TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER
Réunie le mercredi 16 septembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission des finances a procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les aides personnelles au logement .
Mme Michèle André , présidente . - Nous abordons la question du logement, thème qui constitue l'une de nos priorités cette année. Le groupe de travail, constitué en notre sein, qui s'est penché sur la politique du logement nous présentera d'ailleurs ses conclusions dans les prochaines semaines.
Parallèlement, nous avons confié à la Cour des comptes une enquête sur les aides personnelles au logement, en application du paragraphe 2 de l'article 58 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Cette demande faisait notamment suite au constat d'une augmentation permanente des dépenses liées à cette prestation. Les aides personnelles au logement bénéficient ainsi à 6,5 millions de ménages, pour une dépense de 17,4 milliards d'euros en 2013, soit plus de 40 % des dépenses publiques en faveur du logement et 0,8 % du produit intérieur brut (PIB).
La commission des finances souhaite entendre la Cour des comptes sur cette enquête et connaître les réactions des représentants du ministère du budget et du ministère du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Nous avons convié à cette audition Caroline Cayeux, rapporteure pour la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale et Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de la mission « Égalité des territoires et logement » au nom de la commission des affaires économiques. Cette réunion est ouverte à la presse.
Je donnerai d'abord la parole à Pascal Duchadeuil, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes, qui s'est vu confier la présidence de la formation interchambres ayant réalisé l'enquête et qui associait la troisième, la cinquième et la sixième chambres. Il est accompagné de Philippe Hayez, conseiller maître et président de section.
Puis, Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », présentera les principaux enseignements de cette enquête. Il posera également des questions à la Cour des comptes et aux représentants des principales administrations intéressées, avec Denis Morin, directeur du budget au sein du ministère des finances et des comptes publics, que nous avions déjà le plaisir de recevoir la semaine dernière, et Laurent Girometti, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, qui représente le ministère du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.
À l'issue de l'audition, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête de la Cour des comptes.
M. Pascal Duchadeuil, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes . - À la demande de votre commission, en application de l'article 58-2 de la LOLF, nous avons examiné cette question, en y associant la cinquième chambre pour les affaires de logement, la troisième chambre pour les aides aux étudiants et la sixième chambre pour les caisses d'allocations familiales.
Les aides personnelles au logement concernent plus de six millions de ménages pour un coût de 18 milliards d'euros, soit moitié plus que les allocations familiales et deux fois plus que le RSA socle. Cette dépense a progressé de 10 % en euros constants au cours des dix dernières années, soit un rythme supérieur de 0,4 point à la progression du PIB en volume.
Notre pays occupe le deuxième rang derrière le Royaume-Uni au sein de l'OCDE, pour la part que ces aides occupent dans le PIB, et le premier pour le nombre de foyers qui en bénéficient (22 % des ménages ; quatre locataires sur dix). Les locataires représentent 95 % des bénéficiaires et la moitié de ces derniers réside dans le parc social.
Notre enquête avait pour objectif non pas d'énumérer une liste d'économies mais d'engager plus généralement une réflexion d'ensemble sur d'éventuelles réformes du dispositif. Elle a donné lieu à une enquête approfondie dans le réseau des CAF, à des analyses élaborées avec des économistes spécialisés dans les questions de logement et à des études économétriques réalisées par une équipe de l'Institut des politiques publiques (IPP) de l'École d'économie de Paris. Enfin, une mission a été envoyée en Grande-Bretagne afin de disposer d'informations précises sur la réforme en cours des prestations sociales qui intègre les aides personnelles au logement.
Pour vous présenter les conclusions de cette enquête, je suis accompagné de Philippe Hayez, président de section, et des différents rapporteurs, Mmes Claire Gasançon-Bousselin et Virginie Lobbedey, MM. Eric Parpaillon et Philippe Baccou ainsi que M. Christian de Lavernée.
Premier constat : les aides personnelles au logement suscitent des interrogations quant à leurs objectifs. S'agit-il de prestations affectées au logement ou de prestations de soutien au revenu ? Cette dernière piste est intéressante, puisque les aides personnelles au logement sont remarquablement concentrées sur les trois premiers déciles de la répartition des revenus (75 % des allocataires). Nous avons constaté une superposition d'objectifs : lutte contre la crise du logement, thème qui prévalait lors de l'instauration de l'allocation de logement familiale (ALF), amélioration des logements, accession à la propriété, soutien au taux d'effort des ménages. Le programme 109 qui assure le financement budgétaire des aides personnelles au logement indique que l'objectif est d'aider les ménages les plus modestes à accéder au logement et à s'y maintenir.
Deuxième constat : l'efficacité de ces prestations sociales est certaine mais semble avoir atteint un plafond. Les aides personnelles au logement bénéficient majoritairement à des locataires dont les ressources sont inférieures au seuil de pauvreté. Elles sont particulièrement redistributives puisque 76 % des ménages du premier décile de la distribution des revenus en bénéficient alors que seuls 43 % des ménages de ce décile perçoivent des prestations familiales et 56 % un minimum social.
Les aides personnelles au logement ont pour principal objectif de diminuer le taux d'effort consenti par les ménages. Le taux d'effort brut des ménages, c'est-à-dire avant perception des aides personnelles au logement, est loin d'être le plus élevé en Europe : il atteint 24 % dans le parc privé et 18 % dans le parc social. Nous sommes à des niveaux comparables à ceux de l'Allemagne, de l'Italie, des Pays-Bas. Après prise en compte des aides personnelles au logement, le taux d'effort net est en revanche un des plus bas d'Europe, soit 20 % dans le parc privé et 11 % dans le parc social. Les aides personnelles au logement permettent bien de réduire significativement le taux d'effort des ménages. Il semble néanmoins qu'un effet de plafonnement soit observé ces dernières années car l'augmentation de leur montant n'a pas réduit sensiblement le taux d'effort net, du fait de l'effet de ciseau entre l'évolution du revenu des allocataires et celle de leur charge de logement. D'ailleurs, lors du projet de loi de finances pour 2015, le ministère du logement escomptait une simple stabilisation des taux d'effort nets.
Troisième constat : les aides personnelles au logement soulèvent de nombreux problèmes d'inégalité. Inégalité géographique, tout d'abord. Si une modulation par zonage prend en compte les différences de loyers, celui-ci ne réduit pas les écarts de taux d'effort entre zones. Le rapport montre que quelle que soit la zone, tendue ou non, les écarts entre les taux d'effort brut et net sont identiques, ce qui signifie que les aides personnelles au logement n'apportent pas plus d'aides dans les zones où les loyers sont plus élevés.
