II. LES RÉSULTATS DE LA CONSULTATION DES ÉLUS LOCAUX : DE GRANDES INQUIÉTUDES ET LA PERSPECTIVE D'UN EFFONDREMENT DES INVESTISSEMENTS
A. LA BAISSE DES DOTATIONS : UNE PERSPECTIVE ANXIOGÈNE MAIS DIFFICILE À ÉVALUER
1. Une mobilisation reflétant l'intérêt des élus locaux
Le président de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation et vos trois rapporteurs ont écrit à tous les maires, président d'EPCI à fiscalité propre 9 ( * ) , de conseils départementaux et régionaux. Dans ce courrier en date du 4 mai 2014, il leur a été demandé de bien vouloir répondre à un questionnaire mis en ligne par le Sénat, afin que l'Institut français d'opinion publique (Ifop) puisse réaliser une analyse statistique rigoureuse permettant de comprendre comment les collectivités territoriales s'adaptent ou vont s'adapter au nouveau contexte financier.
Plus de 5000 élus se sont connectés pour répondre au questionnaire en ligne. Toutefois un bon nombre d'entre eux étaient trop incomplets pour être exploités de façon rigoureuse dans le cadre de l'étude confiée à l'Ifop.
L'étude est donc basée sur 3057 questionnaires validés lors de la consultation en ligne ouverte du 5 mai au 1 er juin 2015 . Ceci représente environ 765 réponses par semaine , soit 2,5 fois plus que la moyenne hebdomadaire des réponses recueillies dans le cadre du questionnaire relatif à la simplification des normes (4 200 réponses en 12 semaines).
Cette mobilisation des élus locaux en un délai aussi court montre que le sujet des finances locales et de la baisse des dotations aux collectivités territoriales est un sujet essentiel à leurs yeux . Les réponses se répartissent de la façon suivante :
Collectivité |
Nombre de réponses analysées |
Pourcentage
|
Communes |
2 859 |
7,8 |
EPCI |
132 |
6,1 |
Départements |
54 |
53,5 |
Régions |
12 |
44,4 |
La répartition géographique des répondants est assez équilibrée sur l'ensemble du territoire, comme l'illustre la carte de France ci-après :
Dès les premières questions, les élus ont clairement exprimé leur scepticisme quant à la nécessité et à l'efficacité de la baisse des dotations pour diminuer les déficits publics.
65 % des collectivités craignent des difficultés financières pour 2017 (voir présentation Ifop, page 38). Hormis les régions qui se disent inquiètes à hauteur de 50 %, toutes les autres collectivités expriment une telle anxiété à hauteur de 65 %. Parmi les plus inquiètes, on distingue les collectivités en zone de montagne, celles au sein desquelles il existe des zones urbaines sensibles ou des zones franches urbaines.
Les risques les plus importants identifiés par les collectivités sont repris dans le tableau ci-après :
Risque identifié |
Pourcentage
|
Baisse des investissements |
72 |
Désengagement dans certains secteurs |
39 |
Érosion du taux d'épargne brute (au-delà de 7 %) |
19 |
Risque de déficit |
17 |
Dégradation de la capacité de désendettement |
17 |
2. Un jugement sévère de la part des élus locaux
a) Sans surprise, les élus évoquent une situation difficile voire impossible à surmonter
La présentation des résultats de la consultation par l'Ifop évoque un grand scepticisme.
Les élus sont sévères sur la nécessité et l'efficacité de la baisse des dotations : 63 % la jugent non nécessaire (dont 30 % « pas du tout »).
% par type de collectivité ne jugeant pas
la
baisse des dotations nécessaire
Source : Délégation à partir des résultats de l'Ifop
Un même doute se manifeste sur l'efficacité de la baisse des dotations au regard de l'objectif de diminution des déficits publics, puisque 68 % n'y croient pas, dont 35 % « pas du tout ».
% par type de collectivité ne jugeant pas
la
baisse des dotations efficace
Source : Délégation à partir des résultats de l'Ifop
La défiance vis-à-vis de la baisse des dotations est d'autant plus forte que la collectivité de l'élu interrogé est petite (cf. présentation Ifop pages 8 et 9).
Compte tenu de l'actualité législative, et de la concomitance de l'enquête avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, il a été demandé aux élus s'ils estimaient que la réforme permettrait aux collectivités de générer des économies.
Le jugement global sur les potentielles économies issues de la réforme territoriale montre un très fort scepticisme : 78 % n'y croient pas , dont 34 % « pas du tout ». C'est un peu moins vrai pour les régions (dont 33 % répondent de façon positive) que pour les plus petites communes (12 % de réponses positives).
