VIII. RÉUNION DU MERCREDI 28 SEPTEMBRE 2016

A. AUDITION DE M. ÉTIENNE PINTE, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DES POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L'EXCLUSION SOCIALE (CNLE)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Monsieur le Président, merci d'avoir accepté de témoigner au nom du CNLE, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, devant la mission d'information sur l'intérêt et les modalités d'un revenu de base en France.

La question du revenu de base est bien connue. Il s'agit d'une idée aujourd'hui agitée dans différents milieux, surtout soulevée par des associations très actives, comme le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence (AIRE), ou Génération Libre.

Nous avons auditionné ceux qui soutiennent cette belle idée, mais aussi les syndicats, associations de lutte contre l'exclusion, organismes gestionnaires de prestations, comme la Caisse nationale d'assurances vieillesse ou la Caisse nationale d'allocations familiales - la CNAF.

Nous avons eu également la chance de pouvoir entendre MM. Lionel Stoléru et Martin Hirsch, à l'origine du RMI pour l'un et du RSA pour l'autre. Il ne s'agissait pas encore d'un revenu universel, mais ils étaient destinés à apporter une solution à la grande précarité et à vaincre la pauvreté.

M. Stoléru nous a dit qu'avec le RMI, vaincre la pauvreté constituait une mission essentielle. Il ne se fait pas trop d'illusion sur le revenu de base, qui ne se concrétisera selon lui pas tout de suite, mais il estime qu'il faudra y parvenir dans dix à quinze ans.

Nous n'y sommes pas encore. Que faudrait-il donc faire ? Qu'en pense le CNLE ? Le revenu de base peut-il permettre de vaincre la pauvreté ou l'exclusion ?

Le second objectif - que partage largement notre mission d'information - est aussi de favoriser le retour à l'emploi.

M. Étienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale . - Il faut tout d'abord en revenir à la genèse de cette idée de revenu universel ou de revenu de base.

Il y a encore quatre ou cinq ans, on n'en parlait pas. Pourquoi, progressivement, cette idée a-t-elle commencé à traverser nos esprits ? Un certain nombre de pays étrangers, comme la Suisse, la Finlande, ou certains États américains, se sont lancés dans cette idée, la plupart du temps - de façon assez étonnante - initiée par des chefs d'entreprise qui s'étaient investis dans le domaine politique.

Le CNLE a commencé à s'y intéresser à partir des propositions de M. Christophe Sirugue. C'est à partir de là que nous nous sommes saisis de ce problème. J'ai fait partie du groupe de travail de M. Sirugue en tant que représentant du CNLE.

Où en est-on de cette réflexion ? Tout d'abord, il ne faut pas confondre l'idée du revenu universel avec une réforme des minima sociaux, telle que M. Sirugue l'avait prévue. Ce sont deux choses différentes, même si, de fil en aiguille, les uns ou les autres, nous sommes passés de la réforme des minima sociaux à ce que je considère encore aujourd'hui comme une utopie, le revenu universel.

Au CNLE - et j'épouse personnellement l'avis de la majorité des membres du Conseil national qui se sont emparés du sujet - nous sommes très en phase avec le rapport de Christophe Sirugue et les trois propositions que vous connaissez.

La première devrait faire l'objet d'une disposition au sein du projet de loi de finances pour 2017. Il s'agit d'abord et avant tout d'une modification des procédures relatives aux minima sociaux dont bénéficient aujourd'hui nos concitoyens. C'est une première étape de dépoussiérage afin de permettre un meilleur fonctionnement desdits minima sociaux tels qu'ils existent aujourd'hui.

L'idéal est, après la troisième proposition - la fusion des minima sociaux en question - de créer un revenu de base. Bien entendu, M. Sirugue n'a jamais parlé de revenu universel - et ce n'est pas non plus dans son rapport. Les choses doivent être bien claires. Le CNLE est en phase avec cette progression dans le temps de la fusion des différents minima sociaux.

Il est vrai qu'on pourrait rêver d'aller plus vite. Pourquoi ne passe-t-on pas tout de suite à la troisième étape, comme le propose le rapport Sirugue ? Il faut se souvenir qu'il a fallu trois ans pour fusionner la prime pour l'emploi et le RSA. Il s'agissait de deux systèmes totalement différents, et il a fallu beaucoup de constance, de créativité et d'imagination pour y arriver.

