rapporteur spécial, il a été fait mention du fait que la diminution du taux de retour de la France au titre de la politique agricole commune favorisait de nouvelles prises de position dans les négociations à venir . En effet, en 2016, la France était désormais contributrice nette au titre du premier pilier, et non plus uniquement du deuxième pilier de la PAC. Toutefois, au lieu d'une évolution pérenne de la situation de la France, il s'agirait plutôt d'une contribution nette ponctuelle résultant d'une réduction du taux de retour en raison du retard pris dans le lancement des campagnes de financement de la PAC en 2015 et 2016, ainsi que des corrections financières imposées par la Commission européenne à la France au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) s'élevant à 656 millions d'euros en 2016. Néanmoins, l'évolution du taux de retour de la France traduit le fait qu'elle s'approche du « point de bascule » du statut de bénéficiaire net vers celui de contributeur net .
Ce constat doit toutefois être modéré étant donné que la France reste le troisième bénéficiaire en volume des dépenses de l'Union européenne , derrière l'Allemagne et l'Italie. De plus, la notion de retour, appréciée par le solde net entre ce qu'un État membre verse au budget de l'Union européenne et ce qu'il reçoit via les dépenses de cette dernière, est discutable . En effet, certaines dépenses sont communes à plusieurs États membres, telles que les dépenses réalisées au titre de la politique extérieure, ce qui rend une appréciation par État membre délicate. En outre, les externalités positives engendrées par l'intégration au marché commun sont difficilement chiffrables, en particulier pour les externalités dites « de second tour » comme le bénéfice économique pouvant résulter de la hausse du degré concurrentiel d'un marché national.
B. DES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE MOINS AMBITIEUSES QUE PRÉVU
1. Un plafond de dépenses inférieur aux ambitions précédemment affichées
La Commission européenne a proposé le 2 mai dernier un budget pour la période 2021-2027 s'élevant à 1 135 milliards d'euros en crédits d'engagement 16 ( * ) (euros constants), ce qui correspond à 1,114 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne à 27 États membres , contre 1 % actuellement. Compte tenu de l'inflation, la Commission européenne a précisé que ce niveau est comparable à la taille du budget actuel pour la période 2014-2020, avec la participation de 28 États membres. D'après les informations transmises par la direction du budget à votre rapporteur spécial, les propositions de la Commission européenne pourraient entraîner une hausse de la contribution de la France au budget de l'UE de l'ordre de 6 milliards d'euros sur la période 2021-2027 .
Ce plafond de dépenses est inférieur à ce qui avait été initialement envisagé par la Commission européenne. En effet, lors de la conférence sur l'avenir du budget de l'Union européenne post-2020 en janvier 2018, le commissaire Günther Oettinger avait affirmé la nécessité de relever le niveau du plafond de dépenses au-delà de 1 % du RNB des 27 États membres de l'Union européenne . À la suite de ces déclarations, le Parlement européen, soutenu par le Comité des régions, a adopté une résolution le 14 mars dernier en se prononçant en faveur d'une hausse du plafond de dépenses de l'Union européenne à hauteur de 1,3 % du RNB. Or, la Commission européenne a finalement proposé un cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 d'un montant inférieur. De plus, ce plafond intègre désormais le Fonds européen pour le développement. En neutralisant l'élargissement du périmètre retenu, le plafond de dépenses s'établit à 1,08 % du RNB de l'Union européenne, soit une augmentation très modeste par rapport aux ambitions initiales .
Certes, le cabinet de la ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, tout comme les membres du cabinet du commissaire Günther Oëttinger, ont assuré à votre rapporteur spécial que ce niveau de dépenses pourrait encore évoluer à la hausse au cours des négociations à venir. Néanmoins, votre rapporteur spécial regrette que la Commission européenne ne se soit pas alignée sur les ambitions portées par le Parlement européen . Il est vrai que l'augmentation du plafond de dépenses de l'Union européenne entraînerait une hausse sensible de la contribution annuelle des États membres, à moins que de nouvelles ressources substantielles soient trouvées, notamment en matière de lutte contre l'évasion fiscale. Cette hausse semble envisageable pour votre rapporteur, compte tenu de l'amélioration de la conjoncture au sein de l'Union européenne, de la nécessité de préserver les dépenses en matière agricole et celles relevant de la politique de cohésion.
De plus, votre rapporteur spécial tient à souligner que l'ensemble des interlocuteurs rencontrés ont témoigné des difficultés à comparer les montants entre les deux programmations , étant données les divergences dans les modes de présentation. Le Parlement européen a d'ailleurs exprimé « sa surprise et son inquiétude » quant à ces imprécisions dans une résolution relative au cadre financier pluriannuel 2021-2027 et aux ressources propres, adoptée le 30 mai dernier. Le Comité des Régions, dont votre rapporteur spécial a rencontré un représentant à Bruxelles, a également dénoncé ce manque de clarté dans les annonces de la Commission européenne du 2 mai dernier. Votre rapporteur spécial estime que ce manque de transparence nuit à la bonne tenue d'un débat démocratique et participe, selon lui, à un climat de défiance à l'encontre des institutions de l'Union européenne .
