CHAPITRE II : QUEL RÔLE DÉSORMAIS POUR L'IRAN, PUISSANCE RÉGIONALE INCONTOURNABLE ?

Alors que l'accord de Vienne du 14 juillet 2015 peut être considéré comme le point de départ d'une réintégration de l'Iran au sein de la communauté internationale et dans les échanges économiques du monde dont seul l'avenir, à plus ou moins brève échéance, permettra de mesurer les effets véritables, le groupe de travail de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité procéder à une évaluation de la puissance iranienne. Ses investigations en ce sens ont porté sur les différents plans auxquels cette puissance se trouve susceptible de se manifester : en termes de politique étrangère et de capacité militaire, de poids économique bien sûr, mais aussi sous l'aspect social et, lato sensu , culturel. Les développements du présent chapitre reflètent la somme d'informations ainsi recueillies. Ils tentent de donner une image, aussi fidèle que possible, d'un pays à l'organisation particulièrement complexe et qui, presque à tous les niveaux, multiplie les paradoxes.

Le groupe de travail a ainsi pu étayer ce qui est devenu sa certitude : l'Iran constitue une puissance majeure au Proche et Moyen-Orient, qu'il est indispensable de considérer comme telle. Néanmoins, la vocation de cette puissance n'est pas encore certaine .

Toute la question désormais consiste ainsi à savoir si le pays, sous l'hypothèse de la "normalisation" autorisée par l'accord de Vienne, acceptera de faire usage de sa capacité d'influence dans le sens d'une facilitation de la résolution des nombreuses crises où il se trouve actuellement impliqué - en Syrie, en Irak, au Liban, en Palestine, au Yémen... -, au bénéfice de la stabilité régionale et de la paix entre les peuples et les États. Lors de ses entretiens avec des responsables iraniens au cours de sa visite sur place, le groupe de travail de votre commission a rappelé que c'était là l'attente de la France. Le régime de Téhéran, au contraire, choisira-t-il de poursuivre, au gré de l'analyse qu'il fera de ses intérêts et des opportunités de les satisfaire, les opérations de déstabilisation dont, quoiqu'il en dise, il est légitimement soupçonné depuis des décennies ? La prospective, à cet égard, s'avère d'autant plus délicate que l'évolution de la société iranienne fait partie de la somme des interrogations associées au destin du pays.

Tout au plus peut-on avancer que, bien qu'il offre a priori peu de prises aux puissances occidentales pour être infléchi vers les objectifs de leur diplomatie, l'Iran, suivant son propre intérêt bien compris, devrait au moins se trouver davantage disposé à un engagement en faveur du règlement des crises régionales qu'il ne l'était avant l'accord de Vienne . Le caractère somme toute modeste de ce changement entre l'avant et l'après 14 juillet 2015 en ce qui concerne les déterminants de la politique du pays rehausse, par contraste, l'importance des différents paramètres de sa puissance, dans la mesure où c'est bien eux, finalement, qui paraissent devoir guider, pour l'essentiel, les futurs choix iraniens.

I. UNE FORCE DIPLOMATICO-MILITAIRE IMPORTANTE

La géographie a de tout temps offert une position stratégique à l'Iran. Noeud géopolitique majeur depuis l'Antiquité, le pays partage en effet avec la Chine la position d' un "empire du milieu", au carrefour de plusieurs grands ensembles régionaux : le monde arabe, au sud et à l'ouest ; la Turquie, pont vers l'Europe, au nord-ouest ; le Caucase et, de là, la Russie, au nord ; l'Asie centrale, porte vers la Chine, au nord-est ; enfin le monde indien, avec l'Afghanistan et le Pakistan pour trait d'union, à l'est et au sud-est.

