Rapport d'information n° 480 (2017-2018) de Mme Annick BILLON , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 16 mai 2018
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Avant-propos
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Programme
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Ouverture de la rencontre par Gérard
Larcher, président du Sénat
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Introduction par Annick Billon, présidente
de la délégation aux droits des femmes
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Intervention de Michelle Perrot, historienne,
professeure émérite à l'université
Paris VII-Diderot : « Femmes et politiques : une
frontière interdite ? »
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Présentation par Julia Mouzon
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Première thématique : La
formation des élues : quels besoins ?
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Seconde thématique : La mise en oeuvre
des politiques d'égalité dans les territoires
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Conclusion
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Annexes
N° 480
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mai 2018 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la rencontre avec des élues locales , organisée le 8 mars 2018 ,
Par Mme Annick BILLON,
Sénatrice
(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Françoise Cartron, Laurence Cohen, Laure Darcos, Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Laborde, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Claude Malhuret, Mme Noëlle Rauscent, vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marta de Cidrac, Nassimah Dindar, secrétaires ; Mmes Anne-Marie Bertrand, Christine Bonfanti-Dossat, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Guillaume Chevrollier, Roland Courteau, Mmes Chantal Deseyne, Nicole Duranton, Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul, M. Loïc Hervé, Mmes Victoire Jasmin, Claudine Kauffmann, Valérie Létard, M. Martin Lévrier, Mme Viviane Malet, M. Franck Menonville, Mmes Marie-Pierre Monier, Christine Prunaud, Frédérique Puissat, Laurence Rossignol, Dominique Vérien. |
Avant-propos
Le 8 mars 2018 au Sénat : honneur aux élues des territoires
Dès le 9 novembre 2017, lors de la première réunion de travail de la délégation aux droits des femmes du Sénat, il a été décidé, à l'unanimité, que son événement du 8 mars 2018 serait consacré à une rencontre avec des élues locales. Ce choix s'est spontanément imposé après les trois échéances électorales majeures qu'a connues notre pays en 2017 1 ( * ) .
Afin que le public présent dans la salle reflète la diversité des territoires représentés à la délégation, les membres de celle-ci ont été invités à convier au Sénat des élues de leur territoire.
L'objectif était d'instaurer des échanges spontanés entre sénateurs et sénatrices et leurs invitées sur le rôle des femmes dans la vie politique locale, quel que soit le mandat - municipal, départemental, régional ou communautaire, et de faire connaître le rôle de la délégation.
Le public de la matinée du 8 mars était constitué de 180 élues , issues de départements divers :
- Yonne, Gironde, Oise, Bouches-du-Rhône, Pyrénées-Atlantiques, Nord, Drôme, Haute-Garonne, Eure, Haute-Savoie, Vendée, Finistère et Côtes-d'Armor ;
- en région parisienne : Paris, Yvelines, Val-d'Oise, Val-de-Marne.
Tous les mandats locaux (conseillères municipales, communautaires, conseillères départementales et régionales) étaient représentés.
Deux élues du Conseil supérieur des Français de l'étranger , invitées par notre collègue Claudine Lepage, sénatrice représentant les Français établis hors de France, ont également participé à cet événement.
En ce qui concerne les sénateurs et sénatrices, quelque 31 membres de la délégation 2 ( * ) ont assisté à ces échanges. Mentionnons notamment la présence de Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, qui a présidé la séance des questions au Gouvernement de l'après-midi 3 ( * ) .
Parmi les sénateurs qui se sont joints à cette matinée, citons Victorien Lurel 4 ( * ) et Patrick Kanner 5 ( * ) ainsi qu'Hélène Conway-Mouret 6 ( * ) , ancienne vice-présidente de la délégation.
D' anciennes sénatrices avaient par ailleurs été invitées par la délégation : Jacqueline Panis 7 ( * ) a ainsi assisté à cette rencontre.
L'association Élues contre les violences faites aux femmes ( ECVF ), entendue par Annick Billon, présidente, dans le cadre des travaux de la délégation sur les violences faites aux femmes, thème central du programme de travail de la délégation pendant cette session, a également été représentée lors de cet événement.
Ces échanges ont été ouverts par Gérard Larcher, Président du Sénat , dont l' intervention, très appréciée , a souligné l'« atout » que représentent les élues locales « pour notre démocratie, pour le lien social et pour le maintien de la cohésion de notre territoire ».
Puis, après une présentation de la délégation par sa présidente, le programme de la matinée s'est organisé autour de trois temps forts :
- un exposé de l'historienne Michelle Perrot (auteure, entre autres titres, de L'histoire des femmes en Occident et de Les femmes ou les silences de l'histoire ) intitulé « Femmes et politique : une frontière interdite ? ». Cette intervention a eu un grand succès, si l'on en juge par l' ovation spontanée qui a salué l'oratrice lors de son départ ;
- une présentation du réseau Élueslocales.fr par sa fondatrice, Julia Mouzon ;
- deux séquences thématiques : sur la formation des élues et sur la mise en oeuvre des politiques d'égalité femmes-hommes dans les territoires .
La délégation avait décidé, au cours de sa réunion du 1 er février 2018 8 ( * ) , que chacune de ces séquences serait introduite par deux sénatrices de la délégation , chaque binôme étant sélectionné selon une double parité : majorité/opposition , sénatrice élue en 2017/sénatrice plus expérimentée.
Ont ainsi été appelées à intervenir :
- pour la première séquence : Marta de Cidrac (groupe LR), élue en septembre 2017, et Laurence Cohen (groupe CRCE), sénatrice depuis 2011 ;
- pour la seconde séquence : Frédérique Puissat (groupe LR), devenue sénatrice en septembre 2017, et Laurence Rossignol (groupe Socialiste et républicain), élue depuis 2011.
Les membres de la délégation ont spontanément accepté le principe d'un temps de parole suffisamment bref pour donner la priorité aux temps d'échange avec la salle .
Dans le même esprit, il a été décidé que la conclusion de cette manifestation serait confiée à un binôme triplement paritaire (homme/femme, majorité/opposition, métropole/outre-mer) : Max Brisson (groupe Les Républicains, Pyrénées-Atlantiques) et Victoire Jasmin (groupe Socialiste et républicain, Guadeloupe).
Ce parti pris de diversité dans l'organisation des échanges reflète l' excellente ambiance qui caractérise la délégation . À cet égard, de manière représentative de la spontanéité et de la convivialité de cette matinée , la salle a souhaité son anniversaire à notre collègue Max Brisson, né un 8 mars, en reprenant en choeur la chanson entonnée par Victoire Jasmin - la délégation ne pouvait passer sous silence ce moment symbolique ...
Parmi les thématiques qui ont émergé de ces débats, la délégation retient tout particulièrement :
- le rôle décisif des réseaux féminins et de la formation pour aider les élues à acquérir la confiance en soi indispensable à leur parcours ;
- l'intérêt pour les élues d' investir des domaines traditionnellement associés à des compétences masculines , comme les transports ou les finances : ainsi que l'a noté Laurence Cohen, « il est nécessaire que nous nous emparions de tous les sujets, sans nous cantonner à ceux qui sont réputés ?féminins? comme l'éducation, la santé, etc. » ;
- l'importance de l'évolution du statut de l'élu , pour permettre à tous, hommes et femmes, une conciliation équilibrée de leur vie professionnelle et personnelle avec leur engagement politique : ainsi que l'a rappelé Victoire Jasmin, « Les femmes sont plurielles, elles ont une vie familiale, une vie professionnelle, une vie politique, une vie citoyenne » ;
- l'apport des lois sur la parité : comme l'a relevé Marta de Cidrac, « Grâce à la parité, certains de nos talents se sont révélés. [...] Il faut oser être ce que nous sommes. Il faut oser affirmer ses convictions ! » ;
- le « changement bénéfique » noté par Frédérique Puissat à l'égard des assemblées départementales depuis l'élection de conseils paritaires : « Je ne peux que constater à quel point les ambiances ont changé dans les conseils départementaux » ;
- la conviction, réaffirmée par Laurence Rossignol, que « Sans la loi, rien ne progresse », à propos de l'accès des femmes aux mandats et aux responsabilités : « Beaucoup d'entre nous, qui sommes parlementaires, ne serions pas là sans cette loi exigeant des places réservées aux femmes sur les listes présentées lors des élections sénatoriales ».
Un point de vigilance a émergé de ces débats : la régression de la féminisation des instances dirigeantes des intercommunalités , en lien avec les regroupements encouragés par la loi NOTRe 9 ( * ) , alors même que, comme l'a souligné Annick Billon, présidente, « les intercommunalités montent en puissance [et] nombre de sujets importants pour la vie locale se traitent dans les intercommunalité s ».
À n'en pas douter, cette rencontre correspondait à un besoin, tant des élues locales que de la délégation, et il est important que le Sénat ait pris l'initiative de cette rencontre.
Sur tous ces sujets, laissons le mot de la fin, concernant l'importance de l' égalité entre les femmes et les hommes , particulièrement chère à la délégation, à notre collègue Max Brisson qui, avec éloquence et conviction, a remarquablement exposé la portée de ce combat :
« Le combat pour le droit des femmes est un combat pour la démocratie . Voulons-nous une société plus inégalitaire ou plus égalitaire ? Si nous la voulons plus égalitaire, cela passe par le combat pour les droits des femmes. Voulons-nous une société plus tolérante ou plus intolérante ? Cela passe aussi par ce combat. Voulons-nous une société plus émancipatrice ou plus repliée ? Nous souhaitons tous une société plus émancipatrice. Voilà pourquoi l'égalité entre les femmes et les hommes doit être naturelle ».
Une égalité entre les femmes et les hommes qui, au coeur de la démocratie, doit être « naturelle » : cette ambition illustre parfaitement les aspirations de la délégation et l'on ne peut que se féliciter que cet appel soit ait été exprimé par un homme.
***
Un autre temps fort de ce 8 mars 2018 au Sénat a été la séance des questions au Gouvernement 10 ( * ) , dont l'organisation a reflété l'importance symbolique de ce jour particulier, à travers :
- la présidence de cette séance , confiée à notre collègue Valérie Létard, membre de la délégation et vice-présidente du Sénat : que notre président, Gérard Larcher, soit chaleureusement remercié de cette attention qui l'honore ;
- le choix des questions : sur treize questions, sept ont porté spécifiquement sur des thèmes relatifs à la situation des femmes ou à l'égalité femmes-hommes 11 ( * ) ;
- et l'intervention d'une proportion non négligeable d' oratrices : sur treize questions, huit ont été posées par des sénatrices 12 ( * ) ; neuf réponses ont été apportées par des femmes membres du Gouvernement 13 ( * ) .
On notera de surcroît que :
- sept questions sur treize ont donné lieu à un échange entre deux intervenantes (une sénatrice et une ministre 14 ( * ) ) ;
- et que trois questions sur treize ont été posées par un membre de la délégation 15 ( * ) .
***
À l'unanimité, la délégation a autorisé la publication de ce recueil au cours de sa réunion du 16 mai 2018.
Programme
9 H 30 - OUVERTURE DE LA RENCONTRE
Gérard Larcher , président du Sénat
Introduction par Annick Billon , présidente de la délégation aux droits des femmes
Intervention de Michelle Perrot , historienne, professeure émérite à l'université Paris VII-Diderot, auteure de L'histoire des femmes en Occident (avec Georges Duby) et de Les femmes ou les silences de l'histoire : « Femmes et politique : une frontière interdite ? »
Présentation par Julia Mouzon , sa fondatrice, du réseau Élueslocales.fr et des Journées nationales des femmes élues
PREMIÈRE THÉMATIQUE : LA FORMATION DES ÉLUES, QUELS BESOINS ?
Introduction par Marta de Cidrac , sénatrice des Yvelines, groupe Les Républicains et Laurence Cohen , sénatrice du Val-de-Marne, groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste
Échanges avec la salle
SECONDE THÉMATIQUE : LA MISE EN oeUVRE DES
POLITIQUES D'ÉGALITÉ
DANS LES TERRITOIRES
Témoignage de Frédérique Puissat , sénateur de l'Isère, groupe Les Républicains : « La parité dans les assemblées locales, quels changements ? »
Intervention de Laurence Rossignol , sénatrice de l'Oise, groupe Socialiste et républicain
Échanges avec la salle
CONCLUSION
Max Brisson , sénateur des Pyrénées-Atlantiques, groupe Les Républicains et Victoire Jasmin , sénatrice de la Guadeloupe, groupe Socialiste et républicain.
Ouverture de la rencontre par Gérard Larcher, président du Sénat
Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon,
Madame la vice-présidente du Sénat,
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers collègues,
Mesdames et messieurs les présidents de groupe,
Mesdames et messieurs les élus,
Madame la professeure,
Mesdames, Messieurs,
À l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes , vous avez souhaité mettre à l'honneur et en lumière les femmes élues locales en consacrant une matinée de rencontre et d'échanges au rôle des femmes dans la vie politique de notre pays. Ainsi, deux thématiques importantes animeront vos débats : les besoins de formation des élues et la mise en oeuvre des politiques d'égalité dans les territoires.
Votre initiative, madame la présidente et chers collègues membres de la délégation aux droits des femmes, s'affiche avec une double ambition.
D'abord, elle offre à un large panel de femmes élues sur l'ensemble de notre territoire et dans les différentes assemblées territoriales de partager leurs expériences et de confronter leurs points de vue, mais elle permet aussi de donner une visibilité concrète et personnalisée au travail que mène la délégation au Sénat sur les sujets les plus divers, souvent très en phase avec l'actualité, et sur de nombreuses questions de société qui vont au-delà de cette actualité.
Le travail conduit par la délégation aux droits des femmes contribue à enrichir nos débats, en particulier le débat parlementaire, et à fédérer tout un réseau autour des thématiques abordées dans le cadre de ses travaux. Je sais, par exemple, que les débats qui ont animé le colloque de l'an dernier sur les femmes agricultrices se sont prolongés dans les territoires, avec des conséquences très pratiques et très concrètes.
En tant que représentant des collectivités territoriales, le Sénat est particulièrement heureux de vous accueillir ce matin, chères collègues élues locales. Vous êtes venues d'un grand nombre de départements et de régions de France. À cette diversité géographique s'ajoute celle des fonctions électives, puisque tous les mandats locaux - conseillères municipales, maires adjointes, maires, présidente de Conseil départemental, conseillères départementales et régionales - sont représentés à travers votre présence, auxquels il faut également associer nos collègues élues du Conseil supérieur des Français de l'étranger.
Je tiens également à saluer avec une amitié particulière Jacqueline Panis, ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle, qui a répondu à l'invitation de la délégation, et qui nous fait l'amitié d'être présente parmi nous.
Votre présence dans cette salle Clemenceau, pour cette matinée d'échanges, traduit les évolutions qu'a connues notre pays au cours de ces dernières années en matière de participation des femmes à la vie politique. Il faut reconnaître, même si cela en a un peu bousculé certains à l'époque, que les lois sur la parité en matière électorale ont permis une meilleure représentation des femmes dans la vie publique et politique, et tout particulièrement au sein de nos collectivités territoriales. Elles ont accompagné, avec un léger décalage, ce qui avait été engagé par François Mitterrand et Gaston Deferre en matière de décentralisation. C'est d'ailleurs ce que j'ai vécu dans ma ville de Rambouillet. Les femmes sont devenues des actrices incontournables de la vie politique locale, puisque, parmi les élus locaux, on compte désormais quatre femmes sur dix élus.
Comme vous l'expliquez très justement, madame la professeure Michelle Perrot, le rapport des femmes à la vie publique a toujours été ambivalent. Sans exercer le pouvoir, leur influence a été certaine dans l'histoire de notre pays, même si la science historique a longtemps fait preuve d'une certaine cécité à leur égard. Certes, la loi salique les exclut du trône en France, contrairement au Royaume-Uni, aux pays du nord de l'Europe et à la Russie. Il ne leur revient que d'assurer la régence, qui n'est pas sans danger pour elles, comme en témoigne l'histoire de ce Palais, avec la reine et régente Marie de Médicis, au destin deux fois tragique. Les mondanités, les actions de charité et de philanthropie, le travail, les activités commerciales sont pourtant autant d'occasions pour les femmes d'être présentes, depuis très longtemps, dans l'espace public. La citoyenneté sociale a incontestablement précédé la citoyenneté politique, ce qu'il me semble important de prendre en compte dans notre réflexion.
C'est surtout, comme vous l'indiquez, le développement du travail salarié qui a constitué le principal levier d'indépendance des femmes et d'intégration dans la cité, et par conséquent, dans la vie politique.
Femmes citoyennes, femmes élues, femmes présentes dans les exécutifs ; telle est l'évolution qui s'est dessinée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les femmes sont aujourd'hui représentées dans les différentes instances de la vie politique française. Pourtant, la Chambre bleu horizon de 1919 n'a pas tiré les conséquences de l'engagement assez exceptionnel des femmes dans la vie économique, sociale et sociétale et de leur contribution à l'effort de guerre, alors que nous allons commémorer cette année le centième anniversaire de la fin de la Première guerre mondiale.
Nous avons tous pour référence l'acte fondateur de cette évolution : l'octroi par le général de Gaulle du droit de vote aux femmes en 1944, même si ce débat avait été très prégnant et avait donné lieu à des échanges incroyables, y compris dans le Sénat de la III e République. Cette reconnaissance de leurs droits politiques est indissociable de l'engagement des femmes dans la Résistance. D'ailleurs, la composition du Sénat et de l'Assemblée nationale en ces temps où il n'y avait pas de texte sur la parité atteste de cet engagement.
Je reviens à ce qui vous réunit aujourd'hui au Sénat. Vous êtes d'abord, chères collègues, des élues. C'est cette reconnaissance par le suffrage universel qui nous vaut d'être ensemble aujourd'hui, de débattre avec les élus, pour les « élus des élus » que sont les sénatrices et sénateurs. Vous, élues locales, maires, conseillères municipales, conseillères départementales, conseillères régionales, êtes un atout pour notre démocratie, pour le lien social et pour le maintien de la cohésion de notre territoire.
Je voudrais me tourner vers vous, chère Annick Billon, et vers toutes celles qui vous ont précédée à la présidence de cette délégation. Je ne les citerai pas, mais, souvent, elles nous ont bousculés hors des chemins habituels, elles nous ont aiguillonnés.
Cette délégation joue un rôle un peu particulier. J'ai le souvenir de notre première rencontre alors que vous veniez d'être élue présidente de la délégation. Vous m'avez fait part de vos projets. Je dois dire qu'ils sont utiles et salutaires pour la vie de nos institutions et pour la vie de tout le pays. Je tenais aujourd'hui publiquement à vous en remercier.
Permettez-moi d'avoir un clin d'oeil pour nos collègues sénateurs qui vous accompagnent au sein de cette délégation. Leur présence est aussi une richesse, et pas simplement un témoignage.
Je voudrais conclure par ce qui pourrait s'appeler chez un grand philosophe « l'éloge de la proximité ». Je crois que plus nous vivons la réalité de la mondialisation, plus nous avons besoin de proximité. Chacun connaît ma formule, parlant des élus locaux : ce sont les élus locaux qui ont la confiance majoritaire de nos compatriotes. Cette question est une des ambitions que je partage avec tous mes collègues, quelle que soit leur sensibilité, pour trouver meilleure rencontre, meilleure confiance, meilleure conciliation entre citoyens et élus politiques. Vous êtes, élus du territoire, ceux qui avez la confiance majoritaire de nos concitoyens.
Ma formule est simple : c'est parce que vous êtes à portée « d'engueulade ». Vous êtes à portée d'une capacité à répondre aux attentes des citoyens dans leur vie quotidienne ou au-delà. Plus nous évoluons dans une réalité mondialisée, plus le besoin de proximité me semble essentiel pour la cohésion de notre pays.
Madame la professeure, je vais tout vous avouer. C'est grâce à Annick Billon que j'ai découvert plus amplement vos travaux. Vous avez étudié, avec votre approche d'historienne, le travail des femmes. À l'époque où j'étais ministre du Travail, je m'étais intéressé à ces temps où les femmes étaient passées d'un labeur inaperçu, non reconnu, à la réalité de la reconnaissance de la Nation. Je vous dis tout cela avec considération et respect.
Très bonne journée au Sénat !
(Applaudissements.)
Introduction par Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
Merci, monsieur le président, pour ces mots chaleureux et pour votre confiance. Nous sommes, tous les membres de la délégation, extrêmement touchés par vos propos.
Mes chers collègues,
Mesdames les élues,
Mesdames, messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue au Sénat en ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes . Quelle meilleure manière de célébrer cette journée particulière qu'en invitant au Sénat, dans cette assemblée dont les territoires constituent l'ADN, des élues qui incarnent nos communes, départements et régions ? Et je n'oublie pas celles qui, ce matin, représentent nos compatriotes établis à l'étranger !
Il y a un peu moins d'un an, la délégation consacrait son événement du 8 mars à la mise à l'honneur des agricultrices. Cette année, il nous a paru tout à fait naturel, après les trois échéances électorales majeures qui ont ponctué l'année 2017, de mettre en valeur les femmes élues qui portent la voix de la République dans nos territoires.
Avant de vous présenter le programme de cette matinée, je voudrais dire un mot de la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider depuis le dernier renouvellement du Sénat.
Notre délégation, comme celle de l'Assemblée nationale, fêtera en novembre 2019 son vingtième anniversaire. C'est donc une structure encore très jeune, du moins à l'échelle de notre assemblée.
Mais malgré sa jeunesse, notre délégation a su, au fil du temps, conquérir sa place dans l'institution et faire en sorte que les thématiques liées aux droits des femmes et à l'égalité entre femmes et hommes irriguent à la fois nos discussions législatives et nos activités de contrôle de l'action du Gouvernement. Vous avez toutes et tous dans vos dossiers des documents qui présentent le travail de la délégation : je vous laisse donc prendre connaissance de notre bilan.
Ce qui me paraît important ce matin, c'est de souligner ce qui est devenu notre marque de fabrique : notre volonté partagée de travailler tous ensemble, femmes et hommes, majorité et opposition, pour faire avancer les droits des femmes, par-delà nos appartenances politiques.
De cet esprit collectif et convivial, il résulte une ambiance particulière à la délégation aux droits des femmes que, je crois, tout le monde apprécie.
Nous comptons à la délégation huit hommes sur trente-six membres. Cela représente 22 % de nos effectifs. 22 %, c'était la proportion de femmes au Sénat en 2011 !
Vous avez d'ailleurs à l'écran deux graphiques éloquents : à gauche, la proportion d'hommes et de femmes à la délégation depuis octobre 2017 ; à droite, la proportion d'hommes et de femmes au Sénat au lendemain des dernières élections de septembre 2017, soit environ 30 % 16 ( * ) . On voit bien que les ordres de grandeur sont inversés.
