B. LIVRE BLANC 2013 : LE PERFECTIONNEMENT DU CONCEPT DE LA DOUBLE FINALITÉ ET DE L'ARTICULATION CIVILO-MILITAIRE
Le Livre blanc énonce et hiérarchise des priorités géostratégiques cohérentes avec l'analyse, par la France, de son environnement international et avec les responsabilités qu'elle entend exercer 29 ( * ) :
• protéger le territoire national et les ressortissants français, garantir la continuité des fonctions essentielles de la Nation et préserver notre souveraineté. Les risques et les menaces identifiés sont les agressions par un autre État contre le territoire national 30 ( * ) , les attaques terroristes 31 ( * ) , les cyber-attaques 32 ( * ), les atteintes au potentiel scientifique et technique, la criminalité organisée dans ses formes les plus graves, les crises majeures résultant de risques naturels, sanitaires, technologiques et industriels, et les attaques contre nos ressortissants à l'étranger ;
• garantir, avec nos partenaires européens et alliés, la sécurité de l'Europe et de l'espace nord-atlantique, par un rôle actif au sein de l'Union européenne et de l'OTAN. La stabilité de tous les pays de l'espace européen est une priorité 33 ( * ) ;
• stabiliser avec nos partenaires et alliés le voisinage de l'Europe. Il s'agit notamment d'éviter l'émergence de menaces susceptibles d'affecter les approches orientales de l'Europe, la zone méditerranéenne, le Sahel - de la Mauritanie à la Corne de l'Afrique - et une partie de l'Afrique subsaharienne - notamment le golfe de Guinée et les pays riverains ;
• participer à la stabilité au Proche et Moyen-Orient et dans le golfe arabo-persique et, dans ce cadre, avoir la capacité de mettre en oeuvre, en coordination avec nos alliés, les accords de défense souscrits par la France en protégeant ses intérêts stratégiques et de sécurité. La sécurité de la zone qui s'étend des rives de la Méditerranée orientale au golfe arabo-persique et jusqu'à l'océan Indien revêt une importance majeure pour l'Europe et l'équilibre international 34 ( * ) .
• contribuer à la paix et à la sécurité internationale dans le monde, en portant une attention particulière à la sécurité de l'océan Indien et à la maîtrise des risques en Asie du Sud 35 ( * ).
• Après le rappel de ces priorités, le Livre blanc pour 2013 confirme la double finalité du concept d'intervention et de l'articulation entre interventions civile et militaire. Il définit trois objectifs pour les interventions extérieures 36 ( * ) :
- assurer la protection de nos ressortissants à l'étranger,
- défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés,
- et exercer nos responsabilités internationales.
Pour nos armées, il s'agit de :
• Répondre aux « menaces de la force ». « Elles doivent être capables de conduire des opérations de coercition dans un contexte de haute intensité, notamment dans l'hypothèse où une aggravation de la situation internationale les conduirait à affronter militairement les forces d'un État » . 37 ( * )
• Répondre aux « risques de la faiblesse » 38 ( * ) : « Face à des situations créées par la fragilité de certains États, les armées doivent également pouvoir être engagées dans des opérations de gestion de crise. Elles pourraient alors être confrontées à des adversaires irréguliers recourant à des modes opératoires asymétriques 39 ( * ) (...) « Ces opérations de gestion de crise sont susceptibles de prendre des formes diverses, qu'il s'agisse de maintien de la paix, d'interposition, de sécurisation des approches maritimes ou aériennes d'États faillis, de lutte contre les trafics, la piraterie ou le terrorisme, d'assistance à un gouvernement ou de contre-insurrection. Leur objectif politique principal sera de rétablir et de maintenir les conditions de sécurité nécessaires à une vie normale » 40 ( * ) .
