C. LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA SNCF, QUI A ÉTÉ BEAUCOUP TROP SOLLICITÉE POUR LA CONSTRUCTION D'INFRASTRUCTURES NOUVELLES, DOIT CESSER DE SE DÉGRADER
1. Une dette en pleine dérive
Dès sa création en 1997 81 ( * ) , l'établissement public industriel et commercial Réseaux ferrés de France (RFF) portait une dette de 20,5 milliards d'euros , héritée de la SNCF.
La dette financière nette de son héritière, SNCF Réseau , devenue le gestionnaire d'infrastructure unifié du groupe SNCF, s'élevait au 30 juin 2016 à 40,8 milliards d'euros en normes françaises 82 ( * ) et à 44,1 milliards d'euros en normes IFRS , soit une augmentation de 2,5 milliards d'euros par an en moyenne 83 ( * ) .
Il convient en particulier de noter que cet endettement a connu une très forte croissance de + 7 % par an depuis 2010 , soit une hausse de 12 milliards d'euros , en raison du lancement simultané de la construction des quatre lignes à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique (Tours-Bordeaux), Bretagne-Pays de la Loire, Nîmes-Montpellier et de ma deuxième phase de la LGV Est, et, dans une moindre mesure, de la hausse du montant des investissements de renouvellement .
Selon la DGITM, la dette de SNCF Réseau pourrait, dans le meilleur des cas, se stabiliser aux alentours de 50 milliards d'euros en 2025 , ce qui impliquerait le versement d'environ 1 ,5 milliard d'euros d'intérêts par l'établissement public à ses créanciers (le montant des frais financiers est actuellement de 1,2 milliard d'euros par an ).
Votre groupe de travail n'a toutefois pas manqué de relever que cette charge déjà très lourde ne demeurerait viable que dans l'hypothèse, très optimiste, où le niveau très bas des taux d'intérêt serait amené à perdurer. Mais en cas de remontée des taux d'intérêt auxquels se finance SNCF Réseau, la situation financière de l'établissement public pourrait rapidement devenir très périlleuse .
2. Le Gouvernement refuse pour le moment toute reprise, même partielle, de la dette de SNCF Réseau
Alors que l'Allemagne avait procédé à une reprise de la dette de la Deutsche Bahn (DB) dès 1995 et que l'INSEE a d'ores et déjà procédé au reclassement en comptabilité nationale de 10,9 milliards d'euros de la dette de SNCF Réseau en dette publique , le Gouvernement refuse pour le moment catégoriquement d'envisager tout cantonnement ou toute reprise par l'État , même partielle, de cette dette , au motif qu'une telle opération viendrait dégrader le déficit et la dette de l'État.
Il a réaffirmé cette position dans son « rapport du Gouvernement relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau et aux solutions qui pourraient être mises en oeuvre afin de traiter l'évolution de la dette historique du système ferroviaire » daté d'août 2016 et remis aux commissions permanentes du Parlement compétentes en matière ferroviaire et financière, en application de l'article 11 de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire.
Les seules réponses qu'il apporte aux inquiétudes exprimées par votre groupe de travail sont l'entrée en vigueur prochaine de la « règle d'or » ferroviaire et l'adoption du contrat de performance de SNCF Réseau .
3. Une « règle d'or » déjà inopérante avant même son entrée en vigueur et une trajectoire financière toujours pas annoncée
a) La bonne application de la « règle d'or » ferroviaire apparaît déjà compromise alors que le décret censé l'instaurer n'a pas encore été publié
L'article 193 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances a instauré une « règle d'or » selon laquelle SNCF Réseau ne peut financer un nouveau projet d'investissement qu'à la condition de respecter un certain ratio d'endettement .
Selon la DGITM, le projet de décret opèrerait une distinction entre les investissements de « développement » , entrant dans le champ de la « règle d'or », et les investissements de « maintenance » , qui en seraient exclus.
Les investissements de « développement » correspondraient aux seules opérations de création de lignes nouvelles en tracé neuf et aux réouvertures de lignes . Ces règles devraient s'appliquer à l'ensemble des dépenses relatives à une opération , ce qui comprend les études et procédures administratives préalables, les acquisitions foncières et la réalisation.
En pratique, le ratio d'endettement qui servira d'indicateur, défini comme le rapport entre la dette financière nette et la marge opérationnelle de SNCF Réseau ne devra pas dépasser un niveau fixé par décret .
Selon les informations transmises à votre groupe de travail, le décret d'application de cet article, qui n'est toujours pas paru mais a été transmis au Conseil d'État, devrait prévoir que ce ratio serait fixé à 18 , soit un niveau élevé .
