B. AU NIVEAU LOCAL : L'EXEMPLE DE LA POLITIQUE VOLONTARISTE DE SAN FRANCISCO
Le régime fédéral des États-Unis donne une grande importance aux pouvoirs locaux, notamment en matière de fiscalité - qu'il s'agisse de détermination de l'assiette et du taux, ou des règles de procédures fiscales. Plusieurs villes américaines mènent ainsi une politique volontariste en matière de fiscalité des revenus issus des plateformes en ligne.
Les initiatives de la Mairie de San Francisco sont les plus significatives , non seulement par leur ampleur mais aussi parce qu'elles proviennent de l'endroit même où sont nées les entreprises concernées.
1. La collecte de la taxe de séjour et la transmission automatique en matière fiscale
À San Francisco, l'équivalent de la taxe de séjour, ou hotel tax , est fixée à 14 % du prix de chaque chambre , qu'il s'agisse d'une chambre d'hôtel ou d'une location de meublé touristique : elle représente donc un enjeu financier important pour cette ville, par ailleurs l'une des plus touristiques des États-Unis, et l'une de celles où les prix de l'immobilier sont les plus élevés 95 ( * ) .
La taxe peut être collectée soit par le loueur, soit par l'intermédiaire de la transaction ( operator ), agence traditionnelle ou plateforme en ligne : « nous sommes agnostiques sur ce point, peu importe qui collecte la taxe, du moment que celle-ci est versée », a ainsi expliqué le Tax Collector de la Ville et du Comté de San Francisco 96 ( * ) , David Augustine, lors de son entretien avec les membres du groupe de travail.
Le système est en principe volontaire pour les loueurs. Toutefois, en tant que « plateforme agréée » ( qualified company ), Airbnb collecte la taxe de façon systématique, pour tous ses hôtes à San Francisco : le système est automatisé et ne relève pas d'un choix au cas par cas.
Surtout, à San Francisco, la collecte de la taxe de séjour par les intermédiaires s'accompagne de la transmission de toutes les informations pertinentes : prix par nuitée, adresse exacte du logement, nom du propriétaire etc .
Par conséquent, les services de la Mairie disposent du revenu de chaque hôte , alors que ce n'est pas le cas de l'IRS (cf. supra ). Pour les plateformes qui ne collectent pas elles-mêmes la taxe (par exemple Craigslist , équivalent américain de Leboncoin ), la Mairie peut faire usage de son droit de communication, de droit commun 97 ( * ) . Les plateformes répondent-elles ? « Cette information est couverte par le secret fiscal, mais nous faisons usage de tous les moyens légaux à notre disposition », d'après David Augustine.
Au total, la collecte de la taxe de séjour par les plateformes à San Francisco est un net succès . Les recettes de l' hotel tax représentent environ 300 millions de dollars par an, une part non négligeable du budget de la Ville de San Francisco, qui est de 8 milliards de dollars 98 ( * ) . Sur ces 300 millions de dollars, Airbnb assure collecter environ un million de dollars par mois , un chiffre couvert par le secret fiscal que la Mairie ne peut pas confirmer.
La Mairie de San Francisco estime que le succès de ce système tient à la stricte séparation qui existe entre la collecte de l'impôt et les autres politiques publiques . David Augustine a ainsi précisé : « mon travail, c'est la collecte de l'impôt, et rien d'autre. Nous ne nous occupons pas des autres réglementations applicables, de l'enregistrement des logements, des normes incendie etc. ». La traduction la plus notable de cette politique est que les données collectées par le département de la fiscalité de la Mairie ne sont en aucun cas transmises aux autres départements de la Mairie , et notamment au Planning Department , chargé de la politique de l'urbanisme et donc du contrôle du plafond de nuitées applicable à la location de chaque logement. Elles ne sont pas non plus transmises à l' Internal Revenue Service .
2. Un usage offensif du droit de communication ?
L'action de la Mairie de San Francisco à l'égard des plateformes en ligne de mobilité est également riche d'enseignements.
