B. LES IMPACTS DE LA MONTÉE DU NIVEAU DE LA MER SUR LES CÔTES

Les experts de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie 26 ( * ) identifient quatre types d'impacts de la montée du niveau de la mer : les submersions, l'érosion des côtes, les intrusions salines dans les aquifères côtiers et les conséquences pour les infrastructures. On peut y ajouter un impact indirect sur la biodiversité des zones littorales.

1. Le risque de submersion permanente ou temporaire de territoires plus nombreux rend leur exploitation difficile voire impossible

Pour ces experts , « la vitesse d'élévation du niveau de la mer actuellement observée peut sembler faible en comparaison des hauteurs de vagues et de marées qui peuvent les dépasser de plusieurs ordres de grandeur. Pourtant, si ces rythmes persistent pendant une longue période, leur ampleur aura de graves conséquences sur les régions côtières de faible altitude et à forte densité de population. Pour ces régions, même une légère hausse du niveau de la mer peut produire de vastes inondations dans les terres (GIEC 2013) ».

L'élévation du niveau marin pourra induire ou aggraver deux types de submersions : les submersions permanentes de zones basses et les submersions temporaires 27 ( * ) . Des deux phénomènes, les submersions temporaires se distinguent par la mise en danger des personnes exposées. Ainsi, en Mer du Nord, les submersions marines consécutives à la tempête du 1 er février 1953 avaient provoqué environ 2 000 décès. Plus récemment, en France, fin février 2010, 47 personnes ont péri lors de la tempête Xynthia (59 pour l'ensemble des pays d'Europe occidentale).

Au cours des dernières décennies et en moyenne globale, les niveaux marins extrêmes ont suivi la même tendance à la hausse que l'élévation du niveau de la mer. Si l'aggravation des submersions marines est la conséquence la plus immédiate de l'élévation du niveau de la mer, localement, d'autres facteurs peuvent exacerber ou modérer ces tendances (ex : modifications de facteurs hydrométéorologiques tels que les vagues).

La remontée du niveau marin sera vraisemblablement la cause principale d'aggravation de l'aléa de submersion. Or, l'attractivité actuelle des zones littorales conduit à une exposition accrue des personnes et des activités au risque de submersion temporaire. La combinaison de ces deux phénomènes est préoccupante dans les zones basses, avec un risque accru et/ou des coûts d'entretien des défenses côtières plus importants.

Le rapport de synthèse du GIEC (2014) indique qu'une remontée du niveau marin de 0,5 m impliquerait une augmentation de 10 à 100 fois de la fréquence de submersion, en l'absence d'adaptation. Sous l'effet d'une remontée du niveau marin de 1 m, les capacités locales d'adaptation (en particulier les stratégies de protection) atteindraient leurs limites en de nombreux sites 28 ( * ) .

Même en deçà de ce niveau, Stéphane Hallegatte, entendu par le groupe de travail de la commission, a montré que dès 2050, les conséquences de l'élévation du niveau marin seront telles qu'elles nécessiteront l'adaptation des défenses côtières dans de nombreuses villes du littoral.

Sans adaptation à la remontée du niveau marin, 0,2 à 4,6 % de la population globale serait soumise à des submersions marines de récurrence annuelle en 2100 si la remontée du niveau marin moyen global est comprise entre 25 et 123 cm 29 ( * ) . En raison de leur faible élévation et de leur taille réduite, de nombreuses îles basses sont menacées par une submersion partielle ou totale induite par la remontée du niveau marin au cours du XXI e siècle et au-delà.

2. Un impact sur l'érosion côtière
a) Une part significative des côtes - notamment des plages sableuses - sont actuellement en recul

Le recul des côtes

Dans les années 1970 et 1980, l'Union Internationale de Géographie a réalisé un état des lieux global du phénomène de recul du trait de côte aux échelles de temps décennales et multidécennales dans le monde (Bird, 1987). Cette étude a révélé que l'érosion du littoral était un phénomène global, affectant des falaises de roche tendre, mais aussi un certain nombre de deltas et de marais côtiers et les plages sableuses. En particulier, cette enquête a suggéré que 70 % des plages étaient actuellement en érosion.