2. Le financement de nouvelles priorités politiques...
Propositions de la Commission européenne pour le CFP 2021-2027
(crédits d'engagement, en millions d'euros)
Rubrique |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Marché unique, innovation et numérique |
25 421 |
25 890 |
26 722 |
26 604 |
27 000 |
27 703 |
28 030 |
Cohésion et valeurs |
54 593 |
58 636 |
61 897 |
63 741 |
65 645 |
69 362 |
68 537 |
Ressources naturelles et environnement |
53 403 |
53 667 |
53 974 |
54 165 |
54 363 |
54 570 |
54 778 |
Migration et gestion des frontières |
3 264 |
4 567 |
4 873 |
5 233 |
5 421 |
5 678 |
5 866 |
Sécurité et défense |
3 347 |
3 495 |
3 514 |
3 695 |
4 040 |
4 386 |
5 039 |
Voisinage et le monde |
15 669 |
16 054 |
16 563 |
17 219 |
18 047 |
19 096 |
20 355 |
Administration publique |
11 024 |
11 383 |
11 819 |
12 235 |
12 532 |
12 949 |
13 343 |
Total |
166 721 |
173 694 |
179 363 |
182 892 |
187 047 |
193 743 |
195 947 |
Source : Commission européenne
Dans la continuité du document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union européenne, publié par la Commission européenne en juin 2017, et conformément aux propos du président de la Commission Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l'état de l'Union du 13 septembre 2017, les propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel visent à accroître le financement de nouvelles priorités politiques . Par conséquent, les crédits dédiés à la défense et la sécurité devraient être augmentés pour s'établir à 27,5 milliards d'euros courants sur sept ans, dont 13 milliards d'euros environ seraient consacrés au fonds européen de défense qui aura pour objectif de soutenir la compétitivité de l'industrie de défense européenne. De plus, un effort budgétaire serait réalisé en faveur de la gestion des frontières extérieures dont les crédits seraient triplés pour atteindre 34,9 milliards d'euros contre 13 milliards d'euros au cours de la programmation précédente, et avec l'objectif de doter l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes d'un corps permanent de 10 000 agents opérationnels d'ici 2027. Le marché unique, le soutien à l'innovation et au numérique feront l'objet d'une même rubrique budgétaire, qui comprendra l'ensemble des programmes de recherche et les fonds associés. En matière de recherche, un nouveau programme intitulé « Horizon Europe » serait mis en place et doté de 97,6 milliards d'euros courants environ. Le budget consacré au numérique devrait passer de 35 milliards d'euros à 70 milliards d'euros.
Si le financement de ces nouvelles priorités politiques semble pertinent à votre rapporteur spécial, il regrette le manque de pédagogie de la Commission européenne sur les montants proposés . Lors de son déplacement à Bruxelles, il a interrogé les membres du cabinet du commissaire Günther Oettinger, sur les déterminants des enveloppes proposées, sans obtenir de réponse exhaustive. À titre d'exemple, l'objectif de porter à 10 000 le nombre d'agents de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, alors que la France estimait que 5 000 agents était un seuil satisfaisant, n'a pas été justifié. La Commission européenne a répondu à votre rapporteur spécial que ces montants avaient fait l'objet d'études d'impact, mais sans en détailler les conclusions.
Votre rapporteur spécial note que ces observations sont partagées par la Cour des comptes européenne. Dans un document d'information relatif au prochain cadre financier pluriannuel publié le 10 juillet 2018 17 ( * ) , la Cour des comptes européenne relève que les changements de priorités proposés entre les domaines de dépenses ne sont ni clairement expliqués, ni justifiés par la Commission européenne . La Cour des comptes européenne souligne en particulier que, si la Commission européenne a justifié ses réorientations budgétaires par la notion de « valeur ajoutée européenne », sa communication en date du 2 mai 2018 ne propose pas de réelle évaluation de la « valeur ajoutée européenne » de chaque programme. Pour rappel, la Commission européenne a défini la notion de « valeur ajoutée européenne » dans son document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union européenne, publié le 27 juin 2017. En application de cette notion, le financement européen de politiques publiques doit permettre de réaliser les objectifs fixés dans le traité sur l'Union européenne (TUE), être consacré à des biens publics de dimension européenne, et défendre les libertés fondamentales, le marché unique ou l'Union économique et monétaire (UEM) 18 ( * ) . Votre rapporteur spécial regrette que la définition de cette notion ne réponde pas à des critères budgétaires objectifs et quantifiés alors même qu'elle est invoquée par la Commission européenne, et certains États membres, pour justifier le choix de nouvelles priorités politiques.
La valeur ajoutée européenne et le financement au titre du budget de l'UE
Source : Document de réflexion sur l'avenir des finances de l'UE
Par ailleurs, votre rapporteur spécial regrette que l'effort budgétaire envers les nouvelles priorités politiques - défense, sécurité, jeunesse et innovation - conduise à une hiérarchisation des dépenses européennes au détriment de la politique agricole commune et de la politique de cohésion . D'après les annonces détaillées de la Commission européenne du 1 er juin 2018, les crédits alloués à la PAC seraient réduits de 12 % environ en euros constants (prix 2018), ce qui reviendrait à une réduction de 5 % environ en euros courants, mais en intégrant un taux d'inflation annuelle de 2 %. La Commission européenne a précisé que la réduction des crédits serait accompagnée de réformes globales de la PAC et de la politique de cohésion pour en accroître l'efficacité. Pour cette dernière, l'attribution des fonds sera réalisée sur la base de nouveaux indicateurs tels que le taux de chômage, l'impact des changements climatiques, le respect par les États membres des objectifs européens d'accueil et d'intégration des migrants, en plus de celui du produit intérieur brut (PIB) par habitant.