Ce fait est à relier avec l'inquiétude des élus , mesurée par la question : « La baisse des dotations de l'État est-elle une contrainte surmontable ou insurmontable ? ». 56 % des élus la jugent insurmontable, en particulier les présidents des départements, qui ne sont que 13 % à la considérer surmontable , contre 58 % pour les présidents des régions et 39 % pour les maires, où l'on constate un clivage selon la taille : les trois quarts des maires des communes de plus 10 000 habitants la considèrent comme insurmontable . Les témoignages rejoignent donc le constat dressé par le cabinet Michel Klopfer dans le tome I des travaux de vos rapporteurs.
Les réponses sont souvent corrélées : 80 % des élus qui considèrent cette baisse comme étant insurmontable la jugent par ailleurs inefficace (contre 68 % de l'ensemble des élus) et 84 % d'entre eux (contre 78 % au total) sont sceptiques quant aux économies attendues de la réforme territoriale .
b) Les élus sont démunis face à des enjeux trop techniques dont ils ne parviennent pas à anticiper les conséquences
Les élus interrogés estiment que ces appréciations ne relèvent pas tant d'un sentiment que d'une réalité connue : 84 % des élus déclarent connaître la baisse des dotations pour leur collectivité , dont 33 % précisément ; cela est un peu moins vrai pour les régions et les départements que pour les EPCI et les communes. Chez ceux qui la connaissent, la part du budget de la collectivité que représente la baisse des dotations est de plus de 10 % pour un quart des réponses, et de plus de 15 % pour un dixième . Pour une moitié, la baisse se situe entre 5 % et 10 %.
Pourtant, les élus ont eu du mal à répondre sur l'impact de la baisse des dotations, pour évaluer l'équivalence en pourcentage de fiscalité : 57 % ne le savent pas. Pour un cinquième d'entre eux, cela représenterait entre 10 % et 15 %, en particulier pour les régions et les départements.
De même, moins d'un élu sur deux (48 %) déclare connaître l'incidence des mesures de renforcement de la péréquation pour sa collectivité , cette proportion étant plus faible dans les régions (34 %) et plus importante dans les départements (65 %), et augmentant spectaculairement dans les communes selon leur taille, de 43 % pour les communes de moins de 500 habitants à 67 % pour les communes de plus de 10 000 habitants.
31 % des élus consultés considèrent leur collectivité comme un « contributeur net » - 52 % pour les communes de plus de 10 000 habitants - et 38 % estiment qu'elle est un « bénéficiaire net ». Un quart d'entre eux ne connaissent pas la réponse et 8 % ne se prononcent pas. Ils sont 77 % à ne pas connaître le pourcentage de fiscalité représenté par les différents fonds de péréquation ; le reste des réponses se disperse autour d'un pourcentage moyen de 6,7 %.
Comme le relève l'Ifop dans sa note de synthèse, « la difficulté à se positionner de manière affirmée sur ces indicateurs les plus précis de l'enquête révèle un point de vigilance important à prendre en considération pour les décideurs, à savoir que les élus locaux font montre d'un certain « décrochage » face à un système complexe dont ils semblent avoir des difficultés à se saisir pleinement ».
Votre rapporteur M. Jacques Mézard a indiqué, à l'occasion de la restitution des résultats par l'Ifop, que « cela nous interpelle, ainsi que les gouvernements successifs : les élus locaux sont de plus en plus perdus en matière de gestion de leurs ressources financières. À leurs yeux, la situation financière des communes est tellement compliquée qu'ils ont du mal à appréhender correctement la situation. Nous devons simplifier et mieux communiquer. Ces résultats prouvent que toute la paperasserie reçue des préfectures, voire de certaines associations d'élus, est mal absorbée, voire ne l'est pas du tout ».
Cette méconnaissance des conséquences de la baisse des dotations a été confirmée au cours de la table ronde réunissant des associations d'élus locaux.
La Délégation demande que les représentants de l'État envoient à chaque collectivité territoriale, avant le 31 décembre 2015, un récapitulatif de la baisse des dotations qui la concerne avec des indicateurs permettant d'en mesurer précisément l'impact financier. |
La bonne information des élus locaux est essentielle afin de permettre aux collectivités territoriales de prendre les mesures nécessaires pour faire face au nouveau contexte financier .
c) Un sentiment d'iniquité très massivement partagé
Lorsqu'il est demandé aux élus locaux s'ils jugent équitables les critères d'éligibilité et de répartition de la dotation générale de fonctionnement (DGF), seuls 26 % répondent par l'affirmative, avec une part marginale (1 %) qui les trouvent tout à fait équitables. Cela signifie que pour deux tiers des élus ayant pris part à la consultation (66 % précisément), les critères actuels d'éligibilité et de répartition de la DGF ne sont pas équitables .
Ce jugement sans ambiguïté est plus fort chez les maires ou président d'EPCI (respectivement 67 % et 68 %) que chez les présidents de régions (51 %) ou de départements (42 %).
Ces résultats viennent confirmer, une fois encore, un constat dressé par toutes les analyses mentionnées en première partie du présent rapport.
* 9 Avec l'aide de l'AdCF pour relayer le courrier.