TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER
Réunie le jeudi 20 octobre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l ' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances, sur l'enseignement français à l'étranger et l'accès des Français de l'étranger à cet enseignement.
Mme Michèle André , présidente . - En décembre dernier, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes une enquête sur un sujet qui avait, cette année comme les précédentes, particulièrement agité nos débats budgétaires : la situation de l'enseignement français à l'étranger et l'accès des Français à cet enseignement.
Nous recevons Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes.
Je souhaite également la bienvenue à Jacques Legendre, rapporteur pour avis du programme 185, de la mission « Action extérieure de l'État », au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi qu'à nos collègues représentant les Français établis hors de France.
M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes . - Je suis heureux de présenter au Sénat l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'enseignement français à l'étranger et l'accès des Français de l'étranger à cet enseignement.
Cette enquête intervient trois ans après la précédente enquête sur le même thème, laquelle avait donné lieu à un référé de la Cour en 2013.
Comme de coutume, nos investigations ont été menées sur pièces et sur place, au sein des ministères concernés comme sur le terrain. Nous nous sommes rendus dans sept pays, dont quatre en Europe, deux en Afrique, un au Moyen-Orient. Nous avons visité 25 établissements scolaires et rencontré 500 personnes en tout, qu'il s'agisse des responsables des établissements, mais aussi de membres de leur environnement immédiat, comme les associations d'anciens élèves et de parents.
Notre enquête a été centrée sur l'évolution des financements publics consacrés à cette politique entre 2012 et 2015, dans le périmètre de l'action 5 - AEFE - du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » et de l'action 2 - « Accès des élèves français au réseau AEFE » - du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». Nous avons également considéré le financement par ressources propres des établissements, qui proviennent de deux sources : les frais de scolarité et les recettes alternatives.
L'enseignement français à l'étranger - une compétence du ministère des affaires étrangères et du développement international, dont nous avons auditionné le secrétaire général Christian Masset, après nos travaux et avant notre communication sur ces derniers - et son opérateur public dédié, l'AEFE, ont-ils les moyens de se projeter avec confiance dans l'avenir ?
De nos travaux, il faut retenir trois messages.
Premièrement, malgré des efforts louables de gestion ces dernières années, l'enseignement français à l'étranger ne dispose pas de stratégie conforme à sa double vocation d'accueillir les enfants des expatriés français à l'étranger et de participer au rayonnement français à l'étranger par l'accueil des enfants des pays concernés.
Deuxièmement, le dynamisme des dépenses constaté dans la période récente et les possibilités limitées d'accroissement des recettes sont une réelle source de fragilité du système.
Troisièmement, l'amélioration de la gestion des ressources humaines demeure une priorité.
Je veux maintenant développer ces messages.
Premier message : l'enseignement français à l'étranger se distingue par la densité de son réseau, issu de l'histoire, et par une gouvernance délicate due à la multiplicité des acteurs impliqués. Un peu moins de 500 établissements scolaires sont concernés. Ils se répartissent en trois catégories distinctes : les établissements en gestion directe, les établissements conventionnés et les établissements partenaires, les trois étant homologués par les ministres de l'éducation nationale et des affaires étrangères.
Ces facteurs expliquent d'abord, malgré les efforts entrepris depuis 2013, la difficulté d'établir pour ce réseau disparate des priorités géographiques claires pour les années à venir. Plusieurs tentatives de priorisation du développement du réseau ont été entreprises, mais n'ont pas abouti. Nous concevons qu'il s'agit là d'un exercice difficile, car la demande de l'enseignement français évolue parfois de manière peu prévisible. Il faut par exemple constater une expatriation française vers la Chine moindre que prévu au cours des dernières années.
L'enseignement français à l'étranger est un réseau ; il est donc par définition peu simple de le piloter. Il y a en outre des réseaux dans le réseau : la Mission laïque française, l'Alliance israélite universelle, l'Association franco-libanaise pour l'éducation et la culture, dont tous les établissements ne sont pas homologués.
À cela s'ajoute une concurrence intense de la part des écoles privées, anglo-saxonnes notamment. Si nos travaux démontrent que la demande d'enseignement français est satisfaite partout, sauf dans quelques rares cas, comme au Maroc, ils soulignent également que la décision de suivre l'ensemble de sa scolarité dans un établissement de l'enseignement français ne va pas de soi, ce qui implique de mettre sur pied une réflexion sur l'accompagnement des élèves jusqu'à la terminale et même au-delà.
L'enseignement français à l'étranger dispose également, au-delà de son réseau propre, d'une offre complémentaire avec le label FrancÉducation, offre qui a ses avantages, mais également ses limites.
La concurrence des établissements privés anglophones pose des problèmes pour notre politique en la matière ; il faudrait pouvoir la suivre au sein de nos postes diplomatiques.
À notre sens, une des questions principales est le devenir des élèves après le bac. Pour les élèves français, il est indispensable qu'ils obtiennent un identifiant national étudiant (INE), qui est un vrai passeport pour l'enseignement supérieur. Une autre de nos propositions est d'intégrer les anciens des lycées français dans le monde dans la gouvernance du réseau.
Deuxième message : le modèle économique de l'enseignement français à l'étranger est fragilisé par le faible potentiel d'évolution des recettes et le dynamisme des charges, que l'on constate sur tous les postes ou presque - le personnel, l'immobilier, les bourses.
Pour ce qui est de l'immobilier, nous notons que le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une enveloppe bienvenue pour la sécurisation des établissements. Malgré tout, nous vous faisons part de notre inquiétude sur la capacité de financement des opérations inscrites au schéma pluriannuel de stratégie immobilière. La sécurisation va coûter très cher ; elle devient même une vraie rubrique du schéma. Cette préoccupation rejoint celle qui porte sur les travaux de sécurisation des emprises diplomatiques à l'étranger.
Pour ce qui est des bourses, nous avons constaté que, dans le système actuel, les enveloppes sont tenues et permettent de répondre à la demande. Les non-scolarisations pour raison financière sont néanmoins extrêmement délicates à estimer. Nous anticipons que les dépenses de bourses continueront à évoluer, peut-être au-delà des 124 millions d'euros qui devaient leur être affectés à horizon 2019. Notre recommandation consiste à réaliser des gains sur la gestion des bourses par une dématérialisation accrue.
Nos travaux démontrent également que la hausse des dépenses a été financée par une augmentation importante des frais de scolarité à la charge des parents depuis 2008. En outre, 54 % des expatriés prennent désormais en charge les frais de scolarité de leurs enfants, contre 36 % auparavant. Nous vous alertons sur un point : une nouvelle hausse de ces frais pourrait détourner nombre de familles de l'enseignement français à l'étranger.
Pour ce qui est de la participation de l'État à l'enseignement français à l'étranger, les crédits ont diminué de 8 % depuis 2012. Le ratio de l'aide consentie aux établissements, hors bourses, sur le montant des droits de scolarité acquittés par les familles est passé de 65 % en 2013 à 58 % en 2015 pour les établissements en gestion directe (EGD). La tendance est similaire pour les établissements conventionnés. Cette tendance ne peut se poursuivre.
Trois scénarios sont possibles : une diminution des crédits, qui entraînerait l'attrition du réseau et la fermeture de certains établissements ; la stabilisation des crédits et le maintien du réseau en l'état, ce qui impliquerait alors la mise en place de réformes sur l'évolution des statuts des établissements et des personnels, ainsi que le développement des établissements partenaires ; une augmentation des crédits, qui permettrait une expansion du réseau.
Pour faire ce choix, qui revient au législateur, il convient de garder à l'esprit que l'enseignement français à l'étranger est un actif patrimonial et matériel, dont la valeur serait remise en cause si les crédits qui lui sont alloués venaient à trop diminuer.
Troisième message : la gestion des ressources humaines doit être réformée en profondeur. La Cour avait déjà fait cette préconisation en 2013.
La catégorie juridique des enseignants expatriés doit notamment être remise en question. Quelle est sa pertinence ? Ce sont des gens de qualité, mais la spécificité de leurs missions pose question. Quant au statut de résident, détaché de l'éducation nationale, c'est une fiction qui ne trompe personne : ce sont des expatriés sans le nom, puisqu'il suffit d'être résident dans un pays depuis plus de trois mois pour l'obtenir. Le sacro-saint décret de 2002 doit être revisité. La situation actuelle nous semble en effet incohérente et insincère. Elle se caractérise en outre par une gestion rigidifiée des personnels.