J'en profite pour vous donner des éléments sur la féminisation de notre assemblée depuis le dernier renouvellement du Sénat. La féminisation progresse, puisque l'on est passé de 87 femmes en 2014 à 102 après le renouvellement de 2017. Huit nouvelles sénatrices nous ont rejoints depuis les dernières élections et leur nombre s'établit aujourd'hui à 110. Le groupe auquel j'appartiens, le groupe centriste, s'enorgueillit d'être le plus féminisé du Sénat, avec 40,8 % de sénatrices 17 ( * ) .
Avec le temps, les sénatrices ont montré leur capacité à exercer des responsabilités : un peu plus du tiers des membres du Bureau sont des femmes - je salue d'ailleurs la présence parmi nous de Valérie Létard, vice-présidente du Sénat - et deux commissions sur huit sont présidées par des sénatrices.
Je voudrais maintenant présenter très rapidement les thèmes de travail choisis par la délégation.
L'année dernière, outre un rapport d'information qui posait la question du lien entre laïcité et égalité femmes-hommes, le sujet central de notre programme a été un rapport d'information sur la situation des agricultrices, qui a été rendu public en juillet 2017, sous la présidence de Chantal Jouanno. Un colloque dédié aux agricultrices était d'ailleurs notre événement du 8 mars 2017 et ce travail continue à vivre, puisqu'il a fait l'objet d'un débat en séance publique dans notre hémicycle, le 22 février dernier. Nos collègues y ont largement participé. De plus, dans quelques jours, le 12 mars, je présenterai ce rapport à l'ONU à New York.
Pendant cette session 2017-2018, notre agenda est consacré au thème des violences faites aux femmes. Nous travaillons non seulement sur les violences conjugales, mais aussi sur le harcèlement et sur l'ensemble des violences sexuelles. Depuis que notre délégation s'est reconstituée, à la suite des dernières élections sénatoriales, nous avons entendu, sur ces sujets, plus de 28 personnes : professionnels de la justice 18 ( * ) , responsables institutionnels, médecins, psychologues, représentants de la société civile, témoins et victimes, ainsi que le Défenseur des Droits.
À l'automne, notre contribution à la commémoration du centenaire de la fin de la guerre de 1914-1918 sera un colloque sur les femmes dans la Grande Guerre. Ce colloque, qui souligne l'importance qu'attache notre délégation à l'histoire, me permet de faire ainsi la transition vers l'intervention de Michelle Perrot, historienne, qui va nous parler de « Femmes et politique : une frontière interdite ? ».
Madame la professeure, vous avez consacré une partie de votre ouvrage intitulé Les femmes ou les silences de l'histoire à l'émergence de la citoyenneté des femmes. C'est dire si vous avez toute votre place ici !
Nous vous remercions pour votre présence ce matin et nous vous écoutons avec un immense intérêt.
(Applaudissements.)
Intervention de Michelle Perrot, historienne, professeure émérite à l'université Paris VII-Diderot : « Femmes et politiques : une frontière interdite ? »
Monsieur le président,
Madame la présidente,
Mesdames les élues,
Mesdames et messieurs,
C'est un honneur de participer avec vous à cette séance. Ce n'est pas la première fois que je viens au Sénat en historienne 19 ( * ) ; je m'y sens toujours très bien.
Je rappellerai que, dans les années 1930, certaines propositions étaient soutenues par la Chambre des Députés pour qu'enfin les Françaises puissent voter, alors que le Sénat s'y opposait vigoureusement. Les militantes féministes, notamment la remarquable Louise Weiss, se sont enchaînées aux grilles du Sénat. Alors que nous sommes assises ici aujourd'hui, les images de cette sorte permettent de mesurer les progrès accomplis.
J'évoquerai brièvement les étapes franchies et les raisons pour lesquelles les femmes ont éprouvé tant de difficultés à pénétrer la sphère interdite de la politique, notamment en France. Nous étudierons aussi le rôle et l'attitude des femmes vis-à-vis de cet interdit. Car il s'agit bien d'un interdit !
Dans la démocratie grecque, à Athènes, les femmes étaient absentes de la politique. À Rome, il en était de même. Cet interdit du politique s'explique par le fait que le politique se considère comme la décision. Or les femmes peuvent-elles décider ? En ont-elles la capacité ? À ces époques, on pensait qu'elles ne le pouvaient pas ; le pouvoir masculin était celui qui faisait marcher la société. Ces structures de pensée - de longue durée - ont été parfaitement analysées par la grande anthropologue récemment disparue, Françoise Héritier, dans Masculin- féminin, la pensée de la différence .
En France, la reine n'est que la femme du roi. Si elle est régente, c'est une catastrophe ! Michelet a raconté, dans son Histoire , combien Catherine de Médicis avait été une affreuse personne. En réalité, les historiens ont rétabli la vérité et montré les aspects positifs de Catherine de Médicis.
Dans la démocratie, les trois éléments du pouvoir sont l'élection, la représentation et l'exécution. J'insisterai surtout sur le premier, l'élection.
Pendant la Révolution française, le suffrage n'était pas universel. Sieyès a été le grand organisateur du suffrage et a distingué deux grandes catégories de citoyens : les citoyens actifs et les citoyens passifs. Les actifs étaient ceux qui concouraient à l'exécution de la chose publique et les passifs bénéficiaient de la protection de leur personne et de leurs biens, mais sans avoir voix au chapitre. Les passifs comptaient les mineurs, les étrangers, les personnes trop pauvres, les fous et les femmes. On mesure, dans cette grande division, à quel point les femmes sont radicalement exclues de la sphère politique.
En revanche, la Révolution avait le plus grand respect pour les femmes citoyennes, à la condition qu'elles remplissent leurs rôles d'épouses, de mères et d'éducatrices des futurs citoyens. Dès cette époque, des protestations se sont élevées. En 1791, Olympe de Gouges écrivit en dix-huit articles la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne . Ce texte, très clair, a été rédigé comme un texte de loi. Olympe de Gouges y disait notamment : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ». Elle sera elle-même guillotinée en 1793, notamment pour avoir été girondine. Le procureur général accusateur, Chaumette, avait alors tenu à rappeler que la citoyenne Olympe de Gouges avait omis les devoirs de son sexe, en « prétendant politicailler ».
La Révolution française constitue donc un moment très important, parce que c'est sur cette base que notre vie démocratique a fonctionné pendant très longtemps.
Le XIX e siècle a été très riche en révolutions. A l'occasion de la plupart d'entre elles (à l'exception de celle de 1830), les femmes y évoquent la question du droit de vote en disant « nous » (nous, les citoyennes).
En 1848, la révolution pour la république démocratique et sociale proclame le suffrage universel masculin, alors que, jusqu'alors, le suffrage était censitaire (seuls votaient les plus aisés). Pourquoi cette merveilleuse république a-t-elle exclu les femmes ?
Sous la III e République, à partir de 1870, beaucoup de femmes pensent enfin obtenir le droit de vote. En particulier, Hubertine Auclert, dans le journal qu'elle avait créé, La Citoyenne , a revendiqué ardemment le droit de vote pour les femmes. Eh bien non ! En 1914, une proposition de loi déposée à la Chambre des Députés aurait eu des chances de passer, mais la guerre est arrivée et le Sénat n'en a pas débattu.
Comme monsieur le président l'a rappelé, il est tout à fait étonnant que la Première Guerre mondiale n'ait pas donné le droit de vote aux femmes françaises, alors même que ces dernières avaient joué un rôle considérable pendant que les hommes étaient au front. Les femmes avaient en effet remplacé les hommes avec beaucoup d'efficacité et une force de travail extraordinaire, en assumant les rôles à la fois de mère et d'ouvrière. Mais elles n'ont pas obtenu le droit de vote à la fin de la guerre. Par comparaison, les Allemandes ont reçu ce droit lors de la République de Weimar. À la même époque, les Anglaises ont également reçu ce privilège.
Entre les deux guerres, les femmes se sont mobilisées et ont beaucoup manifesté pour obtenir ce droit de vote. Pendant cette période, plusieurs propositions de loi ont été votées à la Chambre des Députés, mais ont toutes été refusées par le Sénat !
Sous le Front populaire, Léon Blum était partisan du droit de vote des femmes, mais cela n'a pas suffi. En effet, les radicaux n'y étaient pas du tout favorables, en dépit de la remarquable Cécile Brunschvicg, militante radicale qui n'avait cessé de batailler au sein de son parti pour obtenir ce droit.
Les socialistes et les communistes y étaient quant à eux théoriquement favorables, mais estimaient qu'il s'agissait d'une question très secondaire, beaucoup moins importante que la question sociale. Léon Blum a toutefois nommé trois femmes sous-secrétaires d'État : Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore. Les femmes ne pouvaient donc pas voter, alors que trois d'entre elles avaient été nommées au pouvoir exécutif ! Il s'agissait là d'un symbole censé compenser l'absence de droit de vote des femmes, mais cela ne résolvait pas la question pour autant.
Il a donc fallu attendre la Deuxième Guerre mondiale et la participation des femmes à la Résistance pour que le général de Gaulle accorde le droit de vote aux femmes, refusant de revivre les « tumultes » de l'entre-deux-guerres. À l'Assemblée d'Alger, en 1944, le droit de vote est enfin accordé aux femmes, mais les problèmes demeurent. Les démocrates-chrétiens étaient ainsi mesurés sur ce sujet, de même que les radicaux. Finalement, ce sont les gaullistes et les communistes qui ont été les plus déterminés. Une personne a cependant demandé comment les femmes pourraient voter, les prisonniers étant encore très nombreux ! On peut donc mesurer à quel point les mentalités avaient besoin d'évoluer.
L'accès à la représentation - l'éligibilité - constitue un degré supplémentaire par rapport au droit de vote.
Lors du premier vote des femmes de 1945, les seize premières députées ont été élues à l'Assemblée nationale. Un ouvrage très intéressant a d'ailleurs été écrit récemment par Michèle Cointet sur ce sujet : Histoire des 16 : les premières femmes parlementaires en France . Ces femmes étaient presque toutes issues de la Résistance, ou épouses ou filles de résistants. Elles représentaient alors un peu plus de 4 % du Parlement. Dix ans plus tard, ce taux a chuté à 1,2 %. Dans les années 1950-1960, il est d'ailleurs demeuré très minime.
Finalement, les premières évolutions n'ont véritablement eu lieu qu'à l'époque de Valéry Giscard d'Estaing, qui a nommé des femmes ministres à des postes importants, en particulier Françoise Giroud, en charge du Droit des femmes, et la grande Simone Veil, qui a joué un rôle fondamental dans l'histoire des femmes.
Tout au long du XX e siècle, la représentation des femmes a été très basse - de 8 à 10 % -, ce qui a donné lieu à un mouvement d'irritation des femmes et à la revendication de lois sur la parité ; Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et de nombreuses femmes se sont en effet battues pour obtenir une loi sur la parité, non sans difficultés ni divisions. Les féministes n'étaient ainsi pas toutes d'accord sur ce sujet. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, cette loi a largement augmenté la représentation des femmes. Même si l'on peut discuter de ce principe, elle a propulsé un plus grand nombre de femmes à l'Assemblée et parmi les élus locaux, au sein des conseils régionaux et départementaux.
D'une certaine manière, la démocratie locale a précédé la démocratie nationale. On peut d'ailleurs envisager un lien entre ces deux démocraties, les femmes du niveau local ayant favorisé le mouvement vers les sommets du pouvoir. Néanmoins, ces phénomènes sont très lents et, avant cette dernière législature, l'Assemblée nationale ne comptait que 28 % 20 ( * ) de femmes, contre 38,8 % aujourd'hui. Nous approchons donc de la parité.
S'agissant de l'exécutif et de l'exercice du pouvoir, l'entrée des femmes a représenté l'acquis le plus difficile. Le général de Gaulle, lorsque la question de nommer une femme ministre lui avait été posée, avait répondu qu'un ministère du tricot pourrait éventuellement être envisagé... Il avait cependant nommé une femme ministre, Germaine Poinso-Chapuis.
Ensuite, jusqu'au septennat de Valéry Giscard d'Estaing, aucune avancée n'a été constatée. Sous François Mitterrand, des femmes sont arrivées plus nombreuses à des postes ministériels et certaines ont alors fait leurs premières armes, comme Ségolène Royal. En revanche, Édith Cresson, nommée Première ministre, a été quelque peu désarçonnée par cette expérience, car elle n'a nullement été soutenue. Elle a été très critiquée, ce dont elle a beaucoup souffert. Depuis lors, aucune autre femme n'a été nommée Première ministre.
Enfin, en ce qui concerne la présidence de la République, nous attendons toujours qu'une femme occupe cette fonction. À cet égard, l'expérience de la candidature de Ségolène Royal en 2007 a été passionnante, à la fois comme avancée et comme illustration des difficultés à franchir. Cette expérience historique marquera certainement l'histoire des femmes dans le rapport au pouvoir.
Je réfléchirai maintenant aux raisons pour lesquelles ce combat est si difficile. Certaines raisons fondamentales tiennent à l'organisation du pouvoir dans la cité en général.
Françoise Héritier a montré, en grande anthropologue, comment la domination masculine existe depuis des millénaires sur toute l'étendue de la terre. D'une certaine manière, nous n'avons connu que cela. Pour autant, bien que dominées par les hommes, les femmes ont toujours été assez malignes pour organiser aussi une forme de pouvoir. Cependant, le pouvoir est considéré comme « mâle » et, par conséquent, la politique, forme suprême de la virilité, est masculine. La démocratie s'empare de cette donnée fondamentale et l'organise, en opérant une distinction entre le public, nécessairement du domaine des hommes, et le privé. Un homme public ne peut être qu'un homme. En France, une femme publique est une prostituée, il ne faut pas l'oublier. Une femme qui se montre se déshonore, selon la philosophie grecque. Jean-Jacques Rousseau ajoutait : « en public, une femme est toujours déplacée ». La sphère privée est donc celle des femmes. Dans le privé, les femmes ont le pouvoir sur la maison, la famille et les enfants. Il s'agit d'un pouvoir important, mais au XIX e siècle, en grande partie à cause de Napoléon et de « l'infâme Code civil », comme le qualifiait George Sand, les femmes n'ont pas de pouvoir juridique. En réalité, le XIX e siècle est un monde de la séparation et de la différence des sexes, par exemple à l'école ou dans les salons, au moment du café, alors que les femmes restaient entre elles tandis que les hommes jouaient au billard en fumant un cigare.
Mais qu'en pensaient les femmes ? Le camp des femmes a toujours abrité une minorité souhaitant le pouvoir et le droit de vote : Olympe de Gouges, les femmes de 1848 ont été merveilleuses, Jeanne Deroin 21 ( * ) , Eugénie Niboyet 22 ( * ) . George Sand n'était pas d'accord et déclarait qu'il fallait d'abord acquérir la plénitude des droits civils avant les droits politiques. Il s'agit là d'un exemple de division entre les féministes, car on ne peut dénier à George Sand la qualité de féministe, même si ce terme n'existait pas encore à son époque.
Mais les femmes, dans leur ensemble, ont consenti au rôle de mère et d'épouse qu'on leur présentait comme le plus important. Elles pensaient que la politique était une sorte de jeu pour les hommes, mais qu'elles disposaient du vrai pouvoir. C'est ainsi qu'un très grand nombre de femmes se sont désintéressées de la politique, en considérant que ce n'était pas leur affaire.
Dès lors, pour éveiller l'idée politique chez les femmes, les féministes, qui en étaient convaincues, ont dû se battre. Le mouvement suffragiste français n'est sans doute pas aussi spectaculaire que celui des suffragettes anglaises. L'une d'entre elles ayant arrêté le cheval de la reine lors du derby d'Epsom, s'est fait piétiner et en est morte, première martyre. D'autres, emprisonnées, ont fait la toute première grève de la faim. Cependant, les Françaises, à leur manière, telle Marguerite Durand 23 ( * ) , avec davantage de lobbying auprès des parlementaires, ont mené un combat considérable. Il a toutefois fallu du temps pour se faire à l'idée que la politique intéressait aussi les femmes. C'est surtout depuis l'acquisition du droit de vote que les femmes se sont de plus en plus intéressées à ces questions.
Finalement, que peuvent apporter les femmes à la cité ? Cette question a été très débattue. Lors de la discussion sur la parité, de nombreuses femmes disaient que c'était parce que les femmes ont cette qualité de femme qu'elles apporteraient quelque chose de supplémentaire. D'autres n'en étaient pas du tout d'accord, mais estimaient qu'en tant que femmes, elles avaient des droits égaux à ceux des hommes.
À toutes ces femmes qui ont lutté, qui ont parlé, et qui agissent, comme vous le faites maintenant, merci.
(Applaudissements nourris.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux Droits des femmes . - Merci beaucoup, Madame Perrot. Françoise Giroud disait « la femme sera l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente »...
Avant d'aborder notre première séquence, qui concerne la problématique très importante des besoins en formation des femmes élues, je donne la parole à Julia Mouzon, fondatrice du réseau Élueslocales.fr , pour qu'elle nous présente ce réseau et qu'elle nous parle des Journées nationales des femmes élues , qui sont au coeur de notre sujet.
Présentation par Julia Mouzon24 ( * ) du réseau Élueslocales.fr et des Journées nationales des femmes élues
Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes,
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs,
Mesdames les élues locales, et j'espère, messieurs les élus locaux,
Un grand merci pour cette invitation pour vous présenter ce matin le réseau Élueslocales.fr que j'ai fondé en 2012. Je suis seule à la tribune, mais je suis venue avec deux personnes de mon équipe : Céline Goeury, notre rédactrice en chef, et Joséphine Delpeyrat, en charge de l'animation de tous nos réseaux locaux. Je suis également accompagnée d'une demi-douzaine de nos référentes locales, qui animent le réseau dans différents départements.
La communauté Élueslocales.fr existe depuis 2012. En 2018, elle réunit plusieurs milliers de femmes élues à travers toute la France. Comme vous le savez, il existe en France près de 600 000 élus locaux, dont 250 000 sont des femmes. Nous animons cette communauté de plusieurs milliers de femmes élues, dont des centaines se réunissent chaque mois pour des manifestations dans les départements.
Ces manifestations prennent trois formes.
En premier lieu, nous organisons beaucoup de formations sur de nombreux sujets, avec un thème de prédilection et une expertise sur les questions de l'exercice du mandat et du savoir-être. Nous proposons également de nombreuses formations sur le sujet de la communication politique, le leadership au féminin et les codes du pouvoir, pour être plus efficaces et reconnues. Les formations ont lieu à Paris et dans toute la France, dans les métropoles comme dans les petites villes.
En deuxième lieu, nous organisons les Journées nationales des femmes élues depuis 2012, avec le soutien de quatre personnalités politiques : la députée Sophie Auconie, le maire du 2 ème arrondissement de Paris Jacques Boutault, l'ancienne sénatrice Chantal Jouanno et la sénatrice Laurence Rossignol, que je tiens à remercier pour son soutien de la première heure pour le lancement des Journées nationales des femmes élues . Ces manifestations, dont l'édition 2018 aura lieu les 23 et 24 novembre prochain à Paris, réunissent chaque année un demi-millier d'élues en provenance de toute la France et de tous les partis, pour deux jours de formations, ateliers, débats, échanges et rencontres.
Nous allons maintenant projeter un petit film qui va vous présenter ces Journées de façon très concrète.
(Le film est projeté.)
Ces journées rencontrent beaucoup de succès. Cependant, de nombreuses élues nous ont indiqué qu'elles n'étaient pas en mesure de se déplacer deux jours à Paris et nous ont demandé d'organiser cette manifestation au niveau local.
Pour répondre à cette demande, nous avons donc lancé l'an dernier à Lyon la première édition régionale de ces Journées, c'est-à-dire la Journée des femmes élues de la région Auvergne Rhône-Alpes, qui a réuni une centaine d'élues. Au vu du succès rencontré, nous allons reproduire cette expérience en 2018, avec cinq éditions régionales : à Toulouse, en Occitanie, le 29 mars ; dans le Grand Ouest, à Nantes, le 17 avril ; le 1 er juin à Bordeaux (Journée des femmes élues de Nouvelle Aquitaine) ; le 22 juin à Lyon (Journée des femmes élues d'Auvergne-Rhône-Alpes) et enfin le 21 septembre à Strasbourg (Journée des femmes élues du Grand Est).
Cette présence locale est essentielle et de nombreuses élues souhaitent rejoindre des délégations locales et départementales de notre réseau. Nous avons donc mis en place, avec l'aide d'élues engagées, enthousiastes et ambitieuses, des réseaux locaux (une quarantaine de réseaux se sont ainsi constitués dans les départements), dont une dizaine de référentes sont présentes ce matin. Je salue ainsi Christine Rachet-Maka, pour le département de l'Hérault, Christine Dymala, pour le département de la Gironde, Nathalie Ernst pour le département du Bas-Rhin, Christine Burki pour le département de la Haute-Savoie, Sylvie Clarac pour les Pyrénées-Atlantiques, Nadine Alayrac pour le département de l'Eure et enfin Madeline Da Silva, qui est notre référente pour la Seine-Saint-Denis. Je tiens également à saluer Marta de Cidrac, qui a animé avec dynamisme notre réseau départemental des Yvelines avant de devenir sénatrice en septembre dernier.
L'ensemble de ces réseaux et de ces manifestations existent car il y a un véritable besoin d'échanges et de partage entre femmes élues. La vie politique, tant nationale que locale, est difficile et comporte peu de reconnaissance. Nous évoquons ensemble des portraits de maires allant faire les courses à dix kilomètres de chez elles pour éviter de rencontrer leurs administrés, ou qui vont courir dans des bois voisins pour ne pas qu'on les interrompe sur le chemin. Une de mes collègues, lors de l'enterrement de sa grand-mère, a été interpellée dans le cimetière par un concitoyen insatisfait de l'entretien du cimetière par l'équipe municipale !
Les médias nationaux présentent les élues comme des femmes privilégiées et intéressées, et les médias locaux, dans les meilleurs des cas, parlent des élus en bien. Dans le pire des cas, ils en parlent en mal ou n'en parlent pas du tout, car ils ont omis de constater la présence et la qualité du travail de ces élues.
J'ai créé Élueslocales.fr car ces constats rejoignaient certains autres que j'avais pu faire lors de mon parcours professionnel et de mes expériences personnelles. J'ai étudié à l'école Polytechnique, dans une promotion comptant une soixantaine de femmes pour environ 440 hommes. Dans ce contexte, j'ai tenté de m'adapter à ces codes masculins pour me fondre dans la masse et faire comme les autres. J'ai construit le début de ma vie professionnelle de la même façon, au ministère des Finances, à la direction du Trésor. Je me suis adaptée et me suis dit qu'en adoptant ces codes, j'allais réussir et que mon parcours professionnel allait ainsi bien se dérouler. À la direction du Trésor, j'ai aussi pu constater que très peu de femmes réussissaient à gravir les échelons supérieurs. Ce premier réflexe, consistant à adopter les codes masculins, nous laisse croire que nous allons réussir nécessairement si nous consentons à faire nôtres ces codes. De cette période à l'école Polytechnique, je retire l'intégralité de mes connaissances en football et en rugby, deux sports qui pourtant ne m'intéressent absolument pas, même si aujourd'hui le football et le rugby féminins se développent. Je sais d'ailleurs que beaucoup d'entre vous sont engagées sur ces sujets.
