E. UNE STABLITÉ POLITIQUE INTÉRIEURE À CONSTRUIRE OU À CONSOLIDER

1. L'introuvable issue à la crise politique en Thaïlande

Après des mois de crise entre les « chemises jaunes » et les « chemises rouges », entre le « système Taksin » (Shinawatra) et ses opposants, entre les habitants du Nord, ruraux, et la classe aisée de Bangkok, le coup d'Etat du général Prayuth Chan-Ocha (22 mai 2014) a conduit à l'instauration d'un régime militaire, concentrant l'essentiel des pouvoirs -y compris le pouvoir législatif-, à la dissolution des assemblées élues et à l'instauration d'une loi martiale et d'un couvre-feu dans le pays.

Le général Prayuth Chan-Ocha a annoncé vouloir réformer les institutions thaïlandaises, mais sans préciser les modalités de réalisation de la réforme, comme, dans un second temps, de leur validation. Il en va de même pour la question des élections législatives, renvoyées à une date indéterminée (2015 ?).

La convocation puis la mise en détention de personnalités politiques ou intellectuelles, de même que des manifestants et activistes, soulèvent de nombreuses interrogations, tout comme les restrictions apportées au passage des frontières et à la libre circulation entre la Thaïlande et l'étranger pour plus de 150 personnalités thaïlandaises. La question du respect des droits de l'Homme est naturellement suivie avec la plus grande attention par les autorités françaises.

Ce coup d'État, qui intervient après des mois de troubles à l'ordre public et après la destitution de la Première ministre Yingluck Shinawatra par la Cour constitutionnelle, est le douzième coup d'Etat militaire mené à terme depuis 1932 en Thaïlande.

Il met à jour les fractures de la société Thaïlandaise, fractures entre « l'élite » de la ville et les paysans des campagnes (base électorale traditionnelle, pourtant du parti Phuea Thai), entre riches et pauvres, entre les chemises jaunes et les chemises rouges, mais aussi -mais surtout ?- divorce entre la classe moyenne éduquée, rejointe par les acteurs économiques, et les pratiques politiques de ceux que certains observateurs n'hésitent pas à décrire comme un véritable « clan ».

Pour plusieurs experts entendus par votre commission, cette crise politique pose en filigrane deux grandes questions :

- L'aspiration tant à une réforme profonde dans la répartition du pouvoir et des richesses au sein de la société qu'à un changement des pratiques politiques ;

- La question de la succession monarchique.

2. La transformation économique et sociale du Cambodge

Le Cambodge revient de loin. Après l'« utopie meurtrière » des Khmers Rouges, faisant deux millions de morts (25% de la population du pays), victimes des évacuations forcées, des chantiers de travail, des exécutions et de la famine, et la chute du régime en janvier 1979, à la suite de l'offensive de l'armée vietnamienne, le pays, plongé dans la guerre civile jusqu'en 1989, date du retrait vietnamien, n'en sortira que grâce à un processus de paix soutenu par l'ONU et concrétisé dans les accords de Paris de 1991 , qui entérinent l'objectif de reconstruction et de réconciliation nationale entre les différentes factions impliquées.

La France occupe une place particulière dans sa relation avec le Cambodge, non seulement du fait d'une histoire commune et de la francophonie, mais aussi du rôle joué par la France en faveur du développement du pays suite aux accords de Paris de 1991.

Mais il reste du chemin à parcourir pour enclencher un réel développement économique.

L'agriculture , dépendante des aléas climatiques dans une région tropicale marquée par la mousson, représente toujours le quart (27%) du PIB, et emploie plus de 80% de la population.

Le secteur textile -marqué par des revendications notamment salariales compte tenu des conditions d'emploi des ouvrières- représente quant à lui 15% du PIB et plus de 88% des exportations, soit 4,61 milliards de dollars, ce qui en fait le principal poste d'exportation.

La corruption est jugée endémique par de nombreux experts, et pourrait même constituer un frein majeur au développement, puisque le pays figure au 160 e rang du classement de Transparency International 2013 (perdant 3 places par rapport à 2012). Des mesures ont été prises par le Gouvernement (adoption d'une loi anti-corruption par l'Assemblée nationale en mars 2010, durcissement du Code Pénal, création d'une unité anti-corruption en 2011).

