E. UN DROIT DE LA MER PLUS PROSPECTIF
1. Cristalliser les lignes de bases actuelles
Face à une situation d'incertitude du droit de la mer, il est possible d'envisager deux solutions : soit les États doivent adapter leurs revendications maritimes à leur nouvelle réalité géographique, soit ils peuvent conserver leurs anciennes lignes sans tenir compte du changement. La doctrine dominante penche en faveur de la première solution 118 ( * ) , mais l'état du droit international n'exclut pas la seconde. Certains experts, comme Mme Blanchette-Seguin 119 ( * ) , se prononce en faveur de la conservation des lignes établies en raison des conséquences négatives qu'aurait la mouvance des lignes de base pour la communauté internationale : coûts supplémentaires pour les États, incertitude juridique en ce qui concerne la navigation et l'accès aux ressources naturelles, tensions entre les Etats ; mais aussi des avantages de la conservation : unité du régime de la mer posé par la Convention, intérêts des États à conserver les frontières maritimes existantes, théorie des eaux historiques cristallisée par la pratique des États. Dans cette perspective, un amendement à la Convention serait le bienvenu.
2. Intégrer la mer dans les négociations climatiques
Reconnue comme « un bien commun de l'humanité » par la Convention du droit de la mer, c'est désormais une zone écologiquement très sensible, dont les ressources sont de plus en plus intensément exploitées et dont la pollution s'accroît.
Une étude réalisée par le Boston Consulting Group et le Global Change Institute de l'université du Queensland (Australie), publiée en avril 2015 par le World Wild Fund (WWF), estime à 24 000 milliards de dollars 120 ( * ) la valeur de la richesse océanique. Sa production annuelle s'élèverait à 2 500 milliards de dollars, ce qui place les océans au 7 e rang mondial des économies les plus riches, derrière la Grande-Bretagne et devant le Brésil. Elle montre ainsi les enjeux sur le plan économique et environnemental, d'un écosystème très affecté par le changement climatique.
Depuis 2006, des discussions sont en cours au sein des Nations unies sur le besoin d'un instrument légal et international de protection des écosystèmes marins en haute mer dans le cadre de la Convention dite de « Montego Bay » sur le droit de la mer, mais peu d'avancées concrètes ont été faites.
L'accord historique obtenu en janvier 2015 pour que s'ouvrent dans le cadre de l'Assemblée des Nations unies des négociations pour l'élaboration d'un Accord sur la haute mer, ainsi que l'intégration d'un objectif spécifique sur l'océan dans les objectifs du développement durable de l'ONU, illustre la volonté croissante de la communauté internationale de gérer les défis et les opportunités liés aux océans. Mais beaucoup reste à faire pour une meilleure intégration des enjeux liés à l'océan dans le cadre des négociations sur le climat.
L'océan reste étonnamment absent des textes stratégiques en cours de négociation en vue de l'Accord de Paris. Il a notamment été omis au cours des discussions de préparation des Accords sur le climat, en septembre 2014, et ne figure pas parmi les huit champs d'action sur lesquels les gouvernements sont invités à s'engager.
Comme le note Jeanne Gherardi, référente « Action Climat » à l'IFREMER, membre de la plateforme « Océan & Climat » : « L'océan, dont le rôle central dans le système climatique fait consensus dans la communauté scientifique, est pourtant un élément essentiel de réponse et d'adaptation aux changements climatiques. Sa capacité à absorber et à stocker le CO 2 émis, combinée au stockage de l'excès de chaleur résultant des activités humaines, contribuent à limiter considérablement le réchauffement. Son statut de premier fournisseur d'oxygène, via un écosystème complexe, est également vital pour l'humanité. Le réchauffement global, associé à d'autres pressions anthropiques telles que la pollution ou la surexploitation des ressources, sont cependant en train de remettre en question ces différentes fonctionnalités ou l'efficacité de ces différents mécanismes Le maintien d'un océan en bonne santé et d'un climat préservé sont donc les deux facettes d'une même urgence. » 121 ( * )
L'océan est aussi une boîte à outils pour nous aider à lutter contre le dérèglement climatique.
Le rôle essentiel de l'océan Réservoir inépuisable d'énergie, il peut fournir des solutions alternatives pour répondre à nos besoins croissants. Un projet comme le SWAC ( Sea Water Air Conditioning ), opérationnel à Hawaï et en cours d'expérimentation à La Réunion, utilise les eaux froides des profondeurs pour alimenter un système de climatisation urbaine, limitant considérablement les émissions de gaz à effet de serre, tout en réduisant la consommation d'énergie lié à ce système. Des prototypes sont par ailleurs en cours de développement pour utiliser efficacement l'énergie thermique des mers, basée sur la différence de température entre les eaux chaudes de surface et les eaux profondes très froides (entre -1 et 5°C). Cette source d'énergie constante, et a priori inépuisable, pourrait à terme alimenter des régions côtières et garantir l'autonomie énergétique de nombreuses îles, avec un bilan carbone très réduit. En plus de permettre de produire de l'énergie à faible impact climatique, l'océan pourrait contribuer directement à la valorisation du CO 2 contenu dans les fumées issues des activités industrielles, la culture de micro-algues à fort potentiel commercial (alimentaire ou énergétique) absorbant ce CO 2 par photosynthèse. |
Pour être réellement mises en oeuvre, ces pistes requièrent encore beaucoup d'innovations qui doivent être encouragées et financées, notamment au travers des différents mécanismes de financement climatique (fonds vert, marchés volontaires, « green bonds », etc.). L'accès à ces moyens financiers est une autre raison fondamentale pour que l'océan trouve sa place dans les textes de négociations climatiques.
* 118 Elle s'appuie pur cela sur l'interprétation a contrario des articles de la convention, sur la position adoptée par la cour internationale de Justice dans l'affaire du différend territorial entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des caraïbes et le texte de l'ébauche de la convention sur la mer territoriale et la zone contiguë.
* 119 Virginie Blanchette-Séguin « Élévation du niveau de la mer et frontières maritimes : les Etats possèdent-ils des droits acquis sur leur territoire submergé ? »; 26-2 (2013) Revue québécoise de droit international ; http//rs.sqdi.org/volumes/RQDI_26-2_1_BlanchetteSeguin.pdf
* 120 Ce patrimoine se décompose entre la production directe (stocks halieutiques, mangroves, récifs coralliens), 6 9000 milliards de dollars, le commerce et les transports (5 200), la production des littoraux (7 800) et l'absorption du carbone (4 300).
* 121 Jeanne Gherardi, article publié dans le hors-série mer de la revue de culture générale l'éléphant (août 2015)