• Le Livre blanc envisage des situations intermédiaires ou transitoires, marquées par l'émergence de «menaces hybrides . Certains adversaires de type non-étatique joindront à des modes d'action asymétriques des moyens de niveau étatique ou des capacités de haut niveau technologique, acquis ou dérobés 41 ( * ) , et inversement les forces de certains États pourront recourir à des modes d'action asymétriques. « Les modes d'action de ces adversaires pourront reposer sur l'emploi simultané d'approches conventionnelles et irrégulières. Dans le cadre des opérations de gestion de crise, ils pourront aboutir à un durcissement du conflit . » Nos forces pourront alors ponctuellement être amenées à conduire plusieurs types d'opérations simultanément 42 ( * ) et leur objectif principal sera de « créer les conditions d'une cessation des hostilités de la part de l'ensemble des belligérants ».
• La résolution des crises obéit de plus en plus à une approche intégrée , dans laquelle les volets civil et militaire sont étroitement imbriqués , ceci jusqu'aux échelons les plus proches du terrain 43 ( * ) .
• Le Livre blanc de 2013 a confirmé le concept de sécurité nationale, introduit dans la stratégie française en 2008, et inscrit par la loi dans le code de la défense en 2009. Sans revenir sur la continuité entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, le Livre blanc de 2013 est centré sur l'approche « défense » et aborde ce qui concerne la sécurité intérieure, en dehors de la mission de protection confiée aux armées. En revanche le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2014-2019 est un peu plus explicite 44 ( * ) , plus encore son actualisation de juillet 2015 en raison de la survenue des attentats terroristes à Paris 45 ( * ) .
* 29 Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale p. 47 et suiv. La documentation française , mai 2013.
* 30 Cette menace garde un faible degré de probabilité, mais elle ne peut être ignorée en raison de son extrême gravité potentielle.
* 31 Au premier rang des menaces les plus probables : une campagne terroriste de grande ampleur créerait des dommages matériels, psychologiques et humains importants. Le rapport annexé à la loi de programmation militaire dans sa version actualisée de juillet 2015 indique clairement : « L'existence d'une menace terroriste durable et avérée sur le sol national confirme la convergence de ces trois priorités clés. Elle renforce désormais l'importance de la protection »
* 32 Dès aujourd'hui et plus encore à l'horizon du Livre Blanc, elles constituent une menace majeure, forte probabilité et à fort impact potentiel.
* 33 La nature étroite et profonde de nos relations bilatérales avec les États-Unis et le Canada, nos engagements de défense collective au titre du traité de l'Atlantique Nord et notre communauté de valeurs fondent entre nous une solidarité de droit et de fait
* 34 La France est engagée par des accords de défense à Djibouti, aux Émirats arabes unis, au Koweït et au Qatar. Elle entretient une base interarmées à Abou Dabi, met en oeuvre un accord de coopération avec Bahreïn et souhaite développer des relations étroites avec l'Arabie saoudite ;
* 35 La France entend promouvoir des intérêts globaux, justifiant le maintien d'un réseau diplomatique étendu et des capacités de présence et d'action dans ces régions et sur tous les océans. Elle consolidera donc son engagement politique en Asie, dans l'océan Indien, dans le Pacifique et en Amérique latine, à travers sa coopération de défense, une présence militaire active, le développement de partenariats stratégiques et l'intensification de ses réseaux de coopération.
* 36 Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale p. 82 et suiv. La documentation française , mai 2013.
* 37 Dans ces conflits conventionnels, l'action militaire visera à contraindre de vive force la volonté politique de l'adversaire, en neutralisant, par exemple par une campagne d'attrition, les sources de sa puissance (appareil militaire, centres de pouvoir, cibles économiques de haute valeur...). Nos forces pourront être confrontées à un adversaire disposant de capacités organisées, commandées et complémentaires pouvant reposer sur des systèmes d'armes performants, tels que les sous-marins, l'aviation de combat, les systèmes de défense sol-air évolués, les missiles de croisière, les engins non-pilotés. La mission des forces armées est envisagée sur une durée courte, pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois.
