COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS
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Compte rendu du déplacement à Londres
(Vendredi 1 er juillet 2016)
I. Rencontre avec MM. Thorsten Bell, directeur, et David Finch, chercheur, The Resolution Foundation
Le vote en faveur du Brexit s'explique en partie par le niveau de vie d'un nombre important de foyers britanniques, qui n'a pas progressé depuis 2002 compte tenu des prix des logements. Si la plupart des économies développées connaissent une situation comparable, la question du logement est particulièrement sensible au Royaume-Uni.
Selon les personnes rencontrées, la situation britannique en matière d'emploi a demandé d'importants « sacrifices » aux salariés qui ont subi une modération salariale durable, dans un contexte d'augmentation des dépenses de logement. Le problème des salaires ne serait pas lié la flexibilité du marché du travail mais au fait que de nombreux employeurs ont dû combler leurs déficits de leur régime de retraite professionnel.
Considérant que les politiques en faveur de l'emploi menées depuis la crise étaient difficiles à évaluer, nos interlocuteurs ont préféré se concentrer sur celles mises en oeuvre depuis le milieu des années 1990. D'une manière générale, celles-ci se sont articulées autour de trois axes complémentaires :
- la segmentation : depuis la mise en place en 1996 de la « Jobseeker's allowance » pour tous les demandeurs d'emploi, en remplacement de l'« Unemployment benefit » et de l' « Income support », les programmes en faveur des demandeurs d'emploi tendent à opérer une différenciation selon la situation de chacun d'entre eux. Ainsi, dans le cadre du « New Deal » puis du « Flexible New Deal », différentes catégories de personnes ont été ciblées (jeunes, séniors, chômeurs de longue durée, etc.). De même, le « Work Programme » prévoit un accompagnement différencié des chômeurs en fonction de leur situation (personnes en situation de handicap, parents isolés, chômeurs de longue durée, jeunes, etc.), celui des demandeurs d'emploi les plus éloignés de l'emploi ayant été externalisé ;
- l'activation repose à la fois sur des obligations renforcées pesant sur les demandeurs d'emploi et sur des politiques visant à augmenter le taux d'emploi de certaines catégories de personnes (personnes handicapées, parents isolés, etc.) ;
- les incitations : différents crédits d'impôt (« Working families tax crédit » remplacé par le « Work tax credit » et le « Children's tax » credit remplacé par le « Child tax credit ») ont été créés pour favoriser l'emploi de ces personnes.
L'effet le plus remarquable a été constaté sur les parents isolés (avant tout des femmes), qui font maintenant l'objet d'un accompagnement tourné vers l'emploi, politique qui s'est traduite par un bond de 10 points du taux d'emploi de cette catégorie. Ce succès inespéré n'aurait pas été possible si les réformes étaient intervenues brutalement, ce qui n'a pas été le cas : la conditionnalité des aides et le régime de sanctions ont été renforcés de manière très progressive (la conditionnalité important d'ailleurs plus que la durée). En revanche, les efforts destinés à améliorer l'insertion des personnes handicapées sur le marché du travail se sont soldés par un échec , faute d'outils fiables permettant d'identifier les personnes capables de travailler (sans risque d'injustice conduisant à supprimer les aides pour des personnes réellement en difficulté).
Thorsten Bell a aussi rappelé le caractère forfaitaire et relativement modeste de l'indemnisation du chômage ( jobseeker's allowance - JSA contributive ou non contributive - sous condition de ressources), surtout pour les célibataires sans charge de famille (pour les bénéficiaires d'allocations pour enfants et d'allocations logement, les montants d'aide se rapprochent du salaire minimum), tandis que les travailleurs pauvres bénéficient de crédits d'impôts spécifiques et relativement avantageux.
Au total, si le système de prestations sociales apparaît défavorable pour les célibataires sans enfant, il semble en revanche relativement généreux pour les familles avec enfants et les travailleurs pauvres.
La mise en place du « Universal credit » visait à l'origine à simplifier l'architecture des allocations et à améliorer les incitations pour retrouver un emploi. Néanmoins, cette réforme s'est accompagnée d'une diminution du niveau des prestations et le système apparaît aujourd'hui moins généreux pour certaines familles. Par ailleurs, ce dispositif s'avère finalement plus complexe pour de nombreuses personnes.