Nous avons trouvé que cette démarche très pragmatique devait nous laisser entrevoir de nouvelles étapes tout aussi pragmatiques. Par exemple, le CNLE rêve que la deuxième étape, moins ambitieuse que la troisième proposition du rapport Sirugue, consiste en la fusion de la CMU-C et de l'aide médicale d'État (AME). Nous le réclamons depuis la mise en place du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ceci constituait l'une de nos propositions.

Nous n'y sommes pas parvenus pour de multiples raisons, mais nous pensons que la prochaine étape devrait être celle-là, sachant qu'arriver à la troisième proposition du rapport demande beaucoup de travail, de réflexions, de mise en commun, sans perdre de vue l'idée qu'il ne s'agit pas d'un revenu universel.

Dans ces dernières déclarations, le Premier ministre a quelque peu confondu ces deux notions...

M. Jean Desessard . - Absolument !

M. Étienne Pinte . - Ceci n'est pas grave : l'important est de revenir à la réalité, qui serait d'arriver au rapprochement de ces minima sociaux et, au bout d'un certain temps, à fusionner la totalité et créer ce fameux revenu de base.

Le problème que nous avons rencontré pour la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA portait sur l'aspect financier. Un certain nombre d'entre vous, tout comme nous, ainsi que le Gouvernement, ont évalué le nombre de demandeurs à 50 % des bénéficiaires éventuels de la prime d'activité, les choses devant se faire à budget constant, soit 4 milliards d'euros si ma mémoire est bonne.

Or, on en est aujourd'hui au-delà des 4 milliards d'euros. Le Gouvernement nous avait rassurés en disant qu'il s'agissait de crédits évaluatifs et que, dans le cadre de décrets d'avance et d'un projet de loi rectificatif en fin d'année, on allait pouvoir abonder la ligne budgétaire de façon à pouvoir répondre aux besoins.

Cela me rappelle le financement de l'hébergement social et très social. Il s'agissait de crédits prévisionnels mais, en fin d'année, tout était régularisé de façon qu'il n'y ait pas de césure entre la réalité de l'hébergement et les aspects budgétaires. Ici, le terrain est bien balisé.

En ce qui concerne la troisième proposition, qui consiste à regrouper l'ensemble de ces minima sociaux, il est bien évident que pour que personne ne perde en route une partie de ce dont il bénéficie aujourd'hui, l'État devra vraisemblablement y être de sa poche.

Christophe Sirugue parle d'une base de 400 euros par mois pour tout le monde mais, compte tenu des chiffres du RSA socle - 524 euros par mois -, de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) - 800 euros par mois -, ou de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) - 800 euros par mois - il faut que le système évite à chacun de perdre quelque chose par rapport à aujourd'hui. Cela signifie qu'il faudra vraisemblablement, sur le plan budgétaire, compléter la dotation qui sera créée au moment du regroupement de tous ces minima.

Quel est l'objectif du revenu universel ? S'agit-il simplement de regrouper, comme le propose Christophe Sirugue, l'ensemble des minima sociaux ? Cela veut dire que l'on garde les trois parties assurantielles que sont l'assurance chômage, l'assurance maladie et les retraites. On n'a pas véritablement là un revenu universel, l'État devant y être de sa poche.

Autre hypothèse : accorder à tout le monde un revenu plus élevé que la base de 1 000 euros. Il faut être bien conscient que l'on risque progressivement d'être confronté à un problème de financement important.

Le regroupement peut servir à en financer une partie. Il faut ensuite savoir si c'est l'État qui compensera le système assurantiel ou si les bénéficiaires des minima sociaux seront amenés à s'assurer sur le plan privé, pour la maladie, le chômage et la retraite, en fonction du revenu de base qu'ils toucheront.

C'est pour cela que je ne vois pas le revenu universel, tel que certains l'entendent, arriver de sitôt chez nous dans cette configuration.

Je suis plus pragmatique : étape après étape, à la lumière des expériences que nous avons vécues, il faut que nous regroupions un certain nombre de minima sociaux pour arriver, à la fin du processus, à réunir la totalité des minima sociaux. Même si l'on conserve l'aspect assurantiel, si l'on veut lutter contre la pauvreté, il faudra augmenter l'aide de l'État en ce qui concerne le revenu de base.

