VII. RÉUNION DU JEUDI 22 SEPTEMBRE 2016
A. AUDITION CONJOINTE D'ORGANISMES GESTIONNAIRES DE PRESTATIONS SOCIALES
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président . - Nous sommes réunis ce matin pour évoquer le revenu de base.
La mission commune d'information que le Sénat a créée sur le sujet et que je préside tente de faire la clarté sur cette question et de trouver un chemin entre les multiples définitions de ce que l'on appelle « revenu de base », « allocation universelle », ou encore « revenu d'existence ».
Que signifie l'expression « revenu de base » ? Que représente celui-ci ? Quel est son objet véritable ? Comment le finance-t-on ? Telles sont les questions que nous nous posons.
Une délégation de notre mission s'est déplacée en Finlande, premier pays à vouloir expérimenter le revenu de base. En réalité, cette expérimentation aura un objet réduit, puisqu'elle concernera, pour l'essentiel - à moins que le Gouvernement et le Parlement n'en décident autrement, ce qui est encore possible, puisque le projet va être soumis au Parlement dans les prochaines semaines -, les chômeurs éloignés de l'emploi. Elle ressemble donc un peu à d'autres expérimentations en cours dans notre pays, notamment au projet « territoires zéro chômeur de longue durée », même si elle n'est pas de même nature.
Nous nous rendrons à La Haye la semaine prochaine pour observer une expérimentation conduite aux Pays-Bas, même si celle-ci, selon les informations dont nous disposons, est de moindre ampleur : son périmètre géographique est bien plus circonscrit.
La mission étudiera la faisabilité de l'expérimentation d'un revenu de base, les conditions de celle-ci et le public à cibler. Hélas, nous savons d'ores et déjà que nous n'aurons pas la possibilité de modifier notre système fiscal. Or, n'ayant pas de gisements de diamant comme la Namibie ou de réserves de pétrole comme l'Alaska, nous n'avons pas de rente à distribuer... Il faudra bien trouver les moyens nécessaires. Sans réforme fiscale ad hoc , la mise en place d'un revenu de base sera difficile dans le contexte actuel.
On voit bien que, pour que l'expérimentation ne soit pas biaisée, nous devons nous poser un certain nombre de questions.
D'après ce que j'ai pu lire, le Premier ministre trouverait quelque vertu à l'allocation universelle. Au reste, j'ai lu beaucoup de choses sur le sujet, y compris des horreurs, et beaucoup d'à-peu-près sur la question du financement...
Notre but n'est pas de trancher définitivement cette question, mais d'ouvrir des perspectives, de manière à améliorer la protection sociale, pour faciliter, si possible, le retour au travail de ceux qui en sont le plus éloignés. Tel doit être l'objet d'une démarche engagée en ce sens dans notre pays.
Ces deux objectifs - vaincre la pauvreté, permettre le retour au travail - sont tout à fait recevables. La meilleure façon de vaincre la pauvreté est de pouvoir donner un travail à tout le monde. Dans les conditions de fonctionnement de l'économie actuelle, cela s'avère délicat, mais c'est tout de même l'objectif que nous sommes en droit de nous fixer.
Mesdames, messieurs, je souhaite que vous puissiez vous exprimer pendant une dizaine de minutes et nous dire, au nom des organismes que vous représentez, ce que vous pensez du revenu de base, s'il vous paraît constituer une opportunité, s'il vous semble réalisable - et, si oui, dans quelles conditions -, quels devraient être ses objectifs et si l'on peut en attendre d'une amélioration du système actuel de protection sociale.
M. Pascal Émile, directeur délégué de la Caisse nationale d'assurance vieillesse . - Deux grandes prestations relevant de l'assurance vieillesse sont susceptibles d'être impactées par une réflexion sur la question du revenu de base.
Premièrement, il s'agit, bien évidemment, de la plus importante, à savoir le minimum vieillesse, qui profite à environ 430 000 bénéficiaires chaque année. Je rappelle que, la plupart du temps, le minimum vieillesse est une allocation différentielle : il vient compléter la pension de retraite de base, fondée sur des cotisations, quand celle-ci n'est pas suffisante pour assurer le minimum vital, de manière à garantir une pension fixée aujourd'hui à 800 euros. Environ 2,4 milliards d'euros ont été versés en 2015 au titre de cette prestation.
Deuxièmement, il s'agit de l'assurance veuvage, qui a fait l'objet de nombreuses réformes successives. Je rappelle que ce système bénéficie aux veufs et aux veuves de moins de 55 ans - au-delà de cet âge, des mécanismes de pension de réversion peuvent prendre le relais. Cette prestation est aujourd'hui versée à 7 113 bénéficiaires, pour un montant d'environ 55 millions d'euros. Son montant maximal atteint 602 euros. Bien évidemment, visant une population âgée de moins de 55 ans, elle est éventuellement cumulable, sous un certain nombre de conditions, avec, par exemple, en cas de reprise d'activité, un complément de revenu de solidarité active - ou RSA. En revanche, elle est versée pendant deux ans au maximum ; en cela, il s'agit d'une prestation de relais qui s'apparente à des prestations que la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, alloue pour lutter contre l'isolement de certaines personnes, à l'instar de l'allocation de parent isolé ou de compléments familiaux divers et variés.
Toutefois, nous constatons que cette allocation transitoire, devant théoriquement favoriser le retour à l'emploi, n'a absolument pas de volet insertion associé. Ses bénéficiaires peuvent éventuellement prendre l'initiative de se tourner vers les départements pour bénéficier des dispositifs d'insertion existants à un autre titre.
J'insiste sur un troisième volet, parfois un peu méconnu : l'action sociale d'importance développée par la branche vieillesse du régime général, à hauteur d'un peu plus de 350 millions d'euros par an, à destination principalement des personnes âgées en difficulté, avec un objectif de politique publique de préservation de l'autonomie. Cette action n'a rien à voir avec la prise en charge de la dépendance par les départements. Pour prévenir la perte d'autonomie, nous menons des actions inter-régimes, bien évidemment en concertation avec les départements, dans le cadre de la nouvelle conférence des financeurs, de différente nature : aides individuelles à domicile, actions collectives, notamment via un certain nombre d'ateliers de prévention à destination des personnes âgées, financement de tout ce que l'on appelle « l'habitat intermédiaire » - foyers-logements, etc. - et de sa réhabilitation. Nos investissements pour accompagner la prise en charge des personnes âgées sont lourds. Ces volets d'action sociale sont fortement ciblés sur les personnes âgées les plus démunies, très souvent bénéficiaires des minima sociaux d'assurance vieillesse.
L'allocation universelle inconditionnelle a bien évidemment pour objectif de lutter contre la pauvreté. À cet égard, je rappelle que le minimum vieillesse a été, au cours de nombreuses décennies, un instrument majeur de lutte contre la pauvreté des personnes âgées. Si moins de personnes en bénéficient aujourd'hui, c'est bien parce que le système de retraite assurantiel est monté en charge et est arrivé à pleine maturité. Nous nous en réjouissons. Par exemple, les femmes, qui étaient les principales bénéficiaires du minimum vieillesse voilà une vingtaine d'années, ont aujourd'hui des carrières qui leur permettent de bénéficier de niveaux de pension tout à fait satisfaisants.
Le minimum vieillesse a donc vraiment, et depuis très longtemps, un effet de levier majeur des politiques de lutte contre la pauvreté. Il remplit pleinement son rôle.
En comparaison, on peut regretter que l'allocation veuvage, qui contribue elle aussi à assurer un minimum d'existence, ne soit totalement déconnectée de logiques permettant, en particulier, de favoriser le retour à l'emploi par le versement d'une allocation temporaire et ne s'inscrive pas du tout dans une dynamique de progression. Ce constat nous semble tout à fait important.