En avril 2016, le Trésorier de la Ville, José Cisneros, a envoyé aux quelques 37 000 chauffeurs Uber et Lyft de San Francisco une lettre les enjoignant d'obtenir une licence professionnelle pour exercer leur activité, et d'acquitter les impôts dont ils sont redevables en tant que travailleurs indépendants . Cette licence coûte 91 dollars par an pour les travailleurs indépendants dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 000 dollars par an. La lettre précisait que les chauffeurs ne se conformant pas à cette obligation, qui existe depuis longtemps, seraient passibles de pénalités. La seule procédure d'enregistrement de 37 000 travailleurs indépendants supplémentaires représenterait un surcroît de recettes de 3,4 millions de dollars pour la municipalité - même si un nombre inconnu de chauffeurs dispose d'ores et déjà de cette licence. En trois semaines, 8 000 chauffeurs avaient répondu à l'injonction de la Mairie 99 ( * ) .
Cette politique s'inscrit dans le contexte du débat sur la qualification juridique des chauffeurs Uber et Lyft , comme le relève le San Francisco Chronicle : « face à la menace d'actions de groupe de la part de chauffeurs demandant le statut d'employé, les entreprises ont fermement maintenu leur position selon laquelle les chauffeurs sont des travailleurs indépendants. José Cisneros retourne en substance l'argument contre elles : s'il s'agit de travailleurs indépendants, alors ils sont soumis à l'obligation d'avoir une licence commerciale 100 ( * ) ».
La Mairie n'a pas pu confirmer la provenance de la liste des noms et adresses des chauffeurs, couverte par le secret fiscal. Il est cependant probable que la liste provienne de l'usage d'un droit de communication auprès des sociétés Uber et Lyft 101 ( * ) . Pour mémoire, dans un rapport du 12 avril 2016, la société Uber avait révélé qu'elle avait répondu, sur les six derniers mois, à plus de 12 millions de demandes d'information de la part des administrations (l'administration fédérale, mais aussi, entre autres, de Californie, de New York et de Chicago), au sujet de ses chauffeurs et de ses clients.
Il faut toutefois préciser que cette utilisation offensive du droit de communication ne fait pas l'unanimité au sein de l'administration municipale de San Francisco : l'enregistrement des chauffeurs indépendants est une initiative du Trésorier de la Ville, José Cisneros, qui est dans ses attributions un élu totalement indépendant du maire 102 ( * ) . Ce dernier, Ed Lee, n'a d'ailleurs exprimé « ni son soutien, ni son opposition ».
* 95 À San Francisco, un salarié très qualifié peut dépenser jusqu'à 75 % de son revenu dans son loyer, et la Silicon Valley dans son ensemble a perdu près de 6 000 habitants l'année dernière en raison de la hausse des prix du logement. Ainsi, afin d'encourager la mixité sociale, la municipalité de Palo Alto a même envisagé d'octroyer des aides au logement aux foyers ayant un revenu annuel inférieur à... 250 000 dollars par an.
* 96 Le Tax Collector est le haut fonctionnaire chargé de la fiscalité au sein de la Ville et du Comté de San Francisco. Il est placé sous l'autorité directe et exclusive du Trésorier de la Ville, José Cisneros (cf. infra ).
* 97 Ce droit de communication est analogue à celui dont dispose la direction générale des finances publiques (cf. supra ), et permet d'effectuer des demandes non nominatives.
* 98 S'y ajoutent notamment 1,4 milliard de dollars de property tax , au taux de 1,1 %, assise sur la valeur du bien immobilier... à l'époque de son acquisition. Compte tenu de la considérable hausse des prix immobiliers à San Francisco, cette règle aboutit à de graves inégalités. Comme en France, une « révision des valeurs locatives » est actuellement débattue (« Proposition 13 »), mais serait dans un premier temps limitée aux locaux commerciaux.
* 99 Source : Mairie de San Francisco, 6 juin 2016.
* 100 Source : San Francisco Chronicle , « San Francisco to require Lyft and Uber drivers to obtain a licence », 15 avril 2016. Traduction : commission des finances du Sénat.
* 101 Contrairement au droit de communication exercé par la DGFiP, le droit de communication de la Mairie de San Francisco n'est ne se heurte pas à l'obstacle de la territorialité : les sociétés Uber et Lyft sont établies aux États-Unis... à quelques rues de la Mairie de San Francisco.
* 102 De même que le sheriff ou le district attorney , par exemple. Ces élus disposent de leur propre administration et rendent compte directement à leurs électeurs.