Quant aux recrutés locaux, leurs profils varient du bachelier de Madagascar au docteur de Harvard. Un véritable enjeu de formation, non pas continue, mais d'intégration, se pose donc. Nous aimerions d'ailleurs qu'il soit possible de connaître le nombre de recrutés locaux dans les établissements partenaires.
Nous suggérons de repenser la répartition entre résidents et expatriés. Quelle est la pertinence, par exemple, de placer des expatriés parmi les non-enseignants, à la direction des affaires administratives et financières, par exemple ?
Nous proposons donc d'établir de nouvelles règles de gestion pour les résidents, en supprimant les recrutements différés et en mettant fin à la reconduction tacite du détachement ; de réduire la proportion d'expatriés au profit des résidents à effectif total maintenu ; et de valoriser le statut de recruté local, à travers, par exemple, la création d'un parcours professionnel.
L'enseignement français à l'étranger est un atout unique pour France. C'est un actif de très grande qualité, un domaine d'excellence, dont il faut garantir la pérennité.
Cette politique arrive aujourd'hui à la croisée des chemins. Tout désengagement de l'État conduirait au dépérissement du réseau. Il faut donc pouvoir définir les priorités qui lui seront assignées pour l'avenir, témoigner d'une réelle volonté d'améliorer la gestion des ressources humaines, et stabiliser les crédits alloués.
M. Éric Doligé , rapporteur spécial de la commission des finances . - Je remercie les magistrats de la Cour des comptes, et en premier lieu Jean-Philippe Vachia, de l'excellent travail qu'ils nous ont rendu et qui vient de nous être présenté. Ce travail complète et précise plusieurs rapports existants sur un réseau complexe, divers, multiforme et unique au monde.
Je retiens pour ma part quatre éléments principaux de cette enquête.
Premier point, le réseau est unique par son ampleur, mais son évolution est lente et ne traduit pas une stratégie. Il est vrai que ce réseau est d'abord le fruit de l'histoire. La Cour des comptes recommande que le ministère se dote de grilles d'analyse prospective, en fonction des flux d'expatriation et des offres alternatives, tout en convenant que cet exercice est difficile. Vous avez cité le cas de la Chine, par exemple. À court terme, pensez-vous qu'une évolution est souhaitable ? Comment pourrait-elle s'opérer compte tenu de l'inertie propre à un réseau d'établissements existants ?
Deuxièmement, s'agissant du financement, la Cour des comptes souligne que la part des crédits publics s'est considérablement réduite par rapport aux frais de scolarité. J'ajouterai la régulière ponction du fonds de roulement de l'Agence, de ses services centraux et de ses établissements en gestion directe. La directrice générale de la mondialisation, que j'ai entendue voilà quelques jours, a parlé d'une ponction de 65 millions d'euros sur les services centraux et de 32 millions d'euros sur les établissements en gestion directe, après une ponction de 20 millions d'euros l'année dernière. Confirmez-vous ces chiffres ? N'y a-t-il pas là une atteinte aux droits des parents, qui ont alimenté ces fonds de roulement par les frais qu'ils acquittent en vue de travaux d'investissement, lesquels ne pourront pas être réalisés ?
En 2017, les dépenses de sécurisation des établissements sont budgétées à hauteur de 14,7 millions d'euros. Quel est le montant prévisionnel de ces dépenses de sécurisation à moyen terme pour l'ensemble du réseau ?
Je crois, en tout état de cause, que nous devons désormais préserver le financement de l'AEFE et de ses établissements.
Troisième point : les bourses scolaires.
La Cour des comptes a analysé cette question, qui fait l'objet d'importants débats au Parlement chaque année, de façon objective et précise. Elle en conclut, comme le ministère, que le taux de demandes de bourse non satisfaites est très faible et que l'enveloppe consommée est donc suffisante. Cependant, il y a un biais important : cette analyse s'intéresse aux demandes jugées recevables par les commissions locales ou qui sont déposées parce qu'elles correspondent aux critères définis. La sévérité de ces critères, qui est souvent décriée par nos compatriotes à l'étranger, n'est donc pas prise en compte. Pensez-vous, dans ces conditions, que l'enveloppe de 115 millions d'euros par an est à la hauteur des besoins ?
Le quatrième point a trait à la gestion des ressources humaines, sur laquelle la Cour des comptes a livré une analyse détaillée très intéressante. Il en ressort notamment que les différences de statut et de rémunération entre les expatriés et les résidents - un expatrié coûtant deux fois plus cher à l'AEFE qu'un résident - ne sont pas justifiées par une différence de mission fondamentale. Ces différences sont donc, sur le terrain, mal ressenties. Ma question s'adresse donc à la fois à la Cour des comptes, à l'AEFE et au ministère de l'éducation nationale : une transformation progressive des postes d'expatriés en postes de résidents, s'agissant du personnel enseignant, est-elle envisageable ? Quelles sont les marges de manoeuvre financières potentielles liées à une telle évolution pour l'AEFE ?
Par ailleurs, la Cour des comptes préconise une formation initiale obligatoire, aujourd'hui inexistante, pour les enseignants recrutés locaux, qui sont selon elle « l'avenir du réseau ». Est-ce envisageable et sous quelle forme ? Quel en serait le coût ?
Je terminerai en insistant à mon tour sur l'importance du suivi post-bac des anciens élèves du réseau. Un travail doit clairement être mené pour mieux exploiter cette diaspora.
M. Christophe Bouchard, directeur général de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. - Avant de répondre aux questions qui me seront posées, je voudrais faire quelques remarques sur la présentation faite à l'instant par le président Vachia.
L'AEFE prendra connaissance dans le détail du rapport de la Cour des comptes, comme elle avait pris connaissance des observations préliminaires, à propos desquelles elle avait fait valoir ses réactions.
Ce rapport, comme le rapport de 2013, dresse un tableau très complet sur la situation actuelle du réseau de l'enseignement français à l'étranger et des enjeux le concernant. Nous tenons à souligner le constat de départ formulé par la Cour des comptes, constat que nous partageons pleinement, qui insiste sur le caractère unique de ce réseau, aussi bien dans son organisation que dans l'implication de l'État, et sur son importance et son efficacité comme vecteur de l'influence française.
Il va de soi que l'AEFE et son ministère de tutelle partagent la volonté de tout mettre en oeuvre pour que la double mission de l'Agence et de son réseau - l'enseignement français aux enfants d'expatriés et l'influence culturelle auprès des enfants des pays concernés - continue d'être remplie de la façon la plus efficace possible, tout en l'adaptant aux évolutions à la fois endogènes et exogènes qui l'affectent.
Nous partageons donc le constat central fait par la Cour des comptes de la nécessité d'un maintien de l'engagement fort de l'État pour préserver ce modèle français.
Une différence d'appréciation avec un élément du rapport, cependant : l'AEFE, à travers notamment le contrat d'objectifs et de moyens 2016-2018², a d'ores et déjà élaboré une feuille de route pour les prochaines années, en cohérence avec les grandes orientations fixées dans le présent rapport de la Cour des comptes, et s'inspirant des réflexions menées sur la base de son précédent rapport, en 2013. Cette dimension a peut-être été sous-estimée dans le présent rapport.
Sur la question du pilotage, nous partageons le constat de la nécessaire fixation des priorités de l'enseignement français à l'étranger sur un plan géographique, thématique et organisationnel. Il faut rattacher à cette réflexion le travail mené par les ambassades d'une trentaine de pays sur le « plan enseignement », qui doit permettre d'offrir une vision de moyen terme en matière d'évolution du réseau.
Nous soulignons également l'importance de l'évolution du réseau au regard des contraintes budgétaires. Des premières réponses se font jour, à travers le développement des établissements partenaires mais aussi d'une offre complémentaire, comme le label FrancÉducation. Notre objectif est de continuer à promouvoir la croissance de l'offre dans un contexte contraint.