Enfin, il nous est parfois un peu difficile de nous prononcer sur le périmètre de ce que doit recouvrir un éventuel revenu de base. On voit que la définition de celui-ci peut être extrêmement large : il s'agit même parfois d'englober tous les types de prestations pour aboutir à un minimum de base. Les autres registres de prestations ne viendraient alors se déclencher que de manière complémentaire.
Pour revenir sur chacune des prestations qui nous concernent, nous n'avons bien évidemment aucun mal à imaginer que l'allocation veuvage puisse, demain, être gérée tout à fait différemment : elle relève, pratiquement, d'une autre logique.
Cependant, il nous faudra régler, à son sujet, quelques petites difficultés connexes. Ainsi, assez curieusement, cette prestation de solidarité n'est pas soumise à condition de résidence : sur plus de 7 000 bénéficiaires de l'allocation veuvage, environ 2 900 vivent à l'étranger. C'est l'une des données du problème.
L'assurance veuvage a pour autre particularité d'être financée par la cotisation d'assurance vieillesse. La cotisation spécifique d'assurance veuvage qui existait avant 2003 a été intégrée dans la totalité des cotisations d'assurance vieillesse. Ce mécanisme de financement ne permet donc pas de l'assimiler complètement à une prestation de solidarité : c'est une prestation de solidarité délivrée par le système assurantiel à l'intérieur de son propre système de cotisations.
Cela dit, ces difficultés sont bien évidemment tout à fait surmontables.
Pour ce qui concerne le minimum vieillesse, une des difficultés réside dans le fait qu'il consiste, dans l'essentiel des cas, en le versement d'une prestation différentielle : les assurés perçoivent un complément parce que les droits propres qu'ils se sont constitués au titre de leurs cotisations sont insuffisants - par exemple, la durée de cotisation ne leur permet pas de bénéficier d'un taux plein.
Nous devrons donc nous interroger sur la ligne à adopter en matière de financement, entre système de nature assurantielle et prestation de solidarité. Aujourd'hui, le système est financé par le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, auquel nous adressons chaque année une facture. De très nombreux rapports le décrivent comme extrêmement complexe. En tout état de cause, la question se posera, quel que soit le dispositif.
Enfin, nous nous interrogeons sur l'accès aux droits.
Je pense tout d'abord à la question de la continuité des droits qui se pose de manière quasi permanente, même si les organismes se coordonnent au mieux. Ainsi, l'accès à l'allocation de solidarité aux personnes âgées, l'ASPA, qui représente l'essentiel du minimum vieillesse, peut intervenir à différents âges : 62 ans en cas d'invalidité, 65 ans et 67 ans à la suite des réformes intervenues en matière de retraite.
Alors que les systèmes d'assurance vieillesse corrèlent de plus en plus la durée de cotisation à la durée de versement d'une pension - tous les systèmes sont aujourd'hui structurés de cette manière -, nous nous posons une question fondamentale : sur ces prestations de solidarité, l'équivalence de durée et la limite d'âge ont-elles toujours un sens ? Faut-il faire dépendre d'un simple critère d'âge lié aux réformes des retraites la bascule dans le minimum vieillesse ou faut-il se doter de règles différentes, le rapport à l'emploi se posant différemment pour des personnes en situation d'invalidité, de handicap ou durablement éloignées de l'emploi à des âges avancés ?
Par ailleurs, le revenu de base est parfois défini comme un revenu socle, versé avant toute autre prestation. Veillons toutefois au respect des grandes logiques qui traversent nos systèmes : le système de l'assurance vieillesse, les systèmes de retraite au sens large sont des systèmes relativement sophistiqués, mais pilotés sur la base de paramètres tout à fait structurants en France comme dans l'ensemble des pays européens. Les critères de durée de cotisation, les lignes de partage entre vie active et retraite, les montants de revalorisation des pensions et des cotisations sont autant de paramètres qui permettent effectivement de piloter l'ensemble d'un système de retraite.
Tout système socle qui se positionnerait en amont de l'ensemble de la distribution des prestations pour les personnes âgées viendrait assez fortement percuter la manière dont les systèmes de retraite sont pilotés. Or, en vertu du consensus actuel, la retraite au sens général est un salaire différé, basé sur des cotisations et de plus en plus proportionné au montant des cotisations versées. La logique n'est donc pas tout à fait la même ! Le capital investi, même s'il est redistribué immédiatement, donne un droit à créance à terme. Dès lors, la mise en place d'un revenu de base qui emporterait, par exemple, un minimum de 600 ou de 800 euros par mois et d'une retraite qui n'interviendrait que complémentairement changerait donc l'ergonomie générale du système d'assurance vieillesse en France.
Pour terminer, j'évoquerai les questions de « grande » simplification. Du rapport de Christophe Sirugue et d'un certain nombre de débats se dégagent trois grandes options : l'amélioration immédiate du fonctionnement des minima sociaux, la fusion d'un certain nombre d'entre eux et la refonte de l'ensemble des minima dans le cadre d'un revenu de base.
En ce qui concerne l'amélioration immédiate du fonctionnement des minima sociaux, mes collègues des autres secteurs de la protection sociale seront d'accord pour dire qu'ils sont marqués aujourd'hui par une complexité redoutable, laquelle ne sert bien évidemment pas la lisibilité de l'ensemble de ces prestations pour nos concitoyens, voire handicape leur accès aux droits.
Nous validons les propositions relatives aux portails d'accès pour favoriser la simulation et l'accès aux droits. Nous insistons sur l'importance de la simulation : l'accès aux droits n'est imaginable que dès lors que le citoyen est en capacité de se demander par lui-même s'il remplit les conditions requises pour bénéficier d'une prestation. Cet axe nous semble important.
Par ailleurs, et c'est sans doute l'un des aspects les plus techniques et complexes du problème, il convient de rapprocher les règles de gestion des différents opérateurs de minima sociaux. Chaque opérateur a des règles qui lui sont propres. Bien évidemment, la question des montants est à cet égard tout à fait symptomatique. Je pense également à la question des pièces justificatives partagées, sur laquelle nous sommes en train de progresser, même si le chantier demeure important, mais aussi à la question de la continuité des droits par automatisme de transferts. Aujourd'hui, pour opérer la bascule depuis une allocation aux adultes handicapés, une pension d'invalidité ou une situation de chômeur en fin de droits vers une pension de retraite, nous demandons à nos assurés d'effectuer une multiplicité de démarches, alors qu'un certain nombre de systèmes, nécessitant une transformation de la réglementation, nous permettraient sans doute assez aisément de passer à une bascule automatique en matière d'ouverture de droits - je rappelle que, pour l'heure, la plupart de nos droits sont quérables.
Enfin, je veux évoquer le sujet absolument récurrent pour chacune de nos institutions de la nature des ressources prises en compte et de la fréquence de leur fourniture. Cette question est majeure et le restera dans toutes les situations. Chaque caisse demande que lui soient communiqués à intervalles réguliers la nature et le montant des revenus à prendre en compte pour le versement des prestations, mais cet intervalle est tantôt de trois mois, tantôt d'un an, tantôt de deux...
À ce sujet, vous savez sans doute que le minimum vieillesse, pour lequel existent des problèmes d'accès au droit, est récupérable sur succession au-delà d'un certain plafond, plafond applicable même en cas de livret A agréablement fourni. Dès lors, cette règle est, pour nous, un obstacle tout à fait important.
Nous voyons dans la création d'une base de ressources unique et la définition de règles de gestion appuyées sur des réglementations beaucoup plus homogénéisées un moyen simple et plutôt de court terme d'aboutir à un meilleur fonctionnement des différents minima sociaux en les laissant peu ou prou en l'état.