Inégalité aussi selon les catégories de bénéficiaires. Si les trois premiers déciles de revenus sont particulièrement ciblés, les classes moyennes les moins favorisées, soient en les déciles 4 et 5, ont été progressivement exclues du dispositif : un couple avec deux enfants ne bénéficie des aides personnelles au logement que si son revenu est inférieur à deux SMIC, alors qu'à l'origine, il les percevait avec un revenu équivalent à quatre SMIC.
Inégalité encore selon le mode d'habitation. Comme le barème est identique pour le parc social et le parc privé, et comme les loyers réels sont très différents, les locataires du parc social bénéficient d'un phénomène d'avantage comparatif, appelé parfois « avantage HLM ». Cet avantage est estimé à 260 euros par mois en moyenne. Cette inégalité est d'autant plus forte dès lors que le parc social ne peut accueillir tous les ménages à faible ou à très faible revenu.
Inégalité enfin à l'égard des étudiants : les 2,4 millions d'étudiants peuvent percevoir une aide versée sans conditions de ressources. En pratique, un tiers des étudiants bénéficient d'une aide au logement et les deux-tiers des bénéficiaires sont des non-boursiers. Certes incompatibles avec le versement aux parents des allocations familiales, ces aides ne les obligent pas pour autant à exclure l'enfant de la déclaration fiscale. Le montant total des aides au logement allouées aux étudiants s'élève à 1,5 milliard d'euros.
Quatrième constat : les aides personnelles au logement soulèvent une question de soutenabilité budgétaire. Empruntant des canaux de financement particulièrement complexes, ces dépenses ont particulièrement progressé ces dernières années. Comment à l'avenir garantir le financement de ces aides, qui dépend de la contribution des employeurs au titre de l'effort pour la construction ou des crédits budgétaires sur lesquels pèsent de fortes contraintes ?
Cinquième constat : les aides personnelles au logement sont très complexes pour les usagers. Cette prestation est instable, puisqu'elle dépend des changements de situation professionnelle et se traduit bien souvent par des montants erratiques versés chaque mois alors même que la dépense de logement est constante, d'où un phénomène considérable d'indus : les aides au logement représentent près de la moitié des indus identifiés par le contrôle interne des CAF. Les indus, qui représentent 10 % des aides personnelles au logement, pèsent sur les coûts de gestion qui représentent environ 600 millions d'euros, soit 3,5 % du total des aides personnelles au logement versé et un coût unitaire le plus élevé après le RSA.
Sixième constat : les aides personnelles au logement créent un risque d'effet inflationniste. Diverses études économiques le démontrent, elles font l'objet d'une appropriation par les bailleurs en donnant lieu à une augmentation de loyer. Ces études économétriques sont néanmoins contestées par certains spécialistes qui estiment que l'augmentation des loyers intègre un facteur « qualité des logements ». Même si ces études mériteraient d'être approfondies, il y a une présomption économétrique très forte du caractère inflationniste des aides personnelles au logement, notamment dans les zones tendues et pour le logement étudiant.
Dernier constat : si les aides personnelles au logement ont un impact sur la demande de logement, il est beaucoup plus difficile d'identifier leur effet sur l'offre.
Compte tenu de ces constats, la Cour des comptes a analysé les pistes de réformes en fonction de divers critères - impact sur les finances publiques, complexité, coût de gestion, risque d'effets inflationnistes, risque d'effets négatifs sur d'autres politiques publiques, impact social. Trois orientations principales ont été dégagées : simplification du système, accroissement de son équité, réduction de son coût.
Pour ce qui est de la simplification du système, la Cour des comptes estime que certaines recommandations ne sont pas probantes. Ainsi en est-il de la fusion des trois aides qui constituent les aides personnelles au logement. Le gain serait incertain au regard de contraintes liées à l'unification du pilotage de ces aides. De même, les coûts de gestion augmenteraient en cas de déclaration périodique des revenus par les allocataires.
En revanche, des réformes techniques plus modestes peuvent être envisagées comme l'harmonisation des dates d'effet des aides personnelles au logement par rapport aux autres prestations sociales ou la simplification des mesures d'abattement et de neutralisation en cas de chômage. La Cour, qui souhaite une expertise de ces réformes techniques, a également estimé que figer le montant de l'aide pendant six mois, hypothèse assez régulièrement évoquée et qui semble faire consensus, diminuerait les coûts de gestion et le nombre d'indus.
Deuxième orientation : aller vers plus d'équité. En 2012, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) souhaitait que le taux d'effort soit le même pour les allocataires du secteur social et ceux du secteur privé. La Cour des comptes estime cette réforme difficile à mettre en oeuvre à coût constant car elle aboutirait à financer la hausse des aides au parc privé par la baisse des aides au secteur social. Sans compensation, le risque pour les finances publiques serait majeur et l'effet inflationniste ne serait pas négligeable du fait du risque de captation de l'aide supplémentaire par les bailleurs privés.
La MAP (Modernisation de l'action publique) avait proposé d'écrêter les taux d'effort. Le Haut Conseil de la famille avait envisagé un système de bonus pour les loyers supérieurs à 120 % du loyer plafond. Toutefois, ces deux propositions entraînent un risque pour les finances publiques. Un taux d'effort plafonné à 25 % coûterait 1,4 milliard d'euros.
La Cour des comptes considère que deux voies de réformes méritent attention : le régime d'aide pour les étudiants tout d'abord. Toute réforme doit prendre en compte d'éventuels effets sur les politiques menées en faveur de l'enseignement supérieur, alors que le Gouvernement souhaite que la moitié de chaque classe d'âge soit diplômée. La proportion de boursiers est d'environ 30 %. En conséquence, la Cour des comptes est plutôt réservée sur des réformes telles que l'alignement complet des aides sur le système des bourses ou la création d'une allocation d'autonomie sans condition de ressources, dont le coût ne serait pas contrôlable. En revanche, il conviendrait d'étudier la possibilité de mettre fin aux aides personnelles au logement pour les étudiants rattachés au foyer fiscal parental, les familles choisissant alors entre cette aide et la demi-part fiscale. Cette mesure accroîtrait l'équité, dégagerait 120 millions d'euros d'économies et éviterait de limiter les aides personnelles au logement à une fraction limitée des étudiants au regard des objectifs du Gouvernement.