Il est évident qu'une somme de 400 euros comme revenu de base, pour ceux qui ne travaillent pas en particulier, n'est pas raisonnable. 8 millions à 9,5 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois, et environ 3 millions sous le seuil de grande pauvreté, avec 600 euros par mois environ. Voyez la distance qui existe entre les différentes catégories de personnes vivant sous le seuil de pauvreté !

Notre priorité ne devrait-elle pas être d'abord et avant tout de faire progressivement remonter ceux qui sont sous le seuil de grande pauvreté, pour les rapprocher de ceux qui se trouvent à des niveaux de pauvreté moins élevés ?

Tout cela aura forcément d'une matière ou d'une autre un coût pour l'État, pour le budget et donc pour les contribuables. Il faut donc bien cadrer la manière dont on peut envisager ces réformes. Nous avons l'expérience de la prime d'activité. Celle-ci peut nous servir pour la suite des différentes étapes du regroupement des minima sociaux.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Voilà une position très claire et fermement défendue.

La parole est au rapporteur.

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Notre collègue a été très clair : à l'utopie, il a opposé la réalité actuelle de la protection sociale en France.

Je peux anticiper la question que vous allez lui poser, monsieur le président : lui semble-t-il que l'expérimentation d'un revenu de base serait une bonne chose ? Pourrait-elle permettre de maîtriser ce qui semble aujourd'hui impossible à mettre en oeuvre ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - On pourrait poser la même question à propos du troisième scénario de Christophe Sirugue...

M. Étienne Pinte . - J'ai toujours été très partisan de l'expérimentation. Nous avons eu des exemples par le passé, malheureux quelquefois, plus heureux d'autres fois.

En ce qui concerne en particulier le RSA, qui devait être expérimenté sur trois ans dans dix départements, le Gouvernement de l'époque a voulu accélérer les choses. Soyons honnêtes : cela ne s'est pas aussi bien passé qu'on aurait pu l'imaginer.

Est-il normal que le RSA activité n'ait pu bénéficier qu'à 30 % environ de ceux qui étaient susceptibles de pouvoir le toucher ? Cela représente 68 % à 70 % de non-recours. C'est là la preuve de l'échec. On a voulu accélérer le processus : ce fut une erreur.

Aujourd'hui, nous allons mener une expérience dénommée « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Je fais partie du conseil d'administration du fonds d'expérimentation présidé par M. Louis Gallois.

Un appel à candidatures a eu lieu. D'ici la fin du mois d'octobre, nous allons récolter les projets qui nous seront présentés. Nous allons les évaluer, en choisir autant que faire se peut dix...

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Vingt si vous êtes habiles.

M. Étienne Pinte . - Il faut se méfier de l'habileté par les temps qui courent : on est à moins d'un an des élections !

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Vous en avez donc besoin de vingt...

M. Étienne Pinte . - Non, on en a besoin de dix, mais telles que les choses se présentent, nous n'en avons pas dix qui répondent à tous les critères, au budget de l'appel d'offres ou au cahier des charges.

On va examiner les choses fin octobre. J'ose espérer qu'on en aura dix, mais la dernière réunion que nous avons eue il y a quelques jours me laisse craindre qu'on n'arrive pas à en trouver dix qui répondent au cahier des charges - ce qui est un peu inquiétant. Mais l'on aura le résultat à la fin du mois.

Cela étant, si on en a dix, c'est parfait. La crainte que nous avons - je rejoins votre réflexion - c'est qu'il y ait des pressions pour que nous allions au-delà de dix. Il faudra y faire très attention : il existe une règle, il faut la respecter. On y a d'autant plus intérêt qu'il s'agit d'une expérimentation. Il ne faudrait pas que l'on prenne au-delà des candidats qui ne répondraient pas tout à fait au cahier des charges et qui n'iraient pas au bout. Ce serait contre-productif pour l'ensemble de l'expérimentation.

Je crois beaucoup à cette expérimentation. Elle est pleine d'aspects positifs. Le fait que le pilotage se fasse au sein de l'association présidée par Louis Gallois, sans d'éventuelles pressions des uns ou des autres, devrait donner de bons résultats.

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Cela nous a impressionnés également.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Nous avons entendu hier un professeur d'économie au sujet de l'expérimentation du RSA. Il nous a bien indiqué les écueils à éviter dans une expérimentation et précisé les bonnes règles, tirées de son expérience en la matière.

M. Jean Desessard . - Merci pour cette présentation, que j'ai véritablement appréciée. Bravo pour vos explications très claires et votre positionnement.