Nous partageons également les conclusions de la Cour des comptes sur l'importance des aspects liés aux ressources humaines, tant pour les personnes détachées titulaires de l'éducation nationale, pour lesquelles se pose la question du statut, que pour les recrutés locaux, qui représentent 50 % du personnel de nos établissements, et pour lesquels se pose effectivement la question de la formation, continue et initiale. Nous travaillons d'ores et déjà sur ces sujets.
Un point sur notre politique pédagogique et le contenu des enseignements : nous accordons une place importante à l'innovation pédagogique ; elle participe de la qualité reconnue de nos enseignements. Par ailleurs, depuis quelques mois, nous avons mis l'accent sur la thématique de l'inclusion : il s'agit de ne pas exclure par principe les élèves qui ont du mal à suivre les cours.
J'insiste sur un autre point, soulevé par Jean-Philippe Vachia : le lien entretenu avec l'enseignement supérieur est très important. Je veux ici rétablir quelques faits. Nous assurons le suivi des élèves quand ils passent dans l'enseignement supérieur, en France ou à l'étranger d'ailleurs. Je peux même dire que nous sommes très impliqués. La question de l'identifiant national étudiant a été soulevée. Sur ce sujet, nous avançons bien. Nous nouons également de nombreux partenariats avec de nouveaux établissements de l'enseignement supérieur en France et à l'étranger.
Quant au rôle des anciens élèves dans cette politique, je conviens que nous n'exploitons pas assez ce réseau. Nous ne touchons qu'une partie de la diaspora des anciens élèves, qui compte entre 500 000 et 600 000 membres. Nous devons accélérer le développement de réseaux sociaux dédiés pour créer des liens supplémentaires entre les anciens élèves de notre réseau, anciens élèves qui, des années après avoir quitté nos établissements, peuvent représenter de véritables soutiens à la France.
M. Pierre Lanapats, directeur adjoint de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau du ministère des affaires étrangères et du développement international . - Nous remercions la commission des finances d'avoir diligenté cette enquête de la Cour des comptes sur l'enseignement français à l'étranger. C'est l'occasion de faire un point d'étape sur les évolutions importantes qu'a connues notre réseau depuis trois ans.
Elle s'inscrit dans la continuité de la concertation menée par la ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, Hélène Conway-Mouret, sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger, des rencontres que le ministère des affaires étrangères et du développement international, le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur ont sur le sujet, et des travaux spécifiques sur ce thème : le rapport de 2012 de la sénatrice Claudine Lepage et du député Philip Cordery, le rapport Perret de 2015.
Le ministère, son secrétaire général l'a dit, est d'accord sur la pertinence du double objectif de l'enseignement français à l'étranger, à savoir, d'une part, une éducation de qualité pour les enfants des Français établis à l'étranger, d'autre part, le développement de l'influence française auprès des enfants d'étrangers.
L'enseignement français à l'étranger, ce sont près de 500 établissements dans 137 pays. L'engagement de l'État y est aussi important que nécessaire : c'est le premier poste de dépense du programme 185 « Action extérieure de l'État », à hauteur de 60 %.
Malgré cela, le réseau est de plus en plus largement autofinancé, à travers les frais de scolarité payés par les familles.
L'équilibre actuel de ce partage des charges ne saurait être remis en cause. Le ministère des affaires étrangères et du développement international partage en effet pleinement le constat de la Cour : il faut stabiliser les crédits budgétaires de l'AEFE. Nous nous permettons de souligner l'adaptabilité du réseau dans ses différentes composantes : nous voulons qu'il contribue à la vitalité de notre réseau diplomatique, en particulier dans les zones de croissance de nos communautés expatriées, et au renforcement de notre présence économique.
Nous avons également encouragé la promotion d'un réseau complémentaire, véritable deuxième pilier de l'influence éducative française à l'étranger, à travers le label FrancÉducation, accordé aux meilleurs établissements bilingues francophones -158 écoles et 60 000 élèves en profitent désormais.
Nous sommes conscients de la nécessité de finir tous ces chantiers et d'en ouvrir d'autres.
En premier lieu, cela passe par le renforcement de notre coopération avec le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur. Cette volonté d'une meilleure prévisibilité de la cartographie de nos implantations a donné lieu à la mise en place des « plans enseignements » dans les principaux pays de notre réseau.
Nous sommes également ouverts au principe d'une réflexion d'ensemble sur les ressources humaines.
La possibilité d'accéder à l'enseignement supérieur français est un axe de travail important que nous avons donné à notre réseau, en insistant sur le caractère crucial du continuum avec les études secondaires. Quant au suivi des élèves, notamment étrangers, après leur départ des établissements, il nous semble important qu'il se fasse en parallèle du déploiement du réseau d'alumni.
Mme Anna-Livia Susini-Collomb, cheffe du département des relations européennes et internationales à la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale . - Je tiens à mon tour à saluer le travail et les constats faits par la Cour des comptes dans ce rapport. C'est un rendez-vous que nous attendions pour, au-delà de nos réflexions, prendre le temps de nous projeter dans l'avenir du réseau, le temps aussi du recul sur les actions que nous menons dans un dossier complexe.
Le ministère de l'éducation nationale ne peut que rejoindre le constat et les préconisations de la Cour des comptes. Une phrase du rapport illustre bien la situation dans laquelle nous sommes : notre politique en matière d'enseignement français à l'étranger, pour ce qui concerne les homologations, par exemple, navigue en effet entre une certaine tolérance et une certaine rigueur.
Nous avons beaucoup travaillé, en format interministériel, à renforcer notre coopération avec le ministère des affaires étrangères et du développement international, autour notamment de l'engagement des établissements du réseau AEFE en faveur du label qualité.
Dans ce secteur extrêmement concurrentiel, le lancement début octobre d'une plateforme - intégralement financée par le ministère - visant à mesurer l'engagement sur le long terme des établissements pour cette qualité est un plus. Je signale également la mise à disposition d'inspecteurs pédagogiques « vie scolaire » et le renforcement du service pédagogique par l'AEFE. Nous avons également affecté du personnel dédié pour la gouvernance du réseau, mis sur pied des outils d'autoévaluation des établissements scolaires et entamé une politique d'audit de ces établissements.
Mais nous sommes encore au milieu du gué. Les outils existent : nous devons les affiner ensemble. La situation est rendue complexe par la diversité d'un réseau qui s'étend sur toutes les zones du globe.
Le travail prospectif sur les questions géographiques, politiques ou d'engagement des ressources humaines du réseau est tout à fait nécessaire.
J'ai beaucoup aimé le concept de « formation intégrative » des recrutés locaux, qui apparaît dans ce rapport. Beaucoup de choses se font déjà, mais ce concept est intéressant car il évite la confusion avec la formation initiale que nous ne pourrions de toute façon pas mettre en place.
Pour ce qui est de la poursuite des études dans l'enseignement supérieur français, je rappelle qu'un arrêté de 2012 crée ce référentiel qu'est le numéro d'identification national étudiant. Son application pour les élèves de l'enseignement français à l'étranger est prévue pour la rentrée 2017-2018. Les choses sont en cours. Une réunion s'est par exemple tenue hier matin entre les services du ministère de l'éducation nationale et l'AEFE. Ce numéro est important, en effet, pour la poursuite des études. Les élèves de l'enseignement français à l'étranger disposent déjà d'un numéro quand ils passent le brevet ou le bac. L'idée est de systématiser l'immatriculation, à l'image de ce qui est fait actuellement en France.
M. Jean-Marie Jespere , chef de la mission de la formation, des parcours professionnels et de la mobilité internationale à la direction générale des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale . - La gestion des ressources humaines est l'enjeu le plus important pour l'enseignement français à l'étranger, en premier lieu parce que la qualité du personnel est source d'attractivité pour les expatriés.
Notre rôle est de soutenir au mieux le développement de l'enseignement français à l'étranger, en permettant au personnel titulaire d'intégrer certains dispositifs. Nous tâchons de maintenir une répartition homogène pour garantir l'équité des moyens entre académies et l'égalité des enseignants face à la mobilité.
Connaître les priorités du ministère des affaires étrangères et du développement international en la matière constitue un levier d'action pour sensibiliser nos personnels au sujet de la mobilité. Si l'AEFE vient à suivre les recommandations de la Cour des comptes sur le statut des résidents, nous apporterons notre éclairage et participerons aux travaux.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Dans un contexte économique contraint, est-il envisageable de faire évoluer le réseau vers l'Asie, où la croissance économique est la plus forte et notre présence la plus faible ?