La diplomatie de l'Iran actuel semble constamment osciller entre un pôle idéologique, issu des principes de la Révolution islamique de 1979, et un pôle pragmatique, qui cherche à tirer profit des opportunités que peut offrir la conjoncture internationale. Ce faisant, néanmoins, le régime se tient à une constante double ligne anti-états-unienne et anti-israélienne , qui structure sa doctrine, et, schématiquement, paraît poursuivre trois objectifs principaux : en premier lieu, la protection de ses intérêts ; en deuxième lieu, l'appui aux minorités chiites à l'étranger ; enfin, une démonstration de puissance, en vue de la reconnaissance comme telle de l'Iran par la communauté des États.

Facteur effectif ou potentiel, selon les moments et les endroits, de stabilité ou de désordre au Proche et Moyen-Orient, le pays dispose en pratique d'un rayonnement diplomatique qui ne se borne pas à la région et, dans la limite de celle-ci, d'une capacité militaire tangible. Ces éléments font de l'Iran, aujourd'hui, un acteur clé sur la scène internationale, dont la pratique diplomatique tend à valoriser l'action réelle, par-delà les discours officiels.

A. LE RAYONNEMENT RÉGIONAL IRANIEN

La République islamique est, comme on sait, un État très majoritairement chiite (à 89 % de sa population, contre 10 % de sunnites). Les visées messianiques du régime, pour la part idéologique de son action, et, à la fois, l'analyse qu'il tient de ses intérêts stratégiques, suivant une logique plus pragmatique, le conduisent à mettre en oeuvre une forte solidarité avec les autres chiites de la région, qui oriente un large pan de sa diplomatie. Les engagements pris par celle-ci, toutefois, dépassent le seul paradigme confessionnel .

1. Une solidarité avérée avec le monde chiite

Le prisme religieux, sous réserve d'importantes nuances qu'on va apporter, éclaire évidemment un grand nombre des entreprises diplomatiques de l'Iran contemporain. Cette situation, dont beaucoup d'aspects sont bien connus, n'appelle ici que quelques rappels.

Les chiites au Moyen-Orient

Carte extraite d'A.-L. de Prémonville et T. Flichy de La Neuville, Géopolitique de l'Iran , op. cit.

? En Irak , autre État majoritairement chiite, l'influence de l'Iran s'avère aujourd'hui déterminante.

Il convient certes d'observer que cette proximité d'ordre culturel n'a pas empêché les terribles combats de la guerre Iran-Irak, entre 1980 et 1988, l'identité ethnique - Perses d'un côté, Arabes de l'autre - prenant alors le pas sur l'appartenance religieuse. Mais le gouvernement irakien, depuis la chute, en 2003, de Saddam Hussein et du régime tenu par la minorité sunnite que ce dernier avait organisé, se trouve désormais puissamment soutenu par Téhéran ; divers responsables du pays ayant séjourné en Iran avant 2003, en exil, constituent un lien personnel actif, et de nombreux accords de coopération ont été mis en place entre les deux pays.

Les autorités iraniennes prennent en particulier une part substantielle, auprès des forces irakiennes, dans la résistance à Daesh . L'Iran met naturellement en avant ce rôle positif en faveur de la lutte contre le terrorisme djihadiste, qui apparaît en effet à porter à son crédit même s'il n'est nullement désintéressé. Daesh, en effet, constitue un péril vital pour l'État iranien, tant en ce qui concerne son intégrité territoriale propre que dans la perspective de la préservation de ses intérêts sur le sol irakien. Les milices chiites que Téhéran soutient en conséquence en Irak, au fil des mois, ont d'abord semblé gagner en compétence militaire - et, de ce fait, en légitimité politique - malgré de lourdes pertes. Mais l'insuffisance des moyens armés ainsi déployés a conduit le Premier ministre Haider al-Abadi, par souci d'efficacité, à faire appel à l'appui des frappes aériennes ciblées offert par la coalition menée par les États-Unis. Téhéran, au demeurant, arme aussi, contre Daesh, les Peshmergas kurdes - tout en laissant clairement entendre qu'il ne soutiendra jamais la cause de l'indépendance du Kurdistan.

Beaucoup d'observateurs, cependant, estiment que l'Iran cherche à assurer une présence chiite forte dans un État irakien restant faible. Il est de fait manifeste que Téhéran, entre 2006 et 2014, n'a guère pressé Nouri al-Maliki, alors Premier ministre, de mettre en place un mode de gouvernance plus inclusif qu'il n'était de la minorité sunnite du pays.