Le mandat local est tellement difficile que, lorsque j'ai créé Élueslocales.fr , mon objectif était d'encourager les femmes à aller plus loin, pour féminiser nos assemblées nationales et la vie politique locale, notamment s'agissant de la fonction de maire, qui ne compte encore que 15 à 16 % de femmes. Les progrès en la matière sont très lents et je souhaitais que cette communauté, Élueslocales.fr , encourage et soutienne les femmes élues et contribue à féminiser la vie politique locale. Après cinq ans d'efforts, je constate surtout que le premier combat est d'encourager les femmes à se présenter pour un second mandat, voire à terminer leur mandat. Je connais des élues, dont certaines d'ailleurs sont parmi nous ce matin, qui ont déjà présenté leur démission à leur maire, mais celui-ci, heureusement, ne l'a pas acceptée. Ce mandat local demeure toutefois particulièrement difficile.
Les choses ont changé pour moi le jour où j'ai rejoint, un peu par hasard, une association engagée pour les droits des femmes. J'avais à l'époque une assez mauvaise image de cette association, mais cette rencontre a changé ma vie, car elle m'a fait comprendre que je devais assumer d'être une femme, de façon engagée et forte, au lieu de l'ignorer. Ainsi, tout devenait beaucoup plus facile et beaucoup plus agréable. C'est à la suite de cette expérience que j'ai créé le réseau Élueslocales.fr, une communauté permettant aux femmes d'échanger, de se renforcer, de trouver des soutiens et de construire ensemble la vie politique de notre pays. Alors que la France compte un peu plus de 52 % d'électrices, les femmes sont sous-représentées dans la vie politique nationale. En tant que femme et citoyenne, je souhaite que ce soit le contraire et que les femmes soient très bien représentées, pour créer, établir, voter et faire appliquer des lois qui nous concernent toutes et tous. Nous avons toutes et tous des expériences de vie et d'éducation qui demeurent très différentes.
C'est ce que je vous souhaite en tant qu'élues, pour votre vie politique, au sein de la communauté Élueslocales.fr . Au cours des cinq dernières années, de nombreuses élues nous ont rejointes et, lorsque l'on organise les Journées nationales, j'ai l'impression de croiser des amies à tous les étages et dans tous les couloirs. Je vous souhaite d'être entourées d'amies et de ne pas mener votre vie politique seule, mais de vous y amuser ! Vous êtes très fortes et particulièrement courageuses. Vous êtes là parce que vous avez surmonté plus d'obstacles que les hommes. Vous vous êtes acharnées plus qu'eux ! Votre vie personnelle et votre vie de famille ont été davantage attaquées que la leur. Vous avez dû lutter pour la protéger, ainsi que vos enfants. Pour tout cela, je vous dis « bravo et merci ».
Michelle Perrot a cité de nombreuses femmes pionnières, qui nous ont donné la possibilité à toutes d'être ici aujourd'hui et que nous pouvons également remercier.
Le mouvement #Metoo est aussi apparu ces derniers mois. Je pense que nous n'en sommes qu'au début. Nous avons encore des siècles de lutte, d'échanges et de travail constructif ensemble, pour que non seulement les femmes soient présentes à égalité au sein des conseils municipaux, mais aussi pour qu'elles prennent la parole autant que les hommes dans ces instances. Merci pour votre présence ici et pour votre persévérance. J'espère que vous allez continuer à vous engager toujours davantage, pour que nous puissions, tous ensemble, réinventer la politique, avec intelligence et joie.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Nous l'avons vu lorsque nous avons travaillé sur le rapport Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires , la force des réseaux est indéniable. Le réseau apporte en effet une puissance de représentation dans les territoires et dans les instances. Moi qui viens du département de la Vendée, je dois dire que ces réseaux fonctionnent très bien. Il s'agit d'ailleurs là de la force de l'économie vendéenne, qui est souvent citée en exemple. Pour que les femmes progressent, elles doivent donc s'organiser en réseaux, et encourager les hommes à les accompagner. C'est pourquoi il importait que Gérard Larcher introduise notre matinée de débats.
Nous allons maintenant aborder nos échanges. Je dirais un mot sur la manière dont nous avons conçu notre rencontre de ce matin : chaque série d'échanges sera introduite par deux membres de la délégation, l'un issu de la majorité et l'autre de l'opposition.
Pour donner la priorité aux échanges avec nos invitées, nous nous sommes appliqué à nous-mêmes le temps de parole, particulièrement exigeant, en vigueur pour les questions au Gouvernement, soit deux minutes environ.
J'appelle donc à me rejoindre à la tribune mes collègues Marta de Cidrac et Laurence Cohen. C'est Marta de Cidrac qui va lancer nos débats. Élue au Sénat en septembre 2017, elle a mis en place dans son département des Yvelines un réseau Elueslocales.fr78 . Elle porte un regard encore neuf sur notre assemblée.
Première thématique : La formation des élues : quels besoins ?
Introduction par Marta de Cidrac, sénatrice des Yvelines, groupe Les Républicains et Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne, groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste
Marta de Cidrac . - Merci, madame la présidente. Chers collègues, merci à toutes et à tous d'être présents parmi nous. Je vais improviser mon intervention en tenant compte du temps de parole qui m'est imparti.
Je commencerai par un petit mot introductif pour expliquer comment, en tant qu'élue, je me suis retrouvée sénatrice il y a quelques mois. Je siège dans l'une des chambres du pouvoir de notre belle démocratie un peu par hasard. En tant que femme, beaucoup de questions se sont posées à moi. Architecte de métier, j'avais installé mon agence à Saint-Germain-en-Laye. Je menais ma vie de façon indépendante et j'avais initié un projet qui me tenait beaucoup à coeur dans ma ville. Le maire de l'époque, Emmanuel Lamy, qui nous a quittés récemment, m'avait proposé de rejoindre son équipe. J'espère qu'il l'a fait parce qu'il me trouvait brillante et estimait que j'allais apporter beaucoup de choses à cette équipe, mais, quand nous sommes femmes, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander si la parité ne nous a pas aidées à être là où nous sommes, pour certaines d'entre nous. Je reviendrai sur ce point, car des questions demeurent concernant la parité. Mesdames, ne vous excusez jamais d'être là parce que cette loi vous l'aurait permis. Au contraire, grâce à la parité, certains de nos talents se sont révélés. Il ne faut jamais douter de cela !
Je voulais également reprendre une question posée par Michelle Perrot : au fond, que pensent les femmes d'elles-mêmes ? Cette question est importante, surtout en politique. Nous sommes ainsi toujours confrontées à la façon dont nous sommes perçues, dont nous nous exprimons en public. Nous nous posons beaucoup trop de questions et nous nous sommes toutes un jour retrouvées face à ce « syndrome de l'imposture », qui touche celles qui ont l'ambition d'occuper l'espace public et d'être des femmes publiques. Oui, nous sommes des femmes publiques, mais sans connotation négative !
Madame Perrot, vous avez évoqué les combats et les divergences relatifs au féminisme, qui peuvent parfois être clivants, les femmes choisissant de se positionner différemment selon qu'elles sont de gauche ou de droite. Je pense quant à moi que tous les féminismes sont bons à prendre aujourd'hui. Il faut simplement choisir le sien.
Je suis féministe, même si je ne me reconnais pas dans tous les féminismes. Certaines actions féministes me parlent plus que d'autres, certaines ne m'inspirent pas, mais je suis féministe, car je crois que nous avons toutes quelque chose à apporter, avec nos sensibilités personnelles et non parce que notre point de vue serait spécifique, en raison de notre féminité.
Je n'ai pas choisi d'être née fille. J'ai ma propre sensibilité, ma propre approche des sujets et je ne sais pas si je prends telle décision parce que je suis femme. Je sais cependant qu'être femme m'a construite d'une façon qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Je l'assume d'ailleurs très bien et j'avais envie de partager cela avec vous.
Le dernier point que je vous dirai avec tout mon coeur, c'est d'oser, mesdames ! N'ayez pas peur d'avoir envie ni d'avoir de l'ambition, de vous tromper ni de gaffer. Je sais que beaucoup de nos collègues hommes partagent ces convictions, même s'ils ne sont pas très nombreux parmi nous ce matin. Il faut oser être ce que nous sommes. Il faut oser affirmer ses convictions ! Je souhaite que nous portions cette conviction collectivement.
Madame la présidente, vous avez parlé de l'intérêt des réseaux. J'ai découvert Élueslocales.fr et je remercie ce réseau d'être présent parmi nous ce matin, et notamment Julia Mouzon. Lorsque j'ai été élue pour la première fois, j'ai été très heureuse de connaître cette communauté et cet environnement, qui peuvent parfois nous permettre de sortir de notre coquille.
Je vous ai parlé très simplement et n'avais pas particulièrement préparé cette intervention, mais je tenais à partager avec vous certaines idées.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - C'était parfait, chère Marta de Cidrac. Tous les partis politiques sont représentés au sein de la délégation aux droits des femmes. Nous attachons donc beaucoup d'importance au débat d'idées. La discussion est en effet toujours plus enrichissante lorsque tout le monde n'est pas d'accord. Je vous rejoins donc sur ce sujet.
Pour donner la réplique à Marta de Cidrac, je laisse à présent la parole à Laurence Cohen, élue du Val-de-Marne et sénatrice depuis 2011. Laurence est très investie dans la délégation aux droits des femmes.
Laurence Cohen . - Merci, madame la présidente.
Bonjour à toutes et à tous.
Je suis sénatrice du Val-de-Marne et j'appartiens au groupe Communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE). Comme les oratrices précédentes l'ont montré, être une femme en politique demeure un défi à relever en 2018. Mon parcours est un parcours de femme politique, que je revendique et que j'assume, avec des convictions et des valeurs que je porte.
La délégation aux droits des femmes se caractérise par notre volonté commune, quelles que soient nos familles politiques, de porter très fort l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Nous pouvons nous affronter sur certains sujets, mais pas sur celui-ci. C'est ce qui nous fait avancer.
J'ai été élue conseillère régionale d'Ile-de-France, pour deux mandats consécutifs, de 2004 à 2015. Cette expérience s'est avérée très riche, car, grâce à la loi sur la parité, j'étais dans une assemblée paritaire, ce qui change réellement la donne. Le groupe communiste auquel j'appartiens m'avait demandé de prendre en charge le domaine des transports, champ traditionnellement très masculin. J'étais d'autant moins à l'aise dans ce domaine que je suis orthophoniste et que je suis donc plus intéressée par les questions de santé. Il m'a donc été demandé d'intervenir dans un domaine qui n'était pas le mien, qui était très masculin et très technique. Je me suis demandé ce que je faisais là et quel était mon rôle dans cette instance. Puis je me suis dit que la technicité ne m'importait pas car je n'étais pas technicienne, et qu'en tant que femme politique, je devais défendre l'intérêt des populations et m'attacher à améliorer les transports de proximité. Cette perception a changé la donne et m'a permis de faire avancer les problématiques, car dans le domaine des transports publics et du quotidien, il y a bien une expertise des femmes. Il est donc très important de les écouter pour faire évoluer les choses.
Je tenais à vous dire qu'il est nécessaire que nous nous emparions de tous les sujets, sans nous cantonner à ceux qui sont réputés « féminins » comme l'éducation, la santé, etc. Les finances locales, les transports, demeurent quant à eux des domaines masculins. En tant qu'élues, aux niveaux local, régional, départemental ou national, combien de tribunes exclusivement masculines avons-nous lues sur ces sujets ? Au Sénat, lorsque les sujets considérés comme les plus importants sont débattus, en général, aucune femme n'est présente. Il faut donc que nous investissions tous ces champs, car aucun sujet n'est réservé à l'un ou à l'autre sexe.
En outre, nous évoluons dans une société patriarcale, qui fait pression tous les jours, notamment dans le champ politique. Les partis, les syndicats et le monde politique ont été construits par des hommes et pour des hommes. En tant qu'orthophoniste, je suis très attachée au langage. Ne nous laissons pas berner ni flouer par ce langage ! Je ne suis pas sénateur, mais sénatrice et je le revendique. La fonction se caractérise en effet par celle ou celui qui l'incarne. Je vous invite à lire l'ouvrage d'Éliane Viennot Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Sur la couverture de tous les rapports du Sénat, vous constaterez que le terme de « sénateurs » sera toujours celui qui figurera, même si plusieurs sénatrices et un seul sénateur ont participé à leur rédaction. Je porte aussi cette bataille avec la délégation, pour faire changer les choses. L'écriture inclusive est un faux débat. Il faut féminiser les termes, car il s'agit d'une partie de la visibilité du combat que nous portons.
Ce combat est un combat de conviction, pour faire progresser nos droits en réunissant les mouvements syndicaux et politiques, pour faire bouger les choses au quotidien et dans les institutions. Chaque fois que les femmes ont gagné des droits, elles y sont parvenues en conjuguant les mouvements de lutte dans la rue et l'adoption de lois progressistes. Il faut ainsi parfois savoir bousculer les choses. En 1925, le parti communiste a présenté des femmes aux élections alors qu'elles n'avaient pas le droit de vote. Évidemment, ces candidatures ont été défaites par les préfets, mais il s'agissait d'une façon de montrer que les femmes avaient leur place dans le champ politique. Nous devons donc mener des actions de ce type, pour bousculer les mentalités.
En 2018, nous devons encore nous battre pour le droit à l'interruption volontaire de grossesse, en France comme dans d'autres pays. En 2018, des mouvements dénoncent les violences faites aux femmes. Nous avons beaucoup à faire pour accompagner ces femmes qui sont victimes.
Après avoir partagé ces éléments avec vous dans cette Haute Assemblée, nous les partagerons dans la rue cet après-midi, puisque nous serons toutes et tous présents, je l'espère, à la manifestation nationale, à 17h30, à République, pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci, chère collègue. Comme vous l'avez vu, le Sénat accueille des groupes politiques et des personnalités divers. Cette diversité se reflète au sein de la délégation. Par exemple, l'écriture inclusive fait débat entre nous, quelles que soient nos appartenances politiques. Nous avons eu déjà de nombreuses discussions à ce sujet.
Il est temps de donner la parole à nos invités et d'échanger avec les sénatrices et les sénateurs.
Échanges avec la salle
Patricia Tordjman, maire de Gentilly (Val-de-Marne). - Je voudrais féliciter toutes les personnes qui sont intervenues ce matin. C'est ce qui fait la différence d'un débat organisé par des femmes : c'est un débat passionnant. J'allais dire que les femmes ont cette vertu de ne pas être dogmatiques, donc il ne faut pas que je le sois moi-même...
Je suis maire de la ville de Gentilly dont, sur cinq générations de maires, trois ont été des femmes. La première d'entre elles était Hélène Edeline 25 ( * ) , sénatrice bien connue.
J'aurai une réflexion sur la question de la représentativité des femmes dans la vie politique. L'actualité institutionnelle connaît des évolutions qui mettent à mal, après la loi sur la parité, la place des femmes. À concentrer l'ensemble des pouvoirs au niveau métropolitain, nous constatons que nous sommes toujours moins nombreuses au niveau supérieur des décisions, alors que celles-ci concernent la population dans la proximité. Je pense qu'il va falloir faire attention à ce que les victoires que nous avons gagnées par la parité - dans les conseils municipaux, par exemple - se retrouvent dans toutes les institutions créées au-delà. J'ai une expérience d'élue depuis trente-cinq ans, mais je constate que, dans nombre de réunions, je me retrouve seule avec uniquement des hommes. Au bout du compte, si la diversité politique est réduite, la diversité sexuelle l'est aussi.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Votre commentaire n'appelle pas forcément de réponse. Il est vrai que, suite à la loi NOTRe 26 ( * ) et aux regroupements des intercommunalités et des communes, les postes à responsabilité ont été rebattus, ce qui pose la question de la représentativité des femmes à ces postes. Il faudra donc réfléchir sur ce sujet, même si les collectivités souhaitent à présent davantage de stabilité, après bouleversements induits par la loi NOTRe. Votre remarque est donc tout à fait juste, madame la maire.
Nadine Alayrac, réseau Élueslocales.fr28 (Eure ). - Nous constatons en effet que le nombre de femmes chute fortement dans les intercommunalités. Il nous est parfois difficile d'être représentées dans les communes rurales, mais encore davantage au sein d'une intercommunalité. Dans cette représentativité, il faudra encore une parité. Même si, à vingt ans, j'étais totalement contre les quotas, il me semble avec le temps qu'il s'agit d'un très bon levier, qui permet d'avancer et de prouver que nous sommes aussi compétentes que les hommes. Nous sommes en effet souvent obligées de travailler et de nous former deux fois plus que les hommes pour prouver nos compétences. L'intercommunalité est un nouveau débat, qui est essentiel.
Annick Billon, présidente de la délégation aux Droits des femmes . - Vous avez totalement raison d'insister sur cette question, dans la mesure où les intercommunalités montent aujourd'hui en compétence au détriment des communes. De ce fait, nombre de sujets importants pour la vie locale se traitent dans les intercommunalités, qu'il s'agisse de communautés de communes ou de communautés d'agglomérations.
Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne . - De façon sous-jacente, nous constatons qu'en l'absence de loi sur la parité, il n'y a pas d'égalité de traitement ni de parité entre les femmes et les hommes. C'est pourquoi nous devrons faire en sorte, nous, parlementaires, d'imposer cette égalité à ces structures de regroupement, qu'il s'agisse d'intercommunalités ou de métropoles.
Michèle Loup, ancienne conseillère régionale d'Ile-de-France, présidente d'honneur de l'association Élues contre les violences faites aux femmes ( ECVF ). - J'ai été élue grâce à la loi sur la parité, de 2004 à 2010, au conseil régional d'Ile-de-France. Je suis fière des réalisations que j'ai pu y accomplir grâce à cette loi. Je suis également ravie de constater l'existence de l'association Élueslocales.fr . Je tenais en outre à indiquer que l'association Élues contre les violences faites aux femmes , créée en 2003, regroupe des femmes politiques de tous les partis.
Par ailleurs, en 2009, a été créé le centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l'égalité femmes-hommes. Vous pouvez vous y rendre, que vous soyez originaire d'Ile-de-France ou non, car il recèle une mine d'informations.
Claire Chagnaud-Forain, conseillère départementale des Yvelines et ajointe au maire de Versailles . - Nous sommes à deux ans des élections municipales et réfléchissons tous à la façon d'attirer de nouvelles femmes en politique. Je souhaiterais attirer celles auxquelles on ne pense pas toujours, qui n'imaginent même pas jouer un rôle politique au niveau local. Je suis demandeuse d'idées à partager sur ce thème, auquel nous avions déjà réfléchi lors de l'une des premières éditions de Femmes et pouvoir . Comment convaincre de jeunes femmes, issues de tous les milieux et de toutes les conditions sociales, de s'engager en politique et de dégager du temps pour ce faire ?
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Au travers de cette question, vous faites plus généralement référence au statut de l'élu. Ce sujet est valable pour les hommes comme pour les femmes. Une réflexion est engagée à ce propos au Sénat, mais aujourd'hui, en France, il est très difficile de conjuguer vie familiale, vie professionnelle et vie d'élu. La révision du statut de l'élu sera la première réponse que nous pourrons vous apporter.
Jacqueline Panis, ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle . - Madame la présidente, je tenais tout d'abord à vous féliciter pour la qualité des travaux qui nous sont soumis, comme le prouve l'assistance nombreuse ce matin au Sénat.
J'ai apprécié l'expression « syndrome de l'imposture ». Nous constatons en effet qu'avant de s'engager, une femme se demande si elle en est capable. Un homme ne se pose pas cette question, mais se contente de foncer. Ne nous posons pas cette question et présentons-nous aux postes que nous envisageons, mais ne négligeons pas de suivre des formations, par exemple à la tenue de réunions techniques. Très souvent, les engagements locaux associatifs constituent des tremplins pour parvenir à d'autres engagements politiques.
Merci pour cette matinée. !
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - La formation existe dans les associations de maires, notamment, mais demeure souvent trop peu utilisée. Pour ma part, lorsque l'on m'a confié un poste à responsabilité dans une commune de Vendée, dans le domaine de l'urbanisme, j'ai largement profité de ces formations pour parvenir à comprendre de quoi il était question et pour être en mesure de prendre des décisions. Cette question nous renvoie cependant à celle du statut de l'élu. Il est en effet souvent complexe de suivre des formations de trois jours quand on travaille en parallèle.
Dominique Aguilar, maire de Tonnerre (Yonne) . - Bonjour mesdames et messieurs. Dans le cadre de notre Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), nous abordons la question des violences faites aux femmes. Seules 17 % des maires sont des femmes et, au sein des CLSPD, les comités relatifs aux violences faites aux femmes ont toute leur pertinence. Ces violences peuvent être liées à l'alcoolisme ou à d'autres sujets. Dans notre CLSPD, nous mettons des clés USB à disposition des femmes victimes de violence. Ces clés permettent aux femmes de quitter leur domicile soudainement, en disposant de toutes les coordonnées et de toutes les informations et documents administratifs nécessaires à leur relogement. Elles peuvent ainsi se réapproprier leur vie et engager des démarches plus simplement.
Marta de Cidrac, sénatrice des Yvelines . - Vous évoquez le sujet des outils que nous pourrions mettre en place en tant qu'élues, pour répondre à certaines difficultés comme les violences faites aux femmes. Outre les CLSPD, je tenais à évoquer un autre outil à disposition des élus. Il concerne les communes de plus de 20 000 habitants ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : il s'agit du rapport sur l'égalité, qui peut également être adapté dans des communes de taille plus restreinte. Ce rapport doit obligatoirement être voté en conseil municipal, avant le budget. Mais tous les élus ne semblent pas être au courant de l'existence de cet outil. À nous, élues locales, de nous en emparer, pour en faire un vecteur de promotion des femmes dans nos territoires, voire de l'adapter à nos environnements, pour sensibiliser également les agents de nos communes sur ces problématiques.
Florence Baillon, conseillère consulaire des Français en Équateur . - Je tenais tout d'abord à remercier la délégation d'avoir pensé à inviter les femmes élues de l'étranger, qui représentent nos compatriotes établis hors de France. J'ai été conviée par Claudine Lepage, sénatrice des Français de l'étranger. Je salue d'ailleurs Catherine Libeault, qui est conseillère consulaire aux Pays-Bas. C'est encore plus compliqué pour nous, parce que nous sommes très loin de nos partis, qui sont à Paris et ne pensent pas nécessairement à nous laisser une place. De plus, nos compatriotes françaises ou binationales sont confrontées à des problématiques supplémentaires, plus locales. Les ambassades ne sont quant à elles pas toujours sensibles à ces situations. À titre d'exemple, aucun dispositif de formation n'est prévu pour les fonctionnaires des ambassades lorsqu'ils reçoivent une personne victime de violences. Il est donc important de porter aussi la voix de ces Françaises de l'étranger.