Des facteurs de transformation puissante de la société sont à l'oeuvre. Ainsi en est-il de la jeunesse cambodgienne, connectée et revendicative. « Deux tiers des Cambodgiens ont moins de 30 ans : cette génération montante, en passe de prendre en mains le destin politique, social, économique et même religieux de la société est donc née après le régime Khmer rouge », analyse un récent article 61 ( * ) . Connectée (1,1 million de comptes Facebook ), cette génération porte une revendication collective, qui cible non seulement les salaires de l'industrie textile, mais encore les questions de propriété foncière, ou de préservation des ressources naturelles 62 ( * ) .

Sur le plan économique, le pays continue de progresser (le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté serait passé de 53% de la population en 2004 à 18% en 2012 63 ( * ) ), en partie sous l'effet conjugué de la hausse du prix du riz et de la construction d'infrastructures essentielles pour l'exportation. La hausse de la consommation est de 38% entre 2004 et 2012 et aujourd'hui 55% des Cambodgiens ont une moto, 62% un téléphone portable, 63% un téléviseur.

Pour autant, des carences lourdes demeurent : seuls 22% ont accès à l'électricité, et l'indice de développement humain du Cambodge reste encore en dessous de la moyenne régionale. La malnutrition toucherait encore 40% des enfants cambodgiens, et la disparité entre les villes et les campagnes est encore très forte.

3. La « Printemps birman » ou la transition octroyée

La transition politique en Birmanie , depuis l'été 2011, est sans précédent, puisque ce bouleversement majeur est aussi en quelque sorte une transition « octroyée 64 ( * ) » par le pouvoir, sous l'impulsion du Président Thein Sein.

Elle s'est traduite par la libération de prisonniers politiques, la signature d'accords de cessez-le-feu entre le gouvernement et plusieurs groupes ethniques armés, des mesures de libéralisation politique, sociale et économique, l'élection au parlement d'Aung San Suu Kyi et d'une quarantaine de membres de son parti, la LND, lors des législatives partielles d'avril 2012. La première visite d'Aung San Suu Kyi en Europe depuis 24 ans (Oslo, Genève, Dublin, Londres, Oxford, Paris) en juin 2012, pour recevoir son prix Nobel de la paix, en a été le symbole.

En avril 2013, le Conseil des Affaires étrangères de l'Union européenne a décidé de ne pas renouveler les sanctions à l'encontre la Birmanie (à l'exception de l'embargo sur les armes).

Naturellement, ces évolutions positives ne règlent pas les questions lancinantes que sont les droits de l'opposition politique, ceux des minorités ethniques, celle des prisonniers politiques encore en détention et celle des restrictions de l'accès humanitaire, qui demeurent d'importantes sources de préoccupation. Les tensions interethniques et interreligieuses sont vives comme en témoignent les violences croissantes entre bouddhistes et musulmans : initialement cantonnées dans le Kachin, elles gagnent peu à peu du terrain. La situation de l'Arakan est plus que préoccupante.

Le soutien de la France à une transition politique encore marquée par une certaine ambiguïté et qui est appelée, en tout état de cause, à s'approfondir 65 ( * ) (on pense notamment à la révision constitutionnelle , au rôle et au poids de l'armée , encore prégnant, au sein des institutions) se manifeste notamment par le biais de l'aide au développement , l'autorisation ayant été donnée, en mars 2012, pour l'Agence française de développement, d'intervenir en Birmanie dans les domaines de l'agriculture, de l'eau et de l'assainissement, et de la santé. La France a également amplifié son soutien à la société civile birmane.

Certains partenaires sont particulièrement actifs en Birmanie. Ainsi en est-il des États-Unis , sur le plan économique, depuis la levée de l'interdiction des investissements américains en juillet 2012.

4. Le Laos en mutation

Pays peu peuplé (6,6 millions d'habitants) et enclavé, le Laos appartient lui aussi à la catégorie des pays les moins avancés.

