B. LA RÉMUNÉRATION DES CONTRÔLEURS AÉRIENS, UN SUJET PLUS POLÉMIQUE QUE DE RAISON
Les contrôleurs aériens sont parfois perçus par les médias ou par le grand public comme une catégorie de fonctionnaires excessivement privilégiée .
Votre rapporteur spécial souhaite donc fournir sur ce point des données objectives et présenter quelques éléments de comparaisons destinées à remettre les choses en perspective.
1. La rémunération des contrôleurs aériens français est inférieure à celle de leurs homologues européens
a) Les primes représentent près de 60 % de la rémunération des ICNA
Le total des rémunérations versées aux ICNA pour l'année 2016 s'est élevé à 383 375 767 euros répartis en 155 366 461 euros de rémunération principale et 228 009 305 euros d'indemnités .
Ces montants correspondent aux rémunérations brutes hors charges employeur .
La rémunération brute moyenne des ICNA s'élève ainsi à 93 735 euros annuels répartis en 37 987 euros de rémunération principale et 55 748 euros d'indemnités .
Le montant des primes représente donc en moyenne 59 % de la rémunération des ICNA .
En termes de rémunération nette, le salaire des ICNA s'élève en moyenne à 5 000 euros par mois , sans treizième mois, avec des rémunérations maximales de 9 000 euros par mois environ pour les contrôleurs aériens en fin de carrière.
Le montant des éléments de rémunération sont amenés à évoluer au cours des prochaines années en raison des mesures salariales adoptées dans le cadre du protocole parcours professionnel, carrière et rémunération (PPCR) et du protocole social 2016-2019 propre à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) , signé en juillet 2016 entre le Gouvernement et une forte majorité d'organisations syndicales représentatives des personnels.
Ces deux protocoles prévoient u ne revalorisation de 5 % de la rémunération des contrôleurs sur la période 2016-2019 , soit 325 euros , pour accompagner la mise en oeuvre des évolutions de la réglementation européenne sur la licence de contrôleur, qui induit des contraintes nouvelles sur le maintien de compétences et son évaluation 46 ( * ) .
A ces sommes s'ajoutent les primes ( majoration indemnitaire de 500 euros ou 255 euros mensuels selon l'ampleur de l'évolution consentie) prévues lorsque les contrôleurs aériens acceptent de mettre en oeuvre les expérimentations visant à mieux adapter l'organisation de leur travail à la saisonnalité du trafic (voir infra ).
Les protocoles sociaux de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) La démarche de signature de protocole triennaux avec les organisations syndicales , qui date de 1988, permet, selon la DGAC, « de fixer une stratégie et son déroulé opérationnel pour le triennal, de donner une lisibilité interministérielle aux mesures sociales accordées en contrepartie des efforts consentis par les personnels, de diminuer le taux de conflictualité et enfin de consolider l'unité et la cohésion sociale de la DGAC ». Le protocole social signé le 19 juillet 2016 47 ( * ) - le dixième depuis 1988 - fixe aux personnels de la DGAC les objectifs suivants pour les années 2016 à 2019 : - faire de la France le premier prestataire de services de la navigation européenne en Europe ; - dans cette perspective, accroître significativement la performance opérationnelle et économique de la navigation aérienne grâce à des modernisations techniques et opérationnelles. L'un des principaux enjeux est d'organiser une plus grande flexibilité des horaires des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) pour une meilleure adaptation des tours de services à un trafic de plus en plus concentré sur des périodes de pointe , en particulier l'été ; - développer l' influence de la DGAC au niveau international (OACI et Union européenne) ; - mettre en place une surveillance de sécurité et de sûreté de plus en plus basée sur l'analyse des risques (notamment avec le pôle PARAC) ; - sécuriser juridiquement les interventions des agents exerçant des missions de certification, de contrôle et de surveillance ; - poursuivre la rationalisation et la mutualisation des fonctions support (ressources humaines, finances, immobilier et informatique). En contrepartie, ce protocole social, dont les principaux points ont été actés peu avant le début du championnat d'Europe de football dont notre pays était l'organisateur, dans un contexte social difficile , prévoit des mesures catégorielles significatives pour les agents de la DGAC. Ainsi, 55 millions d'euros ont été prévus pour financer ces nouveaux avantages sur la période 2016-2019 (y compris les mesures générales favorables à l'ensemble des agents de la fonction publique 48 ( * ) ), dont 15 millions d'euros réservés aux expérimentations de nouvelles organisations du temps de travail des contrôleurs aériens. Ce coût global de 55 millions d'euros pour la période 2016-2019 est à comparer avec celui des mesures sociales du protocole social 2013-2015, dont le coût s'est élevé à 27,4 millions d'euros . Source : commission des finances du Sénat |
b) La mise en place d'un système de rémunération plus clair depuis le 1er juillet 2017 mérite d'être saluée
Depuis le 1 er juillet 2017, le régime indemnitaire des quatre corps techniques de la DGAC , et notamment celui des ICNA , repose sur un système simplifié régi par un décret unique 49 ( * ) et comprenant quatre parts :
- une part liée aux fonctions exercées ;
- une part liée à l'expérience professionnelle ;
- une part liée à la détention d'une licence européenne de contrôle ;
- une part, dite « part technique », liée aux licences , qualifications et habilitations détenues .
Ce régime prend en compte la spécificité des missions confiées à ces agents avec pour objectif sous-jacent la sécurité du service aérien .
Il repose ainsi sur des critères autres que les seules fonctions, et en particulier sur des conditions d'octroi ou de maintien de qualifications ou de licences , ce qui est légitime.
Votre rapporteur spécial salue la mise en place de ce nouveau régime simplifié .