J'ai été candidate aux élections législatives en tant que représentante des Français d'Amérique latine. Nous avons rencontré moult difficultés à trouver des candidates dans une circonscription comme la mienne, qui compte trente-trois pays. Lors de ma campagne, j'ai découvert en Argentine une association dénommée Marianne . Je viens d'ailleurs d'en créer la version équatorienne, sachant qu'il en existe également une version en Uruguay. Cette association regroupe des femmes francophones, Françaises de l'étranger ou locales ayant un lien particulier avec la France, toutes professionnellement actives et s'attachant à promouvoir les femmes en politique.
Je vous remettrai, madame la présidente, un document recensant les actions que nous menons dans cette association. Si cela vous intéresse, nous pourrions établir un lien entre les élues locales de France et de l'étranger.
Christine Rachet-Maka, élue municipale et référente du réseau Élueslocales dans l'Hérault . - Je suis élue municipale dans une commune de 5 000 habitants située au nord de Montpellier.
Je souhaite revenir sur la formation. Vous avez insisté sur la nécessité de se former, mais sur le terrain, dans les communes, nous constatons une méconnaissance totale de la possibilité de se former, quand ce n'est pas une inquiétude, voire un black-out complet, les maires craignant que, si leur élue se forme, ils soient dépassés. Nous avons donc besoin de leviers supplémentaires, qu'il s'agisse de communication ou de lois. Aujourd'hui, un pourcentage des indemnités des élus doit être consacré à la formation. Si ces sommes ne sont pas dépensées, elles sont reportées. Dès lors, si le maire fait barrage à la formation, il n'est pas possible de se former. Le droit individuel à la formation (DIF) est quant à lui censé permettre de contourner cet obstacle, mais il représente un nombre d'heures insuffisant. Pour avoir utilisé le DIF, je dirai que la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) est totalement débordée par les demandes. Sans doute faudrait-il agir dans ce domaine également.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Il faut du temps pour se former. Nous constatons également un lourd déficit des élus quant à la connaissance des formations auxquelles ils ont droit. Si la majorité des maires et des présidents de conseils départementaux et régionaux proposait à leurs élus les formations auxquelles ils ont droit ou diffusaient cette information, la situation s'en trouverait améliorée. Dans certaines collectivités, les formations ne sont par exemple proposées qu'aux listes majoritaires.
Édith Varret, conseillère régionale des Hauts-de-France . - Régulièrement, des formations nous sont proposées. J'en suis d'ailleurs une actuellement.
Comment arriver à contourner les manoeuvres masculines, telles que celles qui ont encore eu lieu lors des dernières élections sénatoriales, lorsque seules 5,4 % des têtes de liste étaient des femmes ? Les listes d'hommes étaient en effet très nombreuses. Ces problèmes nous freinent grandement, parce que les hommes disposent des réseaux que nous n'avons pas.
Par ailleurs, lors de la présentation de Julia Mouzon, je n'ai pas entendu mentionner les Hauts-de-France. Cette région fait-elle partie du réseau Élueslocales.fr ?
Julia Mouzon, fondatrice du réseau Élueslocales.fr et des Journées nationales des femmes élues . - Merci beaucoup pour cette interpellation. Nos réseaux locaux se créent de façon très spontanée. Nous invitons toutes les élues qui souhaitent créer un réseau à se manifester auprès de nous.
Par ailleurs, nous sommes également très actives sur le sujet de la parité dans les intercommunalités. Nous travaillons ainsi avec l'association Elles aussi et en avons encore discuté hier soir avec la présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, Marie-Pierre Rixain, qui veut aussi se mobiliser sur ces sujets. Donc, n'hésitez pas à venir nous voir sur cette thématique, très importante pour les femmes en politique.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Aux élections sénatoriales, nous constatons en effet certaines manoeuvres permettant de contourner la loi sur la parité dans les scrutins de liste.
Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne . - Il s'agit même d'un détournement de la loi. C'est pourquoi nous devons réfléchir ensemble aux sanctions applicables à ceux qui ne respecteraient pas la règle, et pas uniquement à des pénalités financières. Nous devons faire en sorte, au travers de la loi, d'empêcher les détournements, en déclarant les fraudeurs inéligibles.
En tant qu'élues, nous appartenons en outre à des partis politiques, pour la majorité d'entre nous, et pouvons constater un véritable problème en ce qui concerne les têtes de liste, dans toutes les sensibilités politiques. C'est pourquoi il faudrait faire en sorte que la loi comporte des exigences en matière de têtes de liste et travailler à ce que chaque sensibilité politique aménage la parité. Tant que la loi ne sanctionnera pas nettement les contournements, ils perdureront.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Malgré tout, la loi ne peut pas tout réglementer. Certains partis préfèrent acquitter des amendes plutôt que de se conformer à la loi...
Nous passons à présent à notre seconde thématique, qui porte sur la mise en oeuvre des politiques d'égalité dans les territoires.
J'appelle mes collègues Frédérique Puissat et Laurence Rossignol à me rejoindre à la tribune, ainsi que Max Brisson et Victoire Jasmin qui concluront nos échanges.
Pour lancer nos débats, Frédérique Puissat, élue en septembre 2017, va nous apporter son témoignage sur le sujet suivant : « La parité dans les assemblées locales : quels changements ? »
Seconde thématique : La mise en oeuvre des politiques d'égalité dans les territoires
Témoignage de Frédérique Puissat,
sénateur de l'Isère,
groupe Les Républicains
La parité dans les assemblées locales : quels changements ?
Frédérique Puissat . - Merci beaucoup, madame la présidente, et bonjour à toutes et à tous. Mes premiers pas au Sénat se sont faits en 2015. J'étais à cette même tribune, invitée par Chantal Jouanno. Trois ans plus tard, je suis à présent sénatrice. Cette manifestation peut donc constituer la bonne porte d'entrée pour se faire élire au Sénat !
J'anime ce deuxième débat avec Laurence Rossignol, que nous avons beaucoup de chance d'avoir au sein de notre délégation aux droits des femmes. Si ma copie n'est pas parfaite, je suis certaine que la sienne le sera. Nous avons également beaucoup de chance d'avoir Annick Billon comme présidente de la délégation. Notre groupe est pluriel. Nos sensibilités politiques, nos âges, nos histoires et nos engagements sont différents dans la parité et l'égalité hommes-femmes. Annick Billon a quant à elle beaucoup d'audace car elle me donne la parole, alors que je lui ai indiqué que je n'étais pas une féministe acharnée. En 2015, je l'avais d'ailleurs déjà dit à cette tribune. Ce terme de « féministe » peut toutefois être largement décliné.
Je ne suis pas non plus favorable à la parité. En tout cas, je n'y étais pas forcément favorable. Je suis passée de conseillère générale à conseillère départementale, comme un certain nombre d'entre vous. Comme vous le savez, en 2015, les modes de scrutin ont changé, pour passer d'un scrutin en mode direct à un scrutin en binômes, sur des cantons. À cette occasion, dans les conseils généraux, qui étaient traditionnellement les mauvais élèves de la parité (ils comptaient 13 % de femmes avant 2015, soit un peu moins de 600 sur 4 000), nous avons pu constater un changement bénéfique dans ces instances qui, à la suite des élections de 2015, sont pour moitié composées de femmes. Madame Perrot nous a dressé un historique captivant tout à l'heure, nous expliquant que nous pouvions emprunter plusieurs chemins pour être force de persuasion. Celui consistant à s'enchaîner aux grilles du Sénat en est un, celui qui consiste à manifester, comme l'a souligné Laurence Cohen, en est un autre.
On peut également témoigner des apports de la parité : convaincre des hommes et des femmes, pas tous présents aujourd'hui ni toujours combattants féministes acharnés, qu'il faut également entendre. La place des femmes concerne beaucoup les élus, mais ne permet pas à toute la société féminine de s'emparer de ce combat.
Aujourd'hui, lorsque l'on compare la composition des conseils départementaux à celle des conseils généraux, sommes-nous plus intelligents parce que nous sommes paritaires ? Sommes-nous plus pragmatiques parce que nous sommes paritaires ? Nos décisions sont-elles plus proches de la réalité parce que nous sommes paritaires ? Chacun répondra comme il l'entend à ces questions. Quant à moi, alors même que je n'étais pas adepte de la parité, je ne peux que constater à quel point les ambiances ont changé dans les conseils départementaux. Nous y sommes beaucoup plus humbles que nous ne l'étions dans les conseils généraux.
Tout à l'heure, Madame Chagnaud-Forain a demandé comment attirer en politique des femmes jeunes. Plusieurs voies sont possibles. Nous pouvons ainsi les enjoindre à venir dans nos assemblées, car, par leur présence, elles leur permettront de changer de visage et de rapprocher la politique des réalités vécues par les gens, pour faire en sorte qu'elle soit mieux acceptée dans notre société. Il s'agit de l'un des combats de la parité, à laquelle je n'étais pas forcément favorable. En définitive, en travaillant aux côtés d'Annick Billon et de mes autres collègues, j'ai fini par être convaincue de son utilité. C'est une autre façon de plaider en faveur de la parité en politique. Merci beaucoup.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci beaucoup, chère collègue, pour vos propos. La délégation a été largement renouvelée en 2017 et compte désormais de nouveaux profils qui apportent une fraîcheur et des positions parfois radicalement différentes qui font toute la richesse de nos débats.
C'est à présent à Laurence Rossignol, sénatrice de l'Oise depuis 2011 - avec une interruption entre 2014 et 2017 pour cause de nomination comme ministre, remarquée pour son engagement pour la cause des femmes et des familles - de donner la réplique à Frédérique Puissat. Ma chère collègue, vous avez la parole.
Intervention de Laurence Rossignol, sénatrice de l'Oise, groupe Socialiste et républicain
Laurence Rossignol . - Merci, Annick, pour cette introduction et la manière dont vous conduisez et animez cette délégation aux droits des femmes.
Frédérique, ce n'est pas grave si vous n'êtes pas féministe ; nous sommes certaines que vous allez le devenir ! Nous sommes patientes...
C'est le réel qui transforme les femmes en politique, alors qu'elles y entrent par des voies diverses, parfois après avoir été membres d'associations de parents d'élèves, maires adjointes ou encore parce que leur grand-père avait été maire de la commune qu'elles habitent.
Nous constatons que nos électeurs sont infiniment moins misogynes que nos collègues politiques... J'ai ainsi rarement rencontré la misogynie des électeurs, alors que je l'ai croisée de nombreuses fois dans ma vie politique. Souvent, les femmes élues rencontrent des difficultés lors du passage à l'intercommunalité, qui est un monde d'hommes : elles se retrouvent parfois la seule femme maire à siéger au bureau de l'intercommunalité.
Celles qui ne sont pas encore féministes le deviendront probablement. La situation des conseils départementaux est significative à ce titre.
J'étais sénatrice - pas encore membre du Gouvernement - lorsque la loi sur les conseils départementaux a été votée. J'ai des souvenirs homériques des débats qui ont porté sur cette loi dans cette assemblée. C'est à ce moment que l'un de nos collègues a demandé, alors que j'expliquais que la parité correspondait à 50 %, et non à 25 % ou 30 % : « c'est qui, cette nana ? » 27 ( * ) . Aujourd'hui, tous constatent que cette parité des conseils départementaux a constitué un apport formidable.
Sans la loi, rien ne progresse ! Beaucoup d'entre nous, qui sommes parlementaires, ne serions pas là sans cette loi exigeant des places réservées aux femmes sur les listes présentées lors des élections sénatoriales. Personnellement, je n'ai aucune honte à dire que j'ai bénéficié de la parité. Par la suite, j'ai pu faire la démonstration que j'avais toute légitimité à occuper cette place d'élue et que ce n'était pas la parité qui avait fait de moi une élue. C'était en effet l'exclusive réservation de la politique aux hommes qui m'empêchait d'être une élue. Si l'on peut dire, une femme en politique repasse le baccalauréat toutes les semaines ! Tout est épreuve, et il nous faut toujours prouver que nos compétences sont réelles.
Cela étant, encore faut-il que la place des femmes soit suffisamment importante pour changer les habitudes collectives. Sans un seuil minimal de 30 % de femmes, la culture ne change pas. Les femmes sont alors trop minoritaires physiquement pour changer les habitudes collectives. Il semble donc nécessaire de conduire des politiques en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, non seulement par justesse de la représentation en politique, mais aussi pour rattraper toutes les inégalités et défendre les droits des femmes. C'est à ce titre que la présence des femmes en politique fait sens.
Comme Marta de Cidrac l'a rappelé, la loi de 2014 et le rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes sont destinés aux communes et aux EPCI de plus de 20 000 habitants. Il s'agit d'une opportunité pour ouvrir le débat sur les politiques publiques. Bien souvent, une politique publique neutre accroît les inégalités entre les femmes et les hommes et ne prend pas en compte les différences de mode de vie, de déplacement, de temps de travail, le fait que les femmes sont toujours les principales responsables de la vie domestique, avec la charge mentale associée à la gestion du foyer. Les femmes en politique disposent d'une expérience de la vie différente et sont plus à même de comprendre la réalité vécue par toutes nos concitoyennes lorsqu'elles parviennent à être élues. Nous devons donc transformer cette expérience pour faire évoluer les politiques publiques. Par exemple, la ville n'est pas neutre et l'insécurité est vécue différemment par les femmes et par les hommes. Je suis élue de l'Oise et connais des centaines de femmes qui prennent le dernier train depuis Paris pour rentrer chez elles. Le trajet effectué depuis la gare jusque chez soi ne revêt pas la même réalité pour une femme que pour un homme, notamment lorsqu'il fait nuit et que l'on emprunte des souterrains obscurs.
Être une femme élue, c'est une responsabilité. C'est une chance, mais c'est aussi un devoir de faire progresser la condition et le cadre de vie de toutes les femmes pour lesquelles nous nous sommes engagées. Merci.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Je vous remercie toutes les deux pour vos discours qui se complètent parfaitement.
Je laisse à présent la place aux questions de la salle.
Échanges avec la salle
Nathalie Ravier, maire de Méru (Oise) . - Bonjour. Je suis maire d'une commune de 15 000 habitants située dans l'Oise, et la première femme élue de cette commune. Il m'importait de témoigner devant vous aujourd'hui. Auparavant, j'étais maire-adjointe à la culture et suis entrée dans le monde de la politique par la petite porte, sans l'avoir demandé et alors que l'on me l'avait proposé, du fait de mon expérience professionnelle. Lorsque l'on m'a conseillé d'être candidate aux élections municipales, je me suis présentée sur une liste sans étiquette. Je suis venue aujourd'hui accompagnée de deux de mes adjointes.
Je suis donc une femme, sans étiquette ni expérience de la politique. Je vis des heures très sombres, non avec ma population, car je travaille dans la proximité et m'efforce d'être le plus disponible possible. Je pense ainsi être particulièrement accessible.
Ma vraie difficulté tient à mes liens avec les collègues maires dans l'intercommunalité. Je dois ainsi sans cesse démontrer que je suis capable de gérer une ville de 15 000 habitants. Sans étiquette, il nous est plus aisé de mettre en place les idées issues de la population qui a voté pour nous, sans être guidés par une sensibilité politique particulière, même si nous avons nos propres convictions. C'est l'intérêt général, la sincérité et le bien commun qui président à nos décisions, mais je tenais à exprimer la réelle difficulté que constitue le fait d'être un maire sans étiquette. En fait, nous sommes des extraterrestres du monde de la politique.
Madeline Da Silva, sans étiquette, adjointe à la petite enfance à la mairie des Lilas (Seine-Saint-Denis) . - Je tenais à revenir sur le statut de l'élu, dont nous avons parlé tout à l'heure, ainsi que sur l'intervention de Madame Rossignol. Je suis mère de trois enfants et militante féministe acharnée. Il est particulièrement difficile, selon le statut de l'élu actuel, de concilier vie politique et vie familiale, notamment parce que les horaires de réunion ne s'y prêtent pas du tout. Faire de la politique correspond à un choix. Effectivement, il faut oser, mais il faut aussi faire évoluer le statut de l'élu, car il est parfois extrêmement fatigant de tout conjuguer. La politique doit aussi se faire pour les femmes. Nous devons contribuer à faire évoluer la politique pour que les femmes puissent tout combiner, sans culpabilité ni syndrome d'imposture.
Nathalie Ernst, conseillère municipale et conseillère départementale, référente Élueslocales.fr du Bas-Rhin . - Les prochaines élections municipales constituent une belle opportunité que je vous encourage à saisir. Il faut oser, notamment en raison des baisses de dotation à venir, qui font hésiter certains maires en place à se représenter. En effet, il est manifeste que les hommes sont très attachés aux finances. Nous, femmes, disposons d'un avantage à ce titre. Certes, les budgets sont importants, mais nous tenons à nos concitoyens. Nous avons ainsi vocation à aider la vie locale, à la soutenir, et pouvons soumettre de nombreuses idées pour ce faire, qui ne seront pas uniquement basées sur l'argent.
J'ai moi aussi constaté un changement au conseil départemental avec l'arrivée des femmes, notamment en matière de relation avec les agents, avec lesquels nous travaillons davantage en collaboration. C'est ce mode de travail que nous aurons la chance de mettre en place demain dans nos communes. C'est pour cette raison que, dans deux ans, les femmes maires seront encore beaucoup plus représentées. Je vous encourage donc toutes à vous lancer et à avoir confiance en vous. Vous serez beaucoup plus nombreuses dans deux ans.
Valérie Gonzo-Massol, conseillère départementale de la Haute-Savoie, adjointe au maire d'Annecy . - En ce qui concerne les formations, tous ces hommes qui sont ingénieurs et banquiers ne semblent pas suivre autant de sessions de formation que les femmes.
S'agissant des futurs mandats, je m'interroge sur les commissions d'investiture dans des partis qui sont toutes composées d'hommes. Aucune commission d'investiture ne comprend une majorité de femmes. Là aussi, nous devons travailler. Nous ne nous cooptons pas suffisamment lorsque nous avons le pouvoir. Nous adoptons un regard bienveillant les unes pour les autres, mais nous devons apprendre à nous coopter en priorité. Nous le faisons dans les domaines associatif et culturel ; il faut faire la promotion de ces mouvements, du sport au féminin, de la culture au féminin.
Je signale enfin qu'un groupe de travail a été lancé au sein de l'Association des Maires de France et des intercommunalités (AMF) sur la promotion des femmes élues au niveau local. Ce travail commence à émerger et je vous invite à vous y intéresser.
Agnès Lebrun, maire de Morlaix, vice-présidente de Morlaix Communauté, vice-présidente de l'AMF et d'AMF 29 (Finistère) . - Effectivement, nous constatons un véritable engouement pour ce groupe de travail, ce dont nous nous félicitons. Le Bureau exécutif de l'AMF a en effet décidé de créer ce groupe de travail, qui a pour ambition d'échanger sur des retours d'expérience. Nous souhaitons aussi recevoir des parlementaires : en conséquence de la loi sur le non-cumul des mandats, nous avons besoin de rencontres et d'échanges entre les élus de l'exécutif et le législateur. Nous vous inviterons, ainsi que d'autres parlementaires, et pas seulement des femmes, à participer aux travaux de ce groupe de travail, afin de faire des propositions législatives concernant l'espace public, qui est celui des femmes et des hommes.
Sylvie Valente-Le Hir, maire de Tracy le Mont (Oise) . - Je suis maire d'une commune de 1 800 habitants et vice-présidente de la communauté de communes.
Je tenais à apporter un témoignage relatif à la ruralité. Aujourd'hui, nous avons évoqué le statut de l'élu local, qui doit effectivement être revu. Avec mes collègues maires, hommes ou femmes, nous savons que ce statut implique de plus en plus de contraintes et de moins en moins de pouvoir. Dans une commune rurale, nous devons gérer le quotidien, mais aussi le suivi du Fonds européen de développement régional (FEDER) et les demandes de subvention, ce qui est souvent très compliqué. Quand je discute de la parité avec mes collègues, hommes ou femmes, il me semble que les femmes jouiront bientôt d'une plus grande facilité pour être maires dans des communes rurales, car les hommes ne le veulent plus ! La révision du statut d'élu me semble donc très importante.
Sandrine Lafargue, conseillère départementale des Pyrénées-Atlantiques . - Je suis ravie d'être parmi vous aujourd'hui et je partage tous les témoignages qui ont été exprimés. Parmi les rares hommes présents aujourd'hui, je tenais à saluer la présence de Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, qui interviendra tout à l'heure. Il est aussi vice-président de la Délégation des droits des femmes. Comme il n'y a pas de hasard dans la vie, il est né le 8 mars et c'est son anniversaire aujourd'hui. Avec des hommes tels que lui, il est plus facile d'avancer sur les sujets qui nous tiennent à coeur. Je tiens en outre à saluer une autre sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, Denise Saint-Pé, également présente.
Marie Chapelet, maire de Fournaudin, 4 ème vice-présidente de la communauté de communes de la Vanne et du pays d'Othe (Yonne) . - Je suis maire d'une commune de 130 habitants et notre communauté de communes compte 9 000 habitants, sur une superficie de 400 km².
Effectivement, les femmes maires des petites communes sont élues plus facilement, car les hommes se désengagent de ces territoires. Je tenais à rappeler que ces maires de petites communes perçoivent 570 euros d'indemnités, que nous consacrons essentiellement à nos déplacements lorsque nous sommes en plus élus d'une intercommunalité. Les hommes rencontrent des problèmes similaires, mais nous devons en plus faire garder nos enfants pour assister aux réunions tard le soir.
Marie-Thérèse Bruguière, sénatrice de l'Hérault . - Je suis la doyenne de la délégation aux droits des femmes. J'ai été élue adjointe au maire lorsque l'on est venu me chercher pour occuper ce poste. Au mandat suivant, j'ai été élue première adjointe. Ensuite, on m'a proposé de siéger au conseil régional, puis d'être présidente de la communauté de communes. Seule femme, je travaillais alors avec cinq hommes. On m'a ensuite demandé de me présenter aux élections sénatoriales. J'ai donc occupé le poste de sénatrice, puis suis redevenue maire et conseillère départementale. En vertu de la loi du 14 février 2014 sur le non-cumul des mandats 28 ( * ) , le sénateur en place a démissionné et je me suis de nouveau retrouvée sénatrice en septembre 2017, alors que je n'avais rien demandé. J'ai cependant dû abandonner mon mandat de maire.