Votre rapporteur spécial estime que la défense ambitieuse d'une augmentation de la contribution des États membres au financement du budget de l'Union européenne aurait permis d'éviter l'effet de sélection budgétaire dans les orientations du prochain cadre financier pluriannuel. Il s'inscrit ainsi dans la continuité des résolutions adoptées par le Sénat en faveur d'une sanctuarisation des crédits de la PAC et de la politique de cohésion, respectivement les 6 juin et 2 juillet derniers.
3. ... qui pourraient se traduire par des réductions de crédits à destination des territoires les plus fragiles
La baisse annoncée de la politique de cohésion devrait se traduire principalement par une réduction de l'ordre de 45 % du fonds de cohésion dont les premiers bénéficiaires sont les États membres d'Europe centrale. La France devrait connaître une diminution d'environ 5,4 % des crédits au titre de la politique de cohésion. Si elle semble ainsi relativement préservée par rapport à ses partenaires européens, l'ensemble des régions françaises verraient leur taux de cofinancement européen diminuer dans le cadre de la prochaine programmation. Votre rapporteur spécial regrette cette évolution qui pourrait pénaliser les territoires et collectivités territoriales les plus fragiles dans le financement de projets locaux .
Concernant la politique agricole commune, le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), qui finance le deuxième pilier, devrait connaître une réduction d'environ 13 % de ses crédits pour s'établir à 78,8 milliards d'euros environ pour la période 2021-2027 d'après la Commission européenne. Comme il l'a déjà souligné à l'occasion de l'examen de la loi de règlement et de sa participation aux travaux du groupe de suivi relatif à la politique de cohésion européenne, votre rapporteur spécial rappelle au Gouvernement le besoin de soutenir une meilleure prise en compte des territoires ruraux dans les négociations du prochain cadre financier pluriannuel , et il considère que les propositions de la Commission européenne n'intègrent pas suffisamment les besoins des territoires non métropolitains de l'Union européenne . Dans cette perspective, votre rapporteur salue l'orientation des travaux de la commission agriculture du Parlement européen qui a dénoncé à plusieurs reprises la baisse des crédits dédiés à la politique agricole commune. Dans son projet d'avis sur le rapport intermédiaire sur le cadre financier pluriannuel, le député européen Peter Jahr a souligné que « l'agriculture ne saurait subir de préjudice financier à la suite de décisions politiques telles que le retrait du Royaume-Uni de l'Union ou le financement de nouvelles politiques européennes », mais également que l'ampleur des coupes budgétaires opérées varie en fonction des paramètres de calcul utilisés par la Commission européenne.
II. LES ÉCUEILS DE L'ACTUEL CADRE FINANCIER PLURIANNUEL SONT PARTIELLEMENT PRIS EN CONSIDÉRATION
A. UN CALENDRIER D'ADOPTION VISANT UN DÉMARRAGE PLUS RAPIDE DE LA CONSOMMATION DES CRÉDITS, MAIS QUI EST DÉMOCRATIQUEMENT CRITIQUABLE
L'objectif de la Commission européenne est de parvenir à un accord politique sur les orientations du prochain cadre financier pluriannuel avant les prochaines élections européennes de mai 2019. Comme votre rapporteur spécial l'avait souligné dans sa contribution à la loi de règlement pour l'exercice 2017, ce calendrier contraint est justifié par la nécessité d'éviter le retard pris au début de la programmation 2014-2020 en raison des élections européennes qui avait perturbé l'avancée des négociations. Cet argument peut sembler légitime afin de ne pas pénaliser les porteurs de projets locaux dans la mise en oeuvre des fonds européens. Toutefois, votre rapporteur spécial souligne qu'il aura pour conséquence de priver les prochains parlementaires européens d'un pouvoir d'appréciation sur le futur budget de l'Union européenne jusqu'en 2027, c'est-à-dire pendant toute la durée de leur mandat, alors même que le pouvoir d'appréciation budgétaire du Parlement européenne n'a cessé de se renforcer au fil de l'histoire de la construction européenne. À ce titre, votre rapporteur spécial se réjouit que la ministre en charge des affaires européennes, Nathalie Loiseau, ait reconnu que ce calendrier était « peu souhaitable d'un point de vue démocratique » à l'occasion du débat préalable au Conseil européen qui s'est tenu le 26 juin 2018 au Sénat.
Par conséquent, l'introduction d'une révision à mi-parcours du prochain cadre financier pluriannuel apparaît comme indispensable pour pallier le manque de légitimité démocratique d'un accord politique conclu avant les élections européennes. Si un accord politique sur les orientations du prochain cadre financier pluriannuel était conclu avant les prochaines élections européennes, il serait nécessaire de permettre aux députés européens nouvellement élus de se prononcer à nouveau sur les dispositions de cet accord.