Après le renversement de la monarchie en 1975, la République démocratique populaire lao s'est efforcée de bâtir un État centralisé autour d'une idéologie d'inspiration communiste, incarnée par un parti unique : le Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL). Durant les premières années du régime, l'ouverture de "camps de rééducation", la mise sous tutelle du clergé bouddhiste, la nationalisation du commerce et le programme de collectivisation agraire ont provoqué la fuite de 10% de la population, dont la majeure partie de l'élite et des classes moyennes.

S'ouvrant progressivement, depuis la fin des années 1980, à l'économie de marché, le Laos reste encore marqué par une politique à régime unique communiste d'obédience marxiste-léniniste, par une certaine défiance vis-à-vis de l'extérieur ainsi que par un certain nombre de rigidités et de lourdeurs administratives.

Porté par le dynamisme économique régional, le Laos est toutefois engagé, depuis 1986, dans un " nouveau mécanisme économique " caractérisé par la mise en place de réformes économiques et par l'ouverture graduelle du pays, qui a adhéré à l'ASEAN en 1997 et à l'OMC en février 2013. Son taux de croissance s'est élevé à plus de 8% en 2013.

Lié économiquement et politiquement au Vietnam (Traité spécial d'amitié et de coopération de 1977) et économiquement à la Thaïlande , avec laquelle il réalise 60% de ses échanges commerciaux, le Laos a des liens économiques forts avec la Chine -notamment le Yunnan- , désormais premier investisseur étranger , (avec un stock de 4 milliards de dollars), notamment dans les infrastructures (projet de chemin de fer Kunming-Vientiane, mise en service du pont de Houayxai, dernier tronçon d'une voie routière moderne de 1800 km entre Bangkok et Kunmin à travers le Nord-Ouest du Laos), l'exploitation de ressources naturelles (hévéa, canne à sucre, café, bois, minerais) et la production d'électricité.

Le bassin hydrographique du Laos ainsi que ses principaux affluents confèrent au pays un statut particulier en lui donnant un potentiel hydro-énergétique exceptionnel (estimé à 23 000 MW), ce qui pourrait faire du Laos la « pile » de l'Asie du Sud-Est, qui plus est avec une énergie renouvelable (il exporte de l'électricité vers les pays voisins, en particulier d'origine hydraulique).

Peu industrialisé, le Laos tente de sortir du statut de pays le moins avancé à l'horizon 2020.

5. Les défis du Vietnam

Le Vietnam « galope » : son PNB a été multiplié par 5 en 15 ans, le revenu par habitants est passé de 400 à 1700 dollars (2400 à Ho Chi Minh Ville), il a désormais intégré la catégorie des pays à revenus intermédiaires.

État à parti unique, le parti communiste vietnamien (PCV), le Vietnam connait depuis plusieurs années des évolutions économiques et sociales accélérées qui n'ont, jusqu'à présent, pas affecté la nature du régime (malgré des débats en son sein entre conservateurs et réformateurs 66 ( * ) ). Le processus décisionnel reste dominé par le Comité central et le Bureau politique du PCV, présent à tous les niveaux tant de l'administration que des écoles, des entreprises, des organisations socio-professionnelles, de l'armée ou de la police. La surveillance des moyens d'expression est encore très étroite, comme le montre notamment la situation des bloggeurs, qui font régulièrement l'objet d'arrestations ou intimidations.

Avec la question de l'évolution du régime, plusieurs défis sont clairement posés :

- le défi de la gouvernance économique : outre le système bancaire, affecté, comme cela a déjà été dit, par des créances douteuses, la gouvernance des entreprises publiques souvent liées au régime est un chantier délicat, de même que la question lancinante de la corruption ;

- le défi social : les inégalités se creusent dans un pays où la croissance économique a surtout profité aux villes et à une fraction de privilégiés. En outre, un niveau de croissance élevé est nécessaire pour garantir le bien-être social dans une société où l'on observe un rapide changement des moeurs et la fin des solidarités traditionnelles ;

- le défi démographique : 56% de la population a moins de 20 ans au Vietnam, qui va connaître une croissance importante de ses villes dans les années à venir et doit absorber chaque année un million de jeunes qui arrivent sur le marché du travail, posant la question à la fois de la création d'emplois et de la qualification des jeunes.