Une deuxième voie consisterait à réduire les inégalités entre parc social et parc privé. Certaines réformes seraient difficiles à mettre en oeuvre. Ainsi en serait-il de l'intégration dans le revenu fiscal de la subvention implicite liée à l'occupation d'un logement social représenterait un montant de 1,8 milliard d'euros. Ce serait irréaliste puisque l'effort fiscal additionnel porterait sur les seuls locataires du parc social. Autre piste écartée en raison de son coût pour les finances publiques, la réduction du taux d'effort net des locataires du parc privé. En revanche, des mesures plus modestes sont envisageables comme celle d'imposer un minimum de participation aux charges de logement pour tous les allocataires.
La troisième orientation générale porte sur la maîtrise globale du coût des aides personnelles au logement. Envisageable, puisqu'il est pratiqué dans d'autres pays comme le Royaume-Uni, le contingentement rend très difficile de gérer des dépenses de guichet : il faudrait disposer de données précises sur les besoins réels au niveau local afin de fixer des enveloppes départementales. Cette gestion serait d'autant plus complexe que les aides à la pierre sont déconnectées des aides à la personne. Les acteurs ne sont en effet pas les mêmes et ils ne dialoguent pas nécessairement territoire par territoire.
Grâce aux études de l'École d'économie de Paris, nous avons examiné certaines réformes systémiques. La première transformerait les aides personnelles au logement en crédit d'impôt sur le revenu ou en impôt négatif. Cela supposerait une déduction partielle ou totale du loyer du revenu imposable. Cette réforme radicale réduirait les inégalités entre locataires des parcs social et privé, mais poserait des problèmes pratiques considérables, d'autant que la gestion de l'impôt sur le revenu est décalée par rapport au paiement des loyers et qu'il faudrait financer le manque à gagner fiscal. Enfin, la simulation fait apparaître une majorité de perdants.
Autre réforme envisageable, le découplage des aides du montant du loyer, comme cela se pratique en Espagne, dégagerait des économies et favoriserait une simplification des barèmes ainsi qu'un rapprochement des aides personnelles au logement des autres prestations sociales. Toutefois, une allocation indépendante des loyers produirait un avantage supplémentaire aux ménages résidant dans le parc social. Un moyen devrait alors être éventuellement trouvé pour préserver une équité entre les deux parcs et la simulation fait apparaître une importante proportion de perdants.
Dernière piste, partir du principe que ces aides sont efficaces en tant que prestations sociales, poursuivre ce raisonnement et aller dans la voie du découplage, afin que les aides personnelles au logement ne soient plus affectées exclusivement au logement. À terme, cela signifie la fusion avec des dispositifs généraux de type RSA. Cette hypothèse rejoint des expériences étrangères : en Allemagne, deux dispositifs fonctionnent conjointement, avec des aides gérées par les Länder et réservées à ceux qui n'ont droit à aucune autre prestation sociale (1 milliard d'euros et 2 % des ménages), et un dispositif d'assistance géré par les communes (15 milliards d'euros et 8 % des ménages). Avec l' Universal credit , le Royaume-Uni prévoit une fusion de quatre prestations sociales et de deux dépenses fiscales d'ici 2019. Selon une microsimulation, une telle réforme n'affecterait directement qu'un tiers des ménages, mais une réforme d'une telle ampleur imposerait de définir précisément le champ des bénéficiaires et la périodicité.
En conclusion, la Cour des comptes constate que les critiques portées à l'encontre des aides personnelles au logement sont nombreuses : multiplicité des objectifs, difficulté à maîtriser l'interaction avec le logement social, inefficacité du zonage, caractère instable et imprévisible des aides pour les bénéficiaires, difficulté de contenir la dépense en période de chômage élevé, caractère en partie inflationniste, problèmes d'équité... En revanche, la principale efficacité de ces aides réside dans leur caractère redistributif, en dépit des inégalités entre les statuts d'occupation des logements.
Les nombreuses réformes de gestion envisageables doivent être analysées à partir de critères de pertinence, d'efficacité et de faisabilité. La Cour des comptes doit se borner à éclairer les choix possibles sans hiérarchiser les solutions. Deux options finales sont envisageables, cantonner les propositions de réforme au dispositif lui-même ou refondre le système. Il y a là une opposition entre le court et le long terme. La première option pourrait déboucher sur des décisions techniques rapides, comme le fait de figer l'aide sur six mois, de simplifier les modalités de calcul, de modifier l'aide apportée aux étudiants, de prévoir une participation minimale aux charges de logement...
La Cour des comptes souligne l'intérêt de ne pas oublier le long terme, à savoir une approche globale qui inclurait les aides personnelles au logement dans l'ensemble des prestations sociales. Les aides personnelles au logement ont en effet été créées il y a plus de quarante ans, dans un contexte économique et social radicalement différent. Afin de mieux répondre aux priorités actuelles et compte tenu de leur efficacité comme instrument de politique sociale, il serait intéressant de rapprocher cet instrument des autres prestations sociales destinées aux personnes à ressources modestes.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement » . - Je remercie la Cour des comptes pour cette présentation : son rapport remet à plat le dispositif des aides personnelles au logement, constate ses lacunes et ses dérives et présente les réformes envisageables.
Nous avons constaté, au cours des dernières années, une dépense croissante (18 milliards d'euros), une prévision budgétaire systématiquement en-deçà de la réalité constatée en loi de règlement et une subvention d'équilibre au Fonds national d'aide au logement (Fnal), versée par l'État, plus élevée que le montant initialement inscrit en loi de finances.
Sur ces différents points, la Cour des comptes n'a pas manqué de confirmer l'analyse que nous avions pu faire. La question de la soutenabilité financière du système est d'autant plus cruciale que la subvention de l'État en 2014 n'était pas à la hauteur des dépenses. L'État a ainsi reconstitué vis-à-vis du Fnal une dette de 170 millions d'euros l'année dernière et il est certain que cette dette va s'accroître à la fin de l'exercice en cours. On ne peut pas laisser les choses en l'état.
Après avoir mentionné l'existence de deux modèles de prévision des dépenses - l'un, propre à la Cnaf qui verse les aides aux bénéficiaires, l'autre utilisé par les ministères chargés du logement et du budget -, la Cour des comptes recommande de « renforcer le pilotage budgétaire des aides au logement, en unifiant les hypothèses macro-économiques retenues par les administrations et en améliorant la connaissance des déterminants réels de la dépense ». Cette préconisation est de bon sens.
J'aimerais interroger les représentants des ministères sur cette recommandation : des travaux sont-ils réalisés en ce sens et, dans l'affirmative, à quelle échéance peut-on espérer une mise en oeuvre ? Comment comptez-vous présenter un budget plus sincère pour 2016 ? Une inscription insuffisante n'est-elle pas une facilité pour boucler les budgets ? Il est difficile de croire que les aides personnelles au logement stagnent compte tenu des conditions économiques et du fait que le chômage augmente.
