Deuxième table
ronde
La ville végétale
Présidence de Dominique Alba, directrice générale de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur)
Sandra Rey, fondatrice de la start-up Glowee
Clément Willemin, cofondateur de COAL, architecte-paysagiste BASE Paris
Jean-François Berthoumieu, directeur de l'association climatologique de la Moyenne-Garonne et du Sud-Ouest (ACMG)
Luc Schuiten, architecte, scénariste de bande dessinée
Jean-Pierre Sueur , rapporteur
Je donne tout de suite la parole à Dominique Alba, directrice générale de l'Atelier parisien d'urbanisme, pour animer cette table ronde consacrée à la ville végétale.
Dominique Alba, directrice générale de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur)
Monsieur le sénateur, vous vous interrogiez, dans votre rapport de 2011, sur l'avenir des villes du monde, mais les mots « nature » ou « végétation » n'apparaissaient pas dans les propositions. Aujourd'hui, vous allez plus loin, en évoquant la ville comme un atout pour le futur et en faisant sensiblement évoluer les thèmes de travail.
Jean-Pierre Sueur , rapporteur
J'essaye de faire évoluer. Parfois, c'est lent...
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Les sujets que vous avez retenus sont difficiles, mais d'importance : les réseaux, la sécurité... Or le cadre de planification que nous connaissons et qui a été instauré après la Seconde Guerre mondiale n'est pas adapté à ces questions. On ne parlait pas, alors, de sécurité ou d'accueil des migrants, même si d'autres défis devaient être relevés en termes d'accueil.
J'ai aussi beaucoup apprécié que le programme évoque la question de la couleur. Vous le savez, Paris est une ville assez réglementée en matière d'urbanisme, mais une chose ne l'est pas : la couleur, justement. On peut faire ce que l'on veut.
Joëlle Alexandre, Industrie & Talents
Pas sur les Champs-Élysées.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
La couleur des enseignes extérieures est réglementée, oui, mais, derrière une façade vitrée, vous faites ce que vous voulez. Qui plus est, vous pouvez peindre un bâtiment dans n'importe quelle couleur ; il n'y a pas de règle portant sur cette question, même si vous devez évidemment négocier avec l'architecte des bâtiments de France.
Dans la dernière modification du règlement parisien, qui est intervenue voilà quelques semaines seulement, des dispositions nouvelles, et parfois originales, ont été adoptées concernant la végétation. En particulier, vous avez désormais le droit de planter ou de modifier un mur, sous certaines réserves tout de même. Si vous vous lancez dans la création d'une ferme pour développer l'agriculture en ville, vous pouvez même dépasser le plafond autorisé pour la hauteur des constructions, un plafond qui n'a pas changé depuis 1977. La table ronde que vous avez organisée est donc particulièrement d'actualité, d'autant que peu de personnes ont dû relever ce détail du nouveau règlement parisien.
Il a été abondamment question, ce matin, d'histoire et de géographie. Or la ville de Paris, qui est un stock constitué - 145 millions de mètres carrés, 360 millions dans la métropole - doit puiser dans ses racines. Même dans les cas où la nature n'est plus présente dans la ville, celle-ci reste issue de sa géographie, ne serait-ce que par la toponymie. Vous-même, monsieur le sénateur, avez raconté, ce matin, la genèse du nom d'Auchan, né de l'installation d'une ferme dans un site éponyme rural du nord de la France.
On ne peut pas imaginer une ville sans nature. Cela n'existe pas ! La discussion au cours de la précédente table ronde l'a montré, ceux qui y étaient qualifiés de « passéistes » comme ceux qui mettaient en avant le monde virtuel sont finalement d'accord sur la nécessité de donner de la place à la nature dans la ville. De quelque manière que les choses s'organisent, sophistiquées, à l'instar du projet porté par Glowee, ou plus classique, comme ce que prône Clément Willemin au travers de sa structure dénommée BASE, cette question nous offre des libertés nouvelles dont nous allons pouvoir maintenant discuter.
En guise de transition avec la précédente table ronde, je donne tout de suite la parole à Sandra Rey, pour la start-up Glowee.
Sandra Rey, fondatrice de la start-up Glowee
Notre société utilise un phénomène naturel, la bioluminescence : c'est la capacité pour des organismes vivants de produire de la lumière (voir photo 1 infra ). Ce projet, qui s'inscrit dans une démarche biomimétique, est d'ailleurs né après que nous avons visionné un reportage sur les poissons, capables de produire de la lumière sans électricité. Il s'agit donc d'apporter des réponses à des problématiques tant écologiques qu'économiques, en particulier en matière d'éclairage urbain.
En pratique, Glowee récupère les gènes, à l'origine de la bioluminescence, chez des organismes marins, notamment des bactéries présentes dans les calamars. Nous plaçons ensuite ces gènes dans d'autres bactéries, plus classiques, et nous les cultivons. Notre matière première est donc vivante et se reproduit de manière exponentielle, si bien que la ressource est quasiment illimitée.
Cette matière première va devenir une nouvelle source de lumière, afin de passer d'un système électrique à un système biologique et de réduire la consommation énergétique. Cela permet aussi de changer le paysage urbain, puisque la lumière, qui peut être utilisée de manière surfacique, est complètement différente, beaucoup plus douce. L'intensité peut ainsi être réduite, sans affecter l'éclairage de la zone en question. Nous agissons ainsi sur la pollution lumineuse.