Pour ce qui concerne la deuxième option, qui consiste à fusionner un certain nombre de minima sociaux, nous estimons, vous l'avez compris, que l'assurance veuvage relève d'une autre logique et qu'elle a vocation à fusionner, par exemple avec un RSA renouvelé. Quelle que soit la prestation retenue in fine , cette piste nous paraît devoir être explorée.
Enfin, la refonte totale de l'ensemble des minima sociaux dans le cadre de la mise en place d'une couverture socle soulève un certain nombre des questionnements, que j'ai commencé à évoquer. Cette troisième option nécessitera, nous semble-t-il, une investigation approfondie. En effet, conduire des réformes d'une telle envergure sans disposer d'étude d'impact extrêmement détaillée nous paraîtrait relativement risqué.
Pour terminer, en matière d'assurance vieillesse, oui, la rationalisation de la gestion est nécessaire. Elle doit avant tout se traduire par une simplification pour l'usager. Le back office et ses complexités relèvent de la salade interne ! Si l'on peut bien évidemment gagner un peu d'argent sur ce plan, je rappelle que, s'agissant du minimum vieillesse au sens large, la gestion de l'ASPA représente à peu près 1 % des quelque 110 milliards d'euros de prestations vieillesse que nous versons chaque année et environ 3 % de nos bénéficiaires. Il ne faut donc pas espérer un abaissement des coûts de gestion extrêmement significatif, quelle que soit la nature des évolutions qui seront engagées. En revanche, l'enjeu de simplification pour les assurés est, lui, absolument majeur.
M. Jérome Rivoisy, directeur général adjoint en charge de la stratégie et des relations extérieures de Pôle emploi . - Je veux d'abord rappeler le cadre général qui met Pôle emploi en relation avec les bénéficiaires de minima sociaux, puis passer en revue les questions liant notamment revenu de base, minima sociaux et retour à l'emploi qui peuvent se poser.
Pôle emploi est concerné par deux minima sociaux : l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, prestation d'indemnisation versée aux personnes ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage, dont les règles sont fixées par l'État et le calcul et la gestion assurés par Pôle emploi, et le RSA, à travers les actions d'accompagnement de ses bénéficiaires.
L'ASS, qui est susceptible d'être concernée par une éventuelle simplification ou par une fusion avec d'autres minima sociaux, mais qui relève de l'État, est versée mensuellement aux demandeurs d'emploi qui ont épuisé leurs droits à l'allocation chômage, justifient d'au moins cinq ans d'activité salariée et disposent de ressources inférieures à un plafond défini en fonction de leur situation conjugale. Elle est renouvelée tous les six mois après vérification de satisfaction des conditions de ressources sur les douze derniers mois et n'a pas de durée limitée. Elle permet d'ouvrir des droits à la retraite définis sous forme de trimestre, un dispositif d'intéressement étant prévu en cas de reprise d'emploi.
En juin 2016, on comptait environ 460 000 bénéficiaires de l'ASS, toutes catégories confondues. Parmi ceux-ci, 47 % avaient plus de 50 ans, 40 % la touchaient depuis plus de deux ans et 10 % depuis au moins huit ans. Les allocataires de l'ASS en bénéficiaient depuis 1 307 jours en moyenne, soit trois ans et demi. On observe une corrélation assez forte entre la durée de versement et l'âge des allocataires. J'insiste sur ce point, le minimum social ou le revenu de base n'étant pas forcément le paramètre central d'un retour à l'emploi.
Des économistes vous ont peut-être déjà rendu compte des études qui ont été réalisées pour observer notamment les effets d'incitation au retour à l'emploi de la durée d'indemnisation et du versement d'un revenu de base. Ainsi, une évaluation conduite préalablement à la généralisation du RSA n'avait pas vraiment pu mettre en évidence d'effets « désincitatifs » au retour à l'emploi. Il n'a pas été démontré que le versement d'un revenu minimum était de nature à prolonger une inactivité.
Nous verrons d'ailleurs que la question du revenu est importante dans l'aide à la recherche d'emploi. Il existe d'autres aides susceptibles de venir s'ajouter à un revenu de base qui peuvent avoir un effet incitatif au retour à l'emploi. Pôle emploi en verse quelques-unes. Je pense notamment à ce que l'on appelle, dans notre réglementation interne, les « aides à la mobilité » ou les « aides à la recherche d'un premier emploi » pour les jeunes qui peuvent effectivement constituer un levier plus incitatif qu'un revenu de base en matière de recherche d'emploi.
Ce qu'il est important de noter pour les bénéficiaires de l'ASS -avant d'évoquer ceux du RSA -, qui ont des difficultés de nature sociale à reprendre pied sur le marché du travail, c'est que pour favoriser leur retour à l'emploi, ce sont effectivement les actions d'accompagnement, au-delà du revenu, qui peuvent être couronnées de succès ou non et leur permettre de retrouver un emploi plus ou moins durable.
Cet accompagnement est le coeur de métier de Pôle emploi, au-delà du calcul et du versement de l'allocation de solidarité spécifique. Aujourd'hui, dans le cadre de notre offre de services tendant à une individualisation du suivi des demandeurs d'emploi, ces bénéficiaires occupent une place importante dans ce que nous appelons l'accompagnement intensif ou renforcé, pour lequel les conseillers consacrent un temps d'accompagnement plus important, ce qui est logique. Nous avons aussi considéré que des actions complémentaires étaient indispensables pour se donner une chance de garantir le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. C'est dans ce cadre que Pôle emploi a contractualisé une démarche d'accompagnement global avec des conseils départementaux. Ils sont 96 à avoir signé une convention avec Pôle emploi, d'une part, pour agir en matière d'accompagnement à l'emploi - c'est le métier de Pôle emploi -, d'autre part, pour lever toute une série de difficultés sociales par l'action combinée des travailleurs sociaux et des départements. Cette action est de nature à optimiser les chances de retour à l'emploi au-delà de la question du versement d'un revenu comme le RSA.
Pour ce qui des demandeurs d'emploi bénéficiaires du RSA, ils étaient en juin dernier un peu plus de 718 000, toutes catégories de demandeurs d'emploi confondus - A, B et C - ; 48 % des bénéficiaires du RSA étaient inscrits depuis au moins un an, 29 % depuis deux ans et plus. En ce qui concerne leur niveau de formation, ils étaient 67 % à avoir un niveau de formation inférieur au bac - 70 % pour les bénéficiaires de l'ASS, chiffre très proche. Pour ce qui est de la prise en charge par Pôle emploi au titre de ses actions d'accompagnement, ils étaient plus de 27 % à être en accompagnement intensif, 24 % en accompagnement renforcé et 3,4 % en accompagnement global.
Pôle emploi est donc concerné potentiellement au travers de deux minima sociaux par les réformes que les pouvoirs publics pourraient engager sur ce sujet. Dans l'aide à la recherche d'un emploi, la question du revenu existe, mais elle n'est pas forcément centrale.
Monsieur le président, vous avez mentionné tout à l'heure l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », action à laquelle Pôle emploi est associé de par la loi : cette démarche expérimentale est davantage centrée sur la sélection de territoires extrêmement ciblés, plutôt de petite taille, et dans lesquels la recherche d'une insertion rapide des demandeurs d'emploi, identifiés par Pôle emploi dans la plupart des cas - qu'ils soient inscrits ou non -, passera non pas tant par une mobilisation de revenus que par l'identification sur ces territoires d'opérateurs économiques - entreprises ou autres - susceptibles de proposer des emplois considérés comme additionnels ou supplémentaires, pour les faire émerger avec une mise en adéquation très fine entre des demandeurs d'emploi éloignés de l'emploi ; c'est un besoin économique latent qui ne serait pas satisfait par d'autres opérateurs économiques. L'un des enjeux de cette expérimentation est bien de montrer que ces emplois ne se substituent pas à d'autres emplois latents dans le tissu économique et de voir, sur une période de cinq ans, comment cette mise en adéquation entre cette offre et cette demande peut être couronnée de succès sur la durée, indépendamment des questions d'allocations ou de revenus, puisque ces demandeurs d'emploi pourront se trouver dans des situations différentes au regard de leur indemnisation.