M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - Je reste sur ma soif sur un sujet : le prélèvement sur le fonds de roulement de l'AEFE, qui sera de 100 millions d'euros cette année, après avoir été de 20 millions d'euros l'an passé. Or le fonds de roulement disponible serait, semble-t-il, de 176 millions d'euros et le montant des investissements à faire est d'environ 130 millions d'euros. Je rappelle que le prélèvement sur le fonds de roulement rentre dans le budget de l'État. Tout cela semble anormal, voire illisible. J'aimerais donc avoir quelques clarifications sur le sujet, car nous allons au-devant de réelles difficultés.
M. Christophe Bouchard, directeur général de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger . - La question sur l'évolution du réseau est utile. Elle nous permet de retracer ce qui s'est passé au cours des dernières années, de présenter nos prévisions pour les prochaines années et d'insister sur la spécificité de l'enseignement français à étranger, notamment sur ses implications en termes de planification. La comparaison avec l'évolution du réseau diplomatique est d'ailleurs éclairante.
Le nombre d'élèves est globalement en augmentation sur les dernières années. À la rentrée 2016, il y avait un peu plus de 6 000 élèves supplémentaires par rapport à l'année précédente. Le suivi de l'évolution des communautés françaises est l'une de nos priorités, conformément au contrat d'objectifs et de moyens, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ayant pour mission première de scolariser les enfants français à l'étranger.
Le Royaume-Uni, en particulier la ville de Londres, est l'un des endroits où le nombre d'élèves a le plus augmenté. Les zones francophones restent prioritaires, que ce soit autour du bassin méditerranéen ou en Afrique francophone, mais aussi dans les pays émergents, par exemple dans le Golfe ou en Asie.
L'évolution du réseau présente une spécificité. Certes, nous pouvons être proactifs et prendre des initiatives. Mais nous répondons avant tout à la demande, selon qu'elle existe ou non.
Dans les deux principales puissances asiatiques, la Chine et l'Inde, qui représentent ensemble 2,5 milliards d'habitants, soit le tiers de la population mondiale, nous sommes confrontés à un blocage légal. Les gouvernements de ces deux pays interdisent, à de rares exceptions près, la scolarisation de leurs nationaux au sein de notre réseau. Nous devons donc nous limiter à la population française expatriée ou aux étrangers en provenance d'autres pays.
Nous sommes soumis à l'évolution de la communauté française. En Chine, elle n'a cessé d'augmenter pendant trois décennies, ce qui a mené à un projet immobilier ambitieux : le nouveau lycée français a été inauguré au mois de mai par le ministre des affaires étrangères. Mais, du fait des changements en matière de recours aux expatriés par les entreprises implantées en Chine ou des conditions de vie dissuasives à Pékin, le nombre d'élèves avait entre-temps baissé. Nous devons prendre en compte ce type de paramètres. Le nombre d'expatriés en Inde, encore plus limité qu'en Chine, baisse aussi, en raison des choix des entreprises et de la pollution à New Delhi.
Cela relativise certains discours que nous entendons par ailleurs. Sur le plan diplomatique, la Chine est une priorité, le ministère des affaires étrangères souhaitant faire de nos implantations dans ce pays les premières dans le monde en nombre d'agents.
La francophonie reste un domaine d'influence essentiel pour nous ; je pourrais citer le Maroc, la Tunisie, le Liban, l'Afrique francophone. Certes, c'est le résultat de l'histoire. Mais cela ne signifie pas qu'il faille l'abandonner. C'est un héritage du passé, mais cela représente aussi des points d'ancrage pour l'avenir.
Ne croyons pas que déshabiller Pierre permettrait d'habiller Paul ! Il est vrai que les 50 000 élèves scolarisés dans les établissements homologués au Liban sont hors de proportion avec la part de ce pays dans la population mondiale. Mais nous ne gagnerions rien à réduire la voilure au Liban pour l'augmenter ailleurs. Nous l'augmentons là où c'est nécessaire, compte tenu des contraintes qui sont les nôtres. Ce n'est pas toujours simple.
Les acteurs anglo-saxons, qui fonctionnent avec des règles différentes, sont dans la même situation. Il s'agit d'un marché. Nous nous établissons là où il existe une demande, en tenant compte de la spécificité du système des écoles : quand un élève entre en maternelle dans l'une de nos écoles, il est a priori censé continuer jusqu'en terminale. Nous raisonnons donc sur quinze ans. Les revirements à 180 degrés sont très difficiles, pour ne pas dire impossibles.
Les fonds de roulement conditionnent notre capacité à fonctionner. Entre les services centraux de l'AEFE, qui assurent notamment la rémunération des personnels enseignants, résidents et expatriés, et les établissements en gestion directe, ou EGD, je reconnais que la situation est complexe.
Monsieur le rapporteur spécial, les montants auxquels vous avez fait référence sont de nature différente. Les quelque 20 millions d'euros que vous avez mentionnés relèvent non pas d'un prélèvement sur le fonds de roulement, mais d'un mouvement de trésorerie des EGD vers les services centraux de l'AEFE. Cela n'a donc pas d'influence sur le fonds de roulement global de l'Agence, qui se compose à la fois du fonds de roulement des services centraux et des fonds de roulement des EGD. En l'occurrence, les services centraux, qui assurent chaque mois depuis Nantes la paie des employés du siège et des personnels enseignants, résidents et expatriés, avaient des besoins de trésorerie.
A la fin de l'année 2015, le montant global du fonds de roulement de l'AEFE, services centraux et EGD confondus, était d'environ 360 millions d'euros.
Cette année, compte tenu de nos contraintes - la situation est tendue -, ce montant global baissera d'une trentaine de millions d'euros sur les services centraux, en raison d'un déficit d'exploitation. Cela tient à un problème que la Cour des comptes a d'ailleurs soulevé : le poids croissant de la part patronale de la pension civile des personnels détachés de l'éducation nationale. Auparavant, elle était prise en compte par le ministère de l'éducation nationale. Mais elle a été transférée sur l'AEFE, avec, la première année, une subvention supplémentaire qui équivalait à la pension de l'époque, soit 120 millions d'euros. Mais cette subvention a été intégrée dans la dotation globale du programme 185, qui a baissé, alors que le poids de la pension civile augmente, d'où un déficit d'exploitation. Quand je parle d'une baisse de 30 millions d'euros, c'est au regard des éléments dont nous disposons à ce stade -l'année civile n'est pas terminée - et sous réserve du versement complet de la subvention annuelle due à l'Agence.
Le fonds de roulement des EGD devrait, sauf modifications imprévues d'ici à la fin de l'année, baisser d'un peu plus de 60 millions d'euros. C'est une évolution logique. Ces établissements ont effectué tout au long de l'année des dépenses d'investissement, qui étaient prévues dans le cadre de programmes immobiliers, d'où une baisse du fonds qui avait été constitué pour les financer. D'ailleurs, la hausse des frais de scolarité qui était intervenue dans un certain nombre d'établissements visait à constituer des réserves pour mener à bien ces projets immobiliers, qui continueront d'être menés dans les années à venir.
Il y a une interrogation sur la soutenabilité de ces projets immobiliers. Selon nos analyses, sous réserve - j'y insiste, car c'est important - du maintien de la dotation budgétaire à son niveau actuel, nous pourrons tout à fait les financer.
Une fois ces projets immobiliers réalisés - je précise que le schéma de programmation immobilière élaboré au cours des derniers mois a été validé par toutes les instances, y compris par le Conseil de l'immobilier de l'État -, nous reviendrons à un fonds de roulement conforme à ce qui est raisonnable.
M. Jacques Legendre , rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Dans le cadre de l'examen auquel nous procédons au nom de la commission des affaires étrangères, Gaëtan Gorce et moi-même nous interrogeons sur certains des problèmes qui ont été soulevés aujourd'hui.
Je suis préoccupé par le cas des élèves qui, ayant obtenu leur baccalauréat dans un lycée français à l'étranger, n'ont pas pu trouver de place dans l'enseignement supérieur français et ont dû aller faire leurs études au Canada ou aux États-Unis. J'insiste sur la nécessité que les jeunes bacheliers des lycées français puissent intégrer notre enseignement supérieur. Auriez-vous des éléments chiffrés sur le phénomène que je viens de décrire ?