En tout état de cause, votre rapporteur spécial relève qu'il faudra attendre les conclusions du Conseil européen de décembre 2018 pour établir si un accord politique, même a minima , est atteignable avant les élections européennes de mai 2019.
B. LES NOUVELLES CONDITIONNALITÉS D'ACCÈS AUX FONDS EUROPÉENS : UNE AVANCÉE POSITIVE DEVANT ENCORE ÊTRE PRÉCISÉE
La Commission européenne a retenu l'idée, soutenue par la France, de conditionner l'attribution des fonds de la politique de cohésion au respect de l'État de droit . Cette disposition pourrait notamment entraîner une réduction des crédits attribués à la Pologne, dont la récente réforme d'organisation de la justice reste critiquée par la Commission européenne, ainsi qu'à la Hongrie. Pour rappel, en décembre dernier, la Commission européenne a eu recours à l'article 7 du traité sur l'Union européenne (TUE) afin de constater un risque clair de violation de l'État de droit en Pologne. La procédure prévue par l'article 7 permet in fine une suspension des droits de vote d'un État membre au sein du Conseil de l'UE, mais son aboutissement semble peu probable car il nécessite l'unanimité des États membres.
Votre rapporteur spécial estime que l'introduction de cette nouvelle conditionnalité est positive car elle permet de lier l'accessibilité aux ressources budgétaires de l'Union européenne au respect de ses valeurs. Cependant, votre rapporteur spécial a pu constater au cours des auditions menées que les contours de cette disposition restaient à définir. En effet, comment établir des critères objectifs pour apprécier la qualité de l'État de droit ? Les défaillances constatées donneront-elles lieu à des sanctions financières graduées ? Votre rapporteur spécial a notamment relevé des voix dissonantes entre les directions de la Commission européenne , et il encourage les services compétents de la Commission européen à détailler cette proposition afin d'en renforcer la crédibilité.
III. UN VOLET « RESSOURCES » TRÈS OPTIMISTE ET QUI CACHE PLUSIEURS DÉCEPTIONS
Bien que le volet « ressources » du prochain cadre financier pluriannuel soit traité dans la décision « ressources propres » (DRP), les propositions de la Commission européenne du 2 mai dernier incluent des éléments relatifs aux ressources du budget de l'Union européenne.
En premier lieu, la Commission européenne propose une suppression progressive de l'ensemble des rabais d'ici 2025. Votre rapporteur spécial estime que cette suppression est une avancée permettant d'accroître la lisibilité du budget européen et d'en améliorer l'acceptabilité par l'ensemble des États membres. Toutefois, l'horizon de 2025 semble tardif, en particulier à cause du retrait du Royaume-Uni dès la fin de l'année 2020, ce qui permettrait d'engager ce chantier de simplification budgétaire plus rapidement.
En second lieu, la Commission européenne a suggéré plusieurs pistes pour diversifier les ressources de l'Union européenne . Outre sa proposition relative à l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS), elle propose d'établir une taxe sur les produits plastiques, sur les quotas d'échanges de carbone, et de réformer les règles relatives à la ressource TVA. Votre rapporteur spécial a interrogé le cabinet de la ministre chargée des affaires européennes sur la crédibilité de ces propositions. S'il s'est montré optimiste quant à la perspective de parvenir rapidement à un accord sur l'ACCIS, la direction générale du budget de la Commission européenne était plus prudente. Par ailleurs, la feuille de route commune Franco-allemande pour la zone euro, présentée le 19 juin dernier, appelle à continuer les négociations en ce sens, sans avoir pour autant rencontré un écho encourageant lors du Conseil européen de juin dernier. De plus, les modalités des taxes assises sur le plastique et les échanges carbone restent à définir.
Si ces propositions ont semblé ambitieuses à votre rapporteur spécial, elles restent cependant à être précisées. De plus, votre rapporteur spécial appelle à rester vigilant en ce qui concerne la taxe sur les produits plastiques, afin qu'elle ne pénalise pas de façon excessive le pouvoir d'achat des consommateurs finaux .
TROISIÈME PARTIE - LE RÔLE DE LA FRANCE DANS LES NÉGOCIATIONS BUDGÉTAIRES À CONSOLIDER
I. UNE ADMINISTRATION PLUTÔT BIEN OUTILLÉE POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX DU PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL
Les auditions relatives au prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne ont amené votre rapporteur spécial à entendre l'ensemble des administrations traitant des enjeux européens, au niveau ministériel et interministériel. En particulier, les auditions du secrétariat général aux affaires européennes, de la direction de l'Union européenne du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), et de la direction générale du Trésor ont convaincu votre rapporteur spécial de l'efficacité et de la mobilisation des services administratifs compétents pour la conduite des négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel . La présence de plus d'une centaine d'agents à la représentation permanente de la France à Bruxelles permet également un dialogue efficace entre les différents services administratifs.