Si, dans la plupart des cas, les taux de recul du trait de côte observés ne dépassaient pas 1 m/an, ils représentent un enjeu significatif lorsque des constructions ont été réalisées dans le voisinage immédiat du trait de côte. Toutefois la situation demeure encore mal connue pour un grand nombre de zones côtières (par exemple les îles du Pacifique).

En Europe, les études « Eurosion » et « Corinne Erosion Côtière » ont mis en évidence que 30 % des plages étaient en recul en Europe (41 % en France métropolitaine), ce qui reste un chiffre élevé pour une forme géomorphologique d'accumulation. Elles ont montré également que 60 % des rivages limono-vaseux européens (49 % en France) sont actuellement en accrétion.

Des travaux menés dans les départements d'outre-mer ont également permis de réaliser un premier état des lieux. 25 % des 630 km de côtes de l'archipel guadeloupéen sont en érosion contre 60 % de côtes dites stables et 12 % en accrétion (dont la moitié en raison de l'action de l'homme). A La Réunion, 50 % des côtes sont en érosion (De La Torre, 2004).

Ainsi, les observations des mouvements du trait de côte montrent non seulement que l'érosion affecte une part significative du littoral dans le monde et en France, mais aussi qu'il existe des situations très diversifiées selon les sites, les régions, les différents types de côtes (plages, falaises, marais) et les forçages auxquels ils sont exposés (marées, courants, vagues, activités anthropiques).

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015 p.42

b) Très peu d'études ont pu quantifier précisément le rôle de l'élévation du niveau de la mer dans l'évolution du trait de côte actuellement observé

D'autres processus comme les effets couplés des vagues et des courants ont actuellement des influences beaucoup plus importantes sur l'évolution du trait de côte et masquent ainsi les effets de l'élévation du niveau de la mer.

Les différentes causes du recul du trait de côtes

Si l'on suppose qu'aucun ajustement morphologique n'a lieu à mesure que le niveau marin s'élève, les zones les plus basses peuvent alors être inondées. Ce régime de submersion permanente peut par exemple être observé pour certains segments du delta du Chao-Praya en Thaïlande (Uehara et al., 2010).(...)

Dans le cas général, les littoraux ne réagissent pas de manière passive à l'élévation du niveau de la mer. En effet, les sédiments de la zone littorale peuvent être déplacés par de nombreux processus, notamment les vagues et les courants (modifiant ainsi l'aspect de la zone côtière (bathymétrie, topographie)). Des matériaux peuvent être transportés par les fleuves jusqu'aux estuaires, ou bien prélevés sur les falaises ou des coraux, pour finalement être redistribués sur les côtes. Enfin, les activités humaines peuvent modifier cette dynamique de manière directe (ex : défenses côtières, rechargements en sable) ou indirecte (ex : modification des transports solides dans les bassins versants via des aménagements fluviaux ou des modifications d'occupation des sols).

L'évolution du trait de côte se manifeste à différentes échelles de temps (événementielle, saisonnière, interannuelle...) : à titre d'exemple, le recul de la côte sableuse d'Aquitaine s'effectue à un rythme de 1 à 3 m/an en moyenne (Bonneton et al., 2013), mais a atteint 20 m sur de nombreux sites après la succession de tempêtes de l'hiver 2013/2014 (Bulteau et al., 2014). Lors de la seule tempête Xynthia, des reculs du trait de côte allant jusqu'à 20 m ont été observés sur des plages de Vendée et de Charente-Maritime. Ceci est encore plus vrai pour les côtes à falaise pour lesquelles sont souvent fournies des valeurs de recul annuel. Or, ces dernières relatent très mal la multiplicité des facteurs responsables des mouvements gravitaires, ainsi que l'évolution saccadée dans le temps (évolution souvent multidécennales) et dans l'espace de ces formes d'ablation.

À titre d'exemple, le recul des falaises crayeuses de Seine Maritime est de l'ordre de 20 cm/an, mais des effondrements peuvent faire reculer le haut des abrupts de plus de 10 à 15 m en quelques secondes (Costa et al., 2004). Ainsi, les littoraux sont des systèmes dynamiques, dont l'évolution ne peut s'expliquer par la seule élévation du niveau de la mer.

