B. DIX ANS DE TRAVAIL DE L'AGENCE FRANCE-MUSÉUMS SOUS LE REGARD ATTENTIF DES ÉMIRATS ARABES UNIS
L'article 6 de l'accord de 2007 prévoit que « la Partie française s'engage à mettre en place une personne morale de droit français , dénommée Agence internationale des musées de France ». En dehors de la gestion de la marque « Louvre », qui est du ressort direct du musée du Louvre, c'est l'Agence France-Muséums qui est chargée de la mise en oeuvre de l'accord.
1. L'Agence France-Muséums : une entité de droit privé détenue par des établissements publics culturels français
L'Agence France-Muséums est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris depuis le 23 août 2007 et détenue par douze musées français , dont la liste est précisée en annexe.
Avec un peu plus d'un tiers des parts, le Louvre est actionnaire principal - mais non majoritaire - de l'Agence .
Plusieurs autres options étaient envisageables, comme la création d'une structure publique ad hoc ou le portage du projet par un établissement public préexistant tel que la Réunion des musées nationaux (RMN). Cette dernière possibilité a cependant été écartée dès le stade des négociations, la partie émirienne souhaitant disposer d'une structure spécifique et dédiée uniquement à ce projet.
Plusieurs facteurs ont concouru au choix d'une structure privée .
Il s'explique pour partie par les contraintes fonctionnelles du projet - d'après les réponses du ministère de la culture au questionnaire de la commission des finances, « le besoin de rassemblement et de mise en commun des compétences et surtout des collections d'institutions nationales différentes rendait peu envisageable une formule d'établissement public ou de service à compétence nationale ».
En outre, une entité privée structurée sous la forme d'une société par actions était plus familière à la partie émirienne qu'un établissement public français.
Comme le souligne le ministère de la culture dans ses réponses au questionnaire de la commission des finances, « le suivi des sommes générées par le projet plaidait également pour une structure ad hoc ».
D'un point de vue juridique, une fois tranchée la question de l'alternative entre structure publique et entité privée, la formule de la société par actions simplifiée (SAS) a paru préférable à celle de la société anonyme (SA) en raison de sa souplesse : le régime de la SAS accorde une grande place à la liberté contractuelle pour décider des modalités de fonctionnement, en ce qui concerne notamment les pouvoirs de direction et les modalités de prises de décision. Les membres du conseil d'administration peuvent être des personnes morales de droit public. Enfin, un autre avantage résidait dans le fait que le risque n'est supporté par les actionnaires qu'à concurrence des apports, qui ont été limités à 20 000 euros par établissement 11 ( * ) .
2. Une gouvernance reposant sur un conseil d'administration aux pouvoirs étendus
La société est administrée par un conseil d'administration, composé de personnes physiques et de personnes morales et qui dispose de pouvoirs étendus : l'article 15 des statuts prévoit notamment qu'il « se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ».
Outre le musée du Louvre qui dispose de trois voix, cinq établissements publics actionnaires 12 ( * ) ont été désignés, lors de la constitution de la société, membres du conseil d'administration et bénéficient chacun d'une voix. Trois membres indépendants sont nommés « par décision collective extraordinaire des associés » 13 ( * ) sur proposition, respectivement, des ministres de la culture, des affaires étrangères et de l'économie et des finances pour une période de trois ans renouvelables 14 ( * ) et disposent également chacun d'une voix. Le président du conseil d'administration est élu parmi les membres indépendants du Conseil d'administration 15 ( * ) .
Le conseil d'administration est complété par un conseil scientifique qui est composé de neuf personnes « à raison de leurs qualités et de leurs compétences scientifiques » et qui « veille à la déontologie des projets scientifiques et culturels de la société ». Trois membres sont désignés par le ministre chargé de la culture, trois par le musée du Louvre et trois autres par une décision collective extraordinaire des associés. Le conseil scientifique est présidé par un des membres élu par ses pairs - le président-directeur du Louvre occupe la fonction depuis la création de l'Agence 16 ( * ) . Sa fonction est essentiellement consultative.
Censé éclairer le conseil d'administration sur une base scientifique, sa composition le rapproche en fait de celui-ci : il ne comporte aujourd'hui que des représentants des musées actionnaires.