Néanmoins, votre rapporteur spécial a pu percevoir que la coordination interministérielle des travaux n'est pas exempte de frictions ponctuelles entre les administrations, en particulier entre la direction de l'Union européenne du MEAE et la direction générale du Trésor . Ce constat est renforcé par la dimension interministérielle des négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel, et par l'importance budgétaire des montants qui seront affectés à chaque politique publique. De plus, il a semblé à votre rapporteur spécial que l'existence de doublons entre les services était palpable, sans que les auditions conduites ne permettent d'évaluer avec précision le nombre d'équivalents temps-plein (ETP) qui seraient concernés . Cet enjeu relatif à la bonne gestion de la masse salariale, et conditionnant une coordination efficace des travaux en matière européenne, pourrait faire l'objet d'un contrôle budgétaire ultérieur par votre rapporteur spécial.
II. DES LEVIERS D'INFLUENCE À RENFORCER
Les auditions menées par votre rapporteur spécial ont témoigné d'une influence préservée de la France au sein de l'Union européenne dans le cadre des négociations à venir. La crainte d'un recul de son influence politique régulièrement relayée n'a pas paru fondée aux yeux des interlocuteurs rencontrés. Au contraire, la présence importante de fonctionnaires français au sein des institutions européennes, en particulier à la Commission européenne, couplée au retrait britannique de l'Union européenne, contribue à consolider le rayonnement français d'après le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).
La position française quant aux orientations du prochain cadre financier pluriannuel présentées par la Commission européenne a pu sembler ambiguë, en particulier en matière de politique agricole commune (PAC). Ainsi, lors de son audition au Sénat le 24 mai 2018 19 ( * ) , le commissaire en charge du budget de l'Union européenne et des ressources humaines, Günther Oëttinger, a évoqué le « double discours » de la France à l'égard du prochain cadre financier pluriannuel, en soulignant que le gouvernement français défendait le maintien des crédits alloués à la PAC dans la presse nationale, mais n'en faisant pas une ligne rouge dans la conduite des négociations à Bruxelles.
Les auditions menées par votre rapporteur spécial l'ont conduit à modérer ce propos. La plupart des interlocuteurs rencontrés, en France comme au sein de la Commission européenne, se sont accordés à reconnaître la volonté de la France de maintenir le niveau de crédits en faveur de la PAC. La défense de la première politique commune européenne paraît d'autant plus dans l'intérêt de la France que celle-ci en resterait le principal bénéficiaire dans le prochain cadre financier pluriannuel, avec une enveloppe d'environ 62 milliards d'euros (courants) pour la période 2021-2027, d'après les annonces de la Commission européenne du 1 er juin dernier. Enfin, votre rapporteur spécial tient à souligner que la France a été à l'origine d'un mémorandum en mai appelant à préserver le budget de la PAC, et qui aujourd'hui a été signé par 20 États membres de l'Union européenne .
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 11 juillet 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Patrice Joly, rapporteur spécial, sur les ambitions de l'Union européenne et de la France sur le prochain cadre financier pluriannuel .
M. Patrice Joly , rapporteur spécial « Affaires européennes » . - Dans le contexte actuel de désordre mondial, avec une guerre commerciale qui s'aiguise, la multiplication des conflits et l'importance des flux migratoires, l'Europe doit assurer sa protection et sa sécurité. Les peuples européens sont désabusés, désorientés, parfois désespérés. Le sentiment d'abandon qu'ils éprouvent se traduit, sur le plan politique, par la montée des populismes, le Brexit ou la conduite, par certains États, de stratégies individuelles. Les risques sont donc devant nous.
Le cadre financier pluriannuel doit traduire des orientations politiques fortes. Or, mis à part le discours du Président de la République, adressé à nos partenaires européens, les traductions politiques sont inexistantes au plan national. Cela ne facilite pas la compréhension, le partage et l'acceptation, par les peuples - notamment le nôtre -, des politiques européennes.
Depuis le début de l'année, j'ai mené un cycle d'auditions visant à appréhender les enjeux relatifs au budget européen et à en mesurer les conséquences sur la contribution de notre pays à ce budget. Si les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 ont constitué le fil rouge de mes travaux de contrôle, ce prisme m'a aussi permis de questionner les ambitions politiques de l'Union européenne, ainsi que le rôle et la capacité de la France à peser dans les négociations. J'ai participé à deux groupes de travail : le premier, avec Jean-François Rapin, était dédié au cadre financier pluriannuel et le second, avec Bernard Delcros, traitait de l'avenir de la politique de cohésion et qui a abouti à l'adoption d'une résolution européenne par le Sénat le 2 juillet dernier.
S'agissant du bilan de l'actuel cadre financier pluriannuel, du fait de la longueur des négociations et d'une mise en oeuvre tardive, un très fort retard est enregistré dans l'exécution de ce cadre. L'enveloppe de 959 milliards d'euros en crédits d'engagements et 908 milliards d'euros en crédits de paiement a fait l'objet d'une révision en 2016. Elle s'est traduite par une augmentation des crédits destinés à financer la gestion des flux migratoires - 3,9 milliards d'euros - et les mesures relatives à l'emploi et la croissance - 2,1 milliards d'euros.
Le principal écueil réside dans les retards significatifs en matière de décaissement des crédits européens, notamment pour la politique de cohésion.