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015 p.40

Pour les experts de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie 30 ( * ) , « le rôle des facteurs locaux devient généralement prépondérant lorsque l'élévation du niveau de la mer se rapproche de la moyenne globale actuellement observée (Stive 2014) (...). Ces facteurs masquent la plupart du temps les effets de l'élévation du niveau de la mer actuelle, rendant impossible leur détection.

« En résumé, les observations suggèrent qu'aucune relation systématique entre le phénomène global de recul du trait de côte et l'élévation du niveau de la mer ne peut aujourd'hui être clairement établie. Mais ce jugement est modéré par le fait que les données sur l'érosion demeurent aujourd'hui trop parcellaires pour conclure de manière définitive (Cramer et al., 2014). Il est donc nécessaire de poursuivre les efforts de collecte de données relatives à la dynamique sédimentaire côtière, afin de mieux comprendre les implications actuelles, mais aussi futures de l'élévation du niveau de la mer. »

c) Si l'aggravation des submersions marines est la conséquence la plus immédiate de l'élévation du niveau de la mer, les conséquences pour l'érosion pourraient être très différentes selon le scénario d'émissions de gaz à effet de serre

Pour les experts de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie 1 , « si l'objectif de 2°C est atteint, le niveau de la mer pourrait ne s'élever que de quelques dizaines de centimètres. De tels scénarios pourraient n'avoir que des conséquences modérées sur le recul du trait de côte. Au contraire, si la trajectoire d'émission suit ou excède les scénarios les plus pessimistes, l'élévation du niveau de la mer dépassera le mètre après 2100, voire avant pour des projections extrêmes du niveau de la mer, ce qui aura des conséquences majeures pour l'érosion des littoraux meubles et la submersion permanente de zones basses. S'il demeure possible de financer la protection de villes côtières pour ces scénarios, la seule adaptation économiquement viable consiste à se retirer de nombreuses zones côtières rurales ou périurbaines, parmi les plus basses (Wong et al., 2014) .

« La première source d'incertitudes concernant les impacts de l'élévation du niveau de la mer sur l'érosion est donc le scénario de variation du niveau marin lui-même.

« La seconde est liée aux modèles permettant de quantifier le recul du trait de côte induit par l'élévation du niveau marin. Avec les développements récents dans le domaine de la modélisation morphodynamique long terme, il devient possible de mieux anticiper les changements du trait de côte induits par l'élévation du niveau de la mer. De plus, la dynamique sédimentaire peut être affectée par d'autres manifestations du changement climatique, notamment des changements d'orientation des vagues. Il demeure donc aujourd'hui difficile d'estimer avec exactitude le recul du trait de côte futur à différentes échéances temporelles. »

d) En revanche, les zones les plus exposées à ces risques d'érosion sont aujourd'hui bien identifiées

Il s'agit principalement des littoraux meubles, particulièrement ceux pour lesquels un déficit sédimentaire est actuellement observé.

(1) Les régions sensibles : îles basses, deltas, récifs coralliens

Les zones proches du niveau de la mer ne peuvent résister à l'érosion de la houle, hors des protections artificielles, que si l'érosion est compensée par un apport naturel de matériel sédimentaire. Plus cette érosion est forte, plus la compensation par les sédiments est indispensable à la persistance du territoire.

? Dans les zones tropicales, les coraux contribuent fortement à la construction des structures servant de support aux îles et aux bordures des côtes 31 ( * ) . Les coraux sont d'autant plus fragiles qu'ils sont constitués par des ensembles complexes de nombreuses espèces animales et végétales vivant en symbiose, des biotopes ayant progressivement évolué au cours de centaines de millions d'années. Leurs conditions optimales de développement sont parfaitement adaptées au climat des zones intertropicales.

La croissance des récifs coralliens s'effectue essentiellement sur les supports existant près de la surface, souvent d'anciens récifs 32 ( * ) . Dans les zones les plus exposées, la houle pulvérise les récifs récents et, avec le vent, transporte plus haut sur la grève une partie des débris, formant ainsi les plages et les îles coralliennes. Envahies par la végétation, celles-ci participent à la protection naturelle de l'ensemble de la structure.