Il importe d'apporter de la lisibilité et de la clarté sur cette question sensible de la rémunération des ICNA, pour éviter de donner prise à des idées fausses ou à des exagérations.
c) Les comparaisons européennes montrent que le coût salarial des contrôleurs aériens français reste inférieur à celui des grands prestataires de services de la navigation aérienne européens
Au niveau européen, Eurocontrol réalise chaque année une étude comparative sur la performance du contrôle aérien dans les États membres . Le dernier rapport publié, en date du 31 mai 2018, porte sur l'année 2016.
Cette étude montre tout d'abord que le coût moyen annuel des contrôleurs aériens en France - 130 000 euros - se trouve dans la moyenne européenne , qui est de 127 000 euros .
Mais il est nettement inférieur à celui de pays au pouvoir d'achat comparable , tels que les Pays-Bas, la Suisse, l'Autriche, l'Allemagne, la Belgique ou bien encore le Royaume-Uni.
Le fait que les contrôleurs aériens français bénéficient du statut de la fonction publique n'induit donc nullement une rémunération supérieure à celles de leurs homologues européens , puisque les contrôleurs allemands ou britanniques, pour ne citer qu'eux, sont mieux payés alors qu'ils sont des salariés de droit privé .
Coût moyen annuel d'un contrôleur aérien en 2016 dans les pays membres d'Eurocontrol
Source : Eurocontrol
Selon la même étude, le coût salarial par heure de travail d'un contrôleur aérien est de 101 euros en France , soit un niveau inférieur à la moyenne européenne de 112 euros .
À titre de comparaison, il est de 225 euros en Allemagne, 216 euros au centre Eurocontrol de Maastricht, 163 euros en Espagne, 157 euros en Belgique, 133 euros au Royaume-Uni et 115 euros en Italie.
La France est donc clairement le moins cher des prestataires de services de la navigation aérienne en termes de coûts salariaux de ses contrôleurs .
Coûts salariaux horaires des contrôleurs aériens en 2016 dans les pays membres d'Eurocontrol
Source : Eurocontrol
Le rapport annuel d'Eurocontrol fournit une dernière information particulièrement éclairante, à savoir une comparaison des coûts salariaux des contrôleurs aériens européens corrigée par leur productivité horaire . Ces données permettent de tenir compte du nombre d'heures de vols réellement contrôlées , en pondérant l'activité de contrôle en-route et l'activité de contrôle en zones terminales.
Ce graphique montre que l e coût des contrôleurs aériens par heure de vol composite en France reste très raisonnable à 133 euros , loin derrière les coûts allemand ( 205 euros ), espagnol ( 195 euros ) ou même italien ( 157 euros ).
Coûts salariaux par heure de vol composite des contrôleurs aériens en 2016 dans les pays membres d'Eurocontrol
Source : Eurocontrol
Au total ces différents éléments permettent de considérer, selon votre rapporteur spécial, que la question du coût salarial des contrôleurs aériens , si elle doit faire l'objet d'un contrôle régulier, ne pose pas de difficultés majeures , contrairement à celle de leur productivité .
2. Le régime de retraite des contrôleurs aériens présente des spécificités
Les ICNA sont assujettis au régime de retraite des fonctionnaires de l'État et le corps est classé au service actif .
La limite d'âge du corps est fixée aujourd'hui à 57 ans sans possibilité de report et évoluera progressivement vers 59 ans dans le cadre de la réforme des retraites dont la montée en charge s'achèvera à l'horizon 2022.
Cette limite d'âge a été confirmée par le Conseil d'État 50 ( * ) . Le caractère progressif de cette évolution permettra de s'assurer de l'absence d'impact sur la sécurité de ce changement d'âge limite .
Le classement en service actif permet une bonification d'un cinquième de la durée de cotisation dans la limite de cinq années de bonification.
Les ICNA bénéficient par ailleurs d'un dispositif complémentaire d'allocation temporaire complémentaire (ATC) .
Cette allocation est versée sur une durée de treize années en trois phases : sur les deux premières années pour un montant de 1 778 euros mensuels puis pour les six années suivantes pour un montant de 1 399 euros et enfin pour les cinq années suivantes pour un montant de 759 euros .
Ces versements sont effectués depuis u n fonds spécifique géré par la Caisse des dépôts et consignations , alimenté par le budget annexe de l'aviation civile (BACEA) par l'intermédiaire d'une cotisation sur l'indemnité spéciale de qualification des ICNA et par le versement, le cas échéant, d'une contribution d'équilibre .
* 46 Le nouveau cadre réglementaire européen sur la gestion des compétences des contrôleurs aériens (IR « ATCO ») est entrée en vigueur le 1 er janvier 2017. Il vise notamment à renforcer les dispositions de la formation continue en matière de sécurité aérienne. Pour ce qui la concerne, la DSNA a dû adapter son référentiel en matière d'évaluations des compétences pratiques et linguistiques, de mentions d'instructeurs sur la position et sur simulateur, de procédures relatives à l'incapacité temporaire, etc.
* 47 Ce protocole a été signé par quatre organisations syndicales représentatives (UNSA-DD, SNCTA, SPAC-CFDT et FEETS-FO) représentant 72 % des personnels de la DGAC.
* 48 En particulier, celles prévues par l'accord relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations des fonctionnaires (PPCR).
* 49 Décret n°2016-1869 du 26 décembre 2016 fixant le régime indemnitaire applicable aux corps techniques de la direction générale de l'aviation civile.
* 50 Décision d'assemblée du CE du 4 avril 2014 n° 362785 et suivants, MEDDE c/Mabois et autres.