Je souhaite donc témoigner du fait que, grâce à mon élection comme sénatrice, j'ai pu faire voter au Sénat un amendement très important, contre l'avis de la commission et du Gouvernement, sur l'hébergement des saisonniers. Si j'étais demeurée élue locale, jamais cet amendement n'aurait pu être défendu puis adopté. Or l'hébergement des saisonniers constitue une question cruciale. 600 Péruviens viennent chaque année sur notre territoire pour ramasser des melons et nous ne disposions d'aucune infrastructure pour les loger. Les propriétaires ont installé des bungalows, dotés de toutes les commodités. L'État leur a donné un délai d'un an pour se débarrasser de ces installations et leur a infligé une amende. J'ai donc fait passer un amendement sur ce sujet, il a été adopté à l'unanimité au Sénat. Cet amendement ne sera toutefois définitivement adopté que s'il l'est également à l'Assemblée nationale, ce qui ne semble pas acquis pour le moment. Je vous invite donc toutes et tous à sensibiliser vos députés sur cette question de l'hébergement des saisonniers.
De même, en ce qui concerne le vin, j'ai rappelé à la ministre de la Santé Agnès Buzyn que Louis Pasteur avait affirmé que le vin était la plus saine et la plus hygiénique des boissons... En affirmant qu'il s'agit de la pire des boissons, on exagère donc sans doute.
D'après toutes ces considérations, il semble qu'il pourrait être opportun de permettre aux maires des petites communes d'être également sénateurs.
Merci à tous.
Christelle Ruysschaert, maire de Saint Sauveur-Gouvernet et vice-présidente de la communauté de commune du Pays de Buis (Drôme) . - Je suis maire d'une commune rurale de 230 habitants et vice-présidente d'une communauté de communes de près de 22 000 habitants. Je voulais témoigner de la difficulté pour les femmes d'être représentées dans les exécutifs. Dans notre communauté de communes, nous ne sommes que deux femmes à exercer des fonctions exécutives. Il est ainsi particulièrement difficile d'exister en tant que maire, ainsi que dans les fonctions exécutives.
Je signale également que lorsque j'ai été élue maire, la première réflexion que j'ai entendue m'interpellait sur la solution que j'allais devoir trouver pour faire garder mon enfant. Or ce n'est pas parce que je suis une femme que je n'ai pas le temps de faire autre chose que de rester à la maison !
Bernadette Vignon, maire de Marsillargues . - Je suis maire d'un petit village du sud de la France, très misogyne, où jamais une femme n'avait été élue. Je suis également la seule maire à avoir été réélue. Lorsque j'ai été élue la première fois, un employé de mairie est venu me taper sur l'épaule et m'a dit « tu ne crois pas qu'une femme va nous gouverner ? ». Ma tâche n'a donc pas été simple... Comme Julia Mouzon, j'ai moi aussi dû m'intéresser au football, mais aussi aux taureaux et aux bistros ! Mon premier mandat a donc été très difficile, puisque mes deux voitures ont été brûlées dans mon jardin, huit mois après mon élection...
Mais je suis très courageuse. Je dois dire aussi que je suis très bien accompagnée par mon mari. Avant cela, j'avais été première adjointe et vice-présidente de la communauté de communes, toujours entourée d'hommes dans ces fonctions. Mon mari a toutefois toujours été présent, de même que mes enfants. Bien entourée, il est donc possible pour une femme de réussir, même si elle doit faire preuve de courage et de force.
Je ne me considère ni comme une femme ni comme un homme, mais comme une politique, à qui les gens ont fait confiance et qu'ils ont élue depuis 1989. Je travaille au bénéfice de tous ceux qui m'ont élue, sans faire de différence. Je suis également conseillère départementale et ne sais pas si je reconduirai mon mandat, car je suis un peu lasse. J'ai cependant confiance en vous. Il n'est pas nécessaire de toujours rappeler sa condition de femme. Il suffit de vouloir travailler. Soyez courageuses et travaillez ! Je vous félicite toutes, car vous faites preuve de beaucoup de courage !
Hayat Bensaria-Govaerts, conseillère municipale et conseillère communautaire de Pont-Sainte-Maxence (Oise) . - Je remercie toutes les intervenantes, notamment celles qui encouragent les femmes à oser se lancer.
Je tenais à revenir sur le témoignage de Marie-Thérèse Bruguière, qui est parvenue, à force de ténacité, aux plus hautes sphères du pouvoir. Ce témoignage, ainsi que celui de Nathalie Ravier, maire sans étiquette, en disent long sur les difficultés rencontrées par les femmes pour exercer le pouvoir. J'espère que le réseau Élueslocales.fr sera l'amorce d'une société plus ouverte à des femmes citoyennes qui souhaitent faire de la politique.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci pour vos témoignages. Je remercie tous les intervenants et intervenantes qui se sont succédé à la tribune, ainsi que l'ensemble de l'assistance, pour la qualité des échanges et votre engagement. Je salue Michelle Perrot qui doit nous quitter.
(Applaudissements nourris.)
Comme Michelle Perrot nous l'a dit, nous avons pu constater que l'engagement était difficile. Ces difficultés demeurent. Nous avons évoqué ces obstacles, mais avons aussi parlé de l'accompagnement de la famille et de l'acceptation des enfants d'élues, qui voient moins leur mère que les autres enfants. Les élues sont aussi plus souvent attaquées que félicitées : il ne faut pas s'engager en politique pour imaginer recevoir des louanges.
Le jour de mon élection à la tête de la délégation, comme successeure de Chantal Jouanno, était celui de l'anniversaire de Marie-Thérèse Bruguière. C'est aujourd'hui celui de Max Brisson, à qui je souhaite un très joyeux anniversaire et à qui je remettrai, au nom de la délégation, un petit cadeau. Nous ne pouvons mieux choisir que lui pour faire la synthèse de cette matinée d'échanges ! Nous sommes une délégation très conviviale, dans laquelle la couleur politique a très peu d'importance. Nous travaillons tous pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Cher collègue, vous savez le prix que nous attachons toutes au fait d'avoir des hommes à nos côtés pour porter avec nous le combat de l'égalité. Je remercie aussi Marc Laménie, sénateur des Ardennes, pour sa présence. Cher Max, nous vous souhaitons un excellent anniversaire. Nous vous écoutons avec beaucoup d'intérêt et de plaisir.
(Un « joyeux anniversaire » collectif est entonné par la salle en l'honneur de Max Brisson, à l'initiative de Victoire Jasmin.)
J'en profite également pour remercier le secrétariat de la délégation pour sa contribution à la réussite de cette matinée.
Il nous semblait important de confier la conclusion de cette journée à un homme et une femme, tout en respectant la diversité des opinions politiques. Merci à vous.
Conclusion
Intervention de Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, groupe Les Républicains
Notre mission à Victoire et à moi-même est difficile, car nous devons conclure une très belle matinée, initiée par le président Larcher, puis poursuivie par Michelle Perrot et de nombreuses autres interventions.
En ce qui me concerne, je vais vous tenir un discours de « mâle », car, contrairement à Marie-Thérèse Bruguière, on n'est jamais venu me chercher ! Je sais donc que la politique est un combat, et c'est en « mâle » que je vais vous en parler. C'est en effet ce mot que je retiens de notre matinée.
J'apprécie particulièrement d'appartenir à la délégation aux droits des femmes, car elle prône un combat global pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Comme l'a très bien dit Michelle Perrot, le combat pour le droit des femmes est un combat pour la démocratie.
Voulons-nous une société plus inégalitaire ou plus égalitaire ? Si nous la voulons plus égalitaire, cela passe par le combat pour les droits des femmes. Voulons-nous une société plus tolérante ou plus intolérante ? Cela passe aussi par ce combat. Voulons-nous une société plus émancipatrice ou plus repliée ? Nous souhaitons tous une société plus émancipatrice. Voilà pourquoi l'égalité entre les femmes et les hommes doit être naturelle. Il s'agit tout simplement d'un combat pour la démocratie, dont Michelle Perrot a parfaitement resitué les étapes.
Nous avons observé des avancées, notamment dans les conseils départementaux. Je suis conseiller général depuis 1998 et j'ai constaté que la situation y a beaucoup changé. Cependant, la plupart des présidents de conseils départementaux restent des hommes. Nous pouvons donc estimer qu'un autre combat doit être mené, pour faire en sorte que les femmes occupent aussi des postes exécutifs.
La loi NOTRe a eu pour conséquence de faire reculer le nombre des femmes dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et dans leurs conseils exécutifs, ce qui est proprement scandaleux. Le combat continue donc.
Ce combat concerne trois champs principaux. Il s'agit d'abord d'un combat pour les codes, qui sont essentiellement masculins. Faut-il les féminiser ? Je l'ignore. Il faut toutefois les faire évoluer. Depuis 2015, au sein du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, je ressens que les codes ont beaucoup changé et que nos conseils départementaux se tiennent mieux. Est-ce dû à la présence en masse des femmes ? Je le crois. Cette ambiance est en effet due à un meilleur équilibre. La parité, c'est rechercher un équilibre, pour faire en sorte que l'assemblée élue ressemble à la société.
S'agissant du combat pour la formation, les besoins en la matière sont toujours remontés par les élues. Un travail doit donc être fourni dans ce domaine également. Plus généralement, il faut aussi rappeler que les classes préparatoires scientifiques sont encore essentiellement masculines en 2018, ce qui constitue un véritable problème, d'autant plus que les jeunes filles sont plus nombreuses que les garçons à obtenir un bac scientifique. Il importe de remédier à cette situation.
Le troisième combat est celui de l'engagement. Une femme à laquelle on demande de rejoindre une liste évoque spontanément ses doutes sur ses capacités ou son manque de temps. Les hommes, quant à eux, n'expriment pas de tels doutes. Ce sujet a été largement évoqué ce matin et il est nécessaire de s'y atteler si l'on souhaite davantage féminiser les charges électives. C'est pourquoi la révision du statut de l'élu semble importante.
Au début de notre matinée d'échanges, Gérard Larcher a posé deux questions, au premier chef celle de la singularité de l'apport et de l'engagement des femmes. Je crois profondément en cette singularité, d'autant que le déséquilibre antérieur n'était pas satisfaisant. Ce retour à l'équilibre permettra donc de changer les codes. Le président Larcher a également souligné que l'arrivée des femmes aux charges électives allait de pair avec la décentralisation et l'affirmation de leur rôle dans les territoires. Les sénatrices apportent leur singularité dans la défense des territoires et dans leur engagement pour y améliorer la vie quotidienne. Le Sénat est la caisse de résonnance des territoires et les sénatrices apportent leur part de singularité lorsqu'elles s'expriment au sein de la Haute Assemblée. Celle-ci doit mettre en valeur ce travail des sénatrices. Nous constatons un lien entre le rôle des territoires et celui des sénatrices et des élues pour davantage de démocratie.
Comme cela a été expliqué ce matin, la citoyenneté sociale a, pour les femmes, précédé la citoyenneté politique. Nous progressons, mais des combats demeurent, que nous mènerons ensemble. Il faut vous engager ensemble et vous trouverez des hommes à vos côtés dans ce combat.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci, cher collègue. Pour donner la réplique à Max Brisson, j'appelle Victoire Jasmin, élue sénatrice de la Guadeloupe en 2017. C'est la première fois que la délégation aux droits des femmes compte trois élues issues des territoires ultramarins. Nous en sommes très heureux. Il nous a donc paru naturel de donner à notre collègue ultramarine le mot de la fin.
Intervention de Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, groupe Socialiste et républicain
Madame la présidente, mesdames et messieurs, je vous remercie tous de votre présence et tiens à saluer Laurence Rossignol, qui a été ministre et qui, au sein de la délégation, joue un rôle important, tout comme notre collègue Laurence Cohen.
À la délégation, nous sommes une grande famille, dans laquelle nous tentons de valoriser aussi bien les femmes que les hommes. Le travail de notre présidente Annick Billon est exemplaire. Je siège au Sénat depuis les dernières élections grâce à Victorien Lurel, ici présent, ancien ministre, qui a fait en sorte que de nombreuses femmes soient élues à des postes importants en Guadeloupe. J'étais deuxième sur sa liste et suis sénatrice grâce à lui.
En Guadeloupe, en décembre dernier, le quotidien France Antilles a fait paraître un sondage, afin d'élire la personnalité politique guadeloupéenne de l'année. J'ai été élue avec 51,5 % des voix. 26 000 personnes se sont ainsi prononcées pour que je sois la personnalité politique de l'année en Guadeloupe. [Applaudissements] C'est la preuve qu'il y a des personnes qui savent valoriser les femmes. Cela prouve également que, lorsque nous nous investissons dans la vie professionnelle, dans la vie associative et au quotidien, nous pouvons nous faire remarquer. Il faut toujours connaître sa valeur, mettre en avant ses savoir-faire et valoriser ses compétences.
Être en politique implique de s'oublier soi-même, ainsi que ses proches, ses enfants et son conjoint. Aujourd'hui, il s'agit donc de penser à nous. Nous devons vivre chaque instant pour nous et pour les autres.
Bien avant la loi sur la parité, de nombreuses femmes s'étaient déjà engagées en politique. Je regrette cependant le fort taux d'abstention actuel. Mesdames, nous devons donc stimuler les électeurs, pour faire baisser ce taux d'abstention.
De plus, si les listes électorales respectent la parité de façon formelle, les femmes sont souvent exclues des postes à responsabilité lors des élections locales. Nous devons donc poursuivre notre engagement et ne jamais baisser les bras, en légiférant si besoin. Beaucoup se sont battues avant nous pour que nous occupions les places qui sont les nôtres aujourd'hui. Nous devons poursuivre cet engagement et ne jamais baisser les bras.
Nous devons aussi dénoncer les violences faites aux femmes et aux enfants, pour éradiquer la reproduction de tels comportements au sein de la société.
Cette journée est importante pour chacun de nous, hommes et femmes. Nous devons garder en mémoire toutes les interventions qui se sont succédé. Toutes les personnes qui ont pris la parole ont su parler de ce qui leur tenait à coeur et dire des choses très importantes pour nous permettre d'avancer. Nous sommes dans le pays des droits de l'Homme, un pays qui a pour devise Liberté, Égalité, Fraternité . Nous devons tout mettre en oeuvre pour que les femmes soient davantage valorisées, tant au niveau de leur travail que dans leur vie quotidienne. Nous devons également dénoncer la discrimination lors de la formation. Lorsqu'une femme suit une formation, passe un concours, il n'est pas acceptable qu'elle soit refusée parce qu'elle est une femme. Nous devons nous élever contre ces situations. Or comme le disait Max Brisson à propos des classes préparatoires scientifiques, les femmes sont très souvent exclues, non pas parce qu'elles ne seraient pas compétentes, mais parce qu'elles sont nées femmes.
Les femmes sont plurielles, elles ont une vie familiale, une vie professionnelle, une vie politique, une vie citoyenne. Il faut garder cela en mémoire. Ne faisons pas marche arrière lorsqu'il s'agit de voter et de faire des choix. Nous devons travailler, valoriser ce que nous savons faire et avoir pour ambition de progresser encore et toujours. Merci beaucoup.
(Applaudissements.)
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci, chère Victoire, pour ces mots forts. Les Guadeloupéens ont eu raison de vous élire personnalité politique de l'année. Bravo pour votre engagement ! Il est partagé par toutes les femmes présentes aujourd'hui.
Il était important pour la délégation qu'un homme conclue également cette journée. Max, vos propos ont dû faire écho dans la salle, car la société démocratique que vous avez évoquée est aussi une société de respect.
Vous êtes toutes des femmes engagées, souvent soutenues par des hommes. Certaines ont évoqué à raison le rôle de l'entourage et de la famille. Max Brisson a aussi parlé des jeunes filles qui passent le bac et qui s'engagent dans les études supérieures. Je souhaite à toutes les jeunes filles de pouvoir s'orienter dans la voie professionnelle qu'elles désirent, même si leur mère est une élue qui n'est pas disponible à chaque instant pour s'occuper d'elles... Le temps et la charge mentale représentent effectivement des combats pour les femmes, même si nous sommes souvent très bien accompagnées par des conjoints qui nous facilitent la vie.
Merci à toutes et tous pour votre présence.
(Applaudissements.)
Annexes
Compte rendu de la séance de questions d'actualité au Gouvernement du mardi 8 mars 201829 ( * )
Présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente du Sénat
Mme la présidente. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au nom de toutes mes collègues présentes dans cet hémicycle, en ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes , je suis très heureuse de présider cette séance de questions d'actualité au Gouvernement. C'est un beau symbole, et je tiens à en remercier sincèrement notre président, Gérard Larcher. (Vifs applaudissements.)
L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook .
Mes chers collègues, au nom du Bureau du Sénat, je vous appelle, au cours de vos échanges, au respect des uns et des autres, qui est l'une des valeurs essentielles du Sénat, ainsi qu'au respect des temps de parole, afin de permettre à chaque intervenant de bénéficier de la diffusion complète de sa question et de la réponse.
MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS MIS EN oeUVRE PAR LE GOUVERNEMENT POUR LUTTER CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
Mme la présidente . - La parole est à Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste.
En cette Journée internationale des droits des fem mes, je tiens à saluer tout particulièrement notre collègue, qui préside la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. (Applaudissements.)
Mme Annick Billon . - Je vous remercie, madame la présidente.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.
En cette Journée internationale des droits des femmes , je souhaite évoquer la question des moyens mis en oeuvre pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Dans son discours du 25 novembre 2017, le chef de l'État déclarait vouloir faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat. Il s'engageait alors à donner la priorité à la lutte contre les violences faites aux femmes et annonçait une hausse de 13 % des crédits qui lui sont dédiés.
On peut s'en étonner, mais en fait de politique publique, celle-là repose essentiellement sur le travail des associations et sur le dévouement de leurs bénévoles.
Ces associations remplissent des missions de service public. Or force est de constater que les financements qui leur sont alloués sont non pérennes et souvent insuffisants au regard de l'ampleur des besoins.
La libération de la parole a suscité une forte attente, avec un nombre croissant de plaintes de victimes à traiter. Chaque femme est en droit d'attendre un traitement identique de sa plainte, qu'elle habite en ville, dans des territoires ruraux ou d'outre-mer.
Or comment mener une vraie politique publique en s'appuyant sur des subventions à la fois incertaines et à géométrie variable selon les territoires ?
Madame la secrétaire d'État, en cette journée du 8 mars, pouvez-vous détailler les clés des financements attribués aux violences faites aux femmes ?
N'oublions pas que derrière chaque femme victime de violence, il y a également des familles et des enfants victimes. Notre société doit être une société de respect, dans laquelle femmes et hommes progressent ensemble. (Applaudissements.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes . - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, vous l'avez rappelé, le Président de la République a décrété l'égalité entre les femmes et les hommes grande cause nationale du quinquennat.
Les moyens qui lui sont alloués ont connu une augmentation substantielle. Le programme 137, seul programme du budget de l'État presque exclusivement consacré au financement des associations, s'élève à près de 30 millions, auxquels s'ajoutent 420 millions d'euros de fonds interministériels.
Vous avez très bien décrit la situation, madame la sénatrice : s'agissant des droits des femmes, depuis des années, les associations, les élus locaux ou des membres de la société civile sont le moteur, et l'État suit, en subventionnant leur action ou en ne la subventionnant pas.
Notre politique, c'est de dire que l'État doit reprendre la main, que les droits des femmes relèvent de la compétence de l'État et qu'il doit être de nouveau moteur, locomotive, qu'il doit impulser les politiques publiques et reprendre ses responsabilités.
Permettez-moi d'en donner un exemple. Actuellement, ce sont les associations qui, très majoritairement, assurent l'accompagnement des femmes dans le dépôt de plainte. Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a indiqué qu'une plateforme serait créée pour permettre à ces femmes de déposer plainte en ligne directement auprès de policières et de policiers. L'État pourra ainsi les accompagner dans le dépôt de plainte, puis dans la judiciarisation.
Par ailleurs, 5 000 places d'hébergement d'urgence vont être réservées au cours de l'année aux femmes victimes de violences.
Pour ce qui est des subventions, madame la présidente de la délégation, je ne peux pas vous laisser dire que les subventions sont incertaines. Comme vous le savez, il existe des contrats pluriannuels d'objectifs et des contrats de subvention qui peuvent durer jusqu'à trois ans : les subventions sont donc certaines.
Je rappelle également qu'il n'y a pas eu un seul euro de baisse des subventions de l'État pour les associations nationales de lutte pour les droits des femmes, et contre les violences sexistes et sexuelles en particulier.
De nouveaux appels à projets seront lancés à partir du mois d'avril. J'ai installé un groupe d'experts chargé d'examiner les subventions allouées aux associations. Ces dernières, qui devront leur remettre un dossier, pourront voir leurs subventions augmenter si besoin est. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS POUR LES JEUNES FILLES MINEURES
Mme la présidente . - La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et social Européen. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Josiane Costes . - Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la garde des sceaux, nous savons tous que la Protection judiciaire de la jeunesse exerce une mission essentielle, dans des conditions difficiles, pour prendre en charge les mineurs délinquants et les aider à se reconstruire et à s'insérer dans la société.
Il revient parfois aussi à la société de donner un accompagnement plus personnalisé à ces jeunes, y compris en les plaçant dans des centres éducatifs fermés afin de mieux prévenir la récidive et de les intégrer dans un parcours éducatif.
En la matière, des progrès restent à faire pour mieux prendre en compte les spécificités de la délinquance des jeunes filles mineures.
Il n'existe en France qu'un seul centre éducatif fermé réservé aux adolescentes, or la mixité peut être véritablement problématique, alors que cette période de la vie est déterminante pour la construction du futur adulte.
Ainsi, trop souvent, ces jeunes filles sont placées dans des établissements pénitentiaires pour femmes qui ne répondent pas à leurs besoins spécifiques, malgré le dévouement et le travail remarquable des personnels.
Madame la garde des sceaux, les besoins sont réels, vous le savez, mais il nous faut une volonté politique. Ma question est donc simple : envisagez-vous d'orienter, de développer la création de centres éducatifs fermés adaptés aux jeunes filles mineures ?
Sachez que, dans tous les cas, en tant qu'élue du Cantal, je suis prête à travailler avec vous pour accueillir une telle implantation sur mon territoire et donner une nouvelle chance à ces jeunes femmes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Josiane Costes, les centres éducatifs fermés, qui ont été créés en 2002, sont aujourd'hui au nombre de cinquante-deux sur le territoire national.
Ils constituent, vous le savez, une alternative à l'incarcération. Ils permettent d'apporter une réponse « contenante » pour les mineurs qui sont les plus ancrés dans la délinquance ou qui commettent les actes les plus graves. Ils répondent ainsi à la fois à une forte demande sociale de contrôle et de sécurité, et leur pertinence en matière de prévention de la récidive, appréciée par les magistrats, a également été soulignée dans de très nombreux rapports.
Ces établissements sont donc bien identifiés par les juridictions, qui en expriment régulièrement le besoin.
Le Président de la République a fait part, lors de la campagne électorale présidentielle, de sa volonté de mettre davantage de centres éducatifs fermés à disposition des magistrats et des jeunes, et de répartir leur implantation sur l'ensemble du territoire.