La montée du niveau de la mer peut être compensée par la croissance des dépôts coralliens tant qu'elle ne dépasse pas les quelques centimètres par an. Toutefois, plus l'élévation est rapide, plus la structure corallienne sera fragile et sensible au ravage des tempêtes, et le récif menacé.

En outre, les coraux supportent mal les apports de sédiments argileux en proximité des estuaires, les augmentations de température au-dessus de 29-30° C, et l'acidité des eaux due à un excès de CO² et sont très sensibles à l'acidification des océans.

Capables d'absorber le dioxyde de carbone, les océans ont vu leur acidification augmenter depuis le XIX e siècle. Une acidification près de 100 fois plus rapide qu'au cours des 55 millions d'années précédentes.

L'acidification de la Méditerranée

Une étude réalisée en 2014 par le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, organisme dépendant du CEA, offre les premières simulations détaillées de l'acidification de la Méditerranée : en 1800 et 2001, elle aurait absorbé entre 1 et 1,7 milliard de tonnes de carbone issu des activités humaines ; son Ph diminuant de 0,08 unité, soit une augmentation de 20 % de son acidité (concentrations en ions H+) 33 ( * ) . Cette évolution est similaire à celle des océans.

L'une des principales conséquences de ce phénomène est la plus grande difficulté pour un certain nombre d'espèces de former des structures calcaires.

Les spécialistes estiment qu'environ le quart des récifs coralliens des océans Pacifique et Indien ont été détruits en 1998 par la perte des algues avec lesquelles ils vivent en symbiose (le blanchiment des coraux) lors du dernier épisode majeur El Nino, et du réchauffement des eaux superficielles associé. De nombreuses zones, favorables actuellement à leur croissance, risquent de devenir défavorables.

Une étude réalisée par le Boston Consulting Group et le Global Change Institute de l'université du Queensland (Australie), publiée en avril 2015 par le World Wild Fund (WWF) montre qu' « au rythme de réchauffement actuel, les récifs coralliens, qui procurent alimentation et emplois à plusieurs centaines de millions de personnes et en assurent aussi la protection contre les tempêtes auront complètement disparu en 2050. Au-delà du réchauffement des eaux, le changement climatique induit une acidification océanique dont la résorption s'étalera sur des centaines de générations humaines ».

? Dans les régions tempérées et froides, l'apport de sédiments est le plus souvent associé à des réserves accumulées lors de périodes plus ou moins anciennes grâce à l'action des vents, des courants, des glaces ou par les rivières et les fleuves.

Les deltas 34 ( * ) sont eux aussi le résultat d'un équilibre changeant entre les apports par les fleuves et l'érosion des vagues. Leur niveau qui dépasse rarement 4 ou 5 mètres au-dessus des hautes mers, ainsi que le manque de relief, les rend très sensibles aux destructions par les tempêtes.

Les deltas ont plutôt tendance à s'enfoncer 35 ( * ) progressivement sous le poids des sédiments apportés par les fleuves. Il faut donc ajouter à l'effet de la montée des eaux celui de la descente des terres, les deux effets étendant très progressivement les zones submersibles, et les dégâts des tempêtes . Les inondations sont fréquentes et, contrairement aux récifs coralliens, l'érosion permanente n'est généralement pas compensée par les apports de sédiments, les fleuves ayant été équipés de barrages au long de leurs parcours. Depuis 1932, date du début de la construction des barrages au long du fleuve Indus, environ 20 % de la surface du delta a disparu, l'apport de sable ayant diminué de 90 %. Le Nil, depuis la construction du barrage Nasser, a réduit de 98 % ses apports de sable au delta. Son delta pourrait être exposé à la fois à l'élévation du niveau de la mer et à la salinisation des zones agricoles, ce qui pourrait causer la perte de 12 à 25 % des terres arables d'ici la fin du siècle, 5 millions de personnes étant touchées d'ici 2050.

Enfin, le cumul entre fortes précipitations et inondations en amont et montée des eaux en aval rendent ces régions particulièrement vulnérables.

(2) Une sensibilité accrue par la présence humaine

Plusieurs facteurs amplifient d'ores et déjà les dégâts créés par les tempêtes et ouragans.