L'enquête s'intéresse également à l'efficacité des aides personnelles au logement, en s'interrogeant sur ses résultats au regard des multiples objectifs qui leur sont assignés, et en particulier sur leur capacité à réduire le taux d'effort des ménages bénéficiaires. Sur ce point particulier, il y a une question régulièrement soulevée et que la Cour des comptes ne tranche pas vraiment. Oui ou non, les aides personnelles au logement ont-elles un effet inflationniste sur les loyers dans le parc privé ? La Cour des comptes se borne en effet à recommander d'« analyser la réalité et l'étendue de l'effet inflationniste des aides personnelles au logement ». Néanmoins, Pascal Duchadeuil m'a semblé un peu plus affirmatif sur ce point.
Pour ma part, je considère depuis longtemps que, dans certains cas, notamment dans les zones tendues et pour le logement étudiant, l'effet inflationniste n'est pas contestable. Les prix de loyer au mètre carré en Seine-Saint-Denis s'élèvent à 20 euros pour des appartements à peine louables. De tels montants ne sont possibles que grâce aux aides personnelles au logement et le propriétaire prend le risque, de ce fait, de louer à des familles à revenus faibles. Cet effet inflationniste est évident, même s'il est difficile de le quantifier.
Le Gouvernement envisage-t-il de réaliser des études pour mesurer cet effet inflationniste ? Ce matin, j'ai lu que le Gouvernement pourrait aller jusqu'à supprimer l'aide personnelle au logement au-delà d'un certain montant au mètre carré, notamment en zone tendue. Pourquoi ne pas envisager une mesure moins radicale en réduisant l'aide personnelle au logement au fur et à mesure de l'augmentation du prix au mètre carré ? Je ne sous-estime pas la difficulté de mise en oeuvre d'une telle mesure : encore faudrait-il que la Cnaf dispose de multiples données.
Notant l'insuffisante adaptation des aides personnelles aux disparités entre les territoires, la Cour des comptes relève l'obsolescence des zonages très anciens et décalés de la réalité. Le ministère compte-t-il les réviser et dans quels délais ?
Certaines études préconisent un écrêtement des aides en-deçà d'un taux d'effort minimum des ménages. Cette piste est intéressante et un montant de 1,2 milliard d'euros d'économies est évoqué. Un taux d'effort minimum ne serait-il pas une mesure d'équité, alors que les ressources budgétaires sont de plus en plus rares et que l'écart se creuse entre parc social et parc privé ? Cette piste d'économie est la plus importante, quitte à ce qu'elle soit en partie redistribuée. Par exemple, la réforme de l'aide personnelle au logement pour les étudiants proposée par la Cour des comptes ne rapporterait que 120 millions d'euros, ce qui reste relativement faible par rapport aux 18 milliards d'euros de dépenses associées aux aides personnelles au logement.
Lors de la dernière loi de finances, le Gouvernement voulait transformer les aides personnelles à l'accession en un mécanisme de « filet de sécurité ». Considérant qu'il était urgent d'attendre, le Parlement a décalé l'entrée en vigueur de cette réforme d'un an. Ces aides à l'accession sont nécessaires, car elles solvabilisent des ménages aux ressources modestes et sont susceptibles de favoriser la libération de logements locatifs, notamment dans le parc social. Le ministère prévoit-il toujours de mettre en oeuvre la réforme des aides personnelles « accession » dès le 1 er janvier prochain ?
La Cour des comptes qualifie les aides personnelles au logement pour les étudiants de dispositif atypique. Tous les Gouvernements se sont posé la question et ils ont tous fini par reculer. Il semblerait que ce soit encore le cas. Je continue à penser que ce système est injuste. Un intéressant graphique démontre que le cumul de l'aide apportée par l'aide personnelle au logement et la demi-part fiscale bénéficie plus aux deux déciles les plus élevés de revenus qu'à ceux des classes moyennes. Il serait plus équitable que les parents choisissent entre la demi-part fiscale et les aides personnelles au logement.
La Cour des comptes a rappelé que les indus étaient importants, les coûts de gestion aussi. Peut-être pourrait-on suggérer aux ministères de figer l'aide sur trois ou six mois ? Est-ce une piste que vous étudiez ? Dans quels délais de mise en oeuvre ?
Quant au big-bang , le système actuel est effectivement compliqué et coûteux. On voit bien que l'améliorer entraînerait des coûts de gestion supplémentaires. Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux changer de logique et prendre modèle sur la Grande-Bretagne qui expérimente une prestation sociale unique déconnectée des loyers pour éviter le phénomène inflationniste ? Est-ce une direction possible ? Y travaillez-vous ?
M. Denis Morin, directeur du budget . - Nous sommes en discussion tous les ans avec la Cour des comptes sur la qualité de nos prévisions. Le Gouvernement et la Cour des comptes ont également l'occasion d'échanger lors de la publication du rapport relatif aux finances publiques, dans la première partie de l'année. La Cour des comptes reconnaît la qualité croissante de nos prévisions sur les recettes et les dépenses. Nos méthodes s'améliorent, s'harmonisent, s'unifient. Les principes de sincérité et de soutenabilité qui sont au coeur de la LOLF sont reconnus comme nécessaires et d'ailleurs contrôlés par le juge.
Nous devons encore améliorer la qualité de nos prévisions en matière de prestations sociales, qui sont parfois difficiles à cerner. Nous avons progressé ces dernières années dans la qualité de prévision de l'allocation pour adulte handicapé (AAH) dont l'évolution avait été mal appréhendée par les administrations. Au moment où nous proposons les dotations budgétaires pour le projet de loi de finances, nous avons désormais des échanges approfondis pour mieux cerner la population éligible, avec les directions chargées des études comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ou la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Quant aux aides personnelles au logement, c'est un sujet où les prévisions peuvent difficilement être parfaites, car nous devons faire des hypothèses sur le nombre de bénéficiaires mais aussi sur l'ensemble des ressources contribuant à leur financement, ce qui renvoie aux hypothèses générales de la loi de finances. L'écart à la prévision, observé en exécution ces dernières années, se situe entre 2 et 2,5 %, ce qui n'est pas considérable en pourcentage.