S'agissant de la question des revenus au regard du retour à l'emploi des publics qui en sont éloignés, des études économiques portant aussi bien sur la durée d'indemnisation que sur le versement de minima sociaux tels que le RSA n'ont pas permis de conclure de manière très claire à un quelconque effet « désincitatif ». On peut penser alors que le versement un jour d'un revenu minimum universel ou socle serait sans impact négatif sur le retour à l'emploi - reste à voir quel serait son montant.
Pôle emploi, en complément des mesures d'accompagnement existantes, peut attribuer des aides financières au retour à l'emploi qui peuvent être un coup de pouce clé à un moment donné du parcours de recherche d'emploi. Le conseil d'administration de Pôle emploi bénéficie, de par la loi, d'une sorte de quasi-pouvoir réglementaire encadré qui lui permet de verser des aides à la mobilité - toujours versées sous condition de ressources sur la base d'un barème national -, qui peuvent prendre la forme de bons de transport SNCF, de bons de réservation, de bons d'aide à la mobilité non ciblés sur un transport en particulier - c'est plus exceptionnel - pour la prise en charge des frais de déplacement pour se rendre par exemple à un entretien, dans une limite de 150 euros. De même, il est possible de financer les permis de conduire des publics en difficulté financière. Cette aide, attribuée sous conditions de ressources, d'un montant maximum de 1 200 euros et versée par Pôle emploi en trois fois, est de nature à débloquer des situations pour permettre plus facilement le retour à l'emploi.
Dans votre propos introductif, monsieur le président, vous disiez que le revenu de base pourrait avoir deux objectifs principaux : un objectif central d'amélioration de la protection sociale au titre de la réduction de la pauvreté et un objectif de retour au travail des personnes éloignées de l'emploi en assurant un socle de revenus, sans pour autant épuiser le sujet des aides et de la mobilisation des leviers pour aider les personnes les plus éloignées de l'emploi à retrouver du travail.
L'autre question que l'on peut se poser, et qui a été abordée par M. Émile, est la suivante : un revenu avec ou sans condition de ressources ? L'allocation de solidarité spécifique est versée aujourd'hui sous conditions de ressources, ce qui oblige à un travail de vérification selon un rythme semestriel. On peut effectivement imaginer qu'il serait plus simple pour les usagers, pour les bénéficiaires et pour les organismes versant la prestation que celle-ci soit sans condition de ressources. La forte variabilité du marché du travail, sa fragmentation, conduit de plus en plus de demandeurs d'emploi à enchaîner des CDD parfois de très courte durée. Si le revenu minimum était sous conditions de ressources, cela obligerait les bénéficiaires confrontés à une succession de contrats courts à produire des justificatifs selon des rythmes extrêmement fréquents. Parfois, on pourrait se retrouver avec des effets ciseaux dans le cas des allocations différentielles ou, a contrario , quand des séquences de chômage alternent avec des contrats courts.
L'objectif visé à travers ce revenu de base, ce revenu socle, ce revenu minimum est-il une celui d'une simplification, d'une plus forte intégration des minima sociaux ou, au contraire, s'agit-il de créer véritablement un revenu de base indépendant auquel s'ajouteraient le cas échéant des prestations spécifiques, qu'il faudrait redéfinir et revoir en fonction du montant de ce revenu de base ? Les actions vis-à-vis des usagers qui sont déjà en cours pour certaines d'entre elles et qui pourraient être encore intensifiées dans un très proche avenir vont dans le bon sens : je pense là à la mise en place de portails pour permettre un accès plus simple à l'information - Pôle emploi s'inscrit dans cette démarche pour éviter les phénomènes de non-recours et faire en sorte que les usagers connaissent mieux leurs droits -, à l'amélioration des interconnexions entre les organismes de protection sociale pour éviter, dans le cas des allocations soumises à conditions de ressources, de multiplier les remises de pièces justificatives.
Cette première étape de simplification ne serait pas nécessairement la plus aisée à franchir dans un premier temps - l'interconnexion des systèmes d'information entraînerait des surcoûts au début -, mais c'est une piste prometteuse sur la durée. L'harmonisation des règles de gestion entre les opérateurs et en matière de pièces justificatives pourrait jouer. En ce qui concerne Pôle emploi, les règles ne sont pas fixées par l'organisme de protection sociale : l'ASS dépend de l'État et les règles applicables au RSA ne relèvent pas de Pôle emploi.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Je vous remercie, monsieur Rivoisy. Nous aurons sans doute l'occasion de vous poser des questions tout à l'heure.
Mme Delphine Champetier, directrice de cabinet du directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés . - Dans un premier temps, j'énoncerai des considérations générales sur la couverture du risque maladie et le revenu de base ; dans un second temps, et plus précisément, je dirai les raisons pour lesquelles l'assurance maladie est particulièrement concernée par la mise en place d'un revenu de base selon les différents scénarios qui ont été évoqués ; dans un troisième temps, je ferai le parallèle avec les réflexions que nous menons du côté de l'assurance maladie en faveur d'une plus grande simplification, tant pour les assurés qu'en matière de gestion.
La question du revenu de base reste marginale par rapport à la couverture du risque maladie. Je crois comprendre que, en Finlande, le revenu de base n'inclut pas dans son champ d'expérimentation ce risque-là. Nous réfléchissons régulièrement à la manière de couvrir ce dernier. Cette réflexion porte sur la mise en place d'un bouclier sanitaire. Il nous est difficile de réfléchir a priori sur les niveaux de revenus susceptibles de couvrir le risque maladie ; ce risque, quand il survient, peut être tellement coûteux qu'aucun assuré ne serait en mesure d'en assumer la charge, même si un revenu lui était distribué chaque mois et quand bien même il aurait eu la prudence « d'épargner » des journées d'hospitalisation, les traitements des affections de longue durée étant, du fait de leur coût, hors de portée de la plupart des assurés.
Les quelques réflexions assimilables à celles que nous pourrions avoir sur la mise en place d'un revenu de base portent en réalité sur l'instauration d'un bouclier sanitaire : quel niveau de reste à charge juge-t-on acceptable de laisser à une personne ? Ces réflexions récurrentes, qui n'ont pas encore abouti, portent sur la question de savoir s'il doit subsister des forfaits de reste à charge universels ou si ce reste à charge doit être modulé en fonction des revenus des personnes.
Ce sujet a d'ailleurs été évoqué dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale.
La mise en place d'un revenu de base serait donc sans impact sur la couverture du risque maladie. En revanche, l'assurance maladie est gestionnaire d'un minimum social, à savoir l'allocation supplémentaire d'invalidité, citée dans le rapport Sirugue. Il s'agit d'un complément à la pension d'invalidité. On compte actuellement 80 000 bénéficiaires, chiffre plutôt en baisse. Ce minimum social est versé quand le montant de la pension d'invalidité est trop faible et avant que la personne concernée ne bénéficie de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, l'ASPA. Il s'élève à environ 400 euros par mois maximum, pour les personnes ayant perçu un revenu de 300 euros mensuels au cours des trois derniers mois. Ensuite, le montant versé diminue en fonction du niveau de revenu. Son coût pour le régime général était de 240 millions d'euros en 2015.