D'abord l'abondance de la population : ce sont des zones très productives, pour la pêche, mais aussi pour l'agriculture vivrière. Les deltas jouent un rôle fondamental pour l'économie des contrées souvent très pauvres des zones intertropicales. Des mégapoles s'y sont installées, on estime à un demi-milliard le nombre d'habitants de ces régions.

Ensuite, la pression des besoins de construction justifie l'extraction intensive de sables, graviers et roches, contribuant à la fragilisation du sol plus activement que l'érosion des vagues, En outre, pour laisser la place à l'urbanisme touristique ou industriel, les mangroves et autres biotopes naturels sont souvent détruits ou altérés.

Enfin le pompage d'eau douce dans le sous-sol et autres extractions contribuent à l'affaissement des terrains et à la remontée des eaux saumâtres qui empoisonnent les cultures.

Les effets ne pourront que s'amplifier dans le futur, avec la montée des eaux et l'amplification des extrêmes climatiques.

Les zones exposées en France

En France métropolitaine, les régions du Languedoc, du delta du Rhône et de l'Aquitaine sont particulièrement concernées (Paskoff, 2004), mais le reste de la côte atlantique et la plaine de Corse orientale le sont également. En revanche, dans un premier temps, les conséquences de l'élévation du niveau de la mer devraient rester limitées pour les marais côtiers qui sont aujourd'hui le plus souvent en accrétion. Les lagunes littorales dont les cordons protecteurs sont les plus fragiles pourraient également être exposées à la montée du niveau marin. Celles-ci deviendraient alors plus larges, plus profondes et leurs eaux deviendraient plus salées (Paskoff, 2004). L'élévation du niveau de la mer ne devrait pas non plus significativement accélérer le recul des côtes de falaises de Haute-Normandie ou du Pays Basque. Dans ces régions, les besoins d'adaptation apparaissent donc plus localisés.

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015

3. L'impact des intrusions salines dans les aquifères36 ( * ) côtiers

Les ressources d'eau douce des aquifères côtiers sont essentielles aux différents usages du littoral. L'augmentation du niveau marin pourrait accentuer l'extension des intrusions salines dans les aquifères côtiers.

La mise en danger des aquifères côtiers

Les effets du changement climatique, notamment la modification du niveau marin et la recharge des aquifères, impacteront les aquifères côtiers sur les aspects suivants :

• modification des intrusions salines et migration dans des proportions variables de l'interface eau douce - eau salée ;

• inondation des zones basses par de l'eau de mer et infiltration de l'eau de mer vers les aquifères libres ;

• remontée de front salé via les estuaires et infiltration vers les aquifères libres ; phénomène qui pourrait être accentué par la baisse des débits des cours d'eau du fait du changement climatique et/ou l'augmentation des prélèvements ;

• contamination des eaux souterraines par le bore, en plus des chlorures des eaux marines au niveau des plaines d'inondation ;

• modification de la recharge des aquifères due à une variabilité spatio-temporelle des précipitations et de l'évapotranspiration ainsi que du volume d'eau douce et de la répartition d'eau douce dans les aquifères ;

• modification des zones de décharge des aquifères pouvant impacter les écosystèmes des zones humides ;

• augmentation du niveau piézométrique associée à l'élévation du niveau marin et à la modification du régime des précipitations pouvant occasionner des impacts sur des infrastructures du sous-sol (système d'assainissement, réservoirs enterrés, etc.).

L'intensité de ces impacts peut varier de manière significative selon les lieux, la nature des aquifères, et leurs modalités d'exploitation. Les impacts associés aux modifications des régimes de recharge et de décharge peuvent être aussi naturellement influencés par la variabilité climatique. Pour certains aquifères, l'exploitation des eaux souterraines par forage (pompage) peut accentuer les impacts potentiels du changement climatique et de l'augmentation du niveau marin.

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015

Toutefois, à l'heure actuelle, il n'existe pas d'éléments permettant de caractériser les effets de remontée océanique sur l'évolution de la salinité de ces nappes littorales.