J'ai donc pour perspective de créer vingt nouveaux centres éducatifs fermés, et il est actuellement envisagé que l'un d'entre eux soit dédié à la prise en charge des jeunes filles. Il n'existe en effet aujourd'hui qu'un seul centre éducatif fermé dédié à des jeunes filles ; il se situe à Doudeville, dans le département de la Seine-Maritime.
En 2016, les centres éducatifs fermés, il faut le souligner, n'accueillaient que 6 % de filles, contre donc 94 % de garçons. La perspective dans laquelle nous nous situons répondra au moins pour partie à cette problématique.
À ce jour, je rappelle toutefois que la mixité n'est pas un handicap et que, si elle est bien régulée, elle peut être une solution tout à fait satisfaisante.
Nous ne savons pas, au moment où je vous parle, quelles seront exactement les localisations choisies pour implanter ces nouveaux centres éducatifs fermés, car les directions interrégionales de la Protection judiciaire de la jeunesse doivent nous adresser leurs propositions en ce sens, mais j'ai bien compris que le Cantal était peut-être candidat à cette localisation... (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme Josiane Costes, pour la réplique.
Mme Josiane Costes . - Il est indispensable de réfléchir à un maillage du territoire par ces centres éducatifs fermés. Le seul centre pour jeunes délinquantes étant situé à Doudeville, en Normandie, les mineures délinquantes du sud de la France sont coupées de leurs liens affectifs.
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES DANS LE MILIEU PROFESSIONNEL
Mme la présidente . - La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Michelle Gréaume . - Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la Journée internationale des droits des femmes rappelle chaque année l'actualité de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Ce 8 mars 2018 restera marqué par la mise au grand jour, salutaire, des violences faites aux femmes dans les sphères privée ou publique. La parole enfin libérée montre que nous ne sommes pas, hélas !, dans le domaine de l'exception.
C'est particulièrement vrai sur les lieux de travail. Une femme sur cinq y est victime de violences sexistes ou sexuelles. S'il y a bien obligation pour l'employeur d'agir, de prévenir et de sanctionner, la réalité, froide et cruelle, est tout autre.
Nous savons aussi qu'il ne peut y avoir de recul du harcèlement sans recul des inégalités économiques et sociales. Les femmes les plus menacées sont parmi les plus précaires, les plus isolées.
Questions sociales et émancipation féminine sont totalement liées. La très grande majorité des femmes font partie des minima sociaux. Elles sont aussi les premières victimes des temps partiels imposés. Et que dire des insupportables inégalités salariales ?
Une étude réalisée à la demande de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France, indique que cela représente un grand écart de près de 300 000 euros sur toute une vie de travail ! Plus grave encore, ces inégalités salariales entraîneraient un manque à gagner estimé à 246 milliards d'euros de pertes en revenus et cotisations de toutes sortes.
De quoi remettre en cause très fortement les vieilles croyances, inspirant les vieilles politiques selon lesquelles le progrès social serait néfaste au progrès économique. C'est tout l'inverse !
L'égalité entre les hommes et les femmes est la grande cause nationale du quinquennat ? Très bien ! Mais, au-delà des effets d'annonce, quels moyens humains et financiers allez-vous mettre en oeuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, vous avez évoqué deux sujets essentiels en matière de droits des femmes : les violences sexuelles et sexuées au travail et l'égalité salariale.
En ce qui concerne les violences sexistes et sexuées au travail, nous avons recueilli les propositions des partenaires sociaux du secteur privé. Le Premier ministre, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et moi-même avons convenu de travailler sur plusieurs pistes dans les six à sept semaines qui viennent, afin d'aboutir à des propositions.
Ces dernières porteront notamment sur l'information, la formation, la création de référent et les sanctions.
Pourquoi la formation ? Parce qu'il est très important que les élus du personnel, les responsables des ressources humaines, les médecins du travail ainsi que l'ensemble des acteurs de la vie de l'entreprise sachent comment accueillir des femmes qui aujourd'hui n'osent pas parler, ou le font peu. C'est aussi pour cela que nous mettrons en place des référents.
Il faut également sensibiliser l'encadrement, l'ensemble des élus du personnel et, de façon générale, tous les salariés, car le sexisme ordinaire est le terreau de violences plus graves qui peuvent avoir lieu dans l'entreprise.
Dans le secteur public, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et le secrétaire d'État chargé de la fonction publique ont annoncé il y a quelques jours un plan ambitieux car, comme vous le savez, le secteur public est lui aussi concerné.
L'inégalité salariale, dont vous avez raison de dire qu'elle est inacceptable, pose évidemment d'abord un problème d'équité, de justice sociale, mais elle découle aussi d'un aveuglement économique. Le Président de la République et moi-même visitions ce matin une entreprise dont les résultats démontrent que lorsque l'on s'attaque au sujet et que l'on progresse en matière de mixité, l'entreprise est plus performante.
Il faut donc régler ce problème, d'abord pour des raisons sociales, mais aussi pour des raisons économiques. Avec les partenaires sociaux, nous allons travailler très étroitement sur ce sujet dans les semaines qui viennent. ( Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. )
Mme la présidente . - La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique,... en dix secondes !
Mme Michelle Gréaume . - Madame la ministre, le compte n'y est pas ! J'insiste sur le lien entre question sociale et lutte contre le harcèlement et les violences.
Permettez-moi d'en donner un exemple concret : avec la casse du droit du travail que votre gouvernement a organisée, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, instruments nécessaires de la lutte contre les violences au travail, ont été supprimés, ce qui précarise encore plus les femmes. ( Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. )
DROITS DES FEMMES (I)
Mme la présidente . - La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Hélène Conway-Mouret . - Mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre du travail.
Madame la ministre, l'égalité est un droit, et c'est bien ce droit que des milliers de Françaises réclament encore aujourd'hui en cette Journée internationale pour le droit des femmes.
Lundi, vous annonciez aux Françaises et aux Français un big bang de la formation professionnelle. Trois jours plus tard, vous présentez un plan ambitieux pour lutter contre les inégalités salariales et professionnelles, tandis que, dans le même temps, le Président de la République fait de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause nationale du quinquennat.
Depuis neuf mois, et en toutes matières, les réformes succèdent aux annonces et les projets aux déclarations, avec l'idée affirmée que tout serait à faire et que rien n'a été fait.
Ce passé, quel est-il ? Celui d'un ministère de plein exercice, animé avec ferveur et passion il y a encore quelques mois encore par ma collègue Laurence Rossignol, devenu un modeste secrétariat d'État doté du plus petit budget qui soit, 0,006 % du budget de l'État.
Quel progrès pour l'égalité des femmes !
Cette égalité, vous le savez, madame la ministre, existe encore moins qu'ailleurs lorsque l'on s'intéresse à la rémunération du travail salarié.
Selon votre propre ministère, l'écart moyen entre les salaires des femmes et les hommes s'élève en France à 25,7 % tous temps de travail confondus, et à 9 % à poste et expérience équivalents.
Alors que les filles réussissent mieux que les garçons à l'école, elles occupent ensuite des postes à moindre responsabilité. En raison des inégalités de carrière, les femmes partent à la retraite un an plus tard que les hommes, avec des droits moins importants.
Cette situation est pourtant illégale, parce qu'elle procède d'une discrimination liée au sexe interdite depuis 1982, et parce qu'elle contrevient au principe « à travail égal, salaire égal » prévu par le code du travail depuis quarante-six ans.
Quelles mesures entendez-vous prendre pour assurer réellement l'égalité salariale entre les femmes et les hommes ?
Pourquoi attendre 2022 pour les mettre en place ? En Islande, la contrainte législative a été immédiate.
Quels financements allez-vous pouvoir consacrer aux mesures nécessaires à la réalité de cette égalité ?
J'ajoute, madame la ministre, qu'il est bientôt quinze heures quarante, heure à laquelle les femmes cessent d'être payées chaque jour sur la base d'une journée standard. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente . - Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Hélène Conway-Mouret . - Je conclus, madame la présidente.
J'invite donc toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à manifester notre solidarité avec nos soeurs espagnoles, aujourd'hui en grève, et les associations féministes mobilisées dans tous les pays. ( Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains .)
Mme la présidente . - Merci, chère collègue !
Mme Hélène Conway-Mouret . - L'égalité entre les hommes et les femmes, c'est maintenant ! L'égalité des salaires, c'est maintenant ! Les femmes aux responsabilités, c'est maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Conway-Mouret, j'ai avec vous un point d'accord et un point de désaccord.
J'ai un point de désaccord, majeur. Je pense que le secrétariat d'État de Marlène Schiappa, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et rattachée directement au Premier ministre, n'a rien de « modeste ». Ma collègue, outre qu'elle est elle-même extrêmement mobilisée, a comme talent particulier de savoir tous nous mobiliser autour du Premier ministre, comme en témoigne le comité interministériel sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes de ce matin, qui a réuni seize ministres, et cela, c'est exceptionnel ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Le point d'accord, c'est que, en matière d'égalité salariale, nous sommes dans un échec collectif. La loi qui oblige à l'égalité salariale, « à travail égal, salaire égal », a quarante-cinq ans. La faute à qui ? Je ne souhaite pas polémiquer, car c'est la faute de tout le monde, mais du coup, ce n'est la faute de personne. Or, pour résoudre ce problème, il faut qu'il devienne celui de tout le monde. C'est pour cela que, en matière d'égalité salariale entre les femmes et les hommes, nous avons deux combats à mener.
Le premier est un combat de long terme. Il implique de s'attaquer aux stéréotypes, aux raisons qui poussent les femmes vers des métiers moins rémunérés, moins valorisés, au plafond de verre dans l'entreprise et au plafond de verre intérieur qui fait qu'elles n'osent pas postuler, à la gestion des ressources humaines, à l'implication des dirigeants. Tout cela représente un travail de long terme avec les partenaires sociaux, et nous nous y attelons.
Mais, au-delà, il est une tâche que nous voulons vraiment mener à son terme, dans le cadre de la grande cause du quinquennat : oui, nous voulons mettre fin à l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes d'ici à la fin du quinquennat. Cette inégalité salariale, pour l'instant irréductible, de 9 % pour le même travail, est un scandale de la République, et je sais que le Sénat tout entier est d'accord pour reconnaître avec moi que cette situation est inadmissible. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mais comment faire ? C'est toute la question, parce que tout le monde a déjà essayé. Après une longue concertation, nous avons proposé aux partenaires sociaux d'activer quatre leviers dont nous rediscuterons dans les semaines à venir : premièrement, un outil de mesure, un logiciel facile d'utilisation et gratuit ; deuxièmement, des enveloppes dédiées dans la négociation annuelle des salaires pour le rattrapage salarial afin que, d'ici trois ans, le problème soit réglé ; troisièmement, l'implication des dirigeants au niveau des conseils d'administration pour favoriser une prise de conscience ; quatrièmement, un renforcement des contrôles, avec le passage de 1 700 à 7 000 contrôles annuels de l'Inspection du travail.
Je compte sur vous pour nous aider ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
PROSTITUTION DES ADOLESCENTES
Mme la présidente . - La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires.
Mme Colette Mélot . - Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, la libération de la parole des femmes que nous vivons actuellement et les nouvelles mesures que vous allez mettre en place pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes donnent à cette journée du 8 mars un retentissement tout particulier dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Mais il est un phénomène qui reste peu connu, mal combattu et particulièrement choquant, je veux parler de la prostitution des adolescentes.
Mon intervention repose sur un constat inquiétant, réalisé récemment en Seine-et-Marne : la recrudescence de cas signalés par les forces de police, dont j'imagine qu'il s'agit non pas de cas isolés mais d'une réalité nationale.
Des milliers d'adolescentes se prostituent en France dès le collège selon l'association Agir contre la prostitution des enfants , l' ACPE . Les profils sont multiples : la réponse à un besoin vital de se nourrir, de payer ses études, le fait de jeunes qui s'y adonnent « parce que ça se fait ». Ce sont principalement des jeunes filles de treize à dix-sept ans, fragiles et souvent déscolarisées.
Naïves car très jeunes, elles ne se considèrent pas forcément comme des victimes : elles ne voient pas le mal de ces actes sexuels tarifés. Or ce sont des victimes manipulées et exploitées, et les répercussions psychologiques dans leur vie future seront dramatiques.
Ne nous y trompons pas, c'est bien de protection des mineures et de dignité humaine qu'il s'agit.
Il n'est pas acceptable que, dans notre pays, des jeunes n'aient pas été mieux protégées, mieux orientées, mieux identifiées.
Certes, le législateur a fortement investi le domaine de la lutte contre la prostitution des mineurs en instaurant un véritable arsenal répressif, mais la répression ne suffit pas.
Aussi, madame la secrétaire d'État, je vous demande de lancer une étude d'envergure pour connaître plus précisément l'ampleur du phénomène, préalable indispensable à la mise en place de mesures de sensibilisation, de prévention, de formation tant des travailleurs sociaux,...
Mme la présidente . - Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Colette Mélot . - ... que des enseignants et des policiers, sans oublier la création de lieux d'accueil spécifiques et d'accompagnement, autant de mesures d'une urgence absolue. ( Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants - République et Territoires .)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes . - Madame la sénatrice, nous avons connaissance du problème que vous soulevez.
La lutte contre la traite des êtres humains en général, et contre la prostitution des mineurs en particulier, fait pleinement partie de l'action que je mène avec la MIPROF, dont le nom développé est « mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et de lutte contre la traite des êtres humains ». Je me suis entretenue il y a quelques jours avec sa secrétaire générale, Élisabeth Moiron-Braud, avec qui je suis pleinement mobilisée pour mettre fin à ce système de prostitution des mineures.
Je crois qu'il y a au moins deux sujets : premièrement, l'augmentation du phénomène de la traite des jeunes filles dans certains quartiers, sujet qui est dans notre viseur dans le cadre du deuxième plan national de lutte contre la traite ; deuxièmement, le proxénétisme en ligne, sujet sur lequel je travaille en étroite collaboration avec le secrétaire d'État chargé du numérique, Mounir Mahjoubi.
Ce matin, lors de notre comité interministériel, cette question a été abordée sous l'impulsion de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Frédérique Vidal. Nous sommes donc pleinement mobilisés à l'échelon interministériel.
Par ailleurs, je rappelle que toute personne victime d'exploitation sexuelle peut bénéficier du parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle. Quelque 2,4 millions d'euros sont mobilisés pour six cents personnes visées en 2018, contre seulement 25 parcours sur les 1 000 prévus en 2017. L'action du Gouvernement à cet égard a donc été considérablement renforcée.
La loi prévoit aussi la remise au Parlement d'un rapport sur sa mise en oeuvre après deux ans d'application. Nous en profiterons donc pour nous assurer de l'effectivité et de l'efficacité de ces dispositifs légaux.
Enfin, je voudrais ajouter que ces sujets, et particulièrement celui de la prostitution des mineurs que vous évoquez, s'inscrivent pleinement dans le plan de protection de l'enfance qui sera présenté dans le courant de 2019 par ma collègue ministre des solidarités et de la santé.
Vous le voyez donc, tout le Gouvernement est mobilisé sur cette question cruciale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
DROITS DES FEMMES (II)
Mme la présidente . - La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Madame la secrétaire d'État, cela fait plus de quarante ans que des lois imposent comme principe essentiel l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Or, en 2018, l'écart salarial à poste égal est de 10 %. C'est une différence injustifiée et une véritable discrimination. Et c'est un échec collectif, vous venez de le souligner.
Il est bien sûr urgent de faire respecter la loi, mais c'est surtout en amont qu'il faut travailler à changer les mentalités, car si, pour la même tâche, une femme est payée moins cher qu'un homme, cela sous-entend qu'elle a moins de valeur. C'est le constat que nous faisons à la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, que préside ma collègue Annick Billon.
Tout le monde doit s'y mettre : Gouvernement, élus, partenaires sociaux, entreprises publiques et privées. Mais l'exemple doit venir du sommet de l'État.
Vous avez récemment déclaré, madame la secrétaire d'État, que, dans le monde professionnel, lorsqu'on cherche des femmes compétentes, on en trouve.
Pourriez-vous donc être notre porte-parole auprès du Président de la République, car, parmi les douze conseillers nommés auprès de lui, on ne compte qu'une seule femme ? (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Et, sur les cinquante-trois membres de son cabinet, on ne compte que treize femmes, soit 22 % ! (Mêmes mouvements.)
Montrons l'exemple ! Les mots doivent faire place aux actes. Le Président de la République a fait de l'égalité entre les hommes et les femmes la grande cause du quinquennat. Mais, au-delà des annonces, ce sont des actions que les Français attendent. Je reste sceptique quant à vos annonces, et nous serons extrêmement vigilants.
Madame la secrétaire d'État, vous engagez-vous à venir nous confirmer prochainement que vous avez modifié cet équilibre auprès du Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du tr avail. Madame la sénatrice Boulay-Espéronnier, vous évoquez deux sujets qui sont liés, et que je résume : comment faire le changement ?
Pour faire le changement, chacun doit s'impliquer à son niveau.
Le secteur public doit donner l'exemple. On pourrait penser que la tâche y est plus aisée, que les classifications et les statuts facilitent l'égalité, mais, dans les faits, l'accès aux carrières n'y est pas forcément le même pour les femmes et les pour les hommes : malgré les grands progrès qui ont été réalisés dans le passé, nous n'y sommes pas encore. C'est pourquoi nous avons prévu pour la fonction publique le grand plan que j'évoquais à l'instant, qui sera piloté par la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et le secrétaire d'État chargé de la fonction publique
Dans le secteur privé, vous avez raison, il faut non seulement adopter des mesures visant à encourager l'égalité, mais aussi faire prendre conscience aux dirigeants qu'il leur est indispensable de respecter la loi parce que c'est la loi, mais aussi parce qu'ils y ont tout intérêt, comme nous l'avons encore constaté ce matin dans l'entreprise Sodexo : les entreprises qui pratiquent une vraie parité et une vraie mixité à tous les niveaux - je dis bien à tous les niveaux -, sont plus innovantes, plus attractives pour les talents et plus performantes.
C'est pour cette raison que nous avons proposé aux partenaires sociaux - et nous allons en discuter - que, dans les sociétés cotées, les dirigeants aient à se prononcer tous les ans sur deux points.
Premièrement, ils devront délibérer sur le bilan de l'égalité salariale dans les entreprises. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Dans une logique de « comply or explain », c'est-à-dire « appliquer ou expliquer », il est difficile de justifier que cela ne fonctionne pas.
M. Gilbert Bouchet . - La réponse !
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Deuxièmement, ils devront s'expliquer sur la question de la mixité dans les « Top 100 ». (M. Jackie Pierre s'exclame.)
Sur cette question, le Gouvernement a fait un grand progrès : il ne vous aura pas échappé que la moitié du Gouvernement est composée de femmes - cela n'a pas toujours été le cas ! - ( Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et une grande partie des cabinets ministériels sont dès aujourd'hui paritaires.
M. François Bonhomme . - Vous êtes trop modeste !
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Pas tous, mais on oeuvre en ce sens. Il faut encore progresser, on ne dit pas qu'on est parfait.
Mme la présidente . - Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Mais cela se construit, et il faut le faire dans le secteur public comme dans le secteur privé. (MM. Martin Lévrier et François Patriat applaudissent.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour la réplique, en huit secondes.
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Il y a urgence ; on est au pied du mur ! On n'a pas le droit de dire qu'on ne peut pas être parfait. La preuve par l'exemple, voilà ce qui est important, madame la ministre ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
CONDITIONS DE DÉTENTION DES FEMMES
Mme la présidente . - La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Jocelyne Guidez . - Madame la garde des sceaux, en cette Journée internationale de la femme,...
Mme Éliane Assassi . - C'est la Journée internationale des droits des femmes !
Mme Jocelyne Guidez . - ... je veux appeler votre attention sur une population souvent oubliée et parfois abandonnée : les femmes incarcérées. Au 1 er janvier 2018, nous en comptions près de 3 000.
Dans un premier temps, je tiens à saluer la décision visant à installer, au mois de septembre prochain, une crèche pour accueillir les bébés à Fleury-Mérogis. Cette mesure de bon sens mérite d'être généralisée.
Cependant, comme un arbre qui cache la forêt, cette bonne nouvelle masque une situation plus contrastée. Les défis à relever sont encore immenses, en particulier pour ce qui concerne les conditions de détention des femmes.
En effet, dans certains établissements, notamment à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, un accès limité et non quotidien aux douches est à déplorer, tandis que les hommes ont des douches à leur disposition dans leur cellule. Cette triste réalité conduit le personnel soignant à prescrire des « douches médicales ». Cette inégalité de fait est inacceptable.
Par ailleurs, d'autres difficultés sont à souligner : les faibles activités proposées, qui sont souvent limitées aux seules activités ménagères ; la localisation géographique des établissements, complexifiant ainsi le maintien des liens familiaux ; sans oublier l'accès aux soins, notamment les soins gynécologiques.
Comme l'a si bien rappelé la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son avis du 25 janvier 2016, « le principe d'égalité entre les hommes et les femmes doit s'appliquer dans l'intégralité de la société, celle du «dehors» comme celle du «dedans», et les personnes privées de liberté doivent également en bénéficier sans restriction ».
Mes chers collègues, il y a donc urgence !
En conclusion, les exigences en matière d'égalité et de respect de la dignité humaine ne peuvent nous laisser insensibles.
Madame la garde des sceaux, comment le Gouvernement entend-il pallier ces injustices ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Madame la sénatrice, il m'est difficile de répondre à votre question sans penser à Olympe de Gouges et à sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Au fond, si, aujourd'hui, nous parlons ici, vous, moi-même et tant d'autres, c'est aussi parce qu'elle a dit : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Mais je pense plus précisément à elle parce qu'elle a également explicité dans cette même déclaration que la rigueur de la loi pénale devait s'appliquer de la même manière aux hommes et aux femmes ; c'est une autre version du principe d'égalité.
Or la question que vous soulevez a précisément à voir avec ce principe d'égalité. Aujourd'hui, vous le savez, les femmes sont certes évidemment moins nombreuses que les hommes en détention - 3 000, avez-vous dit, sur 70 000 détenus, mais ce chiffre s'accroît constamment. Nous leur devons à la fois la dignité, le suivi du parcours de détention et la sécurité, bien sûr, pour la société, comme à tout détenu.
Nous héritons d'une situation que nous devons prendre en charge et à laquelle nous devons bien entendu trouver des réponses.
Cette situation est de nature immobilière. Vous l'avez relevé, à juste titre, les quartiers des femmes sont souvent situés dans des endroits vétustes - c'est aussi certes le cas pour les hommes, mais cela vaut particulièrement pour les femmes. Nous devons donc améliorer cet état de fait.
Par ailleurs, nous devons prendre en charge les questions spécifiques aux femmes, c'est-à-dire assurer le suivi, lorsque cela s'avère nécessaire, en période d'accouchement, puis dans les cellules mères-enfants le temps où les enfants leur sont laissés et nous préoccuper, enfin, du lien avec la famille bien entendu et de la réinsertion. Il convient donc d'opérer des évolutions majeures ; nous le savons et nous les prendrons en charge, dans le cadre de la réponse apportée il y a deux jours par le Président de la République à Agen.
