II. UNE MEILLEURE UTILISATION DE NOS MOYENS -CONTRAINTS- PERMETTRAIT D'ACCROITRE NOTRE INFLUENCE

1. Optimiser les moyens consacrés à la région
a) Poursuivre le trop timide redéploiement de nos moyens diplomatiques vers l'Asie émergente

Le ministère des Affaires étrangères a engagé depuis plusieurs années un adaptation des réseaux diplomatique et consulaire, afin d'accompagner les changements politiques, stratégiques et économiques du monde contemporain et de mieux « coller » aux nouvelles destinations des communautés françaises expatriées.

Ce redéploiement se fait de plus en plus à moyens constants, voire décroissants, ce qui freine forcément les nécessaires évolutions : elles sont plus douloureuses.

Il s'agit, à moyens contraints, de passer d'un réseau « d'héritage » à un réseau « d'avenir ».

Entre 2013 et 2015, le ministère des Affaires redéployera ainsi 300 emplois , de toutes catégories, en fonction des priorités politiques et économiques. Cette réorientation exige en contrepartie une diminution de la présence dans des zones historiquement mieux dotées , notamment l'Europe, l'Afrique et l'Amérique du Nord.

Ces décisions viennent amplifier un mouvement déjà amorcé puisque les effectifs du réseau diplomatique ont diminué de manière continue depuis 2008 dans les grands postes des zones « d'héritage » (Afrique subsaharienne - 14%, Europe occidentale -10%).

Source : ministère des affaires étrangères

Certains font en effet observer que le basculement géographique du réseau diplomatique français est lent et encore largement inabouti. Ainsi, dans un récent référé 161 ( * ) , la Cour des Comptes remarque-t-elle que malgré un réel effort, puisque les deux tiers des « petits » postes ont vu leur effectifs baisser depuis 2007, les effectifs de plusieurs « grandes » ambassades d'exception comme Londres ou Washington ont peu diminué, contrairement à la volonté exprimée . Le redéploiement ne serait, d'après la Cour des Comptes, que très relatif, les zones Afrique et océan Indien (-14%) et Europe (-10%) connaissant certes une plus forte réduction que la zone Asie (-1%), et la présence dans les pays émergents progressant (+11% en Chine, +14% en Inde mais -6% au Brésil), mais ces évolutions étant toutefois restées inférieures aux objectifs fixés en 2006 (+1 500 emplois dans les émergents pour tous les réseaux du ministère).

De fait, seuls deux pays d'Asie figurent (enfin !) désormais parmi nos dix plus gros postes diplomatiques à l'étranger.

LES DIX PREMIERS PAYS D'IMPLANTATION DES AGENTS DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (TOUS PROGRAMMES CONFONDUS)

Effectif en ETP

États-Unis

412

Maroc

334

Chine

301

Algérie

284

Sénégal

231

Allemagne

217

Inde

217

Russie

208

Brésil

196

Madagascar

181

Source : données ministère des affaires étrangères, tableau figurant dans le rapport n°1434 de M. Philippe BAUMEL au nom de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale (2013-2014)

Il y a toutefois deux façons de lire ce tableau : soit se féliciter de ce que la Chine et l'Inde figurent aujourd'hui parmi les dix postes les plus dotés en effectifs du réseau ; soit faire remarquer qu'il y a encore davantage de moyens en personnel au Sénégal qu'en Inde, et quasiment autant à Madagascar qu'au Brésil.... L'Indonésie est quant à elle très loin de figurer dans ce palmarès !

Il faut dire que ce « redéploiement » intervient dans un contexte global de réduction des effectifs très douloureux pour le ministère des affaires étrangères.

Au total, environ 2 000 emplois auront été supprimés sur la période 2006-2013, soit plus de 12 % des effectifs du ministère des affaires étrangères.

Dans le réseau diplomatique, les chancelleries diplomatiques ont pour la plupart été réduites à un format minimum :

- 80% de nos ambassades fonctionnent au format « un ambassadeur + 2 conseillers ou moins ».

- le personnel de soutien des chancelleries diplomatiques a été réduit notamment en privilégiant la polyvalence des agents : dans ? de nos postes, on compte 3 agents titulaires ou moins pour assurer les tâches de secrétariat, archives, documentation et agent ressources.

Ce contexte budgétaire très tendu nécessite une action particulièrement volontariste pour effectuer le rééquilibrage.

Il faut aussi tenir compte du fait qu'au sein de la zone Asie, la priorité est donnée à la Chine et à l'Inde, l'Asie du Sud-est ayant parfois bénéficié d'une attribution des moyens par « reliquat ».

Interrogé par votre commission sur cette question, le ministère des affaires étrangères a considéré que l'Asie du Sud-Est bénéficiait d'un traitement « particulièrement favorable » dans la mesure où « les effectifs [du réseau diplomatique, NDLR] sont globalement préservés » ! En 2014, la zone Asie du Sud-Est « ne contribue qu'à hauteur de 5 suppressions d'ETP (hors suppressions de postes au Brunei, qui passe au format de poste de présence diplomatique à effectifs très réduits) ».

On a du mal à voir en quoi ce traitement « de faveur » consistant à perdre peu de postes permettra de rattraper rapidement notre déficit de présence en Asie. De fait, le raisonnement un peu trop « homothétique » du schéma d'emploi fait la part belle aux situations acquises et freine tout basculement trop prononcé.

L'ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DU RÉSEAU DIPLOMATIQUE EN ASIE DU SUD EST

(RÉPONSE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES AU QUESTIONNAIRE DE VOTRE COMMISSION)

L'évolution des effectifs dans la zone Asie du Sud-Est a été particulièrement favorable au regard du schéma d'emplois du ministère des affaires étrangères dans la mesure où les effectifs sont globalement préservés alors que l'effort du ministère sur les 3 ans a été fixé à 600 suppressions d'emplois (ETP).

La zone a en effet très peu participé à l'effort de réduction d'emplois : partant d'un total de 579.5 ETP répartis dans les 10 pays de la zone au 01/01/2013, des créations de postes supplémentaires ont pu être opérées par redéploiement pour arriver à un total de 585.5 ETP au 01/01/2014.

En 2014, la programmation s'inscrit elle aussi dans cette dynamique de redéploiement d'effectifs vers nos postes des pays émergents de la zone. Ainsi, alors même que le schéma d'emplois 2014 prévoit la suppression de 196 ETP, la zone Asie du Sud-Est ne contribue qu'à hauteur de 5 suppressions d'ETP (hors suppressions de postes au Brunei, qui passe au format de poste de présence diplomatique à effectifs très réduits).

Sur les programmes 105 et 209, 5 créations de postes en Indonésie et 3 créations de postes en Birmanie ont ainsi eu lieu .

En Birmani e, pour accompagner la transition politique, le ministère des affaires étrangères a créé un poste supplémentaire de diplomate (titulaire de catégorie A) ainsi qu'un poste d'attaché de coopération (contractuel) au SCAC. S'y ajoute, cette année, la création d'un poste d'agent de droit local secrétaire du COCAC.