Le rapport Sirugue soulève la question - sur laquelle nous commençons à travailler - de l'homogénéisation et de l'harmonisation des critères de versement de cette allocation supplémentaire d'invalidité avec les critères de versement de l'allocation aux adultes handicapés. Dans les deux cas, il s'agit d'évaluer un niveau de handicap, et ce que met en lumière le rapport Sirugue, c'est que les pratiques ne sont pas les mêmes suivant les organismes gestionnaires. À vrai dire, elles ne sont sans doute pas non plus exactement les mêmes au sein du régime général s'agissant de l'attribution de l'allocation supplémentaire d'invalidité, même si nous travaillons à la mise en place d'un outil de simulation pour guider les médecins-conseils dans leurs décisions et mettre à leur disposition un socle de critères communs. Actuellement, ces travaux d'harmonisation consistent à recenser les pratiques pour voir dans quelle mesure on peut aller vers une homogénéisation des critères d'attribution, ce à quoi nous sommes favorables.
Le deuxième sujet sur lequel je voulais insister s'agissant de l'implication de l'assurance maladie dans la lutte contre la pauvreté -question importante dans l'objectif de mise en place d'un revenu de base - est effectivement la question de l'accompagnement. Au-delà du versement des prestations, l'assurance maladie, comme Pôle emploi, développe des programmes spécifiques pour les publics précaires, bien sûr pour des questions sanitaires, mais aussi avec un objectif de réinsertion professionnelle. Par exemple, nous avons mis en place des programmes de prévention de la désinsertion professionnelle destinés à repérer les personnes recevant des indemnités journalières depuis un certain temps en lien avec un certain type de pathologie. Nous pouvons avoir un contact direct avec ces personnes par l'intermédiaire d'un service médical ou de notre réseau d'assistantes sociales pour voir dans quelle mesure on peut les aider à retrouver le chemin de l'emploi.
Les questions d'accompagnement, au-delà du versement des prestations, sont donc un complément important dans la lutte contre la pauvreté.
J'en viens aux questions méthodologiques. Les différents scénarios exposés dans le rapport s'inscrivent dans une démarche progressive. Il me semble ainsi compliqué d'aller au scénario 3 sans avoir au préalable exploré les scénarios 1 et 2, c'est-à-dire travaillé en amont d'abord sur une simplification des réglementations, puis sur l'homogénéisation des procédures de gestion au sein des différents organismes. Parfois, même sur des processus assez similaires, on ne demande pas exactement les mêmes pièces justificatives, on ne considère pas les revenus sur des durées identiques, on n'a pas exactement la même définition de ce qu'est un foyer. Ce constat vaut pour toutes les prestations.
La fusion de l'ensemble des minima sociaux ne pourra se faire sans au préalable un « nettoyage » et une homogénéisation à la fois de la réglementation et des règles de gestion.
Cette réflexion sur la simplification et l'intelligibilité des droits des assurés - notamment les droits maladie -, sur la qualité de service, enjeu très important, sur l'homogénéité territoriale des droits aux prestations, sur l'efficacité de notre gestion en matière de versement de ces prestations a conduit à l'ouverture de toute une série de chantiers.
Nous sommes en particulier extrêmement attentifs aux contreparties de cette simplification. Pour nous, la simplification de la réglementation et l'homogénéisation des règles doivent aussi permettre à terme un contrôle plus efficace. Nous rencontrons des difficultés avec certaines prestations soumises à une réglementation assez complexe. Par exemple, une demande de CMU-C nécessite quatorze pièces justificatives, ce qui rend les procédures de contrôle très difficiles à mettre en place.
La marche vers un revenu de base et une homogénéisation des règles doit aussi permettre un renforcement et une simplification des contrôles qui sont menés parce qu'une réglementation complexe, ce sont aussi des droits compliqués à contrôler ; c'est donc source éventuellement d'inégalités et d'injustices.
L'assurance maladie prend également part aux réflexions menées, notamment par le ministère des affaires sociales, sur la mise en place de portails numériques permettant aux assurés d'accéder rapidement et simplement à l'ensemble de leurs droits sociaux, sans pour autant permettre l'ouverture automatique de droits, contrairement à ce que suggère le rapport Sirugue. Toujours est-il que l'assuré pourrait avoir accès à l'ensemble de ses prestations et de ses droits, quels que soient la branche et l'organisme de sécurité sociale concernés.
Nous menons également une réflexion avec le ministère des affaires sociales sur la simplification et l'harmonisation des conditions d'attribution de la CMU-C : comment réduire le nombre de pièces justificatives exigées ? Comment lier le versement de cette prestation à certaines autres prestations de manière automatique, ce que nous faisons déjà pour les bénéficiaires du minimum vieillesse dont l'accès à la complémentaire santé est automatiquement renouvelé ? Nous travaillons donc sur une simplification de l'accès pour les assurés et pour simplifier la gestion pour nous.
M. Bernard Tapie, directeur des statistiques, des études et de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales . - En premier lieu, je dresserai un diagnostic assez rapide de la situation actuelle du point de vue de la CNAF, puis j'évoquerai des travaux de simulation que nous avons menés pour savoir comment il serait possible de créer un revenu universel garanti et dans quelle mesure on pourrait passer de ce revenu universel garanti à un revenu de base sans trop toucher à l'effort de redistribution aujourd'hui consenti.
Je précise que ces travaux d'analyse et de recherche, ces simulations n'expriment en aucun cas la position de la CNAF sur les sujets qui nous intéressent aujourd'hui.
Dans ce domaine, les prestations gérées par les CAF, il existe 18 000 règles de droit ! Par ailleurs, nous avons étudié, pour presque toutes les prestations que nous versons, ce qui se passe quand on gagne un euro de plus, si elles baissent, si elles augmentent. Jusqu'à un niveau très faible de revenus, c'est le RSA qui s'applique ; ensuite, c'est un enchevêtrement : prime d'activité, fin de forfait logement, puis déclenchement du bonus de la prime d'activité, etc. L'enchevêtrement de ces prestations, si on les met en relation avec les revenus, a de quoi surprendre : on peut s'interroger sur les effets incitatifs sur les ménages modestes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Il y a plusieurs seuils.
M. Bernard Tapie . - Non seulement il y a plusieurs seuils, mais en plus ils ne sont pas très rationnels : quand on passe de 200 euros à 250 euros de revenus, le taux marginal d'imposition baisse, tout simplement parce que les dispositifs n'ont pas été conçus pour s'impliquer les uns dans les autres.
Si l'on revient à la question d'un revenu garanti ou d'un revenu de base, de quoi parle-t-on ? On ne peut s'en tenir aux seuls minima sociaux, il existe des prestations qui viennent les compléter tout de suite : je pense, par exemple, aux allocations logement, que touchent un grand nombre de bénéficiaires des minima sociaux. Et puisqu'elles ne sont pas comprises dans la base ressources, il s'agit presque d'un supplément de minimum social pour les locataires.
Dans nos travaux d'analyse, nous avons scindé les prestations en prestations en direction des ménages modestes et prestations généralistes. Parmi les prestations en direction des ménages modestes, on distingue les allocations logement - environ 6 millions de bénéficiaires -, le RSA socle, la prime d'activité, l'AAH, la majoration pour la vie autonome, l'allocation de base, le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation de soutien familial, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé. Dans notre modèle de simulation, nous avons intégré l'allocation de solidarité aux personnes âgées.
Cela représente une enveloppe globale de 45,4 milliards d'euros. L'effet incitatif de l'ensemble ne semble pas très clair quand on effectue une simulation avec variation des revenus : parfois, un euro supplémentaire de revenus conduit à une baisse des prestations et à l'effet inverse juste après.
Plutôt que d'envisager un revenu de base, nous avons plutôt envisagé un revenu minimum garanti, en déterminant son montant possible, à enveloppe constante. Dans nos simulations, nous avons retenu 900 euros, et nous avons constaté que l'impact serait très fort sur la pauvreté : en retenant un seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian, on passerait de 8 % de la population à 2 %. Au moins sur cet objectif de politique publique de réduction de la grande pauvreté, cette manière de procéder serait intéressante.