Nous n'avons pas une vision radicale, à savoir remplacer toute la lumière électrique existante à travers le monde. L'important, à nos yeux, est que la meilleure source d'énergie se trouve au meilleur endroit. Ainsi la bioluminescence sera-t-elle beaucoup plus pertinente dans les endroits où la lumière sert à donner de la visibilité ou à mettre en valeur (voir photos 2 et 3 infra ) : vitrine de magasin, façade de bâtiment, signalétique, mobilier urbain, etc. Énormément d'usages sont liés à cette visibilité ; de nombreux remplacements peuvent donc être opérés, d'où un fort impact environnemental.
Notre démarche découle, je l'ai dit, du biomimétisme : nous observons ce que la nature est capable de faire. Or nous devons être conscients que celle-ci constitue l'usine la plus propre qui existe : elle ne produit finalement pas de déchets non recyclables, contrairement aux humains.
Nous utilisons les nouvelles technologies, en particulier la biologie synthétique, pour coder de l'ADN, comme nous le ferions dans le domaine de l'informatique, et ainsi imiter la nature et obtenir ses bienfaits. Cela permet de repenser complètement la manière dont on illumine : il s'agit d'utiliser non plus un objet, l'ampoule, mais une matière première, qui peut prendre toutes les formes. Cela permet aussi de réduire les consommations énergétiques et de se passer de certaines infrastructures, parfois lourdes et coûteuses, au profit de systèmes autonomes, qui ne nécessitent pas, par exemple, de tirer des fils.
Nous proposons donc une nouvelle manière de traiter la lumière. En ce qui nous concerne, nous vendons non pas un produit, mais plutôt un service : nous récupérons une biomasse en fin de vie, constituée de bactéries, pour la valoriser en énergie renouvelable. Ainsi, nous entrons pleinement dans la logique de l'économie circulaire : un produit devient un service, ce qui permet de révolutionner complètement la manière de consommer. Et les conséquences économiques et écologiques sur le paysage urbain sont très intéressantes.
Photo 1
Photo 2
Réduire l'impact
écologique et
économique
de l'éclairage tertiaire
Crédits pour les trois photos : (c) Glowee
Photo 3
Là où la lumière électrique
peut
être remplacée
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Voilà un procédé pour le moins impressionnant, qui ne manquera pas, j'imagine, d'inspirer Luc Schuiten ou Clément Willemin, auquel je cède la parole.
Clément Willemin, cofondateur de COAL, architecte-paysagiste BASE Paris
Je suis chargé d'évoquer devant vous le travail de Thierry Boutonnier, qui, retenu par d'heureuses raisons familiales, regrette de ne pouvoir être présent aujourd'hui. Thierry est un ami artiste qui mène, dans le cadre du programme culturel du Grand Paris Express, dont la direction artistique a été confiée à Jérôme Sans et José-Manuel Gonçalvès, un projet « Appel d'air », sur l'idée du végétal comme lien entre les personnes. Il s'agit de planter des arbres et de créer des pépinières urbaines, en particulier sur les parvis des futures stations. On pourrait qualifier le projet de « sculpture sociale », d'après une expression quelque peu barbare qui a été inventée dans les années soixante-dix par Joseph Beuys, qui avait en son temps planté sept mille chênes en Allemagne.
Je m'occupe aussi d'une association qui s'appelle COAL, ce qui signifie à la fois « charbon », en anglais, et « Coalition des acteurs de l'art contemporain et du développement durable ». Nous faisons la promotion d'artistes, comme Thierry Boutonnier, qui se saisissent des problématiques environnementales, notamment pour leur permettre d'accéder à la commande publique.
Il est important que la ville se fasse avec les artistes, les urbanistes, les architectes. Il existe différentes techniques pour « faire la ville » - la promotion immobilière, la réglementation, etc. -, mais nous ne devons pas oublier le paysage, qui n'est pas plus mauvais que l'idéologie architecturale ou la libre économie et qui a ses propres vertus.
J'ai également une société qui s'appelle BASE, pour « Bien aménager son environnement ». Nous essayons de « faire la ville » au rythme du végétal et de la géographie, afin d'organiser, d'agencer et d'aménager. Et pour cela, nous utilisons les mouvements du territoire : le fil de l'eau, la pente, la topographie ; avec cette idée que l'espace public est important. Quand on interroge les citadins, en particulier les Parisiens, sur les améliorations à apporter à leur ville, ils répondent, d'abord, qu'il faut davantage d'espaces verts, avant d'évoquer les questions de sécurité ou d'accès au numérique.
La ville se constitue autant avec le vide qu'avec le plein. Le végétal, qui est un peu des deux et qui a un côté immatériel, correspond donc bien à la ville. Dès lors, nous devons non pas limiter la construction de la ville à l'architecture et à une pensée matérielle, mais l'élargir à l'immatériel, en incluant le numérique, le monde végétal et la biodiversité. La ville n'est pas faite uniquement pour nous. Elle est aussi là pour vivre en cohabitation avec les insectes ou les oiseaux, qui nous font généralement plus de bien que de mal.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Nous voilà plongés maintenant dans le paysage immatériel !