Nous apporterons des réponses de nature immobilière. Je puis d'ores et déjà vous indiquer que, dans le nouvel établissement pénitentiaire qui ouvrira en 2020 à Lutterbach, un lieu sera réservé aux femmes, avec des conditions d'accueil tout à fait décentes.
Mme la présidente . - Merci, madame la garde des sceaux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . - Nous multiplierons ce type de réponses sur l'ensemble du territoire. ( Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur plusieurs travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. - M. Loïc Hervé applaudit également.)
MERCOSUR ET VETO CLIMATIQUE
Mme la présidente . - La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. - Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Dantec . - Ma question s'adresse à M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Une commission indépendante composée d'experts, mandatée par le Premier ministre et présidée par l'économiste Katheline Schubert, a remis, en septembre dernier, au Gouvernement un rapport l'alertant sur les impacts environnementaux, climatiques et sanitaires de l'Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada, le fameux CETA.
Confirmant en partie les craintes qui s'étaient exprimées, les rapporteurs ont fait preuve d'inventivité en proposant la création d'un « veto climatique » face aux impacts de certaines dispositions envisagées quand les objectifs en matière de respect des enjeux liés au développement durable et des accords climatiques ne sont pas respectés et sont « loin d'être atteints ».
À la suite de ces recommandations, vous avez, monsieur le ministre d'État, intégré le principe du veto climatique dans le plan d'action du Gouvernement sur le CETA, sans toutefois en donner les conditions juridiques d'opérationnalité, ce qui a entraîné le scepticisme des ONG environnementales.
Aujourd'hui, les discussions sur les échanges commerciaux avec l'Amérique latine sont en cours dans le cadre du Mercosur. De nombreuses questions de compatibilité des modes de production et de consommation entre les parties prenantes sont là encore au coeur des débats, notamment concernant l'agriculture, et plus particulièrement l'élevage bovin. Le groupe radical du Sénat a d'ailleurs déposé une proposition de résolution, portée par le président Requier, sur ce volet.
Nous pouvons aussi aisément ajouter aux impacts sur l'économie de la viande bovine en France et en Europe les conséquences en termes climatiques, puisque cette production est, nous le savons, fortement émettrice de gaz à effet de serre et responsable de déforestation.
Monsieur le ministre d'État, nous partageons, me semble-t-il, la conviction que les négociations commerciales sont un des principaux leviers de mise en oeuvre de l'accord de Paris sur le climat. Je souhaite donc vous poser une double question.
Premièrement, avez-vous défini les critères d'instauration du veto climatique, dont l'utilisation a été recommandée dans le cadre de ce rapport ? Deuxièmement, pourrait-on envisager que ce veto s'applique dans le cadre du Mercosur...
Mme la présidente . - Merci !
M. Ronan Dantec . - ... si celui-ci entraîne, comme le CETA, des risques de fragilisation des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente . - La parole est à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Ronan Dantec, je rêve d'un temps que j'espère proche où l'on parlera non plus d'accord ou de traité de libre-échange, mais d'accord ou de traité de juste échange.
Vous m'interrogez, monsieur le sénateur, à juste titre - vous savez que je partage votre préoccupation - sur la mise en oeuvre du veto climatique dans le cadre du CETA et sur la prise en compte environnementale - ce point fait partie de la même réflexion - dans les accords commerciaux, notamment dans le cadre du Mercosur.
Pour ma part, je me fie aux propos du Président de la République et je fais mienne la ligne qu'il a définie : en matière de politique commerciale, on ne bradera ni nos intérêts ni nos valeurs et évidemment encore moins la planète.
Concernant le veto climatique dans le cadre du CETA, la Commission européenne - où j'étais encore récemment - s'est déclarée prête - il faut prendre en compte cette donnée avec prudence - à travailler à sa mise en place ; c'est une première avancée. Concrètement, cela prendrait la forme d'une nouvelle déclaration juridique interprétative, qui devrait être adossée à la partie consacrée aux investissements du CETA, mais il nous faut encore obtenir l'accord du Conseil avant de pouvoir finaliser le dispositif avec le Canada. Je ne vous le cache pas, nous devrons faire durant le printemps un véritable travail de conviction à la fois auprès de nos partenaires européens et évidemment de nos amis canadiens.
S'agissant du Mercosur, vous avez probablement entendu le Président de la République déclarer très clairement devant les jeunes agriculteurs le 22 février dernier : il y a des lignes rouges en matière d'indications géographiques, sanitaire et phytosanitaire, mais aussi de respect de l'accord de Paris. C'est bien parce que ces lignes rouges ont été affirmées que l'accord n'a pas encore été conclu. Le Président de la République avait alors aussi rappelé que l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur n'entrerait pas en vigueur tant que l'Union n'aura pas renforcé ses normes sanitaires et environnementales et que l'on n'aura pas obtenu de garanties quant au respect de ces normes. La France s'opposera à la mise en oeuvre du Mercosur si ce travail n'est pas fait en amont. L'accord n'entrera donc pas en vigueur si nous n'avons pas satisfaction sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur plusieurs travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
FORMATION PROFESSIONNELLE
Mme la présidente . - La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yves Daudigny . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre du travail.
Madame la ministre, la formation professionnelle est la pierre angulaire de la lutte contre le chômage et du renforcement de la compétitivité des entreprises.
La volonté, louable, de réformer la formation professionnelle n'est pas nouvelle : l'atteste la création du compte personnel de formation, le CPF, sous le précédent gouvernement.
Votre projet contient certaines avancées pour les travailleurs, j'en conviens : droit à la formation accru pour les salariés faiblement qualifiés, création d'un compte personnel de formation de transition, par exemple. Mais il est aussi porteur d'interrogations, d'inquiétudes, de défiance, de regrets.
D'abord, sur la méthode d'un big-bang, au moins pour le volet gouvernance, proposé de manière unilatérale, sans concertation, des inquiétudes sont nées, au premier rang desquelles la monétisation du CPF. Comment ne pas craindre un affaiblissement du droit à la formation de certains salariés ? Les 500 euros d'aujourd'hui ou de demain suffiront-ils à financer les 20 heures de formation d'hier, et ce dans tous les territoires ?
Ensuite, nous nous interrogeons sur la place des régions dans la gouvernance de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi.
Votre projet opère un transfert des organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, vers l'URSSAF. Ce dernier organisme ne doit pas conduire à écarter les branches professionnelles ni les organisations syndicales de la définition des besoins en compétence. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
La réforme, enfin, va dans le sens de l'individualisation. Mais la formation professionnelle ne peut se réduire à « un clic » via une application mobile. Ces éléments ne doivent pas entraîner une régression de l'accompagnement du salarié dans l'exercice de son droit à la formation.
Madame la ministre, le big-bang annoncé sera-t-il à la hauteur des attentes sociales et des mutations de notre économie ? Le doute est permis quand ni les chômeurs de longue durée, ni les travailleurs handicapés, ni les indépendants n'y ont trouvé place. ( Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain .)
Mme la présidente . - La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Daudigny, l'enjeu que nous avons en matière de formation professionnelle est aujourd'hui double.
Notre système, qui constituait une grande avancée - la France était en avance dans les années soixante-dix et quatre-vingt -, est aujourd'hui en échec dans le domaine de l'égalité des chances. En effet, il n'est pas juste : les ouvriers et les employés ont deux fois moins de chances de se former que les cadres, alors qu'ils n'ont pas moins de besoins ; seul un chômeur sur dix a accès à la formation chaque année ; les salariés des petites et moyennes entreprises ont deux fois moins de chances de se former que ceux des grandes entreprises ; 500 000 travailleurs handicapés sont au chômage, faute de qualifications pour la plupart d'entre eux, parce qu'ils en ont eu peu dans le cadre de leur formation initiale et n'en ont toujours pas en formation continue, et je pourrais continuer ainsi la liste.
Si l'on ne change pas radicalement quelque chose dans notre système de formation professionnelle, nous ferons le même constat sur le plan social : le train de la croissance va reprendre, entraînant des créations d'emplois, et une grande partie de nos concitoyens ne pourront pas monter dans ce train parce qu'ils n'auront pas les compétences nécessaires.
Du côté des petites et moyennes entreprises, là non plus le compte n'y est pas. Avec les transformations majeures à venir, à savoir la transition écologique et la transformation numérique - tous les métiers sont concernés -, on estime que, dans les dix ans à venir, 50 % des métiers vont être profondément transformés. Là encore, si l'on n'inverse pas les choses, si l'on ne donne pas la priorité aux TPME, les très petites ou moyennes entreprises, celles-ci vivront dans dix ou vingt ans des désastres, alors qu'elles constituent notre terreau économique rural.
Pour ces raisons, j'ai salué l'accord des partenaires sociaux sur les droits des salariés, qui va beaucoup plus loin : les salariés auront plus de droits. Dans le même temps, nous le savons, aujourd'hui, le système n'aide pas les petites entreprises, ni les moins qualifiés pour nombre de raisons qu'il serait trop long de vous exposer maintenant, mais que j'aurai l'honneur de vous présenter lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ; nous pourrons alors entrer dans le détail du dispositif.
Pour conclure, je veux dire que l'unité en euros est plus juste : une caissière de supermarché aura le même droit à la formation qu'un ingénieur. Et je vous en convaincrai, j'en suis certaine. ( Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen .)
REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE
Mme la présidente . - La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - MM. Jean-Claude Luche et Olivier Cigolotti applaudissent également.)
M. Max Brisson . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Depuis dimanche dernier, l'Italie observe au Palais du Quirinal le président Sergio Mattarella tenter de dénouer le noeud gordien issu des urnes... Tout comme la France observait il y a soixante ans le président René Coty à l'Élysée.
C'était chez nous le temps de la proportionnelle avec ses majorités éphémères, construites sur des compromis de couloir. C'était le temps où l'on changeait de gouvernement tous les cinq mois.
Aujourd'hui encore, il y a des pays sans exécutif, avec un gouvernement sortant qui expédie les affaires courantes. Cette situation a duré des mois en Belgique en 2007 et en 2010 ; des mois en Espagne voilà deux ans, cinq mois en Allemagne récemment, et c'est désormais au tour de l'Italie.
Car, au-delà des formes multiples que prennent, dans chaque pays, les expressions extrêmes ou démagogiques, il existe, monsieur le Premier ministre, un dénominateur commun à tous ces exemples : la proportionnelle intégrale ou partielle. (Mme Brigitte Lherbier et M. Jacques Genest applaudissent.)
Grâce au général de Gaulle et aux pères fondateurs de la V e République, les Français élisent, quant à eux, leurs députés au scrutin majoritaire à deux tours. Ils bénéficient en retour de majorités claires et stables.
Monsieur le Premier ministre, au vu des situations vécues par nos voisins et amis, le Gouvernement est-il toujours enclin à introduire une dose substantielle de proportionnelle ? Peut-il prendre le risque d'ajouter à terme aux difficultés économiques du pays une crise politique ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. - M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente . La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur la révision constitutionnelle à venir concernant à la fois le nombre de parlementaires et le mode de scrutin qui permettra de désigner les parlementaires représentant le peuple.
M. Philippe Bas. La question porte seulement sur le mode de scrutin !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Vous avez commencé votre propos en parlant de l'Italie et en mentionnant René Coty. Sachez que cette allusion va droit au coeur du Havrais que je suis, car il était Havrais.
Vous avez ensuite évoqué le risque politique qui, selon vous, s'attache au blocage institutionnel et serait nécessairement lié au scrutin proportionnel.
Le débat entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel est ancien. Je me permets de vous faire observer, monsieur le sénateur, que la V e République elle-même a vécu pendant un temps avec un scrutin proportionnel intégral.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains . Merci Mitterrand !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Si l'on peut s'interroger sur les décisions qui ont été prises par les majorités issues de ces scrutins, personne, monsieur le sénateur - et certainement pas le Sénat ! -, aucun citoyen de bonne foi ne peut dire que les institutions auraient été pendant ces années-là bloquées. En aucune façon !
Je me permets également de vous faire observer, monsieur le sénateur, qu'il est arrivé que des majorités relatives gouvernent sous la V e République, et ce n'était pas lorsque le scrutin proportionnel intégral était en vigueur. (M. François Bonhomme s'exclame.)
M. Jean-Pierre Sueur . C'est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Comme quoi, vous le savez parfaitement, monsieur le sénateur, les choses sont parfois un peu plus compliquées que ce qu'elles donnent à voir.
Je me permets enfin de vous faire remarquer que le système allemand, qui repose sur la proportionnelle, a permis le renouvellement pendant plusieurs mandats des mêmes majorités ( Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) , des majorités stables sous Helmut Kohl, sous Gerhard Schröder et sous Angela Merkel.
M. François Grosdidier . Ce n'est plus le cas aujourd'hui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Ces majorités ont permis, reconnaissons-le, une action publique cohérente, courageuse et continue.
Si je vous dis cela, monsieur le sénateur, c'est parce que le Président de la République s'est engagé pendant sa campagne à introduire une dose de proportionnelle dans la désignation des députés. Je relève d'ailleurs que la dose de proportionnelle existe au Sénat, et je n'ai pas compris que vous proposiez de revenir sur ce point.
Pourquoi introduire une dose de proportionnelle pour l'élection des députés ? Pour permettre à des pans assez larges de la population française et des électeurs français d'avoir la garantie d'être représentés au sein de l'Assemblée nationale. Une dose de proportionnelle comprise entre 10 % et 25 % : telle est la proposition qui a été faite. Entre 10 % et 25 % - M. de La Palice n'aurait pas dit mieux -, cela veut dire que le scrutin majoritaire prévaudra entre 75 % et 90 %. Je ne crois pas qu'avec une telle modification nous remettions en cause la logique des institutions.
M. François Bonhomme . Si !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Vous avez parfaitement le droit de le penser !
Je ne pense pas que l'introduction de 10 %, 15 %, 20 % ou 25 % de proportionnelle soit de nature à remettre en cause les institutions ; en témoigne la proportionnelle intégrale en 1986, qui n'avait d'ailleurs pas empêché le Sénat de fonctionner.
Autrement dit, je me réjouis que nous ayons bientôt cette discussion sur la révision constitutionnelle - le Gouvernement y est bien sûr prêt -, car elle sera utile et intéressante. Comme vous, je crois que tenir les engagements de campagne qui ont été pris a une valeur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente . La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique, en trente-trois secondes.
M. Max Brisson . Monsieur le Premier ministre, lorsque les exemples venus de l'étranger sont bons, il faut les suivre. Lorsqu'ils ne le sont pas, il faut les fuir. Sachons aussi tirer les leçons de l'Histoire.
La V e République a assuré la stabilité politique en France. C'est l'un des legs les plus précieux du général de Gaulle. Revenir au scrutin proportionnel, c'est le retour au vieux monde, celui de l'instabilité politique, celui des tractations entre appareils politiciens comme « au bon vieux temps » du régime des partis. Le scrutin majoritaire est indissociable de la logique de nos institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - Mme Nadia Sollogoub ainsi que MM. Jean-Claude Luche et Olivier Cigolotti applaudissent également.)
PSYCHIATRIE EN FRANCE
Mme la présidente . La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains.
Mme Florence Lassarade . Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et porte sur la situation de la psychiatrie.
Lors de sa visite du Centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, du 8 au 15 janvier 2018, la Contrôleur général des lieux de privation de liberté a constaté des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans cet établissement. Elle a observé des conditions d'accueil indignes au sein du service des urgences générales, des pratiques abusives d'isolement et de contention dans les unités d'hospitalisation complète, ainsi qu'un défaut d'information des patients sur leurs droits.
La Contrôleur déplore que « les conditions de vie de certaines personnes hospitalisées constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Cette situation s'explique par le manque de places d'hospitalisation dans les services de psychiatrie. Elle n'est pas exceptionnelle, mais plutôt symptomatique des difficultés qui touchent la psychiatrie en France. Elle est la conséquence de plusieurs paramètres bien identifiés : la baisse des moyens alloués aux services de psychiatrie et le problème de la formation.
En trente ans, le nombre de lits dans ces services a été divisé par deux. Mille postes de psychiatres restent vacants, et la spécialité d'infirmier psychiatrique a disparu depuis les années quatre-vingt-dix.
Conformément à la loi, Mme la ministre des solidarités et de la santé a été destinataire de ces recommandations. Un délai de trois semaines a été donné pour y répondre. Or, à l'issue de ce délai, aucune réponse de l'autorité compétente n'est parvenue.
Monsieur le Premier ministre, quelles mesures allez-vous mettre en oeuvre pour pallier ces dysfonctionnements et améliorer les conditions des services de psychiatrie ?
Mme la présidente . La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . Madame la sénatrice Lassarade, vous soulevez un sujet qui nous concerne tous. Aujourd'hui, selon l'Organisation mondiale de la santé, une personne sur quatre sera touchée de troubles psychiques à un moment de sa vie d'ici à 2020. À regarder notre entourage, ce sujet de santé publique est un sujet majeur.
Pourtant, cette question n'est pas nouvelle : elle remonte au XVII e siècle, avec l'apparition de la médecine de l'âme. Comme les questions d'aujourd'hui mettent en avant les femmes, permettez-moi de citer Madeleine Pelletier qui, en 1906, a été la première femme psychiatre. Cette féministe militante absolument convaincue disait qu'une femme doit être un individu avant d'être un sexe.
Au-delà de cette référence, je veux dire que Mme Buzyn, qui est retenue à l'Assemblée nationale, a souhaité faire de la question des troubles psychiques l'un des combats majeurs de notre organisation nationale de santé. Elle assurera personnellement la présidence de l'instance nationale, le comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale. Elle souhaite, au nom du Gouvernement, apporter une réponse en deux temps, avec douze mesures d'urgence et des mesures de plus long terme.
Pour ce faire, il faut évidemment mobiliser tous les acteurs concernés, la formation, la recherche, notamment pour renforcer le repérage le plus précoce possible des pathologies. C'est ainsi, par la prévention, que l'on évitera de se retrouver dans les situations que vous avez évoquées et que je ne nie pas.
Il faut aller plus loin ; la psychiatrie est inscrite comme l'une des thématiques prioritaires du programme hospitalier de recherche clinique pour 2018. Il est évident que la recherche française doit être accompagnée, afin de continuer à progresser sur ce sujet. En même temps, il faut que nous trouvions des réponses territorialement adaptées pour accompagner et préserver l'autonomie de ceux qui sont à leur domicile.
Cet ensemble de mesures doit nous permettre de mieux prendre en compte cette réalité, une réalité du quotidien pour beaucoup d'entre nous. (MM. Martin Lévrier et André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente . La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique, en vingt-deux secondes.
Mme Florence Lassarade . Monsieur le secrétaire d'État, le plan de mesures d'urgence en faveur de la psychiatrie doit être accompagné d'une ambition jupitérienne (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) au niveau des moyens matériels et humains. À défaut d'une véritable volonté politique, la situation risque encore de s'aggraver. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - Mmes Sylvie Goy-Chavent, Nadia Sollogoub et Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)
AGENCE POUR L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER
Mme la présidente . La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Le Gleut . Ma question s'adresse à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Le rayonnement de la France dans le monde passe par nos écoles, nos collèges, nos lycées français à l'étranger. Or votre gouvernement procède à des coupes claires et d'une violence inouïe à l'encontre de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, qui concerne 495 établissements scolaires répartis dans 137 pays et scolarise 342 000 élèves dans le monde.
En effet, en coupant de 33 millions d'euros, c'est-à-dire 10 % du budget de l'Agence, brutalement, sans concertation, sans méthode, vous fragilisez, vous mettez en danger l'avenir de nos écoles françaises à l'étranger, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, vous supprimez 512 postes sur trois ans, dont 180 dès la rentrée. Or il est très compliqué de recruter un enseignant de sciences physiques de terminale S parfaitement francophone à l'autre bout du monde.
Deuxièmement, vous augmentez de 6 % à 9 % les remontées de frais de scolarité vers Paris, ce qui va entraîner des déconventionnements.
Troisièmement, enfin, les frais de scolarité sont déjà extrêmement élevés : ils sont compris entre 5 000 et 10 000 euros par an en moyenne et par enfant. Vous faites courir le risque que ces frais augmentent encore à la rentrée.
Aussi, ma question est simple : votre politique consiste-t-elle à démanteler le réseau des écoles françaises à l'étranger ou bien allez-vous changer de politique et faire ce qu'il conviendrait de faire, c'est-à-dire vous battre pour nos écoles et nos lycées français à l'étranger, qui sont le fer de lance de la francophonie, qui incarnent la voix de la France dans le monde (Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit.) et qui, d'une certaine manière, à l'image de ce que disait le général de Gaulle, incarnent « une certaine idée de la France » ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. - Mme Nelly Tocqueville applaudit également.)
Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Le Gleut, le réseau de l'AEFE est exceptionnel, avec 350 000 élèves scolarisés à travers le monde dans 492 établissements. Il assure deux missions : une mission de service public pour les enfants de nos compatriotes installés à l'étranger et une mission d'influence puisque deux tiers des enfants qui y sont scolarisés sont étrangers.
En termes budgétaires, c'est la première priorité (Protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains.) de notre diplomatie d'influence, avec 60 % du programme 185, et cela va le demeurer.
M. François Grosdidier . Vous faites le contraire !
Mme Nathalie Loiseau, ministre . Oui, en 2017, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a fortement contribué aux annulations de crédits rendues nécessaires par l'état de nos finances publiques. Au total, 282 millions d'euros ont été annulés, dont 33 millions d'euros, c'est vrai, ont porté sur l'AEFE. Dans ce contexte, j'entends comme vous les inquiétudes exprimées, mais je voudrais vous rassurer.
Je rappelle d'abord l'engagement du Président de la République, qui a salué devant l'Assemblée des Français de l'étranger (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) le travail de l'AEFE et de ses personnels. Il a confirmé que ses crédits seraient préservés en 2018 et en 2019. J'ajoute qu'une dotation exceptionnelle de 14 millions d'euros a été ajoutée pour des questions de sécurité. (M. Ladislas Poniatowski s'exclame.)
J'indique également que le Président de la République a demandé au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de lui présenter, en lien avec le ministre de l'éducation nationale, des propositions à l'été pour réformer l'Agence. La situation budgétaire de celle-ci l'exige, afin de pouvoir consolider le modèle des lycées français à l'étranger, auquel nous sommes profondément attachés.
M. François Grosdidier . Les moyens d'abord !
Mme Nathalie Loiseau, ministre . Cette stabilité budgétaire doit permettre de conforter l'AEFE dans la durée, sur la base d'une stratégie à la hauteur des deux grands défis que rencontre notre réseau : poursuivre sa mission de scolarisation des élèves français, d'une part, et contribuer à notre influence...