La combinaison de différents facteurs (l'augmentation des prélèvements, les conditions de recharge différentes, l'augmentation du niveau marin, l'infiltration au niveau de zones inondées lors de submersion) explique l'augmentation de la salinité des nappes littorales. L'impact du changement climatique avec les modifications de la recharge des aquifères liées à l'évolution des précipitations et de l'évapotranspiration, et l'impact anthropique des prélèvements dans les aquifères côtiers, pourraient avoir des conséquences plus importantes que la seule remontée du niveau marin.

Enfin, les réseaux de suivi susceptibles d'analyser ces phénomènes sont peu nombreux. En France, une caractérisation de la vulnérabilité des aquifères côtiers a permis de mettre en évidence les plus sensibles et d'émettre des recommandations en termes de suivi et de gestion. Ce travail est loin d'être réalisé dans la plupart des États.

4. Les impacts sur les infrastructures côtières

Les infrastructures côtières ont pour fonction de protéger le littoral vis à vis des risques naturels (érosion marine, submersion) ou de réduire l'agitation du plan d'eau.

Dans sa contribution à l'étude de l'OCDE sur les vulnérabilités urbaines portant sur les 136 principales villes côtières (voir infra p. 45 et suiv.), Stéphane Hallegatte et ses co-auteurs estiment que les infrastructures de protection et les aménagements urbains ont été conçus pour des conditions environnementales anciennes. Dès lors, un changement même modeste du niveau de la mer sera suffisant pour les rendre inadéquate, et cela portera les pertes résultant des inondations à un niveau catastrophique.

La conception des ouvrages côtiers et portuaires bénéficie souvent d'une longue histoire d'adaptation aux conditions hydrauliques mais cette situation est variable selon les États.

Les ouvrages portuaires et littoraux

L'inventaire des ouvrages relevés sur le littoral métropolitain en France en 2012 conduit à un linéaire d'environ 500 km d'infrastructures côtières se répartissant comme suit :

• ouvrages de haut de plage : 407 km (81,7 %) ;

• ouvrages transversaux : 83 km (16,7 %) ;

• brise-lames : 8 km (1,6 %).

Concernant les ouvrages portuaires, 180 kilomètres de digues portuaires ont été répertoriés :

• 139 km de digues à talus (dont 113 km en enrochement naturel et 26 km avec une carapace en blocs bétons) ;

• 41 km de digues verticales.

Comme dans beaucoup de domaines de génie civil en France, les méthodes de dimensionnement prennent en compte un niveau d'eau extrême et de houle au droit des ouvrages. Le changement climatique est intégré, au moins partiellement, en augmentant les actions hydrauliques par anticipation et en considérant les scénarios d'élévation du niveau de la mer de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC). Le fonctionnement et la sûreté de l'ouvrage sont ensuite vérifiés sous ce scénario et un coefficient global de sécurité est appliqué pour chaque mode de rupture.

Il n'est pas certain que ce soit le cas dans tous les pays et même si des normes ou de bonnes pratiques sont prescrites, que les ouvrages soient réalisés en conformité avec celles-ci et entretenus régulièrement. On l'a vu en France lors de la tempête Xynthia en 2010 avec l'ouverture d'une brèche dans une digue fragilisée.

S'il est aujourd'hui difficile d'observer des effets du changement climatique sur les infrastructures côtières et portuaires, un certain nombre de mesures sont mises en place pour s'adapter aux conditions climatiques futures.

Cependant, une certaine forme d'anticipation des changements à venir commence à être considérée dans la pratique de l'adaptation. Ainsi, par mesure d'ajustement après un épisode tempétueux, mais aussi par stratégie d'adaptation après évaluation économique du coût des dommages, certains pays prennent l'initiative de relever leurs digues ou d'abandonner à la mer certains polders : c'est le cas des Pays-Bas et d'une partie de l'Angleterre.

