B. LA CONDAMNATION DE LA FRANCE PAR LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE
L' arrêt du 25 novembre 1999 de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) condamnant la France pour manquement à la directive « Oiseaux » marque un tournant dans l'histoire récente du Marais poitevin. Le Marais poitevin constituant « une zone naturelle de très haute valeur ornithologique », il fut reproché à la France de ne pas avoir classé en temps voulu en zone de protection spéciale (ZPS) une superficie suffisante du Marais poitevin , de ne pas avoir conféré aux zones classés « un statut juridique suffisant » et de ne pas avoir pris les mesures adaptées pour empêcher la détérioration des sites du marais classés en ZPS ou de ceux qui auraient dû l'être 26 ( * ) . En particulier, selon la Cour de justice, « la loi française sur l'eau de 1992 et les contrats conclus entre l'État et les agriculteurs pour développer notamment les méthodes d'exploitation agricole respectueuses de l'environnement, ne sont pas suffisantes pour assurer la reproduction et la survie des espèces protégée » 27 ( * ) .
En l'absence de mesures suffisantes, une deuxième procédure d'infraction fut lancée en 2002 par la Commission européenne pour « manquement sur manquement » , susceptible d'aboutir en cas de saisine de la Cour de justice et de nouvelle condamnation, à une amende forfaitaire et à une astreinte financière pouvant atteindre 150 000 euros par jour.
Pour répondre aux insuffisances relevées par la CJCE et par la Commission européenne, un « plan gouvernemental pour le Marais poitevin » 28 ( * ) couvrant la période 2003-2013 fut adopté en 2002. L'extension de la ZPS sur une surface totale d'environ 68 000 hectares, l'adoption du document d'objectifs (DOCOB) du site Natura 2000 et l'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) ont permis le classement de la procédure d'infraction par la Commission européenne en 2005 .
Malgré la stabilisation voire le léger accroissement des surfaces en prairies - qui concentrent l'essentiel de la faune et de la flore dans la zone du Marais poitevin - les représentants des associations environnementales, des syndicats de marais et du parc naturel régional considèrent que le risque de contentieux communautaire subsiste .
C. UN TRÈS GRAND NOMBRE D'ACTEURS IMPLIQUÉS DANS LA GESTION DU MARAIS POITEVIN
Partagé entre deux régions et trois départements, le Marais poitevin se caractérise par la multitude d'acteurs participant à sa gestion et par la complexité de sa gouvernance.
Parmi les acteurs privés , il convient de mentionner :
- les 41 syndicats de marais qui assurent la gestion des niveaux d'eau dans leur secteur en manoeuvrant les ouvrages hydrauliques dont ils ont la charge et qui effectuent des travaux d'entretien des ouvrages et des cours d'eau à partir des cotisations des propriétaires 29 ( * ) . Ces groupements de propriétaires fonciers, de taille très variable et dont les premiers ont été constitués au XVII e siècle, prennent la forme d'associations syndicales autorisées ou constituées d'office et couvrent, au total, 89 % de la zone humide ;
- quatre structures de regroupement des syndicats de marais qui fédèrent une partie des syndicats (l'Union des marais de la Charente-Maritime, l'Union des marais mouillés du bassin de la Sèvre et des Autizes, la Fédération des syndicats de marais et la Société administrative des canaux des Cinq Abbés et des Hollandais) ;
Périmètre d'intervention des fédérations de syndicats de marais, des opérateurs hydrauliques et des opérateurs en matière de biodiversité dans la zone humide du marais
Source : Établissement public du Marais poitevin, 2015
Parmi les acteurs publics intervenant dans la gouvernance du Marais poitevin figurent :
- l' Établissement public du Marais poitevin (EPMP ). Cet établissement public à caractère administratif, sous la tutelle du ministre de la transition écologique et solidaire, a été créé en 2011 . Il est principalement chargé de la gestion de l'eau (règlements d'eau, contrats de marais) et des milieux naturels (Natura 2000, projet agro-environnemental et climatique, contrat territorial des milieux aquatiques), sur le périmètre des trois schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), soit 639 000 hectares , dépassant ainsi la seule zone humide du marais.
Doté d'un budget d'environ 2,8 millions d'euros en 2016 , l'EPMP est financé principalement par le PITE (1,5 million d'euros en 2016). Les dépenses de fonctionnement de l'établissement sont couvertes par une subvention pour charges de service public de 490 000 euros du ministère de la transition écologique et solidaire et par l'agence de l'eau Loire-Bretagne (500 000 euros en 2016).