Nous n'avons pas simulé un revenu universel garanti qui soit complètement uniforme, quelle que soit la situation du foyer : nous avons majoré ces 900 euros de 40 % dans le cas de la présence d'un handicapé, de 10 % dans le cas d'un parent isolé, inclus des majorations pour les enfants, certaines zones géographiques, etc.... Nous avons ainsi créé un revenu minimum garanti « familialisé » pour tenir compte de la situation du foyer qui pourrait en bénéficier.
Ce revenu mettrait fin à certaines incohérences du système actuel. Par exemple, aujourd'hui des foyers des déciles 5, 6 et 7 qui bénéficient actuellement de l'allocation logement n'en bénéficieraient plus. Elles en bénéficient pour des raisons liées à la réglementation : les ressources qu'on considère pour l'allocation logement sont les ressources de l'année n-2 ; même si vos ressources ont évolué entre-temps, vous pouvez donc continuer à bénéficier de l'allocation logement. Toutes ces anomalies ou scories dues aux différentes réglementations disparaîtraient pour une plus grande cohérence dans la distribution de ces prestations.
Comment passe-t-on à un revenu universel ? La première solution consiste à dire que ces 900 euros « familialisés » pourraient être versés à tout le monde, ce qui serait beaucoup plus coûteux qu'un revenu minimum garanti. Par conséquent, il faudrait mettre en place un prélèvement. Nous avons retenu l'hypothèse d'une flat tax , d'un taux forfaitaire de 40 % sur les revenus, c'est-à-dire en fait à la base « ressources » du RSA. Coût : entre 440 et 450 milliards d'euros.
Toujours est-il que ce n'est pas le coût réel, puisque des gens vont recevoir 900 euros « familialisés » tout en étant ponctionnés de ces 40 %. Pour une grande partie de la population, ce sera neutre, c'est-à-dire qu'ils seront ponctionnés à peu près de ce qu'ils recevront. En gros, à partir du décile 5 jusqu'au décile 9, le système est quasi neutre. Évidemment, le décile 9 se retrouvera très affecté par ce prélèvement sur les revenus et les déciles du début de distribution bénéficieront à plein des 900 euros et seront très peu ponctionnés.
Ce qu'il faut donc regarder, ce n'est pas le coût du prélèvement, mais le coût pour les perdants, ceux qui vont devoir contribuer à ce versement à tous de 900 euros. Ce coût est de 100 milliards d'euros ; c'est le montant de l'effort redistributif que doit consentir le pays, en particulier les personnes des déciles 8, 9 et 10, pour pouvoir assurer ce revenu universel de base s'il est financé de cette manière.
Nous avons étudié un deuxième scénario, celui d'un revenu universel de base quasi fictif. Il consisterait à verser 900 euros à tout le monde, mais pour ceux qui n'avaient pas ce revenu, on ponctionnerait leurs ressources de telle manière qu'ils le perçoivent réellement - ceux qui n'ont pas de ressources recevront 900 euros, et à ceux qui ont 50 ou 100 euros de ressources, on versera les 900 euros mais leurs ressources seront ponctionnées au titre du financement du revenu universel. Tous les autres seront ponctionnés exactement du revenu de base. Et donc le coût est exactement le même que celui du revenu universel garanti, à savoir 45 milliards d'euros.
En fait, il est possible de procéder progressivement. On peut partir exactement de l'effort de redistribution d'aujourd'hui et dire qu'on crée un revenu minimum garanti. On pourra l'appeler revenu de base dès lors qu'on se sera mis d'accord sur la manière dont il est financé. Dans un second temps, il sera possible de faire varier la manière dont ce revenu de base est financé pour rendre ce financement plus progressif, et non forfaitaire.
De ces travaux exploratoires, nous tirons trois conclusions.
Premièrement, il nous semble qu'une fusion des prestations versées aux ménages modestes permettrait de clarifier les objectifs de politique publique assignés aux prestations versées à ces ménages. Fusion pour faire soit un revenu garanti, soit une allocation unique d'activité : nous avons aussi étudié la possibilité de procéder par analogie avec la prime d'activité, c'est-à-dire de prévoir un montant forfaitaire de base, les gens gardant ensuite, en fonction de leurs ressources, 50 % de ce qu'ils ont gagné pour les inciter au travail.
Deuxièmement, en termes de simplification et de gestion, nous savons gérer la prime d'activité par un accès direct par internet, et la d éclaration sociale nominative nous permettra un accès simplifié aux ressources. Il nous semble que la partie revenu universel garanti serait gérable dès lors que les Français concernés accepteraient de faire une déclaration trimestrielle de ressources. Ainsi, en ce qui concerne la prime d'activité, le niveau d'acceptation est très haut comme le montre le doublement du taux de recours entre le RSA activité et la prime d'activité alors que la prestation a assez peu varié finalement. La manière de dispenser le droit, c'est-à-dire de permettre aux gens de procéder depuis chez eux, est essentielle et cette modalité de dispensation serait finalement assez efficace pour garantir le recours.
Troisièmement, si l'on dit qu'il est souhaitable de fusionner l'ensemble des prestations versées aux ménages modestes - vous avez noté que je n'ai pas parlé des allocations familiales -, le passage au revenu universel de base est un passage simplement « paramétrique », dans la manière dont on le finance ; ce n'est pas un big bang .
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Ces réflexions et ce travail, même s'ils n'ont pas encore abouti, sont très intéressants.
Mme Patricia Chantin, responsable des relations parlementaires et institutionnelles de la Caisse nationale des allocations familiales . - Il est peu probable que les frais de gestion de ce revenu universel ou minimum soient inférieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui pour les 75 milliards d'euros que nous gérons, à savoir 2,5 %, ce qui est assez bas surtout au regard de nos 18 000 règles de droit applicables à la vingtaine de prestations que nous distribuons, d'autant plus qu'une part de nos allocataires, notamment les plus précarisés, ceux qui touchent le RSA, peuvent connaître deux changements de situation chaque mois. Nous gérons donc des situations extrêmement complexes. L'objectif est certes une simplification maximale pour les allocataires - de fait, nous attendons avec impatience la DSN, promouvons la dématérialisation et l'accompagnement vers plus de numérique -, mais la réalité d'aujourd'hui, c'est l'extrême complexité de l'ensemble des règles de droit régissant ces prestations. On ne peut pas expliquer à un allocataire qui touche un certain nombre de prestations comment l'on calcule une aide au logement ; ce calcul se fait automatiquement au moyen de systèmes informatiques extrêmement complexes. Une plus grande simplicité permettrait sans doute aux gens de mieux comprendre comment fonctionnent ces prestations et comment elles sont financées.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Tout ce qui a été dit sur la manière d'envisager un revenu de base compte tenu du maquis actuel des allocations est très intéressant. Vous avez tous employé le mot « simplification » ; cette piste possible est envisagée par tout le monde, à commencer par M. Sirugue dans son rapport, sans compter que l'idée même de revenu universel sous-tend cet objectif de simplification, tout en offrant une protection à ceux qui le percevraient.
D'après ce que j'ai compris des propos de M. Rivoisy, le revenu universel, le revenu de base, ne favoriserait pas le retour à l'emploi : il n'aurait un effet ni négatif ni positif, pour dire les choses un peu brutalement. L'attribution d'aides spécifiques, comme les bons de transport, aiderait plus au retour à l'emploi que l'attribution d'un revenu à proprement parler. J'ai entendu dire également qu'il serait possible de regrouper les allocations. Cela recoupe certaines études faites par les défenseurs du revenu de base, notamment le Mouvement français pour un revenu de base et l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence, selon lesquelles on pourrait passer des prestations actuelles à une sorte de revenu à la condition de solliciter l'impôt des plus riches.