En Indonésie , la section consulaire a été renforcée par la création de deux postes (ADL visas et ADL administration des Français) en 2013. Parallèlement, sur le programme 209, un poste d'expert technique international (ETI) auprès du Secrétariat général de l'ASEAN a été créé en 2013. En 2014, les effectifs du réseau culturel et de coopération en Indonésie seront également complétés de deux créations : un poste d'ETI formation professionnelle et un poste d'attaché de coopération universitaire.

Aux Philippines , deux postes supplémentaires ont été créés au service des visas.

À Singapour où la communauté française expatriée connaît une forte croissance, la section consulaire de l'ambassade a été renforcée dès 2013 par la création d'un poste d'ADL agent consulaire, puis en 2014 avec la création d'un poste de titulaire C. S'y ajoute, parallèlement, sur le programme 209, la création d'un poste d'ETI expert sécurité civile à vocation régionale "Asie du Sud-Est".

Les sections consulaires de nos ambassades en Thaïlande (+1 agent visas) et au Vietnam (+1 VI adoption à Hanoi, +1,5 ADL agents consulaires à Ho-Chi-Minh) ont enfin également été renforcées.

S'agissant du format des chancelleries politiques (diplomates titulaires de catégorie A), les effectifs ont été préservés et même renforcés s'agissant de la Birmanie :

Birmanie : Ambassadeur + 2

Brunei : Ambassadeur seul (sans changement)

Cambodge : Ambassadeur +2

Indonésie : Ambassadeur + 3

Laos : Ambassadeur +1

Malaise : Ambassadeur + 2

Philippines : Ambassadeur + 2

Singapour : Ambassadeur + 2

Thaïlande : Ambassadeur + 3

Vietnam : Ambassadeur + 2

Le réseau diplomatique français en Asie du Sud-Est s'appuie donc, au sein de ces dix postes, sur un total de 29 diplomates titulaires de catégorie A.

On peut ainsi se demander si le format « ambassadeur + 3 » est suffisant dans un pays comme l'Indonésie, 4ème pays le plus peuplé au monde, 16 ème économie mondiale, membre du G20, en pleine croissance économique, siège de l'ASEAN, rassemblant dix économies qui, agrégés, représentent la 4 ème force économique mondiale....

Proposition : poursuivre le timide rééquilibrage de nos moyens diplomatiques vers l'Asie, en ciblant plus spécialement l'Indonésie.

b) Conforter la politique d'influence menée par le ministère de la défense
(1) Crédibiliser notre demande d'adhésion à l'ADMM+

Alors que l'Union européenne participe à l'ASEM et est invitée aux réunions de l'ARF ( ASEAN Régional Forum ) en tant que partenaire de dialogue de l'ASEAN, ni l'UE ni la France ne participent aux enceintes que sont l'ADMM + ( ASEAN Defence ministers meeting , en format élargi) et l'EAS ( East Asia Summit).

Ces enceintes sont pourtant des lieux de dialogue stratégique particulièrement importants en Asie du Sud-Est.

L'ADMM+, créé en 2009, se compose des 10 membres de l'ASEAN et des « partenaires de dialogue » que sont l'Australie , la Chine , les États-Unis , l'Inde , le Japon , la Nouvelle-Zélande la Corée du Sud et la Russie . L'originalité de l'ADMM+ est de réunir les ministres de la défense, les chefs d'état-major et l'administration. Le dialogue porte ainsi sur la sécurité maritime, le contre-terrorisme, l'aide humanitaire, la médecine militaire et les opérations de maintien de la paix. En plus de ces réunions régulières, le dialogue entre les membres de l'ADMM+ se poursuit dans l'année, autour de groupes de travail.

L'ADMM+, en particulier, est un lieu de coopération élargie sur des sujets tels que la sécurité maritime, le contre-terrorisme, l'aide humanitaire, la médecine militaire ou le déminage. Dans ce cadre, non seulement les ministres de la défense, mais aussi les directeurs d'administration, les chefs d'états-majors et leurs adjoints se côtoient. Ce dialogue a abouti, en 2013, à la réalisation d'exercices et entraînements conjoints opérationnels en matière d'assistance humanitaire en cas de crise, ou encore de médecine militaire.

L'intérêt que la France avait de participer à l'ADMM+ a été exprimé au plus haut niveau dès les entretiens à Vientiane en marge du sommet de l'ASEM en 2012, et lors d'une conférence de presse conjointe du Premier ministre avec le Premier ministre vietnamien en septembre 2013.

Lors du Shangri-la dialogue de 2013, Jean-Yves le Drian a publiquement réitéré ce souhait, en présence de la plupart de ses homologues de la région, présents à cette occasion.

Toutefois, il est apparu que Singapour,  notamment, souhaitait d'abord consolider la dynamique au coeur de ces enceintes avant de les élargir. Fin 2013, en réponse à la candidature canadienne, les ministres de l'ADMM ont donc décidé de différer à ce stade toute demande d'élargissement, jugé prématuré.

La leçon à tirer de cette situation est que la France n'est pas attendue : nous devons prouver ce que nous pouvons apporter.

L'enjeu est donc désormais de crédibiliser notre candidature. Nous avons deux ans pour le faire.

Pour cela, il nous faut participer activement au dialogue de sécurité dans la région, manifester notre intérêt, déployer des moyens militaires dans la zone, nourrir la relation politique et diplomatique de haut niveau...

Proposition : crédibiliser dans les 2 années qui viennent notre souhait d'adhérer à l'ADMM + par une série d'actions d'influence tendant à montrer notre détermination et notre valeur ajoutée (visite du ministre de la défense en Malaisie, adhésion effective à ReCAAP), et d'actions de coopération concrète (sécurité maritime, océanographie, lutte contre les catastrophes naturelles...).

(2) Débloquer l'adhésion à RECAAP

Un premier pas pourrait être tout d'abord de finaliser notre adhésion à l'accord de lutte anti-piraterie ReCAAP ( Regional Cooperation Agreement on combating piracy and Armed robbery agains ships in Asia ).

Le ministre de la Défense français a officiellement annoncé lors du dialogue de Shangri-la en 2013 que la France étudiait la possibilité de joindre ce cadre.

Dix-neuf pays en sont membres à ce jour : Australie, Bangladesh, Brunei, Cambodge, Chine, Danemark, Inde, Japon, Corée du Sud, Laos, Birmanie, Pays-Bas, Norvège, Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Royaume-Uni et Vietnam.

Il faut donc souligner que les Britanniques, les Néerlandais, ou les Norvégiens ont rejoint ReCAAP, que les Américains ont postulé officiellement, ainsi que l'Union européenne.

Dans ce cadre, l'adhésion française pourrait contribuer à crédibiliser globalement notre engagement stratégique en Asie du Sud-Est et nous permettre d'accroître peu à peu notre influence.

