CHAPITRE 2 : DANS UNE ASIE DU SUD-EST COURTISÉE, AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES, LA FRANCE PEINE À EXISTER

I. UNE RÉGION TOTALEMENT INTÉGRÉE À LA MONDIALISATION, OÙ RIVALISENT LES PUISSANCES, AU CoeUR DU BASCULEMENT GÉOPOLITIQUE DU MONDE

A. DES ÉCONOMIES OUVERTES QUI MULTIPLIENT LES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE

1. Des économies particulièrement ouvertes, une insertion de plus en plus complète dans les flux d'échange mondiaux

L'Asie du Sud-est est de plus en plus intégrée à l'économie mondialisée . Cinq pays de l'ASEAN ont des échanges extérieurs qui représentent plus de 100 % du PIB (Singapour, Malaisie, Thaïlande, Vietnam et Cambodge 96 ( * ) ). Le pays le moins internationalisé commercialement, l'Indonésie, a un ratio commerce extérieur sur PIB qui dépasse cependant les 40 %, c'est-à-dire proche du ratio français 97 ( * ) .

Source : Panorama économique de l'ASEAN, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor, avril 2014

2. Des accords de libre-échange qui se multiplient

Pour autant, les obstacles aux échanges et les problèmes d'accès au marché pour les produits étrangers sont encore nombreux, même s'ils sont considérés dans l'ensemble moins élevés au sein de l'ASEAN qu'en Chine ou en Inde.

À des droits de douane encore parfois très élevés (qui entravent par exemple l'exportation de produits alimentaires ou d'automobiles), se rajoutent des obstacles non tarifaires aux échanges.

LES OBSTACLES NON TARIFAIRES AUX ÉCHANGES

L'accès aux marchés demeure un sujet de préoccupation. S'agissant des règles de l'OMC, l'Indonésie, les Philippines et la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam ont multiplié les mesures de sauvegardes et imposé des entraves au commerce (mise en place de réglementations, mesures ou normes techniques et sanitaires (SPS) pouvant être assimilés à des obstacles non tarifaires au commerce (OTC) et recouvrant parfois une dimension discriminatoire (exigences halal, limites de radioactivité, réglementations sur les alcools, contraintes d'étiquetage). L'Union Européenne a déjà demandé des consultations à l'OMC.

L'exemple de l'exportation des produits agroalimentaires est parlant. De nombreux obstacles au marché (droits de douane, taxes intérieures, licences d'importation, obstacles sanitaires) limitent la progression des vins et spiritueux et la diversification de nos ventes vers les productions animales et végétales.

Prenons l'exemple de l'exportation de viande française 98 ( * ) : à une quasi-absence de réglementation sanitaire et phytosanitaire jusqu'en 2006, se sont substituées des exigences techniques et administratives complexes, imposées par les autorités de nos destinations préférentielles (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam). L'allègement des procédures à Singapour depuis 2011 demeure l'exception, alors qu'Indonésie et Malaisie ajoutent des exigences halal, dont l'absence de transparence amène les professionnels à repenser leur volonté d'exportation de viande (hors porc) vers ces pays.

Depuis 2009, le long et complexe processus d'agrément des établissements progresse et devrait, en 2014, porter ses fruits, en particulier aux Philippines, en Thaïlande, au Vietnam (boeuf) et en Malaisie (porc).

Lever ces obstacles tarifaires et non tarifaires est tout l'enjeu des accords de libre-échange en cours de négociation. De fait, la région est prise d'une sorte de « frénésie » des accords de libre-échange, véritable « course » aux accords de libre-échange.

a) Les accords intra-asiatiques et le projet d'accord avec la Chine

D'après la Banque asiatique de développement 99 ( * ) , on dénombre des dizaines d'accord de libre-échange en Asie du Sud Est. Tous les membres de l'ASEAN sans exception se sont en effet engagés dans un processus de plus en plus large d'accords, incluant les membres de l'ASEAN eux-mêmes, leurs partenaires de l'ASEAN + 3 (Chine, Japon et Corée), l'Australie, la Nouvelle Zélande et l'Inde.

ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE CONCLUS PAR LES PAYS D'ASIE DU SUD EST

Brunei (18 Accords)

Cambodge (12 Accords)

Indonésie (22 Accords)

Laos (14 Accords)

Malaisie (27 Accords)

Birmanie (13 Accords)

Philippines (16 Accords)

Singapour (38 Accords)

Thaïlande (29 Accords)

Vietnam (19 Accords)

Source : Banque asiatique de développement

La multiplication des accords a certes ouvert des débouchés nouveaux pour les entreprises, mais a aussi créé un environnement règlementaire complexe où s'enchevêtrent normes, règles et procédures douanières non homogènes. Ce biais, lié à la multiplication des accords, conduit paradoxalement à une augmentation des coûts de transaction.