À l'origine, les premiers arbres d'alignement de Paris, dont on considère qu'ils sont vraiment une marque de fabrique de l'espace public parisien, ont été plantés à l'époque d'Henri IV, pour produire du bois de chauffage. Par la suite, on a aménagé des vergers et les propriétaires des domaines agricoles ont créé au sein de ceux-ci des jardins d'agrément. Le parc de Sceaux, par exemple, a été loti et on a conservé sa partie agrément qui a été remaniée. Le Champ-de-Mars également a été loti.
Clément Willemin, cofondateur de COAL, architecte-paysagiste BASE Paris
Et les arbres sont en avance sur nous, puisque la mairie de Paris leur a greffé une puce RFID.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Effectivement, sur tous les arbres d'alignement.
Monsieur Berthoumieu, vous venez de la Moyenne-Garonne. Moi-même qui suis toulousaine, donc de la Haute-Garonne, je découvre cette appellation. Vous qui accompagnez des agriculteurs, que pensez-vous d'un paysage qui serait immatériel, des ressources tirées du biomimétisme ? Vous essayez d'optimiser les ressources à un moment où l'on parle beaucoup d'agriculture dans la ville, même en Île-de-France. Ainsi, il faudrait une fois et demie la surface de Paris pour nourrir tous les Parisiens, cinquante mètres carrés au sol de cultures vivrières suffiraient pour nourrir un Parisien, soit l'équivalent de cinq places de parking de surface. Peut-être pourrait-on aller encore plus loin avec vos procédés.
Jean-François Berthoumieu, directeur de l'association climatologique de la Moyenne-Garonne et du Sud-Ouest (ACMG)
Je ne sais pas si l'on pourra aller plus loin pour nourrir la population, mais au moins le pourra-t-on pour mieux vivre ensemble. Parmi les objectifs qui sont définis dans le document que vous m'avez remis sur le travail de 2011, il me semble qu'il manque une référence à l'adaptation au changement climatique.
Je suis né en Haute-Garonne, à Revel ; je travaille à Agen où je dirige une association climatologique, après avoir fait des études à Toulouse et être parti pour le Canada. Dans ce pays, en 1980, on parlait déjà de l'impact du changement climatique sur la production de blé en Alberta. Je suis rentré vers 1981-1982 en France et je n'ai pas pu trouver de poste de recherche sur l'adaptation au changement climatique parce que, à l'époque, mes professeurs disaient que c'étaient les taches solaires qui étaient responsables de la modification du climat. La France a opté pour le tout-nucléaire et, pour ma part, j'ai abandonné ma voie pour devenir technicien dans une association réunissant une centaine d'agriculteurs qui nous permettaient de collecter de la donnée.
Tant que nous étions subventionnés par le conseil général et que nous faisions un travail local, le système fonctionnait bien, avec une dizaine de personnes. Puis les subventions diminuant, nous avons créé une entreprise, Agralis. Celle-ci vend du savoir-faire en matière de pilotage de l'irrigation et de gestion de l'eau à la fois pour l'agriculture, mais également pour des jardins ou des espaces plus importants.
En 2007, nous avons pensé que tout ce que nous savions en ce qui concerne l'agriculture devait être transmis à la ville, qu'il fallait travailler pour la ville. C'est pourquoi, en 2016, je participe, au Sénat, à un colloque consacré aux prospectives urbaines. Alors j'aimerais juste laisser un message : la ville comme la campagne doivent s'adapter ensemble à ce changement climatique.
Je participe également au Cluster Eau et adaptation au changement climatique , que le sénateur Henri Tandonnet a animé dans son versant eau. C'est grâce à ce travail sur l'eau qu'il a poursuivi au Sénat avec son collègue Jean-Jacques Lozach que je me retrouve aujourd'hui parmi vous.
Le vent d'autan souffle à Toulouse et nous ramène de l'air chaud venant d'Espagne qui s'assèche en traversant les Pyrénées (voir photo 1 infra ). Quand il fait chaud à Toulouse, au moins il y a du vent. Bordeaux, elle, reçoit la brise océanique. Agen, c'est la patate chaude au milieu : le climat est meilleur à Toulouse et à Bordeaux qu'à Agen, où, en l'absence de vent, il fait très chaud. C'est pourquoi on réfléchit depuis longtemps à l'adaptation au changement climatique dans ce secteur.
Un PowerPoint est projeté.
Voici une image d'Agen (voir photo 2 infra ). En matière de télédétection, nous avons développé une technologie qui nous permet de constater que, quand un végétal souffre de la chaleur, sa température monte, et que, quand il a assez d'eau, sa température baisse. On observe ainsi des différences de température d'une vingtaine de degrés entre des secteurs industriels, des champs de maïs, de blé, des bois. Le parc de la préfecture est frais, la gare et le quartier de Montanou sont chauds. À un instant donné, les températures qui règnent sur la ville varient d'une quinzaine de degrés d'un endroit à l'autre.
Sur la communauté urbaine de Bordeaux, le nombre d'heures passées au-dessus de 30°C peut être dix fois, voire cent fois, supérieur à certains endroits comparés à d'autres. D'où un coût énergétique beaucoup plus important pour se maintenir sous cette température.