6. Les Philippines, un allié américain sous la pression chinoise

Les Philippines , avec près de 100 millions d'habitants, sont le deuxième Etat de la région par la population, mais la 5 ème économie d'Asie du Sud-Est. Après trois siècles de colonisation espagnole (c'est un des seuls pays d'Asie où le christianisme est la religion majoritaire) et près d'un demi-siècle de tutelle américaine, c'est un processus de démocratisation qui s'est engagé à compter de 1986.

Situées en zone tropicale, les Philippines sont régulièrement victimes de catastrophes naturelles, comme le typhon Haiyan , qui a en particulier frappé la région des Visayas le 8 novembre 2013, a causé de lourdes pertes humaines ainsi que des dommages économiques considérables.

L'économie philippine repose sur des fondamentaux solides : forte croissance (6,5% en 2013), inflation maîtrisée (3,3%), faible déficit budgétaire (moins de 3% du PIB), endettement réduit, population largement anglophone et bon niveau d'éducation.

Les Philippines ont été ainsi désignées en 2013 par la Banque mondiale et le FMI comme « le nouveau tigre asiatique », en raison notamment de sa forte croissance, (en moyenne 5% depuis le début des années 2000, la plus dynamique de l'ASEAN en 2012). Les points forts de l'économie sont les composants électroniques (50% des exportations, pour plus de 20 milliards de dollars et les services délocalisés aux entreprises, 10 milliards de dollars). Le pays est remonté dans les classements des agences de notation, l'indice boursier philippin a connu en 2012 la plus forte progression de l'ASEAN (près de 40%) et le peso s'est apprécié de 6%.

Les Philippines ont de très bonnes positions en matière de chantiers navals (4 e rang au monde), géothermie (2 e producteur au monde) et pour les mines (5 e potentiel mondial).

Toutefois, le pays souffre encore de certains blocages , soulignés par les experts rencontrés par vos rapporteurs, parmi lesquels l'absence de réforme agraire en profondeur et d'une réelle maîtrise de la croissance démographique . L'accroissement de la population est de 1,7% par an. De même, le montant des investissements directs étrangers n'est que de 1 milliard de dollars, ce qui est relativement faible par rapport à certains de ses voisins, tout comme l'est la part de l'industrie dans le PIB, une des plus faibles d'Asie.

La réduction de la pauvreté et des inégalités , deux problèmes sociaux majeurs, se fait lentement. L'investissement public est faible et l'investissement privé est jugé insuffisant par les économistes. L'agriculture est peu productive et peu diversifiée, et le tourisme, bien qu'en croissance rapide, encore sous-développé par rapport au potentiel. Le chômage (7%) et le sous-emploi (12%) figurent donc parmi les plus élevés de l'ASEAN.

Comme l'a montré la récente visite du Président Obama, les Philippines entretiennent des relations privilégiées avec les États-Unis , où réside la plus importante communauté philippine expatriée (près de trois millions de personnes). 400 000 ressortissants américains, dont une majorité de binationaux, résident dans l'archipel.

Les deux pays sont liés par un accord de défense mutuelle en cas d'agression militaire, signé en 1951. Les États-Unis disposaient jusqu'en 1991 de deux bases, à Clark et Subic Bay. La visite de Barack Obama aux Philippines en avril 2014 a ainsi été l'occasion de signer un « Enhanced Defense Cooperation Agreement », permettant d'augmenter les rotations de troupes, de navires et d'avions américains dans des bases philippines, sans toutefois aller jusqu'à la réouverture de bases américaines.

L'aide publique américaine est en très forte hausse depuis quelques années, qu'il s'agisse de l'aide militaire ou de programmes de bonne gouvernance et de renforcement des capacités de l'Etat.

