B. L'ACTUALITÉ DES TERRITOIRES SE PRÊTE AUJOURD'HUI À UNE INITIATIVE CIBLÉE DU SÉNAT EN FAVEUR DE LA RELANCE AU NIVEAU NATIONAL DU DIALOGUE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Le cycle de réformes, lancé en 2014 avec l'adoption de la loi MAPTAM, l'évolution des structures territoriales et celle des modalités d'exercice des compétences décentralisées, la poursuite de la réforme des services territoriaux de l'État dans le cadre de la « revue des missions » et du plan « Préfectures nouvelle génération », ou encore la diminution des dotations de l'État aux collectivités territoriales, suscitent chez les élus locaux de nombreuses inquiétudes . Les points d'achoppement se multiplient et accentuent la difficulté des processus d'ajustement institutionnel et juridique en cours en créant un climat de défiance.
Sur ces sujets-clés, votre délégation en appelle à une approche concertée de l'ensemble des partenaires impliqués dans la mise en oeuvre des réformes . En effet, ce besoin n'est aujourd'hui que très partiellement satisfait, comme ont pu le constater vos rapporteurs. C'est pourquoi votre délégation considère que le Sénat peut opportunément encourager la concertation au niveau national entre les intéressés en incarnant l'instance légitime du dialogue entre l'État et les représentants des collectivités.
Cette fonction ne remettrait absolument pas en cause les travaux spécialisés utilement entrepris dans les enceintes essentiellement techniques que sont le CFL et le CNEN et, à un moindre degré, le partenariat pour l'emploi 32 ( * ) entre le Gouvernement et l'ARF. Ces travaux ne sont pas exclusifs d'initiatives portant sur des thématiques plus transversales et institutionnelles que le Sénat pourrait lancer en sa qualité de représentant constitutionnel des collectivités territoriales .
À différentes reprises, le Sénat a exprimé sa volonté de jouer pleinement son rôle de représentant des collectivités territoriales en s'investissant dans la structuration du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales .
En 2011, par exemple, il lançait les « États généraux de la démocratie territoriale » en vue d'engager une vaste réflexion avec les élus locaux sur l'organisation décentralisée de la République et la démocratie locale. À cette occasion, les sénateurs se sont personnellement mobilisés en animant les débats dans les départements. Cette dynamique de dialogue fructueux a permis de recueillir la parole des élus sur leurs préoccupations, attentes et propositions, à savoir l'inflation normative et le statut de l'élu . Et sur ces deux sujets, votre Haute Assemblée a été à l'origine de propositions de lois adoptées l'année suivante.
Deux ans plus tard, le 9 décembre 2014, dans une logique inspirée de celle qui a conduit au rejet réitéré de la création d'un « Haut conseil des territoires » - par la loi MAPTAM puis par la loi NOTRe -, le Sénat réunissait avec l'AMF et l'ADF une Conférence des collectivités territoriales , appelant le Gouvernement à « construire une relation partenariale, responsable, loyale et confiante avec les collectivités territoriales ». Le relevé de conclusions de cette conférence prévoyait qu'elle puisse « se réunir sur des objets thématiques définis (état et devenir des finances publiques locales, réduction de la complexité administrative, bilan de la loi NOTRe) ou à l'occasion de tout texte impactant le fonctionnement des collectivités ».
Notre collègue René Vandierendonck, rapporteur de la loi de MAPTAM, soulignait lors de son audition que la tentative de création du Haut conseil des territoires par l'Assemblée nationale en première lecture avait été envisagée comme une réponse à une attente exprimée par de nombreux élus locaux et associations d'élus locaux d'avoir une instance de dialogue entre l'État et les collectivités : « il s'agissait peut-être d'une réponse au climat de défiance entre l'État et ses partenaires locaux que mettait en relief le rapport 33 ( * ) de nos collègues Jacqueline Gourault et Didier Guillaume ». Mais notre collègue justifiait immédiatement après le retrait de la disposition créant une telle instance : « les députés ont accepté le retrait de cette disposition en commission mixte paritaire (CMP). Elle avait été supprimée par la CMP au motif d'une part, que cette instance ne doit pas se substituer au rôle constitutionnel du Sénat et, d'autre part, que la création d'une telle instance de concertation ne nécessite pas le recours à une loi ».