Le rapport de la Cour des comptes dénonce la faiblesse de l'inspection dans le second degré. Pourrait-on avoir plus de précisions à cet égard ?
Enfin, je me fais l'écho d'une interrogation de mon collègue Gaëtan Gorce : qu'en est-il de l'information des enseignants français susceptibles de partir à l'étranger ?
M. Jean-Yves Leconte . - Cette audition est très utile avant la discussion budgétaire. Le rapport correspond à ce que l'on perçoit en se déplaçant à l'étranger, même si je regrette qu'il ne soit pas suffisamment incisif sur certains points.
Le nombre d'élèves a augmenté de 55 000 en six ans. Or il n'y a ni recrutements supplémentaires - l'AEFE est sous plafond d'emplois - ni renforcement des moyens budgétaires, qui sont même en baisse.
Les frais de scolarité payés par l'ensemble des familles s'élèvent à 1,8 milliard d'euros, soit 4,5 fois plus que la subvention publique. Cela soulève une interrogation sur la capacité de pilotage du réseau par l'État. Comment peut-on piloter un réseau dont on assure moins de 20 % du financement ?
La stratégie des établissements consiste depuis des années à suivre la demande solvable, ce qui est logique compte tenu de la baisse des dotations publiques. Avec moins de 20 % de financement public, un certain nombre d'établissements ne veulent plus jouer leur rôle de coopération éducative : aider un établissement voisin, c'est aider un concurrent.
Autre préoccupation, il existe une contradiction de plus en plus notable : d'un côté, les Français expatriés veulent limiter les frais de scolarité ; de l'autre, les étrangers paient cher pour accéder à des établissements aussi attractifs que leurs concurrents, notamment anglo-saxons. Pour équilibrer leurs comptes, les établissements ont besoin de clients solvables.
Concernant les bourses, d'un strict point de vue budgétaire, la logique d'enveloppe est toujours plus confortable que la logique de droits. Mais je rencontre les Français de l'étranger : le niveau des bourses et les conditions de traitement des dossiers ne permettent plus de garantir une prise en charge de l'ensemble de la scolarité si les familles n'ont pas suffisamment de moyens. Sur le long terme, c'est la politique des bourses qui est susceptible d'être remise en cause.
Il y a une autre contradiction, mentionnée dans le rapport, entre les besoins en enseignants, avec 55 000 élèves de plus en six ans, et les capacités de l'éducation nationale. Des établissements remettent en cause des projets de développement, craignant de ne pas obtenir d'enseignants. Cela ne peut pas durer.
Il faudrait aussi regarder localement les statuts des établissements. Même dans les établissements conventionnés, on trouve des situations un peu baroques.
Il faudrait formuler une recommandation sur l'homologation, qui doit venir certifier la réponse à des exigences précises, et non relever de considérations d'opportunité politique. Une réflexion sur le sujet s'impose. Cela aurait mérité de figurer dans le rapport.
En tant que parlementaire, je vote le budget. On nous dit que certains recrutés locaux des EGD ne sont pas sous plafond d'emplois. Or, dans le budget de l'AEFE, il est indiqué qu'ils le sont. Pourrait-on avoir des éclaircissements de la Cour des comptes sur ce point ?
L'an dernier, j'avais défendu un amendement relatif aux résidents. Ils sont sous plafond d'emplois, mais tantôt complètement pris en charge par les établissements, tantôt non. Ne pourrait-on pas avoir un peu plus de marges de manoeuvre ?
Le coût des pensions civiles pour l'AEFE est de l'ordre de 180 millions d'euros. Il est indiqué que les établissements strictement homologués - ils bénéficient de 2 000 détachements - ne coûtent rien à l'État. Ce n'est pas vrai. Par une simple règle de trois, on s'aperçoit que le coût est d'à peu près 60 millions d'euros pour l'éducation nationale. Il s'agit d'une subvention cachée, qui n'est même pas indiquée dans le rapport, pour les établissements homologués. Les établissements qui sont dans le périmètre public marchent avec des semelles de plomb. Le dispositif est régi par un décret de 1984. Il faudrait pouvoir en sortir progressivement.
La politique dont nous parlons joue un rôle essentiel pour la France, en termes à la fois de soft power et de présence économique à l'étranger, pour un coût inférieur au prix d'un A380 !
M. Michel Bouvard . - Je salue les travaux de la Cour des comptes.
Le secteur dont nous parlons relève bien des investissements d'avenir pour notre pays, qu'il s'agisse de son économie ou de son rayonnement. Malheureusement, nous sommes confrontés à des problèmes budgétaires, comme souvent lorsqu'il s'agit de financer le long terme.
Il y a 11 000 élèves inscrits sur liste d'attente, dont la moitié sont des nationaux. Et encore la liste d'attente ne recense-t-elle que ceux qui ont pris la peine de s'inscrire ! D'autres ne le font même pas, découragés par la longueur de cette liste...
Pourtant, la demande existe. Voilà quelques jours, j'étais à Chengdu, ville de 18 millions d'habitants de la province chinoise du Sichuan, qui compte 80 millions d'habitants et où il n'y a pas d'enseignement français alors que les entreprises françaises y sont nombreuses.
Les entreprises françaises prennent moins en charge les frais de scolarité. Y a-t-il moyen de nouer des partenariats avec les grands groupes industriels français mondialisés ou de les faire contribuer davantage, à l'instar de ce qui se pratique en Allemagne ? Peut-on envisager des partenariats avec des pays francophones européens qui n'ont pas de réseau d'enseignement à l'étranger - je pense à la Suisse ou à la Belgique -, mais dont certains nationaux sont scolarisés dans nos établissements à l'étranger ?
Les analyses de la Cour des comptes sur l'immobilier correspondent à ce que nous constatons pour d'autres compartiments du budget de l'État. Celui-ci est incapable d'avoir une approche durable en termes de gestion de l'immobilier. Le schéma 2016-2020 est très bien, mais reste la question des moyens.
On nous dit : « sous réserve des dotations budgétaires ». Des prélèvements sont effectués sur le fonds de roulement. Selon le rapport, 50 % des établissements ont des besoins en matière de travaux immobiliers, sans parler des aspects tenant à la sécurité. En clair, nous sommes dans la même impasse que d'habitude en matière de gestion du patrimoine immobilier. On le constate aussi pour le compte d'affectation spéciale « Gestion de l'immobilier de l'État », ainsi que pour un certain nombre d'établissements publics.
Y a-t-il moyen de sécuriser les financements nécessaires pour l'entretien du patrimoine ? N'y a-t-il pas une réflexion à mener pour gérer l'immobilier de l'État à l'étranger de manière plus globalisée ? Il y a bien des cessions en parallèle...
M. Richard Yung . - Les observations de la Cour des comptes nous donnent matière à réfléchir. Les sénateurs représentant les Français de l'étranger, très concernés par de telles problématiques, ont besoin de prendre un peu de recul pour analyser tous les enjeux.
Je note la croissance du réseau ; le nombre d'élèves et la demande sont en progression. Le système français est considéré, à juste titre, comme très bon. Il y a même des Américains qui montent des écoles maternelles et primaires françaises uniquement pour les enfants de leur pays ! Mais la description de l'évolution des moyens publics met en lumière un problème de cohérence.
L'AEFE a pour mission de scolariser à la fois les enfants français et les enfants non français. La formulation est assez vague.
Que signifie « scolariser les enfants français » ? Que tout enfant français à l'étranger a droit à une place dans une école française ? Cela ne fonctionne pas ainsi en pratique. Tous les enfants français ne vont pas dans des écoles françaises, pour de multiples raisons, par exemple la préférence accordée au système éducatif de l'autre pays pour un enfant issu d'un couple binational. L'AEFE agit quand on lui signale des cas d'enfants français non scolarisés, mais tous ces cas ne sont peut-être pas signalés.
Et que signifie « scolariser les enfants non français » ? Que l'on scolarise les enfants des élites du pays ? Ce n'est pas condamnable en soi, mais le rôle de l'enseignement français à l'étranger n'est pas de se substituer aux systèmes éducatifs défaillants d'autres pays, systèmes dans lesquels les élites se gardent bien de scolariser leurs propres enfants. Certes, je comprends bien l'objectif politique de scolariser de futures élites en langue française, mais cette situation me met mal à l'aise.