Le Japon est le second partenaire privilégié des Philippines, dont il est à la fois le premier investisseur, le premier fournisseur et le premier client, suivant le modèle de l'intégration verticale : les sociétés d'électronique japonaises expédient aux Philippines des composants et importent au Japon des produits assemblés. Le Japon est également le premier pourvoyeur d'aide publique au développement .

La Corée du Sud est le troisième partenaire régional, assurant le tiers des investissements et le premier contingent touristique.

Les relations avec la Chine , troisième partenaire commercial, sont croissantes mais demeurent marquées par la question récurrente des différends territoriaux en Mer de Chine du Sud (îles Spratleys et Scarborough Shoal en particulier), puisque Manille a demandé en janvier 2013 la constitution d'un tribunal arbitral , se fondant sur les dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Peut-être plus encore que le Vietnam, les Philippines sont donc souvent présentées comme les plus « en pointe » avec la Chine sur la question des revendications territoriales en Mer de Chine du Sud. Cette position impacte directement la relation avec l'allié américain, soucieux tout à la fois de donner la « réassurance » attendue que de contenir toute escalade potentielle des contentieux territoriaux.

7. L'Indonésie, une année électorale à enjeux pour un « archipel en émergence 67 ( *

Après la " Reformasi ", initiée en 1998 au lendemain de la chute de Suharto, et du rythme soutenu des réformes qui s'en sont suivies, l'Indonésie est entrée dans une période de consolidation démocratique, avec l'élection de l'ancien général Susilo Bambang Yudhoyono à la tête du pays en 2004.

Quatrième pays le plus peuplé du monde, premier pays musulman par la population, jeune démocratie située sur les détroits stratégiques du commerce mondial, membre du G20 et puissance montante que certains qualifient de « mini Chine », l'Indonésie affronte cette année des échéances électorales. Après les élections législatives au printemps, ce sont désormais les élections présidentielles qui dominent le débat politique.

Le Président Yudhoyono finira en octobre 2014 son deuxième mandat et ne pourra plus se représenter. Le climat politique va dans le sens d'un nationalisme croissant, notamment dans le domaine économique, et d'une aspiration à un président capable de mettre effectivement en oeuvre les décisions de l'Etat et de combattre plus efficacement la corruption.

Les priorités d'action du gouvernement (lutte contre la corruption, développement de la politique sociale - santé, éducation, soutien aux défavorisés, renforcement des infrastructures - peinent en effet à être mises en oeuvre et conduisent à un fort sentiment d'immobilisme . Il en va de même pour les réformes annoncées de l'armée, de la justice et de la police.

Les déséquilibres régionaux entre les 17 000 îles qui forment l'archipel sont certes marqués (Java, qui représente 7% du territoire indonésien, compte 57% de la population, 5 des 6 plus grandes villes du pays et produit 58% du PIB indonésien ; Jakarta produit 20% du PIB national), de même que le sous-équipement en infrastructures qui handicape le développement des régions les plus excentrées.

Pour autant, le miracle économique indonésien est là : la croissance annuelle du PIB est supérieure à 6% pour la quatrième année consécutive et la consommation a augmenté en moyenne de 15% par an au cours des cinq dernières années. Les projections économiques tablent sur l'émergence d'une classe moyenne, consommatrice de biens et de services nouveaux, dans les prochaines décennies (45 millions aujourd'hui, 85 millions en 2020 et 135 millions en 2030).

Membre du G20, État moteur de l'ASEAN, pays en pleine expansion économique, optimiste sur son avenir et confiant dans le fait d'être dans les prochaines décennies une des premières économies mondiales (malgré l'ampleur des réformes structurelles à mener), candidate à un siège de membre non-permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies en 2019-2020, l'Indonésie a pour ambition de s'affirmer sur la scène internationale.

L'optimisme, qui soutient la forte consommation, moteur de la croissance économique, est palpable dans ce pays jeune confiant dans son avenir : « Le brassage et la concurrence produisent un climat de saine émulation. La multiplicité et la diversité (...) deviennent source d'enrichissement, stimulation, mobilité, compétition ; lucidité, maintien en alerte, éveil, vivacité. Le retour de la confiance se produit quelque part au début du 21è siècle, quand la nouvelle démocratie se stabilise. (...) Au bout du compte, ce sont l'expansion quantitative et la confiance accrue de la classe moyenne qui expliquent et nourrissent l'émergence indonésienne. 68 ( * ) ».