Le renforcement des sanctions et des conditions pour bénéficier d'une allocation s'est traduit par une diminution du nombre de personnes indemnisées, qui est passé de deux millions à 700 000 aujourd'hui. Toutefois, il a été indiqué que les sanctions, appliquées par le conseiller du Jobcentre Plus, sont de moins en moins populaires et acceptées au sein de l'opinion.
Au total, selon les personnes entendues, le succès du système britannique en matière de lutte contre le chômage résulte davantage des mesures mises en oeuvre en matière d'assurance chômage et d'incitation à l'emploi qu'à la flexibilisation accrue du marché du travail. On constate ainsi que les « Zero hour contracts » ne représentent pas la majorité de l'emploi et le débat porte aujourd'hui davantage sur leur encadrement que sur leur suppression. La question du droit du travail est un sujet qui a été, dans une large mesure, traité dans les années 1980.
Certes, la flexibilité permet aux entreprises de recruter sans se préoccuper du coût d'un éventuel licenciement. S'agissant des procédures de licenciement, d'après nos interlocuteurs de la Resolution Foundation, l'important est précisément de faciliter la mobilité, comme moyen de progresser dans une carrière et de gagner davantage (on licencie et on recrute facilement). Néanmoins, dans les faits, cette flexibilité ne s'est pas traduite par une augmentation de la rotation des emplois. Un phénomène inverse a même plutôt été constaté, les salariés restant plus longtemps dans leur emploi que dans les années 1990.
Selon nos interlocuteurs, le taux d'imposition des entreprises ne joue pas un rôle majeur en matière de chômage. En revanche, le niveau élevé de cotisations sociales en France a certainement un effet négatif.
S'agissant de la question des travailleurs indépendants, l'augmentation de leur nombre constitue l'une des principales évolutions du marché du travail britannique qui ont pu être constatées pendant la crise. Ainsi, entre 2008 et 2013, ce type d'emplois a crû de manière significative jusqu'à représenter près de 15 % des emplois aujourd'hui. Or, si certains travailleurs indépendants sont des chefs d'entreprise ou des artisans, un nombre important d'entre eux sont en réalité des salariés. Depuis 2013, le nombre de travailleurs indépendants s'est cependant stabilisé.
Sur la contribution du travail non salarié ( self employed ), qui représente 15 % de la population active du Royaume-Uni, à l'emploi et à la réduction du chômage, plusieurs points, positifs dans l'ensemble, ont été mis en avant par la Resolution Foundation :
- l'existence de deux catégories de self employed - « classiques - artisans » et « classes moyennes - free lance » , qui bénéficient de conditions de rémunérations et d'un régime fiscal avantageux ;
- le fait que dans l'ensemble, les self employed sont satisfaits de leur sort (moins de stress, plus de maîtrise de leur activité) ;
- l'approche de l'administration britannique, qui est très « light touch » , facilitatrice ;
- le fait que dans certains cas, il s'agit en réalité de salariés, victimes d'employeurs peu scrupuleux (la question des définitions n'étant pas clairement tranchée), et aussi que, de manière générale, le système de protection sociale des self employed est moins favorable (maladie, maternité) que celui des salariés.
Sur la question de l'économie numérique, les personnes rencontrées ont rappelé qu'un seuil avait été mis en place en-dessous duquel, pour éviter un surcroît de formalités administratives, les revenus issus de l'économie collaborative ne sont pas taxés (5 000 livres par an).
II. Rencontre avec Mme Barbara Petrongolo, chercheuse, London School of Economics
Le Royaume-Uni, comme la France, a connu une augmentation de son taux de chômage pendant la crise. À partir de 2013, la situation de l'emploi dans ces deux pays a cependant évolué de manière différente. En 2016, le Royaume-Uni affiche ainsi un taux de chômage de 5 %, c'est-à-dire son niveau d'avant crise. Le chômage des jeunes a lui aussi retrouvé son niveau de 2008 (autour de 14 %).