L'évaluation du risque dans les infrastructures

En France, pour la « prise en compte de l'élévation du niveau de la mer en vue de l'estimation des impacts du changement climatique et des mesures d'adaptation possibles », l'ONERC (2010) a recommandé de retenir 3 hypothèses de surélévation à l'horizon 2100 :

• hypothèse optimiste : 40 cm

• hypothèse pessimiste : 60 cm

• hypothèse extrême : 100 cm

La même année, les inondations consécutives à la tempête Xynthia (Février 2010) ont mis en évidence les limites de la politique de prévention du risque de submersion marine qui était menée jusqu'alors. Ainsi, dans le cadre de la révision du guide des Plans de Prévention des Risques Littoraux (PPRL) une élévation de 20 cm est d'ores et déjà prise en compte dans le calcul du niveau marin actuel. Pour le calcul du niveau marin à l'horizon 2100, 40 cm supplémentaires sont rajoutés correspondant à l'hypothèse pessimiste. Concernant la conception des digues portuaires, le niveau marin est habituellement augmenté de 1 m à l'horizon 2100 (hypothèse extrême de l'ONERC). Ces valeurs, établies en 2010, semblent désormais faibles, même si l'on ne se réfère qu'aux scénarios du GIEC de 2013 (Church et al., 2013a ; Church et al., 2013b). Quoi qu'il en soit, cette recommandation montre la pertinence de retenir le principe général des scénarios de l'ONERC, consistant à anticiper une élévation du niveau marin future en l'intégrant dans les pratiques, y compris réglementaires, d'évaluation des risques.

Notons que pour les sollicitations hydrauliques autres que le niveau de la mer, l'évolution en fréquence et en intensité des houles extrêmes n'est pas établie en France sur ces vingt-cinq dernières années. En particulier, les séries de houle disponibles, qui permettraient de confirmer ou non ces informations, n'ont pas une longueur suffisante. L'évolution des surcotes météorologiques est également beaucoup moins documentée que celle des niveaux marins ; les méthodes de calcul sont moins robustes et les incertitudes plus importantes.

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015

Selon les experts de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie 37 ( * ) , l'étude de l'impact du changement climatique sur les structures côtières montre que le renforcement des vagues à proximité des ouvrages a pour conséquence un plus fort endommagement de la carapace ainsi qu'une augmentation des débits de franchissement. Pour conserver les mêmes volumes de franchissement, l'utilisation des formules empiriques amène aux conclusions suivantes : pour une hausse d'un mètre du niveau marin, les ouvrages perméables implantés en faible profondeur doivent être rehaussés de 2 mètres environ, les ouvrages imperméables doivent être rehaussés de 3 mètres environ. En outre, les ouvrages perméables en enrochements subiront une augmentation de contraintes sur la carapace non négligeable 38 ( * ) .

5. L'impact sur la biodiversité

La montée du niveau de la mer n'a pas d'impact direct démontré sur la biodiversité. A terme, il est à craindre que le phénomène de submersion et de destructions d'infrastructures côtières polluantes atteigne le milieu marin et que des réponses en termes de protection ne viennent altérer les écosystèmes proches des côtes, lesquels sont généralement riches et constituent des lieux de reproduction pour nombre d'espèces.

En revanche, le réchauffement de la température a de multiples impacts, outre l'acidification des eaux qui fragilise les coraux et certaines espèces végétales et animales (voir supra p. 33 et suiv.), il a été observé au cours des 40 dernières années que certaines espèces de plancton se sont déplacées de 10° de latitude vers le Nord au large des côtes atlantiques européennes. Les espèces subtropicales sont de plus en plus présentes dans les eaux européennes, tandis que les espèces subarctiques se déplacent elles-aussi vers le Nord, hors des eaux européennes. Ceci a et aura un impact, sur le volume et la qualité des poissons pêchés dans les zones économiques exclusives des États riverains et pourra conduire à des différends sur l'établissement de quotas ou de zones d'exclusion.

6. Une cartographie approchée des risques

Bien qu'ancienne, cette carte publiée pour illustrer un article du Monde diplomatique 39 ( * ) illustre bien la diversité des risques liées à la montée des eaux et leur localisation à l'échelle de la planète.

Selon le GIEC, « d'ici 2100, à cause du changement climatique [...], des centaines de millions de personnes seront affectées par des submersions côtières et déplacées à cause de pertes de terres. La majorité des gens touchés se trouvent en Asie de l'Est, du Sud et de l'Est ».

Ces risques se cumulent car le changement climatique a d'autres conséquences à l'échelle mondiale, sécheresse, disponibilité en eau dans les régions semi-arides ou dépendantes de l'eau des glaciers, effet sur les productions agricoles et la sécurité alimentaire.