L'adhésion à ReCAAP n'a pas seulement un intérêt compte tenu de l'impossibilité immédiate d'adhérer à l'ADMM+, c'est aussi une démarche qui a son intérêt propre, et qui s'inscrit dans une logique d'ensemble, de long terme, en cohérence avec notre présence au sein de l'IFC à Singapour.

Alors même que les États parties accueilleraient favorablement la demande française, il se trouve que des blocages internes sont apparus côté français qui ont ralenti le processus d'adhésion.

En effet, le texte de l'accord étant rédigé en anglais, des difficultés juridiques ont été mises en avant au regard de l'obligation d'emploi de la langue française.

On se trouve dans la situation bien peu satisfaisante où, après que le gouvernement français a sollicité, et obtenu, de la part de ses partenaires une adhésion à ReCAAP, la France tergiverse et mette en avant des raisons constitutionnelles internes pour ne pas parvenir à finaliser l'adhésion.

Il va de soi que ce genre d'attitude ne va pas contribuer à renforcer notre crédibilité non plus qu'à nous faire apparaître comme des partenaires fiables.

Le Président de votre commission a alerté par courrier dès le mois de janvier les deux ministres concernés (Affaires étrangères et Défense) du blocage de ce dossier, appelant à ne pas interpréter trop étroitement l'impératif linguistique, et à trouver une solution pragmatique.

Dans leur réponse, tous deux ont fait part de l'intérêt qui s'attachait à la recherche d'une solution : « L'adhésion de la France à ReCAAP permettra de renforcer la sécurité dans cette région qui représente un enjeu important pour nos intérêts de défense, tout en consolidant notre présence et notre influence dans les enceintes de sécurité régionale », a ainsi considéré le ministre de la défense, tandis que le ministre des affaires étrangères estimait que « Une telle adhésion permettrait de renforcer notre coopération dans la lutte contre la piraterie (...). Nous recherchons donc une solution ».

Force est de constater que 6 mois plus tard, l'écheveau n'est toujours pas dénoué.... Plusieurs pistes sont toujours en cours d'évaluation, dont deux pourraient fonctionner (faire authentifier une traduction française par l'État dépositaire de l'accord ReCAAP, ou la faire authentifier et reconnaître par tous les membres de ReCAAP comme version officielle faisant foi en langue française).

On ne peut que regretter le retard pris dans le processus d'adhésion, de ce fait.

Difficile de penser que ce genre de tergiversations va rendre crédible la volonté de la France de s'engager stratégiquement en Asie du Sud-Est...

Passer des mois à bâtir -fort intelligemment d'ailleurs- une stratégie d'influence, pour ensuite être incapable soi-même de la mettre en oeuvre, ce n'est naturellement pas le meilleur gage de fiabilité...

Proposition : Régler au plus vite la question de la traduction française du traité institutif pour permettre une adhésion de la France à l'organisme de piraterie ReCAAP.

(3) Relancer le processus de signature du protocole pour une zone sans armes nucléaires en Asie du Sud-Est (SEANWFZ)

Un autre geste fort que nous pourrions faire serait de ratifier le protocole sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est (traité SEANWFZ signé à Bangkok du 15 décembre 1995). La signature du protocole additionnel est ouverte aux Etats dotés de l'arme nucléaire, dont la signature est suspendue toutefois à l'acceptation par les États de l'ASEAN des réserves et déclarations que souhaitent faire les États dotés.

Cette question a notamment été évoquée en août lors de la visite du ministre des affaires étrangères au siège de l'ASEAN, puis à nouveau avec vos rapporteurs par le Secrétaire Général adjoint de l'ASEAN. Vos rapporteurs n'ont pu que répéter notre engagement pour un monde sans menace nucléaire et s'engager à faire le point sur l'avancement du processus.

Lors de leur sommet de mai 2014, les états de l'ASEAN ont rappelé dans une déclaration qu'ils souhaitaient une signature et une ratification rapides du Protocole.

D'après les informations communiquées à votre commission, la France n'entend faire que des réserves « classiques » en pareil cas (notamment liées au droit de légitime défense), similaires à celles faites lors des adhésions aux traités concernant l'Amérique latine (Tlatelolco, 1967), le Pacifique (Rarottonga, 1985) et l'Afrique (Pelindaba, 1997).

Le processus de signature, qui correspond à une demande de nos partenaires, doit donc être relancé.

Proposition : relancer le processus de signature par la France du protocole additionnel au traité de Bangkok du 15 décembre 1995 sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est (traité SEANWFZ).

c) Renforcer même modestement la coopération de défense en Asie du Sud-Est
(1) Des moyens en attrition constante, focalisés sur l'Afrique

Le fait est bien connu : les crédits de coopération de défense, inscrits au budget du ministère des affaires étrangères, supportent depuis plusieurs années des réductions drastiques. Ces crédits d'intervention servent clairement de « variable d'ajustement ». Compte tenu des priorités africaines à financer, dans ce contexte de pénurie, les actions qu'on peut mener en Asie sont, par nature, obérées par la modestie des crédits disponibles...

Or la coopération de défense est un excellent outil pour aider nos partenaires à construire dans la durée leur outil de défense et de réponse aux catastrophes naturelles. Le but est de mettre les pays partenaires en situation de faire face eux-mêmes au terrorisme, à la criminalité organisée, au trafic de stupéfiants, à l'insécurité des flux maritimes....

En organisant et en structurant les forces, en faisant de la planification, les progrès peuvent être considérables, car les capacités en matière de génie, de santé, de transport, de logistique ou encore de transmissions, sont bien souvent présentes, mais éparpillées.

C'est aussi naturellement un outil d'influence (en Asie tout particulièrement) notamment pour les ventes d'armement. L'impact d'un expert placé au bon endroit est considérable rapporté aux crédits budgétaires nécessaires pour le financer.

Les crédits de coopération de sécurité et de défense (30,6 millions d'euros hors titre 2 en 2014) ont à nouveau connu en 2014 une baisse, de 4,3%. Après la baisse drastique qui avait particulièrement affecté ces crédits d'intervention (-40% en 2007-2008), le budget de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) n'a connu une relative stabilisation qu'entre 2009 et 2011. La décrue a ensuite repris et devrait s'accélérer jusqu'en 2015.

