II. LES CONSÉQUENCES GÉOPOLITIQUES : L'ARCTIQUE ENTRE TENSIONS ET DIALOGUE

L'Arctique demeure, pour l'heure, un environnement inhospitalier, imprévisible et insuffisamment doté en infrastructures et services portuaires. Son développement économique est porteur d'importants risques pour la sécurité et pour l'environnement. Il nécessite, par conséquent, le développement d'une coopération internationale dépassant le seul cercle des États riverains.

A. ESPACES NATIONAUX, ENJEUX INTERNATIONAUX

Les États riverains revendiquent légitimement l'exercice de leurs droits souverains sur les espaces terrestres et maritimes de l'Arctique. Des divergences d'appréciation demeurent toutefois, quant au statut juridique de certaines zones et aux délimitations frontalières. L'Arctique suscite également un intérêt international, au-delà des seuls États riverains.

1. Revendications et tensions entre États riverains
a) L'Arctique à la confluence d'espaces nationaux

L'Arctique n'est pas, contrairement à l'Antarctique, régi par un traité international spécifique, à l'exception de l'archipel du Svalbard (Norvège). La souveraineté des États et le droit international de la mer s'y exercent donc pleinement.

(1) Le statut des passages du Nord

Des divergences sont apparues entre États riverains de l'Arctique, concernant d'une part le statut juridique des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est, et, d'autre part, la délimitation des plateaux continentaux.

Le Canada et la Russie considèrent les voies maritimes du Nord comme des eaux intérieures, sous juridiction nationale, dont le franchissement nécessite par conséquent une autorisation de passage et peut faire l'objet d'une interdiction puisque le droit de passage inoffensif ne vaut que pour les eaux territoriales et pas pour les eaux intérieures.

Les autres pays, en premier lieu les États-Unis, mais aussi, explicitement ou implicitement, la plupart des pays européens et asiatiques, revendiquent pour ces eaux le statut de détroit international, et donc une liberté de transit permanente des navires ; de fait la route du Nord-Ouest notamment, est constituée de détroits multiples reliant deux espaces océaniques ouverts. Les États-Unis contestent, pour cette raison, la volonté du Canada et de la Russie de contrôler ces voies d'eaux. Des différends se sont élevés à plusieurs reprises entre les États-Unis et le Canada, depuis les années 1960 : d'abord en 1969, à la suite du passage d'un pétrolier américain, le Manhattan , puis en 1985, lors du passage d'un brise-glace américain, le Polar Sea , les États-Unis refusant le principe d'une autorisation préalable.

Quant au passage du Nord-Est, que les Russes dénomment « route du nord », il est soumis depuis 1991 à une réglementation et une tarification, destinées à attirer, et de fait à contrôler, la navigation étrangère.

(2) Les litiges frontaliers

Un seul litige demeure pour ce qui est des frontières terrestres en Arctique. Ce litige porte sur l'île de Hans, entre le Canada et le Danemark (Groenland). Les autres différends portent sur les délimitations maritimes.

Source : Frédéric Lasserre, "La géopolitique de l'Arctique : sous le signe de la coopération", CERISCOPE Environnement, 2014.

Les délimitations du droit de la mer

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994, distingue plusieurs catégories d'espaces maritimes.

- LES ESPACES SOUS CONTRÔLE NATIONAL (TOTAL OU PARTIEL)

Les zones sous souveraineté :

. Lignes de base : laisse (limite) de basse mer ; dans certains cas (côtes profondément découpées ou bordées d'îlots, deltas, baies suffisamment profondes), possibilité de lignes de base droites, permettant une augmentation de la surface des eaux intérieures

. Eaux intérieures : eaux comprises entre le territoire terrestre de l'État et ses lignes de base. Pleine souveraineté de l'État.

. Mer territoriale : largeur maximale de 12 milles marins calculée à partir des lignes de base, droit de passage inoffensif.

Les zones sous la juridiction de l'État :

. Zone contiguë : largeur de 24 milles marins maximum, l'État riverain agit à titre préventif contre toute infraction d'ordre douanier, fiscal, sanitaire ou d'immigration.

. Zone économique exclusive (ZEE) : largeur maximale de 200 milles marins. Liberté de navigation mais droit exclusif de l'État riverain sur toute activité économique.

. Plateau continental : 200 milles marins. La Commission des limites du plateau continental (CLPC), émet des recommandations qui acceptent, modifient ou rejettent les demandes d'extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins. Droits économiques exclusifs de l'État riverain sur le sol et le sous-sol.