Or, le niveau actuel de ce ratio a d'ores-et-déjà atteint le chiffre de 19,4 , ce qui démontre combien la dette de SNCF Réseau est devenue incontrôlable et laisse à penser que la « règle d'or » restera lettre morte lorsqu'elle entrera enfin en vigueur.
Votre groupe de travail n'a toutefois pas manqué de relever que ces règles nouvelles ne s'appliqueront pas aux projets pour lesquels la participation de SNCF Réseau a été déterminée formellement par ses instances de gouvernance avant l'entrée en vigueur du décret .
Au surplus, une première exception devrait être faite par le Gouvernement à cette règle d'or, puisqu'il souhaite que SNCF Réseau investisse 250 millions d'euros au capital de la société de projet chargée de construire le Charles-de-Gaulle Express 84 ( * ) . Dès lors, quelle crédibilité accorder à la « règle d'or » ?
b) La trajectoire financière de SNCF Réseau n'a toujours pas été fixée par un contrat de performance qui tarde à venir
L'article L. 2111-10 du code des transports, dans sa rédaction issue des lois n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire et n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, prévoit que SNCF Réseau conclut avec l'État un contrat d'une durée de dix ans , actualisé tous les trois ans .
Ce contrat devra prévoir en particulier la trajectoire financière de SNCF Réseau , c'est-à-dire :
- les moyens financiers alloués à ses différentes missions ;
- les principes qui seront appliqués pour la détermination de la tarification annuelle de l'infrastructure ;
- l'évolution des dépenses de gestion de l'infrastructure , comprenant les dépenses d'exploitation, d'entretien et de renouvellement , celle des dépenses de développement ainsi que les mesures prises pour maîtriser ces dépenses et les objectifs de productivité retenus ;
- la chronique de taux de couverture par les ressources de SNCF-Réseau du coût complet à atteindre annuellement ainsi que la trajectoire à respecter du rapport entre la dette nette de SNCF Réseau et sa marge opérationnelle .
Utile garde-fou, ce contrat de performance sera soumis à un avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) , au moment de sa signature initiale puis à chacune de ses actualisations.
C'est donc ce document qui est censé formaliser les engagements réciproques de l'État et de SNCF Réseau pour permettre son redressement financier.
Or, ce contrat censé donner à toutes les parties prenantes, y compris le Parlement, la visibilité indispensable sur l'avenir du gestionnaire du réseau ferré national, n'a toujours pas été signé plus de deux ans après l'adoption de la réforme ferroviaire .
Si le Gouvernement, dans le rapport sur la dette de SNCF Réseau précité, explique que « le contrat qui sera signé d'ici la fin de l'année entre l'État et SNCF-Réseau sera l'occasion de confirmer les engagements que devront mettre en oeuvre l'ensemble des acteurs pour atteindre l'objectif de stabilisation de la dette à l'horizon 2025 », votre groupe de travail attend pour sa part que soit démontrée une volonté politique forte de s'attaquer enfin aux difficultés financières de l'établissement public .
4. La dette de SNCF Réseau doit être allégée pour permettre à l'entreprise de retrouver des marges de manoeuvre
Le rapport du Gouvernement sur la dette de SNCF Réseau insiste sur les difficultés que poserait une reprise totale ou partielle, de la dette de l'établissement public ou son cantonnement dans une structure ad hoc mais ne propose aucune véritable solution au problème qu'il était censé résoudre : la « règle d'or » n'est déjà plus respectée alors qu'elle n'est pas encore entrée en vigueur et le contrat de performance de SNCF-Réseau se fait toujours attendre.
Or, SNCF Réseau doit impérativement retrouver des marges de manoeuvre financières pour pouvoir faire face aux redoutables défis qui sont les siens, et en particulier le grand chantier de la modernisation du réseau existant .
C'est pourquoi votre groupe de travail estime que l'État devra tôt ou tard envisager une opération de reprise, même partielle, de la dette de SNCF Réseau ou son cantonnement dans une structure dédiée .
Proposition n° 13 : Envisager une opération de reprise , même partielle , de la dette de SNCF Réseau par l'État ou son cantonnement dans une structure dédiée , afin de redonner des marges de manoeuvres financières au gestionnaire du réseau ferré national. |
* 81 Par la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire.
* 82 Dette en valeur de remboursement hors intérêts courants échus.
* 83 Ce montant constitue aujourd'hui plus du double de celui transféré à RFF en 1997.
* 84 Annonce du secrétaire d'État chargé des transports devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale le 20 septembre 2016.