? À Bahreïn , gouverné par une monarchie sunnite mais également peuplé d'une majorité chiite, l'Iran entretient notoirement des liens privilégiés avec cette dernière. Le régime de Téhéran est périodiquement soupçonné d'être à l'origine de diverses tentatives de déstabilisation politique. La présence de la flotte américaine stationnée dans les ports du royaume d'une part, le soutien de la famille régnante par l'Arabie saoudite de l'autre, constituent en effet des motifs plausibles de cet activisme souterrain, vraisemblable à défaut d'être établi.

? Au Yémen , l'Iran, malgré ses dénégations répétées, est fortement suspecté par la communauté internationale d'approvisionner en armes la minorité chiite des Houthis , actuellement rebellée contre le gouvernement de la majorité sunnite dirigé par le Président Abd Rabbo Mansour Hadi. Ce dernier, de fait, a affirmé à la fin du mois d'août dernier que ses forces combattaient les Houthis afin de contenir l'« expansion iranienne » dans la région ; des propos équivalents ont été tenus par coalition d'États, principalement arabes, menée par l'Arabie saoudite au soutien du gouvernement yéménite depuis mars 2015.

Il n'est d'ailleurs pas impossible que l'Iran, même s'il tente de tirer profit de cette crise, aurait volontiers fait l'économie du fardeau d'un nouveau théâtre d'opérations, ouvert de façon relativement imprévue, alors que ses forces se trouvaient déjà lourdement sollicitées en Irak et en Syrie.

? Au Liban , le parti chiite Hezbollah , créé en 1982, fait figure de véritable "produit d'exportation" de la Révolution islamique. Relai privilégié de l'influence de Téhéran dans la région, dirigé notamment contre Israël à titre de dissuasion d'éventuelles velléités de l'État hébreu de frapper le régime iranien, il est soutenu par celui-ci politiquement, financièrement et techniquement, qu'il s'agisse d'experts ou d'armes. Compte tenu de l'emprise forte que détient ainsi l'Iran sur le Pays du Cèdre actuellement soumis à des conditions profondément déstabilisatrices - vacance des institutions, afflux de réfugiés... -, il est possible d'estimer que le dossier libanais représentera dans les prochains mois un test révélateur de la bonne volonté de Téhéran à faire preuve, ou non, d'une attitude constructive en faveur de la stabilité du Proche-Orient.

? En Afghanistan , c'est avec la minorité des Hazaras , chiites - mais aussi avec les Tadjiks , persanophones - que l'Iran entretient des relations privilégiées. Elles se traduisent par un soutien essentiellement financier et servent à Téhéran de vecteur d'influence à l'encontre de la communauté pachtoune, de confession sunnite.

2. Un engagement excédant le paradigme confessionnel

Le rayonnement régional iranien ne saurait être réduit à la politique pro-chiite qu'il comporte, aussi important cet aspect soit-il. D'une part, la solidarité confessionnelle n'est pas automatique ; par exemple, la chrétienne Arménie s'avère, pour Téhéran, un plus proche partenaire que l'Azerbaïdjan, très majoritairement chiite mais lié aux États-Unis. D'autre part, les alliances de l'Iran ne sont pas toutes guidées par le critère religieux, non plus que ses relations conflictuelles avec certains de ses voisins : le chiisme n'explique que modérément le soutien au régime syrien ; le sunnisme ne suffit pas à justifier l'animosité avec l'Arabie saoudite. L'économie prend souvent une large part aux situations - on a d'ailleurs pu dire que l'Iran avaient davantage de clients que d'alliés -, comme le montrent, notamment, les ambivalentes relations irano-turques.

a) Au Proche et Moyen-Orient, des alliances et des hostilités déclarées

Sur la scène d'un Proche et Moyen-Orient qui semble aujourd'hui plus compliqué et tendu que jamais, l'Iran cultive à la fois solidarités et détestations ouvertes. Au-delà des éléments déjà mentionnés ci-dessus - pour ce qui concerne l'Irak, le Liban, Bahreïn ou le Yémen -, Téhéran témoigne notamment sa fidélité au régime de Damas et son hostilité à l'Arabie saoudite d'un côté et à Israël de l'autre.