- LES ESPACES INTERNATIONAUX :

. Haute mer : toutes les parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone économique exclusive, ni dans la mer territoriale ni dans les eaux intérieures d'un État.

. Zone internationale des fonds marins : fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale.

- Les espaces spécifiques

. Détroits internationaux : Les passages en transit et passages inoffensifs y sont pleinement garantis aux bâtiments des États tiers.

. Canaux internationaux

. Les mers fermées ou semi-fermées : la Méditerranée.

Dans l'océan Arctique, les limites de chacun des espaces définis par la Convention de Montego Bay (1982) demeurent incertaines.

En premier lieu, certaines « lignes de base » fixées par les États sont contestées. Or ces lignes de base déterminent en cascade le tracé de l'ensemble des autres délimitations (eaux intérieures, eaux territoriales, zones économiques exclusives, plateau continental).

En second lieu, la Commission des limites du plateau continental ne s'est prononcée à ce stade, par des recommandations du 27 mars 2009, que sur certaines demandes adressées par la Norvège. La Russie, qui a formulé, une première fois, des demandes à la Commission des Limites du plateau continental en 2001, a adressé en août 2015 une nouvelle requête, produisant à l'appui de nouveaux travaux scientifiques. La Russie revendique la dorsale de Lomonossov et le pôle nord en tant qu'extension de son plateau continental, tandis que le Danemark revendique également le pôle nord, au nom du Groenland. En 2007, la Russie a illustré symboliquement cette revendication, en plantant un drapeau à 4 000 mètres sous la banquise, au fond de l'océan, au niveau du pôle nord. Le Canada mène également des campagnes scientifiques en vue d'une demande d'extension de son plateau continental, qui n'a pas encore été soumise à la Commission. La demande adressée par le Canada en 2013 ne concernait en effet que son plateau continental sous l'océan Atlantique.

Des incertitudes résultent de la non-adhésion des États-Unis à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, en raison de l'opposition du Sénat américain. Les États-Unis ont une position ambiguë, car il est néanmoins fait référence aux dispositions de cette convention dans des publications officielles, ce qui pourrait les rendre applicables, à titre coutumier. Les États-Unis ont en effet intérêt à jouer le jeu afin de protéger leurs intérêts, dans la mesure où les autres pays riverains de l'Arctique ont formulé ou formuleront prochainement des demandes d'extension de leurs plateaux continentaux respectifs 156 ( * ) .

Pour la résolution de ces litiges, la voie de la coopération et le respect des mécanismes internationaux sont incontestablement privilégiés par les États riverains. Il est peu probable qu'à eux seuls, ils dégénèrent en conflit ouvert.

b) Le statut spécifique du Svalbard

Le traité de Paris du 9 février 1920, qui détermine le statut de l'archipel du Svalbard, ne prémunit pas cet espace de tout différend international.

La position géographique du Svalbard a toujours suscité l'intérêt des grandes puissances. D'où l'établissement, après la première guerre mondiale, d'un statut particulier qui :

- reconnaît la souveraineté de la Norvège sur cette zone ;

- accorde aux autres Parties la liberté d'exercer toute activité économique ou scientifique ;

- interdit toute activité militaire.

Un litige demeure toutefois entre la Russie et la Norvège sur l'interprétation du traité du Svalbard, s'agissant de la zone des 200 milles marins autour de l'archipel, que la Norvège considère comme relevant de sa zone économique exclusive, tandis que la Russie souhaiterait y voir appliquer le même statut international qu'à l'archipel lui-même. Dans la mesure où les ZEE ont été instituées par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, le traité de Paris de 1920 ne répond évidemment pas à la question posée par ce litige.

La Norvège et la Russie ont une longue histoire de coopération commune en mer de Barents, notamment sur la pêche, depuis 1976. En 2011, un traité de délimitation de la frontière maritime entre la Norvège et la Russie a été conclu, alors que cette frontière était contestée depuis plusieurs décennies. Les relations entre la Norvège et la Russie se sont toutefois altérées en raison de la situation en Ukraine. Il est probable que le cadre de coopération existant entre les deux pays ne pourrait plus être négocié dans le contexte actuel. La visite surprise du vice Premier ministre russe Dimitri Rogozin sur l'archipel du Svalbard, en avril 2015, est l'illustration de ce nouveau climat. Des tensions sont possibles s'agissant des droits de pêche ou de l'exploitation des sous-sols autour de l'archipel du Svalbard.