BUDGETS EXÉCUTÉS, TOUS TITRES, EN €

Année

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013 (lfi)

Budget exécuté

106 418 616

97 987 683

95 359 000

95 366 490

91 847 251

91 005 955

90 415 787 162 ( * )

dont

HT2

51 433 285

28 333 284

33 069 640

33 312 819

32 852 975

27 800 601

31 953 742

dont

T2

54 985 331

69 654 399

62 289 360

62 053 671

58 994 276

63 205 354

58 462 045

Source : Ministère des Affaires étrangères, réponse au questionnaire budgétaire du programme 105

Dans ce contexte, l'Asie ne bénéficie que de crédits résiduels par rapport à ceux qui doivent être mobilisés pour financer les priorités africaines, comme le montre le graphique ci-dessous :

Source : DCSD, ministère des affaires étrangères

COOPÉRANTS ET EXPERTS TECHNIQUES FINANCÉS PAR LA DCSD EN ASIE DU SUD EST

Défense

Gendarmerie

Protection civile

Policiers

Cambodge

2

1

1

Malaisie

3

Singapour

1

Vietnam

1

Source : « DCSD, partenaires de sécurité défense, bilan 2013 », juin 2014

La maigreur des effectifs de coopérants en Asie, malgré les forts enjeux économiques, est patente. Sur un volant de quelque 300 coopérants, moins de 10 sont en Asie du Sud-Est, qui figure pourtant parmi les premiers marchés d'armement au monde, et dans lequel un effort de modernisation des outils militaires et de prise en charge collective des enjeux liés aux catastrophes naturelles est entrepris....

On a ici une parfaite illustration du « paradigme du reliquat » appliqué à l'Asie en matière de moyens (= ce qui reste une fois qu'on a attribué les moyens aux autres priorités géographiques).

Comme votre commission l'a déjà affirmé, l'allocation des moyens entre les différentes zones d'action devrait d'ailleurs faire l'objet d'arbitrages assumés à un haut niveau politique : certes, soutenir la constitution d'une architecture de sécurité africaine est une priorité essentielle ; toutefois, les résultats obtenus (on pense notamment à celui des écoles de maintien de la paix en Afrique, dans le contexte de l'effondrement sécuritaire du Mali en 2013) mériteraient d'être évalués, poste à poste, et les arbitrages éventuellement rendus au regard des résultats. C'est la réduction de nos moyens qui l'impose.

Tout au plus peut-on espérer que le « recentrage forcé » qu'est contrainte d'opérer la coopération de sécurité et de défense dans les années à venir pour faire face à la diminution des crédits épargne l'Asie du Sud-Est, déjà à l'étiage.

Proposition : rehausser le niveau de priorité de l'Asie du Sud-Est en termes de coopération de défense, et viser un pourcentage de 15% des coopérants et des crédits de la DCSD dévolus à l'Asie du Sud-Est à partir de 2015.

(2) Répondre à la demande indonésienne et malaisienne de formation

Malgré les opportunités offertes par le développement programmé de l'armée indonésienne, le poids historique de l'armée dans les instances décisionnelles dans ce pays et la proximité de nos vues sur plusieurs dossiers de politique étrangère, force est de constater que les échanges d'officiers entre nos deux pays sont quasiment au point mort.

Après l'étiage de 2011 (un seul stagiaire indonésien en France, à l'École de Guerre), en 2012 deux formations longues ont été suivies, tandis qu'un stage pour sous-officier mécanicien ne pouvait malheureusement pas être honoré par la partie indonésienne. En 2013, une place à l'École d'État-major de l'armée de Terre a été accordée, ainsi qu'une place au Brevet Supérieur d'Hydrographie, sur financement d'un industriel français (chantier naval OCEA) qui, non honorée en 2013 (pour des raisons de formation linguistique), est reconduite en 2014.

Le niveau des échanges entre officiers reste encore clairement insuffisant à l'égard des besoins et des demandes indonésiennes.

Vos rapporteurs ont pu constater à Jakarta qu'il existait un verrou à tout développement de notre coopération en ce domaine : celui de la langue.

Ainsi, la capacité des forces armées indonésiennes à honorer les places proposées dans les écoles de formation françaises dépend tout naturellement de la formation linguistique des personnels désignés, qui doit également être soutenue.

Vos rapporteurs ont ainsi appris que les Britanniques, par exemple, finançaient un professeur d'anglais auprès des forces armées indonésiennes.

De fait, à chaque occasion, notamment lors de la ta tenue en avril 2013 de la première session de l' Indonesian-French Defense Dialogue ( IFDD), mais aussi lors des discussions avec vos rapporteurs, des attentes indonésiennes sont exprimées auprès de la France en matière de formation.

La barrière de la langue limite drastiquement le vivier d'officiers indonésiens pouvant suivre des formations en France.

Sont seules conduites aujourd'hui des actions de formation linguistique d'un nombre réduit d'officiers indonésiens, en amont et immédiatement avant leur départ pour des formations en France ou pour des opérations de maintien de la paix en pays francophone.

La priorité est donc aujourd'hui de mettre en place un cours avancé de français au centre militaire des langues, pour amorcer la « pompe » de la coopération .

Ces officiers auront un jour des positions dans la hiérarchie militaire, dans un pays qui compte, et au sein duquel l'armée a traditionnellement du poids : c'est une action d'influence de long terme, dont l'effet démultiplicateur est potentiellement très important.

Sans parler du fait que les contingents indonésien et français participent ensemble à la FINUL au Liban et que l'Indonésie est susceptible de fournir des contingents aux opérations de maintien de la paix en pays francophones.

De la même façon il importe de poursuivre et amplifier notre effort de formation auprès des sous-mariniers malaisiens. Deux officiers sous-mariniers français sont détachés auprès de la force sous-marine malaisienne, qui reçoit aussi un appui pour la formation et l'entrainement des équipages et de l'industriel DCNS pour l'entretien. Les demandes de nos partenaires malaisiens doivent être considérées en la matière avec la plus grande attention.

Proposition : répondre favorablement à la demande indonésienne de mise à disposition d'un professeur de Français auprès du centre militaire des langues , pour créer un vivier de francophones qui permettra d'amorcer réellement les échanges d'officiers, et répondre favorablement aux demandes complémentaires de formation de la sous-marinade malaisienne.

(3) Pérenniser notre présence au sein de l'IFC

Vos rapporteurs ont pu mesurer à Singapour toute la pertinence de l'insertion d'un officier de liaison français au sein de la structure de fusion de l'information en matière de sécurité maritime (IFC), au sein de la base navale de Changi.

« Cette coopération nous ramène autant d'information qu'une frégate -à des coûts nettement moindres !-», a considéré, sous forme de boutade, un expert entendu par vos rapporteurs.

Par ce moyen, notre connaissance d'une zone en plein essor, où la présence de navires militaires français est très rare, apporte du renseignement et de l'information, de sources ouvertes, de même que, ponctuellement, du renseignement militaire. De la sorte, l'ensemble des acteurs français du monde maritime sont régulièrement informés, voire informés en temps réel sur la situation dans la zone (armateurs, industriels, plaisanciers...).

C'est aussi un positionnement « d'influence » pour la France au sein d'une structure régionale reconnue, qui nous permet de valoriser de la présence française dans la zone Asie-Pacifique et de promouvoir les savoir-faire français (conseil de l'officier inséré français au profit des officiers de liaison des autres nationalités) .

Ce travail se fait aussi en lien avec les entreprises françaises liées au monde maritime présentes ou souhaitant s'implanter dans la région.