Afin d'acquérir et de conserver la supériorité opérationnelle sur nos adversaires, ces engagements de coercition seront conduits de façon coordonnée dans les cinq milieux (terre, air, mer, espace extra-atmosphérique et cyberespace). La supériorité technologique dans les domaines du renseignement, de la portée, de la puissance, de la précision et de la coordination des feux des trois armées sera essentielle (Livre blanc 2013 déjà cité).
* 38 Le plus souvent non étatiques, ces adversaires disposeront de forces plus ou moins bien coordonnées ou d'un armement principalement rustique. Ils manifesteront une forte résilience. Ils chercheront à entraîner nos forces sur des terrains où ils peuvent se fondre et qui sont, pour elles, défavorables, (par exemple, zones urbaines, zones littorales ou au contraire zones désertiques ou montagneuses). Dans de telles opérations, nos forces devront s'intégrer dans un environnement juridique complexe, en l'absence de déclaration de guerre et face à des adversaires s'affranchissant des règles du droit des conflits armés (Livre blanc 2013 déjà cité).
* 39 Attentats-suicides, embuscades, prises d'otage, engins explosifs improvisés, actes de piraterie...
* 40 Dans un processus difficile pouvant donner lieu à des pics de violence, il s'agira de contraindre les adversaires à déposer les armes, plus que de rechercher leur destruction. Ces opérations exigeront que nos forces puissent, dans tous les milieux, exercer le contrôle de vastes espaces, ce qui requiert un volume de forces suffisant. Elles se caractériseront par un engagement dans la durée, pouvant s'étaler de quelques mois à quelques années (Livre blanc 2013 déjà cité).
* 41 Ces menaces hybrides, qui peuvent relativiser, en particulier en ville, l'avantage technologique des pays les plus avancés, sont favorisées par la diffusion croissante des technologies à bas coûts et la facilité avec laquelle la mondialisation permet les trafics d'armes.
* 42 Elles devront ainsi être capables de déployer aussi bien des moyens permettant de mener des actions de coercition et d'attrition locales, au milieu des populations, que des capacités répondant à l'impératif de contrôle de vastes espaces, souvent en appui des forces de sécurité locales. Dans ce but, elles devront faire preuve d'une grande réactivité, d'une parfaite faculté d'adaptation, et bénéficier des protections appropriées aux surprises tactiques possibles.
* 43 À mesure que la résolution de la crise progresse, l'opération militaire devra être complémentaire des opérations à dominante civile de reconstruction, de rétablissement du fonctionnement des institutions publiques et de restauration des capacités économiques de base.
* 44 Ce concept tire les conséquences de la continuité des menaces et des risques intérieurs et extérieurs qui pèsent sur la France, son territoire, sa population et ses intérêts de sécurité. Il favorise une approche globale dans l'identification des crises susceptibles d'affecter la vie de la Nation comme dans les réponses à leur apporter. La stratégie de sécurité nationale revêt une dimension interministérielle et requiert l'association de multiples acteurs pour prévenir et gérer les conséquences des crises majeures. L'action des forces armées s'envisage conjointement avec celle de l'ensemble de l'appareil d'État - forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, ministères, services publics, collectivités territoriales - et des opérateurs, publics et privés, d'infrastructures et de réseaux vitaux.
Le Livre blanc de 2013 a, dans ce cadre, identifié des priorités, parmi lesquelles figurent le renforcement de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », la politique de cybersécurité, la capacité à lutter contre le terrorisme et la consolidation des capacités de l'État à répondre aux crises.
* 45 « Comme l'ont montré dramatiquement les attentats du mois de janvier 2015 en France, la menace terroriste impose un continuum entre sécurité intérieure et défense extérieure. De même, ces attentats ont rappelé que la lutte contre le terrorisme et la protection de nos concitoyens devaient prendre en compte plus nettement encore les domaines de l'information et des perceptions, pour lutter contre de nouvelles menaces, comme les opérations d'influence sur les réseaux sociaux ».