Un conseil scientifique plus indépendant paraîtrait mieux à même de remplir ses missions .
Par ailleurs, à la demande du président du conseil d'administration, il a été décidé de créer un comité d'audit ainsi qu'un comité des rémunérations .
La responsabilité opérationnelle de la société est assumée par un directeur général 17 ( * ) nommé par le Conseil d'administration pour une durée de trois ans renouvelable après consultation du ministère de la culture et du ministère des affaires étrangères.
Même s'il n'a pas recours, pour contrôler l'Agence, à des outils comme ceux qu'il utilise traditionnellement pour les établissements publics sous sa tutelle (i.e. contrat d'objectifs et de performance), l'État est présent dans la gouvernance des différentes instances de l'Agence .
Le rôle de l'État au sein de l'Agence France-Muséums Le ministère de la culture assure, avec celui des affaires étrangères, le rôle de censeur au sein du conseil d'administration, de par les statuts de l'Agence. La directrice chargée des musées de France y siège activement. Elle est également membre du comité des rémunérations de l'Agence où sont décidées les mesures relatives à la rémunération et aux conditions d'expatriation des personnels de l'Agence. Le contrôle des actions menées par les musées nationaux actionnaires s'exerce également par le biais de la tutelle classique du ministère sur l'ensemble de ces institutions qui sont des établissements publics. L'État exerce aussi son contrôle par l'intermédiaire du contrôleur budgétaire, qui siège au comité d'audit et au comité des rémunérations. En outre, des réunions de travail et des points d'information sont régulièrement organisés entre les services de l'AFM et ceux du ministère, au niveau du directeur général de l'AFM, du directeur général des patrimoines et de la directrice chargée des musées de France. Source : réponse du ministère de la culture au questionnaire de la commission des finances |
Au total, la création d'une structure fédérant douze établissements publics culturels a permis de faire dialoguer entre elles des institutions qui n'en avaient pas forcément l'habitude et de montrer l'intérêt d'une démarche collective associant des établissements dont l'histoire et les modes de fonctionnement diffèrent. Le Louvre Abou Dhabi n'aurait pas pu exister sans le Louvre, mais il est rendu possible par la participation de nombreux musées.
3. Un budget d'une quinzaine de millions d'euros par an
Pour mener à bien les missions qui lui sont confiées, l'Agence France-Muséums dispose de la redevance versée chaque année par les Émirats arabes unis , pour un montant d'environ 15 millions d'euros ces trois dernières années après indexation sur l'inflation, et d' une équipe d'environ trente-cinq personnes .
Évolution des effectifs de l'Agence France-Muséums depuis 2008
N.B. : les ETP sont les emplois équivalent temps plein. Une personne employée à mi-temps correspond ainsi à 0,5 ETP.
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par l'AFM)
L'analyse du budget propre de l'Agence France-Muséums fait apparaître une hausse globale des dépenses .
Cette augmentation recouvre cependant trois mouvements de sens différents sur la période : de 2007 à 2009, les dépenses croissent nettement en lien avec le démarrage du projet, avant de diminuer en 2011 et 2012, en lien avec le retard pris par le projet et l'interruption, en 2011, des versements de la partie émirienne. Les dépenses ont ensuite augmenté de nouveau à partir de 2013.
Tandis que les dépenses de fonctionnement paraissent globalement maîtrisées, les dépenses de personnel représentent près de la moitié du budget de fonctionnement propre de l'Agence France-Muséums et ont crû sur la période récente, en lien avec l'intensification de l'activité dans la perspective de l'ouverture du musée et l'installation sur place d'une partie des équipes à partir de 2013 : en 2016, plus de la moitié des effectifs de l'Agence était basé à Abu Dhabi : sur 39 salariés, 20 sont expatriés aux Émirats arabes unis auxquels il faut ajouter six volontaires internationaux (VIE), soit un total de 26 personnes, du côté français, travaillant sur place.
L'Agence a fait le choix, à l'initiative du président du conseil d'administration, d'adopter une politique prudente de mise en réserve ce qui la protège d'aléas de paiement.
Au regard des informations transmises, la gestion financière de la société semble donc saine .