Les raisons de ces retards sont assez confuses. Certes, l'une d'elles est la mise en oeuvre tardive du cadre financier, mais la désignation des autorités de gestion nationales a pris également plus de temps qu'au cours du cadre financier pluriannuel précédent. En octobre 2017, la Commission européenne était toujours en attente de la désignation des autorités de gestion de 62 programmes, soit 11 % de l'ensemble d'entre eux. En France notamment, ce retard est imputable au processus de réorganisation institutionnelle locale. S'y ajoutent des dysfonctionnements importants des systèmes informatiques, avec le fameux logiciel Osiris, et le manque de ressources humaines compétentes pour assurer l'ingénierie de ces financements.
La politique agricole commune est concernée par la sous-consommation des crédits. Le programme « Leader », visant à soutenir les projets de développement rural portés par les groupes d'action locale, les GAL, l'illustre parfaitement pour les crédits du deuxième pilier : d'après le président de Leader France que j'ai auditionné, à la fin de 2017, 4,5 % des crédits avaient été engagés et 1 % effectivement consommés en France. Ces retards affectent visiblement toute l'Union européenne. La préoccupation vaut aussi pour les crédits du premier pilier, comme nous l'a signalé la Fédération européenne des syndicats agricoles, la Copa-Cogeca, rencontrée à Bruxelles.
Le retard dans la mise en oeuvre s'est traduit par une sous-exécution du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, qui a atteint 2,3 milliards d'euros pour l'exercice 2017. En revanche, nous devrions observer une accélération de la consommation des crédits durant la deuxième période de la programmation, avec, notamment, un accroissement du prélèvement de 17 % pour l'année 2019.
Le montant du prélèvement sur recettes étant intégré à l'estimation du déficit français, il faut améliorer les prévisions d'exécution du budget de l'Union européenne. Les membres de la Commission que j'ai rencontrés à Bruxelles m'ont indiqué qu'un dialogue se nouait entre les administrations nationales et européennes sur ce sujet, mais à ce jour, aucune piste d'amélioration n'est évoquée. En revanche, j'ai eu connaissance du fait que l'hypothèse d'inflation retenue depuis le début de la programmation, de l'ordre de 2 % par an, était supérieure à l'évolution tendancielle observée. Ce n'est pas satisfaisant !
S'agissant du cadre financier pluriannuel à venir, l'hypothèse retenue est celle d'une augmentation des crédits, portant la contribution des États à 1,114 % du revenu national brut. L'augmentation est sensible, mais, avec l'intégration du Fonds européen de développement, ce niveau est ramené en réalité à 1,08 %.
Cet écart illustre bien les difficultés de comparaison des données entre les deux cadres financiers pluriannuels : 27 ou 28 États membres, ancienne ou future maquette budgétaire, euros courants ou euros constants, etc. Le rapporteur général a d'ailleurs interpellé la ministre en charge des affaires européennes, Nathalie Loiseau, sur ce sujet, à l'occasion du dernier débat préalable au Conseil européen qui s'est tenu le 26 juin dernier dans notre hémicycle. Cette absence de transparence et de fiabilité des données nuit à une appréhension correcte des crédits disponibles, mais aussi, d'après les représentants du Parlement européen et du Comité des régions, à la bonne tenue d'un débat démocratique.
Compte tenu des difficultés recensées pour l'actuel cadre financier pluriannuel, la Commission a prévu d'activer deux leviers. D'une part, elle envisage que les grandes orientations puissent être arrêtées avant les élections européennes, afin d'éviter les retards, mais cela pose des problèmes sur le plan de la démocratie. D'autre part, elle propose des mesures de simplification dans la mise en oeuvre des fonds structurels, telles que l'allègement des contrôles ou une plus grande fongibilité entre les fonds.
La Commission a souhaité donner une priorité à certains sujets : l'innovation, la recherche, l'emploi, la jeunesse, la défense, la protection des frontières et la sécurité. Dans un contexte de diminution nette des ressources liée au Brexit, des arbitrages doivent être réalisés. Ils porteraient principalement sur la politique agricole commune et sur la politique de cohésion. Par ailleurs, je n'ai pas été complètement convaincu par les éléments qui nous ont été fournis lors des auditions pour justifier le niveau de crédits des politiques prioritaires. Pour l'agence Frontex, par exemple, il est prévu de porter les effectifs à 10 000 agents opérationnels alors que la France n'en demandait que 5 000. Cette hausse n'a pas été justifiée.
Les deux politiques affectées par la contraction de leurs recettes et l'augmentation de certaines de leurs dépenses - la PAC et la politique de cohésion - concernent tout particulièrement notre pays. Les crédits de la PAC devraient subir une réduction de l'ordre de 5 % à 12 % à l'échéance de 2027. Or cette politique, quoi qu'on en pense, bénéficie aussi aux territoires non métropolitains. Alors que le fonds de cohésion devrait être réduit de 45 %, bénéficiant principalement aux États membres d'Europe centrale, la France ne devrait subir qu'une baisse de 5,4 % de ses crédits au titre de la politique de cohésion. Le Feader devrait diminuer de 13 %. Si l'on ajoute à cela la progression des cofinancements, cela laisse présager des difficultés pour les territoires les plus fragiles, dont les capacités en matière de finances et d'ingénierie sont plus faibles.