? En Syrie , le soutien assuré par l'Iran au bénéfice du régime baasiste (laïc) de la famille al-Assad, elle-même alaouite mais, ce faisant, pouvant être considérée comme dissidente par rapport à l'orthodoxie chiite, paraît au fond dépourvu de motif religieux. Fondé, depuis la Révolution islamique de 1979, sur une même hostilité à l'encontre d'Israël notamment, ce soutien n'en est pas moins, jusqu'à présent, indéfectible - nonobstant de régulières dénégations quant à la présence de troupes armées iraniennes sur le territoire syrien. La plupart des experts estiment que le régime de Damas se serait effondré sans le concours d'ordre à la fois politique, militaire et financier de l'Iran - justifié au regard de l'enjeu stratégique que constitue la Syrie pour ce dernier, d'une façon générale, et pour le Hezbollah libanais en particulier.

Depuis la conclusion de l'accord de Vienne, l'Iran, à l'instar de la Russie, fait preuve sur ce front d'un activisme diplomatique renouvelé , en proposant un plan de règlement de la crise qui, sans assurer tout à fait le maintien indéfini au pouvoir de Bachar al-Assad, tend à préserver les intérêts de celui-ci. Les récentes confirmations de la position contraire des puissances occidentales sur le sujet - celles des États-Unis et de la France notamment -, représentent, de ce point de vue, un échec pour Téhéran. Toutefois, le régime iranien reste ainsi au centre du jeu diplomatique, et assoit son statut d'acteur clé du dossier.

Cette stratégie paraît fructueuse : à la fin du mois de septembre dernier, à New-York, en marge de la 70 e session de l'assemblée générale des Nations Unies, la Haute-Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, a présenté avec le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, une déclaration commune sur la Syrie qui a exprimé « leur volonté de coopérer aux efforts et échanges de vues conduits par les Nations Unies sur la façon de contribuer à [la] fin [de la guerre dans ce pays] ». Dans le cadre même de cette session de l'assemblée générale des Nations Unies, les États-Unis, par la bouche du Président Barak Obama, se sont déclarés prêts à travailler dans la perspective du règlement du conflit syrien avec l'Iran, comme avec la Russie, à la condition que ce ne soit pas au profit de Bachar al-Assad. La Russie a annoncé de son côté une réunion, en octobre de cette année, entre les « principaux acteurs » concernés par ce conflit, incluant notamment l'Iran.

Le régime de Téhéran est sans doute réellement soucieux de trouver une issue politique à la crise syrienne, compte tenu de la dépense militaire et financière qu'elle exige de lui depuis plus de quatre ans et demi.

? La forte hostilité mutuelle entretenue entre l'Iran chiite et l' Arabie saoudite wahhabite ne repose de toute évidence qu'en partie sur ces éléments confessionnels, même si la rivalité pour le leadership du monde musulman constitue, au minimum, une toile de fond permanente des antagonismes en cause. La proximité traditionnelle de Ryad avec les États-Unis, rapportée à l'antiaméricanisme de Téhéran, représente un facteur probablement plus agissant dans la détestation que se vouent réciproquement les deux nations. Leur concurrence s'exerce sur plusieurs théâtres extérieurs, où elles paraissent se faire une guerre par procuration de crises interposées : en Irak (où la chute du régime de Saddam Hussein, en cédant le pouvoir à la majorité chiite alliée à Téhéran, a constitué un revers important pour l'Arabie saoudite), en Syrie (où Ryad soutien les forces rebelles au régime de Damas que protège Téhéran), au Yémen (cf. supra ), et encore en Afghanistan, au Pakistan...