J'ai un sentiment ambivalent à propos des bourses. La réforme qui est intervenue était certainement nécessaire, mais on constate une chute assez significative des montants : 106 millions d'euros en 2014, 89 millions d'euros en 2015 et 92 millions d'euros en 2016. Lors de la réforme, on avait invoqué le sacro-saint chiffre de 125 millions d'euros, qui correspondait au niveau de l'année précédente. Maintenant, on est à 30 % de moins. Rend-on un service moindre ? Je comprends les objectifs de la réforme, notamment celui de réaliser des économies, mais n'est-on pas en train de l'appliquer de manière trop rigide ? Un certain nombre d'enfants n'obtiennent pas ce qu'ils pourraient obtenir en bonne logique. Lors de nos déplacements sur le terrain, nous entendons toujours dire qu'il n'y a pas assez de bourses. Comment évaluer ce que serait le bon niveau ? Selon quels critères ? Nous ne savons pas si le chiffre de 125 millions d'euros est suffisant. En revanche, 92 millions d'euros, ce n'est sans doute pas assez.
Le rapport de la Cour des comptes appelle à une grande réforme de la gestion des personnels. Fort bien, mais laquelle ? Que nous propose-t-on ? Une harmonisation des statuts ? Est-ce politiquement et syndicalement faisable ?
M. Olivier Cadic . - Il y avait peu d'élus consulaires parmi les personnes auditionnées. J'en ai recensé quatre.
Il est dommage que la conseillère consulaire de Londres Sophie Routier, qui avait repéré les sites de Camden et de Brent, n'ait pas été auditionnée. À Londres, nous avons tout de même levé 120 millions d'euros en quelques années, grâce à un management participatif. Alors que l'on n'avait jamais réussi auparavant à réaliser un deuxième établissement secondaire, nous y sommes parvenus en huit ans ! Il est bien d'avoir visité les nouveaux établissements et rencontré Frédéric de la Borderie, mais il aurait été souhaitable d'auditionner les véritables artisans de telles réalisations.
En tant que parlementaires représentant les Français de l'étranger, nous n'avons pas été auditionnés non plus. Surtout, il est regrettable de ne pas avoir rencontré les représentants des milieux économiques, notamment les présidents des chambres de commerce, qui ont joué un rôle important à Londres.
Il faut aussi rencontrer les anciens directeurs administratifs et financiers et les anciens proviseurs des EGD, quand ils ont une vraie liberté de parole, pour qu'ils puissent détailler les limites du système et les difficultés rencontrées sur le terrain.
Un EGD peut se retrouver confronté à une situation de concurrence déloyale lorsqu'un autre établissement reçoit de l'argent public, ce qui lui permet d'établir une tarification différente.
Le réseau a été conçu pour répondre à la demande des expatriés et des élites étrangères. Nous n'avons pas attendu Laurent Fabius pour faire de la diplomatie économique.
Le principe de départ était excellent : mettre en place un réseau d'écoles pour permettre aux enfants de cadres expatriés de bénéficier d'une continuité éducative et offrir aux élites étrangères la possibilité d'y scolariser leurs enfants, afin que la nouvelle génération soit francophile et favorable au développement des échanges commerciaux avec notre pays. Cela justifie d'y consacrer un demi-milliard d'euros par an.
Concernant l'objectif de scolariser les enfants français à l'étranger, le rapport fait état de taux de scolarisation variant entre 5 % et 20 %. Globalement, on sait qu'environ un quart des enfants français à l'étranger sont scolarisés dans notre système.
Cependant, depuis la création du réseau, des décennies se sont écoulées. Aujourd'hui, beaucoup de Français nés à l'étranger ne parlent même pas français : 80 % sont dans ce cas à Annaba, et près des trois quarts en Amérique du Sud.
Je partage les interrogations de Jean-Yves Leconte et Richard Yung sur le niveau pertinent en matière de bourses. Aujourd'hui, 20 % des enfants français scolarisés dans le réseau d'enseignement français à l'étranger bénéficient d'une bourse. Comme seulement 25 % des enfants français sont scolarisés dans l'enseignement français, ces bourses ne concernent que 7 % ou 8 % des enfants français à l'étranger. C'est une petite minorité. Certains commencent à se demander si le système est juste. Je pense qu'il était effectivement sain de fixer une limite, mais on a simplement partagé la pénurie !
Concernant l'objectif d'attirer les enfants des élites, le problème est que le temps a passé. Les élites sont attirées par les établissements anglo-saxons, dont les infrastructures n'ont rien à voir avec celles de nos écoles. Nous sommes face à une difficulté pour répondre à la demande des élites. Il faudrait un système à double niveau, donc avec des tarifs différenciés, dans nos établissements. Je partage le souci républicain de s'adresser à tout le monde, mais, pour attirer les élites, qui exigent le haut de gamme en matière d'infrastructures, il faut s'en donner les moyens, quitte à avoir un système à double vitesse. A-t-on bien mesuré la dynamique de croissance des écoles anglo-saxonnes à l'étranger et combien d'argent public y est consacré ?
Comment prétendre rayonner si notre système ne peut pas garantir que les nouvelles générations de Français naissant à l'étranger parlent français ? Le réseau de l'enseignement français à l'étranger n'est qu'un des moyens pour atteindre cet objectif de rayonnement. Il ne peut pas en être l'alpha et l'oméga et absorber tout l'argent public. Sa capacité de développement est modeste face à la dynamique de la natalité dans le monde.
Nous avons un bel outil. Il faut revoir la stratégie, mais pas sous le seul angle du montant d'argent public à mobiliser. Demandons-nous si le système répond bien aux attentes de nos milieux économiques : c'est ainsi que nous saurons si le demi-milliard d'euros consacré annuellement au réseau est bien investi.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je salue moi aussi le rapport de la Cour des comptes. Toutefois, je regrette également que les sénateurs des Français de l'étranger, pourtant fins connaisseurs du réseau des établissements français dans le monde, n'aient pas été consultés, pas plus que les membres de la commission de l'enseignement de l'Assemblée des Français de l'étranger, à quelques exceptions près.
Je trouve aussi dommage de ne parler que de l'AEFE, et pas davantage du réseau ou des écoles bilingues. Il aurait été intéressant d'aller visiter, par exemple, les petites écoles privées qui se sont constituées à Londres. Ces écoles ne relèvent pas seulement d'une vision économique. Leur création résulte souvent de l'initiative de parents qui ont commencé, par exemple, par se réunir le samedi matin dans un hall d'église. Elles se sont développées, jusqu'à atteindre l'ampleur que nous connaissons aujourd'hui. Notre réseau d'écoles est un outil essentiel de rayonnement ; nous y tenons beaucoup.
Les bourses sont effectivement insuffisantes. Je passe mon temps à le dire : s'il y a relativement peu de demandes, c'est parce que l'effet de dissuasion est très fort. Ces bourses ne profitent pas aux familles modestes ou aux familles de plus de deux ou trois enfants. Des témoignages me sont parvenus de quasiment partout dans le monde de familles ayant renoncé à l'enseignement français à cause du coût, qui devient prohibitif.
Autre problème, les enseignants détachés ont souvent beaucoup mal à faire accepter ces détachements par les rectorats, qui n'aiment pas trop les voir partir à l'étranger. Nous avons vraiment besoin de travailler main dans la main avec le Quai d'Orsay et le ministère de l'éducation nationale. La richesse du réseau, ce sont aussi les enseignants. Il n'est pas normal que l'on refuse d'envoyer des enseignants à l'étranger ou que ceux-ci doivent renoncer à leur projet d'expatriation en raison d'autorisations trop tardives.
J'espère que les sénateurs des Français de l'étranger pourront être davantage associés à de tels travaux à l'avenir.
Mme Michèle André , présidente . - Je salue la contribution des sénateurs représentant les Français de l'étranger aux débats budgétaires lors de l'examen du projet de loi de finances. Il nous a semblé important qu'ils puissent assister à l'audition de ce matin, afin de nous faire bénéficier de leur regard singulier sur de telles problématiques.