2. L'Arctique, « nouvelle scène internationale» ?

L'Arctique suscite un regain d'intérêt 157 ( * ) pour des raisons économiques, comme évoqué précédemment, mais aussi et surtout pour des raisons géopolitiques, à l'image de l'exploitation du charbon par la Norvège et par la Russie au Svalbard, dont la motivation principale n'est pas économique mais stratégique.

Les politiques arctiques nationales des pays riverains ou non riverains de l'Arctique ont été détaillées dans plusieurs rapports parlementaires récents 158 ( * ) . Nous ne reviendrons ici que sur trois aspects particuliers de cette émergence de l'Arctique comme « nouvelle scène internationale ».

a) L'Arctique, enjeu de la relation Russie-OTAN

Parmi les États riverains de l'Arctique figurent plusieurs grandes puissances, dont trois pays du « G8 » 159 ( * ) , deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies 160 ( * ) et cinq membres de l'OTAN 161 ( * ) . Les cartes centrées sur l'océan Arctique montrent bien que cette zone est un point de rencontre entre ces puissances, et non une périphérie, comme le suggère la projection « Mercator » traditionnelle (laquelle agrandit par ailleurs la surface des zones polaires par rapport à la réalité). L'Arctique subit donc logiquement les effets des tensions existant au plan international.

Route stratégique pendant la deuxième guerre mondiale, l'Arctique a joué un rôle important dans les rapports Est-Ouest, au cours de la guerre froide, pour le déploiement des sous-marins nucléaires, des réseaux de surveillance et d'alerte ainsi que de la défense antimissile.

La politique russe pour l'Arctique fait l'objet d'une Stratégie de développement de la région arctique à l'horizon 2020, en date du 20 février 2013. Pour la Russie, il s'agit de réaffirmer son prestige et sa souveraineté sur des régions abandonnées depuis la fin de la guerre froide, d'autant que la Flotte du Nord joue un rôle important pour l'outil de dissuasion russe.

L'exercice militaire surprise du 16 mars 2015, au cours duquel 38 000 soldats russes ont été déployés dans le Grand nord, a illustré cette volonté. La revendication russe sur une large partie de l'Arctique, incluant le pôle nord, s'accompagne d'un programme d'aménagement du territoire par l'installation de bases militaires et la mise en exploitation de gisements d'hydrocarbures. Elle se traduit également par la poursuite d'un important programme d'équipements, notamment en nouveaux brise-glace à propulsion nucléaire. Avec 41 brise-glace, 5 brise-glace en construction (dont un à propulsion nucléaire) et 6 planifiés (dont trois à propulsion nucléaire), la Russie est de très loin le pays le mieux équipé pour la navigation polaire. Le Canada et les États-Unis possèdent respectivement six et cinq brise-glace.

Du côté de l'OTAN, des exercices aériens sont organisés dans le Nord de l'Europe. L'exercice « Arctic Challenge 2015 », qui s'est déroulé en mai-juin 2015, a impliqué six membres (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Norvège et Pays-Bas) ainsi que trois pays partenaires (la Suède, la Finlande et la Suisse). Le but de cet exercice était de simuler des attaques contre une aviation ennemie, grâce à la mobilisation de 115 avions et de près de 3 600 militaires.

Dans le contexte actuel, marqué par le conflit entre la Russie et l'Ukraine, l'OTAN et la Russie dénoncent réciproquement un risque de militarisation de l'Arctique.

Cette situation est susceptible de créer des tensions au sein du Conseil arctique. La réunion ministérielle d'Iqaluit (avril 2015), a ainsi été marquée par l'absence du ministre russe des Affaires étrangères.

Le déplacement de M. Barack Obama, président des États-Unis, en Alaska, à l'occasion de la conférence GLACIER, le 31 août 2015, fut historiquement le premier déplacement d'un président américain en Arctique. L'objectif de ce déplacement était d'abord d'ordre climatique, à quelques mois de la COP 21. Mais il peut également être interprété comme reflétant la volonté des États-Unis de renforcer leur position géostratégique en Arctique, face aux ambitions territoriales, stratégiques et militaires de la Russie et alors que les États-Unis ont pris en 2015 la présidence du Conseil arctique.