J'aimerais vous montrer que la campagne et la ville sont en lien. Pour ma part, je préfère vivre à côté d'un champ de maïs irrigué qu'en aval d'une zone de parkings, chaude, ou à côté de la gare, minérale.
Des étudiants en Master 2 nous aident pour traduire ces observations scientifiques en quelque chose de compréhensible par tout le monde, y compris les politiques.
Sur la diapositive qui s'affiche à l'écran, on distingue deux zones à Agen : une zone de parkings, où la température de surface, le 9 août 2003 à douze heures trente, est supérieure à 45°C ; et une zone de vergers de kiwis, où, au même moment, la température n'est que de 30°C. Ne peut-on pas réfléchir à ce que faisaient les anciens, les civilisations antiques, qui vivaient au milieu de l'eau ? Dans l'Antiquité, chaque habitant de Rome pouvait disposer d'un mètre cube d'eau par jour. Aujourd'hui, on veut économiser sur les 128 litres de la consommation moyenne quotidienne.
Dans le cadre du projet Adaptaclima, financé par l'Europe, nous avons pu observer l'évolution du nombre de jours au cours desquels la température a dépassé 30°C à Agen depuis 1951, date du début de nos relevés. Nous avons constaté que, dans les années soixante et soixante-dix, quand il faisait sec, comme en 1964 ou en 1976, ce nombre de jours était supérieur à la moyenne. Aujourd'hui, presque toutes les années enregistrent des moyennes supérieures à celles de ces deux décennies.
Après 1976, il a fallu attendre une dizaine d'années pour retrouver un rythme régulier. L'année 2003 a été exceptionnellement chaude : plus de 35°C ; l'été fut très sec, bien qu'un peu moins qu'en 1976.
Aujourd'hui, les conditions observées en 2003 surviennent régulièrement et nous prévoyons qu'elles se situeront dans la moyenne de ce que nous allons vivre.
Les données pluviométriques, quant à elles, n'ont pas varié, même si les minima ont légèrement augmenté. Compte tenu du changement climatique, il fait plus chaud et la demande en eau est plus importante ; en revanche, la ressource en eau naturelle, celle de la pluie, est toujours la même, voire légèrement supérieure.
Photo 1
Photo 2
Agen
Photo 3
Terrasse
végétalisée
Crédits pour les trois photos : (c) Jean-François Berthoumieu
Dans ces conditions, à quel futur faut-il s'attendre pour la ville ?
Sera-t-elle toujours plus chaude ? En tout état de cause, mieux vaudrait appliquer les principes de l'écologie méditerranéenne et non pas ceux de l'écologie anglo-saxonne nordique, qui fait aujourd'hui la loi. Notre loi sur l'eau est inspirée d'un esprit anglo-saxon nordique : je ferme le robinet en attendant que le niveau de la Tamise remonte. Dans l'esprit romain et méditerranéen, avant de faire construire ma maison, je fais aménager un réservoir pour y stocker l'eau et l'utiliser quand il ne pleut pas et quand il fait chaud.
Il a été question des bactéries. J'aimerais que celles-ci, pendant la journée, deviennent toutes blanches pour réfléchir le soleil quand il fait chaud afin qu'il fasse moins chaud contre les murs ; en revanche, pendant l'hiver, quand la température est basse, j'aimerais que ces bactéries absorbent le soleil et permettent aux murs de réchauffer la ville.
Cela dit, il faut augmenter les surfaces de végétation irriguée. Certes, on ne peut pas planter du kiwi et du maïs partout, pourtant, je viens de l'entendre, on peut planter des arbres. Dans les régions où les arbres reçoivent de la pluie régulièrement, c'est bien ; dans celles où ils n'en reçoivent pas, il faut prévoir un système d'irrigation, une ressource en eau, pour leur permettre de survivre et de faire fonction de climatiseur, car les feuilles, en absorbant de l'énergie solaire, vont faire baisser la température jusqu'à dix degrés, dégager de la vapeur d'eau dans l'air en diminuant d'autant les volumes d'ozone, responsable de nombreux décès en 2003. De fait, je préfère respirer la vapeur d'eau produite par ces arbres ou des terrasses végétalisées qui pourraient être irriguées par des vignes vierges montant le long des arbres. Le but est de réduire les besoins en climatisation, lesquels augmenteront nécessairement avec le changement climatique, en privilégiant le lien ville-campagne pour que celle-ci climatise celle-là, en plus de la nourrir.
Ce matin, la carte de Paris m'a sauté aux yeux. Les quartiers chics sont situés là où arrive le vent frais de la Manche ; ils ne sont pas à l'Est, là où souffle l'air chaud dans des conditions anticycloniques.
L'idée est également de favoriser les déplacements à pied et à vélo au milieu d'espaces verts. Voilà deux ans, dans le cadre d'Adaptaclima, les scientifiques ont expliqué que parcourir à pied, chaque jour, trois kilomètres au milieu d'espaces verts ferait économiser 1 000 euros à la sécurité sociale. Si ces espaces verts sont en même temps irrigués, ils auront une fonction de climatisation et on consommera donc moins d'énergie.
