COMPTE RENDU, PAR M. ANTOINE KARAM, DU DÉPLACEMENT EN GUYANE DU 18 AU 21 SEPTEMBRE, DEVANT LA DÉLÉGATION AUX ENTREPRISES RÉUNIE LE 27 SEPTEMBRE 2017

Réunion du Mercredi 27 septembre 2017

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Initialement programmé au mois de mars, notre déplacement en Guyane a dû être reporté du fait des événements survenus à cette période. Ce report nous a permis de mieux percevoir les problématiques du territoire qui ont engendré cette crise. La délégation était composée d'Anne-Catherine Loisier, Jérôme Durain et moi-même. Antoine Karam avait élaboré, à notre attention, un programme très dense, varié et de qualité. Georges Patient, l'autre sénateur de la Guyane, nous a également fort bien accompagnés durant ces trois jours. Nous les en remercions vivement.

M. Antoine Karam . - Merci, madame la présidente, d'avoir accepté de vous rendre en Guyane à la tête d'une délégation. Je suis convaincu que l'outre-mer et ce territoire, en particulier, sont insuffisamment connus, y compris au niveau parlementaire.

Vos trois jours sur place ont effectivement été bien remplis, étant rappelé que ce département est aussi vaste que l'Autriche. Il était important pour moi de vous faire prendre conscience des réalités guyanaises.

Vous avez d'abord séjourné à Cayenne, dont j'ai été conseiller municipal pendant 21 ans avant de devenir conseiller général, puis président du conseil régional pendant 18 ans. Ensuite, accompagné par notre collègue, le sénateur-maire de Mana, nous nous sommes rendus dans l'Ouest guyanais, à Saint-Laurent du Maroni, puis à Mana, avant de revenir vers l'Est en passant par Kourou. Nous avons rencontré des élus, dont le président de la collectivité territoriale de Guyane, M. Rodolphe Alexandre, et l'ancien ministre du tourisme et maire de Saint-Laurent du Maroni, M. Léon Bertrand.

Nous nous sommes intéressés en priorité à la vie économique de la Guyane, avec la visite du grand port maritime de Cayenne et la rencontre de plusieurs grandes figures entrepreneuriales locales : Mme Carol Ostorero, présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane, M. Bernard Boullanger, président de la SOLAM, société laitière de Macouria, M. Jocelyn Médaille, directeur de la Cogumer qui transforme les produits de la pêche au port du Larivot. Nous avons également visité la dernière distillerie de Rhum de Guyane, implantée à Saint-Laurent du Maroni.

Nous avons approché d'autres secteurs que l'agroalimentaire à l'occasion du repas organisé par la toute nouvelle présidente de la Chambre de commerce et d'industrie, Mme Carine Sinaï-Bossou. Celle-ci a réuni autour de nous une vingtaine de dirigeants de secteurs variés.

En outre, nous avons visité un complexe touristique en chantier à Mana, la centrale biomasse de Kourou, qui transforme en électricité les déchets connexes de l'exploitation du bois, et, bien sûr, le centre spatial guyanais.

Pour éclairer ces rencontres avec les acteurs économiques du territoire, nous avons été sensibilisés à leur environnement. La biodiversité de la Guyane a été évoquée à l'occasion d'une rencontre avec l'institut Pasteur, son histoire à l'occasion d'une visite du bagne de Saint-Laurent du Maroni et son avenir, surtout, notamment à l'occasion d'un échange avec le collectif ayant signé, le 21 avril dernier, l'accord de Guyane.

Plusieurs éléments structurels me semblent devoir être soulignés pour comprendre la réalité guyanaise :

- l'enclavement de la Guyane et l'insuffisance de ses infrastructures : la Guyane n'est desservie que par deux compagnies aériennes, avec des billets pour Paris très chers et peu de vols vers d'autres destinations ; la desserte maritime est monopolisée par CMA-CGM et Marfret, qui pratiquent également des coûts élevés ; la Guyane ne dispose d'aucun chemin de fer ; il n'existe qu'une seule route principale, qui longe le littoral et présente des risques d'engorgement ; de nombreuses zones blanches en téléphonie mobile persistent le long même de cette route ;

- la mitoyenneté avec des pays émergents ou en développement : si le PIB par habitant est deux fois moins élevé en Guyane que dans la France entière, il reste plus élevé que celui des pays encadrant ce territoire, Suriname à l'Ouest et Brésil à l'Est ;