Vous avez dit qu'il faudrait arriver à 1 000 euros au minimum pour chacun. Je suis content que ce ne soit pas un utopiste comme moi qui le dise, mais un homme sérieux comme vous ! Je suis donc doublement satisfait de vous entendre.

Je me pose toutefois une question : arriver à 1 000 euros alors que le SMIC est un peu plus élevé ne présente-t-il pas une difficulté ? Le revenu de base étant donné à tout le monde, il n'y a donc pas de différence pour le SMICard qui touche 100 euros ou 200 euros de plus que celui qui ne travaille pas.

C'est un avantage qui n'a peut-être pas été assez pointé au cours des auditions : le revenu de base évite l'effet de seuil. Je suis personnellement pour le revenu de base, car je pense que l'effet de seuil va créer des problèmes. Le SMICard qui aura 200 euros de plus en travaillant trente-cinq heures dans des métiers difficiles va se demander pourquoi celui qui ne fait rien touche 1 000 euros. Comment éviter cette amertume ?

M. Étienne Pinte. - Que les choses soient bien claires : les 1 000 euros constituent un espoir pour tous ceux qui pourraient en bénéficier dans le cadre d'un revenu universel. Comme je l'ai dit au début de mon propos, on est encore dans l'utopie. Il faut toujours rêver, avoir des objectifs et des projets. L'idéal serait d'arriver à 1 000 euros, mais avant, il y a un bon bout de chemin à parcourir.

Cela étant, même en-deçà des 1 000 euros - 400 euros, 500 euros, 600 euros - on peut se poser la question de savoir si cela ne risque pas de dissuader un certain nombre de personnes de chercher du travail.

Dans cette perspective, plus on s'approchera du niveau du SMIC et plus il faudra le relever, c'est évident. De la même manière, plus on se rapprochera de ces 1 000 euros, plus il faudra qu'un certain nombre d'entreprises qui ont besoin de main-d'oeuvre puissent revaloriser les salaires qu'elles verseront à leurs employés. Il est évident que cela va remettre à plat les politiques salariales.

Même si quelqu'un estime qu'avec 800 euros ou 900 euros il n'a pas besoin de travailler et peut rester chez lui, quitte à faire des petits boulots, les entreprises continueront à avoir besoin de main-d'oeuvre et seront incitées à relever les salaires de façon à pouvoir attirer du personnel qui pourrait bénéficier de revenus salariaux plus importants. C'est donc un problème.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Augmenter les salaires serait en tout cas vertueux.

M. Yannick Vaugrenard . - Merci de vos explications et de ce début d'orientation.

Il existe plusieurs clés d'entrée lorsqu'on parle du revenu de base. Tout d'abord, le premier phénomène auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est le phénomène du non-recours, que vous avez évoqué concernant le RSA activité : 70 % pour ce dernier, 50 % pour le RSA socle.

Or, les textes législatifs que nous votons et les décrets d'application qui sont mis en oeuvre font depuis des années économiser à l'État, selon les études, entre 7 et 10 milliards d'euros par an.

C'est une économie qui ne correspond pas aux orientations politiques qui sont globalement les nôtres. Si nous sommes logiques avec nous-mêmes, ces 10 milliards d'euros ne viennent pas en plus, mais correspondent à ce que nous avons collectivement décidé pour le budget de l'État.

Deuxièmement, je ne partage pas le point de vue de Jean Desessard. Considérer que le fait que percevoir 1 000 euros de revenu de base - hypothèse peu envisageable aujourd'hui - découragerait de travailler pour 300 euros de plus constitue un a priori qu'on n'est pas obligé de partager ! Un citoyen préférerait donc renoncer à son utilité sociale plutôt que de travailler pour 300 euros de plus ? Je conteste cette forme d'orientation philosophique. Je pense que le citoyen, quel qu'il soit, peut avoir une utilité dans la société en tant que salarié ou bénévole.

Un certain nombre d'économistes considèrent aujourd'hui que les évolutions technologiques de cette révolution numérique formidable n'ont rien à voir avec les précédentes révolutions industrielles. Ils estiment que, de ce fait, il y aura, dans les années à venir, moins d'emplois salariés que depuis quelques années.

Il faut donc réfléchir non plus en termes d'emploi salarié ou administratif mais d'utilité sociale. C'est dans ce prolongement que l'on peut parler de revenu de base.