Certains de ces pays sont également engagés dans des négociations de libre-échanges régionaux, avec le RCEP ( Regional Comprehensive Economic Partnership ). Les négociations au sein de l' « ASEAN+3 » (ASEAN, Japon, Chine, Corée du Sud), puis leur prolongement en 2012 au sein du RCEP, visent à créer la plus importante zone de libre-échange au monde en termes de population : un marché de plus de 3,4 milliards de consommateurs, avec un PIB cumulé avoisinant 21 000 milliards de dollars (29% du PIB mondial). Ce projet de partenariat régional regroupant 16 pays (ASEAN, Chine, Corée du Sud, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, Inde) devrait permettre de renforcer l'émergence d'un grand marché asiatique dont la logique de fonctionnement ne serait plus celle de l'atelier du monde, mais une logique de développement nettement plus autonome.

La zone de libre-échange Chine - ASEAN (ou CAFTA), qui a vu le jour le 1 er janvier 2010, est la première au monde pour sa population (1,9 milliard de consommateurs) et la 3 ème pour son PIB (après l'UE et l'accord de libre-échange nord-américain, le NAFTA). Le volume d'échanges couvert a été multiplié par 37 en 20 ans (à 400 milliards de dollars), et il croit chaque année de 20% 100 ( * ) .

Les dirigeants chinois, -le Président Xi Jinping en octobre au sommet de l'APEC, en particulier- défendent désormais la conclusion d'un traité de libre-échange élargi, ou « Accord de libre-échange Asie Pacifique » (FTAAP) qui, bien que présenté comme complémentaire du partenariat trans-pacifique (TPP) négocié autour des Etats-Unis (incluant 12 pays mais excluant la Chine), est généralement analysé comme une proposition plutôt concurrente, ou à tout le moins une critique implicite de la proposition défendue par les Etats-Unis.

b) L'initiative américaine de partenariat transatlantique

La stratégie du « pivot » américain vers l'Asie a aussi un volet commercial. Les Etats-Unis disposent d'un accord de libre-échange avec quasiment tous les pays de l' « ASEAN-6 », dont Singapour qui bénéficie d'un accord élargi, intégrant une libéralisation partielle des services financiers. Les États-Unis ont rejoint en 2010 les négociations du Trans-Pacific Partneurship, TPP 101 ( * ) , accord « de nouvelle génération », incluant des États au PIB cumulé de 29 000 milliards de dollars et se distinguant par une couverture élargie des sujets traités (29 chapitres de négociation), incluant des clauses relatives à la propriété intellectuelle, à la protection de l'environnement, au droit du travail et au règlement des différends.

Mais ce champ ambitieux de négociation n'est pas sans poser de problèmes, compte tenu de la diversité des situations notamment au sein de l'ASEAN. L'objectif de Singapour est de parvenir à une libéralisation des services, tout en portant une attention particulière aux modalités d'ouverture des marchés publics (la cité-État est caractérisée par un nombre important de sociétés liées à l'État et financées par son fonds souverain Temasek ). La Malaisie est, quant à elle, préoccupée par l'accès au marché américain pour ses produits agricoles, le Vietnam pour ses productions textiles. Les questions de droit du travail et de propriété intellectuelle soulèvent aussi des difficultés, en particulier pour la Malaisie. En outre, les pays de la région sont également très réticents à prendre des engagements contraignants dans le domaine social, qui viendraient entraver la conduite de leur politique intérieure, ce qui ne facilitera pas la négociation du volet « travail ». La même question se pose sur le volet environnement.

c) Les accords de libre-échange négociés avec l'Union européenne

À l'origine, l'Union européenne envisageait un accord de libre-échange interrégional avec les pays de l'ASEAN. Un mandat avait été confié en ce sens par le Conseil à la Commission européenne en avril 2007.

En 2009, suite à des difficultés résultant notamment de la trop grande hétérogénéité de la zone, la Commission a proposé de poursuivre sur des bases bilatérales les négociations.

Depuis, plusieurs négociations tendant à la conclusion d'accords de libre-échange ont été soit conclues (16 décembre 2012 avec Singapour ) soit entamées (avec la Malaisie le 5 octobre 2010, avec le Vietnam le 26 juin 2012 et avec la Thaïlande le 27 mai 2013).