- une évolution démographique explosive : même si la croissance économique guyanaise (1,9 % en 2016), est supérieure à celle de l'hexagone (1,3 %), elle ne suffit pas au regard de la croissance démographique : la population guyanaise, 260 000 personnes, a doublé en vingt ans et devrait encore doubler d'ici 2040. Ceci tient à la fois au solde migratoire - guerre civile au Suriname, instabilité politique à Haïti,... - et à un indice conjoncturel de fécondité dépassant 3,5 enfants par femme. L'Insee, selon certains de nos interlocuteurs, sous-estimerait l'immigration illicite. En effet, 1 000 pirogues traversent le Maroni chaque jour, mais 5 % seulement sont contrôlées. Saint-Laurent du Maroni devrait bientôt devenir la capitale démographique de la Guyane et pourrait compter 120 000 habitants en 2030...

Cette tendance non maîtrisée engendre un chômage qui touche 23 % des actifs - sans compter ceux qui, découragés, ne recherchent plus d'emploi - et qui affecte même 44 % des 15-24 ans. Elle nourrit l'économie parallèle et crée des besoins en logements, en soins (l'hôpital, largement déficitaire, soigne des malades du Suriname ou du Brésil, parfois en situation illégale, ce qui entretient un sentiment d'injustice chez les Guyanais) et en énergie, mettant à mal un appareil productif vétuste et sous-dimensionné. Elle implique aussi des difficultés de formation et de scolarisation : 10 000 enfants restent non scolarisés.

La société guyanaise est également exposée à d'importants problèmes d'insécurité, de violence, de délinquance, de criminalité et de trafics illicites. Avec 42 homicides en 2016, la Guyane est le territoire français le plus meurtrier, avec des chiffres comparables à ceux de Marseille ;

- le coût de la vie est élevé : en raison de l'éloignement géographique et de l'étroitesse du marché, les prix sont, comme partout outre-mer, plus élevés en Guyane que dans l'hexagone. La prime de 40 % versée aux fonctionnaires et la taxe d'octroi de mer sur les importations contribuent aussi à ce phénomène ;

- le secteur public fait vivre le territoire : de nombreux Guyanais vivent des aides sociales, un quart des actifs sont au RSA, la commande publique tire le secteur du BTP, le Cnes est le premier employeur de Guyane. Paradoxalement, alors qu'elle est omniprésente, la sphère publique ne parvient pas à assurer la sécurité et le respect du droit ; elle semble même parfois entraver le développement. Ainsi, 95 % du territoire guyanais appartient à l'État, ce qui empêche l'accès au foncier et renchérit fortement le peu de foncier viabilisé disponible pour les activités économiques. Les jeunes agriculteurs attendent ainsi des années avant d'obtenir des terres. La délégation outre-mer a d'ailleurs formulé trente propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile des domaines public et privé de l'État outre-mer.

Dans ce cadre très contraint, la Guyane ne manque pourtant pas d'atouts :

- sa géographie, d'abord : les ressources naturelles sont exceptionnelles (or et autres minerais, pétrole, forêt, biodiversité) ; l'électricité renouvelable représente les deux-tiers de la production électrique ; la Guyane est un point d'entrée précieux pour la France en Amérique du Sud, avec un port stratégiquement placé et un territoire épargné par les cyclones et les violents séismes. Le site est parfait pour le lancement des fusées, du moins tant qu'elles partent vers l'Est puisque des sites concurrents émergent effectivement en Europe pour les tirs vers le Nord pour les satellites non géostationnaires ;

- son peuple, ensuite : cette population multiculturelle, dont les moins de vingt ans représentent 42 %, a un potentiel exceptionnel - à condition d'être formée... Nous avons ressenti un vrai dynamisme entrepreneurial : en 2015, le nombre de créations d'entreprises en Guyane a augmenté, en dépit d'un mouvement contraire dans la France entière. Mais cet élan est fragile, dans un climat social très tendu : le blocage de l'économie durant plusieurs semaines lors des mouvements sociaux du printemps dernier aura eu des conséquences sur l'activité en 2017. Le grand port maritime de Cayenne en a été le témoin privilégié. De nombreuses entreprises ont subi de fortes tensions de trésorerie, parfois fatales.