Les interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs en Norvège sont partagés quant à la possibilité d'un conflit ouvert avec la Russie dans la zone arctique. L'océan Arctique, comme la mer Baltique, sont des lieux de tension possible avec une Russie en quête de réaffirmation de sa puissance.

b) L'intérêt des « géants » asiatiques pour l'Arctique

Le potentiel de l'Arctique en termes de ressources naturelles ainsi que la perspective de nouvelles routes maritimes expliquent, pour une large part, l'intérêt des pays asiatiques pour l'Arctique. Le réchauffement du pergélisol, entraînant une extension des terres arables en Sibérie orientale, constitue un autre facteur d'intérêt des pays asiatiques pour cette région. Lors de la réunion ministérielle de Kiruna (2013), le Conseil arctique a intégré, en tant qu'observateurs permanents, cinq pays asiatiques (Chine, Japon, République de Corée, Inde, Singapour). Cette évolution illustre la place de l'Arctique comme enjeu économique et géopolitique international. Avec cet élargissement du cercle des observateurs aux « géants » asiatiques, le Conseil arctique mise sur le développement économique de la région et s'impose comme l'instance de concertation légitime.

Si le Japon possède une longue tradition de recherche en milieu polaire, la Chine s'est imposée plus récemment dans ce domaine. Elle n'a toutefois pas attendu d'être admise comme observateur au Conseil arctique pour accroître son effort de recherche scientifique en milieu polaire, ce qui lui a permis de légitimer sa demande. Le Polar Research Institute of China a été établi en 1989. Il a pour mission l'organisation des stations et des expéditions polaires ainsi que l'utilisation du brise-glace chinois, le Xue Long , dont la Chine s'est dotée en 1993 et qui lui a permis de participer à cinq expéditions arctiques - et 28 en Antarctique 162 ( * ) . La Chine s'est implantée aux Svalbard, sur la base scientifique de Ny-Alesund, en 2004. Le Xue Long s'est illustré récemment, en portant secours aux passagers d'un navire russe pris dans les glaces de l'Antarctique à la fin de l'année 2014. En 2012, ce brise-glace a navigué pour la première fois jusqu'à la mer de Barents par la route du Nord. En 2013, un navire commercial chinois s'est rendu pour la première fois à Rotterdam par cette même route. La Chine planifie aujourd'hui la construction d'un second brise-glace. La compagnie pétrolière chinoise China Petroleum Corp. est intéressée par l'exploration de ressources pétrolières en Arctique.

Par ailleurs, comme évoqué précédemment, la Chine est d'ores et déjà un partenaire important dans le développement de la Sibérie orientale, où l'immigration chinoise s'est accélérée après la dislocation de l'URSS. Riche en ressources naturelles et agricoles, l'Arctique russe connaît un déclin démographique qui encourage ces mouvements migratoires.

L'intérêt de la Chine pour l'Arctique a été largement relayé dans les médias. Ce pays se présente lui-même comme appartenant au « Proche-Arctique » (« Near-Arctic »). Cet intérêt doit toutefois être replacé dans le cadre plus large de la politique de recherche chinoise, et de sa politique d'investissement, notamment en terres agricoles, sur tous les continents. La Chine a aussi investi pour moderniser ses bases de recherche en Antarctique. Son intérêt pour l'Arctique se situe dans la continuité de son investissement dans tous les domaines de la recherche. Il illustre aussi sa volonté de s'impliquer dans l'ensemble des grands enjeux internationaux.

Bien que géographiquement plus éloignée de l'Arctique, l'Inde a également manifesté son intérêt pour cette région. Elle est engagée dans la recherche polaire et a installé une station de recherche au Svalbard. Son souhait est de promouvoir la stabilité de l'Arctique et sa démilitarisation.

Leur implication permettra, en tout état de cause, aux pays asiatiques, d'être des partenaires économiques majeurs, si les perspectives de développement de l'Arctique se confirment.

c) Groenland : les enjeux géopolitiques de l'indépendance

L'Arctique représente un enjeu majeur pour la cohésion européenne.

10 pays de l'Union européenne représentant plus des trois quarts de la population de l'Union participent au Conseil de l'Arctique : 3 comme membres (Danemark/Groenland, Finlande, Suède) et 7 comme observateurs (Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni).

A ce titre, l'Union européenne développe une politique arctique dont les orientations sont fixées par les conclusions du Conseil en date du 12 mai 2014, après la résolution du Parlement européen du 12 mars 2014. La politique arctique de l'Union européenne repose sur le soutien à la recherche et à un développement économique se fondant sur un usage durable des ressources. Elle promeut, par ailleurs, un dialogue constructif avec les pays de l'Arctique, les populations autochtones et les autres partenaires.