Si nous pouvons partager la perspective d'un conditionnement de l'obtention des aides au respect de l'État de droit, sa mise en oeuvre risque d'être relativement complexe. Comment évaluer le non-respect de l'État de droit ? Quelle graduation des sanctions ? La proposition reste à préciser.
Sur le volet « ressources », le Brexit, au-delà de la perte de financements qu'il représente, doit permettre de revoir la question des rabais. La Commission envisage une remise en cause de ces rabais à l'horizon de 2025 ; ce serait bien qu'ils disparaissent plus rapidement. Par ailleurs, certaines propositions sont sur la table, mais nous savons leur mise en oeuvre compliquée. L'opposition formelle de certains de nos partenaires et la règle de l'unanimité risquent de rendre très difficile la mise en oeuvre du projet de taxation des GAFA, et plus généralement de l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS), une fiscalité pourtant indispensable et légitime. Je pense aussi à la taxation sur les produits plastiques ou les échanges de quotas de carbone. Si l'on reste confiant à Bruxelles, nous sommes circonspects, au plan national, sur la réussite de cette fiscalité européenne, qui risque, en plus, de peser sur le consommateur final.
S'agissant, enfin, de la place de la France dans les négociations actuelles et à venir, les auditions des différents services de l'État intervenant sur le sujet ont confirmé l'existence d'une coordination interministérielle, même si certains flous demeurent parfois. Nous avons eu le sentiment qu'il y avait, dans les négociations, un discours de la France qui est à Bruxelles et un discours de la France qui est à Paris, notamment au sujet de la PAC. Mais certaines évolutions ont pu l'expliquer : en 2016, la France est devenue contributrice nette au titre du premier pilier ; elle est redevenue bénéficiaire nette dès 2017. Comme nombre de territoires se désespéraient, le ministre de l'agriculture s'est alors engagé en faveur de la PAC, représentant 62 milliards d'euros pour notre pays sur la période 2021-2027. Une vingtaine d'États, qui entendaient se désengager de cette politique, sont aujourd'hui prêts, eux aussi, à en sanctuariser les crédits, et ont participé au mémorandum initié par la France en mai dernier.
Certaines défaillances ont conduit la France à reverser 721 millions d'euros au titre des refus d'apurement pour les aides agricoles en 2017. Ceci est symptomatique des difficultés rencontrées dans la gestion des financements européens, même si, à Bruxelles, on fait état d'une amélioration des procédures, notamment grâce à l'amélioration du registre parcellaire.
M. Bernard Delcros . - Les retards sont très préjudiciables sur le terrain. Dans certains territoires, on peut tout juste engager les crédits au titre du programme Leader. La Commission annonce certaines mesures de simplification. Sont-elles de nature à améliorer la mise en oeuvre sur le terrain ? La fiabilité des chiffres est une vraie problématique : a-t-on des éléments plus précis sur ce sujet ? Alors que le budget européen est en progression, on observe une baisse considérable des crédits bénéficiant aux territoires ruraux. Croyez-vous possible d'obtenir un redéploiement dans le cadre des négociations en cours ? Par ailleurs, il faudra être très ferme sur la question des périmètres et bien s'appuyer sur les anciennes régions, sans quoi les territoires les plus fragiles des grandes régions risquent d'être extrêmement pénalisés. Ils le seront déjà par le fait de la multiplication des cofinancements ; ils ne doivent pas l'être du fait des nouvelles régions. Je rejoins vos observations quant aux délais : il n'est ni souhaitable ni nécessaire de se précipiter pour finaliser le dossier avant les prochaines élections européennes.
M. Marc Laménie . - Le montage des dossiers d'obtention des aides européennes est très complexe, pour les entreprises comme pour les collectivités locales. Vers qui se tourner ? Les préfectures, dont les effectifs sont en baisse ? Les nouveaux conseils régionaux ?
M. Patrice Joly , rapporteur spécial . - Certaines mesures de simplification consisteront en un allégement des procédures de transmission des documents ou de contrôle.
Je ne peux que vous confirmer les difficultés en matière de fiabilité des chiffres et de croisement des données.
Je partage complètement le constat de Bernard Delcros : les territoires ruraux peinent à entrer dans le radar des politiques publiques européennes, d'ailleurs au niveau tant européen que national. C'est une vraie difficulté, au regard de la transition qui s'impose à l'agriculture, mais aussi, de manière plus globale, à ces territoires ruraux. Les dernières interventions du Gouvernement suggèrent une réelle détermination pour obtenir des moyens supplémentaires au cours des négociations à venir. Toutefois, rien n'est gagné : il est compliqué d'arriver à « 0 %», c'est-à-dire à maintenir le niveau actuel des financements, quand on démarre une négociation à « - 5 % » !
Pour les régions, il faudra veiller à distinguer le périmètre de l'autorité de gestion et les espaces bénéficiaires des fonds européens. Les nouvelles régions sont bien les autorités de gestion pour le prochain cadre financier pluriannuel, mais le périmètre des anciennes régions est celui qui a permis d'établir les taux de cofinancement européen pour la prochaine programmation.