Concrètement, de quoi souffrent les 20 000 entreprises guyanaises ? Comme dans l'hexagone, elles subissent le poids des charges et la complexité administrative. Mais elles se plaignent d'abord de l'insécurité et du manque d'infrastructures (instabilité de l'approvisionnement électrique, faible débit des réseaux télécom...), qui entraînent des surcoûts. Elles déplorent la faible intégration régionale (les exportations de la Guyane restent très marginales, le respect des normes européennes étant très coûteux, alors que les produits importés ne supportent pas de normes comparables) et elles souffrent de l'étroitesse du marché guyanais, qui renchérit leurs coûts de production. Quand une usine Yoplait dans l'hexagone produit 1 million de bouteilles Yop par jour, celle de la Solam en produit 1 million... par an !

Les entreprises peinent à s'installer et à s'étendre, en raison de la concurrence aiguë sur le foncier viabilisé. Du reste, les services représentent 78 % de la valeur ajoutée en Guyane.

Les industries de transformation pâtissent aussi des prix élevés des approvisionnements (renchéris par l'octroi de mer) et des difficultés à trouver de la main d'oeuvre adaptée, notamment des techniciens industriels.

Les entreprises subissent enfin des délais de paiement très longs : la Solam nous a parlé de 6 à 8 mois de la part des cantines scolaires et de 2 ans pour l'hôpital ; le représentant de la filière BTP a évoqué une moyenne de 100 jours de délais de paiement, la collectivité territoriale de Guyane ayant même parfois attendu deux ans et demi pour honorer ses factures.

Malgré tous ces obstacles, les entreprises guyanaises ne manquent pas d'idées. Mobapi connecte des données pour en tirer des solutions intelligentes et vient d'être sélectionnée par Business France et BPIfrance pour faire partie de la French tech qui ira se vendre aux États-Unis le mois prochain. Plusieurs autres débordent de projets : filière de traitement des déchets automobiles, innovation en cosmétique à partir de la biodiversité guyanaise, data centers adossés à l'énergie photovoltaïque, tourisme vert, fluvial ou balnéaire... Pourquoi ne pas miser sur la thalassothérapie avec des bains de boue, la mer étant brunie sur le littoral par les alluvions des fleuves ?

Hélas, il manque une vision de moyen terme partagée en Guyane. Le développement de l'exploitation aurifère fait lui-même débat : Mme Ostorero nous a présenté plusieurs projets, dont « Montagne d'or », qui, sous réserve d'obtenir toutes les autorisations, notamment environnementales, présente un potentiel d'exploitation de 115 tonnes d'or pouvant engendrer 800 emplois directs et 2 500 indirects ; il en est de même des explorations offshore d'hydrocarbures...

Il est capital d'accompagner le développement des entreprises guyanaises par l'investissement. Notre délégation à l'outre-mer a organisé le 19 mai 2016 au Sénat une conférence sur la situation des entreprises et sur les dynamiques sectorielles des six collectivités françaises des Amériques : à cette occasion M. Stéphane Lambert, alors président du Mouvement des entreprises de France (Medef) Guyane, indiquait qu'à défaut d'investir dans les entreprises et l'économie, la France serait conduite, du fait de la croissance démographique, à financer toujours plus de subsides sociaux (CAF, RSA, chômage, etc.). Il plaidait en faveur d'une « posture d'investissement pour exploiter les potentiels de ce territoire, à même de faire la fierté de la République ». Cela me paraît essentiel : accompagner la croissance de la Guyane au lieu de se satisfaire de sa dépendance à l'égard de l'hexagone. C'est la demande expresse du collectif Pou Lagwiyann dékolé , qui a manifesté une grande maturité dans nos échanges. En réponse aux défis structurels, sécuritaires, économiques et sociaux auxquels la Guyane est confrontée, on ne peut pas se contenter d'acheter la paix sociale, de plus en plus coûteuse et de plus en plus fragile, on l'a vu en mars dernier ; il faut répondre à la très forte attente des Guyanais, à la fois à très court terme et à moyen terme.

Ce n'est pas ici le lieu pour ouvrir la réflexion sur le statut institutionnel de la Guyane. Mais notre délégation doit plaider pour que l'État, par l'investissement, accompagne la Guyane dans ses choix d'avenir, afin de donner des perspectives à ses jeunes. Il est insupportable que certains d'entre eux en soient réduits à devenir des « mules », risquant leur vie pour 5 000 euros en ingérant des boulettes de cocaïne, pour la faire transiter par avion...

L'accord de Guyane, signé le 21 avril 2017, avec un plan d'urgence, des accords par filière et un plan de convergence à moyen terme, doit accélérer les investissements nécessaires et améliorer les perspectives de croissance. Si la priorité est aujourd'hui de construire les infrastructures scolaires, sanitaires, routières et judiciaires, nous devons également libérer nos énergies, lever les freins qui empêchent la Guyane de valoriser ses ressources naturelles et développer une activité économique alternative au spatial.