M. Alain Vasselle . - Parce qu'ils n'en paient pas déjà assez ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Je n'en tire aucune conclusion ; je constate simplement que cela recoupe les projections du MFRB, de l'AIRE ou de Génération libre : il faut bien faire payer quelqu'un si l'on veut mettre en place un revenu universel.
Un revenu universel servirait-il le retour à l'emploi ? La question est ouverte. Pôle emploi dit que ce n'est pas évident, qu'il n'y a pas de corrélation évidente ou immédiate avec le retour à l'emploi, même s'il est possible de le servir à tout le monde sous certaines conditions. On peut envisager de distribuer autrement les 45 milliards d'euros déjà distribués à condition de recourir à l'impôt.
M. Bernard Tapie . - J'ai dit que si l'on veut verser un revenu universel de base, il faudrait ponctionner (en net du revenu de base) 100 milliards d'euros sur les plus riches au moyen d'une flat tax . Ensuite, j'ai dit qu'on pouvait aussi envisager un financement différent par prélèvement forfaitaire du montant du revenu de base aux foyers qui ont des ressources supérieures, ce qui reviendrait à créer un revenu garanti universel ou un revenu minimal garanti, qui ne coûterait que 45 milliards d'euros, c'est-à-dire l'effort qui est aujourd'hui consenti pour la redistribution.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Cela signifie-t-il qu'on distribue à tout le monde 900 euros ?
M. Bernard Tapie . - On distribue à tout le monde 900 euros, mais la manière de financer cette mesure est différente entre les deux scenarios : le financement du revenu universel dans le second scenario, pour les personnes qui ont plus de 900 euros de revenus, est exactement égal au montant du revenu universel ; en gros, il s'agit de donner 900 euros et de reprendre 900 euros ! L'intérêt de ce scénario, c'est de montrer qu'on peut avancer vers le revenu universel en partant d'un revenu garanti. Ensuite, petit à petit en changeant le mode de financement, on pourrait avancer véritablement vers un revenu universel.
M. Jérôme Rivoisy . - Je voudrais préciser mon propos. Mon raisonnement était plutôt a contrario . Les études menées par des économistes vous éclaireront davantage - vous pourrez ainsi solliciter M. Jean Pisani-Ferry que vous auditionnez cet après-midi -, en particulier l'étude menée pour évaluer le RSA. La question qui a été soulevée a été de savoir si un revenu minimum avec des obligations d'insertion variables était de nature à « désinciter » le retour au travail. Ces études, qui n'émanent pas de Pôle emploi, avaient plutôt conclu qu'il n'y avait pas d'effet « désincitatif ».
J'ai raisonné en l'état actuel du droit, c'est-à-dire en l'absence de revenu minimum universel. J'ai simplement dit que l'aspect « revenu », qui peut être une contribution tout à fait positive au profit de personnes dans le cadre de leur recherche d'emploi, n'était pas la seule donnée ; je l'ai relativisée, en l'articulant autour des deux objectifs que vous aviez cités en introduction, à savoir la lutte contre la pauvreté et le retour à l'emploi, qui nécessitent bien d'autres actions que le seul versement d'un revenu, en particulier des aides spécifiques, éventuellement ciblées.
Il faudra mesurer les effets de ce revenu universel s'il est créé et mettre en place des actions d'accompagnement intensif pour lever une série de freins, de difficultés. Pôle emploi en prend certaines à sa charge ou bien agit de conserve avec les départements et les travailleurs sociaux. En particulier, les actions de formation sont importantes pour remettre en adéquation des publics éloignés de l'emploi avec la réalité du marché du travail.
Je relativisais la notion de revenu minimum dans l'ensemble des actions concourant au retour à l'emploi des publics les plus éloignés. Mais n'en tirez pas la conclusion qu'un revenu minimum aurait un effet négatif ou serait sans effet.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Nous nous demandons si cette réflexion est valable pour l'ensemble des publics : les jeunes ou les seniors proches de la retraite, qui éprouvent des difficultés pour retrouver un emploi.
Certes, il existe des dispositifs, notamment l'ASS, pour ceux qui ne perçoivent plus d'indemnités chômage. S'agissant des jeunes, une expérimentation est menée à travers la « garantie jeunes », laquelle n'est pas sans contrepartie en termes d'accompagnement, d'animation et de formation. Peut-on mesurer l'impact sur le retour à l'emploi de certains publics plus touchés par le chômage que la moyenne des Français ?
M. Alain Vasselle . - Je voudrais rebondir sur deux points.
Premièrement, le retour à l'emploi. Vous nous avez expliqué que les études qui ont été conduites démontraient que la mise en place d'un revenu universel n'aurait pas d'effet, ni dans un sens ni dans l'autre, sur le retour à l'emploi. Ces études ont-elles bien intégré les droits connexes ? Lorsque Martin Hirsch, alors Haut-Commissaire du Gouvernement, avait travaillé sur le RSA, notre ancienne collègue du Nord Sylvie Desmarescaux et moi-même l'avions régulièrement interpellé sur ce point et nous sommes restés quelque peu sur notre faim, car on nous a expliqué qu'il était extrêmement difficile de connaître la réalité de ces droits connexes. Or il apparaît que l'ensemble formé par l'addition de ces droits connexes au revenu minimum pourrait avoir un caractère « désincitatif » sur le retour à l'emploi.
Deuxièmement, la contribution financière des Français au financement des 45 milliards d'euros pourrait être neutre pour ceux qui ont un revenu relativement élevé - vous avez avancé le chiffre de 900 euros : on leur donnerait un revenu de base de 900 euros, lesquels seraient redistribués à travers la fiscalité. Êtes-vous allé jusqu'à réfléchir sur les modalités de prélèvement de ces 900 euros ? Sauf à ce que le prélèvement à la source change complètement la donne, on paie des impôts en fonction de son revenu et selon un barème progressif. Ce prélèvement pourrait-il être calé sans hausse importante de la fiscalité pour ceux qui payent l'impôt ?
Enfin, avez-vous apprécié les conséquences de la fusion de tous ces minima sociaux sur le revenu des handicapés ? M. Valls a déclaré qu'il allait inscrire cette fusion dans le programme présidentiel socialiste, puis j'ai lu qu'il avait fait marche arrière et que l'idée d'un revenu de base était pour le moment écartée. D'après l'analyse que j'avais faite de cette proposition, j'en étais arrivé à la conclusion que ce revenu de base serait inférieur à ce que perçoivent actuellement les handicapés. Aujourd'hui, on parle d'un revenu d'environ 600 euros, alors que les handicapés perçoivent un revenu compris entre 800 euros et 900 euros.
M. Jérôme Rivoisy . - Je faisais allusion aux études menées par le comité d'évaluation mis en place après la généralisation du RSA, postérieurement à la loi de 2008. Il s'agissait de montrer si celle-ci pouvait être de nature à avoir des effets soit incitatifs, soit « désincitatifs ». Sauf erreur de ma part, ces études étaient centrées sur le RSA sans envisager les droits connexes, question plus délicate à traiter. Les effets incitatifs étaient considérés comme plutôt positifs, mais limités, et les effets « désincitatifs » comme négligeables. Ces travaux remontent à une période comprise entre 2009 et 2011.
M. Bernard Tapie . - Les simulations que j'ai relatées ne sont pas celles qu'a faites le Gouvernement pour étayer les annonces de Manuel Valls. Dans notre simulation, les handicapés ne percevraient pas moins que ce qu'ils perçoivent aujourd'hui. Nous avons prévu une majoration de ce revenu minimal garanti qui leur permettrait de toucher autant. En revanche, l'AAH a une partie « familialisée » beaucoup plus avantageuse que le RSA, ce que nous n'avons pas retenu : ainsi, les enfants non handicapés sont pris en compte dans le calcul de l'AAH de manière beaucoup plus favorable que pour le RSA. De fait, le mode de « familialisation » que nous avons retenu est le même que celui qui s'applique à l'ensemble des ménages.