Compte tenu du calendrier de cette audition, il m'est difficile de dévoiler les économies du projet de loi de finances qui doit être rendu public le 30 septembre prochain, après présentation en conseil des ministres. Une réflexion collective intense s'est engagée sur le logement, avec une contribution décisive de la Cour des comptes. Il y a eu également une évaluation des politiques publiques de très grande qualité, ce qui sera utile aux administrations. Il appartient au Gouvernement de rendre ses arbitrages.
La direction du budget approuve l'essentiel des constats de la Cour des comptes. J'ai moi-même été entendu par la formation inter-chambres. Nous sommes cependant plus préoccupés par l'effet inflationniste des aides personnelles au logement qui marque la limite du système. On a, avec la « réforme Barre » des années 70, basculé d'une approche ségrégative des aides à la pierre, à un régime d'aides personnelles qui a contribué à entretenir les rentes dans un secteur à l'impact économique majeur. Malgré l'importance des aides publiques (plus de 2 % du PIB, soit deux fois la moyenne de l'Union européenne), nous n'arrivons pas, depuis trente ans, à régler le problème de l'adéquation entre l'offre et la demande de logements, ce qui pousse les prix à la hausse dans les zones denses et rend d'autant plus difficile l'accès au logement. La nécessité d'un ciblage beaucoup plus précis des aides personnelles au logement s'est également confirmée année après année pour permettre aux ménages aux revenus les plus faibles d'accéder à un logement.
À titre purement personnel, je ne serais pas choqué, ni comme directeur du budget, ni même comme parent d'élèves, que l'on mette en oeuvre la proposition de la Cour des comptes d'imposer aux ménages de choisir entre le rattachement de l'étudiant au foyer fiscal ou le bénéfice des aides personnelles au logement. Le cumul des deux types d'aide n'est pas logique, ni équitable, car l'on traite de la même manière les enfants des cadres supérieurs et ceux issus de foyers plus modestes. C'est un sujet difficile qu'il conviendrait d'aborder, sans me prononcer sur les prochains arbitrages.
Pour améliorer nos hypothèses de prévision, nous nous sommes rapprochés de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (Dhup) et de la Cnaf. C'est un effet positif des observations de la Cour des comptes que de pousser l'administration à améliorer ses prévisions et à présenter au Parlement des évaluations plus fiables, plus sincères et plus soutenables.
M. Laurent Girometti, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages . - Nos prévisions se sont déjà améliorées depuis notre audition à la Cour des comptes. Un travail est en cours sur l'élasticité des différents paramètres, les plus importants d'entre eux étant d'ailleurs désormais partagés avec la Cnaf. Des incertitudes demeurent évidemment, également sur les prévisions de recettes, car le Fnal est conçu de telle sorte que le budget de l'État intervient in fine en ajustement.
Le ministère du logement donne une appréciation plus nuancée de l'effet inflationniste des aides personnelles au logement, en rejoignant la recommandation de la Cour des comptes. Certaines situations qui ont été mesurées ne sont pas forcément générales. Il est certain que l'instauration de l'attribution des aides personnelles au logement aux étudiants, en même temps que l'évolution du loyer des petits logements dans une ville étudiante fait fortement présumer un effet inflationniste. C'est moins net sur des catégories de logements différentes ou dans d'autres secteurs : la mesure de la part captée par le bailleur ou celle des effets des aides personnelles au logement sur la qualité des logements restent à documenter. Il faut également se méfier de la généralisation à partir de situations telles que celles que les évoquait Philippe Dallier, de mal logement et de loyers très élevés. Le contrôle de la décence, le non-versement de l'allocation lorsque la non-décence est avérée, comme le prévoient la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (loi Alur) et le décret paru en février dernier, sont des voies d'intervention qui pèsent sur les propriétaires. Nous ne disposons cependant pas de données pour apprécier l'ampleur ou la généralité statistique du phénomène. Enfin, si nous diminuons les aides personnelles au logement, les loyers baisseront-ils forcément ? L'expérience du Royaume-Uni, même très partielle, montre que ce n'est que dans de faibles proportions et très lentement. Nous restons prudents sur ce point.
Le zonage est ancien et établi à partir de la taille des collectivités. En le faisant évoluer, on risque d'affecter le volume des aides. La problématique est à peu près similaire à une réforme unifiant les taux d'efforts entre le parc social et le parc privé, qui pourra difficilement se faire à coût constant, comme le disait Pascal Duchadeuil, avec un nombre important de perdants potentiels. Il serait en tout état de cause difficile d'effacer totalement les différences de taux d'effort entre les zones.
Quant aux étudiants, le choix entre la demi-part fiscale ou l'aide personnelle au logement est une possibilité dont il faut mesurer l'impact. En effet, la demi-part fiscale est plafonnée, il est possible qu'un tel choix pénalise les classes moyennes. Une autre piste consisterait à intégrer le revenu des parents dans le système. Quant à l'effet figé, c'est une idée qui mérite une étude approfondie.
Enfin la refonte complète du système ouvrirait un chantier de longue haleine qui se déploierait sur plusieurs années. Au Royaume-Uni, la réforme qui a été initiée il y a quatre ou cinq ans n'est toujours pas complètement mise en oeuvre.
M. Denis Morin . - Pour tempérer l'enthousiasme général sur l'effet figé, je voudrais signaler que plus du quart des allocataires changent de situation chaque année. Cette grande mobilité est due au chômage ou aux accidents de la vie. Comment expliquer à un allocataire brutalement devenu chômeur que ses droits continueront d'être calculés pendant six mois sur sa situation antérieure ? Nous devrons nécessairement adapter le dispositif. En figeant le système, nous risquons de créer une dissymétrie dans le traitement des situations, avec en plus des coûts induits.
Je partage la prudence de mon collègue sur la fusion des minima sociaux et le découplage de l'aide personnelle au logement évoqués par la Cour des comptes. La stabilité des règles ne s'accommode pas de modifications substantielles année après année, si on veut que les taux de recours soient croissants et que les bénéficiaires d'aides publiques puissent faire valoir leurs droits. Mieux vaudrait voir comment évolue le rapprochement de la prime pour l'emploi et du RSA « activité », qui sera bientôt mis en oeuvre, avant d'enclencher une étape supplémentaire de réforme. En revanche, nous continuerons à travailler pour réduire la complexité du dispositif et les inégalités de traitement et favoriser la réduction du coût global de la politique d'aide au logement qui s'établit à 2 % du PIB pour une moyenne de l'Union européenne qui est à 1 % du PIB.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le fait que la superficie du logement ne soit pas davantage prise en compte lors de l'attribution des aides personnelles au logement n'est-il pas de nature inflationniste ? Preuve en est l'inapplication de la taxe Apparu, qui concerne les logements de petites surfaces jusqu'à 14 mètres carrés. En 2014, le rendement de cette taxe sur les loyers élevés s'est élevé à 1 354 euros (1 325 euros en 2013) : il semblerait qu'un seul contribuable s'en soit acquitté. Nous avons un problème d'égalité devant l'impôt ou d'application de la loi fiscale. À quoi servons-nous, parlementaires ? Philippe Dallier a raison, le calcul de l'aide personnelle au logement qui aboutit à des loyers aberrants pour certains logements en sur-occupation a un caractère inflationniste. Ne faudrait-il pas, comme le propose la Cour des comptes, alimenter un fichier sur les logements et instaurer un plafond par mètre carré ? On éviterait ainsi d'avoir des loyers de 700 euros pour 10 mètres carrés et le commerce des marchands de sommeil.