Proposition : pérenniser notre présence au sein de l'IFC de Singapour, en maintenant le poste d'officier inséré. Se servir de ce poste pour crédibiliser notre démarche d'adhésion à ReCAAP et à l'ADMM+.

d) Conserver un déploiement naval en Océan indien et intensifier les escales en Asie du Sud-Est

Les escales des bâtiments de la Marine nationale sont de très précieux outils d'influence, fers de lance de la « diplomatie de défense ». D'autres pays l'ont compris mieux que nous. Hélas, nos moyens trop comptés limitent par trop les opportunités d'escales. De fait, elles sont assez rares :

Escales des bâtiments français en Asie du Sud Est (2012 - 2013)

2012

2013

PAYS

PORT

TOTAL

PAYS

PORT

TOTAL

Cambodge

Sihanoukville

1

Brunéi

Brunéi

1

Indonésie

Makassar

1

Indonésie

Balikpapan

1

Rép. de Singapour

Singapour

2

Benoa/Bali

1

Thaïlande

Bangkok

1

Jakarta

1

Vietnam

Ho Chi Minh Ville

1

Malaisie

Port Kelang

3

TOTAL

6

Philippines

Puerto Princesa

1

Rép. de Singapour

Singapour

4

Vietnam

Ho Chi Minh Ville

2

Haïphong

1

TOTAL

15

NB : Dans ce tableau, un bâtiment en escale correspond à une escale. Par exemple, le groupe Jeanne d'Arc, (un BPC et son escorte), comptabilise deux escales à chaque fois.

De la même façon, le livre Blanc de 2013 prévoit des restrictions de cible pour le nombre de bâtiments français, dans le cadre du programme de renouvellement d'une flotte vieillissante, et limite désormais à « une à deux zones maritimes » le nombre de déploiements navals permanents .

Compte tenu de la forte sollicitation des bâtiments de la Marine nationale dans le cadre des engagements opérationnels (Corymbe, Atalante, Méditerranée orientale...) et des restrictions temporaires de capacité induites par l'insuffisance des crédits d'activité, il faudra de plus en plus faire des choix à l'avenir.

La France a dans le Pacifique des moyens permanents, en particulier les frégates de surveillance de Polynésie, de Nouvelle Calédonie et de la Réunion. Ce sont des moyens modestes en regard des enjeux.

Toutefois, la France s'attache à déployer une frégate de surveillance en moyenne deux fois par an dans la région, et à organiser, plus ou moins, une « interaction » par pays riverain et par an. C'est un investissement important au regard des moyens de fonctionnement qui sont désormais ceux de nos armées, puisque le transit consomme à lui seul 15 jours de mer à partir de Nouméa et 20 jours de mer à partir de Papeete.

Mais soyons clairs : les réductions temporaires de capacités, présentes et à venir outremer, rendront ces déploiements, déjà modestes, plus difficiles.

En outre il parait nécessaire que des bâtiments de premier rang se rendent régulièrement dans cette région, comme cela a été le cas pour le BPC Tonnerre et la frégate Georges Leygues . En ce sens, la préservation du potentiel d'activité -sous tension- est un facteur qui conditionne directement notre présence dans la région.

Votre commission tenait dans ce cadre à affirmer l'importance vitale des déploiements en Océan Indien, qui ne doivent pas faire les frais de ces restrictions. Ils sont trop stratégiques. S'imagine-t-on pouvoir vendre, un jour, des BPC à l'Indonésie, ou faire monter en gamme notre coopération opérationnelle de défense avec ce pays, sans jamais y montrer un bâtiment ?

Proposition : Assurer une présence de la Marine Nationale régulière et visible en Asie du Sud-Est, en privilégiant notamment, outre les missions des Frégates de surveillance, le déploiement de bâtiments modernes, puissants et visibles. Prévoir des escales de bâtiments de « premier rang » (BPC, voire SNA) dans la région.

2. Des leviers spécifiques pour accélérer la reconquête économique

La mobilisation sur la diplomatie économique a déjà permis de dégager des pistes d'action pour redresser la balance commerciale française. Certaines sont très globales et dépassent naturellement le cadre du présent rapport d'information, qu'il s'agisse de la question de la structuration de l'offre industrielle française, de la compétitivité prix et hors prix de nos entreprises, de la rationalisation de « l'équipe de France » à l'export...

Pour autant, 4 actions spécifiques à l'Asie du Sud-Est pourraient accélérer cette reconquête économique.

a) Répondre spécifiquement au besoin de « connectivité » de l'ASEAN

Premier enseignement de la mission de vos rapporteurs en Asie du Sud-Est, il nous faut apprendre à répondre au besoin de « connectivité » de l'ASEAN (infrastructures, transports, énergie, assainissement) dans des conditions compétitives, et en particulier :

- Savoir offrir toute une palette de services, du financement à la formation ? pour se distinguer ? dans la mesure où le prix ne nous permet pas toujours de l'emporter ;

- Soit, carrément, se positionner, dans un premier temps au moins, comme des sous-contractants de nos concurrents asiatiques (coréens, japonais...) ;

- « Chasser en meute », technique d'une redoutable efficacité pour nos concurrents.

Proposition : proposer si possible des financements (partenariats public privé ?) voire de la formation autour des projets d'infrastructure, se positionner comme des sous-contractants des entreprises japonaises et coréennes, développer la « chasse en meute » des entreprises françaises.

b) Élargir la coopération sur les enjeux de sécurité

Cela a déjà été largement dit, les questions stratégiques ont une importance toute particulière en Asie du Sud-Est. Dans ce domaine, la France a des atouts, d'autant plus que le doute sur l'effectivité du pivot américain et surtout sur la fermeté des intentions américaines (Syrie, Ukraine, Irak....) mettent en relief la capacité d'engagement souveraine de notre pays (Mali, RCA)...

La France est en pointe dans la lutte anti-terroriste au Sahel dans une région, l'Asie du Sud-Est, confrontée au terrorisme.

Une carte à jouer est celle de la coopération, avec nos alliés les plus proches, dans la lutte contre le terrorisme, compte tenu de la très bonne connaissance par la France de certaines zones (Sahel), même si c'est par nature délicat.

Cette région où nous avons des alliés, interconnectée à la zone Afghanistan-Pakistan, à proximité de la Chine, qui est en pointe sur les enjeux de cyberdéfense, peut naturellement présenter à certains égards des opportunités en la matière.

Enfin, en fonction des moyens disponibles, il peut être intéressant de participer dès l'origine à l'initiative régionale prise par Singapour d'un centre de réponse régional contre les catastrophes naturelles, compte tenu de l'expertise française en la matière.

Proposition : développer la coopération avec nos alliés les plus proches en matière de lutte anti-terroriste, participer aux initiatives régionales contre les catastrophes naturelles.

c) Jouer la carte de « l'économie bleue »

L'économie maritime, ou « bleue » est une autre spécificité française à faire jouer.

Il faut tirer un meilleur parti de cet atout : la France est une puissance militaire dans une région qui s'arme. C'est une grande puissance maritime dans une région archipélagique.