4. Un positionnement complexe, à mi-chemin entre la prestation de services et la mise en oeuvre d'un accord diplomatique
Le pilotage du projet est délicat : l'Agence doit à la fois représenter la France auprès des Émirats et les Émirats auprès des musées français tout en coordonnant les établissements partenaires du projet.
Certes, l'encadrement par un accord international ratifié par le Parlement est protecteur pour l'Agence et les musées français , puisqu'il fixe clairement, de façon publique et quasiment irrévocable, les conditions dans lesquelles ils interviennent aux côtés de la partie émirienne. L'accord intergouvernemental permet aussi d'éviter l'instauration d'une relation strictement commerciale entre la partie française et les Émirats arabes unis : ainsi, les versements à la partie française sont calculés de façon forfaitaire, sans valorisation individuelle de chaque prestation.
Cependant, en pratique, la relation entre l'AFM et les autorités émiraties se rapproche beaucoup d'un rapport entre un client et un donneur d'ordre , comme en témoigne le fait que l'accord intergouvernemental est prolongé et complété par un contrat de droit privé, conclu le 7 janvier 2008, pour la prestation de services de conseil, passé entre les deux organismes nationaux chargés de mettre en oeuvre l'accord international de 2007 : l'Agence France-Muséums d'un côté, l'autorité émirienne TDIC de l'autre.
Le projet a fait l'objet à cette occasion d'une division en plus de 300 « livrables » (rapports, études, séminaires...) correspondant aux prestations que l'Agence doit apporter à la partie émirienne en matière d'ingénierie culturelle. Une « valeur de retenue » a été associée à chacun de ces livrables , de telle sorte que le total des « valeurs de retenue » corresponde à 70 % du montant de la redevance annuelle telle qu'établie lors de l'échéancier annexé à l'accord de 2007.
Le caractère privé de l'Agence France-Muséums, qui est une société par actions simplifiée détenue par douze établissements publics culturels, contribue aussi à la rapprocher d'une agence de conseil « de droit commun ».
L'Agence France-Muséums se trouve donc dans une position d'emblée délicate , où elle doit s'efforcer de satisfaire aux exigences de la partie émirienne, comme le ferait n'importe quel prestataire privé, tout en affirmant la singularité du projet, qui ne relève absolument pas d'une simple transaction commerciale et dans lequel la France doit faire entendre sa voix.
L'Agence a également dû faire preuve de souplesse en raison du retard pris et des inévitables réorientations qui affectent un projet d'une telle envergure et d'une telle durée , qui l'ont conduite à fournir à la partie émirienne des pré-livrables et des post-livrables non prévus par le contrat de 2008.
Au surplus, les marges de manoeuvre du directeur général de l'Agence sont limitées par une coordination constante avec le Président-directeur du Louvre mais aussi le président du Conseil d'administration de l'Agence , dont le rôle effectif apparaît plus important que ne pourrait le laisser penser la simple lecture des statuts. Ainsi, loin de se limiter à sa fonction d'animation des réunions du conseil d'administration, le président a impulsé plusieurs décisions stratégiques importantes pour l'Agence France-Muséums. C'est en particulier à son initiative que la politique de mise en réserve d'une partie de la redevance a été adoptée ou qu'une partie des effectifs est allée s'installer à Abou Dhabi en 2013.
* 11 À l'exception de l'établissement public du musée du Louvre qui, comme cela a été souligné précédemment, dispose d'un peu plus d'un tiers des parts (34,3 %), correspondant à un apport initial de 115 000 euros.
* 12 Le musée du quai Branly, le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, le musée d'Orsay, la Réunion des musées nationaux (RMN) et la Bibliothèque nationale de France (BNF).
* 13 Article 12.1 des statuts.
* 14 Le nombre de mandats n'est pas limité.
* 15 Cette fonction est exercée depuis la création de l'Agence par Marc Ladreit de Lacharrière, qui a été nommé et renouvelé dans ses fonctions de membre indépendant du conseil d'administration sur proposition du ministre de la culture.
* 16 Jean-Luc Martinez a donc succédé à Henri Loyrette.
* 17 Qui correspond au président de la société prévu à l'article L. 227-6 du code de commerce. Le poste a été occupé par Bruno Maquart puis Manuel Rabaté. Anne Mény-Horn est actuellement en fonction.