C. UNE PRODUCTION VALORISÉE, QUI FAVORISERAIT L'INNOVATION ET LA CRÉATIVITÉ

Le chantier de la production doit constituer assurément l'une des priorités de la nouvelle présidence de France Télévisions . L'enjeu est considérable pour permettre de faire évoluer le modèle économique même de la société. La situation nécessite de traiter l'ensemble des dimensions de la question : nombre de producteurs, utilisation de la ressource, diversification de l'offre, valorisation des droits. Le rôle de France Télévisions vis-à-vis des producteurs doit évoluer pour devenir un levier favorisant les regroupements, et le groupe doit pouvoir bénéficier davantage de ses investissements considérables en faveur de la création .

Au-delà des retombées financières immédiates pour l'entreprise, le fait de pouvoir bénéficier de retours sur investissements serait également une source d'incitation à l'exportation . Enfin, il faut prendre en compte le caractère fédérateur et motivant pour le personnel de voir valorisés au profit du groupe France Télévisions ses investissements.

Vos rapporteurs estiment indispensable que l'Acte II de la Création annoncé par le Gouvernement aboutisse prochainement à des avancées qui permettraient de libérer les initiatives des éditeurs en matière de création . Même s'ils reconnaissent que ces avancées sont d'abord à rechercher dans le cadre d'un dialogue interprofessionnel et d'une modernisation de la réglementation, ils n'excluent pas de soutenir une initiative législative dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine qui devrait intervenir au Sénat sans doute au premier trimestre 2016 afin, en particulier, de préciser à nouveau le régime des parts de coproduction.

1. Assouplir au profit des diffuseurs les conditions d'application de l'article 29 de la loi du 15 novembre 2013

Dans un premier temps, avant d'envisager une nouvelle évolution de nature législative, vos rapporteurs préconisent, pour les chaînes publiques :

• d'intégrer dans la part de financement autorisant la détention de parts de coproduction, l'ensemble des financements publics , à savoir la part de France Télévisions et celle du CNC ;

• en cas de coproduction internationale , d'intégrer dans la part de financement autorisant la détention de parts de coproduction, les financements de l'ensemble des partenaires publics étrangers .

Cette évolution permettrait d'augmenter le nombre de cas dans lesquels les chaînes publiques seraient susceptibles de détenir des parts de coproduction, étant précisé que ces parts seraient détenues proportionnellement au seul financement des diffuseurs publics français .

Proposition n° 5 : intégrer l'ensemble des financements publics dans le calcul de la part de financement autorisant aux chaînes publiques la détention de parts de coproduction.

Si de tels assouplissements s'avéraient insuffisants, vos rapporteurs ne seraient pas opposés au fait d'inscrire dans la loi un seuil inférieur à 70 %. Ils s'interrogent en particulier sur la possibilité pour le législateur de préciser de manière plus claire son intention en prévoyant par exemple dans la loi que les diffuseurs pourraient bénéficier de parts de coproduction et de mandats de commercialisation dès lors qu'ils auraient financé une part majoritaire de la production , plutôt que « substantielle ».

2. Donner un rôle plus structurant à France Télévisions en réduisant le nombre de producteurs, en particulier dans la fiction

La faiblesse de la production française est directement liée à l'émiettement du secteur, entretenu par le rôle de France Télévisions qui « fait vivre » une part importante du secteur de la production indépendante. Cette dispersion des moyens n'est pas favorable à la réalisation de fictions feuilletonnantes de haute qualité nécessitant un important travail d'écriture et la capacité à s'engager sur la production de plusieurs saisons.

Tous genres confondus, le nombre de producteurs indépendants de France Télévisions était de 689 en 2012, 623 en 2013 et 580 en 2014. Un mouvement de « concentration » est donc déjà en cours, particulièrement dans le documentaire, les magazines et le spectacle vivant. Ce mouvement doit être encore poursuivi, en particulier dans la fiction et les émissions consacrées à la jeunesse . Un objectif raisonnable pourrait être qu'à l'issue de son prochain COM le groupe France Télévisions ne travaille plus qu'avec 350 producteurs indépendants, ce qui correspondrait à une baisse de 50 % environ du nombre de prestataires depuis 2012. En revanche, en ce qui concerne le documentaire, il est préférable de privilégier la richesse de production pour répondre aux spécificités de ce genre .