Sans parler de l'exploitation des ressources marines et des fonds marins, les secteurs potentiellement concernés sont vastes, qu'il s'agisse de la transformation des produits de la pêche, de la plaisance, de l'hydro-océanographie ; de la cartographie numérique et de la navigation par satellites ; de la surveillance et du contrôle d'un trafic maritime en expansion ; de la prévention des accidents en mer ; de l'amélioration des réseaux d'alerte et de sauvetage ; du renforcement des capacités d'intervention et de la lutte contre les pollutions et les catastrophes maritimes....

Proposition : faire de « l'économie bleue » un des fers de lance de l'offre économique française. Mobiliser les PME du secteur maritime sur les marchés du sud-est asiatique.

d) Aplanir les « irritants »

Vos rapporteurs ont pu constater lors de divers entretiens l'impact de la question de l'étiquetage des produits alimentaires contenant de l'huile de palme sur nos partenaires, en particulier malaisiens et indonésiens.

En dépit du fait que les nouvelles règles d'étiquetage relatives aux huiles végétales contenues dans les produits alimentaires applicables à la fin de l'année 2014 soient du niveau européen, des pays comme la Malaisie identifient la France comme un foyer de critique de l'huile de palme .

Ainsi, les mentions « sans huile de palme », les campagnes de publicité et les documentaires critiques sur l'huile de palme ou encore la taxe « Nutella » sont régulièrement cités de manière spontanée par les personnes rencontrées. Ces difficultés rencontrées en France leur paraissent plus importantes que dans les autres pays européens et disproportionnées par rapport à l'importance du marché.

Cette situation est particulièrement mal comprise en Indonésie du fait des efforts engagés et des progrès réalisés pour une production durable d'huile de palme. Par ailleurs, les critiques sur le plan nutritionnel, généralement perçues comme non fondées d'un point de vue scientifique, laissent perplexes nos interlocuteurs.

Dans le prolongement des déclarations réalisées par le Premier Ministre à l'occasion de son déplacement en Malaisie fin juillet 2013, vos rapporteurs ont eu l'occasion de rappeler que l'amendement parlementaire français visant à instaurer une taxe additionnelle sur les huiles de palme a été rejeté en novembre 2012. L'étiquetage négatif des produits (« ne contient pas d'huile de palme ») correspond bien uniquement à des initiatives privées.

Nos ambassades dans les pays concernés doivent prolonger cet effort d'explication, en particulier en rappelant que le projet d'affichage de l'impact environnemental des produits suite au Grenelle de l'environnement concerne tous les produits agro-alimentaires et industriels et ne vise pas spécifiquement l'huile de palme, et que le nouveau règlement européen sur l'étiquetage, qui entrera en vigueur fin 2014, prévoit un étiquetage positif précis des constituants, mais ne vise pas à avoir un discours pénalisant pour certains produits en particulier.

Proposition : poursuivre les efforts d'explication au sujet de l'étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant de l'huile de palme pour aplanir cet « irritant ».

3. Intégrer la diplomatie économique dans notre stratégie d'aide au développement

Ne revenons pas sur le débat de la « liaison » de l'aide au développement, qui apparaît à bien des égards comme une fausse bonne idée et qui est exclue par les règles du Centre d'aide au développement (CAD) de l'OCDE.

Remarquons toutefois que la liaison de l'aide est utilisée par nos concurrents notamment asiatiques, bailleurs majoritaires en Asie du Sud-Est.

Cela ne nous dispense pas pour autant d'améliorer le taux de transformation économique, pour les entreprises françaises, de notre aide publique au développement.

Il semblerait au contraire aberrant que 20 ans d'engagement des bailleurs français dans une région à la croissance économique insolente n'ait pas de retombée en France en termes de croissance et d'emplois.

Il faut, en Asie du Sud-Est peut être plus qu'ailleurs, maximiser les synergies entre aide publique au développement française, expertise internationale et diplomatie économique.

À cet égard, les visites de terrain sur les différents projets de l'AFD, notamment au Vietnam , laissent parfois une impression mitigée du point de vue du « rendement économique », notamment pour les projets engagés depuis longtemps (dans ce pays le stock d'encours est de plus de 1,5 milliard d'euros).

S'il semble judicieux de consacrer 100 millions d'euros à la construction de la ligne 3 du métro de Hanoi, on peut regretter toutefois que nos entreprises de BTP ne candidatent pas, ensuite, à certains lots.

De même, il est difficile de remettre en cause l'octroi de 75 millions d'euros sous forme de prêt souverain pour le transport d'électricité (hydroélectricité) du Laos voisin vers le sud du Vietnam, pour faire face aux besoins croissants de la population (permettant, au passage, à Alstom de fournir des équipements de réseau).

L'octroi d'un prêt non souverain à la société Vinacomin, pour 35 millions d'euros, pour le reboisement et la mise en plantation d'un teril dans une exploitation de charbon à 2 km de la baie d'Halong, -sans positionnement possible pour nos entreprises sur ce marché-, répond-il à la même logique d'efficacité économique ?

De même, le projet de protection en aval de la rivière Saigon pour protéger Ho Chi Minh Ville des inondations, avec 11,5 millions d'euros de prêt souverain et une subvention de 350 000 euros au bénéfice du ministère de l'agriculture vietnamien pour « poldériser » et endiguer deux zones, (passages busés, canaux d'irrigation, polders, création de digues...) ouvre-t-il des perspectives à nos entreprises ? Ces marchés de génie civil, sous maitrise d'ouvrage du ministère vietnamien de l'agriculture, ont majoritairement profité à de petites entreprises locales.

De la même façon, un certain tropisme « nordiste » dans la manière dont la France appréhenderait le Vietnam institutionnellement, hérité du passé, nous permet-il de profiter pleinement du développement économique très rapide du Sud Vietnam, autour d'un secteur privé plus développé qu'au Nord, quant à lui dominé par les grandes entreprises d'État ?

Toutes ces questions, légitimes et même indispensables, vos rapporteurs ont pu constater que nos responsables sur place se les posaient.

L'articulation avec la diplomatie économique est, dans ces pays, une ardente obligation.

Elle n'est facilitée ni par le faible montant de nos « tickets » d'aide, du fait notamment des plafonds d'intervention qui ne permettent pas forcément de se positionner sur de très grands projets d'infrastructure, ni par la « concurrence » des autres bailleurs de fonds.

Il faut relever que le changement de catégorie du Vietnam, désormais pays à revenu intermédiaire, en renchérissant de fait la ressource apportée par l'AFD va logiquement accélérer ce basculement vers la recherche de la « rentabilité » économique.