Périmètre du champ d'intervention de l'EPMP
Source : Établissement public du Marais poitevin, 2015
Se définissant comme « un lieu d'échange privilégié et régulier, au service des acteurs du marais » , l'EPMP dispose d'un conseil d'administration présidé par le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine et composé de représentants de l'État, des collectivités territoriales, des usagers, de personnes qualifiées et d'un représentant du personnel ;
- le parc naturel régional (PNR) du Marais poitevin , « re-labellisé » en 2014 . Géré par un syndicat mixte constitué par les deux régions Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine, les trois départements de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vendée, les communes adhérentes, les établissements publics de coopération intercommunale et les chambres d'agriculture, le PNR est responsable de la mise en oeuvre du projet de territoire en matière de protection du patrimoine naturel , d' aménagement du territoire , de développement économique (notamment touristique) et d'éducation à l'environnement et au développement durable. Doté d'un budget total de 5,6 millions d'euros en 2016, il intervient sur l'ensemble de la zone humide pour développer des projets en maîtrise d'ouvrage, des actions d'animation ou dispenser des conseils ou une assistance aux collectivités territoriales qui le sollicitent. Contrairement à la plupart des parcs naturels régionaux, le PNR du Marais poitevin n'a pas de compétence en matière de gestion de l'eau, celle-ci étant dévolue à l'EPMP ;
- le parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis charentais , créé en avril 2015. S'étendant sur 800 kilomètres de côtes sur trois départements (Vendée, Charente-Maritime, Gironde), le parc naturel marin couvre notamment les estuaires du Payré, du Lay, de la Sèvre Niortaise et de la Charente. Il est compétent pour la gestion des zones Natura 2000 en mer et le long des côtes ;
- le conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CLEC) et le conservatoire régional d'espaces naturels de Poitou-Charentes (CREN), qui mènent des actions de maîtrise foncière sur le marais ;
- trois syndicats mixtes hydrauliques (syndicat mixte du Marais poitevin-bassin du Lay (SMPBL), syndicat mixte Vendée, Sèvre, Autizes et syndicat mixte de coordination hydraulique du Nord Aunis). Chacun regroupe des communes et des collectivités sur un périmètre donné 30 ( * ) . Ils sont chargés de l'étude et de la réalisation de nouveaux ouvrages hydrauliques d'intérêt collectif , voire de l'amélioration des ouvrages existants. ;
- l'Institution Interdépartementale du Bassin de la Sèvre Niortaise (IIBSN) . Établissement public territorial financé par les conseils départementaux de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vendée, il a pour missions d'assurer l'entretien des berges et des cours d'eau et le suivi des travaux d'aménagement des ouvrages hydrauliques , de réaliser des études liées à la gestion de l'eau et de porter les SAGE « Sèvre niortaise et Marais poitevin » et « Vendée ». Depuis 2014, l'IIBSN est propriétaire et gestionnaire du Domaine Public Fluvial de la Sèvre Niortaise, des Autizes et du Mignon, qui lui a été transféré par l'État. Il se distingue ainsi des trois opérateurs hydrauliques nommés ci-avant par ses compétences élargies. Cependant, il convient de noter que son périmètre géographique d'intervention est plus réduit 31 ( * ) . En 2016, le budget de l'IIBSN s'est élevé à 4,1 millions d'euros, dont 1,8 million d'euros de dépenses d'investissement ;
- le syndicat mixte des réserves de substitution (SYRES) de Charente-Maritime, regroupant le département, des syndicats de marais et les agriculteurs irrigants afin de réguler les tensions relative à la ressource en eau ;
- les collectivités territoriales situées dans le périmètre d'intervention de l'EPMP, soit deux régions, quatre départements, 32 EPCI 32 ( * ) et 353 communes ;
- les services départementaux et régionaux de l'État et, en particulier, le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine , à qui est confié le rôle de coordonnateur pour le Marais poitevin .
En définitive, il existe donc un éclatement des compétences exercées par plusieurs entités sur un même périmètre géographique - par exemple, l'EPMP est compétent en matière de gestion de l'eau, tandis que le PNR assure la protection des milieux naturels dans la zone humide du marais - ainsi qu'une multiplication de structures - et tout particulièrement des opérateurs hydrauliques - exerçant les mêmes compétences dans différentes zones.
Source : commission des finances du Sénat
* 26 CJCE, arrêt du 25 novembre 1999, Commission c/ République française, affaire C-96/98.
* 27 CJCE, Communiqué de presse n° 93/99 du 25 novembre 1999 dans l'affaire C-96/98.
* 28 Élaboré à la suite du rapport établi par Pierre Roussel, « Un projet pour le Marais poitevin », 2001.
* 29 Les cotisations des syndicats de marais sont comprises entre 10 et 30 euros par hectare ; les ressources totales des syndicats sont estimées à 2 millions d'euros par an .
* 30 Voir la carte p. 32.
* 31 Voir la carte p. 32.
* 32 Au 1 er janvier 2016.