Pourquoi les anciens élèves des établissements français à l'étranger sont-ils moins impliqués que, par exemple, certains anciens élèves des grandes universités américaines ?
Les conditions financières des avances accordées à l'AEFE à partir du compte d'affectation spéciale « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » sont-elles meilleures que celles des emprunts bancaires auxquels la loi de programmation des finances publiques vous empêche désormais de recourir ? À quels types d'investissements sera consacrée l'avance - je crois qu'elle est plafonnée à 11,6 millions d'euros pour 2017 - qui est prévue ?
M. Christophe Bouchard, directeur général de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger . - Un peu plus de la moitié des bacheliers des établissements scolaires français à l'étranger font leurs études en France après le bac. L'identifiant élèves n'est pas un frein pour faire des études en France ; c'est juste une difficulté pour nous lorsque nous voulons savoir ce que deviennent les élèves après le lycée. D'autres restent dans le pays de résidence en début de cycle universitaire, puis rejoignent l'enseignement supérieur français en master ou en doctorat.
Chaque année, notre objectif est d'augmenter la part d'anciens élèves du réseau qui poursuivent leurs études supérieures en France ou dans un établissement d'enseignement supérieur français. Viser un taux de 100 % ne serait ni réaliste ni souhaitable. Deux tiers de nos élèves sont étrangers. Au lycée français de Santiago du Chili, 80 % des élèves sont chiliens. Tous nos anciens élèves ne veulent pas forcément suivre leurs études en France, en raison du coût, de leur volonté de ne pas partir à des milliers de kilomètres de leur famille à dix-sept ans ou de l'existence d'universités de qualité dans leur pays de résidence. Des bacheliers français de France sont attirés par l'enseignement supérieur du Royaume-Uni, des États-Unis, du Canada, voire de Belgique ; il serait donc paradoxal que certains de nos lycéens résidant dans ces pays ne souhaitent pas y poursuivre leurs études, d'autant que cela leur permet de rester quelques années de plus dans leur famille.
Le fait que plus de la moitié des élèves de nos lycées à l'étranger, dont un nombre important d'élèves étrangers, poursuivent leurs études en France est déjà un très bon résultat. Il faut l'amplifier. Nous avons besoin de mieux connaître le parcours de ces élèves, notamment ceux qui arrivent en France au niveau du master ou du doctorat.
Je salue les initiatives prises par certains établissements d'enseignement supérieur français - je pense à HEC, à l'ESSEC ou à l'université de technologie de Compiègne - de créer des structures à l'étranger. Cela permet à des élèves de commencer leurs études sur place, puis de venir en France au bout de deux ou trois ans.
À notre connaissance, aucun élève français du réseau n'a été empêché de s'inscrire dans l'enseignement supérieur français. Il a pu exister des problèmes très ponctuels, par exemple cette année, pour l'inscription en médecine à Paris, mais seulement pour des raisons de place ; le problème ne s'est pas posé dans les universités de province. Globalement, aucun bachelier français d'un établissement scolaire à l'étranger n'est dans l'impossibilité de venir suivre ses études supérieures en France. C'est une question de choix, de stratégie et de volonté.
En matière de ressources humaines, le système évolue, qu'il s'agisse du nombre total de personnels détachés ou de la répartition entre expatriés et résidents. Le statut d'expatrié est le plus intéressant pour les personnels ; c'est aussi celui qui représente les coûts les plus importants. Il correspond à des fonctions, à des processus de recrutement, à des règles de durée de séjour et de déroulement de carrière différents de ceux qui concernent les résidents. Toutefois, il y a des évolutions. Dans le détail, chaque année, on peut passer d'un statut d'expatrié à un statut de résident pour pourvoir des postes précis. Nous l'avons fait dans les années précédentes, largement sous contrainte budgétaire. Le nombre d'expatriés a diminué, et un certain nombre d'expatriés ont été remplacés par des résidents. Nous avons dû aussi fermer des postes de résident dans certains établissements et recourir à des recrutés locaux, selon la même logique.
Qu'il s'agisse des effectifs ou des bourses - c'est vraiment la position du ministère des affaires étrangères et de l'AEFE -, il nous paraît crucial de maintenir nos engagements budgétaires, sous peine de remettre en cause l'économie globale du système.
Il n'y a aucun tabou sur le statut des établissements. Au cours des années précédentes, il y a eu des changements de statut. Certains EGD sont devenus conventionnés et, réciproquement, certains établissements conventionnés sont devenus partenaires et ont été déconventionnés. Ces évolutions sont logiques et possibles. Dans certains cas, pour répondre à des problèmes précis, on peut tout à fait envisager de faire passer un établissement d'un statut à un autre ; pour nous, c'est le pragmatisme qui doit primer.
Le réseau se caractérise par sa diversité selon les pays, qu'il s'agisse de la taille ou du statut. Il faut, me semble-t-il, examiner établissement par établissement quel est le meilleur statut pour remplir au mieux la mission. Évitons d'avoir une vision trop globale qui risquerait de casser ce qui fonctionne, au lieu d'améliorer ce qui mérite de l'être.
La baisse de la contribution des entreprises au paiement des frais de scolarité me semble plus liée à la diminution du nombre d'expatriés dans les entreprises qu'à une volonté de ces dernières de modifier les conditions de rémunération. Depuis des années, pour des raisons financières similaires à celles que nous connaissons nous-mêmes, les entreprises recourent en effet de moins en moins à des expatriés et de plus en plus à des recrutés locaux. La composition sociologique des communautés françaises à l'étranger évolue en conséquence. Il y a de moins en moins d'expatriés envoyés par leur entreprise - c'était le schéma classique voilà quelques années - et de plus en plus de Français qui décident de partir à l'étranger de leur propre chef, sans le soutien d'une entreprise.
Il y a des exemples de contributions d'entreprises au fonctionnement du réseau sous forme de mécénat. Mais, force est de le constater, la volonté des entreprises d'apporter des contributions trouve vite ses limites. Des entreprises ont contribué, dans une proportion significative, bien que minoritaire, au financement de certains projets concrets, comme celui du lycée de Pékin. Pour d'autres, il y a des contributions locales. Des réflexions sont en cours pour déterminer s'il vaut mieux rechercher les contributions localement, lycée par lycée, ou mettre en place une structure globale, par exemple une sorte de fondation, qui permettrait de fédérer les actions. De toute manière, je pense que le phénomène restera minoritaire.
En revanche - cela n'a pas été mentionné, mais leur niveau est tout à fait significatif dans certains pays -, nous recevons des contributions des États de résidence. Ainsi, l'Allemagne et plusieurs pays d'Europe du Nord ou du Benelux contribuent fortement à l'expansion de notre réseau. Au Luxembourg, un projet très important de construction d'un nouveau lycée est financé aux trois quarts par le Grand-Duché. En Allemagne, il y a des statuts particuliers.
L'effort de planification et de prévision consenti par l'AEFE en matière de gestion immobilière au cours des dernières années a été salué par le Conseil de l'immobilier de l'État, auquel le schéma 2016-2020 a été présenté. Nous avons la responsabilité immobilière directe pour les établissements en gestion. Dans la quasi-totalité de ces établissements, il y a des projets de rénovation, d'agrandissement ou de construction de nouveaux bâtiments pour faire face aux besoins. Le niveau de financement est considéré comme raisonnable et tenable pour les années à venir.
Cela est vrai « sous réserve des dotations » parce qu'il est évident que tout cela ne peut se faire que si la dotation budgétaire reste proche des niveaux actuels. Dans ce cas, les dépenses immobilières, qui seraient comprises entre 40 millions et 50 millions d'euros par an pour les prochaines années, pourraient être assumées grâce aux réserves que les établissements ont constituées et aux revenus supplémentaires liés à l'augmentation du nombre d'élèves.
Nous scolarisons 125 000 enfants français. Cela ne représente qu'une partie du total des enfants français à l'étranger. Il y a effectivement des endroits où la demande est ponctuellement supérieure à l'offre. Nous avons apporté une réponse en ce qui concerne Londres. Il peut exister une tension temporaire sur les effectifs, variable selon les années. Ainsi, après la crise financière en Espagne, des familles françaises ont quitté ce pays et des familles espagnoles ont dû faire des arbitrages financiers et retirer leurs enfants de nos écoles ; toutefois, les effectifs sont remontés depuis deux ans.