En Indonésie , le positionnement très « pointu » de « bailleur climat » de l'AFD était sans doute un bon point d'entrée pour démarrer, qui a notamment permis d'être présent dans le secteur stratégique de l'énergie, ou de se voir confier la gestion de subventions britanniques du DFID. D'autres pistes semblent aussi prometteuses, comme celle de l'économie bleue, qui doit être un levier compte tenu du potentiel français en la matière. Globalement, le positionnement un peu « de niche » de l'agence dans ce pays mériterait sans doute d'être élargi compte tenu des opportunités économiques.

Dans l'Asie du Sud-Est émergente, la préoccupation économique doit être omniprésente, même en matière d'aide publique au développement.

Proposition : en Asie du Sud-Est, intégrer encore plus systématiquement les débouchés potentiels en termes de diplomatie économique dans l'examen de tout projet d'aide au développement.

4. Promouvoir les investissements directs de l'ASEAN en France

On parle aujourd'hui, à tort, beaucoup plus de la Chine ou du Qatar que de L'ASEAN comme nouvel acteur de l'investissement international 163 ( * ) .

Depuis une douzaine d'années, les entreprises chinoises achètent des actifs énergétiques et miniers, rachètent des entreprises détentrices de technologies, ouvrent des centres de recherche et créent leurs réseaux de distribution dans le monde, avec un flux annuel d'investissement pratiquement multiplié par 100 entre 2000 et 2013. Elles focalisent naturellement l'attention.

Et pourtant, avec 603 milliards de dollars fin 2012 , le stock d'investissements à l'étranger des pays de l'ASEAN reste, selon la CNUCED, supérieur à celui de la Chine , qui se situe à 530 milliards de dollars.

Singapour représente 2/3 de ce stock, avec 401 milliards de dollars, suivi par la Malaisie (120,4 milliards de dollars), la Thaïlande (52,6 milliards de dollars) et l'Indonésie (18,5 milliards de dollars). Historiquement Singapour et la Malaisie ont commencé à devenir des investisseurs significatifs (avec un flux annuel supérieur à 1 milliard de dollars) dès le début des années 1990, rejoints par l'Indonésie en 2004, la Thaïlande en 2007 et le Vietnam en 2012.

Singapour et la Malaisie enregistrent des flux annuels supérieurs à 10 milliards de dollars d'investissement à l'étranger depuis quelques années, la Malaisie étant par ailleurs exportatrice nette d'investissements depuis 2012.

Singapour investit d'abord en Asie (57% du stock total), devant l'Europe (15%, dont 2/3 en Grande Bretagne), l'Amérique Centrale et du Sud, l'Afrique et finalement l'Amérique du Nord qui ne recueille que 2% des investissements singapouriens.

La Malaisie est pour sa part un peu moins centrée sur l'Asie (qui représente 36% de ses investissements des trois dernières années), davantage sur l'Amérique du Nord (19%) et plus faiblement sur l'Europe (8%).

Nombre d'implantations

Nombre d'emplois

Principaux secteurs

Singapour

42

1 651

Hôtellerie, NTIC

Thaïlande

13

1 330

Agroalimentaire, Chimie/Papier

Indonésie

13

647

Pâte à papier

Malaisie

18

91

Hôtellerie, Commerce de gros

Brunei

2

520

Hôtellerie

TOTAL

88

4 239

Source : « Horizon ASEAN » n°9, mai 2014, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

Comme pour nos produits ou notre langue, la France doit sortir d'une image surannée et réductrice d'une France des parfums, de la haute-couture, et des vins fins, y compris pour attirer sur notre sol de nouveaux investisseurs asiatiques. La France est autre chose que seulement l'eldorado du luxe...

Les investissements thaïlandais en France

La Thaïlande est sans doute le pays le plus dynamique en termes d'investissements industriels en France, avec notamment trois grands acteurs : Thaï Union Frozen , premier producteur mondial de conserves de thon, acquéreur de la marque Petit Navire et disposant d'une usine à Douarnenez avec 350 emplois ; PTT Global Chemical , qui dispose d'un site à Pont-de-Claix racheté au groupe Rhodia et d'un centre de recherche à Saint-Fons en région lyonnaise avec au total plus de 600 salariés ; et Double A , leader de la papeterie, qui s'est porté acquéreur du site d'Alizay dans l'Eure où il produit du papier et bientôt de la pâte à papier pour servir les marchés d'Europe, d'Afrique et du Moyen Orient, avec à terme 250 salariés.

Source : Direction générale du Trésor, étude du service économique régional

À l'occasion de leurs entretiens ministériels à Singapour, vos rapporteurs ont constaté qu'il existe une règle implicite des « 7 heures d'avion » : les entreprises singapouriennes n'investissent pas plus loin, géographiquement, que les États accessibles en 7 heures de vol.

Compte tenu du potentiel d'investissement des entreprises et des fonds souverains de pays comme Singapour, la Malaisie ou l'Indonésie, une offensive particulière doit être menée dans leur direction, pour combattre ce préjugé de l'éloignement.

Proposition : développer, dans le discours sur l'attractivité française pour les investissements privés et les fonds souverains d'Asie du Sud-Est, un argumentaire spécifique pour vaincre la règle implicite des « 7 heures d'avion ».

5. Résoudre la lancinante question des visas

Rien de neuf sous le soleil : la question des visas revient de façon lancinante comme un caillou dans notre chaussure.

Procédures trop longues et trop complexes au regard du faible risque migratoire dans la région, goulot d'étranglement pour un tourisme haut de gamme, effet de ciseau entre la demande qui croit, les procédures qui se complexifient et les moyens qui stagnent ou diminuent, le diagnostic a déjà été désormais clairement posé par toute une série de rapports officiels.

Au Vietnam par exemple, où sont délivrés 10 000 visas « seulement » par an, avec un taux de rejet dans la moyenne, la lourdeur est jugée excessive.

Le renforcement des services des visas dans les pays de l'ASEAN a été opéré à dose homéopathique. Faut-il rappeler que l'activité « visas » est rentable : les sommes collectées paient plus que les salaires des agents qui y sont affectés !

LE RENFORCEMENT « HOMÉOPATHIQUE » DES EFFECTIFS VISAS

L'accroissement de l'activité consulaire dans la zone (explosion du nombre des demandes de visas...) a conduit à la création de postes de titulaires et d'agents de droit local dans les sections consulaires de nos ambassades aux Philippines , en Indonésie , à Singapour , en Thaïlande et au Vietnam .

Mais ces créations ont été gagées par des redéploiements (notamment par des suppressions de postes parmi les effectifs de soutien).

En Indonésie , la section consulaire a été renforcée par la création de deux postes (dont un pour les visas) en 2013. Aux Philippines , deux postes supplémentaires ont été créés au service des visas, et un poste en Thaïlande .

Source : ministère des affaires étrangères, réponse au questionnaire de votre commission

Proposition : appliquer la même priorité à l'ASEAN qu'à la Chine (délivrance accélérée) : y accélérer le renforcement des effectifs « visas » dans ces pays où le risque migratoire est faible et où les touristes sont nombreux et à hauts revenus.