De fait, 66% des Indonésiens pensent qu'ils vivront mieux que leurs parents, et 71% que leurs enfants vivront mieux qu'eux. Le pays se classe au 7 è rang mondial en matière d'optimisme (source : bureau indonésien Ipsos, avril 2013), un tiers pensant que l'économie sera plus robuste dans six mois.

8. Le sultanat de Brunei, entre hydrocarbures et radicalisation

Le sultanat du Brunei vit sous le régime de la monarchie absolue. Le sultan, Haji Hassanal Bolkiah, est à la fois chef de l'Etat, Premier ministre, ministre des Finances et ministre de la Défense. L'un de ses frères, le prince Mohamed Bolkiah, détient le portefeuille des Affaires étrangères et du Commerce.

Avec quelque 38 800 dollars de PIB par habitant, le sultanat de Brunei est quatre fois plus riche que son voisin malaisien (mais est derrière Singapour), grâce à ses hydrocarbures, qui représentent les 2/3 de son PIB et 95% de ses exportations.

La croissance restera pour longtemps accrochée aux hydrocarbures puisque le plan directeur à vingt ans (2010-2030) du gouvernement prévoit que la part de la filière hydrocarbures au sens large (y compris les industries aval) devrait passer de 60% du PIB en 2010 à 70% du PIB en 2030 69 ( * ) .

Ce plan promeut une volonté de « brunéiser » la main d'oeuvre qui se heurte, pour les emplois d'ingénieurs notamment, à la pénurie de main d'oeuvre locale suffisamment formée (ingénieurs, cadres techniques), et ce d'autant plus qu'on constate une certaine « fuite des cerveaux » notamment vers l'Australie 70 ( * ) .

Parallèlement, un certain raidissement du régime est constaté : en témoigne l'obligation de l'enseignement religieux introduit en 2012 ou encore la récente application de la charia en matière pénale (2014, cf. supra). Le système du MIB ( Malayi Islam Beraya ) qui vise à promouvoir l'identité malaise, musulmane et monarchique du Brunei, est, de fait, de plus en plus prégnant.

Aux dires des experts entendus par votre commission, la dérive « islamiste » du régime se fait chaque année plus manifeste, verrouillant progressivement un système politique et religieux déjà marqué par l'absolutisme.

9. Singapour à la croisée des chemins

Démocratie parlementaire, Singapour s'est hissée en trois décennies au rang de pays développé, caractérisé par une grande stabilité politique : Lee Hsien Loong, le fils du fondateur du Singapour moderne Lee Kuan Yew, a succédé en 2004 au poste de Premier ministre à Goh Chok Tong, qui avait été l'artisan d'une ouverture très graduelle aux plans politique et social. Le People's Action Party est au pouvoir depuis l'indépendance.

Les autorités tentent désormais de concilier les nouvelles attentes de la population - notamment en matière de stabilisation des prix immobiliers, de maîtrise des flux migratoires et d'expansion des fonctions sociales de l'Etat - avec la nécessité de préserver l'attractivité économique de Singapour.

Comme l'ont montré les échanges que vos rapporteurs ont eus avec leurs homologues du Parlement singapourien, la question de la démographie est devenue centrale à Singapour. Le gouvernement a publié un Livre blanc sur la population qui projetait une population de 6,9 millions de personnes en 2030. Étant donné le très faible taux de natalité des Singapouriens -parmi les plus bas du monde autour de 1,2 enfant par femme- cette augmentation ne pouvait se faire qu'en recourant à l'immigration. Sur une population actuelle de 5,4 millions d'habitants, les non-résidents représentent actuellement 1,5 million, contre 1,3 million il y a trois ans, alors que la part des citoyens singapouriens et des résidents permanents reste stable. La publication de ce document a entraîné une introspection nationale sur l'identité singapourienne et l'avenir du modèle singapourien et un durcissement des politiques vis-à-vis des nouveaux immigrants en provenance d'Inde, de Chine, mais aussi des pays occidentaux.