Pour cela, l'État doit assumer sa part :

- renforcer son autorité, d'abord : aux frontières, en améliorant la coopération avec les pays voisins pour réduire l'immigration clandestine, mieux contrôler les flux et faciliter les échanges commerciaux (les camions guyanais sont aujourd'hui arrêtés à la frontière pour cause d'incompatibilité du carburant, alors que les camions du Suriname et du Brésil entrent en Guyane !) ; à l'intérieur, en assurant la sécurité par un renfort des forces de police et de gendarmerie ;

- désenclaver la Guyane, ensuite, y compris au plan numérique, et moderniser ses infrastructures, notamment faire aboutir la création d'un poste d'inspection frontalier (PIF) au port de Cayenne, pour éviter que les marchandises et matières premières importées des pays voisins continuent à passer à Bilbao ou au Havre pour être contrôlées, ainsi que Cogumer nous l'a rappelé ;

- libérer et mobiliser son foncier au service du développement économique et social du territoire, avec une vision stratégique pour valoriser la Guyane ;

- adapter les principes environnementaux au cas spécifique guyanais - la forêt occupe 96 % du territoire - en prenant en compte l'urgence à créer de l'emploi pour les jeunes ;

- éviter que la majeure partie des allocations sociales versées en Guyane soient dépensées ailleurs - car 70 millions d'euros quittent la Guyane chaque année. Une proposition intéressante est de verser ces allocations sous forme de chèques ou de cartes de paiement admis par les seuls commerçants guyanais, ce qui soutiendrait la consommation locale ;

- simplifier la vie des entreprises guyanaises : assurer le respect des délais légaux de paiement, raccourcir les délais d'autorisation, faciliter le déblocage des fonds européens, adapter les normes à la situation locale, ne pas imposer aux entreprises guyanaises des obligations matériellement impossibles à respecter - la présidente de la CCI, dans son entreprise de transport, se doit d'installer des éthylotests dans les camions sous peine de sanctions, mais aucun modèle n'est encore agréé en Guyane ! - ;

- reconduire les régimes de défiscalisation ou de zones franches qui soutiennent l'investissement et engager une réflexion de fond pour faire évoluer le système fiscal actuel dans un sens favorable aux productions locales. Les recettes fiscales en Guyane proviennent essentiellement de l'octroi de mer qui frappe les importations depuis le XVIIème siècle, la TVA étant inexistante en Guyane. L'octroi de mer constitue une part importante des ressources fiscales des communes, jusqu'à 90 % pour certaines d'entre elles, et, dans une moindre mesure, de la collectivité territoriale de Guyane. Si bien que les collectivités n'ont pas nécessairement intérêt au développement économique local : moins la Guyane produit d'électricité au barrage, plus les collectivités locales sont rémunérées grâce à l'octroi de mer qu'elles perçoivent sur les importations de gaz... Il y a là matière à réflexion.

Mais l'avenir de l'économie guyanaise repose aussi sur sa capacité à se réformer en profondeur pour se structurer en filières (bois, biodiversité, ressources halieutiques et minières...) et renforcer le dynamisme des entreprises sur de nouveaux marchés, à l'intérieur comme à l'exportation.

Je suis certain que mes collègues venus en Guyane deviendront nos ambassadeurs, pour que nous soyons demain mieux reconnus. Nous espérons convaincre le président de la République et le président de la Commission européenne, qui viendront fin octobre sur place dans le cadre de la 22 ème conférence des régions ultrapériphériques, que la France et l'Europe ont intérêt à une Guyane plus prospère. L'outre-mer fait partie intégrante de la République et donne à la France sa dimension internationale.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Merci de cette photographie fidèle à ce que nous avons vu sur place pendant trois jours. Le déplacement a été instructif car à distance, quels que soient les documents dont on dispose, on ne se rend pas compte des réalités. Comme dans une campagne électorale, il faut être sur le terrain ! Les témoignages que nous avons recueillis en direct nous ont placés au coeur du sujet. Notre mission, de nature économique, a logiquement débordé sur les questions d'immigration, de sécurité, qui sont aussi à l'origine de la crise de mars dernier. Nous avons échangé avec les représentants du collectif Pou Lagwiyann dékolé . Le médecin membre de ce collectif nous a dit, pour résumer la situation : « Ne tombez pas malade ici ! ». De même pour l'éducation : M. Karam, président de région pendant dix-huit ans, a fait construire treize lycées, mais il en manque encore.