Premier accord négocié avec un pays de la zone, l'accord avec Singapour doit être complété par un volet sur les investissements pour être finalisé, qui intègre des dispositions relatives à la transparence, aux mécanismes de règlement des litiges, et aux normes de protection des investissements.

L'intérêt de l'accord, au-delà de l'accès au marché singapourien qu'il confère, est aussi, pour les entreprises européennes, d'harmoniser leur traitement avec celui appliqué à leurs concurrentes étrangères dans différents secteurs clés des services (en vertu de la clause de « la Nation la plus favorisée », garantissant à des pays tiers des avantages commerciaux égaux à ceux dont bénéficie la nation la plus favorisée). Pour l'Union Européenne, cet accord constitue aussi une référence, sur laquelle s'appuyer afin d'améliorer l'accès aux autres marchés de l'ASEAN.

L'état des négociations des accords de coopération et de libre-échange entre l'Union européenne et l'ASEAN

(source : ministère des affaires étrangères, mars 2014)

Pays

État d'avancement des négociations (accords de partenariat et de coopération APC et accords de libre-échange ALE)

Brunei

1) Accord de partenariat et de coopération : Les négociations ont été lancées officiellement le 26 avril 2012. Le quatrième « round » de négociations s'est tenu à Bandar Seri Begawan les 11 et 12 novembre 2013.

2) Le Brunei souhaite engager des négociations sur un accord bilatéral de libre-échange avec l'Union européenne, mais souhaite également que les négociations reprennent sur un ALE de région à région (UE-ASEAN).

Indonésie

1) Accord de partenariat et de coopération signé en novembre 2009.

2) Les discussions en vue d'un approfondissement de la relation commerciale UE-Indonésie par la négociation d'un Accord de Partenariat Economique Global (APEC) débutent à peine. L'UE et l'Indonésie envisagent d'engager un travail préparatoire afin de définir le champ et le niveau d'ambition de cet accord (document de cadrage préalable à des négociations).

Malaisie

1) Les négociations sur un accord de partenariat et de négociation UE-Malaisie ont débuté fin 2010. Le dernier « round » de négociations s'est déroulé en juillet 2012.

2) Les négociations sur un accord de libre-échange ont débuté en parallèle. Le dernier « round » de négociations s'est déroulé en septembre 2012.

Philippines

1) APC signé le 11 juillet 2012, en marge du forum régional de l'ASEAN à Phnom Penh.

2) ALE : Élaboration en cours d'un document de cadrage pour définir le périmètre. La dernière réunion de hauts fonctionnaires UE-Philippines a eu lieu à Bruxelles le 11 juin 2013.

Singapour

1) Les négociations entre l'Union européenne et Singapour à propos d'un Accord de partenariat et de coopération se sont achevées le 1 er juin 2013.

2) L'Union européenne et Singapour ont paraphé le 20 septembre 2013 une partie de l'accord de libre-échange, le chapitre investissement restant pour sa part toujours pendant.

Thaïlande

1) Négociation de l'accord de partenariat et de coopération lancée en 2004. Le compromis global sur les questions non résolues - Cour pénale internationale, anti-dumping, mesures sanitaires et phytosanitaires, armes de destruction massive - a été conclu le 14 février 2013. La conclusion des négociations a été annoncée pendant la visite de la PM Yingluck Shinawatra à Bruxelles le 6 mars 2013.

2) Négociation de l'accord de libre-échange (ALE) lancées le 6 mars 2013. Première session de négociations à Bruxelles du 27 au 31 mai 2013, deuxième session du 16 au 20 septembre 2013 à Chiang Mai.

Vietnam

1) APC signé le 27 juin 2012, à Bruxelles.

2) ALE : L'UE et le Vietnam ont engagé les négociations le 26 juin 2012. 6 ème session de négociation du 13 au 17 janvier 2014 à Bruxelles.


* 96 Source : « Horizon ASEAN », étude du service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor, août 2011

* 97 Source : ibid

* 98 Données tirées de l'étude du service économique régional de Singapour, in Horizon ASEAN n°8, janvier 2014

* 99 http://www.aric.adb.org/fta-country

* 100 Source : audition de M. Eric Frécon

* 101 Le TPP est une extension d'un accord initialement signé en 2005 par 4 pays d'Asie-Pacifique : Brunei, Chili, Nouvelle-Zélande et Singapour. Cinq autres pays (Australie, Malaisie, Pérou, États-Unis et Vietnam) se sont ensuite associés au partenariat.

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