C. QUELLE CAPACITÉ MILITAIRE ?

Dans l'attente du rapport de l'AIEA devant être établi avant la fin de l'année 2015, en application de l'accord de Vienne, sur la « possible dimension militaire » des activités passées de l'Iran dans le domaine nucléaire 13 ( * ) , il est très difficile d'apprécier jusqu'à quel degré d'approche de l'arme atomique a pu parvenir le pays. Pour le reste, un état des lieux des forces armées dont dispose l'Iran n'est pas impossible, même si les informations s'avèrent naturellement parcellaires - nonobstant une abondante communication de l'appareil militaire iranien. L'aperçu qui suit tend à permettre de comprendre les raisons pour lesquelles le régime privilégie dans ses interventions armées, du moins celles qu'on lui attribue, sur l'emploi de moyens conventionnels, des méthodes clandestines, et selon quelles ressources.

1. Les forces disponibles

L'armée régulière de l'Iran ( Artesh ), héritée du régime du Shah après une purge politique importante lors de la révolution de 1979, se trouve doublonnée depuis lors par une organisation militaire parallèle, celle des Pasdarans , les « Gardiens de la révolution islamique ». Ces derniers font aujourd'hui encore partie intégrante, non seulement de l'appareil de défense du pays, mais, au-delà, du système de gouvernement instauré par les mollahs .

Du reste, il faut d'emblée souligner que, nonobstant les pouvoirs constitutionnels détenus par le président de la République, qui nomme les membres du Conseil de la sécurité nationale ainsi que (sous réserve de l'approbation du Parlement) les ministres chargés de la défense et de la sécurité, l'ensemble de l'appareil sécuritaire iranien se trouve en pratique placé sous l'autorité du Guide suprême . Celui-ci, en effet, au titre de sa position de commandant en chef des forces armées, contrôle le Conseil de la sécurité nationale, nomme les chefs d'état-major comme ceux des Pasdarans , et décide en dernier ressort dans les matières de sécurité, de défense et d'affaires étrangères 14 ( * ) .

L'organisation de défense et de sécurité iranienne

Schéma extrait d'A.-L. de Prémonville et T. Flichy de La Neuville, Géopolitique de l'Iran , op. cit.

a) L'armée régulière : une force crédible mais moyenne

Laissée auréolée d'un statut héroïque dans son camp mais pratiquement exsangue par la guerre menée contre l'Irak entre 1980 et 1988, l'armée régulière iranienne a bénéficié dans les deux décennies suivantes d'un effort d'investissement important en faveur de sa modernisation, financé par la rente pétrolière du pays. Il ne s'agit cependant aujourd'hui que d' une force moyenne , dont la doctrine officielle est strictement défensive.

Cette armée compterait actuellement 350 000 hommes environ, répartis de façon inégale en quatre corps - par ordre d'importance numérique l'armée de terre, la marine, l'armée de l'air et des forces spéciales. Ses équipements, depuis la Révolution islamique, sont fournis par la Russie à titre principal - on a signalé, plus haut, la livraison prochainement attendue par Téhéran de batteries russes de défense antiaérienne -, ainsi que par la Chine et la Corée du Nord. Ce matériel, dans le parc existant, voisine avec celui que l'Iran d'avant 1979 a acquis auprès des Occidentaux, dont les États-Unis et la France.

Fort des transferts de technologie dont il a bénéficié auprès de ses partenaires, le régime actuel a cependant mis en place une industrie d'armement nationale , dont une filière balistique 15 ( * ) , et s'avère en mesure de produire en quantité des équipements simples - munitions, armes légères comme des fusils d'assaut et mortiers, véhicules non blindés... Des équipements réputés produits par l'Iran lui-même sont ainsi présenté de façon régulière au public (par exemple, en 2013, un drone de reconnaissance). Le pays pratique des exportations vers ses alliés en Syrie et en Irak, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. Toutefois, il s'agit le plus souvent de succédanés de modèles russes, chinois ou nord-coréens, nativement obsolètes au regard des équipements disponibles sur le marché, et leur déploiement semble aléatoire.

Au demeurant, le budget annuel consacré par l'Iran à son armement est évalué comme ne dépassant pas les 2,5 % à 3 % du PIB -contre, en particulier, environ 8 % pour l'Arabie saoudite, par exemple : les dépenses militaires iraniennes sont huit fois moindres que celles des États membres du Conseil de coopération du Golfe cumulées. De fait, l'état des forces disponibles, quoique supposé permettre au pays de combattre simultanément plusieurs foyers d'instabilité, paraît relativement modeste .

Ainsi, la marine iranienne, malgré sa vocation à bloquer, au besoin, l'accès au Golfe arabo-persique, et les trois sous-marins qu'elle détient, n'est pour le reste équipée que de quelques frégates vieillissantes, d'une cinquantaine de patrouilleurs plus adaptés à des opérations de sécurité côtière que de combat, et de vedettes qui restent de faible portée tactique. Plusieurs des experts auditionnés par le groupe de travail ont souscrit à l'estimation d'une capacité de résistance de cette flotte limitée à quelques jours, voire quelques heures, en cas d'attaque, notamment, par la flotte américaine basée à Bahreïn. De même, bien que les forces aériennes du pays disposent de plus de 330 avions de combats, ceux-ci se trouvent en partie inutilisables du fait de leur vétusté et du manque de pièces détachées de rechange.