M. Antoine Karam . - Il en manque au moins six pour les prochaines années.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Certaines situations sont ahurissantes, je songe aux recettes des collectivités locales qui dépendent de l'octroi de mer. On retrouve cette absurdité, cela dit, dans nos communes forestières : plus elles exploitent la forêt, moins elles perçoivent de dotation globale de fonctionnement (DGF), ce qui dissuade tout effort de développement.

Ce qui m'est apparu surtout, c'est que l'hexagone ne peut se permettre de passer à côté de la Guyane qui a un formidable potentiel, et il est utile de zoomer sur ce territoire, de mettre en lumière ces réalités. Une jeunesse entreprenante et volontaire, des richesses, des projets : c'est une chance pour la France. Un port en eau profonde, par exemple, est un enjeu majeur pour faire de la Guyane un point de passage obligé sur les grandes routes maritimes.

M. Gilbert Bouchet . - L'actuel préfet de la Drôme, Eric Spitz, avec lequel j'échange beaucoup, a été longtemps en poste en Guyane...

Une question : comment les entreprises locales ont-elles fait face à la crise ? Ont-elles pu rebondir ensuite ?

M. Antoine Karam . - Nombre de TPE ont déposé le bilan. Des mesures dérogatoires ont été prévues dans l'accord du 21 avril, qui devraient sauver certaines entreprises. En Guadeloupe en 2009, la crise avait duré trois mois, et avait été fatale à beaucoup d'entreprises.

M. Olivier Cadic . - Que des matières premières importées du Brésil par la Guyane doivent transiter par Le Havre laisse pantois. Oui, mieux vaut investir pour développer la croissance plutôt que maintenir le territoire dans la dépendance à l'égard de l'hexagone. Cela vaut pour tous les outre-mer. Aujourd'hui, notre pays n'a plus la taille critique pour aborder tous les problèmes, dans le monde entier. L'expérience menée en Nouvelle-Calédonie est très intéressante : Nouméa est doté d'une délégation aux relations internationales. La Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande travaillent ensemble de façon constructive. Une telle proposition pourrait faire partie de vos préconisations.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Cela soulève la question du statut de la Guyane.

M. Olivier Cadic . - Il y a là un enjeu important. Cessons de remonter toujours à Louis XIV, à Versailles. Un réseau ne fonctionne pas forcément avec un pilote unique : c'est le modèle de la toile qu'il faut retenir, mais ce n'est pas facile à faire entendre dans un Etat jacobin.

M. Antoine Karam . - C'est triste à dire mais, chaque fois que quelque chose a été obtenu, c'est la rue qui l'a arraché à l'État. Cela décrédibilise les élus. Le colbertisme demeure si fort que seules des pressions intenses peuvent en avoir raison. Je suis élu depuis quarante ans, j'en ai appelé au bon sens de tous les gouvernements de la République ! C'est par les larmes et le sang que la Nouvelle-Calédonie a fini par progresser : malgré la poignée de mains entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, ce dernier a été finalement assassiné...

En général, ce sont des technocrates qui prennent les décisions dans des bureaux parisiens. Pourtant, vous avez vu nos concitoyens sur place, ce ne sont pas des fous furieux, des égorgeurs !

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Nous avons eu des interlocuteurs parfaitement responsables.

M. Antoine Karam . - Je suis un modéré, je n'ai jamais déclenché de révolution. Mais on ne comprend pas cela à Paris. L'actuel président est venu deux fois en Guyane, j'espère qu'il arrivera à des résultats... mais son ministre de l'écologie veut mettre fin à tout permis de prospection offshore . La réponse est politique et statutaire, il faut nous donner les moyens de respirer, d'échanger et de signer des accords avec nos voisins, en particulier avec le Brésil, qui considère la Guyane presque comme son vingt-huitième Etat. Il est dommage que les fruits et légumes que nous faisons venir transitent par Rungis...

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - La France s'inscrit dans l'espace européen ; la Guyane, dans l'espace sud-américain. Ce sont deux mondes différents, il faut mettre en place des dérogations, sinon la compétitivité des entreprises guyanaises est compromise d'emblée.

Mme Sophie Primas . - Je m'étais rendue en Guyane pour deux jours, pour le lancement d'Ariane, et ce qui a été décrit aujourd'hui, je l'ai ressenti : deux mondes, des disparités, un bouillonnement de la jeunesse, une terre riche de potentiel... Nous serons à vos côtés pour le faire advenir.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Merci encore à M. Karam.

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