Par ailleurs, dès que lors que l'on considère que la pauvreté est un sujet majeur, dont on parle probablement trop peu, on ne peut croire que cela n'a pas de conséquences sur les choix budgétaires, politiques et en termes de redistribution des revenus. Il arrivera un moment, selon moi, où les choses devront être mises sur la table, au-delà du principe du revenu de base. Quand 10 % de la population possède 90 % du patrimoine, cela pose problème. Cette question devra être également abordée, car on ne pourra en faire l'impasse.

Je partage entièrement votre point de vue quant au fait de dire qu'il faut procéder par étape, en réalisant des expérimentations et des évaluations pour déterminer ce qui fonctionne et rechercher ensuite la solution idéale.

Le rapport Sirugue préconise de faciliter les démarches administratives et de regrouper les différentes aides sociales qui existent. Commençons par là et le phénomène du non-recours sera moins important. Il sera ensuite temps de franchir une nouvelle étape. Pourquoi ne pas le faire en fonction de l'engagement des territoires ? Il me semble que c'est dans cette direction que nous pourrions aller.

M. Étienne Pinte . - Regrouper les minima sociaux, faciliter la modification des règles d'octroi devrait constitue un début de lutte contre la pauvreté et éviter les effets de seuil et les non-recours. Il n'est en effet pas normal qu'un certain nombre de nos concitoyens ne bénéficient pas de ce à quoi ils auraient droit.

C'est pourquoi la prime d'activité devrait permettre d'arriver progressivement à 90 % ou 95 % des bénéficiaires potentiels d'y accéder relativement facilement. On est sur la bonne trajectoire, et c'est dans cet esprit qu'il faut promouvoir cette idée progressivement. Les non-recours touchent nombre de domaines : allocations logement, prestations sociales, etc. Si l'on parvenait à déterminer le nombre de personnes qui pourraient bénéficier de certaines prestations, on arriverait à mieux lutter contre la pauvreté et la grande pauvreté.

Vous avez évoqué les travaux d'utilité sociale. Il est d'évident qu'offrir un revenu de base à tous dès l'âge 18 ans permettrait d'en faire bénéficier des personnes qui exercent aujourd'hui des travaux d'utilité sociale sans être rémunérées. Je pense aux mères de famille ou à beaucoup d'autres catégories. Dès lors que ce revenu est inconditionnel, cela devrait leur permettre d'entrer dans le circuit social, économique, financier, fiscal, etc.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Si ce revenu de base s'adresse à certaines catégories, comme les mères au foyer, ce n'est pas inconditionnel. Il existe une notion de contrepartie.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Oui, de facto.

Mme Anne-Catherine Loisier . - On veut que ce revenu de base soit inconditionnel, mais on cherche cependant des critères. Ne faut-il pas reconnaître toutes ces fonctions et dire qu'elles ont un rôle social et justifient un revenu de base, donc une contrepartie ? Il serait peut-être plus valorisant pour ces personnes que cette utilité sociale soit reconnue comme un travail, même s'il ne s'agit pas d'un statut salarié.

M. Étienne Pinte . - Le revenu de base - ou revenu universel - est la contrepartie de l'exercice d'un métier à caractère social.

M. Jean Desessard . - J'ai cru comprendre que les personnes qui ont déjà un travail d'utilité sociale vont bénéficier du revenu de base. Il existe donc de fait une contrepartie à un travail qui n'est pas valorisé par un revenu.

M. Yannick Vaugrenard . - À partir du moment où on est citoyen d'un pays, il est normal qu'on bénéficie d'un minimum de soutien, du fait même de sa citoyenneté.

Par ailleurs, on peut de plus être utile à la société sans pour autant être salarié ou fonctionnaire. Il faut bien l'intégrer compte tenu des évolutions technologiques auxquelles nous sommes confrontés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Pour les partisans du revenu de base, c'est la justification première. En fait, tout le monde, en tant que citoyen, concourt à faire fonctionner la société. Chacun mérite donc de ce fait une rémunération.

M. Jean-Pierre Grand . - J'ai expérimenté ce genre de choses quand j'ai créé dans ma commune l'allocation différentielle de revenu minimal, avant que le RMI n'existe. C'est l'avantage des mandats longs. J'ai par ailleurs déposé une proposition de loi sur ce sujet à l'Assemblée nationale.