Mme Michèle André , présidente . - Nicole Bricq, qui fut à votre place, serait heureuse d'entendre vos propos sur la taxe Apparu, qui confirment les analyses qu'elle nous avait présentées.
Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Comme Philippe Dallier, je souhaite que nous trouvions des solutions pour éviter la sous-évaluation du budget et maintenir les aides personnelles « accession » pour lequel nous avions obtenu un report l'an dernier. Le ministère a-t-il examiné les modèles étrangers d'aides personnelles au logement ? Quelles leçons pourraient en être tirées ?
Mme Caroline Cayeux , rapporteure de la commission des affaires sociales . - Les aides personnalisées au logement ne sont plus financées par la branche famille, depuis que la loi de finances pour 2015 a transféré sur le budget de l'État auparavant financée par elle, en contrepartie de l'application du pacte de responsabilité et de solidarité. Ce transfert a-t-il dégagé des économies ? Son financement par le budget a-t-il un impact sur la soutenabilité du dispositif ? Le coût des indus et des fraudes est-il compensé par l'État ? J'ai géré deux projets d'accession sociale à la propriété dans ma commune, et l'évolution des dispositifs ont conduit certaines familles à renoncer à leur investissement. C'est regrettable d'autant qu'en devenant propriétaires, elles sont susceptibles de libérer des logements dans le parc social.
Mme Marie-France Beaufils . - La Cour des comptes constate que les dépenses ont progressé presque parallèlement à la dégradation des revenus des ménages - 75 % des bénéficiaires de l'allocation logement sont dans les trois premiers déciles de l'impôt. Il aurait fallu un graphique pour comparer l'évolution des deux courbes.
L'effet pervers de l'aide au logement, qui aurait contribué à augmenter le coût au mètre carré du logement, est difficile à mesurer. Ce qui est certain, c'est que l'abandon de l'aide à la pierre empêche de peser sur le coût de sortie des prix des logements. Autre effet pervers, si le parc social doit loger des gens en très grande difficulté, avec des loyers très bas, les nouvelles constructions ne permettent plus d'accueillir les populations les plus fragiles malgré les aides au logement. Ne faudrait-il pas revoir le coût initial de la construction et le coût final du logement, avant de s'attaquer aux seules aides personnelles au logement ?
M. Thierry Carcenac . - Le rapport a le mérite d'ouvrir de nombreuses pistes de réflexion sur l'accession au logement et la façon de s'y maintenir. Il n'y a pas que les aides personnelles au logement, l'enquête mentionne par exemple le Fonds de solidarité pour le logement (FSL). En 2013, c'est presque 20 milliards d'euros de prestations d'aide au logement qui ont été distribués, dont 18 milliards d'euros d'aides personnelles au logement. Mais il y a le reste. Sans nier que la soutenabilité des aides personnelles au logement est une vraie difficulté pour le budget de l'État, il faudrait veiller à ce que d'éventuels transferts ne viennent pas affecter les autres aides.
L'articulation entre les aides est essentielle et mérite d'être étudiée, comme lors de la fusion du RSA « activité » et de la PPE. Enfin, à côté du cas des étudiants, les aides personnelles au logement pour les personnes âgées en Ehpad posent également la question du reste à charge qui est important. Vous avez ouvert des portes ; des questions demeurent.
M. Marc Laménie . - Si je salue le travail accompli pour réunir et analyser une telle masse d'informations, je regrette la complexité des dispositifs existants, qui est aussi due à la multiplicité des intervenants : communes, départements, allocations familiales, centres communaux d'action sociale (CCAS), actions de solidarité logement... C'est une jungle. Mes collègues Caroline Cayeux et Dominique Estrosi Sassone ont à juste titre souligné l'importance des coûts. La tâche reste immense.
M. Claude Raynal . - Ce rapport étoffé est clair sur les difficultés, moins riche sur les solutions. La Cour des comptes en liste un certain nombre, mais en ferme beaucoup. Les évolutions possibles restent limitées compte tenu des enjeux et des montants financiers. Nous devons nous féliciter que les aides soient bien ciblées. Ce n'est pas un constat si fréquent dans les politiques publiques. Qu'il s'agisse de l'aide aux ménages les plus modestes ou de la réduction du taux d'effort des ménages (11 % dans le parc social contre 20 % dans le parc privé, et il n'est pas rare qu'il atteigne 40 % pour ceux qui ne reçoivent aucune aide), notre politique publique est une réussite. Cela ne peut également que nous encourager à augmenter la production de logements sociaux.
Je partage les inquiétudes de mes collègues sur l'effet inflationniste des aides dans les zones tendues et dans le parc privé. Il existe d'ailleurs une tendance à transformer en parc social public des logements privés, en recyclant les appartements les plus délabrés. Les solutions restent à trouver. Établir un montant plafond d'aides personnelles au logement au mètre carré comme le suggérait le rapporteur général peut être intéressant. C'est en tout cas une évolution positive, qui rejoint le sujet du blocage des loyers dans les zones tendues.
L'administration s'est montrée prudente sur la question de l'instabilité des aides et de la gestion des indus. Fixer les montants d'aides sur une durée plus longue reste, selon moi, une piste qu'il nous faut explorer. Pour ne léser personne, on pourrait prévoir une possibilité de régularisation ex post au bout de six mois. Chacun a intérêt à ce qu'on gagne en visibilité. Les aides au logement ont une utilité sociale indiscutable, ce n'est pas forcément là qu'il faut d'abord chercher à réduire les coûts.