6. Soutenir les ambitions des pays de la région pour apparaître comme un partenaire fiable

Enfin, nous devons apparaître aux yeux de nos partenaires du Sud-Est asiatiques comme fiables dans la durée.

Pour cela nous devons aussi soutenir leurs légitimes ambitions, notamment en matière de politique étrangère.

Membre par le passé à trois reprises du Conseil de Sécurité, l'Indonésie espère être élue pour les années 2019-2020.

La Malaisie est quant à elle candidate à un siège de membre non-permanent du Conseil de Sécurité pour 2015-2016.

Ces deux pays aspirent à avoir une diplomatie globale et à être un facteur d'équilibre.

Proposition : même si, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France ne peut se prononcer officiellement sur les candidatures dans cette enceinte, il va de soi que, s'agissant de deux partenaires importants, l'élection de la Malaisie et de l'Indonésie comme membres non permanents ne peut qu'être envisagée que très positivement. Votre commission souhaite que tout soit mis en oeuvre, le cas échéant et le moment venu, pour une collaboration la plus étroite et fructueuse possible au sein du Conseil de sécurité .

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa séance du 15 juillet 2015, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président.

Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Jeanny Lorgeoux . - Votre rapport, dont je salue la grande qualité, nous incite à réfléchir au pivotage mondial vers la région Pacifique. La montée de la Chine en mer de Chine méridionale et sa volonté de maîtriser le détroit de Malacca ne nous conduisent-ils pas inéluctablement à des affrontements armés, compte-tenu des rivalités historiques (Chine-Viet Nam notamment) ?

M. Jean-Claude Peyronnet . - Certains analystes font en effet un parallèle avec l'Europe de 1914, qui est inquiétant. En même temps, les États-Unis contrebalancent dans la région l'influence chinoise. La Chine elle-même est très liée sur le plan non seulement économique, mais aussi culturel, avec les diasporas chinoises, aux autres pays d'Asie du Sud-Est.

M. André Dulait . - Aucun de ses voisins n'a les moyens de s'opposer à la Chine, qui ne cherche pas non plus l'affrontement armé, mais la protection de ses intérêts tant économiques que stratégiques, puisqu'elle aspire à permettre l'accès de ses sous-marins aux grandes fosses océaniques via la Mer de Chine méridionale.

M. Christian Cambon . - Nous avons eu au cours de plusieurs entretiens conduits pour la préparation du rapport l'impression que ces questions stratégiques étaient aussi le prétexte à une mobilisation à des fins de politique intérieure. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension : le nationalisme est fort, tant en Chine que dans les pays d'Asie du Sud-Est, nous l'avons mesuré lors de notre mission au Vietnam où des émeutes « antichinoises » ont éclaté à la suite de l'installation de la plate-forme d'exploration pétrolière.

M. Jean-Pierre Chevènement . - Gardons-nous surtout d'un tropisme « antichinois », qui serait contraire au sens de l'histoire. La Chine reprend la place qui a été la sienne jusqu'au début du 19 e siècle. Cela ne peut se faire sans quelques secousses... Personne ne veut la guerre, ni la Chine, ni les États-Unis, ni les États de la région. La Chine est une puissance considérable, comme le sera d'ailleurs l'Inde dans quelques années... En Indonésie, la minorité chinoise domine économiquement. C'est une région compliquée, dans laquelle nous devons faire, avant tout, du commerce, et mettre, peut-être, au second plan la géostratégie. La bipolarité entre la Chine et les États-Unis est d'ailleurs sans doute pour nous un moyen de résister à la pression d'un allié, certes, mais qui n'hésite pas à infliger une lourde amende à l'une des principales banques européennes. Avons-nous intérêt à une domination trop intrusive, fût-ce celle d'un allié ? La Chine n'est pas une menace pour la France. Nous devons tâcher de faire fructifier nos relations économiques, et le cas échéant de jouer, en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, un rôle de conseil ou d'intercession. Je crois que les intérêts chinois sont avant tout économiques, et comme vous l'avez dit, stratégiques -vous avez mentionné leurs sous-marins-.

M. Jean-Claude Peyronnet . - C'est tout à fait la tonalité de notre rapport. La Chine développe un commerce très vigoureux avec l'Afrique, et souhaite aussi sécuriser ses flux maritimes.

M. Jean Besson . - Je partage l'analyse de Jean-Pierre Chevènement ; la Chine n'a nul intérêt à la guerre, et se place sur le terrain de la compétition économique. L'influence chinoise est forte en Asie du Sud-Est, ainsi en est-il dans les provinces du Nord de la Birmanie ou encore à Singapour, où 75 % de la population est d'origine chinoise et où l'accord de libre-échange Singapour-Chine conclu en 2008 a eu un effet d'entraînement.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je salue votre analyse et la pertinence de vos propositions. Le manque de visites officielles pendant dix ans a pu être perçu comme du mépris et la visite de Jean-Marc Ayrault dans la région était vraiment bienvenue. Pourquoi proposer un diplomate à plein temps auprès de l'ASEAN, alors que notre ambassadeur à Jakarta y est déjà accrédité ? Quelles sont les difficultés pour trouver un professeur de français ? Les redéploiements dans le réseau diplomatique sont douloureux puisqu'ils se font sous un plafond d'emplois très contraint...

M. Jean-Louis Carrère, président . - Enseigner le français aux militaires indonésiens est un investissement pour l'avenir, car cela permettra d'amorcer des échanges aujourd'hui quasi inexistants. Sur le réseau diplomatique, je puis vous dire, à la suite du rapport que j'avais présenté sur les co-localisations diplomatiques, qu'il est certes douloureux, mais faisable, voire nécessaire.

M. André Trillard . - Je suis très sensible à vos propos relatifs aux droits qui s'attachent aux zones économiques exclusives. Des diplomates vietnamiens nous ont déjà alertés par le passé, notamment sur la section de câbles sous-marins par des navires chinois.

Mme Éliane Giraud . - La priorité donnée au rattrapage de nos positions économiques au Vietnam et en Indonésie me paraît essentielle. Je souhaite une meilleure complémentarité entre l'aide publique au développement de l'État et celle des collectivités territoriales.

M. Gilbert Roger . - Dans un pays centralisé comme le Vietnam, la coopération décentralisée se heurte parfois à des obstacles. J'ai vu des marchés issus de projets aidés par la coopération française attribués à des entreprises allemandes... Au Vietnam, les jeunes générations ont adopté le mode de vie américain : les jeunes ne parlent plus français. Idem pour la coopération hospitalière : il est plus facile pour les médecins vietnamiens d'aller aux Etats-Unis.

Puis la commission adopte le rapport à l'unanimité et autorise sa publication sous forme de rapport d'information.


* 161 Référé 65 294, février 2013

* 162 Alors que les données 2007 à 2012 correspondent aux consommations (rapport annuel de performance), le budget exécuté 2013 est donné à titre indicatif et correspond à la loi de finances initiale

* 163 Source : « Horizon ASEAN » n°9, mai 2014, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

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