En France, à l'inverse, le taux de chômage demeure à un niveau élevé (proche de 10 % et de 25 % pour les jeunes).
Le marché de l'emploi britannique se caractérise par :
- une importante flexibilité du travail. Si, jusque dans les années 2000, les protections offertes aux salariés étaient comparables à celles appliquées dans les autres pays de l'Union européenne, les mesures prises depuis sont allées dans le sens d'une flexibilisation accrue ;
- une modération des salaires ;
- une politique d'activation visant à améliorer l'employabilité des chômeurs ;
- la mise en place d'incitations financières (crédits d'impôt) visant, d'une part, à maintenir un niveau de revenu aux personnes retrouvant un emploi et, d'autre part, à encourager certaines catégories de personnes (parents isolés notamment) à rentrer sur le marché du travail ;
- la centralisation de la décision en matière de politique de l'emploi et d'indemnisation du chômage.
Par ailleurs, selon Barbara Petrongolo, le marché du travail britannique est moins marqué par la dualité entre les « insiders », qui bénéficient d'une protection de leur emploi, et les « outsiders », généralement précaires, qui servent de « variable d'ajustement », « absorbent » les chocs et protègent les « insiders ».
La création de la « Jobseeker's allowance » marque un changement de paradigme : l'accent est désormais mis sur la recherche d'emploi et non sur l'indemnisation du chômage. Cela se traduit par des obligations renforcées (entretien toutes les deux semaines, etc.). La création des Jobcentres Plus en 2001 traduit la volonté d'assurer un meilleur accompagnement des chômeurs. Selon Barabara Petrongolo, les Jobcentres sont très présents et très actifs dans l'accompagnement des chômeurs. Ces derniers doivent établir une sorte de contrat qui fixe notamment un objectif de de candidatures à effectuer. Les demandeurs d'emploi doivent tenir une sorte de « journal » permettant de comparer les réalisations par rapport à ces objectifs. Les conseillers des Jobcentres peuvent également proposer aux chômeurs de suivre des formations destinées à permettre une réorientation professionnelle.
Certaines catégories de personnes, telles que les personnes handicapées, ont également été encouragées à rentrer sur le marché de l'emploi. Selon Mme Barbara Petrongolo cette politique est en outre positive pour les finances publiques, ces personnes bénéficiant en tout état de cause d'une allocation à vie.
De même, le travail des mères seules a été encouragé avec la mise en place du « Family tax credit ». Actuellement, 1,3 million de personnes bénéficient de cette aide. Cette politique volontariste a permis une augmentation du taux d'emploi de ces catégories.
De même, les jeunes, dans le cadre du « New Deal » et du « Youth contract » ont bénéficié de mesures ciblées.
Barbara Petrongolo a rappelé que les contrôles peuvent être parfois subis comme une forme de harcèlement conduisant certaines personnes à sortir du système sans pour autant avoir retrouvé un emploi.
S'agissant de la mise en place du salaire minimum, si au départ cette mesure n'a pas eu d'impact significatif sur l'emploi, compte tenu de son niveau très bas, son augmentation progressive pourrait en revanche avoir des conséquences sur le marché du travail.
III. Rencontre avec M. Matthew Percival, responsable de section droit du travail et dialogue social, et Mme Felicity Burch, Confederation of British industry (CBI)
La crise économique de 2008 s'est certes traduite par des destructions d'emploi au Royaume-Uni mais dans une proportion moindre de celle connue lors des récessions précédentes. Ce phénomène résulte d'un changement « culturel », les entreprises ayant préféré, la plupart du temps, conserver leurs salariés, notamment qualifiés, plutôt que de s'en séparer. Ce choix résulte d'un calcul économique : si le licenciement est relativement simple au Royaume-Uni et a été encore simplifié, le retour à la croissance supposerait de réembaucher et de faire appel à des structures spécialisées, ce qui se traduit par un coût.
En contrepartie d'une destruction d'emplois plus faible qu'attendu, le nombre de temps partiels subis a augmenté et la progression salariale a été faible. En termes réels, les salaires n'ont retrouvé leur niveau antérieur à la crise qu'en 2016.