Ce contexte explique pour partie les critiques des autorités iraniennes, citées plus haut dans le présent rapport 16 ( * ) , visant le maintien par l'accord de Vienne du 14 juillet 2015 des dispositifs d'embargo sur les armes et touchant notamment le programme balistique national : le pays a manifestement besoin de ce dernier pour compenser les faiblesses capacitaires de son armée de l'air. L'Iran en effet a indiqué, au cours de l'été dernier, qu'il entendait prendre des mesures destinées à renforcer ses capacités de défense, y compris ses missiles balistiques, présentés comme n'ayant pas été conçus pour servir d'armes de destruction massive. Le pays semble même vouloir intégrer des éléments de coopération - dans le domaine des drones - à ses relations commerciales en matière d'armement.

b) Les Pasdarans : une milice très influente

Mis en place dès 1979 à des fins de contre-pouvoir des militaires réguliers et en vue d'encadrer, tant idéologiquement que physiquement, la société civile, l'organisation des « Gardiens de la révolution islamique » ou Pasdarans , dont on estime le nombre de membres à 230 000 environ, constitue le plus sûr soutien du régime, en même temps sans doute que l'un de ses aspects les plus sombres.

Il s'agit en premier lieu d'une véritable armée parallèle , d'ailleurs tenue pour une organisation terroriste par les États-Unis. Ses compétences tactiques ont été développées à l'occasion de sa participation à la guerre Iran-Irak ; elle poursuit, depuis lors, un entraînement soutenu. Les Pasdarans disposent de leur propre équipement militaire, souvent plus performant que celui de l'armée régulière, et de leurs propres troupes - environ 130 000 hommes en 2000 -, dont la force d'élite Qods, bras armé des interventions non conventionnelles de l'Iran en dehors de son territoire (cf. infra ), actuellement commandée par le Général Soleimani. La milice des Basidji (« mobilisation ») leur est rattachée, regroupant des bénévoles, souvent très jeunes, utilisés pour des opérations de police intérieure (par exemple, la répression sévère à laquelle ont donné lieu les manifestations contestataires de l'été 2009, à la suite de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République).

Les Pasdarans se présentent en second lieu sous la forme d'une organisation économique , dont les membres détiennent des pans entiers de l'économie du pays, dont ils contrôleraient près de 40 % - immobilier, industrie, infrastructures, centres scientifiques, fondations religieuses, etc. -, y compris le marché noir et une contrebande que favorise leur contrôle de ports et aéroports. Ils jouissent, ce faisant, de positions sociales privilégiées. Les ressources qu'ils en tirent, tout en permettant notamment le financement des acquisitions d'armes et des opérations extérieures clandestines, contribuent d'évidence à entretenir leur fidélité au Guide suprême.

Enfin, les Pasdarans constituent une force politique essentielle dans la société iranienne, sur laquelle leur emprise se révèle très concrète au quotidien. Le Guide Khameneï a favorisé cette influence politique, qui a paru culminer sous le gouvernement du Président Ahmadinejad, lui-même ancien membre de l'organisation. Du reste, non sans paradoxe, la montée en puissance des « Gardiens de la révolution islamique » a paru impliquer une forme de recul du pouvoir du clergé, au profit des miliciens.

2. La prépondérance des moyens non conventionnels de guerre

Compte tenu de la relative modestie de ses moyens militaires conventionnels, l'Iran ne peut pas prétendre au statut de réelle puissance armée. Au surplus, les capacités militaires potentiellement hostiles qui l'environnent, considérables - celle des États membres du Conseil de coopération du Golfe, d'Israël et de la flotte américaine stationnée à Bahreïn -, neutralisent toute initiative de conflit armé direct de la part du pays. Celui-ci, en revanche, bien qu'il s'en défende officiellement, recourt à des méthodes hybrides ou non conventionnelles de guerre, dont les Pasdarans sont des exécutants de premier plan . L'organisation des « Gardiens de la révolution » est en effet dotée d'une structure spécifique pour les opérations de renseignement et d'actions clandestines, et elle dispose dans ce but, comme on l'a indiqué plus haut, de la force Qods .

C'est de la sorte que les appuis fournis sous la forme d'armes, de conseils et d'argent, entre autres, au Hamas palestinien, au Hezbollah libanais, au régime de Bachar al-Assad en Syrie, ou encore le soutien présumé aux Houthis du Yémen, consacrent malgré tout l'Iran comme une force militaire influente au Proche et Moyen-Orient.


* 13 Cf. supra , chapitre I er .

* 14 La répartition générale des pouvoirs au sein du système institutionnel iranien est présentée plus avant au sein du présent rapport ( III).

* 15 En 2011, l'essentiel de l'arsenal balistique iranien semblait composé de missiles d'une portée inférieure à 1 500 km, même si le pays développait des missiles de portée supérieure (de type Sejil-2 - 2 200 km, et Saheen - 2 500 km). Cf. le rapport d'information n° 733 (2010-2011) sur la défense antimissile balistique de nos collègues Daniel Reiner, Jacques Gautier et Xavier Pintat.

* 16 Chapitre I er , in fine .

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