QUEL EST LE VÉRITABLE APPORT DES CONSTRUCTIONS À TRÈS BASSE CONSOMMATION D'ÉNERGIE POUR RÉPONDRE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
M. Jean-Loup Bertez, administrateur de la Fédération française de la construction passive. Le temps qui m'est imparti étant très bref, je laisserai de côté la question essentielle de l'énergie grise, c'est-à-dire de l'énergie contenue dans le bâtiment à sa livraison et dont on sait qu'elle peut représenter cinquante ans de consommation du bâtiment occupé, ce qui est véritablement énorme.
Mon exposé se concentrera sur le bâtiment existant et occupé. Relativement à la question qui m'est posée, je dirais que, dans son énoncé même, la contrainte d'efficience énergétique du bâtiment explicite son apport majeur, à savoir l'obligation de résultat. Cela est essentiel. Il s'agit d'une obligation radicalement nouvelle, dans un pays qui privilégie culturellement l'obligation de moyens, peu contraignante. L'obligation de résultat exige que tout soit anticipé, calculé, dessiné, mesuré, vérifié, justifié. Elle requiert rigueur et précision et s'avère tellement décapante que chacun s'ingénie encore aujourd'hui à s'en affranchir, à tel point que même le référentiel réglementaire (la RT 2012) incite plus ou moins, entre les lignes, à s'y soustraire.
Sans validation réelle, fiable et opposable, effectuée sur des critères objectifs, mesurables et vérifiables, une obligation de résultat n'est qu'un espoir ou une promesse, rien de plus. La véritable obligation de résultat induit donc une obligation contractualisée de mesure des résultats, sous le contrôle de tiers indépendants, afin d'en garantir la fiabilité.
Cette obligation de mesure en induit à son tour deux autres, également essentielles : d'abord se référer à une ou des grandeurs effectivement mesurables, ensuite quantifier ces grandeurs au moyen d'unités fiables, stables et significatives. Faute de cela, ce ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau.
La première conséquence de cette obligation de résultat est l'élimination de la non-qualité, qui est une source de gaspillage durable et de dérive sur le plan climatique. La très haute efficience énergétique d'un bâtiment est techniquement incompatible avec la non-qualité. Or la culture de moyens permet cette non qualité, alors que la culture de résultat l'exclut, tout en en extériorisant le coût , par contraste. Cela est à l'origine d'un mythe tenace, encore vivace aujourd'hui, alors que le surcoût imputé à la performance énergétique du bâtiment n'est, en réalité, rien d'autre que le coût caché de la non qualité du bâtiment conventionnel. Cette imputation, encore courante, est l'ombre portée de la peur de l'obligation de résultat. Cela est fondamental.
La seconde conséquence de l'obligation de résultat est l'impératif d'optimisation fonctionnelle, consistant à concevoir en fonction des résultats à atteindre et pas d'autre chose. Ces résultats devront donc être vérifiés, et, certes, constituer une réponse pertinente à l'enjeu climatique mais pas uniquement. Avant d' « habiter » la planète, un bâtiment est habité par des humains, et la clé du bien-être de l'habitant est l'air, sa qualité, son intégrité, son renouvellement.
Je me vois ici dans l'obligation de dire que les lois de la physique et de la chimie sont impitoyables : la qualité de l'air se dégrade si celui-ci est soumis à une puissance de chauffe supérieure à seulement 10 watts par mètre carré, ce qui correspond au tiers de la puissance d'une bougie chauffe-plat. À ce niveau, on ne parle plus de chauffage, mais de simple maintien en température. Cette performance, la vraie très haute performance énergétique et climatique, exclut donc la présence d'installations techniques destinées au chauffage et à la climatisation, dont la preuve est faite qu'elles ne sont pas indispensables. Ce sont précisément elles qui provoquent les émissions dans l'atmosphère. Les besoins de la planète sont exactement les mêmes que ceux de l'être humain.
Cette performance ne s'atteint qu'au moyen d'une qualité de conception et de réalisation maîtrisée, précise et rigoureuse. Elle résulte d'un vrai et solide travail d'optimisation fonctionnelle sur le bâtiment. Elle est tellement réaliste et opérante qu'on l'observe déjà dans une cinquantaine de pays, dont la France, sur plusieurs dizaines de milliers de bâtiments de toute sorte, soit plusieurs millions de mètres carrés.
Dû au professeur Wolfgang Feist et à son équipe scientifique germano-suédoise, ce développement novateur appliqué aux bâtiments porte un nom : « construction passive ».
Pourquoi ce terme ? Parce que, pour être thermiquement sain et équilibré, un bâtiment correctement conçu et réalisé n'a pas besoin d'être actif : dépourvu d'équipements conventionnels destinées au chauffage et à la climatisation, ses seules qualités constructives lui suffisent. Voilà pourquoi il est qualifié de « passif ».