Il est difficile de faire face à des évolutions brutales. Un élève qui entre dans le système est là pour quinze ans. Des augmentations d'effectifs de classes de première ou de terminale sont le résultat d'entrées dans le système intervenues il y a quinze ans. Nous devons gérer ces situations.
La scolarisation des enfants étrangers relève de la mission d'influence. Scolariser des enfants étrangers dans leur pays, c'est, par définition, opérer une substitution. Aussi certains pays refusent-ils que leurs nationaux soient scolarisés dans nos écoles. Au Maroc, nous avons fait le choix de ne plus augmenter la taille du réseau, déjà très importante. Mais l'influence est là : chaque année, dans ce pays, 30 000 élèves sont scolarisés dans nos établissements et sont en contact avec la langue et la culture françaises. La relative contradiction qui apparaît en effet tient à la nature de cette mission d'influence que nous estimons devoir exercer, à la différence d'autres pays européens, dont le réseau scolaire à l'étranger est conçu quasiment exclusivement comme un moyen de scolarisation de leurs nationaux.
Le chiffre de 125,5 millions d'euros qui a été évoqué à propos des bourses correspond à l'engagement du Président de la République de reporter sur le budget des bourses l'intégralité de l'ancien budget plus la prise en charge liée à la réforme. Dans les dernières années, l'application des critères de la réforme a abouti à des dépenses effectives inférieures à 125,5 millions d'euros. Le ministère des finances a donc considéré qu'il n'était pas nécessaire de maintenir un tel montant dans chaque projet de loi de finances, en particulier les trois dernières années, d'où une baisse à 115 millions d'euros, puis à 110 millions d'euros dans le projet de budget qui vous est soumis. Il faut aussi tenir compte, année après année, de la réserve parlementaire, du gel d'une partie des crédits, ainsi que des jeux entre la dotation budgétaire et les montants affectés à l'AEFE.
Pour l'instant, ces sommes ont permis de répondre aux besoins, comme la Cour des comptes l'a souligné, compte tenu des critères de la réforme actuelle. Pour l'année prochaine, nous approchons de la limite, c'est-à-dire des 105 millions à 110 millions d'euros effectivement dépensés chaque année. Quant à savoir s'il y aura des tensions particulières, tout dépendra de l'évolution de l'effet de change l'année prochaine.
Aujourd'hui, on estime que les anciens élèves des établissements français à l'étranger sont peut-être au nombre de 500 000 ou 600 000 dans le monde. Les associations actuelles d'anciens élèves dans les lycées, qui sont chapeautées par l'Association des anciens des lycées français du monde, l'ALFM, couvrent environ 10 % de cette population, soit 50 000 anciens élèves. La France n'a malheureusement pas la tradition anglo-saxonne en la matière.
Le Forum mondial des anciens élèves aura lieu au mois d'avril à Lisbonne. Il permettra de redynamiser et de fédérer les actions. Nous travaillons avec l'ALFM et des médias tournés vers les Français de l'étranger sur la création d'un réseau social des anciens élèves, pour aller au-delà de la forme associative, les jeunes étant plus habitués aux réseaux sociaux. Une plateforme de contacts entre anciens et actuels élèves appelée Agora se met en place, afin que les anciens puissent donner des conseils d'orientation aux élèves de première et de terminale. Le chantier est très important. Certes, nous ne rattraperons pas en quelques années des siècles de tradition anglo-saxonne.
Madame la présidente, vous avez fait référence aux avances de France Trésor. C'est une petite partie du financement des projets immobiliers, qui sont, pour l'essentiel, financés par les réserves constituées par les établissements et par les interventions de l'Agence. Dans le cadre de la définition des équilibres budgétaires et dans le contexte du désendettement de l'État, il a été décidé de restreindre le plus possible le recours à des avances de France Trésor et de solliciter davantage les ressources propres des établissements.
M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - Je remercie la Cour des comptes de la qualité de sa communication. Je salue les interventions des orateurs de ce matin. Plusieurs observations ont été formulées à l'endroit de la Cour des comptes.
Nous voyons combien la contribution de nos collègues sénateurs des Français de l'étranger est précieuse ; elle nous permet de mieux comprendre les problématiques auxquelles nos compatriotes expatriés sont confrontés. C'est important pour le rayonnement de la France à l'étranger, objectif se trouvant au coeur du dossier dont nous débattons aujourd'hui.
Mme Michèle André , présidente . - Je me félicite que nous ayons pu accomplir ce tour du monde, à la fois réjouissant et rassurant dans une période où la France paraît quelque peu frileuse.
M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes . - Pour établir son rapport, la Cour des comptes a systématiquement cherché à rencontrer sur place les conseillers consulaires -certes, tous n'ont pas répondu à notre invitation -, y compris à Londres. Il est vrai qu'il y a une lacune dans la liste de noms figurant dans le rapport. Nous avons également visité l'école bilingue de Londres et échangé avec l'Assemblée des Français de l'étranger.
La réforme concernant les personnels devrait avoir pour objet de revoir la tripartition entre expatriés, résidents et recrutés locaux. Ces derniers perdureront, et je me réjouis des propos que j'ai entendus sur leur formation intégratrice. Faut-il maintenir un statut des expatriés ? C'est la véritable question. Je ne dis pas qu'il faille nécessairement le supprimer ; un tel statut peut avoir son utilité pour certains établissements où le recrutement est particulièrement difficile.
L'inspection du second degré est de qualité, mais elle est insuffisante quantitativement. Ne faudrait-il pas un peu plus d'inspecteurs ? La réponse à cette question relève du ministère de l'éducation nationale. Peut-être faudrait-il aussi s'interroger sur la permanence des missions d'encadrement pédagogique des enseignants expatriés. On leur a confié une telle mission car ils étaient peu nombreux, mais ils encadrent des résidents parfois de même qualité qu'eux. Il faut remettre tout cela à plat.
L'enveloppe consacrée aux bourses est largement suffisante pour couvrir les besoins chaque année. C'est important dans un contexte de fortes tensions sur les finances publiques. Sur la base du respect de critères - il y en a -, compte tenu des amodiations que peuvent apporter les commissions consulaires des bourses, la demande de bourses est globalement satisfaite. Je ne suis pas naïf au point de ne pas imaginer que des personnes puissent être découragées de déposer une demande. Mais des critères s'appliquent.
J'entends bien que l'on puisse regretter que telle ou telle bourse n'ait pas été accordée, mais les commissions consulaires des bourses sont majoritairement constituées de représentants des parents d'élèves. Elles peuvent donner leur avis, non seulement sur le principe de l'attribution, mais aussi sur la modulation. Le système ne marche pas si mal que cela. Certes, la question du niveau d'aide publique aux familles demeure.
Comment faire évoluer ce bel outil ? Faut-il développer les partenariats ? Dans le scénario du maintien comme dans celui de l'extension, au-delà de la réforme des personnels, se pose la question des besoins que l'on veut satisfaire.
La juridiction administrative nous a rappelé qu'il n'y a pas un droit d'accès de nos compatriotes français à l'étranger à satisfaire. Mais il faut tout de même essayer de satisfaire au moins en partie les demandes. Il s'agit d'un bel outil d'influence économique. C'est pour cela que nous invitions à une réflexion stratégique sur la cartographie. Au-delà du contrat d'objectifs et de moyens, il s'agit de savoir comment l'on envisage l'évolution à cinq ou dix ans.
La Cour a dit tout le mal que nous pensions du système des avances de France Trésor. Il y a clairement une irrégularité. Sa portée n'est pas dramatique, mais la situation n'est pas conforme au droit budgétaire.
La programmation en matière d'immobilier me semble bien faite, mais les besoins de sécurisation constituent pour nous un sujet de préoccupation. Il y a l'enveloppe du projet de loi de finances pour 2017. Les audits de la sous-direction du ministère des affaires étrangères sont en cours ; ils permettront de chiffrer les dépenses. Cependant, ayant vu pour d'autres travaux le montant que cela pouvait représenter, nous éprouvons une inquiétude quant aux conséquences possibles sur l'AEFE.
Mme Michèle André , présidente . - Je remercie l'ensemble des intervenants et des collègues qui se sont exprimés au cours de cette audition.