QUELLES TECHNIQUES AGRONOMIQUES POUR RÉPONDRE CONJOINTEMENT AUX DÉFIS DÉMOGRAPHIQUE ET CLIMATIQUE ?
M. Michel Griffon, ancien directeur scientifique du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), président de l'Association internationale pour une agriculture écologiquement intensive. Le défi lancé à l'agriculture par la démographie réside dans le fait que la biosphère soit capable d'alimenter quelque neuf milliards de personnes à l'horizon 2050 et dix à onze milliards à la fin du siècle.
L'équation technologique est la suivante : produire plus, en limitant l'extension géographique de la production, donc la déforestation, en accroissant les rendements par hectare - qui plafonnent actuellement - en réduisant les pollutions dues aux excès d'engrais et de certains produits phytosanitaires, en optimisant l'irrigation - dans la mesure où l'eau est susceptible de manquer ponctuellement - et en favorisant le biodiversité, cela avec des techniques à faible coût, car l'essentiel de la production se fait dans de très petites exploitations pauvres du monde.
Quant au défi climatique, il s'agit, pour l'agriculture, de mieux résister aux sécheresses, aux hautes températures, aux excès de pluie, et de lutter contre la baisse actuelle des rendements.
L'équation est la suivante : accroître la production pour compenser les baisses de rendements, adapter les écosystèmes productifs pour conserver l'eau, faire migrer plus rapidement, en altitude et en latitude, les espèces cultivées, limiter les émissions de gaz à effet de serre, moins utiliser les carburants fossiles et les engrais azotés, émetteurs de gaz à effet de serre, et, enfin, limiter les rejets de gaz émis par la digestion des bovins principalement.
Pour cela, l'une des voies les plus prometteuses est l'agro-écologie, et plus précisément ce que l'on peut qualifier d'« intensivité écologique », d'« agriculture écologiquement intensive » ou d'« intensification soutenable ». Cette nouvelle technologie utilise les fonctionnalités naturelles des écosystèmes comme base productive. Elle consiste à utiliser intensivement les écosystèmes mais pas les intrants chimiques susceptibles de poser des problèmes. Elle emploie, par ailleurs, en complément, des techniques conventionnelles, à condition qu'elles soient compatibles.
Les techniques en jeu dans cette démarche sont
très nombreuses. J'en citerai quelques-unes, à titre
d'exemple : les cultures associées, qui ont des effets synergiques,
les cultures assurant une couverture permanente du sol, de façon
à conserver l'eau et à lutter contre l'érosion ou
l'utilisation de légumineuses
- comme la luzerne ou le trèfle
- pour apporter gratuitement de l'azote, en substitution de l'engrais chimique.
On peut aussi, sauf exception, renoncer le plus possible au labour afin de
favoriser les fonctions biologiques du sol, utiliser la lutte biologique
intégrée, consistant, par exemple, à employer les ennemis
des ennemis des cultures, diversifier les productions et mettre à profit
les vertus des successions de cultures sur les mêmes sols afin de lutter,
par exemple, contre les mauvaises herbes.
À cela s'ajoutent les promesses de nouvelles molécules obtenues par bio-inspiration, c'est-à-dire en imitant les molécules naturelles, plus facilement intégrables et métabolisables dans les écosystèmes productifs que des molécules obtenues ex-nihilo .
Il convient également de citer les nouvelles cultures destinées à la production d'énergie et de biomatériaux, en substitution des molécules issues du pétrole, l'aménagement écologique des bassins versants, des bassins hydrauliques et des paysages, selon des principes d'écologie scientifique et, enfin, le retour aux nouvelles biotechnologies végétales, pour faire face à la nécessité de disposer très rapidement des plantes adaptées aux nouveaux climats.