L'allocation que j'ai créée prenait en compte les revenus. On avait fixé une allocation de base qui représentait à l'époque 4 000 francs. On déduisait tous les revenus, et la commune donnait la différence chaque mois.

J'avais demandé que les personnes concernées exercent une activité compensatrice, mais c'était très compliqué. Si la personne ne remplissait pas la petite mission qu'on lui confiait, devait-on mettre un terme à sa mission ou suspendre son allocation ? Il est plus facile de licencier quelqu'un qui touchera une indemnité de chômage...

Je me suis par ailleurs très vite rendu compte que, dès lors qu'il existerait une allocation nationale, celle-ci obligerait la personne à compenser. C'est l'objet du texte que j'ai déposé. L'être humain est l'être humain et, dès lors que vous n'êtes pas l'employeur, vous n'avez pas autorité sur les personnes.

Il faut également évaluer le coût de l'encadrement. Je suis, comme Étienne Pinte, très favorable aux expérimentations, mais elles ne peuvent selon moi être territorialisées. Si tel est le cas, il risque d'y avoir des appels d'air. L'expérience devrait plutôt être menée sur 200 000 personnes et sur l'ensemble du territoire, l'échantillon territorial pouvant avoir des effets pervers.

Lancer aujourd'hui l'idée d'un salaire minimal n'est pas populaire. Il n'y a que nous pour y penser. Nous le faisons parce que nous avons parfaitement conscience que la situation est inacceptable et qu'il faut y remédier. La somme de 1 000 euros est un tout petit peu au-dessus du seuil de pauvreté.

Une chose est certaine : il faut travailler sur un échantillon et déconnecter l'expérimentation des périodes électorales.

Il faut également calculer ce que cela rapporte, car tout cet argent sera remis dans le circuit - TVA, créations d'emploi, etc. Il y a donc là une véritable valeur ajoutée en termes de mission sociale, mais aussi d'utilité économique. Il faut absolument évaluer ce point.

Cela a aussi une incidence fiscale et territoriale, même si les projections sur un échantillon national sont moins faciles à réaliser sur le plan territorial.

C'est un sujet auquel je suis extrêmement attentif - et un très beau sujet. Nous avons beaucoup de difficultés, dans nos propres communes à accepter ce que nous voyons. Je pense que les problèmes sont les mêmes au Nord comme au Sud. Les gens du Nord descendent dans le Sud parce qu'ils pensent qu'ils y seront plus heureux. Ils sont encore plus malheureux et l'on n'y arrive plus. Il faut donc trouver des solutions. On arrive à leur proposer des logements parce qu'on les construit, mais ils n'ont rien pour remplir leur réfrigérateur, et c'est dramatique. Cela ne peut pas durer. On va à la catastrophe. On va le constater très certainement sur le plan électoral. Ce ne sera que la première marche de l'escabeau. On arrive en général très vite en haut et, lorsqu'on y parvient, on est mort !

Je pense qu'il faudra vendre cela au prochain Président de République, quel qu'il soit, mais il faudra bien travailler le sujet et surtout l'évaluer en totalité, car beaucoup de paramètres sont très intéressants dans ce dossier.

M. Étienne Pinte . - En ce qui concerne l'expérimentation territoriale, on pourra, le moment venu, s'inspirer de ce qui va être fait à l'occasion de l'opération « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Si la méthode est bonne, on pourra s'en prévaloir. Il n'y a pas d'effet d'aubaine. Tout est balisé dès le départ.

Le jour où l'on parviendra à un éventuel revenu universel, on pourra éviter les effets de seuils et les non-recours, ainsi que la critique portant sur la notion d'assistanat. À partir du moment où tout le monde bénéficiera d'un socle, on ne pourra considérer que certaines catégories ont quelque chose que d'autres n'ont pas. Cela peut faire évoluer psychologiquement nos concitoyens.

M. Jean Desessard . - C'est ce que je voulais dire à propos de la question précédente.

M. Étienne Pinte . - Il sera très intéressant de voir comment les assemblées vont prendre en compte les premières propositions du rapport Sirugue dans le prochain projet de loi de finances pour 2017. C'est un premier pas psychologiquement important. S'il se passe bien, on pourra envisager l'avenir moins difficilement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - C'est assez indolore. Cela devrait normalement biens se passer - mais on est en phase préélectorale.

Merci de cette intéressante contribution.

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