Comment s'adapter ? En appliquant les principes d'une écologie méditerranéenne, en stockant l'eau : comme le fait le monde paysan, il faut que la ville stocke de l'eau, à hauteur d'environ 200 litres par mètre carré, car 200 millimètres d'eau disponible pendant l'été, cela permet de réduire l'amplitude thermique de 4°C, ce qui équivaut à peu près à l'élévation de températures attendue. Il faut aussi économiser et stocker l'eau lorsque la température ne dépasse pas 33°C ou 34°C pour que, les jours où il fait plus chaud, cette eau ainsi disponible, y compris les eaux usées retraitées, fasse office de climatisation.
Enfin, pour s'en tenir à la qualité de vie et à la qualité de vue, je prouve par l'image qu'une terrasse végétalisée c'est bien mieux que des toits de tuiles qui, en plein été, chauffent à 55°C (voir photo 3 supra ).
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
À l'échelle de la métropole parisienne, un cadastre solaire a été élaboré afin de rassembler les données relatives aux ressources naturelles et aux consommations. Aussi, pour assurer la résilience de la ville, on dispose aujourd'hui d'outils à peu près équivalents à ceux qu'on utilisait pour produire des mètres carrés.
Grâce aux évolutions de l'informatique et de la donnée numérique, on dispose de systèmes très sophistiqués qui permettront aux élus de prendre des décisions assez simples et, surtout, de faire face aux propositions des opérateurs d'énergie qui restent des sortes de grosses boîtes noires auprès desquelles l'on ne sait pas trop ce qu'on achète. En particulier, les opérateurs de l'eau ne sont pas les derniers en la matière.
Je dirige une agence d'urbanisme qui est connue pour avoir conçu les Zac parisiennes et le plan d'occupation des sols de 1977. Depuis, nous avons beaucoup évolué. Nous avons ainsi proposé un document qui se veut une contribution pour un plan climat-air-énergie territorialisé, cartographié à la parcelle, et avons calculé les capacités solaires de tous les bâtiments de la métropole. Nous disposons donc d'outils et de bases de données très précis. Nous travaillons sur les brises thermiques et nous connaissons donc les effets de la chaleur, ainsi que les phénomènes que vous avez décrits de variation de chaleur selon les revêtements au sol. Nous sommes donc capables d'optimiser l'investissement de la société pour le bien-être.
Monsieur Schuiten, que pouvez-vous nous dire au regard du message plein d'espoir des trois intervenants précédents ?
Luc Schuiten, architecte, scénariste de bande dessinée
Je suis en phase avec les propos qui viennent d'être tenus. Je vais d'abord m'exprimer par des images, parce que mon métier d'architecte utopiste consiste à travailler sur ces futurs possibles, qui sont pour moi une véritable préoccupation.
Un PowerPoint est projeté.
Je me suis toujours demandé vers quoi nous allions. On nous promet sans cesse un avenir apocalyptique, et, à force, on a tendance à perdre toute confiance en ce qui peut nous arriver.
J'ai beaucoup travaillé avec cette idée de représenter non pas ce qui est le plus probable, mais ce que je souhaiterais qu'il nous arrivât, sur un possible souhaitable.
Je voudrais d'abord décrire la situation actuelle, évoquer les difficultés auxquelles nous sommes en ce moment confrontés, rappeler toutes les potions magiques élaborées pour essayer de guérir notre planète malade, réfléchir à ce qu'est notre civilisation industrielle, sur laquelle repose tout ce qui se trouve autour de nous.
D'abord, l'utilisation des matières premières.
Toutes celles que nous connaissons bien, parmi lesquelles l'or, l'argent, le fer, le cuivre, auront disparu dans quatre-vingts ans en raison du rythme, de plus en plus soutenu, auquel elles sont aujourd'hui consommées. Dès que l'une d'entre elles disparaît, on se rabat sur celles qui restent. Que fait-on, dans une civilisation industrielle, quand on n'a plus de matières premières, quand on n'a plus d'énergie, plus d'essence, pour maintenir un système que nous avons créé et qui a programmé sa propre obsolescence ?
Il existe à mon sens une piste formidable, celle du biomimétisme. Tout ce que la nature a produit représente 3,5 milliards d'années de recherche-développement, et tout ce qui n'était pas rentable n'a pas été retenu. Le système qu'elle a mis en place, celui du zéro déchet, est fait pour pouvoir durer dans le temps sans risque d'épuisement. Avec sa grande expérience en durabilité, la nature nous montre la voie. C'est pour nous le parfait exemple de la manière d'agir pour arriver à être bien plus justes.
Les premiers citadins à avoir occupé la planète sont les insectes sociaux : termites, fourmis, abeilles. Ils ont construit des immeubles incroyables, à l'image des termitières qui résistent plusieurs centaines d'années tout en étant autoclimatisées : il n'y a pas 1°C d'écart à l'intérieur entre l'été et l'hiver. Comment est-ce possible ? Nous avons énormément à apprendre, et pas seulement de ce que font les insectes et les animaux en général.
L'homme dispose aussi depuis très longtemps d'un savoir-faire extraordinaire. Il existe des immeubles comptant plus de dix étages et plusieurs centaines d'années, en grande partie autoclimatisés eux aussi. Tous les matériaux dont ils sont faits proviennent de l'environnement le plus immédiat. Les ruines de ces bâtiments sont encore plus belles que ne l'étaient les bâtiments eux-mêmes au moment de leur construction. Cela nous paraît ahurissant quand on voit comment on construit, tout ce qu'on abîme en amont de la construction et tout ce qui reste après.