Quels seront les résultats des prochaines élections européennes dans le contexte actuel ? Nous n'en savons rien ! C'est pourquoi la Commission souhaite que certaines orientations puissent être arrêtées avant cette échéance. Pour autant, cela risque de conduire les peuples européens à se détourner encore plus de ces élections !
La question des moyens humains comprend deux volets. Il y a les moyens humains des autorités de gestion, qui, à l'échelle régionale, peinent à se mettre en place depuis le transfert de la gestion des fonds européens des préfectures aux conseils régionaux, à s'organiser et, parfois, à recruter, et les moyens humains nécessaires à la conception des dossiers, une problématique qui concerne les territoires.
La commission a donné acte de sa communication à M. Patrice Joly, rapporteur spécial et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)
- Mme Sandrine GAUDIN, Secrétaire générale.
Ministère de l'économie et des finances
Direction du budget
- M. Morgan LARHANT, sous-directeur ;
- Mme Anne-Céline DIDIER, cheffe du bureau des finances et des politiques de l'Union européenne.
Ø Direction du Trésor
- M. Emmanuel MASSÉ, chef du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes.
Ministère de l'Europe et des affaires étrangères
- M. Philippe SETTON, directeur de l'Union européenne.
Ministère de l'agriculture et de l'alimentation
Cabinet du ministre
- M. Bruno FERREIRA, directeur adjoint de cabinet chargé de la PAC et des relations diplomatiques.
Fédération nationale des groupes d'action locale
- M. Thibaut GUIGNARD, président de Leader France
Déplacement à Bruxelles le 19 juin 2018
Commission européenne
Cabinet de Mme Corina CRETU, commissaire européenne à la politique régionale
- M. Jan Mikoaj DZIÊCIO£OWSKI, conseiller.
Cabinet de M. Phil HOGAN, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural
- Mme Elisabetta SIRACUSA, conseillère.
Cabinet de M. Günther OETTINGER, commissaire européen au budget et aux ressources humaines
- M. Markus SCHULTE, conseiller ;
- Mme Katarzyna SZCZEPANSKA, conseillère.
Direction générale Budget
- M. Eric VON BRESKA, directeur de la direction générale politique régionale ;
- M. Juan Jose LOPEZ LLEDO, chef d'unité.
Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne
- Mme Anne BLONDY-TOURET, conseillère économie et finances ;
- Mme Virginie JORISSEN, conseillère agricole ;
- M. Guillaume DENIS, conseiller à la politique régionale.
Fédération de syndicats agricoles européens
- M. Paulo GOUVEIA, directeur en charge des dossiers de la PAC et du Budget au Copa-Cogeca.
Comité européen des régions
- M. Nicolas LETE, conseiller du président du Comité européen des régions.
* 1 Résolution européenne pour une politique régionale européenne ambitieuse au service de la cohésion territoriale, devenue résolution du Sénat le 2 juillet 2018.
* 2 Règlement n° 1311/2013 du Conseil du 2 décembre 2013 fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020
* 3 Article 2 du règlement n° 1311/2013 : « avant la fin de 2016 au plus tard, la Commission présente un réexamen du fonctionnement du cadre financier, en tenant pleinement compte de la situation économique qui existera à ce moment-là ainsi que des projections macroéconomiques les plus récentes »
* 4 Règlement (UE, Euratom) 2017/1123 du Conseil du 20 juin 2017 modifiant le règlement (UE, Euratom) n° 1211/2013 fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020.
* 5 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Patrice JOLY, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017
* 6 LOI n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles
* 7 Article 86 du règlement (UE) n° 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013
* 8 LEADER signifie « Liaison Entre Action de Développement de l'Économie Rurale ». Il s'agit d'un programme d'initiatives communautaires en faveur du développement rural.
* 9 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.
* 10 Loi n° 2018-652 du 25 juillet 2018 de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017
* 11 L'article 6 du règlement n° 1311/2013 prévoit que « 1. Chaque année, la Commission, agissant en amont de la procédure budgétaire de l'exercice n+1, procède aux ajustements techniques suivants du cadre financier (...). 2. La Commission procède aux ajustements techniques visés au paragraphe 1 sur la base d'un déflateur fixe de 2 % par an ».
* 12 Décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l'Union européenne (2014/335/EU, Euratom).
* 13 Note publiée par l'Institut Delors le 16 janvier 2017, intitulée « Brexit et budget de l'UE : menace ou opportunité ? ».
* 14 Source : Commission européenne, rapport financier annuel 2016.
* 15 Source : annexe au projet de loi de finances pour 2018 « Relations financières avec l'Union européenne »
* 16 En euros constants, calculé à partir de l'indice des prix de 2018. D'après la Commission européenne, en euros courants sur la période 2021-2027, le plafond de dépenses s'élèverait à 1 279 milliards d'euros en crédits d'engagement.
* 17 The Commission's proposal for the 2021-2027 Multiannual Financial Framework - Briefing Paper (disponible à ce jour uniquement en anglais)
* 18 Document sur l'avenir des finances de l'Union européenne, p. 11.
* 19 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180521/fin.html#toc5