Source : CNRS ( http://www.irancarto.cnrs.fr/ )

N.B. : sur cette carte réalisée en 2013, il faudrait aujourd'hui signaler le Yémen comme « territoire de conflits » et porter les flèches appropriées vers cet État, en provenance de l'Arabie saoudite et de l'Iran, y signalant leurs interventions respectives.

L'affrontement indirect se joue également sur un plan économique . L'Arabie saoudite, en effet, utilise contre les intérêts iraniens le poids de sa production en pétrole sur les cours mondiaux, n'hésitant pas à maintenir à dessein son niveau de production en la matière, contre les voeux des autres membres de l'OPEP, afin de faire baisser les prix du baril. L'effet sur l'économie iranienne a été d'autant plus sensible que celle-ci pâtissait des mesures d'embargos décidées au titre de sanction du programme nucléaire du pays.

Malgré des déclarations du Président Hassan Rohani, dès son élection en 2013, montrant un souci d'ouverture tendant à l'apaisement des relations avec Ryad, cette situation globalement conflictuelle n'a guère évolué et le rapprochement entre les deux États que pourrait susciter, notamment, la cause commune de la lutte contre Daesh, se fait attendre . La relation de l'Iran avec les autres membres du Conseil de coopération du Golfe, dont les Émirats arabes unis, apparaît moins tendue, malgré la méfiance de ces derniers envers leur inquiétant voisin et la présence sur leur territoire de bases militaires américaines (au Koweit, à Bahreïn, au Qatar...), comme françaises (à Abou Dhabi), qui sont autant de menaces vues de Téhéran.

? Pour mémoire ici, on notera encore que l'opposition iranienne à Israël, guidée par l'antisionisme, passe par un soutien affiché de la République islamique à la cause palestinienne . Le Hamas, essentiellement à Gaza, bénéficie ainsi de l'appui diplomatique et militaire de Téhéran, relayé par le Hezbollah libanais. Cependant le Fatah, en Cisjordanie, s'est montré ces dernières années plus réservé à l'égard de ce qu'il semble tenir pour une volonté d'ingérence de l'Iran dans ses affaires propres.

b) Avec la Turquie, entre coopération économique et compétition politique

Avec la Turquie, laquelle partage avec l'Iran une semblable fierté de civilisation, le régime de Téhéran semble aujourd'hui engagé dans une forme d' alliance relative, faisant fond sur une vieille rivalité , persistante, pour tenir le rôle de grande puissance régionale non-arabe et de nation chef de file du monde islamique. La République islamique s'est d'ailleurs longtemps défiée d'un pays, membre de l'OTAN et partenaire d'Israël, qui postulait à intégrer l'Union européenne et paraissait poursuivre la voie d'une occidentalisation. Mais l'arrivée au pouvoir à Ankara, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP), la promotion des valeurs islamiques - sunnites, certes - par le gouvernement turc, et plus récemment les distances prises par celui-ci tant avec l'Europe qu'avec Israël, ont incité au rapprochement.

Ainsi, la Turquie a représenté ces dernières années, avec le Brésil (cf. infra ), l' un des rares soutiens positifs reçus par l'Iran dans son projet de se doter d'un programme nucléaire civil . Il est vrai qu'un précédent iranien en la matière pouvait conforter les propres ambitions nucléaires d'Ankara, et que les bons offices du gouvernement turc avaient pour toile de fond les importants enjeux commerciaux unissant les deux pays.

En effet, au plan économique, l'Iran et la Turquie sont d'importants partenaires . En 2014, l'Iran était le dixième plus important client de la Turquie, avec 3,8 milliards de dollars d'importations, et son sixième fournisseur, avec 9,8 milliards de dollars d'exportations ; la Turquie était de son côté le deuxième client de l'Iran derrière la Chine, représentant 14 % des exportations iraniennes. Cette relation se montre en progression depuis 2002 et joue traditionnellement en faveur de l'Iran pour le commerce, du fait de la dépendance de la Turquie aux livraisons d'hydrocarbures, qui constituent le coeur de ces échanges (l'Iran est actuellement le deuxième fournisseur en pétrole de la Turquie, après l'Irak). Le volume des échanges bilatéraux est ainsi passé de 1,2 milliard de dollars en 2002 à près de 14 milliards de dollars en 2014 ; il a atteint jusqu'à 22 milliards de dollars en 2012, du fait de la hausse des exportations turques d'or vers l'Iran cette année-là, avant de pâtir des sanctions internationales imposées au régime de Téhéran (la part de l'Iran dans les exportations turques a chuté de 6,5 % à 2,5 % en deux ans). À l'occasion de récentes visites bilatérales, les deux pays ont fixé un objectif de 30 milliards de dollars, d'ici deux ans, pour le volume de leurs échanges, soit environ le double du niveau actuel.