M. Francis Delattre . - Je ne suis pas convaincu que notre politique publique de logement soit une réussite : notre dépense publique est supérieure à celle de nos voisins et nous connaissons une crise du logement. Le vrai problème est celui de la soutenabilité financière. La difficulté est que le logement en France est trop cher. L'enjeu n'est pas que social, mais économique. Les normes, le foncier sont des alibis. En France, le logement coûte bien plus cher qu'en Allemagne ou en Belgique. À chaque loi sur le logement, on ajoute des normes qui ont des conséquences sur le coût, mais aussi sur la qualité des logements. Est-il utile de faire 100 % de logements accessibles aux handicapés ? 20 % à 30 % suffiraient. Plutôt que de définir le logement social à partir de son financement, nous préférerions qu'il le soit au regard de ses occupants, en envisageant des logements sociaux financés par le secteur privé.
Je suis un peu déçu par votre timidité, monsieur le Président, sur la fusion d'un certain nombre d'aides sociales. On pourrait, sans reprendre à l'identique ce qui a été fait en Angleterre, globaliser d'autres aides sociales. Si les aides sociales sont souhaitables, les aides fiscales à la construction apparaissent beaucoup plus discutables. Grâce à la solvabilisation d'une partie de la population, l'investisseur cumule l'avantage fiscal et la garantie du bénéfice des loyers. Il faudrait que la Cour des comptes examine cela de près. L'accession sociale doit rester dans l'aide à la pierre. Regardez les panneaux immobiliers : que l'aide de l'État s'améliore de 5 %, et aussitôt le prix minimum du logement augmente de 5 %. Les professionnels admettent que l'on puisse repositionner la politique du logement. Enfin, la responsabilité devrait être mieux partagée, notamment par les agglomérations, la principale difficulté des logements sociaux concerne la réservation.
Mme Fabienne Keller . - Je salue le travail de la Cour des comptes et la ténacité de notre collègue Philippe Dallier sur ce sujet. L'accès au logement et les charges qui y sont liées sont des sujets vitaux pour nos concitoyens, au même titre que l'emploi. L'équité et la justice dans le calcul du montant des aides sont mesurables par chacun dans son immeuble et dans son quartier. Vous commentez longuement la question des indus. Les variations à contretemps de leur situation sont désastreuses pour des personnes qui ne disposent d'aucune épargne. Le sujet est complexe. Il ne faudrait pas non plus, par exemple, qu'une recherche de stabilité dans les aides décourage le retour à l'emploi. Il est impératif de lutter contre l'effet inflationniste des aides, qui alimenteront ce contre quoi elles sont censées lutter, si elles sont mangées par la hausse générale des prix. Votre étude comparative avec le Royaume-Uni est particulièrement intéressante pour la fusion des aides personnelles au logement et des minima sociaux. Les caisses d'allocations familiales ont une gestion fine et une connaissance globale des situations des familles, ce qui pourrait contribuer à rendre d'autant plus efficaces les dispositifs d'aides.
M. Daniel Raoul . - J'ai lu avec intérêt ce rapport encore sous embargo. La question de la soutenabilité financière préoccupe tout le monde. Le financement du Fnal conduit à une dérive de l'aide à la pierre vers l'aide à la personne, alors que la priorité devrait être de favoriser la construction, ce qui pourrait avoir ensuite pour effet de faire baisser les loyers. Je suis heureux que tout le monde reconnaisse enfin le caractère inflationniste de l'aide personnelle au logement dans les zones tendues. Par ailleurs, s'agissant des étudiants, je ne comprends pas qu'on continue à ne pas imposer le choix entre l'aide personnelle au logement et le rattachement au foyer fiscal parental. Le dispositif est injuste au niveau fiscal et contraire à son objectif.
Bien que votre rapport ferme certaines pistes de réformes, il en reste quelques-unes. Enfin, sur les iniquités, il faudrait réaliser une simulation réelle à partir d'un taux d'effort normalisé. Cela suppose de faire la somme de toutes les ressources pour déterminer ce taux. N'est-il pas plus simple d'instaurer ce taux d'effort normalisé plutôt que de fusionner les aides ?
Mme Michèle André , présidente . - Le rapport que la Cour des comptes nous remet au titre de l'article 58-2° de la LOLF est sous embargo jusqu'à ce que la commission en ait autorisé la publication mais est mis à la disposition des commissaires la veille de l'audition.
M. Gérard Longuet . - Je partage l'analyse de Charles Guéné au nom duquel je m'exprime. En effet, l'excellent rapport de la Cour des comptes méconnaît, concernant les aides aux étudiants, l'inégalité géographique entre les familles selon qu'elles habitent près ou loin d'une ville universitaire. Certains enfants ont la mauvaise idée de choisir des villes universitaires différentes les uns des autres pour faire leurs études, obligeant ainsi leurs parents à multiplier leur effort.
M. Maurice Vincent . - Dispose-t-on d'une estimation des économies que représenterait pour le budget de l'État l'obligation du choix entre la demi-part fiscale et le bénéfice de l'aide au logement pour les étudiants ?
M. Michel Bouvard . - On ne peut pas raisonner comme il y a quarante ans, ni sans tenir compte de l'accroissement de l'aide personnelle au logement et de la disparition progressive de l'aide à la pierre. Ce qui est en jeu, c'est la capacité des organismes à financer l'aide au logement, à développer leur autofinancement et à favoriser la rotation du parc, celle-ci s'étant effondrée avec la crise et la disparition des parcours d'habitat. Si l'on veut dégager des économies, il faut s'interroger sur le coût de production des logements, sur celui des aides, et sur la capacité des organismes à réaliser une partie du patrimoine. Le modèle développé par la Société nationale immobilière est très intéressant à cet égard : il favorise le financement des constructions nouvelles par des fonds propres sans faire appel systématiquement à la puissance publique.
L'un des freins à la révision des zonages, c'est que plus l'on monte dans le zonage, plus le niveau des aides est élevé. Les zonages applicables à la construction ne correspondent pas à la réalité des coûts, ni à celle des tensions. Lorsqu'on a besoin de logements sociaux dans les stations de sports d'hiver, pour loger les salariés et les enfants du pays, et qu'on ne peut rien faire, car en zone C, on est censé construire au même prix qu'au milieu de la Lozère, c'est bien que le zonage est absurde.
Quant aux étudiants, le maintien du système actuel est le fruit d'un manque de courage collectif, malgré les modifications des parts fiscales. Cependant, dans la période où nous sommes, on ne peut pas continuer d'accepter que des aides de l'État soient données deux fois.