Les préconisations de l'Institut Montaigne

Dans son rapport publié en février 2015 consacré à l'audiovisuel français 159 ( * ) , l'Institut Montaigne n'a pas épargné le groupe France Télévisions qui « n'a pas joué un rôle structurant en matière de création audiovisuelle et participe au morcellement du secteur » . Le think tank observe en particulier que 160 producteurs en 2013 n'auraient travaillé que pour le groupe public, ce qui ne favoriserait ni le renouvellement ni l'audace . Le rapport met également l'accent sur les freins culturels à l'épanouissement du secteur en évoquant une absence de coopération entre producteurs et diffuseurs fondée sur une méconnaissance et une méfiance réciproques.

Dans ces conditions, l'Institut Montaigne fait plusieurs propositions structurantes. Les auteurs du rapport proposent de définir l'indépendance des producteurs à l'égard des diffuseurs par un critère de droit commun (moins de 50 % détenu par le diffuseur) afin de réduire la fracture entre diffuseurs et producteurs et de favoriser l'émergence de champions nationaux sur la scène internationale. Ils souhaitent également donner un objectif explicite à France Télévisions de consolidation de l'industrie dans le prochain contrat d'objectifs et de moyens et renforcer l'objectif de diversité des oeuvres (genres) en supprimant l'objectif de diversité des producteurs pour en faire un objectif de diversité des oeuvres.

En conséquence, vos rapporteurs estiment qu'il pourrait être utile de supprimer dans l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication la mention selon laquelle il revient à France Télévisions de garantir la diversité de la production 160 ( * ) .

Proposition n° 6 : supprimer l'obligation faite à France Télévisions de garantir la diversité de la production, en particulier dans la fiction, qui favorise la dispersion de ses investissements et l'émiettement du secteur de la production.

Cette concentration des moyens sur un nombre plus limité de producteurs doit permettre de réaliser plus d'investissements dans les projets .

3. Valoriser la production en interne

Dans le champ de l'information, on peut s'interroger sur la légitimité du recours fréquent à des sociétés de production 161 ( * ) pour alimenter les reportages des émissions phares du service public. Même si le recours à ces producteurs extérieurs est en baisse, il demeure significatif, ce qui invite à s'interroger. Ce modèle de production est-il économiquement rationnel et cohérent avec les moyens importants dont dispose le groupe par ailleurs en nombre de journalistes ? Quelles garanties sont apportées au regard de l'éthique du service public et au souci de ne pas privilégier de manière excessive la recherche de l'événement à la rigueur de l'investigation ?

Vos rapporteurs considèrent que le projet de future chaîne publique d'information (cf. infra ) ne doit pas s'exonérer d'une réflexion approfondie sur l'organisation de la production de l'information afin de mieux valoriser les atouts du service public, y compris dans les magazines en réduisant le recours à des producteurs extérieurs .

Proposition n° 7 : privilégier la réalisation des sujets des magazines d'information de France Télévisions par les journalistes des rédactions et réduire le recours à des agences de production extérieures.

Enfin, le meilleur vecteur pour les chaînes publiques de se constituer un catalogue de droits patrimoniaux reste la production dépendante . Or, le plafond actuel de 5 % qui peut être pris en compte au titre des investissements obligatoires dans la création audiovisuelle ne permet pas aux chaînes publiques de lancer la production de séries feuilletonnantes au sein de leur groupe. Vos rapporteurs préconisent donc de relever le niveau de part dépendante.

Proposition n° 8 : relever le plafond autorisé de production dépendante.

4. Créer les conditions de la transparence dans les relations entre les producteurs et les diffuseurs

Vos rapporteurs souhaitent également présenter deux types de préconisations en vue de renforcer la transparence et le contrôle dans les relations entre les producteurs et les diffuseurs.