10. La Malaisie, à la recherche de l'équilibre

Le gouvernement malaisien est traditionnellement confronté au problème de l'équilibre entre communautés (ethniques et religieuses). La population malaisienne compte en effet environ 55% de Malais musulmans, 10% de populations « indigènes », qui forment avec les Malais la catégorie des Bumiputra (« fils du sol ») , 26% de Chinois (pour la plupart bouddhistes et chrétiens) et près de 8% d'Indiens (en grande partie hindouistes). Depuis les émeutes antichinoises de mai 1969, les Malais sont les bénéficiaires d'une politique de discrimination positive, inscrite dans la « Nouvelle politique économique » (NEP).

Un débat a été ouvert sur l'opportunité de remettre progressivement en cause cette politique, considérée notamment comme un frein aux investissements étrangers. Le Premier ministre Najib a lancé lors de son accession au pouvoir le concept de « One Malaysia » destiné à rassurer les différentes communautés ethnico-religieuses non malaises (chinoises et indiennes en particulier) et à encourager une dynamique d'unité et d'identité nationale malaisienne.

Au-delà des seuls équilibres entre communautés, les attentes de la société civile sont surtout très fortes en termes socio-économiques .

Recherchant le consensus, le gouvernement de Najib Razak entend poursuivre en douceur et de manière progressive les réformes entreprises. Ayant fait de la modération son maître mot, il cherche à mener une politique équilibrée, avec le souci de ne pas creuser davantage les clivages ethniques, et de poursuivre le développement de la Malaisie pour atteindre l'objectif d'en faire un pays à haut revenu en 2020 .

Sur le plan de la politique étrangère, le pays a fait de la lutte contre l'extrémisme sous toutes ses formes une priorité : il souhaite mettre fin aux violences actuelles entre chiites et sunnites (Syrie, Liban, Irak, Pakistan) et juge nécessaire un développement plus inclusif afin de mieux réguler le rôle politique de l'Islam.

La Malaisie a participé depuis 1960 à 30 opérations de maintien de la paix déployées par l'ONU. La FINUL au Liban constitue la contribution majeure de Kuala Lumpur (832 militaires - un bataillon d'infanterie).

La promotion du « Mouvement Global des Modérés » (lancé par le Premier ministre malaisien à l'occasion de l'assemblée générale des Nations unies en septembre 2010) porte un discours ouvert et conciliant, bien accueilli, dans toutes les grandes enceintes internationales (Nations unies, ASEM, Commonwealth, ASEAN, APEC), avec des retombées positives sur l'image de la Malaisie. Son idée centrale est que la fracture dans le monde actuel n'est pas entre le monde musulman et l'Occident, ni entre les pays développés et ceux en voie de développement, mais entre les modérés et les extrémistes. Concept volontairement large, la "modération" est définie comme l'acceptation, plus que la tolérance, et le respect de la diversité, seuls à même d'assurer compréhension mutuelle et coexistence pacifique.


* 61 « Cambodge : la sortie de la transition post Pol Pot », in « L'Asie du Sud est 2014 », IRASEC, p. 167 et s, AY Guillou et F Luco

* 62 Source : Ibid

* 63 D'après une étude de la Banque Mondiale, le nombre de personnes sous le seuil de 1,15 dollars par jour serait passé de 7 à 3 millions de personnes

* 64 D'après le titre d'un article de R Egreteau dans la revue « Etudes », mars 2012

* 65 Voir notamment l'article de R Egreteau : « Réformes et transition en Birmanie : Glasnost sans Pérestroika ? » Mondes émergents, Asie, 2013-2014

* 66 Voir : « Vietnam, une impatience croissante », in « L'Asie du Sud Est 2014 », IRASEC

* 67 Termes d'un article de M. F. Raillon

* 68 « Indonésie, un archipel émergent », F Raillon, académie des sciences morales et politiques

* 69 Source : Marie-Sybille de Vienne in « L'Asie du Sud Est 2013 », IRASEC

* 70 Source : Ibid

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