En Irak, on peut découvrir un type d'immeuble collectif construit au moyen des roseaux qui poussent quelques centaines de mètres plus loin. Son architecture est, pour moi, l'exemple d'un processus complètement adapté au lieu, à la région, à l'endroit où elle a pris naissance.
Je peux encore vous parler d'un « biobéton » fabuleux : jamais nous n'avions réussi à faire un béton aussi prometteur. Il est fabriqué par un petit mollusque, grâce à ce qu'il prélève dans son environnement, sans déranger personne. Il absorbe le CO 2 au lieu d'en produire. Or, il faut le savoir, la fabrication du béton est la deuxième plus importante source de production de gaz à effet de serre, parce qu'il faut cuire des roches à 1 500°C pour évacuer le CO 2 que celles-ci ont mis des millions d'années à constituer. On a tout faux ! Ce faisant, on crée des problèmes insolubles, cependant qu'un petit organisme vivant arrive à produire un béton magnifique, souple, riche, complètement étanche, coloré : il a toutes les qualités requises. L'homme commence tout doucement à comprendre qu'il y a là un savoir-faire inestimable qu'il peut lui aussi utiliser. Bonne nouvelle : le biobéton a d'ores et déjà permis de fabriquer un bol et un banc. On ne sait pas encore le faire à une échelle industrielle, mais on apprend. Le monde de demain pourrait s'inspirer de ce que la nature a mis au point depuis tellement longtemps.
Pourquoi ne pas nous inspirer de la libellule (voir photo 1 infra ) pour produire du bioverre, complètement transparent, dont les qualités techniques pourraient, un jour, influencer nos constructions et créer des environnements très différents ? Je trouve que les architectes et les décideurs se contentent trop souvent, pour élaborer leur vision de la ville du futur, de reproduire des expériences passées et décevantes.
Par le dessin, j'essaie de voir si ce type de propositions a un intérêt ou non, d'imaginer une ville qui fonctionnerait comme un massif corallien, c'est-à-dire reposant sur un équilibre entre un ensemble d'organismes vivants évoluant dans un vaste écosystème complémentaire, qui s'enrichit au fil du temps, se sophistique, avant de se stabiliser. Ainsi, j'imagine une ville qui serait à l'image d'une forêt, d'un arbre immense. Un arbre, finalement, c'est une colonne, des poutres. L'ensemble serait surmonté d'une couverture d'un hectare de capteurs solaires : par la photosynthèse, la feuille capte l'énergie solaire, la transforme en électricité et ses photons peuvent très bien être utilisés pour nos besoins électriques. Au Japon, un laboratoire fait tourner ses ventilateurs à partir de la photosynthèse.
Nous pouvons d'ores et déjà commencer à suivre ces pistes pour imaginer des structures, des organismes issus directement de la nature. En employant les mêmes principes, en nous inspirant de ce savoir-faire, nous pourrions créer des habitations à partir d'une structure archiborescente refermée par un film, une sorte de biotextile transparent ou translucide, isolant, captant l'énergie solaire.
Photo 1
Photo 2
Crédits pour les trois photos : (c) Luc Schuiten
Photo 3
Ma manière de procéder, c'est d'imaginer ces choses, de les visualiser, puis de les dessiner afin de pouvoir proposer ma vision d'un monde complètement différent, d'une cité végétale constituée, pour l'essentiel, d'arbres vivants dont on a guidé la croissance au moyen de tailles, de greffes, de tuteurs, de tendeurs, autant de façons de disposer d'une structure rigide, nécessaire pour pouvoir accueillir des habitations.
Se projeter aussi loin présente l'avantage de pousser à imaginer le chemin qu'il faut parcourir pour y parvenir. Notre vision du futur est lacunaire, et c'est peut-être ce qui nous empêchera de prendre les bonnes décisions au bon moment. Par exemple, la Cité des Vagues est la copie de ce qu'on trouve dans un environnement balnéaire : les vagues se forment naturellement dans l'eau, mais également sur le sable, et il y a là peut-être une analogie intéressante avec l'architecture même des bâtiments.
Chaque habitation est liée à un lieu, à un sol, à un sous-sol, à un microclimat, à une culture, à une faune et à une flore, à un ensemble d'éléments. Tenir compte de cette spécificité locale est tout à fait indispensable. Évidemment, les habitations sont différentes d'une région à une autre et cette vision est donc aux antipodes de la mondialisation, aux termes de laquelle on place indifféremment les mêmes petites boîtes insipides, inodores, incolores partout dans le monde, de telle sorte qu'on s'ennuie où que l'on soit puisque tout est pareil, semblable, et réduit à un même dénominateur commun simpliste. Parce que nous ne sommes pas tous pareils, nous ne nous y sentons jamais bien.
Le panorama de Shanghai évolue continuellement. Envisageons-le depuis l'an 2000 et projetons-le jusqu'en 2080 et même au-delà : plus on progresse dans le temps, plus on recourt aux nouvelles techniques biomimétiques qui permettent d'intégrer le vivant à la ville et de réaliser cette symbiose entre nous autres, les êtres humains, et l'ensemble du monde vivant, cette réconciliation qui nous permettra d'être, enfin, en paix avec l'endroit où nous vivons, un endroit apaisé parce qu'il n'a plus vocation à détruire.