C'est sur ce point que votre délégation entend insister. Le Sénat doit assumer pleinement son rôle constitutionnel en se dotant d'outils adaptés . Aujourd'hui, les travaux entrepris dans le cadre de la fonction parlementaire de contrôle et d'évaluation ne donnent pas forcément lieu à un dialogue direct et structuré sous l'égide du Sénat entre l'État et les collectivités . Si la pratique a montré que les initiatives du Sénat favorisaient la confiance et restauraient le dialogue entre les partenaires de l'action publique, les travaux de votre Haute Assemblée pourraient nourrir davantage encore le dialogue, si celui-ci était organisé plus spécifiquement.
Aussi votre délégation recommande-t-elle de relancer la Conférence des collectivités territoriales en renforçant son architecture pour en faire un véritable pôle sénatorial de dialogue entre l'ensemble des parties prenantes aux politiques territoriales.
Dans cette optique :
- la conférence pourrait être réunie périodiquement sur des thèmes d'actualité relatifs aux relations entre l'État et les collectivités, susceptibles de permettre l'adoption d'orientations communes concrètes ou l'établissement d'un état des lieux ;
- elle serait présidée par le président du Sénat , la conduite des travaux étant relayée en tant que de besoin par le président de la délégation aux collectivités territoriales. Seraient conviés : les ministres intéressés, les associations d'élus locaux, les commissions permanentes intéressées (représentées a minima par leurs présidents et leurs rapporteurs sur les sujets à l'ordre du jour), la délégation aux collectivités territoriales (représentée a minima par son président et ses rapporteurs sur les sujets à l'ordre du jour) ;
- la délégation aux collectivités territoriales serait chargée du secrétariat de la conférence, organiserait ses travaux et préparerait ses conclusions, qui seraient relayées à l'ensemble des élus locaux ;
- les travaux publiés par les instances du Sénat dans les mois précédant la conférence sur les thèmes à son ordre du jour serviraient de base pour la préparation des travaux et des conclusions. Cette modalité permettrait, en puisant dans les travaux de contrôle à venir, de fournir la matière nécessaire à la réitération de réunions de la conférence ;
- les conclusions adoptées ou les points de consensus constatés feraient l'objet, en fonction de leur contenu, de propositions de loi, de propositions de résolution ou d'un positionnement du Sénat dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances.
Auditionnée par votre délégation, l'AMF préconisait d'ailleurs de « donner à une instance nationale composée des élus locaux et de l'État, un rôle central dans la concertation globale entre l'État et les collectivités territoriales ». Elle ajoutait : « Pour leur permettre de dialoguer sur un pied d'égalité, cette instance devrait devenir une instance régulière de débat, au sein de laquelle les élus pourraient discuter des grandes politiques souhaitées par l'État et ayant un impact plus ou moins direct sur leur propre politique ».
Recommandation 10 : Relancer, sous l'égide du Sénat, la Conférence des collectivités territoriales en renforçant son architecture pour en faire un véritable pôle sénatorial de dialogue entre l'ensemble des parties prenantes aux politiques territoriales. |
* 32 Un dialogue sectoriel dans le domaine de l'emploi, de la formation et de l'apprentissage a été initié entre le Gouvernement et l'ARF début février. Il a débouché sur un plan de mobilisation commun comportant des engagements concrets et l'affirmation d'objectifs consensuels.
* 33 Rapport n°272 fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (2010-2011) « Rénover le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales : une nécessité pour une démocratie apaisée » .