L'intérêt des pays asiatiques pour l'Arctique est manifeste au Groenland, notamment de la part de la Chine et de la Corée du sud qui ont développé leurs relations avec ce territoire.

Le Groenland dispose d'un statut d'autonomie renforcée qui devrait le conduire un jour à son indépendance, à condition de pouvoir disposer de moyens financiers suffisants.

La loi sur l'autonomie du Groenland du 21 juin 2009, adoptée après référendum, dispose qu'il revient au peuple groenlandais de prendre toute décision concernant l'indépendance du Groenland.

Très dépendant financièrement du gouvernement danois, le Groenland voit dans l'exploitation de ses ressources naturelles une source possible de revenus, susceptible de faciliter son émancipation. La chute des cours du pétrole a retardé cette perspective. Au début de 2015, les entreprises Statoil (Norvège), Total (France) et Dong (Danemark) ont rendu leurs licences d'exploitation pour l'ouest du Groenland. Quinze autres compagnies ont toutefois conservé les leurs, dans l'attente d'une évolution favorable des marchés. En 2014, le Parlement danois a approuvé une loi permettant le recours à une main d'oeuvre bon marché pour la mise en oeuvre de grands projets. Cette loi devrait permettre l'arrivée de travailleurs chinois, sur les grands projets contrôlés par des capitaux chinois 163 ( * ) .

Depuis sa sortie de l'Union européenne en 1985, à la suite d'un référendum, le Groenland se tourne, en effet, davantage vers l'Amérique et vers l'Asie. Le risque est que cette évolution s'accentue à l'avenir, si le Groenland était amené à acquérir son indépendance, ce qui contribuerait à affaiblir son lien historique avec l'Europe.

Or, situé au coeur de l'Arctique, le Groenland est un territoire stratégique, bien qu'il ne soit peuplé que de 57 000 habitants (pour une surface équivalente à quatre fois la France). Ce territoire possède notamment des terres rares, secteur dans lequel l'Union européenne dépend entièrement d'importations. Situé au coeur de l'Arctique, il représente pour l'Europe un emplacement stratégique.

« Prendre le risque d'un Groenland devenant rapidement indépendant et n'ayant alors sans doute pas pris le temps d'assurer une économie solide sur le long terme pourrait avoir des conséquences sur les développements futurs dans l'Arctique et la sécurité énergétique mondiale. Laisser un Groenland à la merci d'une aide étrangère, susceptible de provenir d'un État non arctique, et qui pourrait conduire à un contrôle officieux de la politique de gestion des ressources naturelles du territoire est un risque trop important (...). L'Union européenne a un rôle à jouer dans ce contexte : proposer au Groenland d'être le « filet de protection » économique dont l'éventuel État groenlandais aura besoin, en l'absence de la subvention annuelle de l'État danois, afin de limiter les conséquences de potentielles difficultés économiques. » 164 ( * )


* 156 Espaces et ressources en Arctique, Hélène de Pooter, dans « L'Arctique, la nouvelle frontière », sous la direction de Michel Foucher, CNRS Éditions, 2014.

* 157 L'expression « Nouvelle scène internationale » est empruntée à : Géopolitique de l'Arctique, Thierry Garcin, Economica 2013.

* 158 « Arctique : préoccupations européennes pour un enjeu global », rapport n° 684 (2013-2014) du 2 juillet 2014 de M. André Gattolin, sénateur ; « Le monde au miroir des pôles : les enjeux du changement climatique en Arctique et en Antarctique », rapport n° 2704 du 8 avril 2015 de MM. Hervé Gaymard et Noël Mamère, députés.

* 159 Le G8 était composé des États suivants : États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Russie. En 2014 et 2015, le G8 est redevenu G7, après l'exclusion de la Russie.

* 160 États-Unis et Russie.

* 161 États-Unis, Canada, Norvège, Danemark, Islande.

* 162 « La Chine en Arctique ?» Frédéric Lasserre et Olga V. Alexeeva, 2013.

* 163 Groenland : la longue marche vers l'autonomie, Antoine Jacob (Questions internationales n° 75, 2015).

* 164 «L'Arctique : une région d'avenir pour l'Union européenne et l'économie mondiale », Damien Degeorges, Question d'Europe n° 263 du 7 janvier 2013.

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