La faible augmentation des salaires et les recrutements d'un nombre important de travailleurs peu qualifiés se sont traduits par une baisse de la productivité.
Nos interlocuteurs ont rappelé, qu'à quelques rares exceptions près, la négociation collective s'exerce au niveau de l'entreprise, pas de la branche. Ils ont par ailleurs souligné que l'opinion publique n'accepterait pas qu'un accord entre le CBI et le TUC ait force de loi. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dialogue entre les organisations syndicales et patronales. Dans le cadre des travaux de la « Low wage commission », les partenaires sociaux ont ainsi accepté une baisse du salaire minimum pendant la récession.
S'agissant des « Zero hours contracts », le CBI considère que si les abus doivent être réprimés, cet instrument peut être satisfaisant pour toutes les parties. Il convient par conséquent de le maintenir.
Enfin, nos interlocuteurs ont indiqué que l'efficacité des Jobcentres était très limitée pour les personnes très qualifiées, ces profils étant généralement « placés » par des agences spécialisées.
IV. Rencontre avec M. Owen Tudor, responsable des affaires européennes et internationales, Trade Union Congress (TUC)
Selon Owen Tudor, le marché de l'emploi britannique est certes dynamique mais la productivité des emplois créés est faible. Le risque est donc de créer un cercle vicieux : la faible rémunération se traduisant par une baisse de la productivité et donc un impact négatif sur l'économie dans son ensemble. La plupart des emplois ont été créés dans les services (vente, restauration, hôtellerie, etc.) et non dans l'industrie, secteur dans lequel la création d'emplois est plus complexe car plus coûteuse.
La reprise britannique apparaît donc fragile. Il conviendrait de mettre en place, à l'inverse, une politique tendant à favoriser les emplois qualifiés, mieux rémunérés et plus productifs.
Owen Tudor s'est dit plutôt favorable aux mesures d'activation du marché du travail, celles-ci étant préférables à l'inactivité. Ainsi, dans les années 1980, de nombreuses personnes bien formées étaient au chômage. Or une telle situation n'est, selon lui, évidemment pas souhaitable.
La difficulté rencontrée par la plupart des économies des pays développés réside dans la faiblesse de leur demande. Or le contexte actuel, qui se caractérise par des très faibles taux d'intérêt, est favorable à une augmentation des investissements publics. En particulier, il pourrait être envisagé de relancer la construction de logements, qui apparaît insuffisante au regard du taux de natalité.
L'efficacité des Jobcentres Plus doit être évaluée au regard de la situation de l'emploi : il est plus facile pour les Jocentres Plus de proposer des emplois lorsque l'offre d'emplois est importante. La politique d'activation, qui soumet les demandeurs d'emploi à des contraintes, telles que l'envoi de candidatures, peut s'avérer, dans certains cas, « factices ». En effet, certains secteurs sont dominés par quelques acteurs, l'envoi d'un nombre élevé de candidatures n'est pas un bon indicateur du nombre d'entreprises in fine contactées.
Owen Tudor a rappelé que le dialogue social s'effectuait pour l'essentiel au niveau de l'entreprise, voire de plus en plus au niveau de l'établissement. Or, selon lui, ce régime est moins protecteur pour les salariés que la négociation au niveau de la branche. Certes, les accords d'entreprise permettent de mieux prendre en compte l'évolution de la productivité mais, dans le même temps, cela tend à niveler par le bas les protections. À l'inverse, les négociations au niveau de la branche permettent un alignement vers le haut.
Selon lui, pour dynamiser l'économie, il conviendrait de favoriser les changements d'emploi. Or le niveau de protection accordée aux salariés, qui dépend de l'ancienneté, tend à décourager les rotations.
S'agissant de la question des travailleurs détachés, il existe en réalité deux types de travailleurs : les travailleurs détachés stricto sensu (issus pour l'essentiel d'Europe de l'Est et du Sud et qui se concentrent dans certains secteurs comme la construction) et les expatriés, dans la finance par exemple (qui viennent de France ou d'Allemagne). L'impact de ce type de contrats est plutôt symbolique dans les secteurs où le salaire minimum constitue le salaire « normal ».