Tout d'abord, le volume des achats de production extérieure représente plus du tiers des dépenses de France Télévisions , soit une somme supérieure aux charges de personnel , comme on peut le constater dans le tableau ci-après :

2013

2014

Coût des programmes achetés 162 ( * ) (M€)

1 120,0

1 133,4

Charges de personnel (M€)

957,7

976,0

Source : Comptes annuels de France Télévisions

Or, les relations de l'entreprise publique avec les producteurs indépendants sont entachées par un manque de transparence et par la carence du contrôle des dépenses dans ce domaine, contrairement à ce qui est réalisé en matière de dépenses externes des autres postes (par exemple, la restauration...). Vos rapporteurs recommandent de mieux vérifier la manière dont il est fait recours aux producteurs extérieurs : sont-ils sélectionnés sur de réels critères objectifs, de qualité et de coûts notamment, ou sur de simples critères relationnels, sans autre garantie ?

En outre, ils préconisent de renforcer la transparence et le contrôle des prestations souvent fondées sur des devis types surestimés par rapport à ce qui est finalement réalisé .

À cet égard, ils saluent la mise en place en avril 2015, à l'initiative de la ministre de la culture et de la communication, d'un groupe de travail sur la transparence des devis et des coûts , qui rassemble le CNC, la DGMIC, les organisations professionnelles et les diffuseurs. Ils se félicitent également du fait que le CNC, en conformité avec les nouvelles dispositions du compte de soutien introduites dans le règlement général des aides financières publié au Journal officiel le 10 février 2015, conditionne désormais la délivrance définitive de ses aides à la certification des comptes de production par un commissaire aux comptes, pour tout projet ayant bénéficié d'une aide du CNC d'un montant supérieur à 50 000 euros .

Proposition n° 9 : renforcer la transparence et le contrôle des processus de sélection des producteurs indépendants et de leurs prestations par les chaînes publiques.

Dans un même souci de transparence, la présidente d'Arte France, entendue par vos rapporteurs, a souligné l'urgence d'améliorer l'information apportée aux diffuseurs en ce qui concerne les recettes et la manière dont le producteur amortit ses apports avant redistribution à ceux-ci. Là encore, les diffuseurs subissent des devis type, qui surestiment les dépenses, notamment les frais généraux .

Proposition n° 10 : définir avec précision les règles régissant les remontées de recettes des producteurs vers les diffuseurs.

5. Permettre des usages plus souples sur les supports numérique

Compte tenu du développement des usages sur les supports numériques, il paraît indispensable de créer les conditions permettant aux diffuseurs de l'audiovisuel public de développer leur plateforme numérique de vidéo à la demande . Cela concerne principalement France Télévisions, qui est soumise à un cahier des charges restreignant les usages numériques , tandis qu'Arte est libre de négocier avec les producteurs les droits d'usage sur les différents supports. Cette évolution paraît d'autant plus nécessaire dans la perspective de la mise en place d'une contribution universelle : le redevable devra pouvoir accéder aux programmes sur l'ensemble des supports , poste de télévision ou autres.

À cette fin, pourrait notamment être envisagé un système de forfait tous supports pour un usage limité dans le temps.

Proposition n° 11 : permettre à France Télévisions d'obtenir la même capacité qu'Arte France pour développer un service de vidéo à la demande, en assouplissant les droits d'usage fixés par son cahier des charges.


* 159 « Rallumer la télévision », rapport de l'Institut Montaigne, février 2015.

* 160 « Dans le respect de l'identité des lignes éditoriales de chacun des services qu'elle édite et diffuse, France Télévisions veille par ses choix de programmation et ses acquisitions d'émissions et d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques à garantir la diversité de la création et de la production . »

* 161 En 2014, 90 producteurs indépendants participaient à la réalisation des magazines de France Télévisions pour un chiffre d'affaires de 171 millions d'euros.

* 162 Y compris conventions de façonnage et de préparation.

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