M. Laurent Girometti . - S'il n'y a pas de plafonnement au mètre carré, il existe une aide calculée en fonction du loyer, des ressources et de la composition familiale. En zone 1, à Paris, le loyer est plafonné à 292 euros pour une personne seule, et à 457 euros pour une famille de deux enfants. Nous souscrivons tout à fait à la proposition de la Cour des comptes d'une connexion des bases de données sur les logements de la DGFiP et de la Cnaf.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Et qu'en est-il de mon contribuable unique ?
M. Laurent Girometti . - Je suis surpris que vous ayez ces chiffres. En général, on ne les communique pas quand il y a moins de onze contribuables. Cela renvoie à des logiques de plafonnement des loyers excessifs. Si l'encadrement des loyers porte ses fruits à Paris - il est en vigueur depuis le 1 er août -, ce genre de situation ne devrait plus exister. Nous restons techniquement réservés sur l'idée d'un pilotage par le taux d'effort. D'une part, il est difficile de fiabiliser la collecte des données, d'autre part cela risque d'entraîner des effets d'aubaine ou de captation par le bailleur si le taux d'effort est connu.
M. Denis Morin . - Pour répondre à Dominique Estrosi Sassone, nous cherchons par l'harmonisation de nos modèles et la collecte d'informations, à proposer chaque année au Gouvernement la plus juste évaluation possible, avec la difficulté particulière d'évaluer les recettes qui alimentent le Fnal, l'État apportant une subvention d'équilibre. En 2014, la survenue d'un choc de désinflation non anticipable a par exemple amené à changer la dépense constatée par rapport à celle qu'il était possible de prévoir avec les hypothèses de la loi de finances initiale.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Que la prévision soit difficile à établir, d'accord. Reconstituer de la dette en fin d'année, non. On pourrait faire en sorte que la dépense soit couverte dans la dernière loi de finances rectificative. On est à 170 millions d'euros fin 2014, on sera probablement à plus de 250 millions d'euros en 2015 : cela préoccupe la commission des finances.
M. Denis Morin . - Et qui nous préoccupe aussi, comme le montrent les débats que nous avons eus sur l'évolution globale des dépenses de l'État ou sur le niveau de la dette État-Sécurité sociale. La Cour des comptes effectue chaque année un travail global de consolidation pour voir quelle est la situation de l'État par rapport à la Sécurité sociale. Les chiffres sont publics.
Les coûts de gestion sont pris en charge dans le budget de l'État, sur une base forfaitaire. Il serait intéressant de retracer des données de comptabilité analytique pour nous assurer qu'il n'y a pas d'écart entre la réalité des coûts et ce qui est pris en charge par l'État. Les indus irritent autant la Cnaf que les allocataires. Un quart de la population change de situation chaque année : c'est considérable.
Je suis réservé sur les droits figés, même s'il faut poursuivre l'étude sur ce sujet. Je proposerai à mon cabinet de retenir les indus et les droits figés comme un des thèmes des revues de dépenses, afin d'avoir un audit précis. La Cour des comptes pourra également être amenée à creuser ce sujet qui court depuis trente ans déjà.
M. Pascal Duchadeuil . - La Cour des comptes n'a pas méconnu l'éloignement géographique sur l'aide aux étudiants, ce sujet apparaît dans l'enquête. S'agissant de la fusion des prestations, une annexe est consacrée à l'exemple du Royaume-Uni. Nous restons prudents, parce que cette expérience n'ayant pas encore pris son essor, il faudra attendre au minimum 2019 pour en tirer des conclusions. Un développement est également consacré aux aides personnelles « accession ». Nous n'avons pas été conclusifs, car une enquête plus générale est engagée, dont nous attendons les résultats. Les fraudes ont représenté 288 millions d'euros, en 2013, soit un taux de 1,7 %. Les indus se chiffrent à 1,57 milliard d'euros soit moins de 10 %. Les coûts de gestion s'élèvent à 600 millions d'euros. Un tableau (page 26) montre l'évolution du taux d'effort, et l'on constate un effet de stabilisation sur les dix dernières années aussi bien pour les personnes relevant des minima sociaux que pour le reste des salariés. Sur l'effet figé, la Cnaf nous a fait part des changements de situation possibles chez les allocataires, en particulier à la fin du chômage. Il est clair que c'est un point à étudier, en raison des coûts de gestion qu'entrainerait une adaptation du système. Quant à l'effet inflationniste, nous avons été frappés de ce que le taux de captation varie selon les études de 50 à 80 %, voire 100 % dans certains cas, ce qui n'est pas rien lorsqu'on travaille sur 18 milliards d'euros.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Je remercie encore une fois la Cour des comptes dont le travail nourrira la prise de conscience générale sur le fait que ce pays consacre beaucoup d'argent à la politique du logement (42 milliards d'euros au moins), et que pourtant la crise du logement n'a jamais été aussi durement ressentie. En période de difficultés budgétaires, nous devons veiller à être les plus efficaces et les plus équitables possibles. La Cour des comptes démontre clairement qu'il y a beaucoup d'efforts à accomplir pour maîtriser notre système d'aide au logement et le rendre plus juste. S http://www.senat.fr/senateur/dallier_philippe04086q.html i nous étions en période d'excédent budgétaire, nous pourrions tenter de faire en sorte que tous, dans le parc privé ou public, soient à 11 % de taux d'effort. Ce serait merveilleux, monsieur Raynal ! Mais ce ne sera jamais le cas. Il faut un juste milieu.
S'agissant de l'effet inflationniste en zone tendue, je ne parle pas de logement indécent. En Seine-Saint-Denis, certains logements, louables du point de vue de la décence, le sont eux pour 800 euros à des familles au SMIC. Le propriétaire devrait chercher un locataire disposant de 2 400 euros de ressources. Il accepte le SMIC en comptant notamment sur les aides personnelles au logement. Dans ma commune, des deux-pièces de 45 mètres carrés tout neufs sont loués 2 000 euros par mois à des familles placées là par des associations, et qui perçoivent une aide personnelle au logement ainsi que des aides sociales dont l'aide de l'action sociale à l'enfance (ASE). Le propriétaire a tout compris à notre système. C'est légal ! Les associations répondent que c'est moins cher que de loger une famille à l'hôtel. Cette réponse est hallucinante.
En période de disette budgétaire, il est nécessaire d'être le plus équitable et le plus efficace possible. Soit on réforme le système, soit - ce serait le big bang - on fusionne les aides sociales. Édouard Balladur avait déclaré, à propos des collectivités locales, qu'il était temps de décider. En politique du logement, il est aussi temps de décider et de prendre ses responsabilités quitte à prendre des décisions contestées car douloureuses pour certains.
La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu des auditions en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Dallier.