III. AU-DELÀ DE L'AGENCE FRANCE-MUSÉUMS : VERS UNE POLITIQUE PLUS AMBITIEUSE DE VALORISATION DES MARQUES ET SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS EN MATIÈRE CULTURELLE

Si le partenariat franco-émirien serait presque impossible à répliquer, tant en raison de la rareté de demandes d'une telle envergure que des ressources limitées dont disposent les musées pour y répondre, il n'en demeure pas moins que les enseignements tirés de l'expérience du Louvre Abou Dhabi doivent être mis à profit pour que la France tire pleinement parti du potentiel que représentent ses marques culturelles et son savoir-faire en matière d'ingénierie patrimoniale.

A. LES ENSEIGNEMENTS DE L'EXPÉRIENCE DE L'AGENCE FRANCE-MUSÉUMS

1. Un projet unique qui a mis en lumière les enjeux liés à la valorisation de l'expertise et des marques culturelles françaises

La coopération culturelle franco-émirienne qui s'est organisée autour du projet du Louvre Abou Dhabi est, à bien des égards, unique : son ambition, sa durée de plusieurs dizaines d'années, ses enjeux symboliques tant pour la France que pour les Émirats ainsi que l'ampleur des flux financiers qui lui sont associés contribuent à la singulariser.

Il ne s'agit donc évidemment pas de chercher à « répliquer » l'accord lié au Louvre Abou Dhabi, mais plutôt de prendre conscience du formidable potentiel que représente le savoir-faire français en matière culturelle dans un monde où la demande d'institutions culturelles, en particulier muséales, est forte, mais où l'expertise et les collections sont inégalement réparties. Valoriser nos savoir-faire et nos collections ne passe pas forcément par l'ouverture de succursales ou d'annexes, dont la multiplication ne paraît pas présenter d'intérêt particulier sur le plan scientifique. En revanche, la France a bel et bien des compétences à mettre en avant en matière d'accompagnement de projets culturels.

L'expérience de l'Agence France-Muséums témoigne du fait qu'une politique plus ambitieuse en la matière aurait du sens sur trois plans différent.

Tout d'abord, de tels projets participent du rayonnement de la France dans le monde . Ils compléteraient utilement les actions menées par le ministère des affaires étrangères à travers son réseau culturel à l'étranger.

Les ressources financières qui pourraient en découler ne doivent pas non plus être négligées dans un contexte budgétaire extrêmement contraint et d'autant plus difficile que les attentats commis sur le sol français ont conduit à un baisse de la fréquentation des grands musées parisiens. Il ne s'agit évidemment pas de monétiser des pratiques qui existent déjà à titre gratuit, mais bien de développer un nouveau champ d'action des musées français. En effet, si ceux-ci travaillent déjà largement en lien avec d'autres institutions étrangères sur des questions de nature scientifique et d'intérêt commun - comme la gestion d'un chantier de fouilles - leur capacité à valoriser leur marque et à proposer des prestations de conseil et d'accompagnement de projet est plus modeste.

Enfin, la valorisation accrue de notre expertise à l'international pourrait également contribuer à renouveler les modes de gestion des musées français , qui seraient ainsi davantage exposés à des publics, à des structures et à des façons de travailler différant des standards français.

La création de « Louvre Conseil » au sein du musée du Louvre, ou la convention signée au début de l'année 2017 entre le ministère de la culture et l'agence Expertise France, vont dans le bon sens, de même que la nomination d'un chargé de mission sur ces questions à la direction générale des patrimoines.

La convention du 9 mai 2017 entre le ministère de la culture et l'agence « Expertise France »

Une convention a été conclue le 9 mai 2017 entre Expertise France et le ministère de la culture afin de mieux promouvoir l'offre culturelle française à l'international .

Expertise France est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) oeuvrant sous la double tutelle des ministères chargés des affaires étrangères et de l'économie, dans le cadre de la politique extérieure de développement et d'influence de la France.

D'une durée de trois ans, ce partenariat est centré sur l'expertise technique en matière patrimoniale : offre de conseil en politique publique et gouvernance patrimoniale, en ingénierie culturelle et patrimoniale, formation aux techniques de conservation et de restauration du patrimoine.

L'agence Expertise France sera rémunérée à hauteur de 50 000 euros par an , portés - sous réserve de la disponibilité des crédits - par le programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture ».

Mais ces initiatives ne suffiront pas, à elles seules, à remédier aux difficultés rencontrées par les institutions culturelles en matière de valorisation de leurs marques et savoir-faire à l'international, qui sont de deux ordres.

D'une part, ces questions sont souvent le parent pauvre de la politique patrimoniale et ne font pas l'objet d'une stratégie cohérente au niveau ministériel - et encore moins interministériel - assurant a minima que le positionnement des principaux établissements ne risque pas de les mettre en concurrence les uns avec les autres.

D'autre part, la mise en oeuvre d'une politique commerciale - et la réflexion qu'elle suppose sur la tarification des prestations, les opérations de communication associées... - reposent sur des logiques de projet qui paraissent difficiles à mettre en oeuvre dans le cadre d'un établissement public administratif .

2. La création d'une agence dédiée à la valorisation de l'expertise culturelle française : une idée séduisante mais inefficiente

La création d'une agence publique dédiée à ces enjeux est une idée de prime abord séduisante : elle semble résoudre le problème de la coordination des acteurs culturels et de la définition d'une stratégie et pourrait constituer un vivier d'experts sur ces enjeux à la disposition des opérateurs culturels.

Cependant, comme la quasi-totalité des personnes rencontrées dans le cadre du présent rapport l'ont souligné, la création d'un nouvel établissement public nécessiterait un investissement de départ extrêmement important pour des résultats très incertains : la nouvelle entité risquerait fort de s'avérer trop rigide pour un champ qui exige au contraire une grande souplesse. En outre, les projets de coopération internationale en matière culturelle naissent, dans leur immense majorité, d'une demande adressée spécifiquement à un musée ou un établissement en raison de sa réputation scientifique et de son prestige historique. Comment une agence technique « hors sol » trouverait-elle sa place dans le paysage culturel ?

La pérennisation de l'Agence France-Muséums ne semble pas non plus constituer une solution convaincante : celle-ci est d'abord et avant l'outil de mise en oeuvre de l'accord franco-émirien et sa mobilisation sur d'autres projets pourrait créer une confusion dommageable au dialogue permanent entre la partie française et les Émirats arabes unis sur le projet du Louvre Abou Dhabi.

Pour être efficace, la stratégie française devra être pragmatique : il est clair que seuls quelques grands musées nationaux sont assez connus pour attirer des demandes de la part d'autres institutions culturelles voire d'autres États.

L'enjeu est double : il faut à la fois donner à ces « grands noms » les moyens de développer leur action à l'international, et faire participer dans la mesure du possible des établissements moins bien identifiés, de taille plus réduite, mais dont les collections et l'expertise présentent également des points forts.

C'est l'objet des cinq propositions qui concluent ce rapport.

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