Face à cet ensemble de risques, les pays les plus pauvres seront les plus atteints : « Les risques sont inégalement répartis et sont généralement plus grands pour les populations et communautés désavantagées » .

7. En résumé

Les impacts de la montée du niveau de la mer sont multiples et peuvent se cumuler.

La vulnérabilité des territoires et des populations sera fonction des probabilités de cumul des phénomènes climatiques et météorologiques, de la configuration des côtes et du niveau de protection offerts par les reliefs naturels (dunes, coraux.) qu'il importe de sauvegarder et les ouvrages artificiels mis en place, qu'il faudra rehausser et recalibrer, mais aussi des activités humaines qui fragilisent les côtes (pompage des eaux souterraines, exploitation des gisements de pétrole...).

La cartographie précise des risques reste à réaliser, à commencer dans les régions les plus vulnérables.

Ces travaux supposent des outils et des compétences dont sont dépourvus nombre d'États. Elles ont un coût. Il est probable que les Etats les plus développés seront en mesure de financer de tels travaux. La capacité des pays les plus pauvres est beaucoup plus incertaine sans l'appui des pays les plus riches.


* 26 Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015

* 27 Ces dernières sont définies comme des submersions de terres qui ne sont pas submergées en temps normal (Directive européenne 2007/60/CE)

* 28 En outre, une question récurrente porte sur la prise en compte des phénomènes d'érosion ou d'accrétion. En effet, une côte pour laquelle un stock sédimentaire suffisant serait disponible pourrait potentiellement s'adapter à une élévation du niveau marin à travers une translation du système vers l'intérieur des terres (résilience), alors qu'une côte à déficit sédimentaire verrait vraisemblablement augmenter les phénomènes de submersion permanente (recul moyen du trait de côte) et temporaires (érosions événementielles, brèches, etc.). Pour répondre à cette question, plusieurs travaux de recherche sur la modélisation à long-terme des littoraux sont en cours.

* 29 Hinkel, J., D. Lincke, A. T. Vafeidis, M. Perrette, R. J. Nicholls, R. J. S. Tol, B. Marzeion, X. Fettweis, C. Ionescu, and A. Levermann, 2014 : Coastal flood damage and adaptation costs under 21st century 64 sea-level rise . PNAS, doi :10.1073/pnas.1222469111.

* 30

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015 p.40

* 31 Laurent Labeyrie « Submersion : comment gérer la montée du niveau des mers » Odile Jacob Sciences mars 2015 et G. le Cozannet et M.Garcin « Vers une disparition des îles basses ? » fiche de l'Institut océanographique octobre 2014.

* 32 Parfois, les zones émergées sont aussi renforcées par d'anciens plateaux coralliens formés lors des périodes anciennes de plus haut niveau marin.

* 33 Les défis du CEA n°200 septembre 2015.

* 34 Laurent Labeyrie « Submersion : comment gérer la montée du niveau des mers » Odile Jacob Sciences mars 2015 et L. Giosan et Coll « Climate change : protect the world deltas » Nature 2014, 516 (7529)

* 35 Sauf dans les régions couvertes de glace il y a 20 000 ans.

* 36 Formation géologique contenant de façon temporaire ou permanente de l'eau et constituée de roches perméables et capable de la restituer.

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Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015 p.40

* 38 Ainsi, pour conserver les mêmes conditions de stabilité, les blocs d'un même ouvrage situé en faible profondeur pourront voir leur masse plus que doubler pour compenser une hausse d'un mètre du niveau marin. Avec l'émergence d'une nouvelle philosophie de dimensionnement (stochastique) et compte tenu des fortes incertitudes sur les conditions du climat futur, les pratiques pour la détermination du dimensionnement des ouvrages évoluent vers deux perspectives :

• l'emploi de méthodes probabilistes où les distributions statistiques des houles et des niveaux sont intégrées comme des variables corrélées ;

• concernant les ouvrages, la réalisation de structures adaptatives qui anticipent, soit sur de futurs renforcements, soit sur des baisses de niveau de service qui nécessiteront alors la réduction de la vulnérabilité des zones protégées.

* 39 « Ceux que la mer menace » Emmanuelle Bournay et Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, février 2005

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