Ensuite, vous nous avez demandé si nous serions en mesure de gérer un scénario de type revenu universel de base avec une ponction égale à son montant pour les gens disposant de revenus supérieurs à ce seuil.
Premièrement, il s'agit d'une simulation et nous n'avons pas envisagé tous les cas de figure, mais nous avons quand même étudié la question.
Deuxièmement, je ne suis pas certain que le scénario serait affiché ainsi, car, sur le plan politique, il ne serait pas très vendeur d'annoncer à ceux qui touchent plus de 900 euros qu'ils se verraient appliquer un prélèvement exactement égal au revenu universel qui leur serait attribué. Ce scénario existe simplement pour envisager le passage d'un revenu minimal à un revenu universel de façon paramétrique.
Troisièmement, s'il le fallait, nous le gérerions dans le cadre de la déclaration de ressources faites par les personnes : on leur dirait qu'elles ont droit à un revenu universel de tel montant, qui sera grevé d'une contribution égale à son montant compte tenu de leurs ressources.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Par un mécanisme de crédit d'impôt.
M. Pascal Émile . - Je ne veux pas qu'on se trompe de débat : la question de l'aide au logement dans la simulation de la CNAF est un sujet majeur, étudié de très nombreuses fois. Son effet de levier est très important dans l'ensemble des politiques publiques. La clarification des aides au logement et celle des attributaires dans le cas d'une intégration à un revenu garanti ou à un revenu minimal permettraient de recentrer la politique de l'aide au logement, mais il faut en mesurer toutes les conséquences : je parle là des personnes âgées percevant le minimum vieillesse, lequel est cumulable avec l'aide au logement. On pourrait se trouver face à des difficultés significatives.
M. Alain Vasselle . - Pareil avec les handicapés !
M. Pascal Émile . - Aujourd'hui, malgré tout, les populations retraitées ont des revenus équivalents à ceux des actifs, voire supérieurs si l'on inclut le patrimoine.
Monsieur le président, vous évoquiez tout à l'heure les 18-25 ans, qui sont aujourd'hui une cible majeure quand on parle de revenu minimum. Ces questions d'une correcte répartition entre les différentes classes d'âge et des grands équilibres devront être regardées attentivement. Ce qui compte, c'est le revenu disponible après déduction de l'ensemble des charges. Cette question du logement est très complexe parce que, suivant les zones d'habitat, les contraintes sur les budgets familiaux ne sont pas les mêmes.
Deuxième sujet, celui de la « familialisation », question récurrente et importante. C'est une source de difficulté aujourd'hui dans nos modes de gestion : à partir du moment où il faut en permanence vérifier le revenu familial ou le revenu individuel, la vie commune ou l'absence de vie commune, le partage entre droits individuels et droits « familialisés » est une vraie ligne de césure et, dans une perspective de revenu de base, il faudra mener toutes les études ad hoc . Le souci de rationalité et de simplification plaiderait en faveur d'un revenu individuel, cependant que celui de l'équité plaiderait plutôt en faveur de la « familialisation », celle-ci étant néanmoins source de complexité.
M. Bernard Tapie . - Dans nos simulations, nous avons vérifié que les handicapés ne toucheraient pas moins que ce qu'ils perçoivent actuellement avec l'AAH. Quant aux personnes âgées qui toucheraient une allocation logement et le minimum vieillesse, elles ne percevraient pas moins dans notre simulation que ce qu'elles perçoivent aujourd'hui.
À ces 900 euros s'ajoute un certain nombre de majorations pour enfant, pour handicap, pour personne âgée : le revenu est « familialisé ». Une personne seule, non handicapée, non âgée, percevra 900 euros.
M. Alain Vasselle . - Les droits à la CMU seraient-ils maintenus ?
M. Bernard Tapie . - C'est un point que nous n'avons pas étudié.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Dans le rapport spécifique de la Cour des comptes de l'an passé, ce point a été largement évoqué.
Mme Delphine Champetier . - Avec la mise en place de la protection maladie universelle l'an dernier, la couverture maladie universelle de base disparaît : la protection maladie devient universelle sous conditions soit d'activité, soit de résidence stable et régulière. Il n'y a donc aucune remise en cause. Ensuite, s'agissant de la CMU-C, elle est attribuée sous conditions de ressources - quatorze pièces justificatives, un formulaire très compliqué à remplir et des situations de non-recours contre lesquelles nous luttons activement. La simplification de l'attribution de ce droit est à l'étude avec le ministère.
M. Jérôme Rivoisy . - Je ne connais pas cette expérimentation menée en Finlande, et que vous avez mentionnée, monsieur le président, sur les chômeurs éloignés de l'emploi en lien avec un revenu de base. Quand j'évoquais tout à l'heure, en référence à l'exemple finlandais, l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », j'ai dit qu'elle n'incluait aucune dimension revenu de base ou revenu minimum puisque les chômeurs de longue durée qui auront été repérés et qui trouveront un emploi dans une entreprise dite « à but d'emploi » seront payés au SMIC une fois qu'ils seront en situation de travail. C'est indépendant de leur position au regard du régime d'indemnisation ; ils doivent simplement être chômeurs de longue durée. Certains continueront d'être indemnisés à un titre ou à un autre, mais le principal objectif est de les faire basculer dans une situation d'activité.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - On transfère à l'entreprise les allocations qu'ils touchaient avant d'être embauchés.
Cela reste une piste ; elle a été soumise hier à la mission, qui l'a approuvée, mais ses objectifs et son périmètre n'ont pas encore été définis ; il reste donc beaucoup de questions à traiter si tant est que cette piste nous paraisse possible à mettre en oeuvre, tant il serait vain de s'engager dans une voie totalement biaisée.
Ce que vous évoquiez tout à l'heure pourrait peut-être faire l'objet d'une expérimentation. Ce sera difficile, même si la direction du Trésor a semblé estimer qu'il pourrait y avoir des dérogations de manière à pouvoir moduler l'impôt, sur un territoire donné, pour un public bien défini. Cependant, je ne vois pas trop comment procéder dans la mesure où l'impôt concerne tout le monde, pas seulement des échantillons de population. Toute expérimentation comporte des biais difficilement surmontables.
Néanmoins, nous nous interrogeons sur la possibilité de mener une expérimentation plus ciblée sur les populations jeunes et vos remarques nous sont très précieuses à cet égard : elles doivent nous permettre de cadrer, de baliser une éventuelle expérimentation. De fait, nous serons peut-être amenés à nous adresser de nouveau à vous pour définir un cadre d'expérimentation.
S'agissant des « territoires zéro chômage de longue durée », le Fonds présidé par M. Louis Gallois est chargé d'élaborer précisément le cadre de l'expérimentation. Si nous nous engagions dans cette voie, nous ferions quelque chose d'analogue. Nous avons d'ailleurs auditionné des représentants de l'Agence nouvelle des solidarités actives, qui cadre bien le processus d'expérimentation sociale. Nous devons nous en inspirer fortement.
M. Bernard Tapie . - Le prochain projet de loi de finances prévoit-il cette expérimentation ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Nous n'en sommes pas encore là ! La direction du Trésor nous a simplement expliqué que, dans certaines conditions, il serait possible d'accorder des dérogations dans un cadre constitutionnel. On a souvent entendu que le principe d'égalité devant l'impôt interdisait toute dérogation ; or il semble que des aménagements soient possibles.
Mesdames, messieurs, je vous remercie.