Même exercice avec Nantes, où l'on conserve la plupart des bâtiments existants, parce que réfléchir de manière écologique, ce n'est pas commencer par tout raser avant d'envisager ce qu'il est possible de faire ensuite : c'est travailler avec les structures en place, qui nous ont déjà coûté si cher sur le plan environnemental, pour les parer d'autres enveloppes.
Et maintenant, Strasbourg (voir photo 2 supra ). Toujours dans cette même optique, on y conserve la plupart des bâtiments existants, qui ont été habillés, « reliftés » au moyen de nouvelles enveloppes captant l'énergie solaire, mais également l'eau pour permettre aux végétaux de se réapproprier le bâtiment et le rendre ainsi accessible comme une colline, comme une montagne, comme un paysage, qui peut se parcourir de différentes façons. Le centre historique a été préservé, car, là encore, l'idée n'est pas de raser l'existant. Nous ne sommes plus dans la période moderniste, lorsque les architectes péroraient : « Avant moi, il n'y avait rien ; après moi, il n'y aura plus rien ! » Nous nous inscrivons dans une démarche à long terme, qui puise ses racines dans notre histoire.
Telle est la vision d'une ville qui aurait compris que la résilience est extrêmement importante et qu'il est essentiel d'y réintroduire une donnée aussi importante que notre subsistance et notre alimentation. Dans cette ville, les toitures, les espaces publics, les balcons, les façades ont été réaménagés en potagers, en vergers, en serres, en poulaillers, en pigeonniers.
J'en viens aux moyens de déplacement à venir, utilisant les énergies gratuites disponibles, renouvelables, donc plus légers, plus souples, polyvalents. J'ai imaginé un véhicule à base d'une structure biosourcée, actionné par un moteur électrique et un pédalier. Trois personnes peuvent y prendre place. Cela fait maintenant huit ans que je circule dans Bruxelles avec un tel véhicule.
Pour se déplacer dans les airs, l'ornithoplane à ailes battantes est un dirigeable gonflé à l'hélium et qui se meut par battement d'ailes. Plus léger que l'air, il capte l'énergie solaire directement à partir de l'extrados.
Je terminerai d'un mot sur mon travail actuel, qui consiste à placer des sans-abri dans des espaces résiduels de la ville, ces coins abandonnés, ces petits espaces dans lesquels je conçois des habitations biosourcées (voir photo 3 supra ). J'ai une dizaine de projets en cours. J'imagine aussi l'avenir des campagnes, qui pourraient évoluer vers quelque chose de très différent en tirant le maximum de profit de leurs ressources.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
La métropole du Grand Paris a inscrit la résilience dans le pacte qu'elle a signé avec l'État. Aujourd'hui, les drones et les petits trains, comme ceux que vous dessinez, monsieur Schuiten, sont davantage intégrés dans les réflexions sur la ville de demain.
Le recyclage apporte des ressources qui ne sont pas épuisables. Je vous invite tous à visiter l'exposition « Terres de Paris » au Pavillon de l'Arsenal. Ce matin, une rencontre a été organisée entre la Société du Grand Paris et tous les acteurs du BTP pour évoquer le devenir de la terre extraite par les tunneliers. En ce sens, la vision que vous venez d'exposer me ravit.
Vous êtes allé jusqu'en 2080. Rappelons-nous la ville d'il y a soixante ans. Pour paraphraser Verlaine, elle n'était ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Les villes ont la force de la durée. Paris est particulièrement douée pour digérer des architectures. Si la ville a heureusement échappé au plan Voisin de Le Corbusier, elle a dû accueillir le Front de Seine et les Olympiades, qui, finalement, ont pris racine.
Je serais curieuse de connaître la réaction des autres intervenants à ce florilège de biodiversité et de biomimétisme.
Sandra Rey, fondatrice de la start-up Glowee
Je partage cette vision selon laquelle les réponses existent déjà. Chez Glowee, nous n'avons évidemment pas inventé la bioluminescence, nous avons juste compris comment la reproduire. J'admire la liberté de votre imagination, monsieur Schuiten. J'aimerais pouvoir aller aussi loin que vous dans le cadre de mon activité de chef d'entreprise.
Clément Willemin, cofondateur de COAL, architecte-paysagiste BASE Paris
Je suis toujours extrêmement séduit par vos dessins, monsieur Schuiten. Votre imagination est extraordinaire. Notre projet le plus fou, mené avec Édouard François, est la tour M6B2, construite par Paris Habitat, un bâtiment « vert » près de la porte d'Ivry à Paris, dans le quartier Masséna, où nous avons installé des arbres à trente ou cinquante mètres de hauteur, en plein vent ; un défi technique et biologique, puisque le milieu « hors-sol » leur est hostile. Nous avons mené un protocole d'expérimentation avec l'École du Breuil, l'école d'horticulture de la ville de Paris, pendant quatre ans, dans le bois de Vincennes.
Les plantes, en réalité, aiment les milieux pauvres. J'ai coutume de dire qu'elles développent des addictions : plus on leur en donne, plus elles en prennent, si je puis dire. La violence fait partie de leur vie. Les arbres plantés sur cette tour préfèrent les sols pauvres, constitués de sable et de terreau, aux sols trop riches. Les premières années, ils construisent un tissu de racines profond qui les rend résistants aux pannes d'arrosage.