Au-delà du commerce, le rapprochement irano-turc paraît cependant devoir trouver assez vite ses limites , comme le laissent augurer plusieurs éléments :

- membre de l'OTAN, la Turquie participe activement au dispositif de bouclier anti-missile mis en place par les Étas-Unis. Elle accueille à ce titre sur son territoire, à Kürecik, dans le sud-est anatolien, depuis 2011, une base radar perçue par le régime iranien comme un affront direct à ses intérêts ;

- le gouvernement d'Ankara, à rebours de celui de Téhéran, a pris le parti des opposants à Bachar al-Assad en Syrie et apporte son soutien aux sunnites en Irak et à Bahreïn. Le Président Recep Erdogan, en mars dernier, à la veille d'une visite officielle en Iran, a clairement appelé à un infléchissement de la politique régionale de ce dernier et de ce qu'il a alors expressément désigné comme sa volonté de « domination », en déclarant que « si les forces iraniennes sont déployées au Yémen, en Syrie et en Irak, elles doivent être retirées » ;

- même en matière économique, les relations entre les deux pays ne sont pas univoques. Par exemple, un contentieux relatif au prix du gaz iranien a été engagé par la Turquie, en 2012, devant la Cour internationale d'arbitrage.

c) Dans le Caucase et en Asie centrale

L'effort diplomatique de Téhéran, par comparaison avec celui qui vise l'est et le sud-ouest du pays, n'est que modérément tourné vers le nord. Il est vrai que la région - en Ouzbékistan et au Tadjikistan notamment - reste largement soumise à l'influence russe. L'Iran paraît aujourd'hui surtout soucieux de la préservation de la stabilité de la zone, tout trouble non maîtrisé dans les pays qui lui sont limitrophes risquant de lui porter tort ; sa coopération avec la Russie (cf. infra ) contribue à l'objectif. Il prend toutefois directement part à la compétition qui se joue en mer Caspienne , et qui le met en rivalité, en particulier, avec le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan, mais aussi, au plan économique, avec la Russie.

L'action de Téhéran est plus tangible en direction de l'est. En Afghanistan , comme on l'a signalé plus haut, l'Iran entretient des relations naturelles avec les Tadjiks et les Hazaras, qui lui sont de fidèles soutiens dans la place et y font contrepoids à l'influence des Pachtounes sunnites - alliés, quant à eux, à l'Arabie saoudite et au Pakistan. Là encore, le régime paraît rechercher une stabilité susceptible de lui bénéficier, notamment sans doute dans le but d'affaiblir les réseaux de drogues qui, à partir de l'Afghanistan, approvisionnent la société iranienne, ainsi peut-être que dans la perspective de voir retourner sur leurs terres les millions d'Afghans qui se sont réfugiés en Iran, depuis l'invasion soviétique du pays en 1979, et constituent aujourd'hui un foyer d'importants problèmes sociaux.

Le Pakistan , enfin, représente pour l'Iran sur son flanc oriental, comme l'Arabie saoudite sur son flanc occidental, la rivalité objective d'une puissance majoritairement (à 70 %) sunnite, alliée des États-Unis et témoignant d'ambitions régionales. Ce n'est donc pas sans fondement que Téhéran est soupçonné d'apporter son concours aux mouvements radicaux chiites qui sont actifs dans la zone de Karachi et tendent à menacer l'unité du pays.

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