B. DES MÉTHODES DIFFÉRENTES D'ÉVALUATION
Si les armées américaines ont à maintes occasions essayé de définir et de rendre publique une doctrine d'engagement des forces sur des théâtres extérieurs, notamment à la suite de la guerre du Viet Nam afin de fournir des guidelines à la prise de décision et de la justifier de manière plus transparente, comme les célèbres doctrines Weinberger ou Powell, les autorités françaises se sont rarement livrées à cet exercice.
Le Livre blanc de 2008 s'est essayé à poser des principes directeurs ( guidelines ) qui devraient constituer une grille d'analyse permettant de prendre une décision d'engagement des forces armées. Il s'agit d'un travail de méthodologie sans portée juridique, puisque l'autonomie de décision du Président en conseil de défense ne saurait être conditionnée.
Pour autant, ils lui permettent de guider et de soutenir sa décision et rétrospectivement d'en mesurer la justesse.
Toutes nos interventions extérieures devront répondre à une nécessité claire, être légitimes et efficaces. L'engagement des forces françaises s'effectuera donc en fonction de plusieurs principes directeurs :
• Caractère grave et sérieux de la menace : « l'évaluation des menaces à la paix et à la sécurité sera le facteur déterminant dans la décision d'engagement, que l'appréciation soit collective ou nationale. Le recours à la force militaire n'est envisageable que dans le cas d'un risque ou d'une menace suffisamment graves et sérieux. La mise en jeu directe des intérêts nationaux n'est pas la seule justification d'une intervention : la question doit être aussi considérée de façon plus large, du point de vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale au sens de la charte des Nations unies. Ainsi, la France, en raison de ses responsabilités internationales et sur le fondement d'une vision collective de ses propres intérêts de sécurité, peut être conduite à s'engager dans une intervention, sans que ses seuls intérêts directs soient visés » 90 ( * ) ;
• Examen préalable des autres mesures possibles. Ce principe s'applique sans préjudice des décisions nécessitées par l'urgence, en raison de la légitime défense ou dans des situations relevant de la responsabilité de protéger ;
• Respect de la légalité internationale : droit de légitime défense individuelle ou collective consacré par l'article 51 de la charte des Nations unies, décision du Conseil de sécurité, mise en oeuvre de nos engagements internationaux au titre de nos accords de défense, de nos alliances, ou du droit international ;
• Appréciation souveraine de l'autorité politique française, liberté d'action, et capacité d'évaluer la situation en permanence ;
• Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement ;
• Décision reposant sur une capacité d'un niveau suffisant, sur la maîtrise nationale de l'emploi de nos forces et sur une stratégie politique qui vise le règlement durable de la crise et pas seulement la définition des conditions permettant le désengagement de nos forces ;
• Définition de l'engagement dans l'espace et le temps et évaluation de son coût : l'opportunité de l'engagement français devra enfin être considérée en tenant compte des autres opérations en cours et des forces disponibles. Cet examen doit conduire à des décisions d'engagement définies dans l'espace et autant que possible dans le temps, avec une évaluation précise de leur coût.
Ces principes n'ont jamais constitué un cadre rigide, ils devaient, dans l'idée des auteurs, être articulés avec la réforme constitutionnelle de 2008, mais en dehors de quelques-uns, ils n'ont guère été repris dans le langage politique, ils n'ont pas non plus été repris dans le Livre blanc de 2013, mais pour autant, ils semblent toujours pertinents et globalement respectés.
* 90 Livre blanc 2008, p. 73 et 74.