Mme la présidente . Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Nathalie Loiseau, ministre . ... au travers de la promotion de notre modèle éducatif partout dans le monde, d'autre part. (MM. Martin Lévrier et Abdallah Hassani applaudissent.)
Mme la présidente . La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique, en onze secondes.
M. Ronan Le Gleut . Madame la ministre, il y a les paroles et il y a les actes : quand on retire 33 millions d'euros à l'Agence, 10 % de son budget, on ne défend pas l'enseignement français à l'étranger. Mettez en conformité vos actes avec vos paroles ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe Union Centriste.)
SITUATION À MAYOTTE
Mme la présidente . La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi . Monsieur le Premier ministre, voilà plus de trois semaines que la population de Mayotte, lasse des violences au quotidien, manifeste contre l'insécurité, bloque les routes. Les fonctionnaires et les transporteurs exercent leur droit de retrait. Les services municipaux et départementaux sont fermés, en solidarité.
La journée d'hier a été marquée par une forte mobilisation populaire.
Il ne s'agit pas seulement des caillassages dont sont victimes les lycéens, des agressions sur les routes, dans les villages et les maisons, ni de l'insuffisance de la réponse pénale.
Les violences, c'est aussi l'embolie du système éducatif ; ce sont, dans un contexte de forte pression migratoire, les difficultés considérables d'accès aux soins, le manque de logements décents, la faiblesse des infrastructures, l'absence des services et de l'encadrement qui existent partout ailleurs en France.
La maternité de Mamoudzou est celle qui enregistre le plus de naissances en France. Quel avenir les parents qui ont défilé en si grand nombre hier peuvent-ils offrir à leurs enfants sur un territoire où la moitié de la population a moins de dix-huit ans ?
Des premières mesures ont été annoncées, dont le renforcement des forces de l'ordre, la création d'une brigade de prévention de la délinquance juvénile et un plan de sécurisation des établissements et des transports scolaires.
Madame la ministre des outre-mer a affirmé avec justesse que la seule réponse sécuritaire ne suffisait plus et propose la tenue d'une conférence pour l'avenir de Mayotte, après les résultats des assises. Vous comprendrez bien que la population ne puisse pas attendre jusque-là, car les besoins sont connus et appellent des mesures urgentes, globales et concrètes.
Tiendrez-vous compte des propositions adressées au Président de la République par l'ensemble des forces vives du département, qui appellent unanimement à un plan de développement ambitieux ?
Monsieur le Premier ministre, le groupe La République En Marche et les sénateurs mahorais, en cette journée particulière où, dans mon département, on se souvient de la lutte des chatouilleuses pour le choix de la France, vous le demandent solennellement : que répondez-vous à ceux qui pensent que la République a abandonné Mayotte ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente . La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, les Mahorais font entendre leur colère : ils sont inquiets pour leur sécurité, en premier lieu pour celle de leurs enfants, pour la sécurité dans les écoles.
Ils attendent des réponses. La première consiste évidemment à sécuriser les écoles, dès la rentrée de lundi prochain.
Toutes les dispositions ont été prises pour qu'aucun élève, aucun enseignant ni aucun agent travaillant dans les établissements ne soit menacé : trois escadrons de gendarmerie mobile sont en cours de déploiement sur l'île, ainsi que des agents de sécurité et des médiateurs de l'éducation nationale ; des forces supplémentaires arriveront mardi. Avec Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, nous avons prévu une mobilisation totale des forces de l'ordre.
Cela n'est toutefois pas suffisant - vous avez raison. Il faut aller plus loin, car nos compatriotes attendent des réponses à la fois urgentes et rapides en matière de sécurité, mais aussi de lutte contre l'immigration clandestine, de santé, de logement et de transport.
Des réponses rapides et urgentes, monsieur le sénateur, à des problèmes qui ne sont pas récents. Je me suis procuré les chiffres, que j'ignorais, de l'explosion démographique que connaît Mayotte. Probablement trop méconnus, ils soulignent très clairement la difficulté considérable que nous avons à être à la hauteur de ces enjeux.
Ces chiffres, monsieur le sénateur, vous les connaissez bien, mais permettez-moi d'en mentionner quelques-uns pour l'ensemble de la représentation nationale : en 1918, voilà un siècle, Mayotte comptait un peu moins de 15 000 habitants ; en 1958, à l'avènement de la V e République, l'île en comptait légèrement plus de 67 000 ; en 2002, 160 000, en 2007, 186 000 et en 2012, 212 000 ; en 2017, il y avait 254 000 habitants à Mayotte.
La vérité, monsieur le sénateur, vous la connaissez parfaitement, pour la vivre : l'explosion démographique à Mayotte, sous l'effet à la fois de l'augmentation du solde naturel et de l'immigration clandestine, est absolument considérable et tout à fait sans équivalent. En termes d'équipements publics, elle impose un effort véritablement inouï.
Je ne veux pas dire, monsieur le sénateur, que rien ne pourrait être fait ; simplement, je crois utile de rappeler que le mécontentement qui s'exprime aujourd'hui, et qui doit être entendu, parce qu'il est légitime, ne naît pas d'une situation récente, mais de la construction d'une situation qui donne le sentiment de ne plus être maîtrisable.
Comment nous proposons-nous d'y apporter des réponses ? En travaillant avec les élus sur l'organisation institutionnelle et l'organisation des politiques publiques qui permettent de définir des solutions.
Nous voyons bien la question, que vous avez mentionnée, de la maternité, qui enregistre plus de 10 000 naissances par an, soit deux fois plus que la plus grande maternité parisienne. Comment traiter cette question ? Doit-on s'autoriser à travailler sur un nouveau statut de cette maternité ? Réfléchir aux transformations qu'il faudrait opérer en matière de droit et d'accès à la nationalité à cet endroit ?
M. Christian Cambon . Voilà !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Je mets tout sur la table, monsieur le sénateur, mais je veux dire que les appels au « décasage », non plus que les barrières ou les barrages qui seraient installés sur les routes, n'apporteront rien aux habitants de Mayotte (M. Guillaume Arnell s'exclame.) : ils ne permettront rien !
Notre objectif est de travailler avec les élus, et Mme la ministre des outre-mer se rendra sur place pour installer la conférence que nous voulons lancer avec eux. Il nous faudra formuler des propositions en assumant les difficultés spécifiques auxquelles est confronté ce cent unième département français.
Pour terminer, monsieur le sénateur, je voudrais dire un mot en réponse aux élus, aux maires, que j'ai entendus exprimer leur intention de ne pas participer à l'organisation des élections législatives, dont la date a été fixée. Je ne crois pas une seconde que des maires, des élus de la République, puissent entrer dans un jeu consistant à ne pas participer à l'organisation d'un scrutin national. L'État prendra toutes ses responsabilités, car il n'est pas envisageable que des élections législatives ne se tiennent pas à la date prévue ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Union Centriste. - M. Robert del Picchia applaudit également.)
Mme la présidente . Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d'actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 13 mars, à seize heures quarante-cinq ; elles seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat, ainsi que sur Facebook .
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
Échange de vues sur l'organisation de la rencontre du 8 mars 2018 avec des élues (extrait du compte rendu de la réunion)
Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous informer qu'à la suite de la démission de notre collègue Christine Herzog, Claudine Kauffmann, que je salue, est membre de la délégation depuis le 30 janvier. Je souhaite donc à notre nouvelle collègue la bienvenue à la délégation aux droits des femmes.
Il m'a paru nécessaire de nous réunir pour faire le point sur notre événement du 8 mars.
Un rappel, tout d'abord : comme je l'ai indiqué en ouvrant deux précédentes réunions, nous aurions dû aujourd'hui auditionner Sophie Cluzel, secrétaire d'État aux personnes handicapées, dans le cadre de notre projet de rapport sur les femmes handicapées victimes de violences, « angle mort » de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes.
J'ai pris l'initiative de reporter cette audition, ainsi que l'élaboration de ce rapport, en raison du décès, le 25 décembre 2017, de Maudy Piot, présidente et fondatrice de l'association de référence, Femmes pour le dire, femmes pour agir . J'ai transmis les condoléances de la délégation à l'association et je vous propose de reporter notre travail sur les femmes handicapées victimes de violences jusqu'à ce que cette association se soit adaptée au contexte issu du décès de sa fondatrice, universellement regrettée.
Peut-être pourrions-nous à l'occasion du 25 novembre 2018, consacrer une table ronde à ce sujet des violences faites aux femmes handicapées. Notre rapport s'inspirerait principalement de cette table ronde. Nous en reparlerons le moment venu.
Françoise Laborde . - J'approuve tout à fait ce projet.
Martin Lévrier . - J'y suis très favorable également.
Laurence Rossignol . - S'agissant de cette table ronde, il faut constater que peu d'associations se sont approprié le problème des violences faites aux femmes en situation de handicap. Peut-être faudrait-il y convier non seulement des associations spécialisées dans la défense des droits des femmes, mais aussi des associations représentant les personnes en situation de handicap, pour les inciter à prendre en charge ce sujet et faire en sorte que celui-ci ne soit plus « isolé ».
Françoise Laborde . - Nous savons combien la situation actuelle dans les EHPAD est difficile. Or le vieillissement, c'est aussi le vieillissement en situation de handicap. Le 25 novembre, nous aurons probablement du recul par rapport à la crise actuelle des EHPAD et nous pourrons peut-être élargir notre table ronde à cette problématique.
Annick Billon, présidente . - Je prends note de cette suggestion, chère collègue.
J'en viens à la matinée du 8 mars. Tous les ans, notre délégation organise un événement à l'occasion du 8 mars. Il est important que les membres de la délégation qui ne nous ont pas encore adressé leur liste d'invitées le fassent très rapidement, pour la bonne organisation de cette manifestation. J'attire l'attention de nos nouveaux collègues sur le fait que, pour nos invitées des territoires, c'est le moyen de découvrir le Sénat non pas avec une visite classique (encore que ce soit toujours très apprécié aussi), mais avec un échange de fond qui nous permet de faire rayonner notre travail. C'est unique ! Nos invitées en gardent un très bon souvenir.
Maryvonne Blondin . - En effet ! Par exemple, les agricultrices que nous avons invitées l'an dernier à participer au colloque de la délégation ont nourri leurs réseaux des rencontres qu'elles ont faites au Sénat, elles s'y réfèrent à nos travaux. J'en ai encore eu très récemment un écho lors des voeux de la Chambre d'agriculture et de la Chambre des métiers de mon département : notre colloque et notre rapport d'information sur les agricultrices y ont été rappelés. C'est très gratifiant.
Annick Billon, présidente . - C'est tout à fait vrai, j'ai fait le même constat en Vendée. Les agricultrices de ce département, que nous avons rencontrées lors de la préparation de ce rapport, se le sont approprié. C'est bon signe !
Laurence Rossignol . - Avant mon élection, en septembre 2017, j'ai souhaité créer un réseau de femmes élues, tous courants politiques confondus. C'est pourquoi la participation de Julia Mouzon à notre rencontre du 8 mars me semble importante. Sa structure, elle aussi, est apolitique. Une journée comme celle du 8 mars nous permettra de créer des synergies entre les projets que nous menons aux niveaux local et national.
Annick Billon, présidente . - En fonction du contexte local, cela peut être plus ou moins bien reçu. Ce type d'initiative a tout à gagner à être soutenu par les hommes...
Max Brisson . - C'est certain !
Martin Lévrier . - Bien sûr !
Annick Billon, présidente . - Vous avez dans vos dossiers le projet de programme que je vous soumets. Nous pouvons nous réjouir que notre président, Gérard Larcher, ait bien voulu inscrire à son agenda l'ouverture de cette manifestation (la photo de nos invitées avec le président du Sénat est toujours un moment important), que l'historienne Michelle Perrot ait accepté d'intervenir et que Julia Mouzon vienne nous présenter le réseau Élueslocales.fr dont elle est la fondatrice.
Céline Boulay-Espéronnier . - Je trouve ce programme très intéressant !
Annick Billon, présidente . - Nous devons discuter entre nous ce matin des deux thématiques qui rythmeront cette matinée. Environ une heure d'échanges pourra être consacrée à chacune.
Que penseriez-vous de commencer par un échange sur les besoin en formation des élues ? Je constate que ce sujet suscite de l'intérêt... J'ai l'impression que nous pouvons considérer qu'il est adopté.
S'agissant de la seconde séquence, Laurence Rossignol, que je remercie pour cette initiative, avait suggéré de débattre de la mise en oeuvre, dans les territoires, des politiques d'égalité par les femmes élues. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous d'autres propositions ?
Céline Boulay-Espéronnier . - Quels seraient concrètement les sujets à aborder ?
Laurence Rossignol . - L'article 61 de la loi du 4 août 2014 oblige les collectivités à élaborer chaque année un rapport spécifique sur la situation en matière d'égalité au sein de la collectivité, les politiques d'égalité entre femmes et hommes qu'elles mettent en oeuvre et les orientations susceptibles d'améliorer le bilan.
C'est un outil d'évaluation très intéressant, à condition que les élus en perçoivent l'intérêt. Le Président de la République a d'ailleurs annoncé que cette exigence allait être étendue aux politiques conduites par l'État. Ce sujet rejoint aussi la problématique de la parité. Nous savons qu'elle se pose en termes particuliers dans les intercommunalités ainsi que dans les syndicats intercommunaux. Les bureaux de ces structures sont édifiants : les femmes ont disparu !
Maryvonne Blondin . - Dans mon département du Finistère, ce n'est pas le cas...
Laurence Rossignol . - La Bretagne nous montre souvent la voie !
Frédérique Puissat . - Nous pourrions peut-être nous interroger, lors de cet échange, sur ce que nous a apporté le fait d'avoir des assemblées paritaires. C'est le cas maintenant dans les assemblées départementales : qu'est-ce qui y a changé du fait de la parité ? Des combats ont été gagnés : quelles ont été les suites ?
Annick Billon, présidente . - C'est très intéressant : je suis d'accord pour que nous intégrions cette interrogation à nos débats. Du reste, j'ai invité au Sénat, le 8 mars, des conseillères départementales. Elles pourront apporter leur témoignage : l'idée est que la salle puisse réagir.
Frédérique Puissat . - Pour ma part, dans le département de l'Isère, j'ai vraiment vu l'assemblée changer. Cette parité m'a apporté un éclairage nouveau.
Max Brisson . - En tant qu'élu départemental chevronné, je confirme.
Marie-Pierre Monier . - Dans mon intercommunalité, il y a quinze vice-présidents pour deux vice-présidentes. Dans les intercommunalités, le fait d'être maire conditionne l'accès aux responsabilités. Les femmes doivent donc devenir maires, il faut les motiver : c'est la clé de tout.
Max Brisson . - Dans mon territoire, dix intercommunalités ont fusionné et avec elles les exécutifs : seules deux femmes restent vice-présidentes sur 26. Les vice-présidentes des anciennes structures n'ont pas été retenues dans les nouveaux exécutifs.
Annick Billon, présidente . - Cela me paraît important que nous consacrions un moment de la seconde table ronde à entendre un témoignage sur la question de la parité dans les assemblées départementales, qui pourrait être intitulé : « La parité dans les assemblées départementales : quels changements ? ».
Laurence Rossignol . - En effet, c'est un sujet très important. Nous devons lui consacrer un temps de notre matinée.
Annick Billon, présidente . - Venons-en maintenant au « déroulé » de ces deux séquences. Ce serait intéressant de faire introduire chacune d'elles par deux membres de la délégation qui représenteraient la majorité et l'opposition, suivant les usages de notre assemblée, en associant une nouvelle sénatrice et une collègue plus « chevronnée ». Nous devons également associer nos collègues hommes, que je remercie d'être présents ce matin.
Pour garantir des échanges dynamiques, chaque intervention serait calibrée comme une question au Gouvernement (2 mn/2mn30).
Qu'en pensez-vous ? Marta de Cidrac me semble indiquée pour intervenir lors de la première table ronde : elle a du reste mis en place, dans les Yvelines, une association d'élues liée au réseau créé par Julia Mouzon. Cela paraît donc cohérent qu'elle intervienne à cette occasion. Si vous êtes d'accord pour valider cette candidature, il conviendra que nos collègues des groupes d'opposition m'indiquent par la suite qui ils désignent pour prendre la parole en binôme avec Marta de Cidrac.
Pour la seconde thématique, proposée par Laurence Rossignol, ce serait intéressant qu'elle intervienne pour la lancer, avant le témoignage concernant les assemblées départementales, qui pourrait être fait par notre collègue Frédérique Puissat. Qu'en pensez-vous ?
Françoise Laborde . - Cela me convient très bien.
Annick Billon, présidente . - J'ai donc l'impression que nous sommes d'accord. Peut-être un de nos collègues masculin pourrait-il intervenir après la seconde thématique pour en faire la synthèse ?
Max Brisson . - Cela m'intéresse !
Annick Billon, présidente . - C'est une excellente chose et je vous en remercie, cher collègue. Et pour vous donner la réplique ? Pour ma part, donner la parole à une élue des outre-mer me paraîtrait plus que pertinent ! Pour constituer un binôme majorité-opposition avec Max Brisson, Victoire Jasmin me paraît l'intervenante idéale. Je vois que tout le monde opine...
* 1 Élections présidentielles en avril-mai ; élections législatives en juin ; renouvellement sénatorial en septembre.
* 2 La délégation du Sénat compte, comme celle de l'Assemblée nationale, 36 sénateurs et sénatrices, en application de la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
* 3 Voir en annexe le compte rendu de cette séance, paru au Journal officiel.
* 4 Sénateur de la Guadeloupe, élu en septembre 2017, membre du groupe Socialiste et républicain.
* 5 Sénateur du Nord, élu en septembre 2017, président du groupe Socialiste et républicain.
* 6 Sénatrice des Français établis hors de France, ancienne ministre, élue en septembre 2011, membre du groupe Socialiste et républicain.
* 7 Sénatrice UMP de Meurthe-et-Moselle de 2007 à 2011, membre de la délégation aux droits des femmes.
* 8 Voir en annexe le passage du compte rendu de cette réunion consacré à l'organisation de l'événement du 8 mars.
* 9 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 pourtant nouvelle organisation territoriale de la République.
* 10 Voir en annexe le compte rendu de la séance de questions au Gouvernement du 8 mars 2018.
* 11 Moyens humains et financiers mis en oeuvre par le Gouvernement pour lutter contre les violences faites aux femmes (Annick Billon, présidente) ; Centres éducatifs fermés pour jeunes filles mineures (Josiane Costes) ; Violences faites aux femmes dans le milieu professionnel (Michelle Gréaume) ; Formation professionnelle et inégalités salariales et professionnelles (Hélène Conway-Mouret) ; Prostitution des adolescentes (Colette Mélot) ; Égalité salariale (Céline Boulay-Espéronnier) ; Conditions de détention des femmes (Jocelyne Guidez).
* 12 Annick Billon, présidente ; Josiane Costes ; Michelle Gréaume ; Hélène Conway-Mouret ; Colette Mélot ; Céline Boulay-Espéronnier ; Jocelyne Guidez et Florence Lassarade.
* 13 Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes ; Nicole Belloubet, garde des Sceaux ; Muriel Pénicaud, ministre du Travail et Nathalie Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes.
* 14 Annick Billon, présidente, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes ; Josiane Costes et Nicole Belloubet, garde des Sceaux ; Michelle Gréaume et Muriel Pénicaud, ministre du Travail ; Hélène Conway-Mouret et Muriel Pénicaud, ministre du Travail ; Colette Mélot et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes ; Céline Boulay-Espéronnier et Muriel Pénicaud, ministre du Travail ; Jocelyne Guidez et Nicole Belloubet, garde des Sceaux.
* 15 Annick Billon, présidente ; Céline Boulay-Espéronnier et Max Brisson.
* 16 Depuis les élections de septembre 2017 toutefois, au fur et à mesure des remplacements, la proportion de sénatrices s'est élevée à 32 %, soit quasiment le tiers.
* 17 Le groupe communiste, qui a longtemps été paritaire, compte actuellement 40 % de femmes. Il occupe la 2 ème place pour la féminisation de ses effectifs avant le groupe Socialiste et républicain (35,8%) et le groupe Les Républicains (31 %).
* 18 Magistrats (trois, parmi lesquels le procureur de la République) et avocats.
* 19 Le 31 mars 2016, Michelle Perrot avait introduit un colloque dédié à l'engagement associatif des femmes (« Associations, les femmes s'engagent ! »)
http://videos.senat.fr/video.171608_57d2dd17d83ae.associations-les-femmes-s-engagent- !
* 20 150 députées ont été élues aux élections législatives de 2012, soit 26 % de femmes, à l'Assemblée nationale au début de la XIV e législature.
* 21 1805-1894. Ouvrière lingère, elle obtint le brevet d'institutrice (1863), adhéra aux idées du socialisme utopique, fonda en 1848 le journal La politique des femmes . Elle fut exilée en Angleterre après le coup d'État de 1851.
* 22 1796-1883. Écrivaine et journaliste, auteure entre autre titres de Le vrai livre des femmes .
* 23 1864-1936. Journaliste (elle créa le journal La fronde ), actrice (à la Comédie française), elle se présentera en 1910 aux élections législatives (candidature rejetée par le préfet de la Seine).
* 24 Julia Mouzon est la fondatrice d' Élueslocales.fr , une start-up de l'entreprenariat social qui fédère une communauté de plusieurs milliers de femmes élues à travers toute la France.
Diplômée de Polytechnique et de l'École d'économie de Paris, elle commence sa carrière à la Direction du Trésor, au ministère des Finances. Elle y est interpellée par la rareté des femmes aux plus hauts niveaux de la hiérarchie politique. Convaincue que la présence des femmes dans les lieux de pouvoir est l'une des clés nécessaire à la création de politiques publiques plus efficaces, elle décide de mettre à la disposition des femmes élues des lieux de rencontre et d'échange afin de leur permettre de s'engager dans des carrières politiques à la hauteur de leurs ambitions.
Depuis 2012, Élueslocales.fr réunit les femmes élues à travers des évènements locaux et nationaux, une communauté digitale, des formations et des réseaux locaux que les élues peuvent retrouver au plus proche de leurs territoires.
L'équipe d' Élueslocales.fr compte aujourd'hui une dizaine de personnes dédiée à l'animation de cette communauté et poursuit un développement régional et local ambitieux.
* 25 1919-2004, sénatrice du Val-de-Marne (en remplacement de Louis Talamoni), de 1975 à 1977. Laurence Cohen a présenté le rôle d'Hélène Edeline dans la Résistance lors du colloque du 27 mai 2014 sur les femmes résistantes organisé par la délégation aux droits des femmes : http://videos.senat.fr/video.122136_57c6fa327afc4 ; http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-757-notice.html )
* 26 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
* 27 Voir le compte rendu de la séance du 17 janvier 2013 (débat sur l'article 2 du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, rejeté par le Sénat).
* 28 Loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
* 29 Le compte rendu intégral de cette séance a été publié au Journal officiel du mercredi 9 mars 2016.