Ces milieux pauvres, qui contraignent les plantes à déployer des trésors d'inventivité et de ressources pour s'adapter, trouver des subterfuges, des remèdes, créent plus de biodiversité, ce qui peut être difficile dans un milieu humide ou très irrigué, où une espèce s'impose aux autres. C'est ainsi que, dans nos forêts françaises, le chêne en arrive à dominer tout le reste. Le typha fait de même au sein des jardins aquatiques.
En ce domaine, le contraste entre richesse et pauvreté est parfois moins évident qu'il n'y paraît.
Échanges avec la salle.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Y a-t-il des questions dans la salle ?
Marie-Pierre Servantie, chromo-architecte DPLG à Bordeaux
Monsieur Schuiten, vous vous dites utopiste, mais vous avez surtout ce bon sens que nos ancêtres avaient aussi et qui manque à notre société actuelle. Votre projection dans l'avenir est très belle.
Luc Schuiten, architecte, scénariste de bande dessinée
Pour certains, le terme « utopiste » est très négatif. C'est la pire des injures pour un homme politique.
Jean-Pierre Sueur , rapporteur
C'est un compliment, bien au contraire. Tant de gens sont trop terre à terre...
Luc Schuiten, architecte, scénariste de bande dessinée
Pour d'autres, l'utopie est un rêve. Pour ma part, je la revendique.
Dominique Chauvin, prospectiviste
J'aimerais ajouter un élément prospectif à cette discussion sur le thème très important de la ville végétale. Il faut trouver des systèmes architecturaux susceptibles d'améliorer la photosynthèse. Dans les milieux hostiles, c'est son efficacité et son rendement qui font la différence : tout repose sur la gestion de la lumière compte tenu des intrants. L'une des solutions pourrait être de privilégier des systèmes végétaux différents, comme les microalgues. À quand un immeuble de microalgues ?
Une ressource pourtant illimitée n'est pas suffisamment exploitée : le soleil. Une idée prospective promise à un grand avenir est de transformer sa lumière en biomatériaux. Ce seraient des panneaux non pas photovoltaïques, mais photobiochimiques.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Je suis ravie que soient ainsi évoquées des idées dépassant le végétal.
Jean-François Berthoumieu, directeur de l'ACMG
J'ai entendu dire qu'un végétal devait souffrir pour mieux s'adapter. Mais pas trop tout de même ! Pour que les arbres grandissent, comme les enfants, il faut les empêcher de souffrir. Ainsi pourront-ils se parer de leurs plus belles feuilles, façonner les paysages et nous rafraîchir. Le travail mené sur le sol, la matière organique, les champignons est également très prometteur.
Claude Foulon, agro-agri-environnement
Aujourd'hui, on sait faire pousser une plante avec des solutions nutritives, mais on ne sait pas comment un sol fonctionne, ni le rôle que les bactéries y jouent. Il serait intéressant d'en débattre avec des scientifiques.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
L'une des difficultés majeures est de garder du sol ; il est de plus en plus occupé.
Jean-François Berthoumieu, directeur de l'ACMG
Avez-vous remarqué que les maisons poussent mieux là où le sol est le plus fertile ?
Joëlle Alexandre, Industrie & Talents
Où sont situés les projets d'habitat pour sans-abri de M. Schuiten ?
Luc Schuiten, architecte, scénariste de bande dessinée
Ils sont tous à Bruxelles, mais des discussions sont actuellement menées pour en installer ailleurs.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Paris ouvre un camp de migrants dans quelques jours.
Joëlle Alexandre, Industrie & Talents
Les bâtiments de M. Schuiten sont différents : ils intègrent le végétal.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Les bâtiments de M. Schuiten sont normaux, fabriqués avec des matériaux qui existent actuellement.
Luc Schuiten, architecte, scénariste de bande dessinée
Ils sont conçus avec des matériaux biosourcés.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
C'est aujourd'hui devenu un basique, et heureusement d'ailleurs.
Jean-François Soupizet, conseiller scientifique, Futuribles international
Nous vivons une période de désenchantement, en particulier à l'égard du progrès scientifique. Il est extrêmement encourageant de découvrir que l'accroissement du savoir représente un levier vers une évolution. Je me réfère au dernier ouvrage d'Alain de Vulpian Éloge de la métamorphose : En marche vers une nouvelle humanité , qui délaisse l'idée de domestication de la nature et de l'homme pour privilégier le développement de l'un et de l'autre.
Dominique Alba, directrice générale de l'Apur
Jean-Pierre Sueur , rapporteur
Je vous remercie, chère Dominique Alba, ainsi que l'ensemble des intervenants.
Cette table ronde était très riche, comme les précédentes. Nous avons évoqué la science, l'art, l'imagination. Les artistes imaginent le monde du futur, d'une façon à la fois ludique et sérieuse, qui me plaît. L'oeuvre de l'homme peut ne pas être source de pollution. Il a fallu beaucoup de génie pour implanter l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire sur cette courbe précise du fleuve. Le paysage y est fait, indissociablement, de nature et de culture. Certains disent qu'en construisant, on détruit. On peut aussi magnifier le paysage, si l'on trouve le chemin d'une profonde harmonie entre nature et culture.